RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE  - table des matières d'Athénée de Naucratis

introduction à athénée de naucratis - livre XII

ATHÉNÉE DE NAUCRATIS

De l'Amour 

Le Livre XIII des Deipnosophistes (1 -20)

suite

   J'ai modestement demandé à Philippe Renault de revoir ma traduction du livre XIII des Deipnosophistes.  Il a fait bien plus : il a corrigé certaines erreurs de traduction, et a, comme il le dit lui-même,  « fourni une traduction fidèle, en essayant de restituer la fraîcheur,  parfois la naïveté de l’écrivain ». Il a mis en page le texte et y a ajouté l'iconographie : je ne peux que l'en remercier. (Philippe Remacle)

 

    Philippe Renault, dont Les Belles Lettres ont publié en 2000 une Anthologie de la poésie grecque antique préfacée par Jacqueline de Romilly (440 p.), est aussi l'auteur de plusieurs autres volumes (poèmes personnels et traductions de textes antiques), disponibles en version électronique auprès des Éditions de l'Arbre d'Or. Les FEC proposent de lui plusieurs articles consacrés aux fabulistes antiques, respectivement : (1) Fable et tradition ésopique ; (2) L'esclave et le précepteur. Une comparaison entre Phèdre et Babrius ; (3) Babrius, un fabuliste oublié.

 

    Philippe Renault s'intéresse également à Lucien. Il a publié dans les FEC 8 (2004), sous le titre Lucien de Samosate, ou le rhéteur magnifique, une introduction générale à la vie et à l'œuvre de celui qu'il appelle « un satiriste flamboyant ». Il a aussi donné à la BCS la traduction nouvelle de plusieurs opuscules de Lucien, dont : Les Amis du Mensonge ou l'Incrédule ; La Traversée pour les Enfers ou le Tyran, et La Mort de Pérégrinos.

 

     La BCS lui doit également une traduction nouvelle en vers du Livre V et du Livre XII de l'Anthologie Palatine, consacrés respectivement aux épigrammes érotiques et aux épigrammes homosexuelles.

 

  

 

trADUCTION

 

Pour visualiser le texte grec, cliquez sur le numéro du chapitre

Appel à Érato

 

   1. Un jour, mon cher Timocrate, le poète comique Antiphanès lut une de ses pièces au roi Alexandre. Visiblement, ce dernier n'apprécia pas du tout, et le poète lui dit : « Prince, pour aimer cela, il faut avoir dîné à des repas où chacun paie son écot, et avoir reçu, en l'honneur d'une courtisane, des coups et en avoir souvent donnés. » C'est ce que nous rapporte Lycophron de Chalcis dans son ouvrage Sur la Comédie. Quant à nous, après avoir entendu parler des femmes mariées et des courtisanes, nous allons maintenant nous pencher sur des histoires d'amour et les raconter à des gens avertis. Mais pour mémoriser cette longue liste érotique, nous devons d'abord invoquer la Muse Érato. En préliminaires, jetons-lui ces quelques mots :

 

« Je t'en prie, Érato, viens et reste à mes côtés, puis dis-moi tout ce qui a trait à l'amour  et à toutes les affaires de cœur. »  

Les fiançailles À LacÉdÉmone - Les deux Épouses de Socrate

   2. Quand il fit son éloge des femmes mariées, notre hôte éminent cita un passage d’Hermippos, tiré de son livre sur les Législateurs, disant qu'à Lacédémone on avait l'habitude d'enfermer dans une pièce obscure des jeunes filles avec des garçons célibataires. Chacun d’eux, après avoir mis la main sur l'une d’elles, devait la ramener pour l'épouser, sans dot. Voilà pourquoi Lysandre fut infligé d'une amende pour avoir abandonné la première fille qu'il avait prise pour en épouser une autre bien plus belle. Cléarchos de Soli indique dans son livre sur les Proverbes

 

« À Lacédémone, lors d'une fête, les femmes mariées amènent les célibataires près d'un autel et se mettent à les frapper, afin que les jeunes gens, pour ne plus avoir à subir une pareille humiliation, puissent aimer comme il faut et se marier au bon moment.

