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table des matières de l'oeuvre d'Aristote

 

ARISTOTE

 

Thomas d’Aquin

 

Commentaire au traité de l’âme 

 

Livre I Livre I (suite) Livre II Livre II (suite) Livre III

LIVRE I (1ère partie) 

traduction par Yvan Pelletier

2000

Site http://www.thomas-d-aquin.com/

Yvan Pelletier Yvan Pelletier (né en 1946) est professeur titulaire à la Faculté de philosophie de l'Université Laval, où il enseigne depuis 1975 et où il a complété sa formation philosophique jusqu'au doctorat, en s'attachant à l'enseignement de Mgr Maurice Dionne, de M. l'abbé Jasmin Boulay et de MM. Warren Murray, Alphonse Saint-Jacques et quelques autres professeurs d'une tradition aristotélico-thomiste initiée à cette faculté par M. Charles De Koninck. Son enseignement est agencé de façon à offrir aux étudiants du baccalauréat une présentation des principes fondamentaux et de la méthode de chacune des disciplines philosophiques de base - dans une perspective aristotélicienne : éthique, politique, physique, métaphysique - et aux étudiants de maîtrise et doctorat une réflexion critique sur les éléments du credo contemporain - démocratie, nouvelle morale, logique symbolique, dissociation de l'être et du devoir, primauté de la conscience, etc. - à partir de ces principes fondamentaux.   

 


 

 

LIVRE PREMIER.

Leçon 1 

#1. — Comme l'enseigne le Philosophe, Des animaux, XI, en tout genre de choses, il faut regarder d'abord et séparément ce qu'il y a de commun à tout le genre, et venir par après à ce qu'il y a de propre à chacun de ses éléments. Ce procédé, Aristote le respecte en philosophie première. En effet, dans la Métaphysique, il regarde et traite en premier ce qu'il y a de commun à l'être en tant qu'être, et c'est par après qu'il regarde ce qu'il y a de propre à chaque être. La raison en est que si l'on ne faisait pas cela, on redirait souvent la même chose. Par ailleurs, il y a comme un genre pour tous les êtres animés; c'est pourquoi, en jetant son regard sur les êtres animés, il faut d'abord regarder ce qu'il y a de commun à tout ce qui est animé, et seulement par la suite ce qu'il y a de propre à n'importe quel être animé. Or ce qui est commun à tous les êtres animés, c'est l'âme: en cela, en effet, tous les êtres animés se ressemblent. En vue donc d'aborder la science des êtres animés, il était nécessaire de transmettre d'abord la science de l'âme, car elle leur est commune. Aussi, Aristote, dans l'intention de transmettre la science qui porte sur les êtres animés eux-mêmes, transmet en premier la science de l'âme, puis il traite ensuite, dans les livres qui suivent, ce qu'il y a de propre aux êtres animés singuliers. 

#2. — Dans le traité de l'âme que nous avons dans les mains, il présente en premier un proème, dans lequel il fait trois considérations nécessaires en tout proème. Car celui qui fait un proème a trois intentions : en premier, en effet, de rendre son auditeur bienveillant ; en second, de le rendre docile ; en troisième, de le rendre attentif. Il le rend bienveillant, bien sûr, en montrant l'utilité de la science; docile, en annonçant l'ordre et la division du traité; attentif, en témoignant de la difficulté du traité. Ce sont les trois considérations qu'Aristote fait dans le proème de son traité. En premier, en effet, il montre la dignité de cette science. En second (402a7), l'ordre de ce traité, à savoir, quel est-il et de quelle manière on doit traiter de l'âme. En troisième (402a10), enfin, il montre la difficulté de cette science. Sur le premier point, il fait deux considérations. En premier, il montre la dignité de cette science. En second (402a4), son utilité. 

#3. — Sur le premier point, on doit savoir que toute science est bonne; et non seulement bonne, mais aussi honorable. Néanmoins, en cela, une science l'emporte sur l'autre. Que toute science soit bonne, c'est évident, toutefois, parce que le bien d'une chose est ce d'après quoi une chose a son être parfait: car c'est cela que toute chose cherche et désire. Comme donc la science est la perfection de l'homme en tant qu'homme, la science est le bien de l'homme. Parmi les biens, toutefois, certains sont louables, à savoir, ceux qui sont utiles en vue d'une fin — en effet, nous louons le bon cheval, parce qu'il court bien; mais d'autres sont en plus honorables, à savoir, ceux que l'on cherche pour eux-mêmes — car nous honorons les fins. Or parmi les sciences, certaines sont pratiques et d'autres spéculatives; elles diffèrent du fait qu'on veut les pratiques en vue d'œuvres à faire, tandis qu'on veut les spéculatives pour elles-mêmes. C'est pourquoi, les sciences spéculatives sont à la fois bonnes et honorables, tandis que les pratiques sont seulement louables. Toute science spéculative est donc bonne et honorable. 

#4. — Cependant, on trouve aussi dans les sciences spéculatives elles-mêmes des degrés quant à leur bonté et leur honorabilité. En effet, on loue toute science d'après ce qu'elle fait; or on loue tout ce qui se fait sous deux aspects: son objet et sa qualité, c'est-à-dire la façon de le faire. Par exemple, construire est mieux que fabriquer un lit, parce que l'objet de la construction est meilleur qu'un lit. Par ailleurs, à regarder la même chose, la qualité fait aussi une gradation, parce meilleure est la façon de faire un édifice, meilleur est l'édifice. Ainsi donc, si on regarde une science, ou ce qu'elle fait, sous l'aspect de son objet, il est évident que cette science est plus noble qui porte sur des objets meilleurs et plus honorables. Tandis que si l'on regarde sous l'aspect de la qualité, c'est-à- dire de la façon de faire, cette science-là est plus noble qui est plus certaine. Ainsi donc, on dit une science plus noble qu'une autre ou bien parce qu'elle porte sur des objets meilleurs et plus honorables, ou bien parce qu'elle est plus certaine. 

#5. — Mais cela varie en certaines sciences, car certaines sont plus certaines que d'autres et elles portent toutefois sur des choses moins honorables, tandis que d'autres portent sur des choses plus honorables et meilleures et sont toutefois moins certaines. Néanmoins, celle-là est meilleure qui porte sur des choses meilleures et plus honorables. La raison en est que, comme le dit le Philosophe, Des animaux, XI, nous désirons davantage savoir un peu sur les choses les plus honorables et les plus élevées, même si c'est par lieux et endoxes (01) que nous le savons, que de savoir beaucoup et avec certitude sur des choses moins nobles. Le premier tient sa noblesse de soi et de sa substance, tandis que l'autre la tient de sa façon de faire et de sa qualité. 

#6. — Or cette science-ci, celle qui porte sur l'âme, détient les deux avantages. D'un côté, en effet, elle est certaine, car n'importe qui expérimente cela en lui-même, qu'il a une âme, et que son âme le tient en vie. De l'autre, elle porte aussi sur un objet plus noble, car l'âme est ce qu'il y a de plus noble parmi les créatures inférieures. Et c'est ce qu'il dit, que «nous pensons que le savoir», c’est-à-dire toute science, «compte parmi les biens», c'est-à-dire est au nombre des biens, «et de ceux qu'on honore». Cependant, une science est davantage bonne et honorable qu'une autre de deux façons: soit parce qu'elle est plus certaine, comme on l'a dit — aussi dit-il: «d'après sa certitude», soit du fait qu'elle «porte sur les meilleurs objets», sur ceux, à savoir, qui sont bons en leur nature, «et sur les plus merveilleux», c'est-à-dire sur ceux dont la cause est ignorée; or «c'est de l'une et l'autre façon», c'est-à-dire en raison de ces deux avantages, «que l'est l'histoire de l'âme». Et il parle d'histoire, parce que, dans ce traité, il traite de l'âme d'une façon un peu sommaire, sans se rendre à l'investigation finale de tout ce qui concerne l'âme même. Cela appartient en effet à la notion même d'histoire. Pour ce qui est de situer la science de l'âme «en premier», si on le prend quant à toute la science naturelle, cela ne dit pas l'ordre, mais la dignité. Si par contre on le prend en rapport à la seule science des êtres animés, alors «en premier» dit l'ordre. 

#7. — Ensuite (402a4), il rend son auditeur bienveillant à partir de l'utilité de cette science, en disant que la connaissance de l'âme semble bien profiter beaucoup à toute vérité transmise dans les autres sciences. En effet, elle donne des occasions remarquables à toutes les parties de la philosophie. Parce que, si nous portons attention à la philosophie première, nous ne pouvons accéder à la connaissance des causes divines et les plus hautes sans passer par ce que nous comprenons en premier à l'examen de la faculté d'intelligence (02). Car si la nature de l’intelligence possible nous demeurait ignorée, nous ne pourrions connaître l'ordre des substances séparées, comme le dit le Commentateur, à propos de Métaphysique, XI. Si, par ailleurs, nous portons notre attention à la morale, nous ne pouvons arriver parfaitement à la science morale sans connaître les puissances de l'âme. D'où le Philosophe, Éthique à Nicomaque, I, c. ult., attribue toutes les vertus aux diverses puissances de l'âme. À la philosophie naturelle, maintenant, cette science est aussi utile, parce qu'une grande partie des êtres naturels ont une âme, et que l'âme elle-même est source et principe de tout mouvement chez les êtres animés. L'âme «agit en effet comme principe des vivants» (03). Ce comme n'indique pas la similitude, mais le titre. 

#8. — Ensuite (402a7), il montre l'ordre de ce traité, disant que nous avons l'intention de regarder (04), c’est-à-dire avec des signes, et de connaître (05), c’est-à-dire avec démonstration, ce qu'est l'âme, c'est-à-dire, sa nature propre et son essence, «et ensuite tout ce qui se produit à son propos», c'est-à-dire ses affections (06). Il se trouve là quelque diversité, car certaines semblent bien des affections de l'âme seulement, comme l'intelligence et la spéculation, tandis que d'autres semblent, par l'âme, appartenir communément aux animaux, comme le plaisir et la tristesse, le sens et l'imagination. 

#9. — Ensuite (402a11), il montre la difficulté de ce traité. Cela, sous deux aspects. D'abord pour ce qui est de connaître l'essence de l'âme. En second (403a3) pour ce qui est d'en connaître les accidents, c'est-à-dire ses affections. Quant au premier aspect, il montre une double difficulté. En premier pour ce qui est de la manière de la définir. En second (402a23), pour ce qui est de ce qui entre dans la définition. Il dit donc: bien que la science de l'âme soit utile, il est cependant difficile de savoir de l'âme ce qu'elle est; et c'est une difficulté en toute chose, comme c'est là une question commune à l'âme et à beaucoup d'autres, celle qui porte sur leur essence et sur ce qu'elles sont. La première difficulté, donc, c'est que nous ne savons pas par quelle voie on doit arriver à la définition, car certains disent que c'est en démontrant, d'autres que c'est en divisant, et d'autres que c'est en composant. Aristote, lui, a voulu que ce soit en composant. 

#10. — La seconde difficulté porte sur ce que l'on met dans la définition. En effet, la définition fait connaître l'essence de la chose, et celle-ci ne peut être connue sans qu'on connaisse ses principes; cependant, à des choses différentes conviennent des principes différents; c'est pourquoi il est difficile de savoir d'où tirer les principes. Donc, ce qui entraîne de la difficulté, pour qui établit et investigue la définition, se ramène à trois sources, dont la première a trait à l'essence de l'âme, la seconde à ses parties et la troisième au complément qui devient nécessaire dans les définitions en rapport aux accidents de l'âme. 

#11. — En rapport à l'essence, il y a une difficulté sur son genre. C'est en effet ce que nous cherchons en premier, dans la définition de toute chose : à connaître son genre. C'est pourquoi on doit chercher dans quel genre on doit placer l'âme : si c'est dans le genre de la substance, ou de la quantité, ou de la qualité. Et il n'y a pas seulement lieu de prendre le genre suprême, mais aussi le prochain. En effet, quand nous définissons l'homme, nous ne prenons pas la substance, mais l'animal. Si en outre l'âme se trouve dans le genre de la substance, comme chaque genre se dit en deux sens, tel en puissance, bien sûr, et tel autre en acte, on doit chercher si l'âme sera puissance ou acte. De plus, comme certaines substances sont composées et d'autres simples, on aura à chercher si l'âme est composée ou simple; et si elle est divisible ou indivisible. Il y a aussi la question de savoir si toute âme relève d'une espèce unique pour toute âme ou non. Et si elle ne relève pas d'une espèce unique, il y a encore la question de savoir si les âmes diffèrent aussi en genre ou non (07). Il y a encore une difficulté sur ce qui participe à la définition. Des éléments se définissent en effet comme genre, tandis que d'autres comme espèces. C'est pourquoi il semble bien y avoir une question de savoir si la définition de l'âme est celle comme d'un genre, ou comme d'une espèce spécialissime. 

#12. — En effet, certains de ceux qui enquêtent sur l'âme semblent bien ne viser que l'âme humaine. Mais chez les anciens philosophes, il existait une double opinion sur l'âme. Les Platoniciens, en effet, qui soutenaient l’existence d’universels séparés, c'est-à-dire des formes et des idées qui seraient causes, pour les choses particulières, de leur connaissance et de leur être, voulaient qu'il y eût une âme séparée, par soi, qui serait, pour les âmes particulières, leur cause et leur idée, et que tout ce qui se trouverait en elles dériverait d'elle. Par contre, les philosophes naturels voulaient qu'il n'y ait de substances naturelles que des particulières (08), et que les universaux ne correspondent à rien dans la réalité. Pour cette raison, la question surgit, si on doit seulement chercher une nature commune de l'âme, comme disaient les Platoniciens, ou une nature pour telle ou telle âme, comme disaient les naturalistes, à savoir, pour les âmes du cheval, ou de l'homme, ou du Dieu. Il dit du Dieu, parce qu'on croyait que les corps célestes étaient des Dieux, et on disait qu'ils étaient animés.  

#13. — Aristote, lui, veut que l'on cherche une nature de l'un et l'autre type: une commune pour l'âme, et une particulière à chaque espèce. Sur ce qu'il dit à ce sujet, que «l'animal universel ou bien n'est rien ou bien vient après», on doit savoir que nous pouvons parler en deux sens de l'animal universel: soit selon qu'il est universel, — au sens où il est unique en plusieurs sujets ou à propos de plusieurs sujets —, ou bien selon qu'il est animal, et si c'est selon qu'il est universel, ce sera ou bien comme il est dans la réalité, ou bien comme il est dans l'intelligence. Comme il est dans la réalité, Platon a voulu que l'animal universel soit quelque chose et qu'il soit antérieur au particulier, car, comme il a été dit, il établissait des universels séparés et des idées. Aristote, par contre, veut que l'universel comme tel ne soit rien dans la réalité. Et s'il est quelque chose, il a dit qu'il vient après. Par ailleurs, si nous entendons la nature de l'animal non pas en ce qu'elle est sujette à l'intention d'universalité, alors il est quelque chose, et quelque chose d'antérieur, comme ce qui est en puissance est antérieur à ce qui est en acte. 

#14. — Ensuite (402b9), il touche des difficultés qui surgissent à propos des puissances de l'âme. Dans l'âme, en effet, il y a des parties potentielles, à savoir, l'intellectif, le sensitif et le végétatif. Il y a donc la question de savoir si ces parties constituent des âmes différentes, comme les Platoniciens le voulaient, ou si ce sont des parties potentielles de l'âme. Et si ce sont des parties potentielles de l'âme, on se demande aussi si nous devons enquêter d'abord sur les puissances mêmes plutôt que sur les actes, ou bien en premier sur les actes plutôt que sur les puissances, par exemple sur l'acte d'intelliger plutôt que sur l'intelligence, et sur l'acte de sentir, qui est un acte, plutôt que sur le sensible, qui est une puissance, et pareillement pour les autres puissances et actes. Et si nous devons enquêter sur les actes d'abord, plutôt que sur les puissances, il y aura encore la question de savoir si on doit d'abord chercher les objets de ces actes plutôt que leurs puissances, par exemple, de sorte qu'on doive enquêter d'abord sur l'objet sensible plutôt que sur la faculté sensible, ou sur l'objet intelligible plutôt que sur la faculté intellectuelle. 

#15. — Ensuite (402b16), il présente les difficultés qui surgissent en rapport aux éléments qui complètent la définition de l'âme. Car dans une définition, il faut qu'on connaisse non seulement ce qu'il y a d'essentiel comme principes, mais aussi ce qu'il y a d'accidentel. De fait, si on définissait et pouvait connaître correctement les principes essentiels, la définition n'aurait pas besoin des principes accidentels. Mais comme les principes essentiels des choses nous sont ignorés, voilà la raison pourquoi il faut que nous nous servions des différences accidentelles pour désigner les essentielles: car d'être bipède n'est pas essentiel, mais on le met dans la désignation d'une différence essentielle. Et par leur moyen, à savoir, par le moyen des différences accidentelles, nous parvenons à la connaissance des différences essentielles. La raison pour laquelle c'est difficile, c'est qu'il nous faut d'abord connaître la quiddité de l'âme pour connaître plus facilement les accidents de l'âme; en mathématique, par exemple, il est très utile de concevoir d'abord la quiddité du droit et du courbe et du plan pour saisir que les angles d'un triangle sont égaux à des angles droits. Inversement aussi, si on conçoit d'abord les accidents, cela aide beaucoup à saisir la quiddité, comme on l'a dit. Si donc on assigne une définition par laquelle on n'accède pas à la connaissance des accidents de la chose définie, cette définition n'est pas réelle, mais éloignée et dialectique. Par contre, la définition par laquelle on accède à la connaissance des accidents est réelle et procède des différences propres et essentielles de la chose.

 Leçon 2 

#16. — Après avoir montré la difficulté qu'il y a dans la science de l'âme du côté de son essence et de la quiddité de l'âme, le Philosophe montre ici ensuite la difficulté qu'il y a du côté des affections et des accidents de l'âme. À ce sujet, il fait deux considérations : en premier, il soulève une difficulté sur les affections de l'âme et la résout ; en second (403a27), partant d'une solution de la sorte, il montre que la connaissance de l'âme appartient à la philosophie naturelle, c'est-à-dire à la physique. Il dit donc en premier qu'il y a une difficulté à propos des affections de l'âme, et de ses opérations, à savoir si elles sont propres à l'âme sans participation de corps, comme il semblait à Platon, ou bien si aucune n'est propre à l'âme et que toutes soient communes au corps et au composé.  

#17. — Ensuite (403a5), il fait deux considérations à ce sujet : en premier, en effet, il montre la difficulté d'une question de la sorte ; en second (403a10), sa nécessité. Discerner cela, commence-t-il, à savoir, si les affections et les opérations de l'âme sont communes ou propres, est nécessaire, et n'est pas léger, mais très difficile. Que c'est difficile, il le montre en disant que la cause de la difficulté est qu'en apparence, il semble bien que beaucoup d'affections soient communes, et qu'il n'y ait pas d’affection sans corps, comme par exemple se fâcher et sentir et autres opérations de la sorte, où l'âme ne reçoit rien sans intervention de corps. Cependant, si une opération était propre à l'âme, cela paraîtrait avoir rapport à l'opération de l'intelligence. C'est d'intelliger, en effet, ce qui est l'opération de l'intelligence, qui semble le plus être propre à l'âme. 

