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table des matières de l'oeuvre d'Aristote

ARISTOTE

Thomas d’Aquin

Commentaire au traité de l’âme 

 

Livre I Livre I (suite) Livre II Livre II (suite) Livre III

Livre II 

traduction par Yvan Pelletier

2000

Site http://www.thomas-d-aquin.com/

Yvan Pelletier Yvan Pelletier (né en 1946) est professeur titulaire à la Faculté de philosophie de l'Université Laval, où il enseigne depuis 1975 et où il a complété sa formation philosophique jusqu'au doctorat, en s'attachant à l'enseignement de Mgr Maurice Dionne, de M. l'abbé Jasmin Boulay et de MM. Warren Murray, Alphonse Saint-Jacques et quelques autres professeurs d'une tradition aristotélico-thomiste initiée à cette faculté par M. Charles De Koninck. Son enseignement est agencé de façon à offrir aux étudiants du baccalauréat une présentation des principes fondamentaux et de la méthode de chacune des disciplines philosophiques de base - dans une perspective aristotélicienne : éthique, politique, physique, métaphysique - et aux étudiants de maîtrise et doctorat une réflexion critique sur les éléments du credo contemporain - démocratie, nouvelle morale, logique symbolique, dissociation de l'être et du devoir, primauté de la conscience, etc. - à partir de ces principes fondamentaux.   

 


 

 

 

Chapitre 1

(412a3-b9) 412a3 Voilà donc exposé ce que nous ont transmis sur l'âme nos devanciers. Reprenons encore maintenant comme du début, et essayons de déterminer ce qu'est l'âme et ce que serait sa notion la plus commune. 412a6 Nous attribuons (01) la substance comme un genre des êtres, et ce faisant, ce que nous attribuons, c'est d'abord en quelque sorte la matière (02) — ce n'est pas encore d'être par soi telle chose —; c'est ensuite la forme et l’aspect (03) — c'est d'après elle qu'on attribue d'être déjà telle chose —; c'est, en troisième, le composé des deux. En outre, la matière est puissance et la forme finalisation (04) — et ceci de deux manières: l'une comme la science, l'autre comme le fait de penser (05). 412a11 Ce sont surtout les corps, à ce qu’il semble, qui sont des substances, et, parmi eux, les corps naturels, car ils sont principes pour les autres. En outre, parmi les corps naturels, les uns ont la vie, les autres ne l'ont pas; j'appelle vie, par ailleurs, d’avoir par soi-même la nourriture, la croissance et la décroissance. 412a15 Aussi, tout corps naturel doté de vie sera une substance, mais une substance au sens de composé. Toutefois, puisqu'il s'agit aussi d'un corps de telle qualité — doté de vie, en effet —, le corps ne peut être l'âme. En effet, le corps n’est pas de ce qu'on attribue comme son essence à un sujet (06); il intervient plutôt comme sujet et matière. Nécessairement, donc, l'âme est substance comme forme d'un corps naturel doté en puissance de vie. Or cette substance (07) est finalisation: l'âme est donc la finalisation de pareil corps. 412a22 Mais celle-ci s'attribue de deux manières: l'une comme la science, l'autre comme le fait de penser. Il est manifeste, sans doute, que c'est ici comme la science. Car tant le sommeil que la veille sont compatibles avec la présence de l'âme : la veille correspond au fait de penser et le sommeil au fait d’avoir la science sans l'exercer. Or dans le même individu, c'est la science qui est antérieure, dans l'ordre de génération. Aussi l'âme est-elle la finalisation première d'un corps naturel doté en puissance de la vie. 412a28 Or est tel celui qui est organisé. Même les parties des plantes sont des organes, bien qu’extrêmement simples. Par exemple, la feuille sert de protection au péricarpe et le péricarpe au fruit; quant aux racines, elles correspondent à la bouche, puisque les deux absorbent la nourriture. 412b4 Si donc il faut attribuer quelque chose de commun à toute âme (08), elle sera la finalisation première d'un corps naturel organisé. 412b6 Aussi n'y a-t-il pas à examiner si l'âme et le corps ne font qu'un, comme on ne le fait pas pour la cire et la figure, ni en général pour la matière de chaque chose et ce dont elle est la matière. En effet, l'un et l'être s'attribuent de plusieurs manières, mais, dans leur attribution propre, ils sont la finalisation.

Leçon  1

#211. — Auparavant, au premier livre, Aristote a présenté l'opinion des autres sur l'âme; au second livre, il en vient à traiter de l'âme avec sa propre opinion et la vérité. À ce propos, il développe deux points: en premier, il dit sur quoi porte son intention, en faisant le lien avec ce qui précède; en second (412a6), il poursuit son intention. Au premier livre, commence-t-il, on a rapporté ce qu'ont transmis ceux qui ont traité de l'âme auparavant. Maintenant, il faut établir la vérité làdessus quasiment comme si on reprenait depuis le début. Certes, étant donné la difficulté impliquée, il faut plutôt s'y essayer que présumer en toute assurance qu'on va découvrir la vérité. Plus haut, dans le proème, on a demandé si on doit d'abord traiter de l'âme même ou de ses parties; maintenant, un peu comme s'il tranchait la question  (09), le Philosophe dit qu'on doit dire dès le début (10) ce qu'est l'âme, ce qui revient à faire connaître l'essence même de l'âme. C'est ensuite (#279-874) qu'on traitera de ses parties ou puissances. Un peu comme s'il donnait la raison de pareil ordre (11), il ajoute: «et quelle pourrait être sa définition la plus commune». En effet, en montrant ce qu'est l'âme, on livre ce qui est commun, tandis qu'en traitant de chacune de ses parties ou puissances, on livre ce qu'il y a de spécial à propos de l'âme. Or c'est l'ordre de l'enseignement d'aller du commun au moins commun, comme le montre le Philosophe, au début de la Physique (I, 1).

#212. — Ensuite (412a6), il poursuit l'intention qu'il vient de se proposer. Cela se divise en deux parties: dans la première, il montre ce qu'est l'âme; dans la seconde (414a29), il traite de ses parties ou puissances. La première partie se divise en deux autres: dans la première, il présente une définition de l'âme qui a l'aspect d'une conclusion de démonstration; dans la seconde (413a11), il présente une définition de l'âme qui a l'aspect d'un principe de démonstration. Car on doit savoir que, comme il est dit, Seconds Analytiques, I, 8, toute définition est ou bien la conclusion d’une démonstration — par exemple: «le tonnerre est un son continu dans les nuages» —, ou bien le principe d’une démonstration — par exemple: «le tonnerre est l'extinction du feu dans les nuages» —, ou bien une démonstration, avec différence de position, c'est-à-dire d'ordre — par exemple: «le tonnerre est un son continu dans les nuages, à cause de l'extinction du feu dans les nuages». Dans cette dernière, en effet, on met à la fois la conclusion d’une démonstration et son principe, mais (12) non dans l'ordre d'un raisonnement.  La première partie se divise en deux autres: dans la première, il présente la première définition de l'âme; dans la seconde (412b10), il la manifeste. La première partie se divise en deux autres: dans la première, il présente d'abord quelques divisions qui fournissent la voie pour rechercher la définition de l'âme; dans la seconde (412a15), il recherche la définition de l'âme.

#213. — On doit savoir, par ailleurs, que, comme l'enseigne le Philosophe, Métaphysique, VII, il y a cette différence, entre la définition d'une substance et celle d'un accident, que, dans la définition d'une substance, on ne met rien qui soit en dehors de l'essence (13) de ce qu'on définit — chaque substance, en effet, se définit par ses principes matériels ou formels —, tandis que, dans la définition d'un accident, on met quelque chose qui est en dehors de l'essence de ce qu'on définit — à savoir, son sujet: car il faut mettre son sujet dans la définition d'un accident. Par exemple, on dit: «le camus est la courbure du nez». La raison en est que la définition signifie ce qu'est la chose; or la substance est quelque chose de complet en son être et en son espèce, tandis que l'accident ne possède pas un être complet, mais un être qui dépend d'une substance. Pareillement aussi, aucune forme n'est quelque chose de complet en espèce; au contraire, le complément d'une espèce appartient à une substance composée. Aussi définit-on une substance composée de manière à ne mettre dans sa définition rien qui soit en dehors de son essence, tandis que dans la définition d'une forme on met quelque chose qui est en dehors de l'essence de cette forme, à savoir, son sujet ou sa matière propre. Aussi, comme l'âme est une forme, il faut que l'on mette dans sa définition sa matière ou son sujet.

#214. — C'est pourquoi, dans la première partie, il présente deux divisions. La première est nécessaire à la recherche de ce qui entre dans la définition de l'âme pour exprimer son essence. L'autre (412a11), par contre, est nécessaire à la recherche de ce qui entre dans la définition de l'âme pour exprimer son sujet. Sur le premier point, il signale trois divisions, dont la première tient à ce que l'être se divise en dix attributions (14). C'est cette division qu'il signale par le fait de rappeler qu'on dit que la substance est un genre des êtres.

#215. — La seconde division tient à ce que la substance se divise en matière et forme et composé. La matière, toutefois, c'est ce qui, en soi, n'est pas encore telle chose (15), mais est en puissance (16) seulement à être telle chose. La forme, elle, c'est ce selon quoi il y a déjà telle chose en acte. La substance composée, enfin, c'est telle chose. En effet, on dit qu'est telle chose une chose qu'on peut montrer (17) et qui est complète en son être et espèce. Cela, dans les choses matérielles, convient à la seule substance composée. En effet, les substances séparées, bien qu'elles ne soient pas composées de matière et de forme, sont cependant telle chose, puisqu'elles subsistent en acte et sont complètes en leur nature. L'âme rationnelle, quant à elle, peut se dire telle chose sous un rapport, du fait qu'elle peut subsister par soi; cependant, comme elle n'est pas l'espèce complète, mais plutôt une partie de l'espèce, il ne lui convient pas tout à fait d'être telle chose. Il y a donc une différence entre matière et forme: la matière est un être en puissance, tandis que la forme est une finalisation (18), c'est-à-dire un acte, celui, en fait, moyennant lequel la matière devient en acte et grâce à quoi le composé même est un être en acte.

#216. — La troisième division est que l'acte se dit de deux manières. D'une manière, comme la science est un acte. De l'autre manière comme penser (19) est un acte. On peut apprécier la différence entre ces actes à partir des puissances correspondantes. Car on dit que l'on est grammairien en puissance avant d'acquérir l'habitus de la grammaire par l'enseignement ou la découverte; cette puissance se trouve réduite à l'acte une fois qu'on détient l'habitus de cette science. Alors, cependant, on est de nouveau en puissance devant l'usage de cet habitus, tant qu'on n'est pas en acte en train de l'exercer; et on se trouve réduit de cette puissance à l'acte (20) quand on est en acte en train de l'exercer. Ainsi donc, à la fois la science et la pensée (21) sont des actes.

#217. — Ensuite (412a11), il présente des divisions à partir desquelles rechercher ce qui entre dans la définition de l'âme en ce qui concerne son sujet. Il signale trois divisions, dont la première est que parmi les substances certaines sont des corps et certaines n'en sont pas. Parmi ces substances, les substances corporelles sont les plus manifestes. En effet, les substances incorporelles, quelles qu'elles soient, ne sont pas manifestes, du fait qu'elles sont éloignées des sens (22) et accessibles à la recherche de la seule raison. C'est cela donc qu'il dit, avec ces mots: «Ce sont surtout les corps, à ce qu’il semble, qui sont des substances».

#218. — La seconde division est que certains corps sont des corps «physiques» (23), c'est-à-dire naturels, tandis que d'autres ne sont pas naturels, mais artificiels. L'homme, en effet, et le bois et la pierre sont des corps naturels, mais la maison et la hache en sont des artificiels. Toutefois, les corps naturels sont plus manifestement des substances que les artificiels, parce que les corps naturels sont les principes des artificiels. En effet, l'art agit à partir d'une matière que la nature lui fournit; en outre, la forme induite par l'art est une forme accidentelle, comme une figure ou autre pareille chose. Aussi, les corps artificiels ne sont pas dans le genre de la substance par leur forme, mais seulement par leur matière, qui est naturelle. Ils tiennent donc des corps naturels d'être des substances. Aussi les corps naturels sont-ils davantage substances que les corps artificiels, car ils sont des substances non seulement par leur matière, mais aussi par leur forme.

#219. — La troisième division est que des corps naturels ont la vie, tandis que d'autres ne l'ont pas. Par ailleurs, ce dont on dit qu’il a la vie, c'est ce qui a par soi l'aliment, la croissance et la décroissance. On doit savoir, toutefois, que cette explication va plus par mode d'exemple que par mode de définition. En effet, ce n'est pas seulement du fait d'avoir croissance et décroissance qu'on vit, mais aussi du fait de sentir et d'intelliger, et de pouvoir exercer les autres opérations de la vie. Aussi y at- il vie dans les substances séparées, du fait qu'elles ont intelligence et volonté, comme il appert, Métaphysique, XI, 5, bien qu'il ne se trouve en elles ni croissance ni aliment. Cependant, chez les vivants générables et corruptibles, l'âme qui se trouve dans les plantes, à laquelle appartiennent l'aliment et la croissance, ainsi qu'il est dit à la fin du premier livre (#210), est le principe de la vie; aussi a-t-il manifesté ici comme par un exemple le fait d'avoir la vie par le biais de détenir aliment et croissance. La notion appropriée de la vie, par contre, tient à ce qu'une chose est de nature à se mouvoir elle-même, en prenant au sens large le mouvement, en ce que même l'opération intellectuelle se dise un certain mouvement. En effet, nous disons que sont sans vie les choses qui ne peuvent être mues que par un principe extérieur.

#220. — Ensuite (412a15), il recherche la définition de l'âme, en supposant les divisions qui précèdent. À ce propos, il développe trois points: en premier, il recherche les parties de la définition; en second (412b4), il introduit la définition; en troisième (412b6), sur la base de la définition donnée, il exclut une difficulté. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il recherche les particules de la définition qui concernent l'essence de l'âme; en second (412a28), ce qui concerne l'essence du sujet. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il examine cette particule, que l'âme est un acte; en second (412a22), celle-ci, qu'elle est un acte premier. Comme ce sont les corps naturels qui sont le plus manifestement des substances, conclut-il donc en premier, sur la base de ce qui précède, et que tout corps doté de vie est un corps naturel, tout corps doté de vie est nécessairement une substance. Et comme c'est un être en acte, il est nécessairement une substance composée. Maintenant, quand je dis corps doté de vie, je dis deux choses : il s'agit d'un corps et il s'agit d'un corps de telle sorte, à savoir, doté de vie; on ne peut donc pas dire que l’âme, ce soit la partie du corps doté de vie qu’on nomme le corps. Par l'âme, en effet, on entend ce par quoi vit ce qui est doté de vie; aussi faut-il qu'on la conçoive comme quelque chose qui existe en un sujet (24), en prenant ici largement le sujet, non seulement pour autant qu'on appelle sujet un être déjà en acte— sens dans lequel on dit de l'accident qu’il est en un sujet —, mais pour autant qu'on appelle sujet même la matière première, qui n’est qu’en puissance. Par contre, le corps qui reçoit la vie est plus comme un sujet et une matière que comme quelque chose qui existe en un sujet.

#221. — Ainsi donc, comme il y a triple substance — le composé, la matière et la forme —, et que l'âme n'est pas le composé même, qui est un corps doté de vie, ni n'est la matière, qui est un corps sujet à la vie, il reste, par le lieu de la division, que l'âme soit une substance à la manière de la forme ou de l’espèce de pareil corps, à savoir, du corps naturel doté en puissance de vie.

#222. — Il a dit toutefois : «doté en puissance de vie», et non simplement : doté de vie. C'est que c'est la substance composée vivante que l’on conçoit comme le corps doté de vie. Or ce n'est pas le composé qui entre dans la définition de la forme, mais la matière (25). Et la matière du corps vivant est ce qui se rapporte à la vie comme la puissance à l'acte; et l'acte par lequel le corps vit, c'est l'âme. Ainsi, dirait-on, la figure est l'acte non pas, certes, du corps figuré en acte — celui-ci, en effet, est le composé de figure et de corps —, mais du corps sujet à la figure, lequel se rapporte à la figure comme la puissance à l'acte.

#223. — Pour éviter qu'on croie que l'âme serait un acte à la manière d'une forme accidentelle (26), il ajoute, pour l'exclure, que l'âme est un acte à la manière d'une substance, c'est-à-dire d'une forme (27). Et comme toute forme se trouve dans une matière déterminée, il s'ensuit qu'elle soit la forme d'un corps tel qu'on l'a dit.

#224. — On doit néanmoins savoir qu'il y a, entre forme substantielle et forme accidentelle, cette différence que la forme accidentelle ne fait pas être en acte absolument, mais être en acte tel ou tant, par exemple grand ou blanc ou autre chose de la sorte, tandis que la forme substantielle fait être en acte absolument. Aussi, la forme accidentelle advient à un sujet qui préexiste (28) déjà en acte. La forme substantielle, par contre, n'advient pas à un sujet qui préexiste déjà en acte, mais qui existe en puissance seulement, à savoir, à la matière première. De là, il appert qu'il est impossible à une seule chose d'avoir plusieurs formes substantielles, car la première ferait être en acte absolument, et toutes les autres adviendraient à un sujet déjà existant en acte; en conséquence, elles adviendraient par accident à un sujet déjà existant en acte (29), et ne feraient pas être en acte absolument, mais sous quelque aspect.

#225. — Avec cela, on exclut la position d'Avicebron, dans son livre La source de la vie, où il soutenait que, d'après l'ordre des genres et des espèces, il y a, dans une seule et même chose, l'ordonnance de plusieurs formes substantielles. Par exemple, il y aurait, dans tel individu humain, une forme par laquelle il est une substance; puis une autre par laquelle il est un corps; et une troisième par laquelle il est un corps animé; et ainsi du reste. Car d'après ce qui précède, il faut affirmer qu'il y a une seule et même forme substantielle par laquelle tel individu est telle chose, c'est-à-dire substance, et par laquelle il est corps, et corps animé, et ainsi du reste. En effet, la forme plus parfaite donne à la matière à la fois ce (30) que donne la forme moins parfaite, et encore plus. Par conséquent, l'âme ne fait pas seulement être substance et corps, ce que fait déjà la forme de la pierre, mais elle fait aussi être corps animé. On ne doit donc pas comprendre que l'âme est l'acte du corps, et que le corps est sa matière et son sujet, comme si le corps était constitué par une forme qui le fasse être un corps, et que lui survienne l'âme, qui le ferait être corps vivant; mais plutôt qu'il tient de l'âme et d'être et d'être corps et d'être corps vivant (31). Cependant, ce qui touche le fait d'être un corps, qui est plus imparfait, est comme matériel (32) en regard de la vie.

#226. — C'est de là que vient qu'avec le retrait de l'âme, ce n'est pas spécifiquement le même corps qui reste. En effet, on n'attribue d'œil et de chair au mort que de manière homonyme (33), comme il appert par le Philosophe, Métaphysique, VII, 10. Avec le retrait de l'âme, en effet, c'est une autre forme substantielle qui succède, et elle donne un autre être spécifique, puisque la corruption de l'un ne va pas sans la génération d'un autre.

#227. — Ensuite (412a22), on cherche la seconde particule de la définition. L'acte, dit-il encore, s'attribue de deux manières: un premier acte l'est comme la science, et l'autre comme le fait de penser (34), ainsi qu'on l'a expliqué plus haut (#216). Or il est manifeste que l'âme est un acte à la manière de la science, puisque du fait que l'âme existe (35), on trouve chez l'animal et le sommeil et la veille. La veille, bien sûr, s'assimile à la pensée, car de même que la pensée est l'usage de la science, de même la veille est l'usage des sens; par contre, le sommeil s'assimile à l'habitus de la science, quand on ne le met pas en opération, car pendant le sommeil les facultés animales sont au repos.

#228. — Par ailleurs, parmi ces deux actes, et chez le même individu, la science est antérieure en génération. En effet, la pensée se rapporte à la science comme l'acte à la puissance. Or l'acte, comme il en est question, Métaphysique, IX, 8, est antérieur de nature à la puissance, car il est la fin et le complément de la puissance. Toutefois, pour l'ordre de la génération et du temps, à parler universellement, l'acte est encore antérieur à la puissance. En effet, ce qui est en puissance se trouve réduit à l'acte par autre chose qui est en acte. Par contre, chez le même et unique individu, la puissance est antérieure à l'acte. En effet, une chose est d'abord en puissance, et ensuite elle devient en acte. C'est pour cela qu'il dit que «dans le même individu, c'est la science qui est antérieure, dans l'ordre de génération».

#229. — De là, il conclut que, puisque l'âme est un acte à la manière de la science (36), elle est l'acte premier d'un corps naturel doté en puissance de vie. Le Philosophe, doit-on savoir par ailleurs, dit que l'âme est un acte premier non seulement pour distinguer l'âme de l'acte qu'est l'opération, mais aussi pour la distinguer des formes des éléments, qui ont toujours leur action à moins d'en être empêchés.

#230. — Ensuite (412a28), on cherche la particule qui se tient du côté du sujet. Comme, donc, il a dit que l'âme est l'acte d'un corps naturel doté en puissance de vie, il dit aussi que tout corps organisé est de la sorte. On attribue d'être un corps organisé à celui qui présente une diversité d'organes. Par ailleurs, la diversité des organes est nécessaire dans le corps qui reçoit la vie, à cause de la diversité des opérations de la vie. L'âme, en effet, comme elle est la forme la plus parfaite parmi les formes des choses corporelles, est le principe de différentes opérations; et c'est pourquoi elle requiert une diversité d'organes de la part du sujet qui se prête à ce qu'elle le perfectionne. Par contre, les formes des choses inanimées, à cause de leur imperfection, sont principes de peu d'opérations; aussi, elles n'exigent pas de diversité d'organes de la part des sujets qui se prêtent à ce qu'elles les perfectionnent (37).

#231. — Parmi les âmes, par ailleurs, celle des plantes se trouve plus imparfaite; aussi trouve-t-on chez les plantes une moindre diversité d'organes que chez les animaux. C'est pourquoi, pour montrer que tout corps qui reçoit la vie est organisé, Aristote tire son argument des plantes, chez lesquelles il y a moindre diversité d'organes. C'est ce qu'il veut dire, en affirmant que même les parties des plantes sont des organes différents. Pourtant, les parties des plantes sont très simples, c'est-à-dire semblables les unes aux autres: il n'y a pas chez elles autant de diversité qu'entre les parties des animaux. En effet, le pied de l'animal est composé de différentes parties, à savoir, de chair, de nerf, d'os, et d'autres choses de la sorte, tandis que les parties organisées des plantes n'ont pas tant de diversité entre les parties dont elles sont composées.

#232. — Que les parties des plantes sont tout de même organisées, il le manifeste du fait que différentes parties sont affectées à différentes opérations. Par exemple, la feuille est pour la protection de l'enveloppe, ou portefruit, c'est-à-dire de cette partie où le fruit naît. L'enveloppe, quant à elle, ou portefruit, sert à la protection du fruit. Quant aux racines, elles correspondent, chez les plantes, à la bouche des animaux, car l'une et l'autre attrapent l'aliment : la racine chez les plantes, et la bouche chez les animaux.

#233. — Ensuite (412b4), il recueille de tout ce qui précède la définition de l'âme. Si l'on doit donner une définition commune, dit-il alors, qui convienne à toute âme, ce sera celle-ci: «L'âme est l'acte premier d'un corps naturel organisé.» Mais il n'y a pas à ajouter : «doté en puissance de la vie». Car c'est à la place de cela qu'on met «organisé», comme il appert de ce qu'on a dit.