À Athènes, c'est Cécrops, le premier, qui unit une femme à un homme ; jusqu’à lui, ces unions étaient pour le moins relâchées et avaient lieu dans une complète promiscuité. C'est pourquoi, certains pensent que Cécrops méritait le surnom de « double » : avant lui, les pères supposés étant légion, nul ne pouvait connaître le véritable. »

 

D’après ce texte, on peut légitimement critiquer ces auteurs qui attribuent deux épouses à Socrate, l’une nommée Xanthippe, l’autre, Myrto, fille d'Aristide, non pas celui qu'on appelle le Juste – du point de vue chronologique, il ne correspond guère -, mais le troisième de sa descendance. Les auteurs en question sont Callisthène, Démétrios de Phalère, Satyros le Péripatéticien et Aristoxènos.  C'est Aristote qui  inventa cette histoire lorsqu’il la raconta dans son traité Sur la Naissance noble.  Ce fait nous laisse perplexe, sauf à croire que la bigamie ait été autorisée à cette époque par une loi exceptionnelle pour pallier à la pénurie d'hommes.  Ce qui expliquerait que les poètes comiques – qui, pourtant, sont si prolixes sur Socrate – aient passé la chose sous silence. Hiéronymos de Rhodes a cité un décret sur les femmes que je vous enverrai, dès que je me serai procuré son ouvrage. Mais ajoutons que Panétios de Rhodes a réfuté tous les arguments des auteurs qui donnent des épouses de Socrate.

La polygamie  

   3. Chez les Perses, la reine accepte une multitude de concubines parce que le roi, en tant que monarque absolu, est le maître de son épouse. Mais Dinon, dans son Histoire de la Perse, dit aussi que la reine est traitée par les concubines avec infiniment d’égards : en effet, celles-ci lui doivent obéissance.

On sait que Priam eut de nombreuses épouses, et Hécube ne s’en formalisa guère. Priam, en effet, dit ceci : « J'ai eu dix-neuf fils d'un seul ventre ; quant aux autres, ce sont des femmes qui les ont engendrés dans les chambres de mon palais. »

En revanche, chez les Grecs, la mère de Phénix ne put souffrir la concubine d'Amyntor.

Médée, très au fait de la pratique du concubinage, une chose courante chez les barbares, refusa le mariage de Glauké parce qu'elle-même avait renoncé à ses usages pour adopter, ceux, autrement plus civilisées, des Grecs.

N’oublions pas Clytemnestre, qui, dans un moment de crise passionnelle, tua Cassandre et Agamemnon lui-même, parce que son seigneur et maître, ayant en Grèce ramené Cassandre, avait fait siennes les coutumes barbares relatives au mariage.

 

« On ne peut que s'étonner, dit Aristote, que nulle part dans l'Iliade, Homère ne fasse mention d'une concubine couchant avec Ménélas, bien que ce prince ait donné des femmes à tout le monde. Pourtant, tout au long du poème, on voit des vieillards, tels que Nestor et Phénix, qui sont au lit avec des femmes. Il est vrai qu’au temps de leur jeunesse, ces deux personnages n’avaient guère soumis leur corps aux excès de l’ivresse, ni aux désordres nés de la sensualité ou de la gloutonnerie, tant et si bien que, tout naturellement, ils étaient restés fort vigoureux jusque dans leur vieillesse. Bien entendu, on peut penser que le spartiate avait un grand respect pour Hélène, sa femme légitime : d’ailleurs, c’est à son intention qu’il leva une armée. Il s’abstint donc de fréquenter une autre femme. Par contre, Agamemnon est raillé par Thersite pour avoir eu moult liaisons féminines : « Les tentes regorgent de bronze, dit-il, mais aussi de femmes de choix que nous, les Achéens, t'avons offert en tant que roi.» Toutefois, il est bien improbable, poursuit Aristote, qu’il se soit vu offrir un grand nombre de femmes pour son usage personnel : non, c’était une marque d’honneur, comme le fait de recevoir d’énormes quantités de vin, pas forcément destinées à l'enivrement collectif... »  

 

                Les hommes À femmes : HÉraclÈs et ThÉsÉe

 

   4. Héraclès, réputé pour avoir eu des femmes à foison – c’était un grand amateur de la gent féminine – obtint leurs faveurs les unes après les autres. La chose semble naturelle de la part d’un homme qui ne cessait de parcourir mille régions pour accomplir ses missions ; ce qui explique qu’il ait eut une progéniture si importante. On rapporte que, dans l’intervalle de cinq jours, il réussit à  dépuceler les cinquante filles de Thestios, s’il faut en croire Hérodoros.

   Égée, lui aussi, eut beaucoup d'épouses. Il épousa en premières noces la fille d'Hoplès, avant de s’unir plus tard à l’une des filles de Chalcodon. Mais, après avoir bien profité d’elles, il les refila toutes deux à ses amis, puis se mit à fréquenter de nombreuses femmes sans les épouser. Plus tard, il se maria avec Aethra, fille de Pitthéos, enfin avec Médée.