#18. — Pourtant, si on regarde correctement, intelliger ne semble pas propre à l'âme. En effet, intelliger ou bien est de l'imagination, comme les Stoïciens le prétendaient, ou bien ne se fait pas sans imagination. Il y en a eu, en effet, comme les anciens naturalistes, qui disaient que l'intelligence ne différait pas du sens; s'il en était ainsi, l'intelligence ne différerait d'aucune façon de l'imagination; c'est pourquoi les Stoïciens ont été conduits à prétendre que l'intelligence est l'imagination. Comme, donc, l'imagination a besoin de corps, ils disaient qu'intelliger n'est pas propre à l'âme, mais commun à l'âme et au corps. Si par ailleurs on concède que l'intelligence n'est pas l'imagination, il y a quand même qu'on n'intellige pas sans l'intervention de l'imagination. Il reste encore qu'intelliger n'est pas le propre de l'âme, puisque l'imagination a besoin de corps. Il ne se peut donc pas que cette opération, à savoir, intelliger, aille sans corps. 

#19. — Bien qu'Aristote manifestera clairement cela au livre III, nous en exposerons quand même quelque chose. De fait, intelliger est d'une certaine manière propre à l'âme, et d'une autre manière appartient au composé. On doit donc savoir qu'il y une opération ou une affection de l'âme qui a besoin de corps comme de son instrument et objet. Par exemple, voir a besoin de corps comme d'un objet, parce que la couleur, qui est l'objet de la vue, existe dans un corps9. Et aussi comme d'un instrument, car bien qu'elle procède de l'âme, la vision ne se fait pourtant pas sans l'organe de la vue, à savoir, sans la pupille, qui est comme son instrument; et ainsi, voir n'appartient pas seulement à l'âme, mais aussi à l'organe. Par contre, il y a une opération qui a besoin de corps, non comme de son instrument cependant, mais seulement comme de son objet. En effet, intelliger ne se fait pas par un organe corporel, mais a besoin d'un objet corporel. Comme le Philosophe le dit en effet au livre III (#770, 772, 791, 854), les phantasmes entretiennent avec l'intelligence le rapport que les couleurs ont avec la vue. Or les couleurs se rapportent à la vue comme ses objets; les phantasmes, donc, se rapportent à l'intelligence comme ses objets. Comme, par ailleurs (10), il n'y a pas de phantasmes sans corps, il s'ensuit qu'intelliger n'aille pas sans corps, mais de sorte, toutefois, qu'il serve d'objet et non d'instrument. 

#20. — De cela deux conséquences s'ensuivent. L'une est qu'intelliger est une opération propre à l'âme et n'a besoin de corps que comme objet seulement, comme on a dit; mais voir et les autres opérations et affections n'appartiennent pas à l'âme seulement, mais au composé. L'autre est que ce qui a une opération à soi a aussi un être et une subsistance à soi; et que ce qui n'a pas d'opération à soi n'a pas d'être à soi. C'est pourquoi l'intelligence est une forme subsistante, tandis que les autres puissances sont des formes dans une matière. C'est en cela que consistait la difficulté d'une question de la sorte, à savoir, que toutes les affections de l'âme ont l'air d'appartenir au composé. 

#21. — Ensuite (403a10), il assigne la cause de la nécessité de cette question, à savoir, que c'est par là qu'on tient quelque chose que tous désirent beaucoup savoir sur l'âme, à savoir, s'il est possible que l'âme existe séparément: il dit que s'il est possible qu'une opération ou une affection appartienne en propre à l'âme, il est assurément possible que l'âme elle-même existe séparément du corps; c'est que, comme il est dit, ce qui a une opération à soi a aussi un être et une subsistance à soi. Mais s'il n'y avait aucune opération ou affection propre à l'âme, pour la même raison il ne serait pas possible que l'âme elle-même existe séparément du corps, mais il en irait de l'âme comme du droit. En effet, bien que beaucoup d'accidents appartiennent au droit en tant que droit, comme, par exemple, de toucher une sphère d'airain en un point, ceux-ci, cependant, ne lui appartiennent que dans une matière; en effet, le droit ne touche la sphère d'airain en un point que dans une matière. Il en ira ainsi de l'âme, si elle n'a pas d'opération propre: bien que de nombreux accidents lui appartiennent, ils ne lui appartiendront que dans une matière. 

#22. — Ensuite (403a16), il manifeste ce qu'il avait supposé, à savoir, que certaines affections de l'âme appartiennent au composé et non à l'âme seulement. Il manifeste cela à partir d'une considération qui consiste en deux autres. Le raisonnement va comme suit. Tout ce à quoi participe la complexion du corps n'appartient pas à l'âme seulement, mais aussi au corps; or la complexion du corps participe à toutes les affections de l'âme, par exemple à la colère, à la douceur, à la crainte, à l'assurance, à la miséricorde et ainsi de suite; il semble donc que toutes les affections de l'âme aille avec corps. Et qu'aux affections de la sorte participe la complexion du corps, il le prouve de deux manières. D'abord comme suit. Nous observons que parfois on subisse des événements pénibles et impressionnants et qu'on ne s'en trouve ni provoqué ni intimidé (11); par contre, si on a la fureur ou la complexion excitée d'avance, des objets très petits et faibles suffisent à nous émouvoir; c'est ce qui arrive quand on est fâché. Il le prouve de la seconde manière (403a22), en affirmant que la complexion du corps participe à des affections de la sorte. Nous observons en effet que même si aucun danger n'est imminent, il se produit chez certains des affections pareilles aux affections qui concernent l'âme; par exemple, les gens mélancoliques, quand aucun danger n'est imminent, deviennent souvent apeurés de par leur seule complexion désordonnée. Donc, puisqu'il en va ainsi, à savoir, que la complexion participe aux affections de la sorte, il est manifeste que les affections de la sorte «sont des natures incarnées en une matière (12)», c'est-à-dire, ont leur existence dans une matière. Pour cette raison, «de pareils termes», c'est-à-dire les définitions de ces passions, ne s'assignent pas sans matière; par exemple, si on définit la colère, on dira qu'elle est le mouvement «de tel corps…», c'est-à-dire le cœur, «… ou de telle partie, ou de telle puissance…»: et cela, il le dit en rapport au sujet ou cause matérielle; «… par telle cause…», en rapport à la cause efficiente; «… en vue de telle fin», en rapport à la cause finale. 

#23. — Ensuite (403a27), il conclut de ce qui a été dit que la considération de l'âme appartient au naturaliste. Cela, il le conclut à partir de la manière de définir. C'est pourquoi il fait ici deux considérations. D'abord, il prouve son propos. En second (403a29), il insiste sur les définitions. Il prouve son propos de la manière suivante. Les opérations et affections de l'âme sont des opérations et affections d'un corps, comme il a été montré. Or toute affection, quand on la définit, il faut mettre dans sa définition ce dont elle est une affection; car le sujet tombe toujours dans la définition d'une affection. Si donc des affections de la sorte n'appartiennent pas seulement à l'âme, mais aussi au corps, il faut de toute nécessité qu'on mette le corps dans leur définition. Or tout ce où il y a corps, ou matière, relève du naturaliste; donc, les affections de la sorte relèvent du naturaliste. En outre, celui à qui il appartient de traiter des affections, il lui appartient aussi de traiter leur sujet. C'est pourquoi désormais il appartient au naturaliste de traiter de l'âme «ou bien entière», absolument, «ou bien qui est de cette sorte», à savoir, celle qui est conjointe à un corps. Il ajoute cela parce qu'il était resté en doute si l'intelligence est une puissance conjointe à un corps. 

#24. — Ensuite (403a29), il insiste sur les définitions. Comme, en effet, il montre que parmi les définitions des affections de l'âme, il y en a dans lesquelles on met la matière et le corps, et d'autres dans lesquelles on ne met pas la matière, mais seulement la forme, il montre que des définitions de la sorte sont insuffisantes. À ce propos, il investigue la différence que l'on trouve entre ces définitions. Parfois, en effet, on donne une définition dans laquelle il n'y a rien du côté du corps, par exemple, que la colère est un désir de vengeance; parfois, on assigne une définition dans laquelle il y a quelque chose du côté du corps ou de la matière, par exemple, que la colère est le réchauffement du sang autour du cœur. La première est dialectique, tandis que la seconde est naturelle, puisqu'on y met quelque chose du côté de la matière; c'est pourquoi elle relève du naturaliste. Celui-ci, en effet, à savoir, le naturaliste, assigne la matière, quand il dit que la colère est le réchauffement du sang autour du cœur. L'autre, par contre, à savoir, le dialecticien, présente l'espèce et la notion13. Cela, en effet, à savoir, le désir de vengeance, est la notion de la colère. 

#25. — Que par ailleurs la première définition soit insuffisante, cela apparaît manifestement. Car toute forme qui existe dans une matière déterminée, à moins qu'on mette sa matière dans sa définition, cette définition sera insuffisante; or cette forme, à savoir, «le désir de vengeance», est une forme qui existe dans une matière déterminée; aussi, tant qu'on ne met pas sa matière dans sa définition, il va de soi que la définition même est insuffisante. Aussi faut-il à la définition que l'on mette, dans la définition, que celle-ci, à savoir, la forme, existe dans une matière de telle sorte, à savoir, déterminée. 

#26. — Ainsi nous avons trois définitions. L'une assigne l'espèce et la notion de l'espèce, et elle est seulement formelle, comme de définir une maison comme un abri contre vents, pluies et chaleurs. Une autre assigne la matière, comme de dire qu'une maison est une abri de pierres, de briques et de bois. Une autre encore assigne, c'est-à-dire met dans la définition, «l'une et l'autre», à savoir, la matière et la forme, en disant qu'une maison est un abri de tel aspect faite de tels matériaux, en vue de telles fins, à savoir, pour arrêter les vents, etc. C'est pourquoi il dit que l'«autre» définition, à savoir la troisième, dit «en cela», à savoir, en bois et en pierres, du côté de la matière, «l'espèce», c'est-à-dire, la forme, «en vue de cela», à savoir, pour arrêter les vents. Et ainsi, il embrasse la matière, quand il dit «en cela», et la forme, quand il dit «l'espèce», et la cause finale, quand il dit «en vue de cela»: les trois éléments sont requis à une définition parfaite. 

#27. — Si maintenant on se demande laquelle de ces définitions est naturelle et laquelle non, on doit répondre que celle qui regarde seulement la forme n'est pas naturelle, mais logique. Celle, par contre, qui porte sur la matière, mais ignore la forme, n'est que naturelle. Personne, en effet, n'a à regarder la matière, sinon le naturaliste. Néanmoins, celle qui procède des deux, à savoir, de la matière et de la forme, est plus naturelle. De fait, les deux définitions relèvent de la science naturelle; mais l'une est imparfaite, à savoir, celle qui présente seulement la matière, tandis que l'autre est parfaite, à savoir, celle qui procède des deux. Car il n'y a personne qui regarde les affections non séparables de la matière, sinon le naturaliste. 

#28. — Cependant, comme il y en a qui regardent autrement les affections de la matière, il montre qui ils sont et de quelle manière ils les regardent; il dit qu'il y en a trois. Il y en a un genre qui diffère du naturaliste en rapport au principe, même s'il regarde les affections pour autant qu'elles sont dans la matière; par exemple, l'artisan, qui regarde la forme dans la matière; leur différence est que son principe est l'art, tandis que le principe du naturaliste est la nature. Il y en a un autre genre qui regarde ce qui a son être dans une matière sensible, mais ne reçoit pas la matière sensible dans ses définitions; par exemple, le courbe, le droit et les qualités de la sorte, bien qu'elles aient leur être dans une matière, et qu'elles soient au nombre des choses qui ne s'en séparent pas pour leur être, le mathématicien, pourtant, ne détermine pas pour elles de matière sensible. La raison en est que certaines choses sont sensibles par leur quantité, et que les quantités préexistent aux qualités; aussi, le mathématicien ne s'intéresse qu'à ce qui relève absolument de la quantité, sans déterminer telle ou telle matière. Il y en a un autre genre qui regarde ce dont l'être n'est en une matière d'aucune façon, ou dont l'être peut aller sans matière; et lui, c'est le philosophe premier. 

#29. — On doit noter que tout le motif (14) de la division de la philosophie se tire des définitions et de la manière de définir. La raison en est que la définition est le principe de la démonstration des choses, alors que les choses se définissent par leurs différences essentielles. Aussi, des définitions différentes des choses démontrent des principes essentiels différents, à partir desquels une science diffère d'une autre. 

#30. — Ensuite (403b16), comme il semblait faire des digressions du fait qu'il insiste sur l'examen des définitions, il se ramène à sa matière propre, en disant qu'on doit retourner à la matière propre d'où est parti le discours, à savoir, que les affections de l'âme, comme l'amour, la crainte et les autres de la sorte, ne sont pas séparables de la matière naturelle des vivants, en tant qu'elles sont de telle nature, à savoir, en tant qu'affections qui ne vont pas sans corps, et ne sont pas comme la ligne et le plan, c'est-à-dire la superficie, qui peuvent en raison se séparer de la matière naturelle. Si donc il en est ainsi, l'examen de ces choses regarde la science naturelle, et aussi celui de l'âme, comme il a été dit. En visant «celle-ci», à savoir l'âme, il est nécessaire, à présent, de recevoir les opinions des anciens, quels qu'ils soient, qui ont énoncé quelque chose à son sujet. Cela sera utile à deux fins. En premier, parce que ce qui a été bien dit par eux, nous le recevrons à notre aide. En second, parce que ce qui a été mal énoncé, nous l'éviterons. 

Leçon 3 

#31. — Plus haut, le Philosophe a présenté un proème, dans lequel il a montré son intention, ce qu'il y a à faire et la difficulté de ce travail. Ici, il entreprend maintenant son traité selon l'ordre promis. Ce traité se divise en deux parties. En premier, en effet, il traite de la nature de l'âme d'après l'opinion des autres philosophes. En second (412a1), il en traite en rapport à la vérité; c'est ce qu'il fait au livre II. La première partie se divise en deux parties. En premier, en effet, il raconte les opinions des autres philosophes sur l'âme. En second (405b31), il enquête sur leurs opinions. La première partie se divise en deux. En premier, en effet, il montre à partir d'où les philosophes ont trouvé une voie pour investiguer sur l'âme. En second (403b28), il montre comment différents philosophes sont parvenus à différentes opinions à propos de l'âme. 

#32. — Il dit donc, en premier, que le point de départ de notre question, c'est-à-dire de notre recherche, c'est de pointer tout ce qui semble bien appartenir en nature à l'âme. À ce propos, on doit savoir que lorsqu'on s'aperçoit que deux choses diffèrent quant à quelque chose de manifeste et quant à quelque chose de non manifeste, il est certain que c'est par le moyen de ce qui est manifeste qu'on viendra à la connaissance de ce qui ne l'est pas. C'est ce procédé qu'ont tenu les philosophes pour découvrir la nature de l'âme. C'est que les êtres animés diffèrent des êtres inanimés par ceci que les êtres animés ont une âme, tandis que les êtres inanimées n'en ont pas. Mais comme la nature de l'âme n'était pas manifeste, et qu'elle ne pouvait s'investiguer que par le moyen de différences manifestes entre les êtres animés et inanimés, les philosophes ont découvert celles-là et se sont efforcés d'après elles de parvenir à la connaissance de la nature de l'âme. Or ces différences manifestes entre les êtres animés et inanimés, il y en a deux, à savoir, sentir et se mouvoir. En effet, les êtres animés semblent bien différer des êtres inanimés surtout par le mouvement, à savoir par le fait qu'ils se meuvent d'eux-mêmes, et par le sens, c'est-à-dire par la connaissance. Aussi croyait-on que lorsqu'on saurait les principes de ces deux propriétés, on saurait ce qu 'est l'âme. C'est pourquoi on a travaillé à connaître la cause du mouvement et de la sensation, de façon à connaître par elle la nature de l'âme; car on croyait que ce qui est cause du mouvement et de la sensation, c'est l'âme. En cela, tous les anciens philosophes se ressemblaient. Mais à partir de là, les anciens se sont divisés en différentes opinions. C'est que certains se sont efforcés de parvenir à la connaissance de l'âme par le mouvement, et d'autres par la sensation. 

#33. — C'est pourquoi il montre leur diversité (403b28). En premier, celle de ceux qui enquêtaient sur la nature de l'âme à partir du mouvement. En second (404b8), celle de ceux qui enquêtaient làdessus à partir de la connaissance, c'est-à-dire du sens. En troisième (404b27), celle de ceux qui enquêtaient sur sa nature à partir de l'un et l'autre (15). Sur le premier point, on doit savoir que, pour ceux qui ont enquêté sur la nature de l'âme à partir du mouvement, il y avait une conception commune, à savoir, que si les êtres animés se mouvaient que l'âme serait moteur et mue (16). La raison en est qu'ils pensaient que ce qui n'est pas mû ne peut pas mouvoir autre chose, c'est-à-dire que rien ne meut qui ne soit mû. Si donc c'est l'âme qui meut les êtres animés, et que rien ne meut autre chose qui ne soit lui-même mû, il est manifeste que l'âme est mue au plus haut point. C'est pour cela que les anciens naturalistes ont pensé que l'âme faisait partie des êtres qui sont mûs. Mais à partir de là sont sorties aussi différentes opinions.  

#34. — C'est pourquoi il donne en premier (403b31) l'opinion de Démocrite sur l'âme, disant qu'un philosophe ancien, prenant conscience que ce qui serait la nature de l'âme serait cela qui est mû au plus haut point et que d'être mû au plus haut point semble bien appartenir à la nature du feu, dit que l'âme elle-même «est du feu ou de la chaleur». Son opinion allait comme suit. Il n'admettait rien dans la réalité, sauf le sensible et le corporel; et il voulait que les principes de toutes choses soient des corps indivisibles, et infinis, qu'il appelait des atomes. Ces corps, il disait qu'ils étaient d'une nature unique, mais différaient entre eux par leur figure, leur position et leur ordre; ici, cependant, il n'est question que de la figure, car la différence qui va selon la figure est la seule dont on ait besoin. Cette différence de figure consiste à ce que certains étaient ronds, d'autres carrés, d'autres pyramidaux, et ainsi de suite. Il soutenait aussi qu'ils étaient mobiles, et jamais en repos, et il disait que le monde s'était fait à partir de la rencontre par hasard des atomes eux-mêmes. Que ces corps indivisibles soient mobiles, il donnait l'exemple des particules, qui se meuvent dans l'air, même sans aucune tempête, comme on le constate dans les portes dans les rayons du soleil. Aussi, comme les atomes sont beaucoup plus petits, du fait d'être indivisibles, tandis que les particules qui apparaissent dans les rayons sont divisibles, il appert manifestement qu'ils sont mobiles au plus haut point. En outre, parmi les figures, la figure ronde est plus apte au mouvement, étant donné qu'elle ne comporte pas d'angles par lesquels elle serait empêchée de se mouvoir; et on croyait que l'âme est mue au plus haut point, partant du fait qu'on pensait que c'est l'âme qui produit le mouvement chez les animaux; pour tout cela, enfin, parmi ces corps infinis, Démocrite disait que c'étaient les corps ronds qui constituent l'âme. 