#234. — Ensuite (412b6), avec la définition donnée, il résout une difficulté. Cela faisait difficulté pour beaucoup, en effet, de quelle manière se trouverait produit un être unique à partir de l'âme et du corps. Certains soutenaient qu'il y aurait autre chose comme intermédiaire par quoi l'âme serait unie au corps et lui serait de quelque manière attachée. Or cette difficulté désormais n'a plus lieu, puisqu'on a montré (#220-226) que l'âme est la forme du corps. C'est cela qu'il veut dire, en affirmant qu'il n'y a pas à chercher si c'est un être unique qui procède de l'âme et du corps, comme on ne fait pas de difficulté à propos de la cire et de la figure, ni d'aucune façon à propos d'une matière et de la forme dont elle est la matière. Il est montré, en effet, Métaphysique, VIII, 6, que la forme s'unit par soi à la matière, comme son acte; et que c'est pareil pour la matière de s'unir à la forme et d'être en acte. C'est encore cela qu'il dit ici, que, puisque l'un et l'être se disent de plusieurs manières, à savoir, de l'être en puissance et de l'être en acte, ce qui est proprement l'être et l'un est l'acte. Car, de même que l'être en puissance n'est pas absolument de l'être, mais de l'être sous un certain rapport, de même il n'est pas non plus absolument de l'un, mais de l'un sous un certain rapport; car on dit une chose une de la manière dont elle est aussi un être. Et c'est pourquoi, de même que le corps a l'être par l'âme comme par sa forme, de même aussi il s'unit à l'âme immédiatement, en tant que l'âme est la forme du corps. Cependant, en tant qu'elle en est le moteur, rien n'empêche qu'autre chose ne serve d'intermédiaire, pour autant qu'une partie se trouve mue par l'âme moyennant une autre.

Chapitre 1 (412b9-413a10) 412b9 Voilà dit, en général, ce qu'est l'âme. Elle est substance (38), en effet, la substance qui correspond à la notion (39) ; elle est ce en quoi consisterait d’être pour pareil corps (40). Ainsi, si un instrument, une hache, par exemple, était un corps naturel, ce en quoi consisterait d’être, pour cette hache, voilà qui serait sa substance (41); et ce serait son âme aussi (42). Cette substance mise à part, d’ailleurs, on n'aurait plus une hache, sinon par homonymie. Toutefois, c'est d'une hache qu'on parle maintenant, et ce n'est pas pour un corps pareil que l'âme est ce en quoi consisterait d'être et sa notion, mais c'est pour un corps naturel d'une certaine sorte tenant en lui-même son principe de mouvement et de repos. 412b17 Il faut considérer en l'appliquant aux parties ce qu'on a dit. Si l'œil, en effet, était un animal, son âme serait la vue, car c'est elle la substance de l'œil, celle qui a rapport à la notion. Quant à l'œil, il est la matière de la vue; à la disparition de celle-ci, il n'est plus un œil, sauf par homonymie, comme un œil sculpté ou dessiné (43). Ce qui vaut pour la partie, il faut l'admettre pour la totalité du corps vivant, car le rapport qu'il y a de partie à partie se retrouve le même entre la sensation entière et le corps sensitif entier en tant que tel. 412b25 Par ailleurs, ce n'est pas le corps privé de l'âme qui constitue celui qui se trouve en puissance à vivre, mais celui qui la possède; à leur tour, la semence et le fruit sont pareil corps en puissance. Ainsi donc, c'est comme l'incision et la vision que la veille est finalisation, tandis que c'est comme la vue et la puissance de l'organe que l'âme l'est. Quant au corps, c'est cet être, mais en puissance: de même que l'œil c'est la pupille avec la vue, de même ici l'animal c'est le corps avec l'âme. 413a3 Que donc l'âme n'est pas séparable du corps, ou que de ses parties ne le soient pas, si elle est divisible de nature, ce n'est pas douteux; car en certaines de ses parties, elle est la finalisation des organes correspondants. Mais rien ne l'empêche pour certaines autres parties, du fait qu'elles ne soient les finalisations de rien de corporel. Il reste encore douteux si l'âme est finalisation du corps comme un pilote pour son navire. Voilà donc à quoi s'en tenir, grossièrement, pour une définition et une description de l'âme.

Leçon  2

#235. — Maintenant qu'il a établi la définition de l'âme, le Philosophe la manifeste. À ce propos, il développe deux points: en premier, il manifeste la définition qui précède; en second (413a4), il conclut une vérité à partir de la définition manifestée. Sur le premier point, il en développe deux autres: il manifeste la définition de l'âme en premier quant à ce qui, dans la définition qui précède, y est mis du côté de l'âme même; en second (412b25), quant à ce qui y est mis du côté du sujet. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il manifeste la définition de l'âme à partir d'une comparaison avec les choses artificielles; en second (412b17), à partir de ses parties. En effet, les formes artificielles sont des accidents, et ceux-ci sont plus connus, quant à nous, que les formes substantielles, parce que plus proches du sens; c'est pourquoi c'est avec convenance qu'il manifeste la notion de l'âme, qui est une forme substantielle, par une comparaison avec les formes accidentelles. Pareillement aussi, les parties de l'âme, c'est-à-dire ses puissances, sont plus manifestes, quant à nous, que l'âme même; en effet, dans la connaissance de l'âme, nous allons des objets aux actes, et des actes aux puissances, par lesquelles, finalement, l'âme même nous devient connue. Aussi est-ce encore avec convenance que la notion de l'âme devient manifeste en passant par ses parties.

#236. — On a dit (#233) d'une manière universelle, commence-t-il, ce qu'est l'âme, puisque la définition qui précède convient à toute âme. On a dit (#220-224), en effet, que l'âme est une substance, la substance qui est forme, la forme dont se tire la conception d'une chose. Par ailleurs, il y a une différence entre la forme qui est substance et la forme qui n'est pas substance. En effet, la forme accidentelle, qui n'est pas dans le genre de la substance, n'appartient pas à l'essence ou à la quiddité du sujet: la blancheur, par exemple, n'est pas de l'essence du corps blanc. Au contraire, la forme substantielle est de l'essence, c'est-à-dire de la quiddité, du sujet. Ainsi donc, on dit que l'âme est forme substantielle, parce qu'elle concerne l'essence ou la quiddité du corps animé. C'est cela qu'il veut dire, en ajoutant : «Or cela (44)», à savoir, «la substance qui se rapporte à la notion (45)», «est ce que serait, pour un corps de cette sorte, d'en être un» (46), c'est-à-dire, un corps constitué spécifiquement pour pareille forme. La forme même, en effet, appartient à l'essence de la chose, laquelle on signifie par la définition qui signifie d'une chose ce qu'elle est.

#237. — Cependant, les formes substantielles, comme le sont les formes des corps naturels, sont cachées; aussi manifeste-t-il cela avec des formes artificielles, qui sont accidentelles. C'est cela qu'il ajoute: «Par exemple, si l'un (47) des organes», c'est-à-dire des instruments artificiels, mettons la hache, «était un corps physique», c'est-à-dire naturel, sa forme se rapporterait à lui de la manière qu'on a dit (#218). C'est pourquoi il ajoute: «Ce qui fait, pour la hache, que c'en est une, ce serait cela sa substance» (48), c'est-à-dire la forme de la hache, «celle de laquelle on tire la notion de hache», laquelle notion il nomme «ce qui fait, pour la hache, que c'en est une», du fait que c'est d'après elle qu'on dit de la hache que c'est une hache, cette forme, dis-je, voilà qui serait (49) la substance de la hache. La raison de dire cela, c'est que les formes des corps naturels sont dans le genre de la substance (50). En outre, si la hache n'était pas seulement un corps naturel, mais aussi un corps animé, la forme de la hache serait son âme; celle-ci une fois séparée, elle ne serait plus une hache, sinon par homonymie, comme, quand l'âme est séparée, il n'y a plus de chair ni d'œil, sauf par homonymie. Maintenant, toutefois, comme la hache n'est pas un corps naturel, sa forme n'est pas non plus ce qui ferait, pour pareil corps, que c'en soit un; une fois enlevée la forme de la hache, il y a encore une hache, c'est-à-dire la substance d'une hache. En effet, la substance des corps artificiels est leur (51) matière, et celle-ci reste même quand la forme artificielle disparaît, quoique le corps artificiel même ne reste pas en acte.

#238. — Il a dit qu'il en va autrement de fait pour la hache, et qu'il en irait autrement si elle était un corps naturel animé; c'est pourquoi il en donne la raison, en disant qu'il en va ainsi parce que ce n'est pas pour pareil corps, à savoir, artificiel, que l'âme est ce qui fait que c'est ce que c'est (52) et procure sa notion, c'est-à-dire sa forme, «mais pour un corps naturel d'une certaine sorte», à savoir, doté de vie. Et pour manifester ce que c'est d'être un corps naturel, il ajoute «doté en lui-même d'un principe de mouvement et de repos». En effet, sont naturels les corps qui ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement et de leur repos. Car c'est d'un pareil principe qu'on dit que c'est une nature, comme on le voit, Physique, II, 1 (53).

#239. — Ensuite (412b17), il manifeste la définition de l'âme en procédant de ses parties. Ce qu'on a dit de toute l'âme et de tout le corps vivant, dit-il, il faut le regarder dans les parties de l'un et l'autre. En effet, si l'œil était un animal, il faudrait que la vue soit son âme, car la vue est la forme substantielle de l'œil, et l'œil est la matière de la vue, comme le corps organisé est la matière de l'âme. Si la vue fait défaut, d'ailleurs, il ne reste plus d'œil, sauf par homonymie, comme on dit par homonymie, d'un œil sculpté ou dessiné (54), que c'est un œil. La raison en est que c'est des homonymes que le nom seul est commun et que la notion de l'essence (55) diffère; aussi, si on enlève la forme dont procède la notion de l'essence (56) de l'œil, il ne reste plus que le nom de l'œil appliqué par homonymie. Cela donc qu'on trouve dans la partie du corps vivant, il faut l'admettre de l'ensemble du corps vivant, à savoir: la vue est la forme essentielle de l'œil et, elle enlevée, il ne reste d'œil que par homonymie; de la même façon, l'âme est la forme essentielle du corps vivant et, elle enlevée, il ne reste de corps vivant que par homonymie. De même, en effet, qu'une partie de l'âme sensitive se rapporte à une partie du corps sensitif, de même l'ensemble du sens se rapporte à l'ensemble du corps sensitif en tant que tel.

#240. — Ensuite (412b25), il explique la définition précédente de l'âme quant à ce qu'il y disait qu'elle est l'acte d'un corps doté en puissance de vie. On dit de deux manières qu'une chose est en puissance. D'une manière, quand elle n'a pas le principe de son opération. D'une autre manière, quand elle l'a déjà, mais qu'elle n'est pas en train d'opérer d'après lui. Le corps dont l'acte est l'âme, lui, a la vie en puissance non pas de la première manière, mais de la seconde. C'est cela qu'il dit, en parlant d'«un corps qui se trouve en puissance à vivre», c'est-à-dire qui a la vie en puissance, dont l'âme est l'acte; on ne le dit pas en puissance à la vie au sens qu'il «exclut l'âme», c'est-à-dire, qu'il soit privé du principe de vie, qui est l'âme, mais au sens qu'il a pareil principe. Mais il est vrai que la semence, et le fruit, où se conserve la semence de la plante, est en puissance à pareil corps vivant doté d'une âme; en effet, la semence n'a pas encore l'âme, mais est en puissance à l'âme (57).

#241. — Pour montrer aussi comment il est en puissance à la vie, le corps dont l'acte est l'âme, le Philosophe ajoute que la veille est l'acte de l'âme comme l'incision est l'acte du couteau et la vision est l'acte de l'œil. Chacune d'entre elles, en effet, est l'opération et l'usage d'un principe qu'on possède déjà. Au contraire, l'âme est un acte premier, comme la vue et toute puissance d'un organe; en effet, chacune d'entre elles est un principe d'opération. De son côté, le corps qui est parfait par l'âme est doté en puissance d'un acte premier, lequel va parfois sans l'acte second. Or de même que l'œil se compose de pupille, comme matière, et de vue, comme forme, de même l'animal se compose d'âme, comme forme, et de corps, comme matière.

#242. — Ensuite (413a4), il conclut une vérité à partir de ce qui précède. En effet, on a montré que l'âme est l'acte de tout le corps et que ses parties sont les actes des parties de celui-ci; par ailleurs, l'acte et la forme ne se séparent (58) pas de ce dont ils sont l'acte ou la forme; par conséquent, il est manifeste que l'âme ne peut se séparer du corps, ni elle toute entière, ni certaines de ses parties, si elle est de nature à avoir des parties de quelque manière. Il est manifeste, en effet, que des parties de l'âme sont les actes de parties du corps, comme on a dit (#233) que la vue est l'acte de l'œil. Cependant, quant à certaines parties, rien n'empêche l'âme de se séparer, parce que certaines parties de l'âme ne sont les actes d'aucun corps, comme on le prouvera plus loin (#671-699) de celles qui concernent l'intelligence.

#243. — Puis, comme Platon soutenait que l'âme est l'acte d'un corps non pas comme sa forme, mais comme son moteur, il ajoute que ce n'est pas encore manifeste si l'âme est l'acte d'un corps à la manière dont le marin est l'acte d'un navire, à savoir, seulement comme son moteur.

#244. — Ensuite, il recueille, sous forme d'épilogue, ce qu'on a dit. Dans ce qui précède, dit-il, on a traité de l'âme et on a présenté la description de l'âme figurément (59), c'est-à-dire comme de manière extrinsèque et superficielle et incomplète. La considération de l'âme se complètera, en effet, quant elle atteindra jusqu'à son intimité, au point d'établir la nature de chaque partie de l'âme même.

Chapitre 2 (413a11-b13) 413a11 C'est à partir de ce qui, en soi, est obscur, mais, pour nous, plus manifeste, que ce qui, en soi, est clair se laisse le mieux définir (60); aussi doit-on essayer de revenir sur l'âme (61) en en tenant compte (62). 413a13 C'est que la phrase qui définit (63) ne doit pas seulement exprimer le fait (64), comme le font la plupart des définitions; elle doit aussi, au contraire, en contenir et manifester la cause. Effectivement, les énoncés des définitions se présentent comme des conclusions. Qu'est-ce que la quadrature, par exemple? C'est qu'un rectangle (65) équilatéral soit égal à un autre à côtés différents (66). Pareille définition est l'énoncé de la conclusion, tandis que celle qui dit que la quadrature est la découverte d'un moyen terme énonce la cause de la chose. 413a20 Disons donc, pour commencer notre examen, que l'animé se distingue de l'inanimé par le fait de vivre. Vivre, cependant, se dit de plusieurs manières, mais nous disons que cela vit, à quoi appartient ne fût-ce que l'une d'entre elles: intelligence, sensation, mouvement et repos quant au lieu, ou encore mouvement de nutrition, dépérissement et croissance. 413a25 C'est pourquoi aussi tous les végétaux (67) donnent l'impression qu'ils vivent. Il appert en effet qu'ils ont en eux-mêmes une puissance et un principe qui leur confère croissance et décroissance dans les directions contraires (68): ils ne croissent pas, en effet, vers le haut à l'exclusion du bas, mais vers les deux à la fois et de toutes parts, tous ces êtres qui se nourrissent sans cesse et, même matures (69), ne vivent qu'aussi longtemps qu'ils peuvent obtenir de la nourriture.  413a31 D'ailleurs, que cette puissance se réalise séparément (70) des autres, c'est possible; mais que les autres se réalisent séparément d'elle, c'est impossible, du moins chez les mortels. C'est manifeste pour les végétaux, car il ne se trouve chez eux aucune autre puissance de l'âme. C'est donc grâce à ce principe que le fait de vivre appartient aux vivants. 413b2 Mais le fait d'être animal leur appartient en premier par la sensation. Et effectivement, ceux qui ne se meuvent pas et ne changent pas de lieu, mais qui sont dotés de sensation, nous disons que ce sont des animaux et pas seulement qu'ils vivent. [Or il semble qu'il y ait beaucoup de pareils animaux; mais comme ils sont fixes par nature, ils ont seulement la sensation.(71)] 413b4 Par ailleurs, de la sensation, ce qui appartient en premier à tous, c'est le toucher. De même que la puissance nutritive peut exister séparément du toucher et de toute sensation, de même le toucher le peut séparément des autres sens. Nous appelons nutritive pareille partie de l'âme, de laquelle même les végétaux participent; quant aux animaux, tous ont manifestement le sens du toucher. 413b9 Mais quelle cause entraîne chacun de ces faits, nous le dirons par après. Pour le moment, qu'il nous suffise de dire simplement que l'âme est le principe des puissances susdites et qu'elle se définit par elles, par les puissances nutritive, sensitive, intellective et par le mouvement.  

Leçon  3

#245. — Après avoir présenté la définition de l'âme, le Philosophe entend ici la démontrer. En premier, il dit sur quoi porte son intention. En second (413a20), il réalise celle-ci. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il établit la méthode dont il entend user pour démontrer; en second (413a13), il manifeste comment des définitions sont démontrables. Sur le premier point, on doit savoir qu'il faut aller de ce qu'on connaît à la connaissance de ce qu'on ignore, et que toute démonstration s'élabore en vue de faire connaître quelque chose (72); nécessairement, donc, toute démonstration part de ce que nous sommes le plus à même de connaître, car c'est à partir de là qu'avec une démonstration on vient à connaître une chose. Cependant, en certaines matières, ce sont les mêmes choses que nous sommes le plus à même de connaître et dont la nature prête le plus à connaissance (73); c'est le cas des objets mathématiques, qui sont abstraits de la matière: avec eux, la démonstration part de ce qui prête le plus à connaissance de manière absolue et de par sa nature, c'est-à-dire va des causes aux effets. Aussi l'appelle-t-on une démonstration pourquoi (74). En d'autres matières, par contre, ce ne sont pas les mêmes choses qui se prêtent le plus à connaissance de manière absolue et que nous sommes le plus à même de connaître: avec les choses naturelles, par exemple, où la plupart du temps on connaît mieux les effets sensibles que leurs causes. C'est pourquoi, en matière naturelle, on part le plus souvent de ce qui prête le moins à connaissance de par sa nature, mais que nous sommes davantage à même de connaître (75), comme il est dit, Physique, I, 1.

#246. — C'est de cette méthode de démonstration qu'il entend user ici. C'est ce qu'il dit: ce qui est certain par nature, et dont la conception prête plus à connaissance, nous sommes plus à même de nous en assurer en prenant appui sur ce qui est incertain par nature, mais dont nous sommes plus à même de nous assurer; c'est donc selon cette méthode qu'il nous faut essayer de nous approcher de l'âme, en démontrant la définition qui en a été présentée plus haut (#233).

#247. — Ensuite (413a13), il donne la raison de l'intention annoncée, en montrant que certaines définitions sont démontrables. C'est ce qu'il dit: la raison pour laquelle il faut s'approcher encore de l'âme, c'est pour que la conception qui la définit (76) ne dise pas, de ce qu'elle est, seulement qu'il en va ainsi (77), comme la plupart des termes, c'est-à-dire des définitions, le disent; il faut aussi, plutôt, que, dans la définition, on touche la cause, et que par une définition qui dise pourquoi il en est ainsi, on démontre la définition qui dit seulement que c'est le cas. On trouve d'ailleurs (78) bien des conceptions de termes, c'est-à-dire des définitions, qui ont l'allure de conclusions. Il en présente un exemple en matière géométrique.

#248. — Pour en avoir l'intelligence, on doit savoir que, parmi les figures quadrilatères, certaines ont tous leurs angles droits — on les appelle des orthogones, c'est-à-dire des surfaces à angles droits, tandis que d'autres n'ont pas leurs angles droits — on les appelle des losanges (79). Par ailleurs, on doit savoir que parmi les orthogones, l'un est fait de tous les côtés égaux — on l'appelle carré, ou quadrangle (80), tandis que l'autre n'a pas tous ses côtés égaux, bien qu'en lui n'importe quels deux côtés opposés sont égaux — on l'appelle un orthogone plus long d'un bout (81).

#249. — On doit encore savoir qu'en n'importe quelle surface à angles droits, deux lignes droites qui renferment un angle droit contiennent, dit-on, toute la surface. En effet, les deux autres côtés leur sont égaux; nécessairement, donc, l'une des lignes mentionnées qui renferment un angle droit mesure la longueur de la surface du rectangle et l'autre sa largeur (82). Par suite, toute la surface du rectangle surgit du fait de mener l'une des droites à l'autre (83), de sorte que (84) si nous imaginions que l'une d'elles se meuve sur l'autre, toute la surface surgirait.

#250. — Dans un orthogone qui est plus long d'un bout, doit-on encore savoir, les deux lignes qui le contiennent sont inégales; aussi, si on prend entre elles une ligne de proportion moyenne et qu'on la ramène sur elle-même, il se fera un carré égal à celui plus long d'un bout. (85) Ce serait long de démontrer cela (86) avec des démonstrations géométriques; aussi, qu'il suffise pour le moment de le manifester avec des nombres. Soit donc un orthogone plus long d'un bout, dont le grand côté soit de neuf palmes et le petit de quatre. Qu'on prenne ensuite une ligne de proportion moyenne entre elles, à savoir, qui soit de six palmes, car comme il en va de six à neuf, ainsi en va-t-il de quatre à six. (87) Le carré de cette ligne sera égal à l'orthogone mentionné plus long d'un bout, ce qui appert dans les nombres: car quatre fois neuf font trente-six et, pareillement, six fois six font trente-six.

#251. — C'est ce qu'il dit: si on cherche ce qu'est un quadrangle, c'est-à-dire un carré, égal (88) à celui qui est plus long d'un bout, on assignera pareille définition, de manière à dire que «c'est un orthogone», c'est-à-dire une surface à angles droits, «équilatéral», c'est-à-dire avec tous ses côtés égaux, et ainsi du reste (89). «Mais pareil terme», c'est-à-dire pareille définition, est «la conception de la conclusion», c'est-à-dire qu'on la conclut avec une démonstration (90). Mais si on définit de manière à dire que «le carré est la découverte d'une moyenne», à savoir, d'une ligne de proportion moyenne entre les deux côtés inégaux d'un orthogone plus long d'un bout, c'est-à-dire un orthogone constitué à partir de pareille ligne découverte, si on définit ainsi, dis-je, «on donne la cause de la chose».

#252. — On doit maintenant prendre conscience que l'exemple qu'il apporte ici (91) est pareil à celui qu'il a en vue pour l'âme, du moins sous un rapport, à savoir, quant à ce que la définition de l'âme se démontre, mais non quant à ce qu'elle se démontre avec une démonstration qui en dit le pourquoi.

#253. — Ensuite (413a20), il commence à démontrer la définition de l'âme présentée plus haut (#233), et cela de la manière annoncée, à savoir, par l'effet. Il use d'une démonstration comme suit. Ce qui est le premier principe de la vie est l'acte et la forme des corps vivants; or l'âme est le premier principe de la vie pour ce qui vit; donc, elle est l'acte et la forme du corps vivant. Il est manifeste, toutefois, que cette démonstration part de ce qui est postérieur. En effet, c'est du fait que l'âme est la forme du corps vivant qu'elle est principe des opérations de la vie, et non à l'inverse. À ce propos, il développe donc deux points: en premier, il montre que l'âme est le principe de la vie; en second (414a4), que le premier principe de la vie est la forme du corps vivant. Sur le premier point, il en développe trois autres: en premier, il distingue les sortes de vivants; en second (413a25), il montre que l'âme est le principe de la vie; en troisième (413b13), il manifeste comment se rapportent entre elles les parties de l'âme auxquelles se rapporte le principe des opérations de la vie.