Quant à Thésée, il ravit Hélène, ainsi qu’Ariane, peu après. Istros, qui rédigea la liste des femmes qui s’unirent à Thésée, dans le quatorzième livre de son Histoire de l'Attique, raconte que certaines d'entre elles se sont offertes à lui par amour véritable, tandis que d’autres ont été purement et simplement enlevées, et quelques-unes épousées en toute légalité. Parmi les femmes enlevées, Hélène, Ariane, Hippolyte et les filles de Cercyon et de Sinis. En revanche, Mélibée, mère d'Ajax fut épousée. De son côté, Hésiode raconte que Thésée épousa, en outre, Hippé et Aéglé, cette dernière étant la cause de la rupture des serments faits à Ariane, aux dires de Kerkops. Phérécyde ajoute à la liste Phérébée. Mais avant son aventure avec Hélène, Thésée avait déjà enlevé Anaxo de Trézène. Enfin, après Hippolyte, il épousa Phèdre.  

Les hommes À femmes : Philippe de MacÉdoine

   5. On sait que Philippe de Macédoine n'emmenait pas de femmes avec lui quand il allait guerroyer. Ce qui n'est pas le cas de Darius, lequel fut vaincu par Alexandre. Ce roi, bien qu’engagé dans une guerre où le salut de son empire était en jeu, se faisait néanmoins accompagné par un cortège de trois cent soixante concubines : c’est Dicéarque qui nous l’affirme dans le troisième livre de son Histoire de la Grèce. À chaque guerre, Philippe s’offrait une nouvelle épouse.

Voilà ce que dit Satyros dans la Vie qu’il composa sur ce roi :

 

« En vingt-deux années de règne, il épousa Audata d'Illyrie dont il eut une fille, Cynna, enfin, Phila, une sœur de Derdas et de Machatas. Afin de se concilier la nation thessalienne, il eut des enfants de deux femmes de Thessalie, l’une étant Nicésipolis de Phères, qui lui donna Thettaloniké, l'autre se nommant Philinna de Larisa, dont il eut Arrhidée. De plus, il annexa le royaume des Molosses grâce à son mariage avec Olympias, qui lui donna Alexandre et Cléopâtre. Et quand il conquit la Thrace, le roi de ce pays, Cothélas, lui donna la main de sa fille Médée, en même temps qu’une dot appréciable. Par cette union, il installa dans sa maison une seconde épouse après Olympias.

Ce n’est pas tout : malgré toutes ses femmes, il épousa encore Cléopâtre, dont il était tombé éperdument amoureux. C'était la sœur d'Hippostrate et la nièce d'Attale. Toutefois, en amenant celle-ci au palais pour supplanter Olympias, sa vie entière bascula dans une incroyable confusion. En effet, pendant la célébration de son mariage, Attale lui aurait dit : « Désormais, il naîtra des princes légitimes et non plus des bâtards. » À peine l'avait-il entendu qu'Alexandre jeta sur Attale le gobelet qu'il tenait dans sa main ; après quoi, Attale lui répliqua en lui jetant sa propre coupe. Peu après, Olympias s’enfuit chez les Molosses, tandis qu'Alexandre trouva refuge en Illyrie. Cléopâtre, à son tour, donna à Philippe une fille appelée Europa. »

 

Quant au poète Euripide, c’était aussi un amateur de femmes. C'est en tout cas ce que prétend Hiéronymos dans ses Commentaires historiques :

 

« À quelqu'un qui faisait remarquer à Sophocle qu'Euripide exécrait les femmes, Sophocle lui répondit : « Dans ses tragédies, c’est vrai, mais au lit, il les adore. »

 

Les courtisanes

 

   6. Mais nos femmes mariées ne sont pas comme celles décrites par Euboulos dans ses Marchandes de couronnes :

 

« Par Zeus, elles, au moins, ne sont pas peinturlurées de blanc de céruse et elles ne s’enduisent les joues de jus de mûre, comme vous le faites. Sortez-vous un jour d'été, et voilà deux ruisseaux de noir qui s’écoulent de vos yeux, et de grosses gouttes de sueur dégoulinant de vos joues sur votre gorge qui vous creusent un sillon de vermillions ; pendant ce temps, vos cheveux ébouriffés, qui voilent votre visage, sont tout gris, tellement ils sont pourris de céruse. »

 

Et Anaxilas indique dans son Poussin :

 

 « Quiconque s’est un jour fourvoyé auprès de quelque courtisane sait à quoi s'en tenir au sujet de leur méchanceté. Quel dragon sauvage, dites-moi, quelle Chimère au souffle malsain, quelle Charybde, quelle Scylla tricéphale, chienne marine, quelle Sphinx, quelle Hydre, vipère léonine, et quelles harpies, infects volatiles, ont réussi à se hisser au niveau de cette race immonde ? En fait, aucun ! Ces femmes sont bien au-dessus des malheurs du monde !