#35. — Leucippe aussi, son compagnon, fut de cette opinion. Il avait un signe à l'appui. C'est que Démocrite voulait que le terme de la vie, c'est-à-dire son essence, consiste dans la respiration, bien que cette essence ne soit pas suffisante, puisque tous les vivants ne respirent pas. À son avis, la respiration est nécessaire du fait que les particules rondes remplissent le corps — étant donné qu'elles sont d'après lui la cause du mouvement dans le corps de l'animal — et qu'elles sont en mouvement continu. Or «ce qui contient» nos corps les contracte avec l'air «et expulse», c’est-à-dire pousse à l'extérieur, celles de ces figures qui procurent aux animaux leur mouvement du fait de n'être jamais en repos; pour éviter que ces particules, une fois éventuellement tout à fait expulsées de nos corps, ne leur manquent, la respiration est nécessaire; par elle, en effet, se trouvent introduites d'autres particules et celles qui se trouvent à l'intérieur se trouvent empêchées de sortir par celles qui entrent par la respiration. Aussi, a-t-il dit, les animaux vivent aussi longtemps qu'ils peuvent faire cela, à savoir, respirer. On dit que la respiration est l'essence de la vie, du fait qu'elle garde les particules rondes elles-mêmes dans les corps des animaux et en envoie même d'autres à l'intérieur, pour éviter qu'à cause de celles qui sortent, qui se meuvent continuellement, le corps de l'animal ne défaille; la portée de ce signe est qu'il rend manifeste que l'âme, ce sont ces particules mêmes, lesquelles, certes, Démocrite a voulu de la nature du feu et cause de la chaleur. 

#36. — En second (404a16), il présente l'opinion de certains Pythagoriciens, laquelle était semblable à l'opinion de Démocrite. En effet, ce que les Pythagoriciens disent de l'âme en comporte la même intelligence que ce que Démocrite lui-même en dit, bien que les Pythagoriciens ne s'accordent pas sur la même pensée. En effet, certains d'entre eux, en accord avec Démocrite, ont dit que l'âme consiste en des particules qui sont dans l'air, c'est-à-dire en des corps indivisibles et infinis, comme Démocrite le disait. D'autres, par contre, parmi les mêmes philosophes, n'ont pas dit que les corps indivisibles et mobiles sont eux-mêmes l'âme, mais c'est la vertu qui meut ces corps qu'ils appelaient âme. De cette opinion, il y a eu un certain Archelaüs, le philosophe que Socrate a eu comme maître, comme Augustin le raconte dans son traité De la Cité de Dieu (VIII, c. 2). La raison pour laquelle ils disaient que l'âme était des corps de cette sorte, on l'a dite (#32-33): c'est, comme il appert déjà, qu'ils voulaient que l'âme soit ce qui se meut le plus; aussi, comme ces corps paraissent se mouvoir continuellement, comme il en semble dans l'air, où ils se meuvent même en période de tranquillité, ils disaient que l'âme, ce sont ces corps. 

#37. — Par la suite (404a20), il ramène à ces opinions comme à une espèce de sommaire l'opinion de plusieurs philosophes sur l'âme, disant que tous ceux qui, en définissant l'âme à partir du mouvement, ont dit qu'elle est ce qui se meut soi-même «se ramènent à la même chose», c’est-à-dire à la même intelligence que ce qui précède. Tous, en effet, ils s'accordent en cela qu'ils semblent bien avoir communément estimé que le mouvement est surtout et principalement un  propre de l'âme, que tout ce qui se meut est mû par l'âme, et que l'âme, elle, se meut par elle-même. La raison en était, comme on y a déjà fait allusion, qu'ils ont pensé communément que rien ne meut autre chose qui ne soit lui-même mû. Aussi, comme l'âme meut autre chose, ils croyaient que l'âme surtout et principalement, se meut. 

#38. — En troisième (404a25), il présente l'opinion d'Anaxagore sur la nature de l'âme. En premier, il présente en quoi Anaxagore s'accordait avec les précédents, disant qu'Anaxagore, comme n'importe qui d'autre qui a dit que c'est l'intelligence qui meut toutes choses, dit que c'est l'âme qui meut toutes choses, comme eux aussi le disent. Mais il en diffère en ce qu'il ne veut pas que tout ce qui meut autre chose se meuve aussi lui-même; c'est pourquoi il a dit qu'il existe une intelligence séparée et simple qui meut les autres choses tout en restant sans mouvement; et il dit qu'il est de la nature d'une pareille chose d'être l'âme. Aussi, de là a surgi l'erreur de quelques-uns, qui disaient que l'âme est de nature divine. Ainsi donc appert en quoi il s'accordait avec ses devanciers, à savoir, en ce qu'il a dit que l'âme est un moteur. Mais il différait en cela qu'il a dit que l'âme ne se meut pas, ce dont les autres disaient le contraire. En effet, il différait de Démocrite dans la façon d'entendre l'intelligence. 

#39. — C'est pourquoi, il présente cette différence (404a27). Il présente en premier l'opinion de Démocrite, disant que «celui-là», à savoir, Démocrite, a dit qu'«absolument», c'est-à-dire partout et universellement, l'intelligence et l'âme sont la même chose. La raison en est que Démocrite croyait qu'il n'y avait rien d'autre dans le monde que les choses sensibles; comme il n'y avait rien d'autre, dans le monde, que des choses sensibles, il disait en cohérence qu'il n'y avait dans l'âme aucune faculté d'appréhension autre que sensitive. Aussi fut-il de l'opinion qu'il n'y avait aucune vérité déterminée en rapport aux choses, et qu'on ne connaît rien déterminément, et que tout ce qui nous semble est vrai: et que n'était pas plus vrai ce que l'un pense d'une chose que ce que pense un autre de la même chose, au même moment. C'est de cela que s'ensuivait qu'il prétendait que les contradictoires sont vraies en même temps. La raison en est que lui-même, comme on l'a dit, n'utilisait pas l'intelligence qui porte sur la vérité, c'est-à-dire grâce à laquelle l'âme intellige les choses intelligibles, mais seulement la faculté de sensation; rien donc ne serait connu, sinon du sensible, comme il n'admettait rien dans la réalité sinon le sensible. Aussi, comme les sensibles sont dans un mouvement et un flux continuel, il est venu à penser qu'aucune vérité déterminée n'était dans les choses. Et comme il n'est pas parvenu à connaître que l'intelligence est une puissance «qui porte sur la vérité», c'est-à-dire dont l'objet est le vrai lui-même, et dépasse toutes les autres puissances de l'âme, mais il a admis seulement les puissances sensibles de l'âme; c'est pourquoi, communément et indifféremment, il dit que «l'âme et l'intelligence sont la même chose», et il dit que l'intelligence se transforme avec le changement de l'individu. Pour cette raison, il approuve Homère, qui a dit, «que Hector gisait avec un autre esprit», c'est-à-dire qu'en raison de sa transformation, son intelligence était transformée, qu'il pensait autre chose vaincu qu'il ne pensait invaincu. 

#40. — En second (404b1), il montre en quoi différait Anaxagore de Démocrite. À ce sujet, il fait deux considérations. En premier, il présente l'opinion d'Anaxagore. En second (404b5), il la réprouve. Il dit donc, en premier, qu'Anaxagore parle de l'âme de manière plus difficile, et qu'il prouve encore moins à son sujet. En effet, Anaxagore lui-même dit souvent que l'intelligence est la cause du fait de bien agir, c'est-à-dire de la bonne action. Ailleurs, cependant, c'est-à-dire en d'autres lieux, il dit que cette intelligence, à savoir, celle qui est cause de la bonne action, et l'âme sont la même chose. Cela ressort du fait qu'il se voit bien que l'âme appartient à tous les animaux, tant aux vils qu'aux honorables, et tant aux grands qu'aux petits. Aussi, comme, il dit qu'il y a en tous ceux-là intelligence, il se trouve manifestement à dire que l'âme et l'intelligence sont la même chose. 

#41. — En second (404b5), il montre qu'il y a de la contrariété dans une acception de l'intelligence à la manière d'Anaxagore, à savoir, dans le fait qu'il dit parfois que l'intelligence n'est pas la même chose que l'âme et parfois qu'elle et l'âme sont la même chose; ce sont là des contradictoires (17) et elles ne peuvent tenir ensemble. Il le prouve comme suit. Il va de soi que de bien agir est le propre de l'intelligence en rapport à la prudence du parfait, puisque bien agir appartient à la prudence. Si donc l'intelligence qui est cause de la bonne opération était la même chose que l'âme, il s'ensuivrait que l'intelligence prudente serait la même chose que l'âme. Or cela est faux, puisque l'âme appartient à tous les animaux, tandis que l'intelligence, dite en rapport à la prudence, semble bien n'appartenir non seulement pas à tous les animaux, mais même pas à tous les hommes. Donc, elle n'est pas la même chose que l'âme.

#42. — Ensuite (404b7), il conclut que tous ceux qui ont regardé l'âme à partir du mouvement, c'est-à-dire à partir du fait de se mouvoir par soi-même, ont pensé que l'âme est ce qui se trouve le plus mû, comme il appert des opinions déjà citées.  

Leçon 4 

#43. — Plus haut, le Philosophe a montré comment certains sont venus à la connaissance de l'âme en passant par le mouvement; ici, maintenant, il montre comment d'autres sont venus à la connaissance de l'âme en passant par la sensation, c'est-à-dire, par la connaissance. À ce sujet, il fait deux considérations. En premier, en effet, il montre en quoi se sont accordés les philosophes qui ont traité de l'âme à partir de la sensation. En second (404b11), ensuite, en quoi ils diffèrent. Il dit donc en premier que tous ceux qui sont venus à la connaissance de l'âme en partant du fait de connaître et de sentir, c'est-à-dire en passant par la connaissance et la sensation, se sont accordés à dire que l'âme procède des principes; ces principes, certains « les faisaient», c'est-à-dire soutenaient qu'ils étaient, plusieurs, tandis que d'autres soutenaient qu'il n'y en avait qu'un. Ce qui, par ailleurs, les motivaient à soutenir que l'âme est constituée des principes, c'est que les anciens philosophes, comme forcés par la vérité même, voyaient d'une certaine façon la vérité en rêve. Cette vérité, c'est que la connaissance se fait moyennant, chez celui qui connaît, une ressemblance de la chose connue. Toutefois, les anciens philosophes ont pensé qu'il faut que, chez celui qui connaît, la ressemblance de la chose connue se rapporte à son être naturel, c'est-à-dire (18) se rapporte à l'être même qu'elle a en elle-même; en effet, ils disaient qu'il fallait que le semblable soit connu par le semblable; aussi, à ce qu'ils soutenaient, si l'âme connaît toutes choses, il faut qu'elle détienne avec toutes choses une ressemblance qui se rapporte à leur être naturel. C'est qu'ils n'ont pas su distinguer la façon suivant laquelle une chose se trouve dans l'intelligence, ou dans l'œil, ou dans l'imagination (19), et celle suivant laquelle une chose est en elle-même. Aussi, comme ce qui relève de l'essence d'une chose est principe de cette chose, et comme celui qui connaît des principes de la sorte connaît la chose même, ils ont soutenu que du fait que l'âme connaît toutes choses, elle serait constituée des principes des choses. Cette affirmation était commune à tous. 

#44. — Mais ils se sont diversifiés en ce qu'ils différaient quant aux principes qu'ils présentaient. En effet, tous ne présentaient pas les mêmes principes; au contraire, tel en énumérait plusieurs, tel autre un seul, tel tel, tel autre tel autre. Ils diffèrent quant à partir de quels principes ils soutiennent que l'âme est constituée. 

#45. — Aussi, par la suite (404b11), il présente de quelle façon ils diffèrent. Et en premier, il présente l'opinion d'Empédocle, et dit que les anciens philosophes qui ont abordé l'âme par la sensation disent qu'elle est constituée des éléments. Ceux, donc, qui font unique le principe disent que ce principe unique est l'âme. Et ceux qui en énumèrent plusieurs, disent qu'elle est composée de ceux-là. Par exemple, Empédocle dit que l'âme est faite de tous les éléments, et il appelle âme chacun d'eux. À ce sujet, on doit savoir qu'Empédocle a posé six principes: quatre matériel, à savoir la terre, l'eau, l'air et le feu, et deux actifs et passifs, à savoir la querelle et l'amitié. C'est pourquoi, du fait qu'il soutenait que l'âme connaît toutes choses (20), il a dit que l'âme — et le sens (21) — est constituée de principes du type qu'il posait. Pour autant, en effet, qu'elle est de terre, nous connaissons la terre; et pour autant qu'elle est d'éther, c'est-à-dire d'air, nous connaissons l'air; et d'eau, l'eau; tandis que le feu lui devient manifeste à partir du feu dont elle est aussi constituée. De même, nous connaissons la concorde par la concorde et nous connaissons la discorde par la triste discorde. Il ajoute là triste, parce qu'Empédocle a composé ses livres en mesure. 

#46. — En second (404b16), il présente l'opinion de Platon, et dit que Platon aussi fait l'âme à partir des éléments, c'est-à-dire dit que l'âme est constituée des principes. Et que cela soit vrai, à savoir que Platon dise que l'âme est composée des principes des choses, il le prouve par trois dires de Platon. Le premier est ce qu'il dit dans le Timée. Là, en effet, il dit qu'il y a deux éléments ou principes des choses, à savoir, le même et l'autre (22). Car il y a une nature qui reste toujours pareille, et qui est simple, comme sont les êtres immatériels; et cette nature, il l'appelle le même. Mais il y a aussi une autre nature qui ne demeure pas toujours pareille, mais est susceptible de transformation et de division, comme sont les êtres matériels, et celle-là, il l'appelle l'autre. Et il dit que l'âme est composée de ces deux-là, à savoir du même et de l'autre; non pas qu'ils soient dans l'âme, ces deux-là, comme des parties, mais qu'ils servent d'intermédiaires, puisque la nature de l'âme rationnelle est inférieure et moins bonne, en rapport aux natures supérieures et tout à fait immatérielles, et qu'elle est plus noble et supérieure, quant aux natures matérielles et inférieures. 

#47. — La raison en était, comme on a dit (#43), que le semblable est connu par le semblable. Aussi, si l'âme connaît toutes choses, et que le même et l'autre sont leurs principes, Platon soutenait que l'âme est composée de ces deux principes de la manière dont on l'a dit. Ainsi, en tant qu'elle participe à la nature de l'identité, elle peut connaître les choses qu'il tient pour mêmes, et en tant, par contre, qu'elle est de la nature de ceux qu'il appelle autres, elle est à même de connaître l'autre, à savoir, les êtres matériels. Aussi se sert-il de la connaissance. Car quand l'âme recueille genres et espèces, alors il dit qu'elle se représente le même, ou l'identité. Tandis que lorsqu'elle assume des différences et des accidents, elle découvre l'altérité. Ainsi donc, il devient manifeste comment Platon, dans le Timée, dit que l'âme est composée de principes. 

#48. — Le second dire de Platon par lequel se montre qu'il a dit que l'âme est constituée des principes, Aristote le présente ensuite (404b18). Là, il montre, d'une manière semblable, que l'âme est constituée des principes. À ce sujet, on doit savoir que Platon a soutenu que les êtres intelligibles étaient par soi subsistants et séparés, et qu'ils étaient toujours en acte, et qu'ils étaient cause de leur connaissance et de leur être pour les choses sensibles. Aristote, quant à lui, dans l'idée d'éviter pareil inconvénient, a été forcé d'établir un intellect agent. Ainsi, il s'ensuivait de la position de Platon que, dans la mesure où des choses se trouvent abstraites par l'intelligence (23), elles sont des êtres par soi subsistants et en acte. Or nous disposons de deux modes d'abstraction par l'intelligence: l'un va des particuliers aux universels; par l'autre, nous abstrayons les êtres mathématiques des sensibles. Ainsi, Platon se voyait par là forcé d’établir trois subsistants, à savoir, sensibles, mathématiques et universels, qui seraient cause, et par la participation desquels les choses sensibles et mathématiques aussi existeraient. 

#49. — Platon soutenait aussi que les nombres étaient la cause des choses. Il faisait cela parce qu'il n'a pas su distinguer entre l'un qui se convertit avec l'être et l'un qui est principe du nombre, pour autant qu'il est une espèce de la quantité. De cela, il s'ensuivait que, comme il établissait l'universel séparé comme cause des choses, et les nombres comme essence des choses, que des universels de la sorte seraient eux-mêmes constitués des nombres. Il disait, en effet, que les principes de tous les êtres étaient une espèce et un nombre spécifique, qu'il appelait spécifique en tant que composé d'espèces. En effet, il réduisait le nombre lui-même, en tant que présent dans les principes et les éléments, à l'unité et la dualité. Car, comme de l'un même rien ne pourrait sortir, il a été nécessaire d'assujettir à l'un lui-même une nature, moyennant laquelle la multitude pourrait être produite: c'est celle-là qu'il a appelée dualité. 

#50. — Ensuite, il ordonnait ces trois-là d'après l'ordre de leur matérialité. Comme, en effet, les choses sensibles sont plus matérielles que les mathématiques, et les universelles plus immatérielles que les mathématiques, il a établi en premier les sensibles; au-dessus, il a mis les mathématiques; et au-dessus, les universelles séparées et les idées, qui diffèrent des mathématiques, parce que, dans les mathématiques, il y a dans une espèce unique pour les choses qui diffèrent en nombre, tandis que, dans les idées et les substances séparées, on n'en trouve pas d'une même espèce qui diffèrent en nombre: pour une espèce unique, en effet, il a établi une idée unique. Et ces idées, il dit qu'elles sont faites des nombres, et que c'est d'après les nombres, en elles, que procèdent les natures des choses sensibles, lesquelles sont faites de longueur, de largeur et de profondeur. Et c'est pourquoi il a dit que l'idée de longueur est la première dualité — car la longueur va de l'un à l'un, à savoir, du point au point. Que celle de largeur est la première trinité — car la figure triangulaire est la première des figures planes. Et il a dit que l'idée de profondeur, qui contient la longueur et la largeur, est la première quaternité — en effet, la première figure des corps est la pyramide, qui comporte quatre angles. Aussi, comme Platon admettait une âme sensible, il a établi une âme séparée pour être sa cause; et celle-ci, comme les autres substances séparées et idées, il a dit qu'elle était faite de nombres, à savoir, d'unité et de dualité, qu'il soutenait être les principes des choses. 