#254. — Pour poursuivre notre intention de démontrer la définition de l'âme, commence-t-il, il faut prendre cela comme pour principe, que l'animé se distingue de l'inanimé par le fait de vivre. Les animés vivent, en effet, tandis que les inanimés ne vivent pas. Comme, par contre, il y a plusieurs modalités de la vie, du moment qu'on en a une, on dira (92) qu'on est un vivant et un animé.

#255. — Il introduit quatre modalités de la vie: l'une s'effectue par l'intelligence, la seconde par le sens, la troisième par le mouvement et le repos local, la quatrième par le mouvement de l'aliment, ainsi que de la décroissance et de la croissance. Toutefois, il introduit seulement quatre modalités de la vie, alors que plus haut (#201) il a introduit cinq genres des opérations de l'âme; c'est qu'ici il entend distinguer les modalités de la vie d'après les degrés des vivants, lesquels se distinguent d'après ces quatre principes. En effet, chez certains vivants, à savoir, chez les plantes, on trouve seulement l'alimentation, la croissance et la décroissance. Chez d'autres, par ailleurs, on trouve avec cela le sens, mais sans le mouvement local, comme chez les animaux imparfaits, par exemple, les huîtres. Chez d'autres encore, on trouve en plus le mouvement quant au lieu, par exemple, chez les animaux parfaits, qui se meuvent d'un mouvement progressif, comme le bœuf et le cheval. Chez d'autres, enfin (93), à savoir, chez les hommes, on trouve en plus de cela l'intelligence. Le genre affectif, par ailleurs, qui vient en cinquième à part ces quatre-là, ne change rien dans les degrés des vivants, car où il y a sens, il y a aussi appétit.

#256. — Ensuite (413a25), il manifeste que l'âme est le principe de la vie dans toutes les modalités mentionnées. À ce propos, il développe trois points: en premier, il montre comment l'âme est le principe de la vie chez les plantes; en second (413b2), chez les animaux; en troisième (413b9), il montre ce que l'on a dit et ce qui reste à dire. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il montre que l'âme est le principe de la vie chez les plantes; étant donné, dit-il, que de tous ceux, a-t-on dit, à qui appartient l'une des quatre modalités précédentes des vivants (94), on dit qu'ils vivent, il s'ensuit que tous les végétaux vivent. En effet, tous ont en eux-mêmes une puissance et un principe grâce auquel ils admettent un mouvement de croissance et de décroissance.

#257. — Or, que ce principe ne soit pas la nature, mais l'âme, c'est manifeste. En effet, la nature ne meut pas à des lieux contraires; or le mouvement de croissance et de décroissance a rapport à des lieux contraires. En effet, tous les végétaux croissent non seulement vers le haut mais aussi vers le bas (95): ils croissent dans l'une et l'autre direction. Il est donc manifeste que le principe de ces mouvements n'est pas la nature mais l'âme. D'ailleurs, non seulement les végétaux vivent pendant qu'ils croissent et décroissent, mais tous ceux qui se nourrissent vivent tant qu'ils peuvent recevoir la nourriture par laquelle se fait la croissance.

#258. — En second (413a31), il montre que le principe de vie précédent est premier et séparable des autres. Celui-ci, dit-il, à savoir, le principe de croissance et de nutrition, peut se séparer des autres principes de vie, mais les autres ne peuvent se séparer de lui chez les êtres mortels. Cela, il l'ajoute (96) parce que chez les êtres immortels, comme le sont les substances séparées, et les corps célestes, si toutefois ceux-ci sont des êtres animés, on trouve l'intelligence sans le principe nutritif. D'ailleurs, que ce principe soit séparable des autres, cela est manifeste chez ceux qui végètent, c'est-à-dire, chez les plantes, à qui n'appartient aucune autre puissance de l'âme sauf celle-là. Par là, il est manifeste que ce à cause de quoi on trouve en premier de la vie chez les êtres mortels est le principe de croissance et de nutrition, que l'on appelle l'âme végétable.

#259. — Ensuite (413b2), il manifeste comment l'âme est principe de vie chez les animaux. À ce propos, il développe deux points: en premier, il dit que c'est en premier à cause du sens qu'on dit qu'un être est un animal, même si certains animaux à la fois sentent et se meuvent. En effet, nous disons que sont des animaux, et non seulement qu'ils vivent, ces vivants qui, même s'ils ne changent pas de lieu, ont tout de même le sens. Il y a, en effet, beaucoup de pareils animaux, qui demeurent naturellement au même lieu et possèdent quand même le sens, comme les huîtres, qui ne se meuvent pas d'un mouvement progressif.

#260. — En second (413b4), il montre que parmi les sens, c'est le toucher qui appartient en premier aux animaux. Ce qu'il prouve du fait que, de même que le principe végétatif peut se séparer du toucher et de tout sens, de même le toucher peut se séparer des autres sens. Il y a en effet beaucoup d'animaux qui ont seulement le sens du toucher; par exemple, les animaux imparfaits. Mais tous les animaux ont le sens du toucher. Par ailleurs, nous appelons principe végétatif la partie de l'âme de laquelle même les végétaux, c'est-à-dire les plantes, participent. Ainsi donc, à partir de ce qui précède, on a l'évidence de trois degrés de vivants. Le premier est celui des plantes. Le second est celui des animaux imparfaits immobiles, qui ont seulement le sens du toucher. Le troisième est celui des animaux parfaits, qui se meuvent d'un mouvement progressif, et qui ont aussi d'autres sens. Cependant, il est manifeste que le quatrième degré est celui de ceux qui ont aussi l'intelligence, en plus de cela. 

#261. — Ensuite (413b9), il montre ce qu'on a déjà dit et ce qu'il reste à dire. Il y a aussi à dire par après, dit-il, pourquoi l'un et l'autre d'entre eux arrivent, à savoir, que le principe végétatif peut aller (97) sans le sens et que le toucher peut aller sans d'autres sens. C'est ce qu'il dira, de fait, à la fin du traité (#847-874). Qu'il nous suffise (98) pour le moment d'avoir simplement dit que l'âme est un principe de vie selon les modalités précédentes, et qu'elle se distingue par ces quatre-là, à savoir, par le végétatif, qui se trouve chez les plantes, le sensitif, qui se trouve chez tous les animaux, par l'intellectif, qui se trouve chez tous les hommes, et par le mouvement progressif, qui se trouve chez tous les animaux parfaits par le sens ou l'intelligence.

Chapitre 2 (413b13-414a28) 413b13 Mais chacune de ces puissances est-elle une âme ou une partie d'âme? Et si c'en est une partie, est-ce de manière à être séparable en représentation seulement ou aussi quant au lieu? 413b15 Pour certaines d'elles il n'est pas difficile de le voir, mais quelques-unes font difficulté. Chez les plantes, par exemple, certaines parties divisées restent manifestement vivantes même séparées les unes des autres, comme si l'âme, en elles, était unique, en finalisation, dans chaque plante, mais se trouvait, en puissance, l'âme de plusieurs individus. Chez les insectes, une fois sectionnés, nous observons qu'il en va de même aussi pour d'autres différences de l'âme; car chaque partie détient sensation et mouvement quant au lieu et, avec la sensation, l'imagination et l'appétit aussi, car là où il y a sensation il y a aussi aussi tristesse et plaisir, et où il a ceux-ci, il y a aussi nécessairement désir. 413b24 Quant à l'intelligence et à la puissance spéculative, ce n'est pas encore manifeste, mais il semble que ce soit un autre genre d'âme, et lui seul peut exister séparément, comme l'éternel le peut séparément du corruptible. Pour le reste des parties de l'âme, il devient manifeste avec ce qui précède qu'elles ne peuvent exister séparément, comme certains le soutiennent. 413b29 Qu'elles sont différentes en représentation, c'est manifeste: l'essence est différente, en effet, pour les puissances sensitive et opinative (99), puisque justement sentir est différent aussi de se former une opinion. Et il en va pareillement aussi de chacune des autres puissances mentionnées. 413b32 En outre, chez certains des vivants (100) on trouve toutes ces puissances, chez d'autres quelques- unes d'entre elles, chez d'autres enfin une seule. C'est cela qui différenciera les vivants; pour quelle raison, on devra l'examiner plus tard. Cela se passe d'ailleurs de manière à peu près pareille pour les sens: certains les ont tous, d'autres quelques-uns, et d'autres un seul, le plus nécessaire, le toucher. 414a4 Par ailleurs, ce par quoi nous vivons et sentons s'attribue de deux manières, comme ce par quoi nous savons; nous disons, d'une manière, que c'est la science, et de l'autre, que c'est l'âme, car c'est avec chacune d'elles que nous prétendons savoir. Pareillement, ce par quoi nous sommes en santé, c'est d'une manière par la santé et de l'autre par une partie du corps ou par son ensemble. Pour eux, science et santé sont comme une figure et une forme et une notion, et de nature à constituer l'acte de leur récepteur, la première pour le scientifique (101), la seconde pour le curable (102). C'est en effet chez qui est affecté de la disposition pertinente qu'on s'attend que se réalise l'acte des agents (103). Or l'âme est ce par quoi en premier nous vivons, sentons et pensons; aussi doit-elle être une notion et une forme, et non matière et sujet. En effet, la substance, avons-nous dit, s'attribue de trois manières, dont l'une est la forme, l'autre la matière, l'autre enfin ce qui est issu des deux. De ce nombre, la matière est puissance et la forme finalisation. Puisque donc ce qui est issu des deux est l'animé, ce n'est pas le corps qui est la finalisation de l'âme, mais celle-ci qui est la finalisation d'un corps. 414a19 Pour cela, ils ont pensé correctement, ceux à qui il a paru que l'âme ne va pas sans corps ni n'est un corps. Elle n'est pas un corps, effectivement, mais quelque chose d'un corps. 414a21 Et c'est pour cela qu'elle existe dans un corps, et dans un corps d'une certaine sorte, non pas toutefois comme nos devanciers l'ajustaient dans un corps, sans définir aucunement dans lequel et en quel type, alors que manifestement n'importe lequel ne peut recevoir n'importe laquelle. On aboutit au même résultat par raisonnement: en effet, la finalisation de chaque chose est de nature à se produire dans ce qui est déjà en puissance à elle et dans sa matière propre. L'âme est donc une finalisation et une notion de ce qui se trouve en puissance de telle sorte, c'est manifeste avec ce qui précède.

Leçon  4

#262. — Plus haut (#253-261), le Philosophe a montré que l'âme est un principe de vie en rapport à différents genres de vie. C'est pourquoi il cherche maintenant quelle relation avec l'âme et entre eux entretiennent ces principes de vie qui ont rapport à différents genres de vie. À ce propos, il développe deux points: en premier, il soulève deux questions. En voici la première: l'âme, qui est principe de vie, est déterminée par les principes végétatif, sensitif, moteur (104) et intellectif; chacun d'eux est-il alors par soi une âme, ou est-il une partie de l'âme? Il est bien manifeste que chez les vivants qui se limitent à croître et à se nourrir, comme chez les plantes, le principe végétatif est l'âme, tandis que chez ceux qui végètent et sentent, il est une partie de l'âme; et il en va pareillement des autres. Voici la seconde question: quand chacun des principes mentionnés est une partie de l'âme, c'està- dire lorsque tous se trouvent dans une âme unique, par exemple, dans l'âme humaine, sont-ils des parties de manière à se trouver séparés les uns des autres seulement quant à leur conception (105), à savoir, de manière à se trouver des puissances différentes, ou bien se trouvent-ils séparés aussi quant au lieu et quant au sujet (106), de sorte qu'en une partie du corps on trouve le principe sensitif, en une autre l'affectif, en une autre le moteur, et ainsi des autres, ainsi qu'il a paru à certains?

#263. — En second (413b15), il résout les questions proposées. Et en premier la seconde; en second (413b32), la première. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il résout la seconde question quant à sa seconde partie, en montrant si les parties de l'âme sont séparables quant au lieu; en second (413b29), quant à sa première partie, à savoir si elles sont séparables en représentation. Pour certaines parties de l'âme, commence-t-il, il n'est pas difficile de voir si elles sont séparables quant au lieu, c'est-à-dire quant à leur sujet; mais pour d'autres, cela comporte une difficulté (107).

#264. — Pour montrer que pour certaines parties cela est facile à voir, il présente une comparaison avec les plantes (413b16). Certaines parties, dit-il, même séparées des plantes, vivent manifestement. Cela devient manifeste du fait que de petites branches coupées, si on les greffe ou plante, poussent. Cela ne serait pas, s'il ne restait pas en elles de vie, et d'âme, par conséquent, comme celle-ci est le principe de la vie. Cela est possible pour autant qu'en chaque plante l'âme est unique en acte, mais multiple en puissance. Il en va comme nous observons (108) que cela arrive pour les formes des corps naturels inanimés, qui (109), à cause de leur imperfection, ne requièrent pas de diversité dans leurs parties: il y a, dans un tout unique, une seule forme (110) en acte et plusieurs en puissance. En effet, chacune d'entre elles peut se diviser en différentes parties pareilles spécifiquement, comme il appert pour l'air, l'eau et les corps minéraux. En conséquence, il faut bien, si (111) les parties sont pareilles spécifiquement, entre elles et avec le tout, que la forme spécifique, après la division, se retrouve en l'une et l'autre des parties. Pour la même raison, comme l'âme des plantes est imparfaite, dans l'ordre des âmes, elle ne requiert pas une grande diversité de parties; aussi l'âme du tout peut-elle se conserver dans l'une des parties.

#265. — Nous observons qu'il en va encore ainsi pour d'autres différences de l'âme; par exemple, «chez les insectes coupés», c'est-à-dire chez les animaux qui vivent même coupés, parce que l'une et l'autre des parties a la sensation. Ce qui devient évident du fait qu'elle se retire si on la pique. Elle garde aussi le mouvement en rapport au lieu, comme il appert au sens. Ainsi donc, dans une seule et même partie apparaissent à la fois les principes sensitif et moteur. Or s'il y a là sens, nécessairement il y a là imagination, car (112) l'imagination n'est rien d'autre qu'un mouvement produit par le sens en acte, comme on le dira plus loin (#632, 659, 666, 792). Pareillement, si la partie coupée a le sens, nécessairement elle a l'appétit; en effet, au sens suivent nécessairement joie et tristesse, ou plaisir et douleur. Nécessairement, en effet, si le sensible perçu convient, il est plaisant, et s'il est par ailleurs nocif, il est douloureux. Or où il y a douleur et plaisir, il faut qu'il y ait désir et appétit; aussi, nécessairement, si la partie coupée sent, elle a aussi appétit.

#266. — Ainsi donc, il est manifeste que les principes végétatif, sensitif, affectif et moteur se trouvent dans une seule partie coupée; il en appert qu'ils ne se distinguent pas quant au lieu dans le corps de l'animal. Par contre, pour certaines puissances particulières, il est manifeste qu'elles se distinguent quant au lieu. La vue, en effet, n'est manifestement pas ailleurs que dans l'œil, l'ouïe dans l'oreille, l'odorat dans les narines, le goût sur la langue et le palais. Cependant, le premier sens, qui est le toucher, et nécessaire à l'animal, est dans le tout.

#267. — Toutefois, pour ce qu'il dit, que l'imagination se trouve dans la partie coupée, il semble qu'il y ait une difficulté. En effet, certains attribuent à l'imagination un organe déterminé dans le corps. On doit savoir, à l'encontre, que l'imagination se trouve indéterminée chez les animaux imparfaits, et déterminée chez les animaux parfaits, comme on le dira plus loin, au troisième livre (#643; 839). Donc, un organe déterminé est attribué à l'imagination pour une perfection et détermination plus grande de son acte, mais non pas que sans lui (113) l'acte de l'imagination ne pourrait (114) d'aucune façon avoir lieu, comme l'acte de la vue ne peut d'aucune façon avoir lieu sans œil. Ainsi donc, il a manifesté en quelles (115) puissances de l'âme il n'est pas difficile de voir si les principes sont (116) séparables quant au lieu.

#268. — Ensuite (413b24), il montre dans quelle partie de l'âme cela peut faire difficulté (117). À propos de l'intelligence et de la puissance perspective (118), c'est-à-dire spéculative, de quelque nom qu'on l'appelle (119), rien n'est encore manifeste. En effet, avec ce que l'on a dit, n'apparaît pas encore si elle comporte un organe dans le corps qui soit ou bien distinct (120) de lieu avec les autres organes, ou bien non distinct. Cependant, pour ce qui en apparaît superficiellement, il semble qu'on ait un autre genre d'âme par rapport aux autres parties de l'âme, c'est-à-dire une âme d'une autre nature, et qui détienne un autre mode d'être (121); aussi, que ce genre d'âme seulement puisse exister séparément des autres parties de l'âme, ou même qu'il soit séparé de l'organe corporel, comme le perpétuel du corruptible. Mais que les autres parties de l'âme ne soient pas séparables de lieu les unes des autres (122), cela est manifeste avec ce qu'on a dit (#263-266).

#269. — Ensuite (413b29), il montre qu'elles sont séparables en représentation. Pour toute puissance, en effet, sa représentation se forme en relation à son acte; nécessairement, par conséquent, si des actes sont (123) différents spécifiquement, des puissances répondent à une conception différente spécifiquement. C'est cela qu'il dit, que c'est différent d'être, pour les puissances sensitive et opinative, c'est-à-dire intellective; c'est-à-dire, la conception de l'une et l'autre puissances est différente, si sentir est différent de se former une opinion; et il en va pareillement des autres puissances mentionnées.

#270. — Ensuite (413b32), il résout la première question. Cela (124) entraîne une différence chez les vivants (125) que chez certains d'entre eux tous les principes mentionnés soient présents, tandis que chez d'autres quelques-uns seulement et chez d'autres encore un seulement. Par ailleurs, pour tous ceux où n'est présent que l'un seulement des principes mentionnés, il faut bien que pour eux ce soit (126) celui-là leur âme. Par contre, pour ceux où plusieurs principes sont présents, chacun est une partie de son âme; cependant, cette âme se dénomme, à partir du principal, soit sensitive, soit intellective. Mais pourquoi il en va ainsi, pourquoi certains en ont un seul, d'autres plusieurs et d'autres les ont tous, on le dira plus loin (#288-294). Et comme il en va pour les puissances de l'âme, ainsi en va-t-il pour les sens. Certains animaux, en effet, ont tous les sens, comme les animaux parfaits; d'autres n'en ont que quelques-uns et pas tous, comme la taupe; d'autres enfin (127) n'en ont qu'un seul et le plus nécessaire, à savoir le toucher, comme les animaux imparfaits. On peut toutefois rattacher ce passage à un autre sens; étant donné que le Philosophe a montré, plus haut (#266), que les parties de l'âme ne sont pas séparables les unes des autres (128) quant au lieu ou quant au sujet dans l'animal où elles sont présentes, on serait porté à dire que pour cette raison elles ne seraient pas séparées chez des animaux différents, et qu'au contraire quiconque en a une les a toutes. C'est pourquoi il exclut cela dans ce passage.

#271. — Ensuite (414a4), une fois montré que l'âme est le premier principe de la vie, il conclut à partir de là la définition donnée plus haut. À ce propos, il développe deux points: en premier, il démontre son propos; en second (414a19), il induit par après, à partir de la vérité démontrée, certaines conclusions. Sur le premier point, il présente la démonstration qui suit. Entre deux choses dont nous disons qu'autre chose est ou opère grâce à l'une et à l'autre, l'une, à savoir celle qui est première, intervient comme forme et l'autre comme matière. Or l'âme est le premier principe par lequel nous vivons, alors pourtant que nous vivons par l'âme et par le corps; donc, l'âme est la forme du corps vivant. C'est là la définition de l'âme établie plus haut, que l'âme est l'acte premier d'un corps naturel doté en puissance de la vie. Par ailleurs, il est manifeste que le moyen terme de cette démonstration est une définition de l'âme, à savoir: l'âme est le premier principe par lequel nous vivons.

#272. — À propos de cette démonstration, il développe quatre points. En premier, il établit la majeure. Ce par quoi nous vivons et nous sentons, dit-il, se dit de deux manières, à savoir: d'une manière en tant que forme, de l'autre en tant que matière. Pareillement, ce par quoi nous savons se dit de deux manières. En effet, nous disons savoir par deux moyens, dont l'un est la science et l'autre est l'âme. Pareillement encore, d'être ce par quoi nous sommes en santé s'attribue à deux moyens, dont l'un est la santé et l'autre est une partie du corps, ou même le corps tout entier. Partout, néanmoins, l'un agit comme forme et l'autre comme matière. En effet, la science et la santé sont des formes et comme des actes (129) de leurs récepteurs: la science, bien sûr, est la forme du scientifique, c'est-à-dire, de la partie de l'âme dans laquelle se trouve la science, tandis que la santé est la forme du curable. Par ailleurs, il dit «curable et scientifique» pour montrer l'aptitude à pareilles formes dans leur sujet. Toujours, en effet, les actes des agents, c'est-à-dire les formes induites dans une matière par des agents, semblent déjà se trouver chez qui elles affectent et disposent, c'est-à-dire qu'il est de nature à être affecté par l'action de pareil agent et est disposé à atteindre la fin de l'affection concernée, à savoir, la forme à laquelle il est mené par mode d'affection (130).

#273. — En second (414a12), il établit la proposition mineure. L'âme, dit-il, est le premier principe grâce auquel nous vivons, sentons, nous mouvons et intelligeons. Ces quatre opérations renvoient aux quatre genres de vie dont il a fait mention plus haut (#255; 260). Vivre, en effet, renvoie au principe végétatif, car il a dit plus haut (#257; 261) que vivre se trouve présent chez tous les vivants grâce à ce principe. Quoique, doit-on savoir par ailleurs, on dit que nous sommes en santé grâce à la santé et au corps, la santé est cependant le premier principe grâce auquel on dit que nous sommes en santé. En effet, on ne dit pas que nous sommes en santé grâce au corps, sauf en tant qu'il a la santé. Pareillement, la science est le premier principe grâce auquel on dit que nous sommes savants, car on ne dit pas que nous sommes savants grâce à l'âme, sauf en tant qu'elle a la science. Pareillement aussi, on ne dit pas que nous sommes vivants grâce au corps, sauf en tant qu'il a l'âme. C'est pour cela aussi qu'il est dit ici que «l'âme» est le premier principe grâce auquel nous vivons, sentons, etc.

#274. — En troisième (414a13), il donne la conclusion. Jusque là, la construction dépend de ce passage: «Par ailleurs ce par quoi nous vivons…» Il conclut donc de ce qui précède que l'âme intervient comme notion et comme espèce, et non comme matière et comme sujet.

#275. — En quatrième (414a14), il montre que la conclusion suit des prémisses. En effet, il ne semblait pas plus s'ensuivre de l'âme que du corps que ce soit la forme, puisque c'est grâce à l'une et à l'autre qu'on dit que nous vivons. Aussi, pour la perfection de la démonstration énoncée, il ajoute ceci: la substance se dit de trois manières, comme on l'a dit plus haut (#220), à savoir, quant à la matière, à la forme et au composé des deux; entre les trois, la matière est la puissance, l'espèce ou la forme est l'acte, et le composé des deux (131) est l'animé; or il est manifeste que ce n'est pas le corps qui est l'acte de l'âme, mais que plutôt c'est l'âme qui est l'acte d'un corps, puisque (132) le corps est en puissance au regard de l'âme. C'est pourquoi, comme il s'ensuit de la démonstration énoncée que l'espèce c'est ou bien le corps ou bien l'âme, et que ce n'est pas le corps, comme on vient de le dire (133), qui est l'espèce de l'âme, il reste (134) que c'est l'âme qui est l'espèce du corps.