Passons-les en revue : commençons par Plangon, qui, semblable à la Chimère, anéantit de son feu les barbares ; un seul cavalier lui a volé ses biens, en partant de chez elle avec tous ses meubles.
N'est-il pas vrai aussi que les hommes qui côtoient Sinopé sont pareils à ceux qui se retrouvent face à l'Hydre ? Car, assurément, c’est une sorcière. Mais non loin d’elle, il y a Gnathéna qui guette, et quand on a quitté la première, on tombe inéluctablement sur l'autre, un monstre deux fois plus nocif qu’elle.
Quant à Nannion, en quoi pensez-vous qu'elle diffère aujourd'hui de Scylla? N'a-t-elle pas étranglé deux de ses amants, et n'est-elle pas à la chasse pour attraper le troisième ? Par chance, la barque et ses rames de pin lui ont permis d’y échapper.
Or c'était sans compter sur Phryné, qui, près de là, tenant le rôle de Charybde, s’est emparée du capitaine et a promptement englouti et pilote, et navire.
Théano n'est-elle pas une sirène, mais épilée ? Bien sûr, son œil et sa voix sont ceux d’une femme, mais ses jambes sont celles d'un merle.
Toutes ces putains méritent assurément d’être appelées « Sphinx de Thèbes »: leur babil ne fait pas dans la simplicité et elles ne s’expriment que par énigmes, alors qu’elles aiment et qu’elles baisent de manière exquise. Que l’une dise : « Je voudrais avoir un lit ou une chaise à quatre pieds » une autre : « Moi, un trépied. », puis une autre encore : « Moi, une petite servante à deux pieds. », et voilà notre homme qui, ne comprenant que trop bien ces énigmes – comme Œdipe - prend les jambes à son cou et se sauve. Mais d'autres, espérant connaître le grand amour, sont vite enlevés et emportés dans les airs. Bref il n'y a pas de bête plus ravageuse qu'une courtisane. »

 

La haine des femmes mariÉes  

   7. Après que Larensis eut récité de nombreux vers du même tonneau, Léonidès, méprisant jusqu’au nom même du mariage, cita ces quelques tirés du Devin d'Alexis

 

 

« Ô malchanceux que nous sommes, nous les hommes mariés ! Nous avons tellement vendu notre indépendance et nos plaisirs que nous vivons pareils à des esclaves, soumis à nos femmes, nous qui étions libres. On dit que c’est pour la dot que nous devons payer un prix si élevé : en fait, quelle est amère cette dot et remplie de bile féminine ! Car la bile de l’époux est un miel exquis quand on la compare à celle de sa femme : les hommes, eux, savent pardonner, alors que ces dames en rajoutent dans l’injure et, par dessus le marché, elle rejettent leurs propres torts sur le dos de leur mari. En outre, elles font la loi sur ce qui ne les regarde pas, tandis qu’elles négligent les choses qui sont de leurs compétences ; elles parjurent, et, bien qu'elles se portent à merveille, elle se plaignent toujours d’être malades. »

 

 

Et Xénarchos dit dans son Sommeil :

« Les cigales ne sont-elles pas heureuses ? Leurs femelles n'ont pas de voix. »

 

Philétairos dans son Corinthien :

 

« Ô Zeus, comme son regard est doux et harmonieux ! Il n'est pas étonnant qu'à travers la Grèce, on trouve partout des sanctuaires dédiés à l'Aphrodite Courtisane et aucun à l'Aphrodite conjugale.»

 

Et Amphis dans Athamas :

 

« Une courtisane n'est-elle pas plus douce qu'une femme mariée ? Je dirai plus encore, et pour de bonnes raisons. L'épouse, protégée par la loi, reste à la maison, ce qui la rend arrogante, tandis que la courtisane sait qu'un homme ne peut être conquis qu’à la faveur de ses charmes, ou sinon, elle doit aller chercher ailleurs. »

 

Le pauvre homme qui se marie deux fois

      8. Euboulos dans Chrysilla

 

« Qu'il meure de male mort, ce niais qui prend femme par deux fois. Pour la première, je ne le blâmerai pas : il n'avait aucune expérience de ce fléau ; en revanche, pour l'autre, il savait à quoi s'en tenir sur la méchanceté d'une femme. »

 

Il poursuit ainsi : 