#51. — En troisième (404b21), il présente le troisième dire de Platon par lequel apparaît qu'il avait dit que l'âme est composée des principes. Platon, en effet, a établi les nombres, comme on l'a dit, comme espèces et principes des choses. Aussi, en parlant de l'âme, il a soutenu qu'elle parvenait à la connaissance des êtres pour autant qu'elle était composée de leurs principes, à savoir, des nombres, et que toutes ses opérations procédaient d'eux. Nous trouvons en effet dans l'âme différentes puissances en vue de l'appréhension des êtres, à savoir, l'intelligence, la science, l'opinion et le sens. Il dit donc que l'âme tient l'intelligence et son opération de l'idée d'unité, parce qu'il y a en elle la nature de l'unité; en effet, l'intelligence saisit l'un par une seule appréhension. De même, elle tient la science de la première dualité; car la science va de l'un à l'un, à savoir, des principes à la conclusion. Puis elle tient l'opinion de la première trinité, car l'opinon va d'un à deux, puisqu'elle va de principes à une conclusion, avec crainte de l'autre; il y a ainsi là trois choses: un principe, et deux conclusions, l'une conclue et l'autre crainte. Enfin, l'âme tient le sens de la première quaternité, car la première quaternité est l'idée du corps, qui consiste en quatre angles, comme on l'a dit: or le sens porte sur les corps. Comme donc toutes choses se connaissent par ces quatre-là, à savoir, par l'intelligence, la science, l'opinion et le sens, et qu'il dit que l'âme tient ces puissances du fait qu'elle participe à la nature de l'unité, de la dualité, de la trinité et de la quaternité, il manifeste qu'il a dit que l'âme séparée, qu'il a établie comme idée de cette âme, est composée des nombres, qui sont les principes et les éléments des choses. Et ainsi il appert que Platon a dit que l'âme est composée des principes. 

#52. — Ensuite (404b27), il souligne qu'il y a aussi eu des philosophes qui sont venus à la connaissance de l'âme à partir à la fois du mouvement et du sens, c'est-à-dire de la connaissance, et il dit ceci: comme l'âme leur semblait être à la fois motrice par soi et cognitive, ils ont composé les deux choses et ont défini l'âme à partir des deux, à savoir, à partir du mouvement et de la connaissance, disant que l'âme est un nombre qui se meut lui-même. Par nombre, ils introduisaient la puissance cognitive, parce que, comme on l'a établi plus haut, ils disaient que l'âme tenait la capacité de connaître (24) les choses du fait qu'elle participait à la nature du nombre spécifique, ce qui provenait de l'opinion de Platon, tandis que par se mouvoir soi-même, ils introduisaient la puissance motrice dans l'âme.  

Leçon 5 

#53. — Dans ce qui précède, Aristote a montré en quoi les anciens philosophes s'accordaient quant à leur considération de l'âme, à savoir, en ce que l'âme est principe de mouvement et de connaissance. Dans la partie qui suit, il montre de quelle manière les philosophes mentionnés ont divergé sur ce fond commun. Par ailleurs, cette partie se divise en trois autres. En premier, il présente la racine de la diversité entre les philosophes quant à la considération de l'âme. En second (405a5), il fait l'énumération en détail de cette diversité. En troisième (405b11), il rassemble et exploite ce que l'on doit regarder parmi ces différences. Or la racine de la diversité entre les philosophes dans la considération de l'âme, c'est qu'ils attribuaient l'âme aux principes, comme on l'a dit (#43-44). C'est pourquoi, d'après la différence entre les philosophes mentionnés quant à la considération des principes, il s'ensuit aussi une différence entre eux dans la considération de l'âme. Car les philosophes mentionnés, bien qu'ils soutiennent tous que l'âme soit composée des principes, ne s'accordent cependant pas sur ce que l'âme soit composée des mêmes principes: au contraire, autant ils diffèrent sur les principes, autant ils diffèrent aussi sur la considération de l'âme. 

#54. — Ils diffèrent sur les principes sous deux aspects. En premier, quant à la substance des principes, à savoir, «quels» ils sont; en second, quant à leur nombre, à savoir, «combien» ils sont. Quant à leur substance, par ailleurs, parce que certains introduisaient des principes corporels, ceux qui ont introduit le feu, ou l'eau, ou l'air, tandis que d'autres des principes incorporels et immatériels, comme ceux qui ont introduit les nombres et les idées; par ailleurs, d'autres encore ont mêlé les deux, comme les Platoniciens, qui ont introduit des principes sensibles et des principes séparés. Ensuite, ils diffèrent sur leur nombre, c'est-à-dire sur leur quantité, car certains ont introduit seulement un premier principe unique — l'un a imposé l'air, un autre le feu, comme Héraclite —, tandis que d'autres ont énuméré plusieurs premiers principes, comme Empédocle, qui a imposé quatre éléments. Puis, en rapport à ces suppositions sur les principes, ils leur ont par suite assigné l'âme, car ceux qui introduisaient des principes matériels, ont dit que l'âme en était composée, comme Empédocle, et pareillement ceux qui imposaient des principes immatériels, comme Platon. Bref, tous ont pensé que l'âme est ce qui est le plus moteur.

#55. — Par suite (405a5), il fait l'énumération en détail de la diversité entre les philosophes. On doit toutefois savoir que, parmi ceux qui soutenaient qu'un corps unique soit principe des choses, personne n'a daigné apporter la seule terre; plutôt, certains ont imposé le feu comme premier principe, d'autres l'air, d'autres l'eau, mais personne n'a imposé la terre, sauf celui qui a soutenu que les quatre éléments étaient tous premier principe. La raison en est que la terre, en raison de sa grossièreté, semblait bien plutôt être composée des principes qu'être elle-même principe. Aussi Aristote fait-il trois considérations dans cette partie. En premier, en effet, il présente l'opinion de ceux qui ont soutenu que le premier principe et l'âme, c'était le feu, et ce qui a rapport au feu; en second (405a21), il présente l'opinion de ceux qui ont soutenu que le premier principe et l'âme, c'est l'air; en troisième (405b1), il présente l'opinion de ceux qui ont soutenu que c'est l'eau le premier principe et l'âme.

#56. — Sur le premier point, on doit savoir que, du fait d'attribuer à l'âme d'être motrice et cognitive, il a semblé à certains que l'âme est ce qu'il y a de plus moteur et de plus cognitif; or comme il leur semblait que ce qui est le plus subtil serait aussi le plus moteur et cognitif, ils ont affirmé que l'âme est le feu, lui qui parmi les corps est plus subtil et actif. Cependant, quoique plusieurs étaient de cette opinion et pensaient ainsi que l'âme c'est le feu, Démocrite a soutenu cela avec plus de subtilité et de raison, «en précisant le pourquoi de l'une et l'autre chose», c'est-à-dire qu'il a exprimé davantage la raison du mouvement et de la connaissance. Il voulait en effet, comme on l'a dit (#34), que toutes choses soient composées d'atomes. Or bien que, d'après lui, des atomes de la sorte étaient le principe de toutes les choses, il voulait néanmoins que les atomes de figure ronde soient de la nature du feu; aussi disait-il que l'âme est composée des atomes de figure sphérique. Il soutenait qu'en tant que ce sont les premiers principes, ils détiennent la faculté de connaître (25), et qu'en tant que ronds, ils détiennent la faculté de mouvoir (26). C'est pourquoi, dans la mesure où l'âme était composée de corpuscules ronds indivisibles, ils affirmait qu'elle connaît et meut toutes choses. Aussi, en soutenant que les corps ronds étaient de la nature du feu, il s'accordait avec eux que l'âme soit de la nature du feu.

#57. — Par suite (405a13), il présente l'opinion d'Anaxagore, qui s'accordait avec ceux qui précèdent sur le fait de lui attribuer, à l'âme, c'est-à-dire, la faculté de connaître et de mouvoir. Cependant, parfois, il paraît dire que l'âme et l'intelligence sont autre chose, comme on l'a dit plus haut (#38-40), mais parfois aussi, il use de l'une et l'autre, à savoir, de l'âme et de l'intelligence, comme si elles étaient une seule nature. En effet, il affirmait que l'âme est motrice et cognitive; aussi, comme il soutenait que l'intelligence meut et connaît toutes choses, il prenait pour la même chose l'âme et l'intelligence. Mais il différait des autres en cela que Démocrite soutenait que l'âme est de nature corporelle, car composée de principes matériels, tandis qu'Anaxagore affirme que l'intelligence est «simple», pour exclure la diversité dans son essence, «non mixte», pour exclure sa composition avec autre chose, «et pure», pour exclure son altération (27) par autre chose. Toutefois, il assigne le fait de se mouvoir et de connaître au même principe, à savoir, à l'intelligence; en effet, l'intelligence tient de sa nature d'être capable de connaître, et elle détient aussi la capacité de mouvoir, car il affirme, comme on l'a dit, que l'intelligence meut toutes choses.

#58. — Par la suite, il présente l'opinion d'un philosophe, à savoir, Thalès. Celui-ci s'accorde avec les précédents sur ce point seulement qu'il dit lui aussi que l'âme, c'est ce qui détient la puissance de mouvoir. Thalès fut l'un des sept sages et, alors que tous les autres s'occupaient de choses morales, lui seul se consacra à l'investigation des choses naturelles; il se trouve ainsi le premier philosophe de la nature. C'est pourquoi il dit: «entre les choses dont on se souvient», à savoir, ces affirmations comme quoi l'eau serait le principe de toutes les choses. Aussi, comme les principes ou semences de tous les êtres animés sont humides, Thalès a voulu que le principe de toutes les choses serait ce qui est le plus humide; et puisque l'eau est de cette nature, il a dit que c'est l'eau le principe de toutes les choses. Cependant, il n'a pas développé son opinion jusqu'à dire que l'âme est de l'eau; il a dit plutôt que l'âme, c'était ce qui détient la puissance de mouvoir. Aussi, étant donné que certaine pierre, la magnétite, fait se mouvoir le fer, il a dit qu'elle a une âme. On range donc Anaxagore et Héraclite28 avec ces façons de parler, non parce qu'ils disent que l'âme, c'est le feu, mais parce qu'ils disent que l'âme, c'est ce qui a la nature du mouvement (29) et de la connaissance, comme l'a dit Anaxagore, ou la nature du mouvement seulement (30), comme l'a dit Héraclite (31).

#59. — Ensuite (405a21), il présente les opinions de ceux qui disent que l'air est le premier principe et l'âme. Il y en a trois. En premier, il présente l'opinion de Diogène, qui voulait que l'air soit le principe de toutes choses, et soit le plus ténu de tous les corps. Aussi, il a encore dit que l'âme, c'est l'air, et que c'est pour cela qu'elle détient la puissance de connaître et de mouvoir. Elle détient la puissance de connaître, bien sûr, du fait que l'air, à son avis, est le principe de toutes choses. Étant donné, en effet, que la connaissance se fait par le moyen de quelque chose de semblable, comme on l'a dit (#43), il fallait que si l'âme devait tout connaître, elle soit composée des principes de toutes choses. Par ailleurs, elle détient la puissance de mouvoir du fait que l'air est le plus ténu de tous les corps et, pour cette raison, le plus mobile.

#60. — En second (405a25), il présente l'opinion d'Héraclite. Celui-ci ne disait pas absolument (32) que le principe des choses c'est l'air, mais que c'est quelque chose de lié à l'air, à savoir, la vapeur, qui est quelque chose d'intermédiaire entre l'air et l'eau. En effet, il n'a pas soutenu l'eau ou le feu ou l'air33 comme principe des choses, mais un intermédiaire, parce qu'il n'admettait que des êtres matériels; aussi a-t-il voulu que le principe des choses, ce soit ce qui serait davantage éloigné de la contrariété. Il lui semblait que c'était la vapeur; c'est pourquoi, pour ce motif, il a voulu aussi que l'âme ce soit la vapeur, parce qu'il disait que ce serait ainsi que l'âme détiendrait le plus de puissance de connaître et de mouvoir. En effet, il a été de l'opinion que toutes choses se trouvaient en un continuel flux, et que rien ne restait stable un moment, et qu'on ne pouvait énoncer aucune affirmation déterminée. Aussi, comme la vapeur se trouvait, entre toutes les choses, ce qu'il y a de plus fluide, il a dit qu'elle est le principe de toutes les choses. Il a dit aussi qu'elle est l'âme. Il a dit encore que l'âme a ainsi la puissance de connaître, du fait qu'elle est principe, et celle de mouvoir, du fait qu'elle est fluide et ce qu'il y a de plus incorporel.

#61. — En troisième (405a29), il présente l'opinion d'Alcméon, qui s'accordait avec les précédents quant au mouvement seulement, du fait qu'il disait que l'âme est ce qu'il y a de plus mobile. Pour la raison qu'elle est toujours en mouvement, elle s'assimile aux immortels, à savoir, aux corps célestes; aussi, il la dit immortelle, comme les corps célestes, et de la nature céleste et divine34, elle-même toujours en mouvement, comme pour la lune, et le soleil, et les autres astres, qui sont toujours en mouvement et sont immortels35. À son avis, en effet, de même que le mouvement cause l'immortalité en eux, de même aussi il la cause en l'âme, qui est de la nature la plus mobile.(36)

#62. — Ensuite (405b1), il présente l'opinion de ceux qui ont soutenu que l'eau est le premier principe de toutes choses. En effet, il y a eu de grossiers disciples et partisans de Thalès qui, comme on l'a dit (#58), ont voulu rapporter le principe d'une chose au principe de la nature entière. Eux aussi voyaient que le principe de tous les vivants est l'humide; aussi pensaient-ils que, de la même façon, le principe de toutes choses est l'humide. Comme donc l'eau est l'élément le plus humide, parmi les autres, ils ont dit qu'elle est le principe de toutes les choses; jusque là, ils ont suivi leur maître, à savoir, Thalès (37). Cependant, ils ont divergé en ceci que Thalès, même s'il soutenait que l'eau est le principe de tout, n'a quand même pas dit que l'âme est l'eau; il a dit, plutôt, qu'elle est la puissance de mouvoir, comme on a dit. Mais eux, à compter comme grossiers, ont dit que l'âme, c'est l'eau, comme Hippon. Celui-ci, en effet, s'attaquait à certains qui disaient que l'âme, c'est le sang, du fait que le sang n'est pas le géniteur, c'est-à-dire la semence, des êtres animés, dont eux disaient que c'était la première âme; cela, ils l'attribuaient à l'eau, à cause de son humidité.

#63. — Par la suite (405b5), il présente l'opinion d'un philosophe, regardant l'âme surtout quant à la connaissance, a parlé encore plus grossièrement d'elle: il a prétendu qu'elle est le sang. La raison en est que chez l'animal il n'y a pas de sens sans sang; et c'est pourquoi, comme l'âme est le principe de la connaissance, il a dit qu'elle est le sang, sans lequel il n'y a pas de sensation chez l'animal; les parties exsangues, en effet, comme les os, les ongles, les dents, sont privées de sensation. Pourtant les nerfs, tout à fait privés de sang, sont ce qu'il y a de plus sensible. C'est Critias qui a dit cela.

#64. — On pourrait demander pourquoi, dans l'examen de l'âme, il ne fait pas mention de la terre comme des autres éléments; aussi s'en excuse-t-il comme suit (405b8). On a tenu sur l'âme les mêmes opinions que sur les principes. Or la terre n'a eu aucun juge, c'est-à-dire, personne n'a jugé qu'elle est un principe; par conséquent, personne n'a dit que l'âme est la terre, sauf quand éventuellement on a dit, comme Empédocle, que l'âme se compose de tous les principes ou, comme Démocrite, qu'elle est tous les principes.

#65. — Ensuite (405b11), il épilogue et, à partir de tout ce qu'il a dit, arrête son intention. Et d'abord quant aux principes. En second (405b23), quant aux contrariétés qu'il y a dans les principes mêmes. Pour ce qui est, donc, des principes mêmes, du fait qu'on attribuait à l'âme ces trois caractéristiques: elle est ce qu'il y a de plus ténu, elle est ce qui peut connaître, et elle est ce qui peut mouvoir; ces trois caractéristiques, à savoir, la sensation, le mouvement et l'incorporéité, on les réduit au principe. En effet, on dit que le principe, c'est ce qui est simple. De plus, le principe tient de luimême qu'il puisse connaître, du fait que, comme on l'a dit (#43; 59), le semblable se connaît par le semblable; aussi disait-on que l'âme se compose des éléments, ou est les éléments, parce qu'on disait que le semblable se connaît par le semblable, sauf Anaxagore, qui soutenait une intelligence pure (38). De plus, comme le principe est ce qu'il y a de plus ténu, on disait qu'il est ce qui peut le plus mouvoir; et comme l'âme connaît toutes choses on dit qu'elle se compose de tous les principes. Cela, tous le disent, car ce qu'ils soutiennent sur les principes, ils le soutiennent aussi sur l'âme. Ainsi, quiconque soutient une cause ou un unique principe et élément dit que l'âme est cette chose unique, comme il appert déjà: par exemple, le feu, ou l'air, ou l'eau. Tandis que ceux qui soutiennent qu'il y a plusieurs principes, ceux-là affirment pareillement que l'âme est ces plusieurs principes, ou qu'elle s'en compose. (39)

#66. — Il a dit que tous s'accordent en ceci qu'ils disent que l'âme se compose des principes du fait qu'il faut que le semblable se connaisse par le semblable, sauf un, à savoir, Anaxagore. C'est pourquoi (405b19) il montre comment celui-ci diffère de ceux-là, comme suit: seul Anaxagore a dit que l'intelligence est impassible et n'a rien de commun à quoi que ce soit, c'est-à-dire, n'est semblable à rien de ce qu'elle connaît. De quelle manière toutefois l'intelligence connaît, Anaxagore ne l'a pas dit et ce n'est pas manifeste non plus à partir de ce qu'il a dit.

#67. — En conséquence (405b23), il arrête son intention quant aux contrariétés qui résident dans les principes mêmes, comme suit: certains soutiennent pour les choses des principes contraires et, comme Empédocle, ils constituent l'âme de principes contraires. Accordant aux éléments40, en effet, la chaleur, la froideur, l'humidité et la sécheresse, il accorde aussi que ces contrariétés appartiennent à l'âme. En effet, il a dit que nous connaissons la terre par la terre, l'eau par l'eau, etc. D'autres, par ailleurs, ont soutenu que le principe de tout est un seul des éléments et ont attribué à l'âme sa qualité: la chaleur du feu, bien sûr, ceux qui ont dit que le principe de tout est le feu, tandis que ceux qui disent que le premier principe est l'eau attribuent à l'âme sa froideur. Ainsi, d'après les qualités des principes qu'ils posent, ils soutiennent que l'âme est pareille, par exemple, avec la nature de la chaleur, ou de la froideur, et ainsi de suite. Cela, ils le montrent même à partir des noms dont ils nomment l'âme même. En effet, ceux qui disent que l'âme est de la nature de la chaleur la dénomment à partir de zên, c'est-à-dire, vivre, lui-même dénommé à partir de zeîn, qui signifie bouillir, tandis que ceux qui disaient que l'âme est de la nature de la froideur la nommaient yucrón, qui signifie froid, d'où on a tiré yucÉ, c'est-à-dire âme, à cause de la réfrigération, qui garde l'animal en vie moyennant la respiration. Ainsi donc, il appert que certains nommaient l'âme à partir de la vie, à savoir, ceux qui disaient qu'elle est de la nature de la chaleur, et d'autres à partir de la respiration41, à savoir, ceux qui disaient qu'elle était de la nature du froid. De tout cela, il conclut comme suit: voilà ce qu'on a transmis sur l'âme et pourquoi on parle d'elle ainsi.  