#276. — Ensuite (414a19), il induit certaines conclusions à partir de ce qui précède. La première en est qu'ils ont eu raison ceux à qui il a paru que l'âme ne va pas sans un corps, ni n'est un corps (135). Car elle n'est pas un corps, puisqu'elle n'est pas matière; mais elle est quelque chose d'un corps, car elle est l'acte d'un corps. Et comme tout acte est en ce dont il est l'acte, il infère, en conséquence, … 

#277. — … sa seconde conclusion (414a21), à savoir: l'âme est dans un corps, et dans un corps tel, à savoir, naturel, organisé. Ceci s'oppose à la manière suivant laquelle les philosophes (136) antérieurs parlaient de l'âme et de son union à un corps, en n'établissant en rien en quel corps et type de corps celle-ci se trouverait. Or cela est vrai, comme nous venons de le dire (137), que l'âme est dans un corps déterminé; en effet, manifestement, l'âme n'admet pas n'importe quel corps qui se présente, mais un corps déterminé. Et cela est rationnel, car tout acte est de nature à se réaliser dans une matière propre et déterminée. Aussi faut-il que l'âme soit reçue dans un corps déterminé.

#278. — En dernier, il conclut sous forme d'épilogue que l'âme est bien l'acte et la conception d'un détenteur de la sorte (138), à savoir, d'un vivant en puissance.

Chapitre 3 (414a29-b32) 414a29 Des puissances de l'âme énumérées, aux uns elles appartiennent toutes, comme nous l'avons dit, à d'autres quelques-unes d'entre elles, tandis qu'à certains une seulement. Or nous appelons puissances le nutritif, l'appétitif, le sensitif, le locomoteur, le rationnel (139). 414a32 Aux plantes n'appartient que le nutritif, tandis qu'à d'autres appartiennent à la fois celui-là ainsi que le sensitif. Et si le sensitif leur appartient, l'appétitif aussi, car l'appétit est à la fois désir, colère et volonté (140). Par ailleurs, tous les animaux ont l'un des sens: le toucher. Aussi, à qui appartient la sensation appartient aussi plaisir et peine, et le plaisant et le pénible; et à qui appartient cela appartient aussi le désir, puisque celui-ci est l'appétit d'un objet plaisant. 414b6 En outre, ils ont le sens de l'aliment, puisque c'est le toucher le sens de l'aliment. En effet, tous les vivants se nourrissent de substances sèches et d'humides, de chaudes et de froides, et c'est de ces qualités que le toucher est le sens, tandis qu'il n'est que par accident celui des autres sensibles, car sa sonorité, sa couleur et son odeur ne contribuent en rien à la nourriture, quoique sa saveur soit l'une des qualités tangibles. Par ailleurs, la faim et la soif sont des désirs: la faim porte sur le sec et le chaud, la soif sur le froid et l'humide; la saveur, elle, est une sorte d'accommodement (141) de ces qualités. On devra éclaircir ces points par la suite; pour le moment, bornons-nous à dire qu'à ceux des vivants qui ont le toucher appartient aussi l'appétit. Pour ce qui est de l'imagination, ce n'est pas évident; on devra l'examiner plus tard. À certains, outre ces puissances, appartient aussi le locomoteur, et à d'autres enfin le rationnel et l'intelligence, par exemple, aux hommes et à tout autre pareil ou plus honorable, s'il en est. 414b20 Il est donc évident que la notion d'âme et celle de figure géométrique auront le même type d'unité. Là, il n'existe pas de figure à part le triangle et celles qui lui font suite, et ici, l'âme n'existe pas à part celles que nous avons énumérées. Mais on pourrait élaborer pour les figures une notion commune qui leur convienne à toutes; cependant, elle ne conviendrait en propre à aucune d'entre elles. Il en va pareillement des âmes énumérées. Aussi est-il ridicule, en ces cas comme en d'autres, de chercher la notion commune qui ne conviendra en propre à aucun être, et non celle de l'espèce propre et indivisible, en laissant de côté ce genre de définition. Il en va donc à peu près de même de ce qui concerne les figures et de ce qui a rapport à l'âme. Tant pour les figures que pour les animés, en effet, ce qui vient avant se trouve toujours en puissance dans ce qui vient après: par exemple, le triangle dans le quadrangle, le nutritif dans le sensitif.  

Leçon  5

#279. — Après avoir défini l'âme d'une manière commune, Aristote arrive maintenant à traiter de ses parties. Néanmoins, l'âme ne possède pas de parties autrement que pour autant qu'on dit que ses puissances sont ses parties; quand une chose a bien des pouvoirs, en effet, on peut appeler des parties chacun de ses pouvoirs (142). Aussi, traiter des parties de l'âme (143), c'est traiter de chacune de ses puissances. Par ailleurs, cette partie se divise en deux autres: dans la première, il traite des puissances de l'âme d'une manière commune, en les distinguant les unes des autres (144); dans la seconde (415a14), il traite de chacune d'elles. La première partie se divise ensuite en deux autres: dans la première, il distingue les puissances de l'âme les unes des autres (145); dans la seconde (414b32), il montre ce dont il y a à traiter des puissances de l'âme, et comment, et en quel ordre. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il distingue les puissances de l'âme les unes des autres (146); en second (414b19), il montre comment la définition commune de l'âme se rapporte aux parties énumérées. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il énumère les puissances de l'âme; en second (414a32), il montre comment elles se suivent l'une l'autre. Pour les puissances de l'âme nommées plus haut (#255; 260), commence-t-il, il y a des vivants à qui elles appartiennent toutes, comme les hommes; il y en a d'autres à qui certaines d'entre elles appartiennent, comme les autres animaux; et d'autres enfin à qui l'une seulement appartient, comme les plantes. Plus haut, cependant, il ne les avait pas nommées des puissances, mais des parties de l'âme; c'est pourquoi il manifeste qu'il entend par puissances la même chose qu'il entendait plus haut par parties. Il y en a cinq genres: le végétatif, le sensitif, l'appétitif, le locomoteur, l'intellectif.

#280. — Il y a deux choses à voir ici (147). En premier, certes, pourquoi on énumère ici cinq genres des puissances de l'âme; surtout qu'on a coutume de dire qu'il y a trois âmes: la végétale, la sensible et la rationnelle. En second, on doit regarder pourquoi il en énumère cinq, ici, quand plus haut il en a énuméré seulement quatre.

#281. — Sur le premier point, doit-on savoir, toute puissance se dit en rapport à un acte propre; en conséquence, la puissance opérative se dit en rapport à un acte, qui est son opération. Or justement, les puissances de l'âme sont opératives, car c'est ainsi qu'est la puissance d'une forme; aussi doit-on nécessairement, en fonction d'opérations différentes de l'âme, reconnaître une diversité de puissances. Par contre, l'opération de l'âme est l'opération d'un être vivant (148). Or à chaque chose (149) sa propre opération lui convient selon ce qu'elle a d'être, puisque chaque chose opère du fait de son être; il faut donc regarder les opérations de l'âme selon la mesure d'être qu'on trouve chez les vivants (150).

#282. — Pareils vivants inférieurs, dont l'acte est l'âme dont il s'agit maintenant, ont deux êtres. Ils ont un être matériel, en lequel ils s'assimilent aux autres choses matérielles; et un être immatériel, en lequel ils communiquent avec les substances supérieures d'une certaine façon.

#283. — Mais il y a une différence entre les deux êtres. En effet, selon son être matériel, qui se trouve contracté par la matière, chaque chose est seulement cela qu'elle est; par exemple, telle pierre n'est pas autre chose que telle pierre. Par contre, selon son être immatériel, qui est ample, et d'une certaine manière infini, en tant qu'il n'est pas défini par une matière, la chose n'est pas seulement cela qu'elle est, mais elle est aussi le reste d'une certaine façon. Aussi, chez les substances supérieures immatérielles, on trouve d'une certaine manière toutes choses comme en leurs causes universelles.

#284. — En outre, pareil être immatériel a deux degrés chez ces vivants inférieurs. L'un, en effet, est tout à fait immatériel, à savoir, l'être intelligible. Car dans l'intelligence, les choses ont l'être, et elles le possèdent sans matière, et sans conditions matérielles individuantes, et aussi sans organe corporel. L'être sensible, quant à lui, est intermédiaire entre les deux. En effet, dans le sens, la chose a l'être sans la matière, mais non sans conditions matérielles ni sans organe corporel. Le sens, en effet, porte sur les particuliers, tandis que l'intelligence porte sur les universels. Et quant à ce double être, le Philosophe dit, au troisième livre (#284; 787-788; 790), que l'âme est d'une certaine façon toutes choses.

#285. — Ainsi donc les opérations qui reviennent au vivant d'après son être matériel sont des opérations qui s'attribuent à l'âme végétale. Et bien que ces opérations soient ordonnées à ce à quoi se trouvent ordonnées les actions dans les choses inanimées aussi, à savoir, à atteindre leur être et à le conserver, chez les vivants, cependant, cela se fait d'une manière plus élevée et plus noble. En effet, les corps inanimés sont engendrés et conservés dans l'être par un principe moteur extrinsèque, tandis que les êtres animés sont engendrés par un principe intrinsèque, lequel se trouve dans la semence, et sont conservés par un principe nutritif intrinsèque. En effet, cela paraît propre aux vivants, qu'ils opèrent en tant que mus par eux-mêmes. Par contre, les opérations qui s'attribuent aux êtres vivants d'après leur être immatériel appartiennent à la partie intellective de l'âme. Enfin, celles qui s'y attribuent d'après un être intermédiaire appartiennent à la partie sensitive de l'âme. C'est d'après ces trois manières d'être qu'on distingue communément trois âmes, à savoir, la végétale, la sensible et la rationnelle.

#286. — Cependant, tout être va selon une forme; il faut donc que l'être sensible aille selon une forme sensible et l'être intelligible selon une forme intelligible. Par ailleurs, de chaque forme s'ensuit une inclination, et de l'inclination une opération; par exemple, de la forme naturelle du feu s'ensuit une inclination au lieu qui se trouve en haut, et d'après cette inclination on dit que le feu est léger; de cette inclination s'ensuit par après une opération, à savoir, le mouvement vers le haut. Donc, à la forme tant sensible qu'intelligible s'ensuit une inclination que l'on appelle appétit sensible ou intellectuel; de cette façon, on appelle aussi l'inclination qui suit la forme naturelle un appétit naturel. Puis, de l'appétit s'ensuit l'opération qui est le mouvement local. Voici donc la raison pour laquelle il faut qu'il y ait cinq genres de puissances de l'âme, ce que l'on se demandait en premier.

#287. — Plus haut (#253-260), doit-on savoir sur le second point, Aristote, dans l'intention de montrer que l'âme est leur principe de vie pour tous les vivants, a distingué la vie même selon les degrés des vivants, et non selon les opérations de la vie d'après lesquelles on distingue ici (151) les genres des puissances. Or il n'a pas établi l'appétitif comme un degré différent chez les vivants; en effet, tous ceux qui ont le sens ont l'appétit; et ainsi il reste seulement quatre degrés des vivants, comme on l'a montré plus haut (#255; 260).

#288. — Ensuite (414a32), il montre comment les puissances énumérées se suivent les unes les autres. Il manifeste ainsi ce qu'il avait dit plus haut (#270; 279), que chez certains vivants toutes les puissances sont présentes, chez d'autres quelques-unes, chez d'autres enfin une seule. Là, doit-on tenir compte, pour que l'univers soit parfait, aucun degré de perfection n'est négligé dans les choses, mais la nature va peu à peu des imparfaits aux parfaits. C'est pour cela aussi qu'Aristote, Métaphysique, VIII, 3, assimile les espèces des choses à des nombres qui vont en augmentant peu à peu. Aussi, parmi les vivants, certains ont un seul des principes mentionnés, à savoir, les plantes, chez qui il y a seulement le végétatif, qui se trouve nécessairement chez tous les vivants matériels, car c'est à cette puissance qu'on attribue les opérations pertinentes à leur être matériel. Chez d'autres, par ailleurs, à savoir, chez les animaux, on trouve le végétatif et le sensitif. Mais si on a là le sensitif, il faut qu'un troisième soit aussi présent, à savoir, l'appétitif. Lequel, d'ailleurs, se divise en trois: à savoir, le désir, qui procède de la puissance concupiscible; et la colère, qui procède de la  puissance irascible — ces deux appétits appartiennent à la partie sensible: ils suivent en effet l'appréhension du sens. Le troisième est la volonté, qui est l'appétit intellectuel, et qui suit l'appréhension de l'intelligence.

#289. — Que, par ailleurs, l'appétit appartienne à tous les animaux, il le prouve par deux raisonnements, dont le premier va comme suit. Tous les animaux ont au moins un sens, à savoir, le toucher; or à qui appartient le sens, appartiennent joie et tristesse, c'est-à-dire plaisir et peine (152). En effet, la joie et la tristesse, manifestement, suivent plutôt l'appréhension intérieure, tandis que le plaisir et la peine suivent l'appréhension du sens, et principalement du sens du toucher. Et s'il y a joie et tristesse, nécessairement il y a quelque chose de triste et de doux, c'est-à-dire de plaisant et de pénible; en effet, tout ce qui se sent par le toucher doit être ou bien convenable, et alors il est plaisant, ou bien nocif, et alors il est pénible. Or à qui quelque chose est (153) plaisant et triste appartient aussi la concupiscence, qui est l'appétit du plaisant; donc, du principe au terme (154), chez tous les animaux auxquels appartient le sens du toucher appartient l'appétit.

#290. — Il présente ensuite son second raisonnement pour montrer la même chose (414b6), lequel va comme suit. Tous les animaux ont un sens par lequel ils reconnaissent leur aliment, à savoir, le sens du toucher, qui est le sens de l'aliment. Or tous les animaux, nécessairement, usent d'aliment, comme on l'a dit (#257-258); aussi, il est nécessaire qu'ils aient le sens du toucher par lequel ils perçoivent l'aliment qui leur convient. Que, de fait, le sens du toucher soit le sens de l'aliment, c'est manifeste: comme, en effet, les corps vivants sont constitués d'éléments chauds, et humides, et froids, et secs, de même ils s'en nourrissent; or le toucher est le sens qui les discerne. «Tandis que pour les autres sensibles», c'est-à-dire, les vivants ne se nourrissent pas des autres sensibles (155), sauf par accident, en tant qu'ils sont liés aux objets tangibles. En effet, le son et l'odeur et la couleur n'amènent rien à l'aliment en tant que tel, mais seulement en tant qu'il se trouve que des choses colorées et odorantes et sonores sont chaudes ou froides, humides ou sèches; l’humeur (156), en effet, c'est-à-dire la saveur, est quelque chose du nombre des qualités tangibles, comme le goût est une espèce de toucher. Ainsi donc, il appert que tous les animaux ont le sens de l'aliment.

#291. — À quiconque appartient le sens de l'aliment, appartient aussi la faim et la soif; or l'un et l'autre sont un désir (157) de l'aliment. La faim, certes, est le désir du chaud et du sec, qui représentent la nourriture, tandis que la soif en est un du froid et de l'humide, qui représentent le breuvage. Par ailleurs, la saveur est une espèce de plaisir à leur occasion; en effet, la saveur plaisante indique la proportion convenable du chaud et du froid, de l'humide et du sec dans l'aliment. Aussi appartient-elle plutôt au plaisir de l'aliment qu'à sa nécessité. Ainsi donc, partout où il y a sens du toucher, il y a aussi appétit (158).

#292. — Mais comment l'imagination se rapporte à l'appétit et au sensitif, on le dira plus par après (#637-654).

#293. — À certains animaux appartient aussi, en plus de ces trois-là, à savoir, le végétatif, le sensitif et l'appétitif, le locomoteur. Enfin, à d'autres, en plus de ces quatre, appartient aussi l'intellectif, et l'intelligence même, à savoir, aux hommes, et à ce qu'il y a éventuellement d'autre qui soit semblable aux hommes, ou même plus honorable que les hommes. On trouve de fait quelque chose de plus honorable que les hommes, à quoi appartient l'intelligence; elle est en effet dans les substances séparées, et dans les corps célestes, si toutefois ils sont animés; mais chez les vivants mortels, il n'y a pas de genre de vivants qui aient l'intellectif, sinon dans l'espèce humaine.

#294. — En effet, comme l'intelligence n'a pas d'organe corporel, ceux qui ont l'intelligence ne peuvent pas se diversifier d'après une complexion différente de leurs organes, comme les espèces des sensitifs se diversifient d'après différentes complexions selon lesquelles ils se rapportent différemment aux opérations des sens.

#295. — Ensuite (414b19), il montre comment se rapporte aux parties énumérées la définition de l'âme qui précède. Pour en avoir l'intelligence, Platon, doit-on savoir, soutenait que les universels existent séparément; pourtant, pour les choses qui entretiennent un rapport de conséquence, comme pour les nombres et les figures, il n'admettait pas une idée commune; en effet, il n'admettait pas une idée unique du nombre qui existât en dehors de tous les nombres, comme il admettait une idée de l'homme existant en dehors de tous les hommes; cela du fait que les espèces des nombres se suivent selon un ordre naturel. Ainsi, le premier d'entre eux, à savoir, la dualité, est la cause de tous ceux qui suivent. Aussi, il n'y a pas besoin d'admettre une idée commune du nombre (159) pour causer les espèces des nombres. Une raison semblable vaut pour les figures. En effet, leurs espèces se suivent comme les espèces des nombres, car le triangle vient avant le quadrangle, et le quadrangle avant le pentagone.

#296. — Il est manifeste, dit-il donc, que la définition de l'âme est unique de la même manière qu'est unique la définition de la figure. De même, en effet, que parmi les figures il n'y en a pas une qui existe en dehors du triangle et des autres figures qui le suivent, c'est-à-dire qui soit une idée commune (160) à toutes les figures, de même pour notre propos il n'y a pas non plus une âme qui existe comme séparée de toutes les parties mentionnées.

#297. — Même si, cependant, il n'existe pas une figure séparée, en dehors de toutes les figures, même d'après les Platoniciens, qui admettent des espèces communes séparées, on trouve pourtant une définition commune qui convient à toutes les figures et n'est propre à aucune d'elles; il en va ainsi aussi chez les vivants (161). Et c'est pour quoi il est ridicule qu'on demande une définition commune, autant chez les vivants que pour les autres choses, qui ne convienne pas à l'un des vivants qui existent particulièrement dans la réalité. Il ne convient pas non plus que l'on réclame une définition de l'âme d'après chaque espèce d'âmes, puis qu'on néglige une définition commune à toutes les âmes (162). Donc, on ne doit pas non plus négliger la définition commune de l'âme; et on ne doit pas assigner une définition commune de l'âme qui ne convienne pas à chacune des âmes.

#298. — Comme il avait dit que la définition de l'âme se comporte de la même manière que la définition de la figure, il montre la convenance qu'il y a entre l'une et l'autre. Les figures et les âmes, dit-il, entretiennent le même rapport de l'une à l'autre; pour les unes et les autres, en effet, ce qui est antérieur est en puissance à ce qui vient après. Il est manifeste, en effet, pour les figures, que le triangle, qui est antérieur, est en puissance au quadrangle. En effet, le quadrangle peut se diviser en deux triangles. Et pareillement pour l'âme sensitive, le végétatif (163) est comme une espèce de puissance pour lui et non comme une âme par soi (164). Et il en va pareillement des autres figures, et des autres parties de l'âme.

Chapitre 3 (414b32-415a13) 414b32 En conséquence, on doit chercher, pour chaque vivant, ce qu'est son âme propre; par exemple, ce qu'est celle de la plante et ce qu'est celle de l'homme ou de la bête. 414b33 Aussi, on doit examiner pourquoi elles entretiennent ce rapport de conséquence. En effet, sans le nutrifif, le sensitif n'existe pas; par contre, chez les plantes, le nutritif existe séparément du sensitif. De même encore, sans le toucher, aucun autre sens n'existe, mais le toucher existe sans les autres: beaucoup d'animaux, en effet, n'ont ni la vue, ni l'ouïe, ni le sens de l'odorat. En outre, parmi les vivants sensitifs, les uns ont la locomotion, les autres non. En dernier et en le moindre nombre, certains ont aussi le raisonnement et la pensée. En effet, tous les vivants corruptibles auxquels appartient le raisonnement ont aussi tout le reste, mais pour ceux auxquels n'appartiennent que l'une ou l'autre des puissances, le raisonnement ne leur appartient pas à tous. Au contraire, certains n'ont même pas l'imagination, tandis que d'autres ne vivent que par elle. Quant à l'intelligence spéculative, elle répond à une autre définition. Que donc cette définition est très appropriée pour chacune de ces puissances, ainsi que pour l'âme même, c'est évident.

Chapitre 4 (415a13-22) 415a13 À qui va faire l'examen de ces puissances de l'âme, il faut établir, pour chacune d'elle, ce qu'elle est, et ensuite enquêter de même sur ses propriétés et sur le reste. 415a16 Mais s'il faut dire ce qu'est chacune d'elles, par exemple, ce qu'est l'intellectif ou le sensitif ou le nutritif, on doit encore dire d'abord ce qu'est intelliger et ce qu'est sentir. En effet, les actes et les actions sont antérieurs aux puissances, pour ce qui est de définir (165). Et s'il en va ainsi, puisqu'il faut encore, avant eux, regarder leurs opposés, on devra traiter d'abord, pour le même motif, de ces derniers, c'est-à-dire de l'aliment, du sensible et de l'intelligible.  

Leçon  6

#299. — Auparavant, le Philosophe a énuméré les genres des puissances de l'âme, et manifesté comment la définition commune de l'âme présentée plus haut (#233) se rapporte à ses parties; ici, il montre ce qu'il y a maintenant d'autre (166) à traiter, et dans quel ordre. Cela se divise en deux parties: dans la première, il montre ce qu'il reste à traiter sur l'âme; en second (415a14), il montre dans quel ordre il faut en traiter. Quant au premier point, il montre qu'il reste deux points à traiter, et il en conclut le premier (167) en partant de ce qui précède. On a dit, plus haut (#297), effectivement, que, tout comme on ne doit pas chercher une définition commune de l'âme telle qu'elle ne convienne à aucune des parties de l'âme (168), de même nous ne devons pas nous contenter non plus d'une définition commune; il faut au contraire rechercher la définition propre de chaque partie de l'âme. À partir de là, il conclut qu'ici on doit rechercher, pour chaque être animé, quelle est son âme, de manière à ce qu'on sache ce qu'est l'âme de la plante, et ce qu'est l'âme de l'homme, et ce qu'est l'âme de la bête. C'est cela savoir de chaque partie de l'âme ce qu'elle est.