 

 

« Ô Zeus vénérable ! Dois-je toujours blâmer les femmes? Que je meure si  elle n'est pas notre plus grand trésor. Même si Médée était une femme exécrable, reconnaissons que Pénélope avait le mérite d’être irréprochable. On dira de Clytemnestre qu’elle était abominable : je lui opposerai néanmoins l'intègre Alceste. Sans doute blâmera-t-on Phèdre. Mais il existe des femmes foncièrement honnêtes - oui, mais laquelle ? Pauvre homme que je suis ! les femmes vertueuses m'ont trop vite abandonné alors que j’ai tant à dire sur une foule de femmes odieuses. »

 

Et Aristophon dans Callonidès :

 

« Qu’il meure de male mort ce mortel qui se marie pour la deuxième fois. La première fois, il était irresponsable : il ne savait pas quelle chose infâme il prenait pour épouse. Par contre,  celui qui se remarie se jette dans le gouffre en toute connaissance de cause. »

 

Et, Antiphanès dans son Philopater :

 

- «  Je te dis qu’il s'est marié !

-  Qu'est-ce que tu me racontes là ? Il est vraiment marié celui que j'ai laissé plein de vigueur ? »

 

Ménandre, dans son Arréphore ou la Joueuse de Flûte dit :

 

- « Tu ne te marieras pas si tu as un peu de jugeote : ce serait abandonner la vie que tu mènes ! Moi, j'ai été marié, et c'est pourquoi je te conseille de ne pas faire comme moi.

- La chose est arrangée, laisse-la s’accomplir.

- Fort bien, lance-toi, mais j'espère que tu en sortiras indemne ! Car tu te jettes dans une véritable mer d'ennuis - pas celle de Libye, ni la mer Égée..., où trois bateaux sur trente ont échappé à la destruction, mais dans une mer où nul homme marié n’est sorti sauf ! »

 

Et dans sa Femme brûlée

 

« Périsse jusqu’au trognon celui qui le premier se maria ! et le deuxième ! et le troisième ! et le quatrième ! et le dernier ! »

 

Et le poète tragique Carcinos s'écrie dans Sémélé, une pièce qui commence par « Ô nuit »:

 

« O Zeus, pourquoi se compliquer à dire que la femme est une calamité ? Il suffit de dire tout simplement : « c'est une femme. »

 

Pas de jeunes femmes pour les vieillards

 

9. Les hommes vieux qui épousent des jeunettes s'aperçoivent bien vite qu'ils se sont jetés dans un fameux pétrin, bien que le poète de Mégare (Théognis) les en ait avertis :

 

« Il est sûr qu'une jeune épouse s’accorde mal à un vieux mari ; car elle n'obéit pas au gouvernail comme un bateau ; non, elle n'est retenue par aucune ancre, elle brise ses amarres, et souvent durant la nuit, elle aborde un autre rivage. »

 

Théophilos dit la même chose dans Néoptolème

 

« Une jeune épouse ne convient pas à un vieillard. Elle est comme un bateau qui n'obéit pas, même timidement, au gouvernail. Non, brisant son amarre, elle s'aventure la nuit vers d'autres horizons. » 

 

Les femmes causes de guerre

   10. Je pense qu'aucun de vous, mes amis, n'ignore que les guerres les plus terribles ont été provoquées à cause des femmes. Hélène fut à l'origine de la guerre de Troie, Chryséis de la peste, Briséis de la colère d'Achille ; ce qu'on a appelé la Guerre Sacrée, comme nous le rapporte Douris dans le deuxième livre de ses Histoires, fut déclenchée par une autre femme mariée, Thébaine de naissance, nommée Théano, qui avait été enlevée par un Phocidien. Cette guerre, comme celle de Troie, se prolongea dix années, et ne prit fin que lorsque Philippe se fut allié aux Thébains : c’est alors que ces derniers s’emparèrent de la Phocide.

Même chose pour la guerre dite Crisique, que relate Callisthène dans son livre sur la Guerre sacrée, un conflit au cours duquel les hommes de Cirrha combattirent les Phocidiens pendant dix ans. Les Cirrhéens avaient enlevé non seulement Mégisto, fille du Phocidien Pélagon, mais aussi les filles Argiennes, rencontrées alors qu'elles revenaient du sanctuaire de Delphes. Ce fut au cours de la dixième année que Cirrha fut prise.  