Leçon 6

#68. — Plus haut, le Philosophe a présenté les opinions des autres philosophes concernant l'âme; ici, en conséquence, il en discute. Il y a trois caractères que les philosophes mentionnés attribuaient à l'âme, à savoir, qu'elle soit un principe de mouvement, qu'elle soit un principe de connaissance, et qu'elle soit ce qu'il y a de plus incorporel, c'est-à-dire, de plus ténu (42). De ce nombre, deux sont principaux et ils les attribuaient en premier et par soi à l'âme, à savoir, qu'elle soit principe de mouvement et qu'elle soit principe de connaissance. Le troisième caractère qu'ils attribuaient à l'âme, à savoir, qu'elle soit ce qu'il y a de plus ténu, est avec raison sous un aspect, mais à tort sous un autre. En effet, si on entend ce qu'il y a de plus ténu comme dit absolument de l'âme, alors on a raison, car sans doute l'âme est très incorporelle et très ténue. Mais si on l'entend non pas absolument, mais avec corps, de sorte qu'on dise que l'âme est le corps le plus ténu, alors on a tort. C'est pourquoi le Philosophe ne se sert que de deux caractères seulement (43), à savoir, du mouvement et de la connaissance.

#69. — Cette partie se divise en trois parties. En premier, en effet, il enquête sur l'âme en opposition aux opinions des philosophes d'après lesquelles ils ont dit que l'âme elle-même est le principe du mouvement. Dans la seconde partie (409b19), en opposition aux opinions d'après lesquelles ils ont dit (44) que l'âme elle-même (45) est un principe de connaissance. Et dans la troisième partie (46) (411a26), il soulève une question, à savoir, si mouvoir, sentir et connaître s'attribuent à l'âme comme à un principe unique, ou comme à plusieurs. La première partie se divise en deux autres. Dans la première partie, il s'attaque à ce qu'on dit de l'âme en tant que principe de mouvement, du fait qu'on soutient qu'elle-même est principe de mouvement. En second (408b32), il s'attaque à une opinion particulière, car en plus de dire que l'âme est principe de mouvement, certains attribuent à l'âme même quelque chose d'autre, à savoir, qu'elle soit un nombre qui se meut lui-même. La première partie se divise en deux autres. En premier, en effet, il s'attaque aux opinions de ceux qui attribuaient le mouvement à l'âme, du fait même qu'ils attribuent le mouvement à l'âme. En second (408a34), il examine si on peut attribuer le mouvement à l'âme de quelque autre façon. La première partie se divise en deux autres. En premier, en effet, il s'attaque communément à ceux qui disent que l'âme est principe de mouvement. En second (406b15), il descend à des questions particulières. La première partie se divise en deux autres. En premier, en effet, il manifeste son intention. En second (406a12), il présente des raisons pour montrer son propos.

#70. — Il dit donc, en premier, que, comme il en est question plus haut, les philosophes sont venus à la connaissance de l'âme par deux voies, à savoir, par le mouvement et par la sensation. Parmi ces ceux voies, il y a lieu de traiter en premier du mouvement. Or tous les philosophes qui sont venus à la connaissance de l'âme en passant par le mouvement avaient en commun ce principe, à savoir, que tout ce qui meut est mû; aussi, comme il est naturel à l'âme de mouvoir, ils croyaient qu'il lui est aussi connaturel d'être mue, et de tenir cela de son essence; aussi, mettaient-ils le mouvement dans sa définition et disaient que l'âme est quelque chose qui se meut soi-même.

#71. — Il y a donc ici deux points auxquels s'attaquer, à savoir, la raison de la position et la position même. En effet, l'une et l'autre sont fausses. En effet, tant la raison de leur position était fausse, que leur position même. En effet, ce qu'ils supposaient comme par soi vrai, à savoir, que tout ce qui meut est mû, est faux, comme on le prouve assez au huitième livre de la Physique, où on montre qu'il y a un moteur immobile. À ce propos, on peut montrer brièvement que si quelque chose meut, il n'est pas nécessaire aussi qu'il soit mû (47). Il est manifeste, en effet, que pour autant qu'il meut, il est en acte, et que pour autant qu'il est mû, il est en puissance; alors, la même chose, sous le même rapport, serait en acte et en puissance, ce qui ne convient pas.

#72. — Mais, en faisant abstraction de cela, nous nous attaquerons à leur position, à savoir, si l'âme est mue. Par ailleurs, ces gens disent deux choses, à savoir, que l'âme est mue, et que le mouvement serait de l'essence de l'âme. Or Aristote nie l'une et l'autre chose (405b31). Il nuance peut-être, parce qu'il n'a pas encore prouvé ce qu'il dit: non seulement il est faux que le mouvement soit de l'essence de l'âme, ainsi que le disent ceux qui la définissent en disant que l'âme est ce qui se meut soi-même, ou qui est capable de mouvoir; il est aussi totalement impossible que convienne à l'âme même d'être mue.

#73. — Cela, il l'a déjà dit antérieurement, à savoir, au huitième livre de la Physique, qu'il n'est pas nécessaire que tout ce qui meut soit mû. En effet (48), dans ce qui meut, il y a deux choses: un moteur et un mû; et il est impossible que ce qui est moteur soit mû par soi. Cependant, chez les animaux, bien que la partie qui meut ne soit pas mue par soi, elle l'est tout de même par accident. En effet, tout ce qui est mû est mû de deux manières: ou par soi, ou par l'autre, c'est-à-dire, par accident. Par soi, quand la chose même est mue, comme un navire; par accident, ou par l'autre, quand ce n'est pas la chose même qui est mue, mais ce en quoi elle est (49); par exemple, dans un navire (50), un matelot se trouve mû non pas parce qu'il est lui-même mû, mais parce que le navire est mû. Aussi, c'est ceci qui est vrai (51), à savoir: le navire est mû par soi, mais le matelot par accident. Et que le matelot ne se trouve pas mû par soi, c'est manifeste, car, quand on est mû par soi, on est mû en ses propres parties. Par exemple, dans la marche, la marche des pieds est antérieure, et cela n'en va pas ainsi, lorsque le matelot se meut avec le navire (52). Il appert donc ainsi qu'être mû se dit en deux sens: par soi et par accident. Or ces gens-là attribuaient à l'âme d'être mue par soi. C'est pourquoi, en fisant abstraction pour le moment de la question si l'âme est mue par accident, nous chercherons si elle est mue et participe au mouvement par soi, comme ces gens le disaient.

#74. — Qu'elle n'est pas mue par soi, Aristote le prouve avec six raisons. À propos de ces raisons, il faut tenir compte de ce que, bien que les raisons d'Aristote paraissent valoir bien peu, elles sont tout de même efficaces du fait qu'elles s'adressent à la position. En effet, pour qui vise absolument la vérité, il faut argumenter autrement, car il faut alors procéder de prémisses vraies. Mais qui s'attaque à une position procède de ce qu'on lui concède. C'est pourquoi Aristote, fréquemment, quand il argumente contre des positions, infère, semble-t-il, des raisons peu efficaces: c'est que, pour détruire la position, il procède de ce qu'on lui concède.

#75. — Ainsi donc, il apporte sa première raison, qui va comme suit (406a12). Si l'âme est mue, ou bien elle est mue par soi, ou bien elle est mue par accident. Si elle l'est par accident, le mouvement, alors, n'appartiendra pas à l'essence de l'âme (53), ce qui va contre ces gens; l'âme est alors mue comme le blanc et la longueur de trois coudées, qui sont mus par accident. Aussi, pour ce type de mouvement, ces choses n'ont pas besoin de lieu. Mais si elle est mue par soi, alors elle est mue suivant une espèce de mouvement. Or il y a quatre espèces du mouvement: selon le lieu, de croissance et de diminution, et d'altération. En effet, la génération et la corruption ne sont pas proprement des mouvements, mais des transformations, car les mouvements sont progressifs, tandis que la génération et la corruption sont des transformations instantanées (54). Donc, l'âme sera mue suivant l'une de ces espèces de mouvements: soit selon le lieu, soit selon la croissance, soit selon la diminution, soit selon l'altération. Si donc elle se trouve mue selon l'un d'entre eux, comme tous ces mouvements se passent en un lieu, l'âme sera donc en un lieu.

#76. — Dans ce raisonnement, toutefois, il semble y avoir deux difficultés. L'une due à ce qu'il dit que tous les mouvements mentionnés se passent en un lieu, ce qui, bien sûr, est manifeste du mouvement local (55) et du mouvement d'augmentation et de diminution, mais paraît plus difficile pour l'altération. Et certains comprennent cela comme suit: tout ce qui se trouve altéré, en effet, est un corps, et le corps est en un lieu; ainsi, on dit que l'altération se passe en un lieu. Mais cela ne sauve pas la lettre d'Aristote, car Aristote dit que ce type de mouvements se passent en un lieu et non qu'ils se passent en rapport à un lieu56. C'est pourquoi on doit dire que l'altération se passe en un lieu sans aucun doute. En effet, c'est une chose un mouvement en un lieu et c'est autre chose être mû en rapport à un lieu. L'altération n'est pas en rapport à un lieu, mais en un lieu. En effet, dans une altération, il faut qu'il y ait rapprochement de ce qui altère à ce qui est altéré, et sans cela rien ne se trouve altéré. Alors, comme le rapprochement se fait par le mouvement local, il faut bien qu'il y ait là un mouvement local comme cause.

#77. — La seconde difficulté, c'est que pour ces gens, il n'y avait pas d'inconvénient à ce que l'âme soit en un lieu, puisqu'ils soutenaient qu'elle est mue par soi; c'est pourquoi son raisonnement paraît ne pas valoir. On peut répondre à cela de deux manières. D'une manière, du fait que cet inconvénient se trouve écarté par les raisonnements qui suivent. De l'autre, du fait qu'à cette concession, il s'ensuit un inconvénient, car si l'âme était en un lieu, on lui assignerait nécessairement un lieu propre en un corps séparé, et ainsi elle ne serait pas la forme de tout le corps.

#78. — Il apporte sa seconde raison, qui va comme suit (406a22). Si l'âme se trouve mue par soi en rapport à un lieu, elle se trouve mue par nature; or tout ce qui est mû par nature est aussi mû par violence. En outre, si elle se meut par nature, elle est en repos par nature, et si elle est en repos par nature, elle l'est aussi par violence. Donc, l'âme est mue par violence et elle se trouve en repos par violence. Mais cela est impossible, à savoir, qu'elle soit mue par violence et se trouve en repos par violence (57), parce que le mouvement et le repos de l'âme sont volontaires.

#79. — Dans ce raisonnement, toutefois, il semble y avoir une difficulté, à savoir, sur le fait que ce qui est mû par nature soit aussi mû par violence; car le ciel est mû par nature et il ne l'est pourtant pas par violence (58). On doit répliquer à cela que cette proposition, en vérité, est fausse, mais qu'en rapport à la position, elle est vraie, puisque ces gens soutenaient qu'aucun corps n'est mû par nature en dehors des quatre éléments, où nous voyons que le mouvement et le repos arrive par nature et par violence; c'est avec cela en vue que procède le raisonnement.

#80. — Il apporte sa troisième raison, qui va comme suit (406a27). Ces gens disent que l'âme est mue, et que c'est à partir de cela qu'elle meut le corps. Et ce mouvement, ils disent (59) qu'elle le tient de l'un des éléments; donc, elle suit le mouvement du feu, ou celui de la terre, ou celui des autres éléments (60). Si donc elle participe au mouvement du feu, elle se meuvra seulement vers le haut; et si c'est celui de la terre, vers le bas. Mais cela est faux, puisque l'âme meut en toute direction. Ce raisonnement aussi procède par supposition.

#81. — Il apporte sa quatrième raison, qui va comme suit (406a30). Vous dites que l'âme est mue parce qu'elle meut le corps; donc, il est raisonnable de dire qu'elle meut le corps selon les mouvements selon lesquels elle est elle-même mue; et, inversement, il sera vrai de dire qu'elle est mue selon les mouvements selon lesquels elle meut le corps. Or le corps est mû selon le changement de lieu; donc, l'âme aussi61 est mue selon le lieu. Mais si, pour l'âme, être mue selon le lieu implique qu'elle change de corps, il se peut que l'âme même quitte puis réintègre62 le corps. Or pour l'âme entrer dans le corps, c'est donner vie au corps; il s'ensuit de cela que parmi les animaux, conformément à leur nature, les morts ressuscitent, ce qui est impossible.

#82. — Certains s'objectent à ce raisonnement et allèguent que cela, à savoir, que l'âme meut des mêmes mouvements dont elle est mue, n'est pas vrai, car l'âme n'est mue que selon l'appétit et la volonté, tandis qu'elle meut le corps selon d'autres mouvements. On doit répliquer à cela que désirer, vouloir, et ainsi de suite, ce ne sont pas des mouvements de l'âme, mais des opérations. Or un mouvement et une opération diffèrent, car le mouvement est l'acte d'un être imparfait, tandis que l'opération est l'acte d'un être parfait. De toute manière, cette proposition est vraie pour ce qui est de la position, car ces gens disaient que l'âme n'est pas autrement mobile que selon qu'elle meut le corps.

#83. — Toutefois, est-ce que de fait cette inconvénient s'ensuit, que les corps des animaux ressuscitent, si l'âme est mue selon le lieu? On doit dire que certains ont dit que l'âme est mélangée à tout le corps, et unie à lui selon une certaine proportion, et qu'elle ne s'en sépare pas tant que cette proportion n'est pas dissoute; aussi, en rapport à ces gens-ci, l'inconvénient ne suit pas. Mais en rapport à ceux qui disent que l'âme est dans le corps comme en un lieu ou en un vase, et que tantôt elle y entre, tantôt elle en sort, en rapport à eux l'inconvénient d'Aristote suit(63).

#84. — Il apporte sa cinquième raison, qui va comme suit (406b5). Il est manifeste que ce qui appartient par soi à autre chose n'a pas nécessairement à lui appartenir par autre chose, sinon peutêtre par accident. Si donc il appartient à l'âme qu'elle soit mue par soi et selon sa nature, il est nécessaire que l'âme soit mobile par soi; donc, elle n'a pas besoin d'être mue par une chose ou l'autre. Pourtant, nous observons qu'elle est mue par les sensibles dans la sensation, et par les biens désirables dans l'affection; l'âme n'est donc pas mue par soi.

#85. — À cela les Platoniciens s'objectent et allèguent que l'âme n'est pas mue par les sensibles, mais qu'ils rencontrent le mouvement de l'âme pour autant que l'âme passe par eux. Mais cela est faux, car, comme Aristote le prouve, l'intelligence possible est réduite en acte par elles, à savoir, par les espèces des choses sensibles; et c'est pourquoi il faut qu'elle se trouve mue par elles de la même manière.

#86. — Il apporte sa sixième raison, qui va comme suit (406b11). Si l'âme se meut elle-même, il est manifeste qu'elle sera mue d'essence; or tout ce qui est mû s'éloigne ou sort de ce de quoi et selon quoi il est mû. Par exemple, si une chose est mue de quantité, elle sort et s'éloigne de la quantité même de laquelle elle est mue. Si donc l'âme est mue d'essence (64) et d'elle-même, comme ces gens disent, elle s'éloignera et sortira de son essence; et ainsi, son mouvement sera pour elle cause de sa corruption. Or cela contrarie ces gens-là, qui disaient que l'âme, justement en raison de son mouvement, s'assimile aux êtres divins et est immortelle, comme il appert plus haut (#61). Ce raisonnement s'applique à eux, pour autant qu'ils ne distinguaient pas entre opération et mouvement. L'opération, en effet, ne fait pas s'éloigner, mais parfait celui qui opère, tandis qu'il faut, dans le mouvement, qu'il y ait sortie.

Leçon 7

#87. — Plus haut, le Philosophe a argumenté en général contre ceux qui ont soutenu que par soi l'âme se meut; ici, par contre, il argumente en détail contre des auteurs qui, à ce qu'il paraît, ont affirmé quelque chose qui comporte une difficulté spéciale en rapport à leur opinion sur le mouvement de l'âme. À ce propos, il développe trois points. En premier, en effet, il argumente contre l'opinion de Démocrite. En second (406b26), contre l'opinion de Platon. En troisième (407b27), ensuite, contre une certaine autre opinion. Sur le premier point, il en développe deux autres. En premier, en effet, il présente l'opinion de Démocrite sur le mouvement de l'âme, puis l'expose. En second (406b22), cependant, il objecte en direction contraire.

#88. — Sur le premier point, on doit savoir que ce qu'il veut dire a déjà été présenté lors d'un raisonnement antérieur, le quatrième qu'Aristote oppose à ceux qui soutiennent que l'âme est mue par soi et que c'est grâce à cela qu'elle meut le corps: que si l'âme meut le corps, nécessairement, elle le meut des mouvements dont elle-même est mue. Cela, certains le concédaient, soutenant que l'âme meut le corps dans lequel elle est de la façon dont elle-même est mue, c'est-à-dire, qu'elle le meut de ces mouvements dont elle-même est mue. Démocrite en fut. Il apportait à l'appui une comparaison avec un maître comédien du nom de Philippe. Celui-ci raconte, dans ses livres, que quelqu'un du nom de Dédale a fait une statue de la déesse Vénus, et que cette statue était mobile du fait qu'il y avait à l'intérieur de l'argent fondu, c'est-à-dire vivant, de sorte qe la statue se mouvait du mouvement de l'argent vivant lui-même. Démocrite, donc, dit quelque chose de semblable à cela en exprimant son opinion sur le mouvement de l'âme. Il dit en effet que l'âme est composée de sphères indivisibles, comme il appert plus haut (#34, 56). Et comme pareilles sphères indivisibles, c'est-à-dire pareils atomes, sont des figures rondes, elles se meuvent continuellement, et du fait qu'elles ne sont jamais en repos, elles forcent tout le corps à se mouvoir comme ellesmêmes sont mues.

#89. — Ensuite (406b22), Aristote objecte à cette opinion de Démocrite avec deux raisonnements. Le premier raisonnement va comme suit. Il est manifeste que l'âme est cause dans l'animal non seulement de mouvement, mais aussi de repos. Or d'après l'opinion de Démocrite, l'âme n'est pas cause de repos, dans l'animal, bien qu'elle y soit cause de mouvement (65); en effet, il est difficile ou impossible de dire que ces corps sphériques indivisibles soient en repos, comme ils ne restent jamais sans mouvement (66), ainsi qu'il est dit.