#300. — En second (415a1), il présente l'autre point qu'il reste à traiter. On a dit plus haut (#295-298) que les parties de l'âme entretiennent un rapport de conséquence l'une avec l'autre, comme les espèces de la figure. Cependant, on doit regarder pour quelle raison les parties de l'âme entretiennent ce rapport de conséquence. De fait, le Philosophe en donnera la cause (169) à la fin du livre (#847-874). Pour le moment, il explique quel est ce rapport de conséquence: c'est que le sensitif ne peut aller sans le végétatif, tandis que le végétatif, chez les plantes, existe séparément du sensitif. Et cela n'est pas étonnant, car on a dit plus haut (#285) que les opérations du végétatif sont ordonnées à obtenir et conserver l'être naturel (170), lequel se trouve à la base comme un fondement. En outre, on trouve aussi une conséquence entre les sens eux-mêmes. Sans le sens du toucher, en effet, aucun autre sens ne peut exister, tandis qu'on trouve le toucher sans les autres sens. Effectivement, beaucoup, parmi les animaux, n'ont ni la vue, ni l'ouïe, ni le sens de l'odorat, mais seulement le toucher. Et cela aussi arrive avec raison, car le toucher est le sens qui perçoit ce qui concerne la consistance de l'animal, à savoir, ce en quoi l'animal consiste et dont il se nourrit. Tandis que les autres sensibles ne concernent cela que par accident. Aussi, les autres sens n'appartiennent pas avec nécessité à l'animal et pour cette raison on ne les trouve pas chez tous les animaux, mais seulement chez les animaux parfaits.

#301. — On doit aussi regarder la conséquence entre sensitif et moteur. Effectivement, le moteur ne peut exister sans (171) le sensitif, tandis que le sensitif peut exister sans le moteur: en effet, certains des vivants dotés de sens ont aussi la locomotion, alors que d'autres ne l'ont pas. Par locomotion, on doit entendre (172) le mouvement progressif des animaux, selon lequel les animaux se meuvent d'un lieu à un autre. De fait, ce mouvement n'appartient pas à tous les animaux. Toutefois, les vivants privés de ce mouvement ont quand même un mouvement local, à savoir, de dilatation et de resserrement, comme il se voit chez les huîtres. Ce qui, enfin, vient en dernier, parmi toutes les parties de l'âme, et en plus petit (173), puisque cela ne se divise pas en espèces différentes, c'est ce qui a raison et intelligence; en effet, à tous ceux des vivants corruptibles auxquels appartient la raison, tout ce qui précède leur appartient aussi. Cela, il le dit pour se tenir à part des substances séparées, et des corps célestes, s'ils sont animés. Car comme ils existent sans génération ni corruption, ils n'ont pas besoin du végétatif. De plus (174), leur intelligence regarde par elle-même ce qui est intelligible par soi; aussi n'ont-ils pas besoin de sens pour atteindre la connaissance intellectuelle. Cependant, chez les mortels qui ont l'intelligence, il faut que tout le reste préexiste comme des instruments (175) et des facultés préparatoires à l'intelligence, qui est l'ultime perfection visée dans l'opération de la nature. Par contre, ce n'est pas à tous ceux auxquels appartient l'une des facultés mentionnées qu'appartient aussi la raison. Mais l'imagination (176) a manifestement une espèce d'affinité avec l'intelligence; comme on a dit plus haut (#18) que l'intelligence ou bien est l'imagination ou bien ne va pas sans imagination, le Philosophe se fait plus précis sur l'imagination: à certains animaux, dit-il, non seulement l'intelligence n'appartient pas, mais l'imagination non plus (177).

#302. — Toutefois, semble-t-il, cela contrarie ce qu'on a dit plus haut (#265), que (178) si une partie coupée a le sens et l'appétit, elle a aussi l'imagination (179), si toutefois, comme il semble, la fantasía est la même chose que l'imagination (180). Les animaux imparfaits, doit-on dire, donc, comme de fait on le dira au troisième livre (#644; 839), ont une espèce d'imagination (181), mais de manière indéterminée (182), du fait que le mouvement de l'imagination ne reste pas en eux après l'appréhension du sens; chez les animaux parfaits, au contraire, le mouvement de l'imagination reste, même une fois que les sensibles sont absents. C'est en rapport à cela qu'on dit ici que l'imagination n'est pas pareille (183) chez tous les animaux. Au contraire, il y a des animaux qui vivent seulement d'elle, à savoir, à qui l'intelligence manque, et qui sont dirigés dans leurs opérations par l'imagination comme nous sommes dirigés par notre intelligence. Mais bien que l'imagination n'appartienne pas à tous les animaux, comme l'intelligence non plus, c'est une autre définition qui vaut de l'intelligence spéculative et de l'imagination. Elles diffèrent de fait entre elles, comme cela deviendra évident plus loin (#793). Il est donc manifeste que la définition que l'on a donnée de l'âme vaut très proprement de chaque partie de l'âme.

#303. — Ensuite (415a14), il montre dans quel ordre on doit traiter des parties de l'âme. Il donne cet ordre sous deux rapports: en premier, quant à ce que celui qui doit examiner les parties de l'âme doit d'abord, pour chacune d'elles, se fixer sur ce qu'elle est; ensuite, il doit regarder à ses propriétés, c'est-à-dire aux parties qui la suivent, puis aux autres points à traiter sur les parties de l'âme et sur les êtres animés eux-mêmes; par exemple, aux organes et ainsi de suite. Cet ordre est nécessaire; car si on traitait en même temps de tout, l'enseignement serait confus.

#304. — Il touche ensuite le second rapport (415a16). S'il faut dire d'une partie de l'âme ce qu'elle est, à savoir, ce qu'est l'intellectif, ou le sensitif, ou le végétatif, il faut d'abord, dit-il, parler de ses actes, et dire ce que c'est qu'intelliger, et ce que c'est que sentir. Le motif en est que, en ce qui a trait à la raison en train de définir, les actes et les opérations sont antérieurs aux puissances. La puissance, en effet, en rapport à cela même qu'elle est, implique une relation à un acte: car elle est un principe d'action ou de passion (184); aussi faut-il mettre les actes dans les définitions des puissances. Et s'il en va ainsi de l'ordre de l'acte et de la puissance, aux actes sont encore antérieurs leurs opposés, c'est-à-dire leurs objets.

#305. — En effet, on assume les espèces des actes et des opérations d'après leur ordonnance à leurs objets. Car toute opération de l'âme est l'acte d'une puissance ou bien active, ou bien passive. Or les objets des puissances passives se rapportent à leurs opérations comme des agents, puisqu'ils réduisent les puissances en acte; par exemple le visible la vue, et tout sensible le sens. Au contraire, les objets des puissances actives se rapportent à leurs opérations comme des fins. Car les objets des puissances actives sont ce qu'elles opèrent. Or il est manifeste que partout où il y a des œuvres à part les opérations, ces œuvres sont les fins des opérations, comme il est dit, Éth. Nic., I, 7; par exemple, la maison qu'on construit est la fin de la construction. Tout objet, est-il donc manifeste, se rapporte à l'opération de l'âme ou bien comme agent ou bien comme fin. Mais c'est à partir de l'un et de l'autre que se spécifie l'opération. Il est manifeste, en effet, que des agents spécifiquement distincts ont des opérations spécifiquement différentes; par exemple, la caléfaction vient de la chaleur, et le refroidissement vient du froid. Pareillement aussi, l'opération se spécifie par son terme et sa fin; par exemple, la guérison et l'aggravation (185) diffèrent spécifiquement d'après la différence entre santé et maladie. Ainsi donc, les objets sont antérieurs aux opérations de l'âme dans la voie de définition.

#306. — Aussi faudra-t-il traiter des objets avant de traiter des actes, pour le même motif pour lequel on traite aussi des actes avant de traiter des puissances. Les objets, ce sont comme l'aliment en regard du végétatif, et le sensible en regard du sens, et l'intelligible en regard de l'intelligence. 

#307. — Partant d'objets différents, doit-on savoir toutefois, les actes et les puissances de l'âme ne se diversifient que lorsque la différence des objets intervient en tant qu'ils sont objets, c’est-à-dire en rapport à la définition formelle de l'objet, comme le visible diffère de l'audible. Si par contre on garde la même définition pour l'objet, aucune autre différence n'induit de diversité spécifique des actes et de la puissance. En effet, il appartient à la même puissance de voir l'homme coloré et la pierre colorée; car cette différence se rapporte par accident à l'objet (186) en tant qu'objet.

#308. — Notre intelligence possible, doit-on savoir par ailleurs (187), est seulement en puissance, dans l'ordre des intelligibles, et elle devient en acte grâce à la forme abstraite des phantasmes. Or rien ne se connaît sinon pour autant qu'il est en acte; aussi, notre intelligence possible se connaît elle-même grâce à l'espèce intelligible, comme il en sera question au troisième livre (#724-726), mais non en appréhendant son essence directement. Aussi faut-il, dans la connaissance (188) de l'âme, que nous partions de ce qui lui est davantage extrinsèque, et qu'on en abstraie les espèces intelligibles par lesquelles l'intelligence s'intellige elle-même. Ainsi, nous connaissons les actes par leurs objets, et les puissances par leurs actes, et l'essence de l'âme par ses puissances. Si l'âme, au contraire, connaissait son essence directement par elle-même, l'ordre à observer dans la connaissance de l'âme serait le contraire, car autant une chose se trouverait proche de l'essence de l'âme, autant elle se trouverait connue antérieurement par elle.

Chapitre 4 (415a22-b28) 415a22 C'est pourquoi on doit parler en premier de la nourriture et de la génération, car l'âme nutritive appartient à tous les autres vivants, et elle constitue la première et la plus commune puissance de l'âme; c'est par elle que tous ont de vivre. Ses fonctions sont d'engendrer et de tirer profit de la nourriture. 415a23 En effet, la plus naturelle des fonctions pour tout être vivant, du moins s'il est parfait et ne comporte ni mutilation ni génération spontanée, c'est d'en produire un autre pareil à lui — l'animal un animal, la plante une plante — pour participer à l'éternel et au divin autant qu'il peut. Tous en effet aspirent à cela et c'est pour cela qu'ils font tout ce qu'ils font de conforme à leur nature. Mais ce pour quoi ce sont deux choses: l'objet à obtenir et le sujet pour qui l'obtenir (189). Puis donc qu'il est impossible de communier à l'éternel et au divin en continuité — car rien de corruptible ne peut rester le même et unique numériquement —, chacun y communie dans la mesure où il peut y avoir part, tel plus, tel moins. Aussi n'est pas lui-même qui reste mais un pareil à lui-même, unique non pas numériquement, mais spécifiquement. 415b8 L'âme est pour le corps vivant cause et principe, ce qui se dit de plusieurs façons. Ainsi l'âme est-elle cause des trois manières que l'on a définies. En effet, elle est à la fois ce d'où vient le mouvement, et ce pour quoi, et c'est encore comme essence des corps animés que l'âme est cause. 415b12 Que donc elle le soit comme essence, c'est évident: la cause de leur être, pour toutes choses, c'est leur essence; or le fait de vivre c'est, pour les vivants, leur être même, et leur cause et leur principe c'est leur âme. 415b14 En outre, pour ce qui est en puissance la raison c'est sa finalisation. 415b15 Il est encore manifeste que l'âme est cause comme ce pour quoi. En effet, tout comme l'intelligence agit pour quelque chose, la nature aussi de la même manière, et c'est cela sa fin. Ce qui est tel, chez les vivants, c'est par nature leur âme. En effet, tous les corps naturels (190) sont des instruments de l'âme, comme ceux des animaux et de même ceux des plantes, en tant qu'ils existent pour l'âme. Mais ce pour quoi ce sont deux choses: l'objet à obtenir et le sujet pour qui l'obtenir. 415b21 Mais en outre ce d'où vient en premier le mouvement local, c'est l'âme. Cette puissance, toutefois, n'appartient pas à tous les vivants, mais l'altération et la croissance relèvent aussi de l'âme; en effet, la sensation donne l'impression d'être une espèce d'altération, et rien ne sent qui n'ait part à l'âme. Il en va de même aussi pour la croissance et le dépérissement: rien ne peut dépérir ni croître naturellement sans se nourrir, et rien ne se nourrit qui ne communie pas à la vie.  

Leçon  7

#309. — Le Philosophe a distingué les puissances de l'âme entre elles et il a montré ce qu'il y a lieu de traiter à leur propos et selon quel ordre; ici, il en traite selon l'ordre préétabli. Cela se divise en deux parties: dans la première, il établit, pour chacune des parties de l'âme, ce qu'elle est; dans la seconde (434a22), à l'avant-dernier (191) chapitre du traité (#847-874), il donne la raison pour laquelle elles se suivent ainsi entre elles. La première partie se divise en quatre autres: dans la première, il traite du végétatif; dans la seconde (416b32), du sensitif; dans la troisième (429a10), de l'intellectif; dans la quatrième (432a18), du locomoteur. Pour ce qui est de l'appétitif, il n'en fait pas un traité spécial, parce que l'appétitif ne constitue pas un degré spécial des vivants, et parce qu'il en traite en même temps que du locomoteur, au troisième livre (192) (#795-846). La première partie se divise en deux autres: dans la première, il fait précéder certaines notions nécessaires à la connaissance de la partie végétative; dans la seconde (416a18), il traite de la partie végétative. La première partie se divise en deux autres: dans la première, il annonce sur quoi porte son intention; dans la seconde (415a26), il manifeste d'avance (193) certaines notions prérequises à la connaissance de la partie végétative.

#310. — On doit, conclut-il donc en premier de ce qui précède, parler d'abord des objets et des actes, plutôt que des puissances; et d'abord de la première puissance, plutôt que de celles qui la suivent. Il s'ensuit qu'on doit traiter en premier de l'aliment, qui est l'objet de l'âme végétative, puis de la génération, qui est son acte. Voici pourquoi on doit parler en premier de l'objet et de l'acte de cette (194) partie, plutôt que de ceux des autres: c'est que cette partie est la première parmi les autres parties de l'âme, chez les sujets dans lesquels elle se trouve avec d'autres parties. Elle est en effet comme un fondement pour les autres, comme l'être naturel, auquel appartiennent ses opérations, est un fondement pour l'être sensible et intelligible. Il y a une autre raison pour laquelle on doit parler en premier d'elle: c'est qu'elle est commune à tous les vivants; en effet, elle existe séparément des autres, mais les autres n'existent pas séparément d'elle; or on doit traiter en premier de ce qui est commun. Par ailleurs, les opérations de cette partie sont engendrer et user d'aliment. Aussi doit-on traiter en premier d'eux.

#311. — Ensuite (415a26), il traite certaines notions prérequises à la connaissance de la partie végétative. Cela se divise en deux parties: dans la première, il montre qu'engendrer appartient à la partie végétative. Cela était nécessaire parce que plus haut il n'a pas attribué à cette partie la génération, mais seulement la croissance et la décroissance. Dans la seconde (415b7), il montre que les opérations de la puissance végétative procèdent de l'âme. Cela était nécessaire, parce que, comme des qualités actives et passives desservent ces opérations, on pourrait avoir l'impression qu'elles soient issues de la nature et non de l'âme. Surtout du fait que chez les plantes la vie est cachée et latente.

#312. — Il montre le premier point avec un raisonnement comme suit. Toute opération qui se trouve naturellement chez tous les vivants appartient à la puissance végétative, selon laquelle en premier vivre appartient à tous, comme on l'a dit (#288); or engendrer appartient à tous les vivants; donc, cela appartient à la puissance végétative. Voilà pourquoi, dit-il donc, engendrer est l'opération de l'âme végétative: c'est que, parmi les autres opérations, elle est plus naturelle à tous les vivants. Et on dit qu'elle est ce qu'il y a de plus naturel, du fait qu'en cela le vivant ressemble aussi aux autres choses inanimées, qui ont la génération, quoique d'une autre manière. Les êtres inanimés, en effet, ont une génération issue d'un générateur extrinsèque, tandis que les vivants l'ont d'un principe intrinsèque, en tant qu'ils sont engendrés à partir d'une semence qui aboutit à la chose vivante.

#313. — Mais à cette généralité des vivants trois font exception à qui cette opération n'appartient pas. En premier, ceux qui sont imparfaits; par exemple, les enfants n'engendrent pas. En effet, celui qui peut produire un autre pareil à ce qu'il est, en chaque genre, c'est le parfait. En second, font exception ceux qui souffrent quelque défaut de leur principe naturel, comme les eunuques et ceux qui sont frigides. En troisième, les animaux et les plantes qui sont engendrés sans semence à partir de la putréfaction. Chez eux, en effet, à cause de leur imperfection, il suffit à leur production un agent universel, à savoir, la puissance d'un corps céleste et la matière disposée. Mais chez les animaux parfaits, plusieurs principes sont requis; en effet, un agent universel ne suffit pas, mais un agent propre univoque est requis.

#314. — Il dit donc que les vivants peuvent produire un autre pareil à eux, du moins «tous ceux qui sont parfaits», pour exclure les enfants, «et non mutilés», pour exclure les eunuques et ceux qui ont des défauts pareils, «et tous ceux qui n'ont pas de génération spontanée», pour exclure ceux qui sont engendrés à partir de la putréfaction, dont on dit qu'ils naissent comme spontanément, du fait qu'ils sont produits de la terre sans semence, par comparaison avec ce qu'on dit qu'on fait spontanément ce qu'on n'est pas induit à faire de l'extérieur (195). En disant que l'être vivant produit un autre pareil à lui, on entend que l'animal produit un animal, et la plante une plante. Ensuite, selon son espèce, tel animal produit tel animal; par exemple, un homme engendre un homme, et un olivier un olivier. La raison pour laquelle il est naturel aux vivants de produire un autre pareil à eux, c'est pour participer toujours, autant qu'ils peuvent, au divin et à l'immortel, c'est-à-dire pour s'y assimiler selon leur pouvoir.

#315. — En effet, doit-on observer, il existe différents degrés de perfection pour chaque et unique chose qui passe de la puissance à l'acte; de même aussi il existe différents degrés de perfection entre des êtres différents; en conséquence, plus une chose arrive à être parfaite, plus elle s'assimile à ce qui est plus parfait qu'elle. Ainsi donc, au cours du passage de chaque chose de la puissance à l'acte, quand elle se trouve en puissance elle se trouve ordonnée à l'acte et le désire naturellement, et quand elle se trouve moins parfaitement (196) en acte elle désire l'acte plus parfait; de même, chaque chose qui est dans un degré inférieur désire s'assimiler aux choses supérieures autant qu'elle peut. Et c'est ce qu'il précise, «que toutes choses désirent cela», à savoir, s'assimiler au divin et à l'immortel, «et que toutes choses qui agissent naturellement agissent à cette fin».

#316. — Toutefois, doit-on comprendre, ce en vue de quoi on agit se dit de deux manières. C'est d'une manière ce en vue de quoi on agit directement, comme le médecin agit en vue de la santé; de l'autre manière, c'est ce par quoi on l'obtient. Cela même peut se comprendre de deux manières. D'une manière, de façon qu'on comprenne qu'on appelle aussi fin le sujet doté de fait (197) de ce en vue de quoi on agit; par exemple, si nous disons que la fin de la médecine est non seulement la santé, mais aussi le corps doté de santé. De l'autre manière, de sorte que nous disions que la fin est non seulement ce qu'on vise principalement, mais aussi ce par quoi nous l'atteignons; par exemple, si nous disons que la fin de la médecine est de réchauffer le corps, parce que c'est par la chaleur (198) qu'on obtient l'égalité de complexion qui constitue la santé. Ainsi donc, on peut dire, ici (199), que ce en vue de quoi on agit, c'est le fait même d'être perpétuellement; ou que c'est la chose dotée de cette perpétuité, à laquelle les choses naturelles entendent s'assimiler par le moyen de la génération, en quoi se trouve la perpétuité; ou même que c'est la génération elle-même, car c'est par elle qu'on obtient la perpétuité. 

#317. — Les vivants inférieurs ne peuvent pas communiquer à l'être éternel (200) et divin par mode de continuation, c'est-à-dire en restant les mêmes numériquement; en effet, aucun être corruptible ne peut demeurer unique et même numériquement pour toujours. Cependant, la nécessité de la corruption est une nécessité absolue; elle provient, c'est-à-dire, de la matière et non de la fin. Il s'ensuit donc que chaque être communique à l'éternité autant qu'il peut: tel être davantage, certes, parce que plus durable, et tel autre moins, parce que moins durable. Mais il reste pour toujours par génération, non pas le même de manière absolue, «mais comme le même», c'est-à-dire dans un autre pareil en espèce. C'est pourquoi, expliquant ce qu'il a dit, il précise qu'il ne reste pas unique numériquement, ce qui serait rester le même (201) de manière absolue, mais qu'il reste le même spécifiquement, parce que chacun engendre un pareil à lui en espèce.

#318. — Ensuite (415b7), il montre que les opérations que l'on attribue à la puissance végétative procèdent de l'âme. À ce propos, il développe deux points: en premier, il montre la vérité; en second (415b28), il exclut une erreur. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il propose ce qu'il vise. L'âme, dit-il, est principe et cause du corps vivant. Mais comme principe et cause se dit de plusieurs façons, l'âme se dit de trois manières principe et cause du corps vivant. D'une manière, comme ce d'où vient le principe du mouvement. D'une autre manière, comme ce en vue de quoi, c'est-à-dire la fin. En troisième, comme substance, c'est-à-dire forme des corps animés.

#319. — En second (415b12), il prouve ce qu'il avait supposé. Et en premier, que l'âme est la cause du corps vivant comme sa forme; ceci, avec deux raisonnements, dont le premier va comme suit. La cause de quelque chose comme sa substance, c'est-à-dire, comme sa forme, c'est ce qui est cause de son être. Car c'est par sa forme que chaque être est en acte. Or l'âme est pour les vivants la cause de leur être; c'est grâce à leur âme en effet qu'ils vivent, et le fait même de vivre c'est cela être pour eux. Donc, l'âme est la cause du corps vivant au titre de sa forme.

#320. — Il présente ensuite son second raisonnement (415b14), qui va comme suit. Ce qui constitue l'acte d'une chose est la raison et la forme de ce qui y est en puissance; or l'âme est l'acte du corps vivant, comme il appert de ce qui précède (#233; 241; 253; 271). Donc, l'âme est la raison et la forme du corps vivant.

#321. — En second (415b15), il montre que l'âme est cause au titre de fin. Et qu'elle est cause au titre de fin des corps vivants, il le montre comme suit. De même, en effet, que l'intelligence opère en vue d'une fin, de même aussi la nature, comme il est prouvé, Physique, II, 8. Or l'intelligence, en ce qui se fait par art, ordonne la matière et la dispose en vue de la forme; donc, la nature aussi. Comme donc l'âme est la forme du corps vivant, il s'ensuit qu'elle soit sa fin.

#322. — En outre, non seulement l'âme est la fin des corps vivants, mais aussi de tous les corps naturels parmi les inférieurs. Ce qu'il prouve comme suit. Nous observons en effet que tous les corps naturels sont comme des instruments de l'âme, non seulement chez les animaux, mais aussi chez les plantes. Les hommes, observons-nous en effet, se servent à leur profit des animaux, des plantes et des choses inanimées (202); les animaux, quant à eux, se servent des plantes et des choses inanimées; et les plantes se servent des choses inanimées, dans la mesure où elles en tirent aliment et assistance. Par ailleurs, parmi les choses naturelles, chaque chose agit selon qu'elle est de nature à agir. Ainsi voit-on que tous les corps inanimés servent d'instruments aux animés, et existent en vue d'eux. Et aussi que les animés moins parfaits existent en vue des animés plus parfaits. Ensuite, il distingue ce en vue de quoi on est comme il l'a fait plus haut (#316).

#323. — En troisième (415b21), il montre que l'âme est le principe du corps vivant (203), comme ce d'où origine son mouvement. Et il use d'un raisonnement qui va à peu près comme suit. Toute forme d'un corps naturel est le principe d'un mouvement propre de ce corps; par exemple, la forme du feu est le principe de son mouvement. Or il existe des mouvements propres aux êtres vivants, par exemple: le mouvement local, par lequel des animaux se meuvent eux-mêmes quant au lieu d'un mouvement progressif (204), quoique cela n'appartienne pas à tous les vivants; de même, sentir est une altération qui n'appartient pas à tous ceux qui sont dotés d'âme; en outre, le mouvement de croissance et de décroissance n'appartient qu'aux êtres qui se nourrissent, et rien ne se nourrit s'il n'a pas d'âme. Il faut donc que l'âme soit le principe de tous ces mouvements.