On sait aussi que des lignages entiers furent ravagés par l’action des femmes : celui de Philippe, le père d'Alexandre, par son mariage avec Cléopâtre ; celui d'Héraclès, par son remariage avec Iole, fille d'Eurytos ; de Thésée, par la faute de Phèdre, fille de Minos ; d'Athamas, par son mariage avec Thémisto, fille d'Hypsée ; de Jason, par son mariage avec Glauké, fille de Créon ; et d'Agamemnon, à cause de Cassandre.

Même l'expédition de Cambyse contre l'Égypte, selon Ctésias, eut pour origine une femme. Cambyse, ayant entendu dire que les femmes égyptiennes avaient un merveilleux savoir-faire amoureux, demanda à Amasis, roi d'Égypte, de lui offrir la main d’une de ses filles. Mais Amasis refusa, craignant qu'elle fût traitée en concubine plutôt qu'en épouse royale. Il lui envoya donc la fille d'Apriès, Neitétis. Précisons qu’Apriès avait été déchu de la royauté d'Égypte après sa défaite par les Cyrénéens, et assassiné par Amasis. Cambyse, ayant goûté le plaisir avec cette Neitétis - qui l’avait pour le moins troublé - fut bientôt  informé de son histoire : quand elle le supplia de venger le meurtre d'Apriès, il le fit de bonne grâce et déclara la guerre aux Égyptiens.

Mais Dinon, dans son Histoire de la Perse, et Lykéas de Naucratis, dans le troisième livre de son Histoire égyptienne, affirme, de leur côté, que Neitétis fut envoyée par Amasis à Cyrus ; elle engendra Cambyse qui, pour venger sa mère, entreprit une expédition en Égypte.

Douris de Samos nous dit que la première guerre opposant deux femmes fut celle qui éclata entre Olympias et Eurydice. Olympias, accompagnée de tambourins pour donner l'assaut, ressemblait à une vraie Bacchante, tandis qu'Eurydice, formée à la stratégie militaire par Cynna, princesse d'Illyrie, était armée de la tête au pied à la mode macédonienne.

Éros

 

11. Cette discussion achevée, nos philosophes se proposèrent de disserter sur l’amour et la beauté. Bien des discours philosophiques furent prononcés à cette occasion. Entre autres, certains rappelèrent quelques vers lyriques d'Euripide, ce grand philosophe de théâtre. On cita notamment ces vers :

 

« Éros, nourrisson de la sagesse et de la vertu, ce dieu si charmant est le plus avenant aux yeux des mortels. Il bannit la douleur et la remplace par le plaisir ;  il donne enfin l’espérance. Je ne puis me lier à ceux qui ne sont pas initiés à ses rites et je me révolte devant des sentiments grossiers. À la jeunesse, je conseille de ne jamais fuir l'amour : qu’elle l’accueille tranquillement dès qu’il se profile. »  

Et un autre invité cita également Pindare:

 

« Il y a un moment pour aimer et un autre pour céder à l'amour. »         

 

Un autre ajouta ces lignes d'Euripide: 

 

« Éros, seigneur des dieux et des hommes, enseigne-nous, ou bien à ne pas trouver beau ce qui est beau, ou bien, pour les amoureux dont tu es le chantre, apaise leurs souffrances. En faisant ainsi, tu seras honoré par les mortels ; si tu ne le fais pas, on se détournera de tes grâces, toi qui nous apprends à aimer. »

 

Éros : dieu de l'amitiÉ et de la concorde

 

12. Pontianus affirma que Zénon de Cition concevait Éros comme le dieu de l'amitié, de la liberté, à la rigueur de la concorde, mais rien de plus que cela. En conséquence, dans sa Politique, le philosophe ne voit en lui qu’un simple auxiliaire à la sûreté de l'État.

Des philosophes qui ont vécu avant Zénon ont proclamé qu’Éros était une entité sacrée, exempte de toute souillure. On ne peut en douter lorsque l’on voit des statues du dieu dressées dans les gymnases aux côtés de celles d’Hermès et d’Héraclès : l’un est le maître de l'éloquence ; le second de la force physique. La conjugaison de leurs puissances engendre alors l'amitié et la concorde, mais aussi la liberté la plus belle pour ceux qui la poursuivent assidûment.

Dans les mentalités athéniennes, Éros est loin d’être un simple dieu présidant aux rapports sexuels, puisque dans l'Académie, dont on sait de toute évidence qu’il était consacré à Athéna, on avait érigé une statue de lui, et c’est à ces deux divinités que l’on sacrifiait.

Les gens de Thespies célèbrent les Érotidides avec autant de ferveur religieuse que les Athéniens lors des Panathénées, les Éléens lors des Olympies, ou les Rhodiens lors des Haliées. En règle générale, Éros est honoré dans tous les sacrifices publics.