#90. — Il présente ensuite son second raisonnement (406b24), lequel va comme suit. Il est manifeste que le mouvement que l'argent vivant cause dans la statue n'est pas un mouvement volontaire, mais violent. Or le mouvement de l'âme n'est pas violent, mais volontaire, car il meut par la volonté et par l'intelligence. C'est pourquoi la position de Démocrite ne vaut rien (67), à ce qu'il semble.

#91. — Ensuite (406b26), il présente l'opinion de Platon. À ce propos, il développe deux points. En premier, en effet, il présente l'opinion de Platon. En second (407a2), il la réprouve. Sur le premier point, il en développe deux autres. En premier, il montre la ressemblance de l'opinion platonicienne avec l'opinion de Démocrite. En second (406b28), il explique l'opinion de Platon sur l'âme. Il dit donc, en premier, que, de même que Démocrite a soutenu que le corps est mû par l'âme pour autant que l'âme unie à lui est mue, c'est de même aussi que Timée, que Platon fait parler, fournit la raison pour laquelle68 l'âme meut le corps. Il dit en effet que l'âme meut le corps en tant qu'elle-même est mue, du fait que l'âme est unie au corps par le moyen d'une espèce de lien.

#92. — Ensuite (406b28), il explique l'opinion de Platon. En premier, il exprime la constitution de son essence. En second (406b31), il expose comment le mouvement est issu d'elle. Sur le premier point, on doit savoir qu'avec les mots présentés ici, dans le Timée, Platon continue à parler de l'âme du monde que, d'après lui, les âmes inférieures imitent. Voilà pourquoi, avec ce qu'il touche ici de la nature de l'âme du monde, il touche de quelque manière la nature de toute âme. On doit donc savoir que, comme on l'a dit plus haut (#46-51), Platon a soutenu que l'essence de toutes choses est le nombre, pour la raison rapportée plus haut. Comme éléments du nombre, par ailleurs, il en établissait un comme formel et deux comme matériels. En effet, tous les nombres sont constitués à partir d'un et deux. Puis, comme le nombre impair retient d'une certaine manière quelque chose de l'indivision de l'unité, il a établi deux éléments du nombre, le pair et l'impair; à l'impair, il a attribué l'identité et la finitude, tandis qu'au pair, il a attribué l'altérité et l'infinité.

#93. — Un signe de cela est touché, Physique, III, 4. En effet, si à l'unité on ajoute en ordre des nombres impairs, on produit toujours la même figure numérale. Par exemple, si on ajoute trois, le premier impair, à un, surgit quatre, qui est le nombre carré; si on ajoute encore à celui-ci le second impair, à savoir, le nombre quinaire, surgit le nombre novénaire, qui est encore un nombre carré, et ainsi de suite à l'infini. Par contre, avec les nombres pairs, c'est toujours une figure différente qui surgit. Si, en effet, à l'unité on ajoute le nombre binaire, qui est le premier nombre pair, surgit le nombre ternaire, qui est un nombre triangulaire; si on ajoute encore à celui-ci le nombre quaternaire, qui est le second nombre pair, surgit le nombre septenaire, qui est de figure septangulaire, et ainsi de suite à l'infini. Ainsi donc, Platon établissait le même et le divers comme éléments de toutes les choses, dont il attribuait l'un au nombre impair et l'autre au nombre pair.

#94. — Comme, maintenant, il soutenait que l'essence de l'âme est intermédiaire parmi les substances supérieures, qui restent toujours de la même manière, et les substances corporelles, dans lesquelles on trouve l'altérité et le mouvement, il a soutenu que l'âme est faite de ces éléments, à savoir, du même et du divers, et des nombres pairs et impairs. En effet, le milieu doit toucher aux deux extrêmes. Et c'est pourquoi, dit-il, il soutient qu'elle est constituée des éléments.

#95. — On doit aussi savoir que dans les nombres il y a différentes proportions, et d'infinies, dont certaines sont harmoniques, c'est-à-dire causes de consonances. En effet, la proportion double est cause d'une consonance, qu'on appelle octave; la proportion sesquialtère (69) produit la consonance que l'on appelle quinte; la proportion sesquitierce (70) produit la consonance que l'on appelle quarte (71); la proportion sesquioctave produit le ton; et les autres consonances sont produites par d'autres proportions. Par exemple, celle qui est composée de l'octave et de la quinte est produite à partir de la proportion triple; la double octave (72) est produite à partir de la proportion quadruple — que Pythagore, certes, blâme, comme Boèce le rapporte dans son traité sur la Musique —, issue de la percussion de quatre maillets, qui rendaient des sons consonants selon les proportions décrites. Par exemple, si un marteau pesait douze onces, un autre neuf, un autre huit, un autre six, celui qui serait de douze aurait une proportion double en rapport à celui qui serait de six, et rendrait avec lui une consonance d'octave. Par contre, celui qui est de douze, avec celui qui est de huit, se range sous la proportion sesquialtère et donne une consonance de quinte; et pareillement, celui de neuf avec celui de six. En outre, celui de douze, avec celui de neuf, est en proportion sesquitierce, et donne avec lui une consonance de quarte (73); et pareillement, celui de huit avec celui de six. Mais celui de neuf avec celui de huit, comme il est en proportion sesquioctave, donne une consonance selon le ton (74).

#96. — Or Platon a soutenu que toutes choses sont constituées de nombres, mais pas de nombres qui ont des proportions harmoniques; c'est seulement l'âme dont il a soutenu qu'elle est constituée de nombres dotés de proportions de la sorte. C'est pourquoi Aristote dit que Platon l'a établie comme «partagée» (75), c'est-à-dire comme répartie «d'après les nombres harmoniques», c'est-à-dire d'après des nombres proportionnés entre eux conformément à la propostion musicale. Il a en effet soutenu que l'âme est constituée de ces nombres, à savoir, d'un, deux, trois, quatre, huit, neuf, vingt-sept, entre lesquels on trouve de pareilles proportions.

#97. — C'est pour deux raisons qu'il a soutenu que l'âme est constituée des nombres harmoniques. L'une est que chacun trouve son plaisir en ce qui lui est semblable et connaturel. Or nous observons que l'âme trouve plaisir en tous les harmoniques, et est offensée de ce qui sort de la due harmonie, autant dans les sons que dans les couleurs, et que même en quoi que ce soit de sensible. Aussi semble-t-il que l'harmonie soit de la nature de l'âme. Et c'est ce qu'il dit, avec les mots: «L'âme a une sensation», c'est-à-dire connaissance, «connaturelle de l'harmonie».

#98. — L'autre raison est que les Pythagoriciens et les Platoniciens ont soutenu que les sons les mieux harmonisés proviennent des mouvements des ciels. Comme ils soutenaient aussi que les mouvements célestes sont dus à l'âme du monde, ils ont soutenu que l'âme est faite des nombres harmoniques, de manière à pouvoir produire des mouvements harmonisés. C'est ce qu'il dit, avec les mots: «Et pour que le tout», c'est-à-dire l'univers, «se déplace selon des mouvements consonants ».

#99. — Ensuite (406b31), il enseigne comment le mouvement céleste procède de l'âme. Là, on doit tenir compte que tous les nombres, pris dans leur ordre naturel, se trouvent disposés en ligne droite, pour autant que l'un ajoute à l'autre. Cependant, d'une série naturelle de nombres, on peut tirer plusieurs séries. Par exemple, si on prend comme sur une droite toute la série des doubles, et dans une autre toute la série des triples, et dans une autre toute la série des quadruples, et ainsi de suite. C'est qu'avec la connaissance qu'on en a on peut faire des opérations sur les nombres; cela, même Dieu le fait, en constituant les essences des choses à partir des nombres. De là, en constituant l'esence de l'âme des nombres mentionnés, qui se trouvent tous, selon un ordre naturel, sur une droite, il sépare comme deux lignes: l'un, des doubles, et l'autre, des triples; ce sont elles, en effet, qui contiennent toutes les proportions harmoniques (76). En effet, la proportion double se divise en sesquialtère et sesquitierce. Et la triple en double et sesquialtère. Donc, on prend, dans les nombres mentionnés, la série des doubles jusqu'au nombre cubique; par exemple, un, deux, quatre, huit; et une autre série, des triples, de la même manière, par exemple: un, trois neuf, vingtsept. Ces deux séries, bien sûr, s'unissent dans l'unité comme si elles étaient deux lignes droites contenant un angle.

#100. — De plus, si on unit à l'unité ceux qui se trouvent dans la ligne des triples, il en résultera des nombres qui se trouvent dans la ligne des doubles. Par exemple, si on ajoute le nombre trinaire à l'unité, on obtient quatre; et si inversement on ajoute à l'unité le nombre binaire, on obtient trois. Et ainsi, on constituera comme deux lignes qui s'entrecoupent, à la manière de la lettre grecque qui s'appelle chi: .

#101. — Si on va plus loin, on reviendra aux mêmes nombres. En effet, de quatre, on procédera à huit, et de trois on retournera à vingt-sept, et ainsi on fermera de l'une et l'autre manière comme un cercle.

#102. — On doit savoir toutefois que Platon disait que ce que l'on trouve dans une nature plus complexe provient des propriété d'une nature plus simple, comme les consonances des sons des proportions des nombres. Or il plaçait l'essence de l'âme intermédiaire entre les nombres, qui sont ce qu'il y a de plus abstrait, et la substance sensible; c'est pourquoi il tirait les propriétés de l'âme de celles des nombres mentionnés. En effet, dans l'âme, il y a d'abord lieu de considérer l'aspect droit, selon lequel elle regarde directement à son objet; et ensuite, elle revient en cercle, pour autant que l'intelligence réfléchit sur lui-même. On trouve aussi dans l'âme intellective comme un cercle des pairs et des impairs, pour autant qu'elle connaît ce qui est de même nature et ce qui est de nature différente; et cela s'étend jusqu'à la substance sensible du ciel, que l'âme meut.

#103. — Car, dans le ciel, on regarde deux mouvements circulaires: l'un simple et uniforme, d'après lequel le ciel se meut ou tourne (77) selon le mouvement diurne de l'orient à l'occident, lequel se fait certes selon un cercle équinoxial. L'autre mouvement est celui des planètes, qui va de l'occident à l'orient selon un cercle zodiaque, qui coupe le cercle équinoxial en deux points équinoxiaux, à savoir, au principe du Bélier et de la Balance, puis surtout décline du cercle équinoxial en deux points solstitiaux (78), à savoir au principe du Cancer et du Capricorne.

#104. — Et comme le premier mouvement est uniforme, c'est la raison pour laquelle il ne se divise pas en plusieurs autres, et s'assimile au cercle des impairs; pour cela aussi, le premier cercle est plus grand. En effet, les nombres impairs placés en haut sont plus grands.

#105. — Par contre, le second mouvement détient (79) beaucoup de diversité. C'est pourquoi il paraît appartenir au cercle des pairs. Il se divise en sept cercles d'après six interstices des nombres doubles et triples, comme il est dit dans le Timée. En effet, où il y a six divisions, il y a nécessairement sept divisés. Par conséquent aussi, ces cercles sont plus petits et sont contenus par le cercle suprême qui est celui des impairs. Ainsi donc, la lettre doit se lire: «De sorte que le tout», c'est-à-dire l'univers, «se déplace d'après des mouvements consonants», c'est-à-dire, de sorte que de l'harmonie de l'âme se dérivent les mouvements célestes harmonisés. Puis, Dieu «courba la ligne droite en cercle», de la manière dont on l'a exposé, et conformément à la propriété du nombre, et conformément à la propriété de l'âme, puis, divisant à partir de l'un, à cause de l'unique série naturelle du nombre, et de l'unique puissance intellective de l'âme, «en deux cercles», à savoir, ceux des pairs et des impairs, quant aux nombres, l'intelligence des mobiles et celle des immobiles, quant à l'âme, le mouvement selon l'équinoxe et le zodiaque quant au ciel.

#106. — Il ajoute encore «coordonnés de deux manières», parce que deux cercles qui se coupent se touchent en deux points. «Puis, il divise l'un», à savoir, le cercle inférieur, «en sept cercles», ceux des planètes, «comme si les mouvements du ciel étaient les mouvements de l'âme», c’est-à-dire, comme si le ciel se mouvait par le mouvement de l'âme.

Leçon 8

#107. — Après avoir présenté l'opinion de Platon, Aristote, ici, la réprouve. Là, on doit noter qu'Aristote, la plupart du temps, quand il réprouve les opinions de Platon, ne les réprouve pas quant à l'intention de Platon, mais quant à la façon dont ses paroles sonnent (80). Sa raison d'agir ainsi, c'est que Platon avait un mode d'enseigner inadéquat (81). Car il dit tout en figures et enseigne par symboles: il veut dire autre chose avec ses paroles que ce qu'annonce leur façon de sonner, quand il dit, par exemple, que l'âme est un cercle. C'est pourquoi, pour éviter qu'on tire occasion d'erreur de la manière de parler, Aristote s'attaque à Platon en rapport à la manière dont ses paroles sonnent.

#108. — Aristote présente dix (82) raisonnements pour détruire l'opinion présentée ci-haut. Certaines d'entre elles s'attaquent à Platon, et d'autres à ses paroles. En effet, Platon ne prétendait pas qu'en vérité l'intelligence soit une grandeur quantitative, ou un cercle, et un mouvement circulaire; mais c'est ce que métaphoriquement il a attribué à l'intelligence. Aristote, néanmoins, pour qu'on n'en tire pas occasion d'erreur, s'attaque à lui en rapport à la manière dont ses paroles sonnent.

#109. — En premier, donc, Aristote manifeste, concernant son premier raisonnement, de quelle âme Platon parle, à savoir, de l'âme de l'univers. «Et cette âme, qui est celle du tout», c'est-à-dire, de l'univers, il la prétend intellective seulement. Car elle n'est pas végétative, puisqu'elle n'a pas besoin d'aliment; et elle n'est pas sensible, puisqu'elle n'a pas d'organe; elle n'est pas désidérative non plus, puisque l'aspect désidératif suit le sensitif. Il précise que la raison de ne concevoir l'âme de l'univers ni sensible ni désidérative, c'est que Platon prétendait que le mouvement de l'âme de l'univers était circulaire. Or leur mouvement, à savoir, celui de l'âme sensible et désidérative, n'est pas circulaire; en effet, le sens ne réfléchit pas sur lui-même. Mais l'intelligence, elle, réfléchit sur elle-même, car on comprend qu'on comprend. Aussi dit-il que cette âme est intellective seulement; c'est la raison pour laquelle Platon affirme que l'intelligence est une grandeur et un cercle.

#110. — Aristote réprouve cette affirmation; il remarque que Platon n'a pas eu raison de dire que l'âme est une grandeur; et qu'il a eu tort d'en parler comme d'une grandeur circulaire et de la diviser en deux cercles.

#111. — Puis il montre que Platon a eu tort. Il est naturel, en effet, en rapport à l'âme, de juger de l'une de ses puissances d'après son acte, c'est-à-dire, de son opération, et de juger de son opération d'après l'objet de celle-ci. C'est qu'on connaît les puissances par leurs actes et les actes par leurs objets. C'est pour cela qu'on met dans la définition d'une puissance son acte, et dans la définition de son acte son objet. Par ailleurs, il est évident qu'une chose tient son unité de cela même dont elle tient sa nature (83). Si donc l'intelligence est l'objet intelligible et tire sa nature de lui, du fait même que ce soit son objet — je parle de l'intelligence en acte, car l'intelligence n'est rien avant d'intelliger —, il est manifeste que si l'intelligence est une et continue, comme Platon l'a soutenu, elle le sera de la manière même dont les intelligibles sont quelque chose d'un et de continu; en effet, l'intelligence n'est pas une autrement que son intellection (84), c'est-à-dire son opération, qui consiste à intelliger, et cet acte n'est pas un autrement que comme son objet est un, car on distingue les actes d'après leurs objets. Aussi, comme l'objet de l'intelligence, ce sont les intelligibles, et que ceux-ci, à savoir, les intelligibles, ne sont pas quelque chose d'un comme une grandeur ou un continu, mais comme un nombre, du fait qu'ils se suivent, il est manifeste que l'intelligence n'est pas une grandeur, comme Platon le disait. Au contraire, ou bien elle est indivisible, comme l'est la définition (85) des premiers termes, ou bien elle n'est pas continue à la manière d'une grandeur mais à la manière d'un nombre, pour autant que nous intelligeons une chose après une autre, et que souvent plusieurs se terminent par une seule, comme, dans les raisonnements, les propositions (86) se terminent par une conclusion.

#112. — Il présente ensuite son second raisonnement (407a11), qui va comme suit. On pourrait alléguer que Platon n'a pas introduit la grandeur dans l'intelligence à cause de la multiplicité des objets intelligibles, mais qu'il faut déjà qu'il y ait de la grandeur dans l'intelligence pour un seul objet à intelliger (87). #113. — À l'encontre: cela ne se peut pas. Platon, en effet, pensait (88) qu'intelliger ne se fait pas par réception d'espèces dans l'intelligence, mais que l'intelligence intellige moyennant un certain contact, à savoir, pour autant qu'elle va au-devant et à la rencontre des espèces intelligibles; et ce contact, il l'attribue au cercle, comme il a été dit plus haut (#109). Je te demande donc, si l'intelligence est une grandeur, et qu'elle intellige moyennant un contact, de quelle manière elle intellige. Car ce qu'elle intellige (89), elle le touche ou bien toute entière ou bien par l'une de ses parties; si c'est en lui touchant toute entière qu'elle intellige un tout, alors ses parties ne seront pas nécessaires, mais elle les aura en vain; et ainsi, il n'est pas nécessaire que l'intelligence soit une grandeur et des cercles (90). Par contre, si c'est en touchant avec ses parties qu'elle intellige des parties, cela se fera ou bien moyennant toutes ses parties (91), ou bien moyennant une seulement. Si c'est moyennant une seulement, alors la même chose qu'auparavant s'ensuit, parce que les autres seront superflues, et ainsi il ne sera pas nécessaire de soutenir que l'intelligence possède des parties. Si, par contre, c'est en touchant moyennant toutes ses parties qu'elle intellige, ce sera ou bien moyennant des parties ponctuelles, ou bien moyennant des parties quantitatives. Si c'est moyennant des parties ponctuelles, alors, comme il y a en n'importe quelle grandeur une infinité de points, il faudra que l'intelligence touche infiniment avant d'intelliger; et ainsi elle n'intelligera jamais, puisqu'il n'est pas possible de traverser une infinité de points.

#114. — Par ailleurs, Aristote parle de «parties ponctuelles» non pas qu'il prétende lui-même qu'une grandeur se divise en parties ponctuelles; c'est plutôt qu'il s'attaque au raisonnement de Platon, lequel était d'opinion que le corps se compose de surfaces, la surface de lignes, et la ligne de points. Mais Aristote a réfuté cela, Physique, VI, 1, au début, où il montre qu'un point ajouté à un point ne lui ajoute rien.