Chapitre 4 (415b28-416a18) 415b28 Empédocle, toutefois, ne s'est pas bien exprimé, quand il a ajouté que la croissance s'effectue pour les plantes vers le bas, quand elles entrelacent leurs racines, du fait que la terre s'y porte naturellement, et vers le haut à cause du feu, de la même manière. 416a1 En fait, il ne prend pas même correctement le haut et le bas, car le haut et le bas ne sont pas la même chose pour tous et pour le tout. Plutôt, c'est comme la tête pour les animaux que sont les racines pour les plantes, s'il convient de présenter les instruments comme d'autres ou les mêmes d'après leurs fonctions. 416a6 En plus de cela, qu'est-ce qui retiendra ensemble le feu et la terre, s'ils se portent vers les directions contraires? Ils s'écarteront s'il ne se trouve pas quelque chose qui les en empêche. Mais s'il se trouve quelque chose, ce sera l'âme, et ce sera la cause de la croissance et de la nutrition. 415a9 Il semble à d'autres que c'est la nature du feu qui est la cause absolue de la nutrition et de la croissance. Lui seul, en effet, parmi les corps ou éléments, semble se nourrir et s'accroître. Aussi pourrait-on penser que, chez les plantes comme chez les animaux, c'est celui-ci l'agent. 415a13 En fait, il est, d'une certaine manière, une cause concomitante; mais il n'est certes pas la cause absolue; cette dernière est plutôt l'âme. Car la croissance du feu continue indéfiniment, tant que dure le combustible. Au contraire, chez tous ceux dont la constitution se doit à la nature, il y a un terme et une proportion (205) de la grandeur et de la croissance. Cela est issu de l'âme plutôt que du feu, de la forme plutôt que de la matière.  

Leçon  8

#324. — Plus haut (#318-323), le Philosophe a montré que les opérations attribuées à la puissance végétative sont issues de l'âme. Maintenant, il écarte certaines erreurs opposées à la vérité qu'il a établie. Cela se divise en deux parties (la seconde: 416a9), d'après les deux erreurs qu'il écarte. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il présente l'erreur; en second (416a2), il la réfute. Empédocle, doit-on donc savoir, concernant le premier point, disait que les autres utilités qui surviennent chez les êtres vivants ne procèdent pas de l'intention de la nature, mais de la nécessité de la matière. Par exemple, que les pattes des animaux sont ainsi disposées non pas pour être utiles à la marche, mais du fait que la matière s'est ainsi trouvée disposée pour ce qui concerne ses parties (206). De même aussi, il n'attribue pas la croissance des vivants à leur âme, mais au mouvement des corps lourds et légers. Car il voyait que les vivants croissaient en des directions différentes, par exemple vers le haut et vers le bas; cela apparaît manifestement chez les plantes, qui envoient leurs racines vers le bas (207) et élèvent leurs branches vers le haut (208). Il disait donc que la croissance des plantes vers le bas se trouve causée par le mouvement de la terre, qui entre dans la composition des plantes et se porte naturellement vers le bas, en raison de son poids, tandis que la croissance vers le haut se trouve causée par le mouvement du feu, qui, en raison de sa légèreté, se porte naturellement vers le haut.

#325. — Ensuite (416a2), il réfute de deux manières l'opinion citée. D'abord, certes, du fait qu'elle ne prend pas correctement le haut et le bas. Le haut et le bas, doit-on savoir, pour avoir l'évidence de ce fait, ainsi que les autres différences des positions, à savoir, l'avant et l'arrière, la droite et la gauche, se distinguent en certains cas par nature, mais, en d'autres cas, seulement par leur position en regard de nous. En effet, chez les êtres où il y a des parties déterminées qui sont naturellement principes de certains mouvements, là on distingue d'après leur nature les différences mentionnées des positions; par exemple, dans l'univers, vers le milieu duquel se portent naturellement les corps lourds, tandis que les corps légers se portent naturellement vers sa circonférence. Par conséquent, on appelle haut le lieu vers lequel se portent les corps légers, et bas, ou milieu, celui vers lequel se portent naturellement les corps lourds. Chez les vivants qui sont aussi mortels (209), c'est selon le mouvement de croissance et de décroissance qu'on fixe le haut et le bas. En effet, on appelle haut la partie où les vivants reçoivent leur aliment, et bas la partie opposée, où sont rejetées les choses de trop.

#326. — Par ailleurs, l'avant et l'arrière se déterminent chez certains vivants (210) d'après le sens, la droite et la gauche d'après le mouvement local. Par contre, là où il n'y a pas de partie déterminée comme principe ou terme d'un mouvement, là on ne détermine pas les différences des positions d'après la nature, mais seulement d'après leur position en regard de nous; par exemple, dans les choses inanimées. Ainsi, la même colonne se dit à gauche et à droite, selon qu'elle est à la droite ou à la gauche de quelqu'un. Chez certains vivants, toutefois, où le haut et le bas se déterminent d'après la nature, ils se déterminent de la même manière que dans l'univers; par exemple, chez l'homme, dont la partie supérieure, c'est-à-dire sa tête, est tournée vers le haut de l'univers, tandis que sa partie inférieure est tournée vers le bas de celui-ci. Mais chez les plantes il en va inversement; en effet, les racines des plantes ont un rapport avec la tête, car elles sont ordonnées au même acte: de fait, de même que les animaux prennent leur nourriture par la bouche, une partie de leur tête, de même les plantes par leurs racines. Or on dit que des instruments sont les mêmes ou en sont d'autres, ou qu'ils sont semblables ou dissemblables, à partir de leurs opérations, qui sont leurs fins; aussi, les racines des plantes sont semblables aux têtes des animaux, et elles vont cependant vers le bas. C'est pourquoi le haut et le bas se situent d'une façon contraire chez les plantes et dans l'univers. Chez les animaux brutes, par contre, il n'en va pas de la même façon, parce que leurs têtes ne se situent pas vers le haut de l'univers, ni vers son bas. C'est donc ce qu'il précise, que le haut et le bas n'est pas le même pour tous, à savoir, les vivants, et pour tout, c’est-à-dire, l'univers.

#327. — Empédocle, néanmoins, prend le haut et le bas comme s'il en allait de la même façon chez tous les vivants et dans l'univers. En effet, si le mouvement de croissance, d'après lequel se détermine le haut et le bas chez les vivants, va d'après le mouvement des corps lourds et légers, d'après lequel se détermine le haut et le bas dans l'univers, il s'ensuivra que le haut et le bas se situent de la même façon chez tous les vivants et dans l'univers. C'est pourquoi aussi il dit luimême que la croissance des racines chez les plantes va vers le bas.

#328. — En second (416a6), il réfute la position citée d'une autre manière. Les éléments, doit-on savoir pour en avoir l'évidence, ne sont pas en acte, dans le corps mixte, mais en puissance (211); aussi, en lui, chaque élément n'a pas de mouvement propre séparément, mais le tout mixte se meut du mouvement de l'élément prédominant en lui. Par contre, si chaque élément avait un mouvement propre, comme Empédocle semblait le soutenir, étant donné que le mouvement naturel des éléments va vers des lieux contraires, il s'ensuivrait qu'ils se sépareraient totalement les uns des autres, à moins que quelque chose ne retienne les éléments et ne les laisse pas se séparer totalement les uns des autres. Or cela qui retient ainsi les éléments de façon qu'ils ne se séparent pas totalement les uns des autres, c'est cela surtout qui semble bien être la cause de la croissance et de l'alimentation, étant donné que (212) la croissance suivant différentes parties est rendue possible à partir de différents mouvements des éléments. En effet, on ne pourrait imaginer de quelle manière se ferait la croissance, comme les éléments se meuvent en des sens contraires, sinon du fait qu'ils demeurent unis les uns aux autres; car s'ils se séparaient totalement, on aurait une division, non une croissance. Cela donc est principalement la cause de la croissance, qui retient les éléments pour qu'ils ne se séparent pas totalement les uns des autres. Or cela, chez les êtres vivants, c'est l'âme; c'est donc l'âme qui est le principe de la croissance.

#329. — Ensuite (416a9), il présente l'autre position. À ce propos, il développe deux points: en premier, il la présente; en second (416a13), il la réfute. Cette opinion, doit-on savoir par ailleurs, diffère de la première en ceci que la première attribuait la cause de la croissance et de l'alimentation à différents éléments, à savoir, au feu et à la terre, tandis que celle-ci attribue leur cause au feu seulement.

#330. — On était conduit à cela par le raisonnement suivant. Quelque chose paraît être le principe d'une affection ou d'un mouvement en autre chose dans la mesure où elle a en elle-même (213) cette affection ou ce mouvement. Par exemple, le feu, qui est chaud quant à lui, est la cause de la chaleur dans les choses mixtes; et la terre, qui est lourde quant à elle, est la cause de la lourdeur chez elles. Or parmi les éléments, seul le feu semble se nourrir et croître, si nous parlons superficiellement de nourriture et de croissance. Donc, seul le feu semble bien produire la croissance et l'alimentation chez les plantes et les animaux. Cependant, si vraiment le feu se nourrit et croît, cela deviendra manifeste plus loin (#341-342).

#331. — Ensuite (416a13), il réfute la position citée. La position citée, doit-on savoir, pourtant, tient quelque chose de la vérité. Il est nécessaire, en effet, que tout aliment soit réduit par la chaleur (214); or cela se fait par le feu; aussi, le feu, d'une certaine manière, sert à l'alimentation, et par conséquent à la croissance. Non pas, certes, comme agent principal: car c'est l'âme; mais comme agent secondaire et instrumental. C'est pourquoi il est vrai de dire (215) que le feu, d'une certaine manière, est cause conjointe de la croissance et de l'alimentation, comme un instrument est cause conjointe avec l'agent principal; mais il n'est cependant pas cause absolument (216), comme un agent principal; plutôt (217), c'est l'âme qui est cause de cette manière, ce qu'il prouve comme suit.

#332. — Le principal, en toute action, c'est ce qui impose son terme et sa proportion (218) à ce qui se fait; par exemple, il est évident, dans les œuvres d'art, que le terme et (219) la proportion de l'arc, ou de la maison, ce ne sont pas les instruments qui l'imposent, mais l'art même, car les instruments sont indifférents (220) à coopérer à telle forme et (221) quantité, ou à telle autre. En effet, la scie, quant à elle, est apte à scier du bois, autant qu'il en faut pour une porte, et un escabeau, et une maison, et en n'importe quelle quantité; mais qu'elle scie le bois de manière qu'il soit apte à telle forme et à telle quantité, c'est par la vertu de l'art. Il est manifeste, par ailleurs, qu'en tout ce qui est par nature, il y a un certain terme, et une proportion déterminée pour sa grandeur et sa croissance; par exemple, en effet, à n'importe quelle espèce sont dus des accidents propres, et ainsi une quantité propre, bien qu'avec une certaine latitude, en raison de la diversité de la matière, et pour d'autres causes individuelles; en effet, tous les hommes ne sont pas d'une seule quantité. Cependant, il y a une quantité si grande, que l'espèce humaine ne s'étende pas au delà; et une (222) quantité si petite qu'en deçà (223) on n'ait pas un homme. Cela donc qui est la cause de la détermination de la grandeur et de la croissance est la cause principale de la croissance. Or cela n'est pas le feu. Il est manifeste, en effet, que la croissance du feu ne va pas jusqu'à une quantité déterminée, mais s'étend à l'infini, s'il se trouve de la matière combustible à l'infini. Il est donc manifeste que le feu n'est pas l'agent principal dans la croissance et l'alimentation, mais que c'est plutôt l'âme. Et cela arrive raisonnablement, parce que la détermination de la quantité dans les choses naturelles vient de la forme, qui est le principe de l'espèce, plus que de la matière. Or l'âme se compare aux éléments qui sont dans le corps vivant comme une forme à une matière. Le terme et la proportion, pour la grandeur et la croissance, vient donc plus de l'âme que du feu.

Chapitre 4 (416a19-416b31) 416a19 C'est la même puissance de l'âme qui est à la fois nutritive et générative; c'est par suite encore de l'aliment qu'il est nécessaire de traiter en premier lieu. Car cette puissance se distingue des autres par cette fonction. 416a21 À ce qu'il semble, par ailleurs, ce qui sert d'aliment, c'est le contraire pour le contraire, non pas cependant tout contraire pour tout contraire, mais seulement ceux, parmi les contraires, qui tirent non seulement leur génération, mais aussi leur croissance l'un de l'autre. Beaucoup de choses, en effet, sont issues les unes des autres, mais pas toutes sur le plan de la quantité: tel le sain, issu du malade. Il est apparent, d'ailleurs, que ceux qui se contrarient de la première manière ne sont pas l'aliment l'un de l'autre; au contraire, l'eau est l'aliment du feu, mais le feu ne nourrit pas l'eau. C'est donc parmi les corps simples que cela paraît le plus avoir lieu, que l'un soit l'aliment, l'autre ce qui s'en nourrit. 416a29 Mais une difficulté surgit. Le semblable se nourrit du semblable, disent les uns, en effet, comme aussi il en reçoit sa croissance. À d'autres, disions-nous, c'est l'inverse qui apparaît: le contraire se nourrit du contraire, car le semblable ne saurait pâtir sous l'action du semblable; or la nourriture change et chauffe (224), et le changement, pour toutes choses, va vers l'opposé ou l'intermédiaire. En outre, l'aliment souffre quelque chose de celui qui s'en nourrit, mais celui-ci ne souffre rien de l'aliment; de même, l'artisan ne souffre rien non plus du fait de la matière, c'est elle qui souffre quelque chose de sa part à lui; l'artisant passe simplement du repos à l'acte. 416b3 Par ailleurs, si l'aliment est la dernière ou la première chose qui advient, cela fait une différence. Si c'est les deux, l'un avant d'avoir chauffé, l'autre une fois qu'il a chauffé, on pourra parler d'aliment des deux manières: en tant que c'est sans avoir chauffé, le contraire se nourrit du contraire; en tant que c'est une fois qu'il a chauffé, le semblable se nourrit du semblable. Par conséquent, il est manifeste que les deux s'expriment à la fois correctement et incorrectement. 416b9 Puisque, par ailleurs, rien ne se nourrit qui ne participe de la vie, c'est le corps animé, en tant qu'animé, qui sera ce qui se nourrit. Par suite aussi, l'aliment a rapport à l'être animé, et cela non par accident. 416b11 Par ailleurs, l'essence est différente pour l'aliment et pour ce qui fait croître. En tant que l'être animé est doté de quantité, l'aliment est ce qui fait croître; en tant qu'il est telle chose et substance, l'aliment est nourriture. En effet, il conserve la substance du vivant tant qu'il se nourrit. 416b15 Il est encore principe de génération, quoique non pour l'être qui se nourrit, mais pour un être pareil à celui qui se nourrit. En effet, son essence existe déjà, et nul ne s'engendre lui-même; il se conserve seulement. 416b17 C'est pourquoi pareil principe de l'âme est une puissance capable de conserver son sujet tel qu'il est, tandis que l'aliment le prépare à agir. Aussi, privé de nourriture, il ne peut exister. 416b20 Il y a donc trois termes: ce qui se trouve nourri, ce dont il se nourrit, et ce qui le nourrit; aussi, ce qui nourrit, c'est la première âme, ce qui se trouve nourri, c'est le corps qui en est doté, et ce dont il se nourrit, c'est l'aliment. 416b23 Par ailleurs, il est juste que toute chose reçoive son appellation d'après sa fin, et la fin c'est d'engendrer un pareil à soi; la première âme, donc, c'est celle qui est générative d'un pareil à soi. 416b25 Par ailleurs, ce dont on se nourrit est double. De même aussi, ce par quoi on pilote, c'est à la fois la main et le gouvernail, le second moteur et mû, la première motrice seulement. Or il est nécessaire que tout aliment chauffe, et ce qui fait qu'il le fasse, c'est la chaleur: aussi tout être animé est-il doté de chaleur. Ce qu'est l'aliment, donc, le voici décrit grossièrement (225); on devra plus tard se montrer plus clair à son sujet dans des traités appropriés.  

Leçon  9

#333. — Auparavant, le Philosophe a montré que c'est l'âme le principe des opérations que l'on attribue à la puissance végétative; ici, il entend traiter de ces opérations. À ce propos, il développe trois points: en premier, il traite de l'objet en lui-même, à savoir, de l'aliment; en second (416b9), il en traite selon qu'il convient aux opérations de l'âme végétative; en troisième (416b19), il définit les puissances qui sont principes de ces opérations. Sur le premier point, il en développe trois autres: en premier, il dit sur quoi porte son intention; en second (416a21), il propose ce qui apparaît au premier regard à propos de l'aliment; en troisième (416a29), il soulève une difficulté à ce propos. La puissance végétative et la générative, commence-t-il, sont contenues sous (226) la même puissance commune de l'âme. Cependant, la végétative, c'est-à-dire la nutritive, est une puissance spéciale distincte de la générative. Il faut donc traiter en premier de l'aliment, qui est l'objet de la végétative (227), c'est-à-dire nutritive. C'est en effet par cette opération, à savoir, la nutrition, qu'on distingue cette partie de l'âme des autres, à savoir, l'intellective, la sensitive, etc. Car les autres opérations de cette partie, c'est-à-dire de l'âme, (228) la présupposent.

#334. — Ensuite (416a21), il propose ce qui apparaît au premier regard à propos de l'aliment. Il propose trois points, dont le premier est que l'aliment semble bien être contraire à ce qui se nourrit. La raison en est que l'aliment se convertit en ce qui se nourrit; or les générations se font à partir des contraires. Le second point est qu'il ne semble pas que n'importe quel contraire suffise à la notion d'aliment, mais qu'il faut qu'il appartienne à ces contraires qui s'engendrent l'un de l'autre. En effet, l'aliment se convertit en la substance de ce qui s'en nourrit; aussi, tout contraire présent dans la substance, pour autant qu'ils s'altèrent l'un l'autre mais ne s'engendrent pas, ne concerne pas la notion d'aliment. Car nous ne disons pas que le malade soit l'aliment du sain, ou le blanc du noir, ou autre chose de la sorte. De quelle manière, par ailleurs, il se trouve dans les substances de la contrariété (229), c'est une autre question.

#335. — En troisième, il faut qu'il appartienne à ces contraires qui se font croître l'un l'autre, puisque à l'aliment (230) semble s'ensuivre la croissance. Aussi, bien qu'à partir du feu soit produit de l'eau, et de même inversement, on ne dit cependant pas que l'eau se nourrit de feu, mais que le feu se nourrit d'eau, dans la mesure où les liquides perdent leur humidité en servant d'aliment au feu. C'est que, quand le feu se convertit en eau, c'est une nouvelle génération d'eau qui apparaît (231), tandis que le feu qui existe déjà semble bien, pour sa propre conservation et croissance, convertir à lui-même le corps humide.

#336. — Ensuite (416a29), il soulève une difficulté sur ce qu'il vient de traiter (232). En premier, il objecte à l'une et l'autre contradictoire; en second (416b3), il résout. Il surgit donc une difficulté à propos de ce que l'on a dit plus haut (#334), que l'aliment doit être un contraire. À d'autres pourtant il semble bien que l'aliment doit être semblable à ce qui s'en nourrit. L'aliment, en effet, est cause de sa croissance; or il faut que le semblable croisse par le semblable. Si en effet on ajoutait à une chose quelque chose de différent, on n'obtiendrait pas sa croissance, mais l'adjonction d'une nature étrangère. Il semble donc bien qu'il faille que le semblable se nourrisse du semblable.

#337. — À d'autres, par contre, il semble bien que l'aliment doit être contraire à celui qui se nourrit, selon ce qu'on a dit plus haut (#334). Et ils y sont conduits par deux raisonnements, dont le premier est que l'aliment chauffe jusqu'à se changer en ce qui s'en nourrit. Or rien ne se change sinon en son contraire ou en un intermédiaire; par exemple, le blanc se change en noir ou en pâle. D'ailleurs, l'intermédiaire est d'une certaine manière un contraire. Le pâle, en effet, comparé au blanc, est noir; et comparé au noir, il est blanc; c'est qu'il se trouve composé de l'un et de l'autre. Donc, l'aliment est contraire à ce qui s'en nourrit, et en quoi il se change.

#338. — Le second raisonnement est que l'agent est contraire au patient; en effet, ce n'est pas le semblable qui souffre du semblable. Or l'aliment souffre de la part de ce qui s'en nourrit; il se trouve altéré par lui, en effet, et digéré. Par contre, ce qui se nourrit ne souffre pas de la part de l'aliment, comme l'artisan ne souffre pas non plus de la part de la matière, mais c'est l'inverse: c'est la matière, en effet, qui est changée, et non l'artisan, sinon peut-être par accident, pour autant qu'il passe de la puissance à l'acte. Il semble donc bien que l'aliment soit contraire à ce qui s'en nourrit. Le premier de ces raisonnements se prend donc de la contrariété qui doit exister entre les termes d'un changement, tandis que le second se prend de la contrariété qui doit exister entre agent et patient. En effet, ce qui se nourrit à la fois agit sur l'aliment et est le terme (233) en lequel l'aliment se change.

#339. — Ensuite (416b3), il résout la difficulté proposée. Cela fait une différence à la question proposée, dit-il, si on appelle aliment ce qui advient à la fin, à savoir, après le réchauffement et la digestion, ou ce qu'on prend au début, à savoir, avant qu'il ne soit digéré et n'ait chauffé. De fait, on peut appeler aliment l'un et l'autre d'entre eux (234): l'un d'eux représentant l'aliment qui a chauffé, l'autre l'aliment qui n'a pas chauffé, on pourra juger de l'aliment selon l'une et l'autre contradictoire de la question. Car en tant qu'on appelle aliment ce qui n'a pas chauffé, le contraire se nourrit ainsi du contraire, car c'est cela qui souffre et change. Mais en tant que l'aliment est ce qui a chauffé, alors le semblable se nourrit du semblable, car l'agent assimile à lui le patient. Aussi faut-il qu'à la fin de la passion le patient soit semblable à l'agent, et de cette manière l'aliment peut faire croître (235) ce qui s'en nourrit. Et ainsi appert-il que les uns et les autres des penseurs cités parlent correctement d'une certaine manière, et d'une autre manière ne parlent pas correctement (236).

#340. — Ensuite (416b9), il traite de l'aliment dans la mesure où il se rapporte (237) aux opérations de l'âme végétative. Et en premier selon qu'il se rapporte à la nutrition. En second (416b11), selon qu'il se rapporte à la croissance. En troisième (416b15), selon qu'il se rapporte à la génération. Rien ne se nourrit (238), commence-t-il, qui ne participe à la vie; or tout ce qui participe à la vie est animé; il s'ensuit donc (239) que le corps qui se nourrit soit animé. L'aliment, par ailleurs, est en puissance à ce qui s'en nourrit, il se convertit en effet en lui; il reste donc que l'aliment, en tant qu'il est l'objet de la nutrition, soit par soi et non par accident quelque chose qui existe en puissance à l'animé.