Ainsi, les Lacédémoniens offrent à Éros des sacrifices préliminaires avant de se ranger en ordre de bataille, parce qu'ils pensent que leur salut et leur victoire ne dépendent que de l'amitié qui lie les hommes entre eux.

Avant de se livrer au combat, les Crétois choisissent dans leurs troupes les plus beaux des soldats pour leur faire faire un sacrifice à Éros, comme le rapporte Sosicratès.

À Thèbes, le bataillon dit « sacré » comprend des amants et des aimés qui honorent la majesté du dieu en recherchant une mort glorieuse plutôt qu’une vie de déshonneur dont on ne manquerait pas de leur faire reproche.

Quant aux Samiens, Erxias, dans son Histoire de Colophon, nous rappelle qu’ils avaient édifié un gymnase à Éros et institué des fêtes en son honneur, les Éleutheria.

Enfin, c'est grâce à Éros que les Athéniens renouèrent avec la liberté. Et quand ils furent exilés, les Pisistratides n’eurent de cesse que de souiller et de blâmer tout ce qui avait trait à ce dieu.  

Éros : pourquoi des ailes ?

13. Après ces considérations, Plutarque cita de mémoire les vers du Phèdre d’Alexis

 

 

« En revenant du Pirée, accablé de soucis, je me mis à philosopher.  Selon moi,  les peintres, ou, plus généralement, ceux qui nous livrent des images de ce dieu, ignorent qui il est vraiment. Il n'est ni mâle, ni femelle; il n’est ni homme, ni stupide, ni même sage : non, il est composé d'éléments disparates, et dans son ébauche, il présente mille qualités différentes. Son audace est celle d'un homme et sa timidité celle d'une femme ; il a l’exubérance du dément et le discours de l’homme raisonnable ; il est fougueux comme une bête sauvage, sa force est indomptable, son ambition est proprement celle d’un dieu. Par Athéna et par les dieux, je ne puis vraiment pas le définir : il est un peu tout cela à la fois, et je crois l’avoir ainsi bien cerné. »

 

Et Euboulos, ou Araros, dit ceci dans son Bossu:

 

« Quel est le premier, je me le demande, qui a peint ou a sculpté Éros avec des ailes? À mon avis, celui-là ne savait rien peindre sauf des hirondelles ; il devait être complètement ignare sur le nature profonde du dieu.
Non, on ne peut se débarrasser impunément de celui qui apporte tant de souffrances car c’est un dieu qui nous pèse. Alors, comment peut-on l’affubler d’une paire d’ailes ? C'est une absurdité que de l’imaginer ainsi. »

 

Et Alexis, dans son Décapité

 

« Les sophistes vous diront qu'Éros est un dieu incapable de voler, bien plus encore que les amoureux. Ce sont des peintres ignorants qui le peignent avec des ailes. »

 

Qu'est ce qu'un amoureux ?

 

14. Théophraste, dans son Traité de l'Amour, cite le poète tragique Chérémon :

 

« Comme le vin coupé d’eau tempère les ardeurs des buveurs, il en est aussi d’Éros. Quand on s’y adonne avec modération, il est aimable ; mais qu’on y goûte avec excès, on bascule dans le désordre et il devient cruel. »

 

C’est pourquoi ce poète, faisant la part des choses sur les effets d'Éros, ajoute ceci :

 

« Il tend deux flèches avec son arc : l’une nous apporte une vie délicieuse, l’autre sème la ruine dans notre existence. »

 

Dans sa pièce L'homme blessé, le même poète parle des amoureux en ces termes :

 

« "Disons-le ! les amoureux sont les seuls à vivre authentiquement. D'abord, pareils aux soldats, ils sont toujours sur le pied de guerre ; leurs corps doivent subir maintes et douloureuses contraintes ; ils doivent aussi garder patience dans la conquête de leur désir, et pour cela, faire montre d’ingéniosité, d’ardeur, de courage face aux épreuves les plus aiguës. »

 

Théophilos dit dans son Amateur de flûte :

 

« Qui ose prétendre que les amoureux sont sans cervelle ? Celui qui l’affirme est certainement lui-même un abruti. En effet, si l’on supprimait les plaisirs de la vie, il ne resterait plus qu'à mourir. Tenez, moi, j'aime une joueuse de flûte, une jeune fille : serais-je stupide, par tous les dieux ? Elle est superbe, d’une belle taille, experte dans son art. Et franchement, il m’est plus agréable de la regarder que de distribuer des billets aux pauvres pour qu’ils aillent au théâtre. »

 

Quant à Aristophon, il écrit ceci dans son Disciple de Pythagore

 