#115. — Par contre, si l'intelligence intellige en touchant moyennant des parties quantitatives, alors, étant donné que toute partie se divise en plusieurs autres, il s'ensuit que l'intelligence intellige plusieurs fois la même chose. En outre, comme toute quantité est divisible à l'infini selon la même proportion, mais non selon la même quantité, il s'ensuit que l'intelligence intellige une infinité de fois, ce qui est absurde. Il semble donc bien que ce ne soit possible qu'une seule fois; et ainsi, ce n'est d'aucune façon que l'on doit attribuer de la grandeur à l'intelligence, et ni en regard d'une multiplicité d'objets intelligibles, ni en regard d'un seul.

#116. — On doit remarquer aussi qu'Aristote, ici, montre, de manière voilée, que de sa nature l'intelligence n'est pas divisible, mais est quelque chose d'indivisible. En chaque chose, en effet, ce qu'il y a d'intelligible, c'est ce qu'elle est (92), et la nature d'une chose est toute en n'importe quelle partie, comme la nature de son espèce est toute en n'importe quel individu; en effet, toute la nature de l'homme est en n'importe quel individu, et cela, c'est indivisible. Par conséquent, ce qui est intelligible en toute chose est indivisible, et l'intelligence aussi, par conséquent.

#117. — Il présente ensuite son troisième raisonnement (407a18), qui va comme suit. Si nous soutenons que l'intelligence est indivisible, il est évident qu'il deviendra facilement manifeste de quelle manière l'intelligence intellige l'indivisible et le divisible. En effet, elle intelligera l'indivisible  grâce à la propriété de sa nature, du fait qu'elle est indivisible (93), comme il a été dit. Pour ce qui est du divisible, elle l'intelligera en faisant abstraction de son caractère divisible. Par contre, si on soutient que l'intelligence est divisible, suivant ce que Platon prétend, il sera impossible de trouver de quelle manière elle intellige l'indivisible. Et ainsi, il semble bien que c'est avec inconvenance que Platon soutient que l'intelligence est une grandeur, c'est-à-dire divisible.

#118. — Il présente ensuite son quatrième raisonnement (407a19), qui va comme suit. Tu dis que l'intelligence est un cercle, et tu dis que l'intelligence se meut. Or le mouvement du cercle est un circuit, et le mouvement de l'intelligence est l'intellection, c'est-à-dire le fait d'intelliger (94); si donc l'intelligence est un cercle, l'intellection sera nécessairement un circuit. Mais c'est faux, car dans un circuit, on ne peut trouver en acte ni principe ni fin, comme il est prouvé, Physique, VIII, 8; cela impliquerait aussi que l'intellection, c'est-à-dire l'opération de l'intelligence, qui consiste à intelliger, ne se terminerait jamais. Mais c'est faux aussi, car l'intellection a en acte et principe et fin; donc, l'intellection et un circuit ne sont pas la même chose et, par conséquent, l'intelligence n'est pas non plus un cercle.

#119. — Que l'intellection ait en acte principe et fin, on le prouve comme suit. Toute intellection est ou pratique ou spéculative. Or il est manifeste que, pour les intellections pratiques, il y a des termes, c'est-à-dire des fins. En effet, toutes sont en vue d'autre chose, à savoir, de leur œuvre, et se terminent avec leur œuvre. Les intellections spéculatives aussi ont une fin, à savoir, des œuvres de raison (95); toutes, en effet, se terminent par des œuvres de raison. Ces œuvres de raison sont ou bien «une définition», pour ce qui concerne l'intellection simple, «ou une démonstration», pour ce qui est de l'intelligence qui compose et qui divise. Or les démonstrations premières sont issues de principes certains et ont d'une certaine manière pour fin un raisonnement, c'est-à-dire une conclusion.

#120. — En outre, si l'on objecte qu'à une conclusion en suit une autre, et qu'ainsi on ne trouve pas de terme, on peut toutefois répliquer que les conclusions ne sont pas circulaires — car il n'est pas possible de démontrer en cercle96, comme il est prouvé, Seconds Analytiques, I, 3 —, mais s'étendent sur une droite; or il est impossible de trouver sur une droite un mouvement ou un processus infini.

#121. — Les définitions aussi ont principe et fin, car il n'est pas possible de remonter à l'infini dans les genres; on admet au contraire une sorte de genre généralissime. Il n'est pas non plus possible de descendre à l'infini dans les espèces; on doit au contraire s'arrêter à une espèce spécialissime. Aussi, dans les définitions, le genre généralissime agit comme principe, et l'espèce spécialissime comme un terme ou une fin. Il devient ainsi manifeste que toute intellection a principe et fin en acte.

#122. — Il présente ensuite son cinquième raisonnement (407a31). Celui-ci dépend d'une certaine manière du précédent et en constitue comme un membre. En effet, il a été prouvé plus haut (#118- 121) que si l'intelligence est un cercle, comme Platon l'a soutenu, l'intellection sera un circuit; et Aristote a prouvé, au raisonnement précédent, que l'intellection n'est pas un circuit. C'est cela même qu'il prouve ici avec un raisonnement comme suit. Nous observons qu'il y a, entre le circuit et les autres mouvements, cette différence qu'il est impossible, dans les autres mouvements, qu'un seul et unique mouvement se répète plusieurs fois sur la même quantité. Cela devient évident en le vérifiant en chaque espèce de mouvement. Dans l'altération, en effet, il est impossible que le même mouvement se répète sur la même chose, car la même chose ne peut pas sous le même rapport passer de blanc à noir et de noir à blanc. Dans le mouvement d'augmentation aussi, il est impossible qu'une seule et même chose, sous le même rapport, augmente et diminue. Dans le mouvement local encore, il est impossible que le même mouvement se répète sous le même rapport, car dans le mouvement local qui se fait sur une droite, il y a toujours deux termes en acte. (97) Aussi, s'il se répétait, il faudrait user deux fois du terme auquel aboutit le mouvement, à savoir, comme fin et comme principe, et nécessairement interviendrait là un repos; ainsi, ce ne serait pas le même mouvement, numériquement. Par contre, c'est seulement dans un circuit qu'il est possible que le même et unique mouvement se répète plusieurs fois sur la même quantité. La raison en est que dans un circuit il n'y a pas de termes en acte; c'est pourquoi, tant qu'on le répète, il n'intervient aucun repos et on ne change pas de mouvement.

#123. — Aristote argumente donc à partir de là comme suit. Tu dis que l'intelligence est un cercle; donc, l'intellection est elle-même un circuit. Mais il est absurde que l'intellection soit un circuit. Donc, la première affirmation l'est aussi.

#124. — Que ce soit absurde, il le montre comme suit. Il est manifeste que le même circuit s'effectue plusieurs fois sur la même et unique chose, c'est-à-dire se répète. Donc, si l'intellection est un circuit, comme tu le dis, cette intellection s'effectue plusieurs fois en un seul et unique mouvement, et se répétera plusieurs fois sur la même chose, et ainsi on l'intelligera plusieurs fois. En effet, l'intelligence, en se mouvant, touche, et en touchant intellige, comme ces gens le soutiennent; aussi, elle touche circulairement plusieurs fois la même chose et ainsi intellige plusieurs fois la même chose, ce qui est absurde.

#125. — Aristote présente ensuite son sixième raisonnement (407a32), qui va comme suit. Si l'intellection est un circuit, comme tu dis, elle doit se comparer à un mouvement. Pourtant, nous observons tout le contraire, car l'intellection se compare plutôt au repos qu'au mouvement; donc, l'intellection n'est pas un circuit. Que, par ailleurs, elle se compare plutôt au repos qu'au mouvement, cela est manifeste, car, comme Aristote le montre lui-même, Physique, VII, 3, on ne peut devenir sage tant que ses mouvements ne s'arrêtent ni n'entrent en repos. Ainsi, chez les enfants, et chez tous ceux dont les mouvements n'entrent pas en repos, on ne trouve pas facilement de sagesse. Au contraire, c'est quand on entre en repos qu'on acquiert sagesse; aussi dit-il que c'est en reposant et en s'assoyant que l'âme devient sage et prudente.

#126. — Mais comme on pourrait dire que cela est vrai pour l'intellection simple, mais pas pour le raisonnement, pour cette raison Aristote dit que, de la même manière, même le raisonnement se compare plutôt au repos qu'au mouvement. Et c'est manifeste. En effet, avant qu'on ait formé un raisonnement sur quelque chose, l'intelligence et l'esprit hésite entre l'une et l'autre contradictoire, et ne s'arrête pas à l'une. Mais quand on a déjà formé le raisonnement, on s'attache déterminément à une contradictoire et on se repose en elle.

#127. — Il présente ensuite son septième raisonnement (407a34), qui va comme suit. Il est manifeste que la béatitude de l'âme réside dans l'acte d'intelligence. Or la béatitude ne peut résider en ce qui comporte violence et va contre nature, puisqu'elle est la perfection et la fin ultime (98) de l'âme. Donc, comme le mouvement ne se fait pas suivant la nature et l'essence de l'âme, mais va contre sa nature, il est impossible qu'intelliger, qui est l'opération de l'âme et en quoi réside la béatitude de l'âme, soit un mouvement, comme Platon le soutenait. Que, par ailleurs, le mouvement aille contre la nature de l'âme, cela devient manifeste à partir de la position de Platon (#46-51; 92-98). Il a dit luimême, en effet, que l'âme est composée de nombres, et il a affirmé ensuite qu'elle est divisée en deux cercles, eux-mêmes réfléchis en sept (99). C'est de cela que suit le mouvement; par où apparaît que le mouvement ne lui appartient pas naturellement, mais par accident.

#128. — Il présente ensuite son huitième raisonnement (407b2), qui va comme suit. Il semble bien que, suivant l'opinion de Platon, l'âme ne soit pas en conformité avec sa nature unie à un corps. En effet, il soutenait qu'elle est d'abord composée des éléments, puis ensuite composée et réunie à un corps, et qu'elle ne peut s'en retirer à volonté. De là, Aristote procède ainsi. Toujours, quand une chose est unie à une autre à l'encontre de sa nature et qu'elle ne peut s'en retirer à volonté, cela est une peine pour elle (100). Et toujours, quand une chose subit une détérioration dans son union à une autre, la situation est à éviter et nuisible. Or, à ce qu'on a dit, l'âme est unie au corps à l'encontre de sa nature et ne peut s'en retirer à volonté; en outre, elle subit aussi une détérioration dans son union au corps, comme il est de coutume de le dire chez les Platoniciens et chez beaucoup de ces gens. Il semble donc bien que ce soit une peine à éviter, pour l'âme, de se trouver unie à un corps. Le dire de Platon comporte donc inconvenance, à savoir, que l'âme a d'abord été composée à partir des éléments, pour se mêler seulement ensuite au corps.

#129. — Il présente ensuite son neuvième raisonnement (407b5), qui va comme suit. Platon parle de l'âme de l'univers et affirme qu'elle se meut circulairement. Cependant, à suivre son opinion, la cause pour laquelle le ciel se meut circulairement n'est pas manifeste, c'est-à-dire, elle n'est pas fournie. De fait, si le ciel se meut circulairement, ce sera ou bien naturellement, en raison de ses principes, ou bien en raison d'une fin. Si on affirme que c'est naturellement, en raison de ses principes, ce sera ou bien en raison de la nature de l'âme, ou bien en raison de la nature du corps céleste. Or ce n'est pas en raison de la nature de l'âme, car se mouvoir circulairement n'appartient pas à l'âme selon son essence, mais par accident, car, comme il a été dit (#118-121), l'âme se meut par soi et suivant son essence selon un mouvement droit, et c'est ensuite qu'elle réfléchit la droite en des cercles. Ce n'est pas non plus en raison de la nature du corps céleste, car le corps n'est pas cause du mouvement de l'âme; c'est plutôt l'âme qui est pour le corps cause qu'il soit mû. Par contre, si on affirme que c'est en raison d'une fin, on ne peut donner une fin déterminée à cela, quand on demande pourquoi il se meut ainsi, et non selon un autre mouvement, sauf que c'est ainsi que Dieu veut qu'il se meuve. Mais Dieu, il y a une cause pour laquelle il veut que le ciel se meuve plutôt qu'il ne repose, et qu'il se meuve d'une manière, c'est-à-dire circulairement, plutôt que selon un autre mouvement; mais cette cause, Platon ne la donne pas. Comme, néanmoins il est plus approprié de la donner «en d'autres raisonnements», c'est-à-dire en un autre traité, à savoir, au livre Du ciel (II, ch. 5), nous renonçons à en parler davantage pour le moment.

#130. — Il présente ensuite son dixième raisonnement (407b13), lequel s'attaque non seulement à Platon, mais aussi à bien d'autres philosophes. Ce raisonnement réduit leurs positions à des absurdités et montre qu'elles sont déficientes. Il va comme suit. Il est manifeste qu'entre moteur et mû il se trouve une proportion, à la fois entre agent et patient, et entre forme et matière. En effet, n'importe quelle forme ne convient pas et ne s'unit pas pareillement à n'importe quel corps (101); tout agent n'agit pas non plus sur tout patient. N'importe quel moteur ne meut pas non plus n'importe quel mobile. Il faut, plutôt, qu'il y ait entre eux une communication et une proportion moyennant laquelle le premier soit naturellement habilité à mouvoir et le second à être mû. Or il appert que ces philosophes soutenaient que l'âme réside dans le corps et meut le corps. Donc, quand ils parlent de la nature de l'âme, il paraît aussi nécessaire qu'ils disent quelque chose de la nature du corps, en raison de quelle cause l'âme est unie au corps, et quelle relation le corps entretient avec elle, et comment le corps se rapporte à l'âme. Ils ne traitent donc pas suffisamment de l'âme quand ils s'efforcent seulement de dire de quelle nature est l'âme et négligent de montrer de quelle nature est le corps qui la reçoit.

#131. — Pour cela, ce qu'on rapporte dans les fables pythagoriciennes va bien avec eux, que n'importe quelle âme pénètre n'importe quel corps, et qu'il se peut, par exemple, que par hasard l'âme d'une mouche pénètre un corps d'éléphant. Pourtant, cela ne pourrait arriver, car chacun des corps, surtout chez les animaux, a une forme propre et une espèce propre, et un moteur propre et un mobile propre, et que le corps d'un ver diffère beaucoup du corps d'un chien, et le corps d'un éléphant du corps d'une puce (102). Quand ils disent cela, cependant, à savoir, que n'importe quelle âme pénètre n'importe quel corps, ils s'expriment tout comme si on disait que l'art du tisserand pénètre des flûtes, et celui du sculpteur (103) des métiers. Pourtant, si les arts possédaient eux-mêmes la nature de pénétrer des corps, ou d'animer des instruments, n'importe lequel ne pénétrerait pas n'importe lequel, mais l'art de la flûte pénétrerait des flûtes, non des lyres, et l'art de la cythare pénétrerait des cythares, et non des flûtes. De la même manière, donc, si pour n'importe quelle âme il y a un corps, chaque âme ne pénètre pas n'importe quel corps; au contraire, l'âme même se forme un corps adapté, et ne le prend pas déjà prêt. Ainsi donc, Platon et les autres philosophes, en parlant seulement de la nature de l'âme, se sont exprimés avec insuffisance, en ne déterminant pas quel est le corps qui convient à chaque âme, et quel corps s'unit à elle, et de quelle manière.

Leçon 9

#132. — Après avoir réprouvé l'opinion de Platon, le Philosophe réprouve ensuite une autre opinion, conforme à celle de Platon sur un point. En effet, il y en a eu qui ont dit que l'âme était une harmonie. Ces gens-là se sont trouvés à s'accorder avec Platon en ceci que Platon a dit que l'âme était composée de nombres harmoniques, alors qu'eux, d'autre part, ont dit qu'elle était une harmonie. Il y avait entre eux cette différence, toutefois, que Platon a dit que l'âme était une harmonie de nombres, tandis que ces gens ont dit que l'âme était une harmonie tant de composés que de mixtes, ou de contraires. À ce propos, il développe trois points. En premier, en effet, il présente l'opinion de ces gens et la raison de leur opinion. En second (407b32), il s'attaque à l'opinion présentée (104). En troisième (408a24), il montre de quelle manière cette opinion est très probable.

#133. — Sur le premier point, il en développe deux autres. En premier, en effet, il présente l'opinion mentionnée sur l'âme. Il affirme qu'une opinion a été transmise par les anciens sur l'âme; que celle-ci semblait bien s'appuyer sur trois raisons et valoir non seulement pour l'âme en particulier, mais aussi pour tout ce qui est commun à tous les principes. Il dit «pour tout ce qui est commun», parce que les philosophes anciens n'ont aucunement traité de la cause formelle, mais seulement de la cause matérielle. Entre tous, cependant, ceux qui ont semblé davantage s'approcher de la cause formelle ont été Démocrite et Empédocle. Ce dernier, Empédocle, a dit que toutes choses étaient constituées à partir de six principes, dont il en a introduit quatre comme matériels, à savoir, les quatre éléments, et deux comme formels, en partie actifs et en partie matériels, à savoir l'amour et la haine (105). Ils soutenaient que ces principes matériels présentaient entre eux une espèce de proportion, qui résultait d'eux et les faisait convenir sur un point, car sans quoi ils n'auraient pu être ensemble. Et ce point de convenance, ils disaient qu'il constituait la forme et l'harmonie des choses. Aussi, comme pour les autres formes, ils soutenaient pareillement de l'âme qu'elle était une espèce d'harmonie.

#134. — En second (407b30), il présente la raison de pareille opinion. Il dit que l'harmonie est la composition et la proportion et la juste mesure des contraires dans les composés et les mixtes. C'est la proportion qui se trouve entre les contraires que l'on appelle l'harmonie et la forme du composé. Aussi, comme l'âme est une espèce de forme, ils disaient qu'elle est une harmonie. On rapporte cette opinion comme celle d'un Dinarque et de Simmias et d'Empédocle.

#135. — Ensuite (407b32), il s'attaque à l'opinion citée. À ce propos, il développe deux points. En premier, en effet, il s'attaque en général à la position des philosophes cités. En second (408a18), il s'attaque précisément à son partisan, à savoir, à Empédocle. Contre la position, par ailleurs, il s'objecte avec quatre raisonnements, dont le premier va comme suit. Il va de soi que l'harmonie proprement dite est une consonance entre sons; or ces gens ont étendu ce nom à toute proportion correcte, tant dans les choses composées de parties variées que dans les mélanges de contraires. Sous ce rapport, donc, l'harmonie peut renvoyer à deux choses: soit la composition même ou combinaison, soit la proportion de cette (106) composition ou combinaison. Cependant, il est manifeste que l'âme n'est ni l'une ni l'autre; donc, l'âme n'est pas une harmonie. Que, par ailleurs, l'âme ne soit pas composition ou proportion de composition, cela appert. En effet, ces gens prennent l'âme comme une espèce de substance, et ces deux choses sont des accidents; ce ne sont donc pas la même chose. 