#341. — On doit regarder le fait, par ailleurs, que rien ne se nourrit proprement s'il n'est animé. Le feu, quant à lui, présente quelque ressemblance avec le fait de se nourrir, mais il ne se nourrit pas proprement, ce qui appert comme suit. Cela, en effet, dont nous disons proprement que cela se nourrit, c'est ce qui prend quelque chose pour sa propre conservation; cela paraît bien se produire avec le feu, mais pourtant ne se produit pas. Car lorsqu'on ajoute à un feu déjà allumé (240) une matière combustible, avec cette matière combustible c'est un feu nouveau qu'on produit; il n'en va pas de sorte que le combustible ajouté contribue à la conservation du feu allumé auparavant dans une autre matière. Par exemple, si du bois se trouve nouvellement allumé, avec cette ignition on ne conserve pas celle d'un autre bois allumé auparavant; en effet, tout le bois issu de ce qu'on ait mis ensemble plusieurs tisons allumés n'est pas un absolument, mais nous semble un par aggrégation, comme l'amas de pierres est un; et à cause de pareille unité il y a là une certaine ressemblance avec la nutrition.

#342. — Au contraire, les corps animés se nourrissent vraiment, car avec l'aliment la vie se trouve conservée là même où quelque chose existait auparavant. C'est pour cette raison aussi que seulement les êtres animés croissent vraiment, car chaque partie d'entre eux à la fois se nourrit et croît (241). Cela ne convient (242) pas aux êtres inanimés qui donnent l'impression de croître par addition. Ce n'est pas en effet que ce qui existait auparavant croisse; plutôt, un autre tout plus grand se constitue de l'addition d'autre chose. La raison pour laquelle la ressemblance avec la croissance et la nutrition apparaît principalement dans le cas du feu, c'est que le feu a davantage de forme que les autres éléments, et est plus puissant en vertu active; aussi, pour la raison qu'il convertit manifestement les autres choses en lui-même, il semble se nourrir et croître.

#343. — Ensuite (416b11), il montre comment l'aliment se rapporte à la croissance. C'est le même sujet, dit-il, qui est objet de la nutrition, pour autant qu'on l'appelle aliment, et qui est objet de la croissance, pour autant qu'on l'appelle facteur de croissance; mais cela diffère en définition. On a dit (#341), en effet, que l'aliment est en puissance au corps animé. Or le corps animé est à la fois doté de quantité et telle chose et substance. Selon donc qu'il est doté de quantité, sur ce plan-là l'aliment qui lui advient, «qui est aussi lui-même doté de quantité», produit une croissance, et s'appelle un facteur de croissance; en tant par ailleurs que corps animé, il est telle chose et substance, et a ainsi la nature d'un aliment. Cela, en effet, appartient à la notion d'aliment, qu'il conserve la substance de ce qui s'en nourrit. Et cette conservation est nécessaire à cause de la consomption continue de son humidité par sa chaleur naturelle; et c'est pourquoi tant que dure la substance de ce qui se nourrit, aussi longtemps il se nourrit.

#344. — Ensuite (416b15), il montre de quelle manière l'aliment se rapporte à la génération. L'aliment est aussi, dit-il, producteur de la génération. En effet, la semence qui est principe de la génération, est en sus de l'aliment (243). Cependant, l'aliment n'est pas principe de la génération de ce qui s'en nourrit, mais d'un autre qui est pareil spécifiquement, comme l'est ce qui se nourrit; car la substance qui se nourrit est déjà et ce qui est ne s'engendre pas, et rien ne s'engendre soi-même; car ce qui engendre est déjà, tandis que ce qui est engendré n'est pas encore. Mais il peut faire quelque chose pour sa conservation.

#345. — Ensuite (416b19), à partir de ce qui précède, il élabore la définition des puissances de l'âme végétative: en premier, de la puissance nutritive; en second (416b23], de toute l'âme végétative. Sur le premier point, il en développe deux autres (244): en premier, à partir de ce qui précède, il conclut la définition de la puissance nutritive. On a dit (#331), dit-il, que l'aliment, en tant que tel, garde ce qui s'en nourrit; il est donc manifeste que ce principe de l'âme, qui est principe de la nutrition, n'est rien d'autre qu'une puissance capable de garder son sujet en tant que tel. L'aliment, lui, est ce qui prépare l'opération de pareille puissance, en tant que pareille puissance garde son sujet moyennant l'aliment. C'est pour cela que ce qui est privé d'aliment ne peut se conserver.

#346. — Comme il a dit que le principe de la nutrition est une puissance de l'âme, dont le principe est lui-même l'aliment, ainsi qu'il appert de ce qu'on a dit, il montre en second (416b20) comment c'est différemment que la puissance de l'âme et l'aliment sont principes de la nutrition. Dans la nutrition, dit-il donc, il y a trois termes: ce qui se trouve nourri, ce dont il est nourri et ce qui le nourrit en premier (245). Or ce qui nourrit en premier, c'est la première âme, à savoir, l'âme végétative. Ce qui se trouve nourri, c'est le corps doté de cette âme, tandis que ce dont il est nourri est l'aliment. Ainsi donc, la puissance de l'âme est le principe de la nutrition en tant qu'agent principal, tandis que l'aliment l'est comme instrument.

#347. — Ensuite (416b23), il définit la première âme elle-même, que l'on appelle l'âme végétative et qui, bien sûr, est une âme chez les plantes, mais une partie de l'âme chez les animaux. À ce propos, il développe deux points: en premier, il définit pareille âme. Pour comprendre cette définition, on doit savoir qu'il y a un certain ordre entre les trois opérations de l'âme végétative. En effet, sa première opération est la nutrition, par laquelle un être se trouve gardé comme il est. La seconde, ensuite, et plus parfaite, est la croissance, par laquelle on passe à une perfection plus grande, à la fois en quantité et en vertu. La troisième, enfin, la plus parfaite et dernière, est la génération, par laquelle un être qui se trouve déjà en sa perfection transmet son être et sa perfection à un autre. Chaque être, en effet, est le plus parfait, comme il est dit, Météores, IV, ch. 1, quand il peut en rendre un autre tel qu'il est lui-même. Or il est juste que toutes choses se définissent et se nomment (246) par leur fin, et la fin des opérations de l'âme végétative est d'engendrer autre chose de pareil; il s'ensuit donc que voilà une définition qui convient à la première âme, à savoir, la végétative, qu'elle soit générative d'un autre pareil spécifiquement.

#348. — Comme il a dit que l'aliment est l'instrument de cette âme, pour qu'on ne croie pas qu'elle n'a pas d'autre instrument, il montre, en second (416b25), qu'elle a un autre instrument. Il y a, dit-il, deux instruments moyennant quoi on se nourrit, comme il y a deux instruments pour piloter: le pilote, en effet, pilote avec sa main et avec le gouvernail; car sa main est un instrument conjoint dont la forme est l'âme. Aussi, le gouvernail est un instrument qui meut le navire et qui est mû par la main, tandis que la main n'est pas un instrument mû par quelque chose d'extérieur, mais seulement par un principe intrinsèque; car elle est la partie d'un homme et celui-ci se meut luimême. Ainsi donc, pour la nutrition aussi l'instrument est double. Comme instrument séparé, certes, et dont la forme n'est pas encore l'âme, il y a l'aliment. Mais il en faut un autre comme instrument conjoint de la nutrition. Il est nécessaire, en effet, qu'un aliment chauffe, et ce qui fait qu'il chauffe est quelque chose de chaud. De même donc que le pilote meut le gouvernail avec sa main, et le navire avec le gouvernail, de même l'âme meut l'aliment avec le chaud et nourrit avec l'aliment. Ainsi donc, le chaud est un instrument conjoint de l'âme, dans laquelle il y a radicalement de la chaleur naturelle pour digérer. C'est pourquoi il faut que tout animé qui se nourrit ait une chaleur naturelle qui agisse comme principe de digestion. Si par ailleurs cette âme n'avait pas d'instrument conjoint, la nutrition ne serait pas l'acte d'une partie du corps; or cela n'appartient qu'à la seule intelligence.

#349. — Il épilogue finalement ce qu'il a dit et conclut qu'on a dit grossièrement (247), c'est-à-dire universellement, ce qu'est l'aliment. Mais il nous faudra par la suite traiter plus précisément de l'aliment, avec des raisonnements appropriés. En effet, il a fait un traité spécial sur l'aliment (248), comme il en a fait sur la génération des animaux et sur le mouvement des animaux.

Chapitre 5 (416b32-417a21) 416b32 Ceci établi, nous traitons communément de toute sensation. La sensation consiste à être mû et affecté, comme on l'a dit; elle donne l'impression, en effet, d'une espèce d'altération. Il y en a aussi qui affirment que le semblable est affecté sous l'action du semblable. Cela, comment c'est possible ou impossible, nous l'avons précisé dans notre traité général sur l'action et l'affection. 417a2 Il surgit toutefois une difficulté, à savoir, pourquoi il n'y a pas de sensation des sens mêmes, et pourquoi, sans les objets extérieurs, les sens n'effectuent pas de sensation. Pourtant, le feu, la terre et les autres éléments sont contenus dans le sens, et la sensation portent sur eux, en euxmêmes ou dans leurs accidents. Il en devient donc manifeste que la faculté sensitive n'est pas en acte mais seulement en puissance. C'est pour cela qu'elle ne sent pas, comme le combustible ne brûle pas tout seul sans l'agent de combustion; autrement il brûlerait lui-même et n'aurait aucun besoin d'un feu qui soit finalisé. 417a9 Par ailleurs, nous parlons de sentir de deux manières: celui qui est en puissance à entendre et à voir, nous disons qu'il entend et qu'il voit, même si par hasard il dort, et aussi celui qui agit déjà. On parlera aussi de deux manières de la sensation, tantôt comme en puissance, tantôt comme en acte. Il en va pareillement du fait de sentir: c'est tantôt en puissance, tantôt en acte. 417a14 Dans un premier moment donc, nous parlons comme si être affecté, être mû, agir, étaient la même chose. Et de fait, le mouvement est un certain acte, quoique imparfait, comme on l'a dit ailleurs. 417a17 Or tout est affecté et se meut sous l'effet d'un agent, et d'un agent qui soit en acte. C'est pourquoi, d'un côté, c'est comme sous l'effet du semblable qu'on est affecté; mais c'est par ailleurs sous l'effet du dissemblable, comme nous l'avons dit: car c'est le dissemblable qui est affecté; mais une fois qu'il a été affecté, il est semblable.  

Leçon  10

#350. — Après avoir traité de la partie végétative, le Philosophe commence ici à traiter de la partie sensitive. Cela se divise en deux parties: dans la première, il traite de ce qui est apparent, dans cette partie de l'âme, à savoir, des sens externes; dans la seconde (424b22), il traite de ce qui est caché dans la partie sensitive. La première partie se divise en deux autres: dans la première, il montre comment le sens se rapporte au sensible; dans la seconde (418a7), il traite du sensible et du sens. Sur le premier point, il en développe deux autres: en premier, il rappelle certaines notions déjà présentées; en second (417a2), il investigue son propos. Maintenant qu'on a traité ce qui concerne la partie (249) végétative, commence-t-il, on doit parler de ce qui concerne le sens en commun. Pour ce qui est de ce qui concerne chaque sens spécialement, en effet, on en parlera par après (#399-563). Il rappelle donc deux notions déjà présentées sur le sens, dont l'une est que sentir consiste à être mû et affecté. En effet, la sensation en acte est une espèce d'altération, et ce qui est altéré est affecté et mû. L'autre notion qu'il résume est que certains disent que le semblable est affecté sous l'action du semblable, et que c'est pour cela que sentir c'est être affecté.

#351. — Des philosophes anciens ont soutenu que le semblable est connu et senti par le semblable. Par exemple, Empédocle a soutenu que la terre est connue par la terre, le feu par le feu, et ainsi des autres. Pour ce qui est, de fait, de la manière dont il se pourrait, ou non, que le semblable se trouve affecté sous l'action du semblable, cela a été dit dans les raisonnements universels portant sur l'action et l'affection, c'est-à-dire au livre De la génération, I, ch. 7, où il a traité communément de l'action et de l'affection. Il est dit là, en effet, que ce qui est affecté, au début de l'affection, est contraire à son agent, mais à la fin, une fois déjà affecté, il lui est devenu semblable. L'agent, en effet, en agissant, s'assimile le patient.

#352. — Ensuite (417a2), il établit la vérité concernant son propos. À ce propos, il développe trois points: en premier, il montre que le sens est en puissance; en second (417a9), qu'il lui arrive d'être en acte; en troisième (417a21), il montre comment le sens se réduit de la puissance à l'acte. Empédocle et tous ceux qui ont soutenu que le semblable se connaît par le semblable, doit-on tenir compte, pour le premier point, ont soutenu que le sens est en acte les sensibles eux-mêmes. En effet, pour que l'âme sensitive connaisse tous les sensibles, ils ont soutenu qu'elle est composée d'une certaine manière de tous les sensibles, étant donné qu'elle était constituée, à leur avis, à partir des éléments des corps sensibles.

#353. — Deux conséquences s'ensuivaient de cette position. L'une en est que si le sens (250) est les sensibles mêmes en acte, en tant que composé d'eux, étant donné que (251) les sensibles en acte pourraient sentir, il s'ensuivra que les sens pourront être sentis. La seconde est que, comme le sens peut sentir les sensibles présents, si les sensibles sont en acte dans le sens, puisqu'il en est composé, il s'ensuivra que le sens puisse sentir sans les sensibles extérieurs. Or l'une et l'autre choses sont fausses. C'est pourquoi ces deux absurdités qui s'ensuivent de la position des anciens, il les propose sous forme de question, en tant qu'elles ne pourraient pas être résolues par les anciens. C'est ce qu'il dit, qu'«il y a une difficulté, à savoir pourquoi le sens ne porte252 pas sur les sens mêmes», c'est-à-dire pourquoi on ne sent pas les sens mêmes; car cela semble bien s'ensuivre, si les sens sont semblables aux sensibles.

#354. — Il y a encore (253) difficulté, à savoir «pourquoi ils ne font pas de sens», c'est-à-dire pourquoi les sens ne sentent pas en acte, «sans les choses extérieures», c'est-à-dire sans les sensibles extérieurs, alors qu'existent pourtant à l'intérieur dans les sens mêmes, «selon l'opinion des anciens », le feu, et la terre, et les autres éléments qui sont sensibles, et qu'ils y existent ou bien en eux-mêmes, c'est-à-dire dans leur substance — d'après ceux qui ne discernent pas entre sens et intelligence; en effet, c'est l'intelligence proprement qui est cognitive de la substance —, ou bien dans leurs accidents propres, à savoir, le chaud et le froid, et les autres de la sorte, qui sont par soi sensibles. Puisque donc ces difficultés ne peuvent se résoudre (254), si le sens détient les sensibles en acte, comme les anciens le soutenaient, le Philosophe conclut comme manifeste que l'âme sensitive n'est pas les sensibles en acte, mais en puissance seulement. Et à cause de cela, les sens ne sentent pas sans les sensibles extérieurs, comme le combustible, qui est allumé en puissance seulement, ne brûle pas tout seul, sans agent de combustion extérieur. S'il était allumé en acte, en effet, il brûlerait de lui-même et n'aurait pas besoin d'un feu extérieur pour le faire brûler.

#355. — Ensuite (417a9), il montre qu'il arrive au sens d'être en acte (255). À ce propos, il développe trois points. En premier, il montre qu'il arrive au sens d'être en acte à partir du fait que nous disons de deux manières qu'on sent. Parfois, en effet, nous disons qu'on voit et entend, alors qu'on entend et voit en puissance; par exemple, lorsqu'on dort. Parfois encore, nous disons qu'on voit et entend du fait qu'on se trouve dans l'opération même d'entendre et de voir. De là il appert que le sens et l'acte de sentir se disent de deux manières, à savoir, en acte et en puissance.

#356. — En second (417a14), il manifeste comment on doit comprendre ce qu'on a dit. Il semblait en effet répugner que sentir se dise en acte, du fait qu'on ait dit que sentir est une espèce d'affection et de mouvement. Etre en acte, en effet, semble plutôt concerner l'agir. C'est pourquoi, pour expliquer cela, il dit que nous disons sentir en acte comme si nous disions qu'être affecté et être mû sont une espèce d'agir, c'est-à-dire une espèce d'être en acte. En effet, le mouvement est une espèce d'acte, mais imparfait, comme il est dit, Physique, III, 1. Il est en effet l'acte de ce qui existe en puissance, à savoir, du mobile. De même donc que le mouvement est un acte, de même être mû et sentir est une espèce d'agir, ou d'être en acte. Du fait par ailleurs qu'il dit premier, il signifie qu'il ajoutera autre chose par la suite pour montrer comment le sens devient en acte.

#357. — En troisième (417a17), il montre, d'après ce qui a été dit, comment la position des anciens pourrait être vraie, à savoir, que le semblable sent par le semblable. Il dit donc que tout ce qui est en puissance est affecté et mû par un agent qui existe en acte; et celui-ci, pendant qu'il fait être en acte ce qu'il affecte, l'assimile à lui. Aussi, d'une certaine façon, on souffre quelque affection d'un semblable, et d'une certaine façon d'un dissemblable, comme on a dit. Car au début, tant qu'on est en transformation et affection, on est dissemblable; mais à la fin, une fois qu'on a été transformé et affecté, on est semblable. Ainsi donc, le sens aussi, après qu'il a été réduit en acte par le sensible, est semblable à lui; mais avant, il n'est pas semblable. C'est faute de pouvoir le distinguer que les anciens se sont trompés.

Chapitre 5 (417a21-b16) 417a21 Nous devons effectuer une division à propos de la puissance et de la finalisation, car jusqu'à maintenant nous en parlons de manière absolue.417a22 Il est possible, en effet, d'attribuer la science de la manière dont nous dirions qu'un homme est savant, parce que l'homme compte parmi les êtres savants et susceptibles de science. Ce l'est aussi de la manière dont nous disons savant de fait (256) celui qui possède la grammaire. Or chacun d'eux n'est pas en puissance de la même manière: le premier l'est pour autant que son genre et sa matière sont de la sorte, tandis que le second l'est parce que, s'il le veut, il peut se représenter son objet (257), tant que rien ne l'en empêche de l'extérieur. Quant à celui qui se représente de fait son objet, il est finalisé comme savant, et sait proprement que c'est ceci le “A”. 417a30 Les deux premiers sont donc savants en puissance, et ils finalisent cette puissance, le premier, en se trouvant altéré par l'enseignement, et souvent en sortant de l'habitus contraire, tandis que l'autre, d'une autre manière, en passant du fait d'avoir l'arithmétique (258) ou la grammaire sans l'exercer à l'exercer (259). 417b2 Etre affecté n'est pas non plus chose simple. Au contraire, c'est tantôt une espèce de destruction sous l'action du contraire, tantôt le salut plutôt de ce qui se trouve en puissance sous l'action de ce qui est finalisé et lui est semblable de la manière dont la puissance se rapporte à la finalisation. 417b5 Quand, en effet, celui qui possède la science se met à se représenter son objet, cela précisément ou bien ne consiste pas à être altéré — car c'est un progrès vers soi-même et vers sa finalisation —, ou bien il s'agit d'un autre genre d'altération. Aussi n'est-il pas correct de dire que celui qui pense, lorsqu'il pense, se trouve altéré, comme le constructeur ne l'est pas non plus lorsqu'il construit. Par conséquent, pour ce qui est d'user d'intelligence et de penser, ce qui mène l'être en puissance à sa finalisation, ne mérite pas la dénomination d'enseignement, mais une autre. 417b12 Quant à celui qui, se trouvant en puissance, se fait enseigner et reçoit la science sous l'action de celui qui est finalisé et capable de l'enseigner, on doit dire ou bien qu'il n'est pas affecté lui non plus, comme on l'a dit, ou bien qu'il existe deux sortes d'altération: l'une, un changement vers les dispositions privatives, l'autre vers les habitus et la nature.

NOTES

(1) a ici son sens fort. Il ne s'agit pas du pâle nous disons, comme si, ainsi qu'on le comprend généralement, on rappelait une petite information, du style: «Nous disons que la substance est un genre.» Dire, c'est ici dire un attribut, attribuer un genre pour exprimer l'essence d'un sujet. Dire la substance, c'est dire d'un sujet, pour manifester son essence, qu'il est une substance. Pour rendre clairement le contexte, il faudrait une paraphrase comme: «Quand il s'agit de manifester ce qu'est un sujet, l'un des genres que nous attribuons, c'est la substance.» C'est ce sens fort que nous oblige à lire l'accusatif que revêtent la matière et la forme, à la ligne suivante; cet accusatif pointe matière et forme comme attributs, non comme sujets: Aristote dit précisément que c'est la matière ou la forme ou le composé qu'on attribue quand on attribue la substance, non que la substance s'attribue à la matière, à la forme et au composé.

(2) Le mot grec est encore près de son étymologie de bois de construction ; indique qu'on étend le sens à tout autre élément dont puisse se constituer autre chose. — L'accusatif s'explique du fait de sous-entendre .

(3) , deux termes qui désignent premièrement l'allure extérieure d'une chose, ce qui se voit d'abord d'elle et à quoi on reconnaît ce qu'elle est. Comme le mot français forme, ce sont des noms de ce qui de l'apparence extérieure permet facilement de reconnaître une chose; par extension, ils nommeront plus radicalement ce qui, de la chose, la fait ce qu'elle est, son essence. Ce sera surtout qui connaîtra cette extension et revêtira ainsi le sens d'espèce. Le français manque d’un homonyme qui dirait à la fois, comme , l’aspect extérieur d’abord manifeste et l’extension à la forme ou espèce essentielle. Aussi la traduction doit-elle aller et venir d’aspect à forme ou espèce.

(4) Ce mot pratiquement intraduisible exprime la perfection déjà atteinte d'une chose, déjà intégrée. Comme la perfection de la chose est sa fin, il s'agit en somme qu'elle a en soi-même sa fin réalisée — [ ] . On rendrait un peu l'idée en parlant d'une chose finalisée. D'où cette traduction. Comparer Bodéüs: réalisation. — Certes, on s’épargnerait tant d’audace, en renonçant à autant d'exactitude et en gardant la traduction habituelle acte. Mais dans son commentaire, saint Thomas va justement expliquer ce terme avec la notion d'acte.

(5) Il s'agit de l'acte dans lequel on se rend présent à l'esprit ce qu'on a appris auparavant, ce dont on a déjà la science. En 417b224, au chapitre 5, Aristote donnera comme synonyme

(6) Voir Attributions, 2.

(7) La substance comme , comme forme.

(8) Cette formulation laisse plutôt attendre l’élément commun à des homonymes que la définition stricte commune à des synonymes.

(9) Léonine: quaestionem. Marietti: hanc quaestionem.

(10) Léonine: a principio. Marietti: in principio.

(11) Léonine: huius. Marietti: huiusmodi.

(12) Léonine: sed. Marietti: etsi.

(13) Substantiam.

(14) Praedicamenta.

(15) Hoc aliquid. 

(16) Léonine: sed est in potentia. Marietti: sed in potentia.

(17) Léonine: dicitur enim esse hoc aliquid aliquid demonstratum. Marietti: dicitur enim esse hoc aliquid, id est aliquid demonstratum.

(18) Voir supra, note 4. 19Considerare — qui traduit —, c'est-à-dire avoir à l'esprit ce dont on a la science, être en train d'y penser.

(19) Léonine: et de hac potentia in actum reducitur. Marietti: et haec potentia in actum reducitur.

(20) Consideratio.

(21) Léonine: sensibilibus. Marietti: sensibus.