#136. — Il présente ensuite son second raisonnement (407b34), qui va comme suit. Il appert que tous les philosophes disent que l'âme meut. Or l'harmonie ne meut pas; au contraire, elle est laissée par un moteur et vient par après. Par exemple, du mouvement des cordes qui se fait par la musique, il reste une harmonie dans le son. Pareillement, de l'assemblage et de l'adaptation des parties par un agent de composition, il reste une proportion dans ce qu'il a composé. Donc, si l'âme est une harmonie, et si elle aussi est laissée derrière par un harmonisateur, il faudra introduire encore une âme pour faire l'harmonisation.

#137. — Il présente ensuite son troisième raisonnement (408a1), qui va comme suit. Le Philosophe dit, Physique, IV, 4: quand on donne la définition ou la nature d'une chose, il faut, pour que la définition soit suffisante, qu'elle convienne aux opérations et aux affections de la chose. En effet, on définit au mieux ce qu'est une chose quand on fait connaître non seulement l'essence et la nature de la chose même, mais aussi ses affections et ses accidents. Si donc l'âme est une harmonie, il faut que par la connaissance de l'harmonie nous arrivions à connaître les opérations et les accidents de l'âme. Or cela est fort difficile, c'est-à-dire, si on veut renvoyer les opérations de l'âme à l'harmonie. À quelle harmonie, en effet, appartiendra-t-il de sentir, et à laquelle aimer ou haïr, et comprendre? Au contraire, il est bien plus possible, par la connaissance de l'harmonie, d'arriver à la connaissance des accidents des corps; par exemple, si on veut connaître la santé, on dira qu'elle est une composition adéquate et mesurée des humeurs et des qualités dans le corps. Et il en ira de même des autres vertues corporelles. De la sorte, on devrait davantage attribuer l'harmonie au corps qu'à l'âme.

#138. — Il présente ensuite son quatrième raisonnement (408a5), qui va comme suit. On trouve parfois de l'harmonie dans des composés dotés de position (107) et de mouvement; en effet, quand ils se trouvent placés et ordonnés entre eux «de façon que rien (108) de même genre ne soit laissé de côté», c'est-à-dire qu'aucun manque du même genre ne soit là, alors on dit que les parties sont bien harmonisées et on appelle (109) leur composition une harmonie; par exemple, des lignes et des pierres, et d'autres corps naturels. Pareillement aussi, des cordes, quand elles sont bien ordonnées, ou des flûtes, de façon qu'il en résulte une consonance de sons, on dit qu'elles sont bien harmonisées; et une consonance de la sorte, on l'appelle une harmonie, et c'est de cette manière qu'on parle proprement d'harmonie. Parfois, néanmoins, on en trouve dans les corps mixtes issus de contraires. En effet, quand des contraires sont imbriqués et agencés en quelque chose, de sorte qu'aucune répugnance, c'est-à-dire aucun excès d'un contraire, n'y soit, par exemple de chaud ou de froid, ou d'humide ou de sec, alors on dit que ces corps sont bien harmonisés, et on appelle leur raison, c'est-à-dire, leur proportion, une harmonie. Si donc l'âme est une harmonie, c'est suivant l'une de ces manières qu'on en parlera. Or il appert qu'il n'est raisonnable d'aucune de ces manières d'appeler l'âme une harmonie; donc, c'est à tort qu'ils disent l'âme une harmonie.

#139. — Que d'aucune de ces manières on ne dise l'âme une harmonie, c'est évident. En effet, on ne peut dire l'âme une harmonie suivant ce qu'on trouve dans les choses composées et dotées de position (110); et c'est évident (111). Car l'ordre des parties composées en un corps est tout à fait manifeste; en effet, il est facile de connaître l'ordre entre os et os, entre nerfs et nerfs, entre bras et main, entre chair et os. Par contre, la raison de l'ordre entre les parties de l'âme n'est pas manifeste pour nous. Ce n'est pas par lui, en effet, que nous pouvons connaître l'ordre qu'il y a entre intelligence et sens et appétit et ainsi de suite.

#140. — On ne peut pas non plus dire que l'âme est une harmonie suivant la proportion des corps issus de mélanges de contraires. Et cela pour deux raisons. La première raison est qu'on trouve une proportion différente dans les différentes parties du corps. En effet, la combinaison des éléments ne suit pas la même raison, c'est-à-dire, la même proportion, selon qu'on a de la chair et selon qu'on a des os. Donc, il y aura, dans différentes parties, des âmes différentes, en regard d'une proportion et d'une multiplication différente des parties de l'animal (112). L'autre raison est que tous les corps sont combinés d'éléments et de contraires; si, donc, la proportion de la combinaison, en n'importe quel corps, est une harmonie, et que l'harmonie est une âme, il y aura donc en n'importe quel corps une âme. Ce qui est absurde. Il appert ainsi que c'est avec inconvenance qu'on dit que l'âme est une harmonie.

#141. — Ensuite (408a18), il s'attaque à Empédocle. Il présente contre lui trois raisonnements (113) qu'il ne déduit pas. La première va comme suit: il prétend (114) que n'importe quel corps consiste en une «raison», c'est-à-dire en une proportion, qu'il appelle une harmonie, et c'est elle qu'il appelle (115) une âme. Je demande donc si l'âme est cette raison même, c'est-à-dire cette proportion dans la combinaison, ou autre chose que la proportion. Si tu dis qu'elle est la proportion même, alors, comme dans un corps il y a différentes proportions suivant différentes parties, il s'ensuit deux (116) inconvenances: à savoir, qu'il y a beaucoup d'âmes dans un seul corps, selon ses différentes parties, et qu'il y a une âme en tout corps mixte. Si tu dis qu'elle est autre chose que la proportion, alors, comme la proportion est une harmonie, l'âme ne sera pas une harmonie.

#142. — Il présente ensuite son second raisonnement (117) (408a21), qui va comme suit. Empédocle soutenait que l'amitié était la cause de la réunion dans les choses, et la haine la cause de la séparation (118). Or dans la réunion, il se fait une proportion. Je demande donc si l'amitié est la cause de n'importe quelle réunion, ou seulement d'une réunion harmonisée. Si tu dis que l'amitié est la cause de n'importe quelle réunion, alors il faudra introduire autre chose que l'amitié pour causer pareille proportion et harmonie dans les réunions harmonisées; ou bien il faudra dire que pareille harmonisation se fait par hasard. Si tu dis qu'elle est seulement cause de la réunion harmonisée, alors l'amitié ne sera pas cause de toute réunion, ce qui va contre Empédocle.

#143. — Il présente ensuite son troisième raisonnement (119) (408a22), qui va comme suit. Empédocle dit que c'est l'amitié qui entraîne la réunion dans les choses. Je demande donc si l'amour est la même chose que la réunion harmonisée elle-même, ou non. Si on dit que c'est la même chose, alors, comme rien n'est cause de soi-même, l'amour ne sera pas cause de cette réunion, comme Empédocle le disait. Si par contre on dit que ce n'est pas la même chose, il y a ceci contre: la réunion harmonisée n'est rien d'autre qu'une certaine rencontre; or l'amitié semble bien être une rencontre; c'est donc la même chose. De la sorte, il s'ensuit la même chose qu'auparavant.

#144. — Ensuite (408a24), il montre de quelle manière cette opinion est très probable. À ce propos, il développe deux points. En premier, en effet, il montre que pareille opinion est très probable. (120) Et il affirme que la raison pour laquelle cette opinion paraît probable, c'est qu’en admettant l'un on admet l'autre et qu'en refusant l'un on refuse l'autre. En effet, dès que l'harmonie se retire d'un corps, l'âme s'en retire, et tant que l'harmonie y reste, l'âme y reste. Cependant, cela ne suit pas, car une proportion de la sorte n'est pas une forme, comme ces gens le croyaient, mais elle est une disposition de la matière pour la forme. Et si on prend la proportion de la composition harmonisée (121) pour une disposition, il s'ensuit bien que, tant que la disposition de la matière pour la forme reste, la forme reste, et qu'une fois détruite la disposition, la forme disparaît. Non pas, cependant, que l'harmonie soit une forme, mais la disposition de la matière pour la forme. 

#145. — En second (408a29), il conclut et épilogue que l'âme n'est pas mue circulairement, comme Platon l'a dit. Elle n'est pas non plus une harmonie, comme Empédocle l'a affirmé. Elle est mue, toutefois, par accident, comme nous l'avons dit plus haut (#75-86), et elle se meut elle-même. Qu'elle soit mue par acident, cela appert; car elle est mue en tant qu'est mû le corps dans lequel elle est, tandis que le corps est mû par l'âme. D'une autre manière, il n'est pas possible qu'elle soit mue selon le lieu sauf par accident.  

(fin du livre I)

NOTES

(1) Marietti: topice et probabiliter. Léonine: topice idest probabiliter, qui donnerait: par lieux, c'est-à-dire par endoxes, ou, plus confusément: localement, c'est-à-dire probablement. — Je préfère la version de Marietti, plus riche, qui énumère les deux aspects de l'imperfection dialectique, à la version léonine, qui les confond comme deux façons, l'une plus manifeste que l'autre, d'exprimer confusément cette imperfection.

(2) Marietti: «comprenons à l'examen de la faculté de l'intellect possible». L'édition léonine omet toute la phrase suivante.

(3)  comme il vise ici tout ce qui a l'âme pour principe, signifie le vivant en général, et non pas seulement l'animal.

(4)

(5)

(6) Passiones. Il s'agit de ce que l'on appelle généralement les propriétés d'un sujet: les accidents qui lui appartiennent en propre, du fait qu'il les reçoit — qu'il les subit, d'où le nom de passio, de passion, d'affection — de sa nature.

(7) Marietti: differant etiam genere, vel non. Léonine: specie differant aut genere.

(8) Marietti: «pas de substances universelles mais seulement des particulières».

(9) Marietti: est in corpore. Léonine: est corpus.

(10) Marietti: autem. Léonine: ergo.

(11) «Aliquando superveniunt durae et manifestae passiones, et homo non provocatur, neque timet.» Il y a un contresens à éviter ici. Les passiones qui surviennent ne sont pas des passions — le contexte est que justement on ne se fâche pas ni ne prenne peur —, mais des événements importants qui fourniraient normalement l'occasion de grandes passions.

(12) «Rationes in materia», qui traduit « ».

(13) Ratio.

(14) Ratio.

(15) Marietti: Tertio eorum qui inquirebant naturam eius ex utroque, ibi, «Quoniam autem et motivum…» Léonine: omis.

(16) Léonine: movens. Marietti: movens et mota.

(17) Léonine: quae sunt contrarie. Marietti: quae sunt contradictoria.

(18) Léonine: et. Marietti: hoc est.

(19) Léonine: in oculo. Marietti: in oculo vel imaginatione.

(20) Marietti: omnia cognoscere. Léonine: ex principiis componi.

(21) Dixit animam esse ex huiusmodi principiis… Léonine: que ponebat, et sensum. Marietti: quae ponebat. 14

(22) Idem et diversum. Voir Timée, 35a ss.: «… .»

(23) Per intellectum Omis par l'édition léonine.

(24) Léonine: cognitionem. Marietti: vim cognoscitivam.

(25) Rationem cognoscendi.

(26) Rationem movendi.

(27) Léonine: adulterationem. Marietti: additionem.

(28) Léonine et Marietti: Thales.

(29) Léonine: motus. Marietti: sensus.

(30) Léonine: motus tantum. Marietti: motus.

(31) Léonine et Marietti: Thales.

(32) Marietti: simpliciter. Léonine: omis.

(33) Léonine: aquam seu aerem. Marietti: aquam seu ignem vel aerem.

(34) Marietti: et sic esse de natura caelesti et divina. Léonine: omis.

(35) Léonine: et huiusmodi, inmortalia sunt. Marietti: et huiusmodi, quae semper moventur et immortalia sunt

(36) Marietti: Nam secundum eum, sicut motus causat in eis immortalitatem, ita et in anima quae naturae mobilissimae est. Léonine: omis.

(37) Léonine: secuti sunt Thales. Marietti: secuti sunt magistrum suum, scilicet Thaletem.

(38) Intellectum immixtum.

(39) Léonine: dicunt animam esse plura. Marietti: aiunt animam esse plura illa, sive ex his componi.

(40) Léonine: in elementis. Marietti: elementis.

(41) Léonine: a respiratione. Marietti: respirationem.

(42) Léonine: incorporalissimum seu subtilissimum. Marietti: incorporalissimum.

(43) Léonine: non utitur per se nisi de duobus tantum. Marietti: non utitur nisi duobus tantum.

(44) Léonine: in secunda secundum quas dixerunt. Marietti: secundo contra opiniones eorum qui dixerunt. 20

(45) Léonine: ipsam animam. Marietti: ipsam.

(46) Léonine: in tertia. Marietti: tertio.

(47) Léonine: si aliquid movet, et movetur. Marietti: si aliquid movet, non oportet quod moveatur.

(48) Léonine: enim. Marietti: etiam.

(49) Léonine: quia vel secundum alterum vel secundum se, secundum, seu per accidens, quando non movetur ipsum, sed illud in quo est. Marietti: quia vel secundum se, vel secundum alterum, seu per accidens. Secundum se, quando res ipsa movetur, ut navis: per accidens, vel secundum alterum, quando non movetur ipsum, sed illud in quo est.

(50) Marietti: in navi. Léonine: omis. 21

(51) Léonine: haec. Marietti: haec est vera.

(52) Hoc, cum est nauta in navi, non inest ei.

(53)  Léonine: non erit de substantia animae. Marietti: non erit substantia animae.

(54) Léonine: sed mutationes. Marietti: sed mutationes; quia motus sunt successivi, sed generatio et corruptio sunt mutationes instantaneae.

(55) Léonine: unum de hoc, quod dicit quod omnes dicti motus sunt in loco, quod quidem de locali… Marietti: unum de hoc, quod quidem de locali…

(56) Léonine: huiusmodi motus sunt in loco non secundum locum. Marietti: huiusmodi motus sunt in loco et non sunt secundum locum.

(57) Léonine: quod moveatur violenter et quiescat. Marietti: quod moveatur violenter et quiescat violenter.

(58) Léonine: quod id quod movetur naturaliter movetur violenter: nam celum movetur naturaliter, non tamen violenter. Marietti: quod id quod movetur naturaliter, non tamen violenter.

(59) Léonine: dicis. Marietti: dicunt.

(60) Léonine: mediorum. Marietti: elementorum.

(61) Léonine: ergo et anima. Marietti: ergo anima.

(62) Léonine: reintrare. Marietti: intrare.

(63) Léonine: illis sequitur. Marietti: sequitur.

(64) Léonine: a substantia. Marietti: a substantia sua. 

(65) Léonine: non est causa quietis in animali. Marietti: non est causa quietis, licet sit causa motus in animali.

(66) Léonine: nunquam maneant. Marietti: nunquam immota permaneant.

(67) Léonine: nihil <valet>. Marietti: nulla est.

(68) Léonine: naturam quare. Marietti: rationem qualiter.

(69) Le nombre sesquialtère en contient un autre une fois et demie.

(70) Une fois et un tiers.

(71) Léonine: sesquialtera proportio causat consonantiam, quae dicitur diapente: sesquitercia proportio causat consonantiam quae dicitur diatessaron. Marietti: sesquialtera proportio causat consonantiam, quae dicitur diatessaron.

(72) Léonine: bisdiapason. Marietti: sub diapason.

(73) Léonine: consonat cum eo secundum diatessaron. Marietti: consonat cum eo diatessaron.

(74) Léonine: tonum. Marietti: totum.

(75) Aristote: memerisménhn. Moerbeke: dispartitam.

(76) Léonine: omnes proportiones harmonicas. Marietti: omnes harmonicas.

(77) Léonine: revolvitur. Marietti: movetur seu revolvitur.

(78) Léonine: in duobus aequinoctialibus punctis, scilicet in principio Arietis et Libre, maxime autem declinat ab aequinoctiali in duobus solstitialibus punctis. Marietti: in duobus solstitialibus punctis.

(79) Léonine: habet. Marietti: facit.

(80) Quantum ad somun verborum eius.

(81) Malum modum docendi.

(82) Léonine: novem. Marietti: decem.

(83) Speciem.

(84) Intellectus enim non est unus nisi sicut intelligentia.

(85) Léonine: qui. Marietti: ratio. 28

(86) Léonine: propositiones. Marietti: proportiones.

87) Léonine: propter unum quid intelligendum. Marietti: propter unumquodque intelligibilium.

(88) Léonine: opinatus est. Marietti: ponit et opinatus est.

(89) Léonine: aut ad hoc quod intelligit. Marietti: aut enim hoc quod intelligit.

(90) Léonine: circuli. Marietti: circulus.

(91) Léonine: secundum omnes partes. Marietti: secundum plures partes.

(92) Quidditas.

(93) Léonine: quae impartibilis est. Marietti: eo quod impartibilis est.

(94) Léonine: intelligentia. Marietti: intelligentia, hoc est intelligere.

(95) Rationes.

(96)Léonine: non est circulatio intelligentiae. Marietti: non est circulo demonstrare. 30

(97) Léonine: in actu. Marietti: scilicet actu.

(98) Léonine: perfectio animae. Marietti: perfectio et finis ultimus animae.

(99) Léonine: et hos reflexit in septem. Marietti: et reflexit in septimo.

(100) Léonine: est poenale. Marietti: ei est poenale. 31

(101) Léonine: et materiam similiter. Non enim quaelibet forma cuilibet corpori convenir et unitur. Marietti: et materiam. Non similiter enim quaelibet forma cuilibet corpori convenit et unitur.

(102) Léonine: pulicis. Marietti: culicis.

(103) Aerariam.

(104) Léonine: contra opinionem. Marietti: contra dictam opinionem.

(105) Léonine: et duo, scilicet amicitiam et litem, partim materialia et partim activa. Marietti: et duo formalia partim activa, et partim materialia, scilicet amicitiam et litem.

(106) Léonine: ipsius. Marietti: illius. 33

(107) Léonine: positionem Marietti: compositionem.

(108) Léonine: nihil. Marietti: nullum.

(109) Léonine: nominatur. Marietti: vocatur.

(110) Léonine: positionem. Marietti: compositionem.

(111) Léonine: omis. Marietti: quod patet.

(112) Léonine: erunt diversae animae. Marietti: erunt diversae animae secundum diversam proportionem et multiplicationem partium animalis.

(113) Léonine: questiones. Marietti: rationes.

(114) Léonine: ipse ponit. Marietti: ipsi ponunt.

(115) Léonine: dicit. Marietti: dicunt.

(116) Léonine: dicta. Marietti: duo.

(117) Léonine: questionem. Marietti: rationem.

(118) Léonine: segregationis. Marietti: disgregationis.

(119)Léonine: questionem. Marietti: rationem.

(120) Léonine: multum probabilis. Et circa hoc duo facit. Primo enim ostendit opinionem huiusmodi esse multum probabilem; dicens… Marietti: multum probabilis; dicens…

(121) Léonine: proportio harmonizatae compositionis. Marietti: proprie harmonia compositionis.

(fin du livre I)