(22) Comme Moerbeke a simplement translittéré en physica, saint Thomas le traduit. (23)  

(24) Aliquid in subiecto existens. Aristote opposait aux attributs destinés à exprimer l’essence d’un sujet, , le sujet apte à revêtir chaque essence, . Mais Moerbeke a traduit quae in subiecto sunt, comme s’il était question d’opposer les attributs destinés à exprimer les accidents d’un sujet, , à leur sujet (voir Attributions, 2). Thomas d’Aquin rejoint Aristote en signalant qu’il faut prendre largement, ici, l’idée d’accident d’un sujet et l’étendre à la désignation de l’essence qui, du fait qu’elle n’existe pas sans son sujet, peut se considérer de quelque manière comme existant en un sujet.

(25) Léonine: in definitione formae, sed materia. Marietti: in definitione formae.

(26) La remarque est curieuse, comme Aristote est explicitement en train de parler de l’acte (Aristote dit , mais Moerbeke traduit actus) comme de l’un des homonymes auxquels renvoie la substance. 

(27) Plutôt l’inverse : l’âme est une substance à la manière d’une forme, c’est-à-dire d’un acte. — En gardant la formulation de saint Thomas, sans doute faut-il sous-entendre substantielle, ici et à la prochaine occurrence de forme. Autrement, la distinction a quelque chose d'obscur: montrer que l'âme est un acte à la manière d'une forme pour qu'il soit clair qu'elle ne l'est pas à la manière d'une forme accidentelle. — Cette insistance sur la forme accidentelle dépend toujours de la traduction de Moerbeke, ainsi que signalé supra, note 24. 

(28) Léonine: existenti. Marietti: praeexistenti. 

(29) Léonine: accidentaliter advenirent. Marietti: accidentaliter advenirent subiecto iam existenti in actu. 

(30) Léonine: et hoc. Marietti: hoc.

(31) Léonine: et quod sit, et quod corpus sit, et quod sit corpus vivum. Marietti: et quod sit, et quod sit corpus vivum.

(32) Léonine: quasi materiale. Marietti: quid materiale.

(33) Aequivoce.

(34) Considerare. Voir supra, notes 5 et 19.

(35) Léonine: in hoc quod anima existit. Marietti: in hoc quod anima

(36) Léonine: actus sicut scientia. Marietti: actus scientia. 

(37) Léonine: in suis perfectibilibus. Marietti: in suis perfectionibus.

(38) Le contexte de la définition de l’âme en est un où la traduction d’ en substance fait spécialement corps étranger et rend le texte particulièrement inintelligible. L’intelligibilité gagne beaucoup à penser ici en termes d’essence, d’acte d’être. 

(39) l’essence en son acception qui correspond à la notion qu'on se fait de l’être concerné: la forme de celui-ci. 

(40)  Cette expression quasi intraduisible désigne l'essence d'une chose en décrivant comme d'avance, dans sa puissance — c'est le sens de l'imparfait —, son acte, qui est de faire que la chose soit justement ce qu'elle est. On renonce d'ordinaire à traduire cet aspect: Barbotin: l'essence propre ; Bodéüs: la détermination essentielle ; Vernier : quiddité

(41)  … est une autre expression concise pour signifier l'essence d'une chose, ce que c'est d'être, pour elle, ce qui fait qu'elle est ce qu'elle est. On trouve beaucoup d'acrobatie dans les traductions courantes: Barbotin: «hachéité» ; Bodéüs: détermination qui fait essentielle la hache (!) ; Vernier : l’être de la hache.

(42)  Si ensuite on imagine la hache comme corps vivant, plutôt que simplement comme corps naturel. 

(43 

(44) Léonine: hoc. Marietti: haec. Dans le texte grec: 

(45) Substantia quae est secundum rationem, qui traduit . 

(46) Est quod quid erat esse huiusmodi (Marietti: huic )corpori traduit . Voir supra, note 49. 

(47) Léonine: aliquod. Marietti: aliquid.

(48) Erat quidem enim (Marietti: omis) dolabrae esse substantia ipsius (Marietti: ipsis ) . Voir supra, note 51.

(49) Léonine: esset. Marietti: est.

(50) Autrement dit: sa forme, voilà ce que la hache aurait d'une substance, si elle en était une.   

(51) Léonine: ipsorum. Marietti: eorum.

(52) Quod quid est esse, qui traduit . La différence de l'imparfait au présent ne change pas le sens, si ce n'est qu'on regarde la forme substantielle en ce qu'elle fait en acte qu'une chose est ce qu'elle est, plutôt que de la considérer avant que la chose soit, comme ce qui a puissance de faire que la chose sera ce qu'elle sera.

(53) Léonine: natura dicitur. Marietti: natura dicitur, uti habes in libro Physicorum secundo. 

(54) Lapideus aut depictus

(55) Substantiae. 

(56) Substantiae.

(57)Léonine: habet animam, sed est in potentia ad animam. Marietti: habet animam.

(58 Léonine: separatur. Marietti: separantur.

(59) Figuraliter traduit tñpÄ

(60) La grammaire de cette phrase ne s'interprète pas facilement. Pour ma part, je lis tò saf¡w comme le sujet de , lequel voit son sens précisé par l'attribut ; précise ensuite cet attribut en désignant le niveau intelligible de la connaissance visée. — Moerbeke arrive au même sens en inversant toutefois sujet et attribut, faisant fi de l'article, devant saf¡w, qui disqualifie celui-ci comme attribut, et de l'absence d'article, devant , qui le disqualifie comme sujet. — Barbotin, pour sa part, range avec comme sujet et lit absolument: «Ce sont des données obscures en soi, mais particulièrement apparentes pour nous, qui engendrent ce qui est clair et plus connaissable pour la raison.» — Quant à Bodéüs, il renonce à suivre la phrase grecque et aboutit à un énoncé peu intelligible: «La clarté qui satisfait à la connaissance rationnelle procède de données obscures quoique évidentes.» — De toute manière, l'opposition entre et est celle entre ce dont la nature prête moins ou plus à connaissance claire, entre ce qui n'est pas et ce qui est intelligible, c'est-à-dire , plus définissable, ou, si l'on interprète pour la faculté, plus connaissable pour la raison.

(61) Le nom féminin le plus proche auquel ce pronom est susceptible de renvoyer est, à la fin de la phrase précédente, , d'ailleurs précédé de perÜ.

(62) ainsi, c'est-à-dire de la manière qu'on vient de décrire.

(63

(64le que, c'est-à-dire exprimer qu'il en est ainsi, d'où, en latin, le nom de demonstratio quia, pour la démonstration qui conclut simplement qu'il en est comme on dit, sans en donner la cause. — Bref, il ne faut pas se contenter de montrer que l'âme est bien ce qu'on dit qu'elle est; il faut aussi préciser pourquoi il en va ainsi.

(65) Il faut entendre rectangle selon sa stricte étymologie — rectum angulum —, et non au sens français le plus courant, qui a spécialisé le mot pour la désignation du rectangle dont deux côtés sont plus longs que les deux côtés opposés. 6

(66) de longueur différente, c'est-à-dire inégale. 

(67) Il faut prendre végétaux dans son sens étymologique d'êtres qui croissent. 

(68

(69

(70)

(71) Les éditions critiques ne font aucune mention de cette phrase dont Moerbeke fournit la traduction suivante: «Videntur autem et huiusmodi multa esse animalium; manentia autem cum sint natura, habent solum sensum.» 

(72) Léonine: aliquid. Marietti: aliud.

(73) C'est la distinction omniprésente entre les notiora quoad nos et les notiora secundum naturam. La traduction littérale, et traditionnelle: choses plus connues quant à nous et plus connues quant à la nature jure un peu en français. Notiora renvoie plus à la puissance que connues. Il faut plutôt entendre plus connaissables quant à nous, c'est-à-dire étant donné la nature de notre intelligence, et plus connaissables de par leur nature, c'est-à-dire dont la nature plus parfaite se prête à une connaissance plus rigoureuse.

(74) Demonstratio propter quid

(75) Léonine: magis autem nota quo ad nos. Marietti: et magis nota quo ad nos. 

(76) Ratio definitiva. 

(77) Non solum dicat hoc quod est quia. Et plus loin: per definitionem dicentem propter quid. Quia et propter quid nomment laconiquement deux manières de définir, en ce que l'une dit seulement que la chose définie est ce qu'on dit qu'elle est, tandis que l'autre dit aussi pourquoi elle est cela. — C'est la même distinction qu'on trouvera exprimée ensuite dans le fait qu'une définition a l'allure d'une conclusion — est sicut conclusio —, tandis qu'une autre l'allure d'une démonstration, comme elle inclut aussi les prémisses qui expliquent pourquoi la chose définie est comme on conclut qu'elle l'est. 

(78) Léonine: autem nunc. Marietti: autem.     

(79) Léonine: rombi vel rhomboydes. Marietti: rhomboydes.

(80) Tetragonismus.

(81) Léonine: orthogonium altera parte longius. Marietti: orthogonium altera parte longius, sicut patet in sequentibus figuris. Marietti fournit bien sûr à la suite le tracé d'un caré, d'un rectangle et d'un losange. 

(82)Léonine: longitudinem. Marietti: latitudinem.

(83) Léonine: ex ductu unius earum in aliam. Marietti: ex ductu unius in aliam.

(84) Léonine: ut. Marietti: unde.

(85) «Carrer est bien l'opération qui consiste à donner une aire carrée équivalente à une figure quelconque, par exemple, un rectangle de longueur AB et de largeur BC. Et le fait de cette équivalence est ce à quoi conclut l'opération qui construit le carré de côté BD. Mais le pourquoi de cette équivalence, c'est que BD constitue la moyenne proportionnelle entre AB et BC. Découvrir un côté BD tel que AB : BD = BD : BC est donc ce qui permet de conclure à l'équivalence. C'est pourquoi la définition de la quadrature qui parle de la découverte de cette moyenne est une définition causale qui met en évidence la raison du fait. L'exemple d'Aristote se retrouvera chez Euclide (Éléments, II, 14 et VI, 13) qui démontre que AB : BD = BD : BC en construisant un demi-cercle de diamètre ABC et en tirant, du point B, la perpendiculaire au diamètre jusqu'au point D de la demi-circonférence.» (Bodéüs, 141, note 2) 

(86) Léonine: hoc. Marietti: haec. 64

87) Léonine: sex palmorum. Marietti: sex palmorum. Quia sicut se habent sex ad novem, ita quatuor ad sex.

(88) Léonine: aequale. Marietti: quod est aequale.

(89) Léonine: aequalia. Marietti: aequalia, et cetera.

(90) «Ratio conclusionis», idest per demonstrationem conclusa.

(91) Léonine: quod inducitur. Marietti: quod hic inducitur.

(92) Léonine: dicetur. Marietti: dicitur. 

(93) Léonine: vero. Marietti: autem.

(94) Léonine: quatuor praedictorum, quod dicuntur vivere. Marietti: quatuor praedictorum modorum viventium, dicuntur vivere.

(95) Léonine: sursum neque deorsum. Marietti: sursum et deorsum.

(96) Léonine: addit. Marietti: dicit. 66

(97) Léonine: est. Marietti: potest esse.

(98) Léonine: sufficiat. Marietti: sufficiet.

(99), l'essence pour le sensitif et l'opinatif. Voir supra, note 35, sur l'expression …

(100) Le contexte est trop large, ici, pour restreindre à l'animal. Voir supra, I, #7, note 3

(101) c'est-à-dire, comme le précisera saint Thomas, la partie de l'âme apte à être perfectionnée par la science.

(102), la partie du corps apte à la santé.

(103

(104)Léonine: motivo. Marietti: motivo secundum locum.

(105) Secundum rationem.

(106) Léonine: loco. Marietti: loco et subiecto

(107 Léonine: dubitatio est. Marietti: dubium est.

(108 Léonine: videmus. Marietti: videtur. 

(109) Léonine: quae. Marietti: ita in eis quae. 

(110) Léonine: forma. Marietti: anima.

(111) Léonine: si. Marietti: quod si. 

(112) Léonine: enim. Marieti: autem.

(113) Léonine: non sine quo. Marietti: sine quo.

(114) Léonine: possit. Marietti: posset.

(115) Léonine: in quibus. Marietti: quod in quibusdam.

(116) Léonine: sint. Marietti: sunt.

(117) Léonine: possit esse dubium. Marietti: circa hoc possit esse dubium.

(118) Moerbeke traduit par perspectiva.

(119) De intellectu (Léonine: et ), quocumque nomine vocetur, perspectiva potentia, idest speculativa.

(120) Léonine: vel distinctum. Marietti: distinctum. 69 

(121) Léonine: et alio modo esse habens. Marietti: et alio modo se habens.

(122) Léonine: abinvicem. Marietti: adinvicem.

(123) Léonine: sunt. Marietti: sint.

(124) Léonine: hoc. Marietti: hic

(125) Animalibus. Voir supra, note 99. 

(126) Léonine: in eis sit. Marietti: sit.

(127) Léonine: autem. Marietti: vero.

(128) Léonine: adinvicem. Marietti: abinvicem. 70 

(129) Léonine: quasi actus. Marietti: et quasi actus.

(130) La grammaire de cette phrase est laborieuse: «Semper enim activorum actus, idest formae, quae inducuntur ab agentibus in materia, videntur esse in patiente et disposito, idest in eo quod est natum pati actionem (Marietti: actiones) agentis a tali agente, et quod est dispositum ad consequendum finem passionis, scilicet formam ad quam patiendo perducitur.»

(131) Léonine: ex utrisque. Marietti: compositum ex utrisque.

(132) Léonine: autem. Marietti: enim.

(133) Léonine: ut nunc dictum est. Marietti: ut dictum est.

(134) Léonine: relinquitur. Marietti: sequitur.

(135) Léonine: neque corpus. Marietti: neque sit corpus. 

(136) Léonine: philosophi. Marietti: physici.

(137) Léonine: sicut nos dicimus. Marietti: sicut nunc dicimus.

(138) Léonine: habentis huiusmodi in potentia. Marietti: habentis huiusmodi.

(139)  Ailleurs appelé , peut-être selon qu'on pense à l'aspect intuitif ou discursif de l'opération intellectuelle, puisqu'on trouve les deux joints ensemble quelques lignes plus loin, où c'est qui représente l'intelligence immédiate.

(140) Les trois appétits sont nommés par leur opération la plus caractéristique: le désir nomme l'appétit concupiscible, la colère l'irascible et la volonté l'appétit rationnel. 

(141)  L'action de rendre agréable par le mélange, d'où assaisonnement.  

(142) Prout alicuius potentis multa, partes dici possunt potestates ad singula (Marietti: singulas). 

(143) Léonine: de partibus animae. Marietti: de partibus eius.

(144) Léonine: adinvicem. Marietti: abinvicem.

(145) Léonine: adinvicem. Marietti: abinvicem.

(146) Léonine: adinvicem. Marietti: abinvicem.

(147) Léonine: hic. Marietti: haec.

(148) Rei viventis.

(149) Léonine: unicuique. Marietti: unicuique rei.

(150) Léonine: secundum esse quod invenitur in viventibus. Marietti: secundum quod invenitur in viventibus. 

(151) Léonine: hic. Marietti: haec. 

(152) Moerbeke traduit en s'éloignant de la terminologie plus appropriée au domaine sensible. Aristote disait: « », «à qui appartient le sens, appartiennent aussi plaisir et peine, et plaisant et pénible», énumérant tour à tour deux passions et leur objet respectif; Moerbeke traduit: «cui autem sensus inest, huic et laetitia, et tristitia, et dulce et triste», «à qui appartient le sens, appartiennent aussi joie et tristesse, doux et triste», où les passions se trouvent nommées avec des noms qui conviennent plus aux mouvements de l'appétit rationnel. Thomas doit donc commente: «quibus autem inest sensus, inest laetitia et tristitia, idest (mot omis par Marietti) delectatio et dolor», pour redonner les noms plus appropriés des passions sensibles, que vise manifestement Aristote dans le contexte.

(153) Léonine: est. Marietti: inest.

(154) A primo ad ultimum. Il s'agit d'une expression technique pour introduire la conclusion finale d'une suite d'arguments.

(155) Où Aristote dit simplement: « », «c'est de ces qualités que le toucher est le sens, tandis qu'il n'est que par accident celui des autres sensibles», Moerbeke traduit: «horum autem sensus est tactus: sed aliis sensibilibus secundum accidens aluntur », «or le sens de ces qualités est le toucher: mais quant aux autres sensibles, ils ne s'en nourrissent que par accident». D'où l'orientation du commentaire.

(156) Où Aristote parle de , saveur, Moerbeke traduit humor, le terme qui s'assimile étymologiquement au terme grec et en partage le sens général de liquide, fluide. Saint Thomas doit revenir au sens plus précis du contexte avec sapor.

(157) Concupiscentia. 

(158) Léonine: est appetitus. Marietti: est etiam appetitus.

(159) Léonine: numeri. Marietti: numeris.

(160) Léonine: quae sit idea communis. Marietti: quae sit communis.

(161) Animalibus. Voir supra, p. 49, note 200.

(162) Léonine: omnibus animabus. Marietti: omnibus. 

 (163) Léonine: vegetativum. Marietti: vegetativa.

(164) Léonine: et non quasi anima per se. Marietti: et quasi anima per se.

(165)

(166) Léonine: quid modo. Marietti: quid aliud modo.

(167) Léonine: primum. Marietti: unum.

(168)  Léonine: nulli partium. Marietti: nulli animae partium. 

(169) Léonine: huius enim causam. Marietti: huiusmodi enim causam.

(170) Léonine: esse naturale. Marietti: esse.

(171) Léonine: non est sine. Marietti: non potest esse sine.

(172) Léonine: intelligendum est hoc de. Marietti: intelligendum est de.

(173) Illud autem, quod est ultimum inter omnes partes animae et minimum. Minimum traduit , ce qu'il y a de moins nombreux, ce dont il y a le moindre nombre. Le sens obvie est qu/il s'agit du groupe le moins nombreux; la traduction latine au singulier conduit saint Thomas à un sens plus profond: le groupe qui ne comporte pas de subdivision en espèces. 

(174) Léonine: item. Marietti: iterum.

(175) Léonine: stramenta. Marietti: instrumenta.

(176) Imaginatio.

(177) Léonine: sed nec etiam imaginatio. Marietti: sed non etiam imaginatio.

(178) Léonine: quod. Marietti: quia. 

(179) Phantasiam. 

(180) Si tamen phantasia est idem cum imaginatione, ut videtur.

(181) Phantasiam. 

(182) Léonine: indeterminate. Marietti: indeterminatam.

(183) Léonine: non adest. Marietti: non est eadem.

(184) Est enim principium (Marietti: principium quoddam ) agendi vel patiendi.

(185) Aegrotatio, l'action de devenir malade, ou plus malade; le contraire de la guérison. 

(186) Léonine: obiecto. Marietti: in obiecto.   

(187) Léonine: autem. Marietti: etiam. 

(188) Léonine: cognitione. Marietti: cognitionem. 

(189

(190) Une autre version a , animés. Sans changer le sens, la formulation est alors moins forte, et la comparaison animal-plante qui suit fait figure de division plutôt que de suite de l'énumération. 

(191) Léonine: ultimo. Marietti: penultimo

(192) Léonine: omis. Marietti: in tertia.

(193) Léonine: premanifestat. Marietti: manifestat.

(194) Léonine: huius. Marietti: huiusmodi.

(195) Léonine: ab extrinseco. Marietti: extrinseco.

(196) Léonine: in actu minus perfecto. Marietti: in actu minus perfecte.

(197) Léonine: subiectum iam habens. Marietti: subiectum habens.

(198) Léonine: calore. Marietti: a calore.

(199) Léonine: hic. Marietti: hoc. 

(200) Léonine: ipso esse sempiterno. Marietti: ipsi esse sempiterno.

(201) Léonine: quod est esse idem simpliciter. Marietti: quod est ese unum simpliciter

(202) Léonine: animalibus, et plantis, et rebus inanimatis. Marietti: animalibus, et rebus inanimatis.

(203) Léonine: viventis corporis. Marietti: moventis corporis. 

(204) Motu processivo.

(205)

(206) Léonine: partes. Marietti: pedes. 

(207) Léonine: deorsum. Marietti: in deorsum. 

(208) Léonine: sursum. Marietti: in sursum. 

(209) Léonine: in viventibus etiam mortalibus. Marietti: in viventibus etiam et mortalibus.

(210) Léonine: viventibus. Marietti: animalibus vel viventibus.

(211)Léonine: virtute. Marietti: in virtute.

(212) Léonine: augmenti et alimenti, si… Marietti: augmenti. Sed… 

(213) Secundum quod se habet. Il faut lire: secundum quod in se habet, ou: secundum quod ipse habet.

(214) Decoqui. 

(215) Léonine: dicit. Marietti: dicere … verum est.

(216) Léonine: simpliciter. Marietti: principaliter.

(217) Léonine: sed magis. Marietti: sed.

(218) Ratio.

(219) Léonine: et. Marietti: vel.

(220) Léonine: se habent indifferenter. Marietti: se habent differenter.

(221) Léonine: et. Marietti: vel.

(222) Léonine: aliqua. Marietti: alia.

(223) Léonine: infra. Marietti: ultra. 

(224)

(225   

(226) Léonine: sub. Marietti: ab.

(227) Léonine: vegetativae. Marietti: generativae.

(228) Léonine: huius partie animae. Marietti: huius partis, idest animae.

(229) Léonine: sit contrarietas. Marietti: sit aliqua contrarietas

(230) Léonine: ad alimentum. Marietti: alimentum.

(231) Léonine: apparet. Marietti: non apparet.

(232) Léonine: circa determinata. Marietti: circa praedeterminata. 

(233) Léonine: et est terminus. Marietti: est terminus.

(234) Léonine: et si utrumque horum alimentum. Marietti: et si dici possit utrumque horum alimentum.

(235) Léonine: per hunc modum potest augere. Marietti: per hunc modum alimentum potest augere.

(236) Léonine: aliquo modo dicunt non recte. Marietti: aliquo modo non dicunt recte.

(237) Léonine: congruit. Marietti: convenit.

(238) Léonine: quia nihil nutritur. Marietti: nihil nutritur.

(239) Léonine: sequitur. Marietti: sequitur ergo.

(240) Léonine: igni iam accenso. Marietti: igne accenso. 

(241) Léonine: et nutritur et augetur. Marietti: nutritur et augetur.

(242) Léonine: contingit in. Marietti: convenit.

(243) Est superfluum alimenti.

(244) Léonine: circa primum duo facit. Marietti: circa primum.

(245) L'onine: alens. Marietti: alens primum. 

(246) Léonine: nominentur. Marietti: denominentur.

(247) Figuraliter. 

(248) Œuvre perdue. 

(249) Léonine: partem. Marietti: animam.

(250) Léonine: quod si sensus. Marietti: quod sensus.

(251) Léonine: cum. Marietti: et cum. 

(252) Léonine: fit. Marietti: sunt.

(253) Léonine: item. Marietti: etiam.

(254)  Léonine: solvi non possunt. Marietti: per se solvi non possunt.

(255) Léonine: in actu. Marietti: actu. 

(256)   

(257

(258)  La plupart des manuscrits ont a9sqhsin, sens, mais cela fait… moins de sens.

(259) La traduction de Moerbeke fait état de plusieurs mots absents des manuscrits: «Hic autem ex eo quod habet sensum aut grammaticam, non agit autem ex eo quod ad agendum excitatur, verum alio modo, atque antea cum nondum habitum esset adeptus.» Le sens n'est pas aisé à dégager: «Tandis que l'autre, d'une autre manière, puisqu'auparavant il n'avait pas encore acquis l'habitus, en passant du fait qu'il a le sens ou la grammaire, sans l'exercer, à l'exercer du fait de s'y trouver excité.»