« N'est-ce pas justice qu'Éros ait été banni de leur domaine par les douze dieux ? Il avait la méchante habitude de les importuner et de semer la discorde quand il vivait en leur compagnie. Il était tellement insolent et arrogant qu’ils finirent par lui couper les ailes pour l'empêcher de voler à nouveau dans le ciel. Ils l’exilèrent ici, sur terre, donnant les ailes à la seule Victoire, comme un butin pris à l’ennemi. »

Et au sujet de l'amour, Amphis dit dans son Dithyrambe  

« Mais que me dis-tu ? Tu crois être convaincant en m’affirmant qu’un amoureux véritable est celui qui n’aime que la beauté morale sans se soucier de la beauté physique ? Tu es un sot ! ! Crois-tu qu’un pauvre hère tracasse sans cesse les richards sans arrière-pensée manifeste ? » 

En revanche, Alexis dit dans son Hélène

 

« Quand on aime l’éclat vigoureux d’un corps, en faisant abstraction de tout le reste, on est amoureux seulement de son propre plaisir, et non de ses amis : on commet là une faute grave, au point de rendre suspect la figure du dieu chez nos beaux garçons. »

 

Les stoïciens : tous des hypocrites !

 

15. Après avoir rappelé ces vers d'Alexis, Myrtilos regarda avec insistance en direction des représentants de la secte du portique ; puis il cita ces vers tirés des Iambes d’Herméias de Courion : 

 

« Écoutez, stoïciens, marchands d’inepties, débiteurs hypocrites de mots, vous qui êtes les seuls à vous délecter de vos propres plats avant de n’en donner que des miettes aux vrais sages, vous que l’on surprend sans cesse à faire le contraire que de ce que vous enseignez solennellement, en fait, je vous le dis, vous n’êtes que des lorgneurs de beaux garçons ! Après tout, en cela, vous n’êtes que les émules de votre maître à penser, Zénon le Phénicien, qui n'a jamais eu de commerce avec une femme, mais qui a toujours fricoté avec les petits gamins, comme le rapporte Antigonos de Caryste dans la Vie qu’il lui consacra. Vous nous répétez à l’infini qu'on devrait mépriser le corps et ne considérer que l'âme ; dans le même temps, vous nous dites de baiser nos mignons jusqu’à leurs vingt-huit ans !

À mon avis, le péripatéticien Ariston de Céos, dans le deuxième livre de ses Similitudes érotiques, a trouvé le bon argument en fustigeant cet Athénien, nommé Doros, qui se trouvait encore très beau malgré son grand âge. Il lui dit à peu près ceci, en transposant la réponse que fit Ulysse à Dolon : « Ton coeur aspire encore à de somptueux cadeaux (Doros). »

 

amour et modestie

 

16. Hégésandros, dans ses Commentaires, dit que si tout le monde aime les assaisonnements, il n’en est pas de même pour les viandes et les poissons. Que les assaisonnements fassent défaut et l’on mangera la viande et le poisson sans plaisir car nul n’apprécie un plat sans saveur... (Lacune)

Or l’amour des garçons est un usage qui remonte à la nuit des temps. Ariston déclare que les jeunes gens aimés sont depuis longtemps appelés « paidika ». En vérité, référons-nous au premier livre des Érotiques de Cléarchos, où il cite Lycophronidas : 

 

« Ni chez un garçon, ni chez une fille dorée, ni chez une femme aux seins dressés, la beauté ne peut se concevoir sans la pudeur. C'est la pudeur qui sème la graine qui fera s’épanouir la fleur de la beauté. »

Et Aristote affirme que les amoureux ne regardent du corps de leur bien-aimé que les yeux, là où se niche la pudeur. Et Sophocle, si je ne me trompe, fait dire à Hippodamie quand elle évoque la beauté de Pélops :

 

« La flamme d’amour jaillit de son regard et me subjugue ; ce feu me brûle intensément ; lui, m’observe scrupuleusement tel l’artisan qui étend son cordeau pour faire sa ligne droite. » 

 

Tu as de beaux yeux !

   17. Licymnios de Chios nous affirme qu’Hypnos, amoureux du jeune Endymion, ne lui fermait pas les yeux pendant son sommeil ; non, il lui relevait les paupières, l’endormait, puis jouissait de la vision de ses prunelles. Mais que je vous rapporte les propres vers du poète : 

« Hypnos, ébloui par le feu de son regard, lui laissait, en l’endormant, les yeux grands ouverts. »

 De même, voici ce que dit Sappho à propos d’un homme admiré entre tous pour son physique considéré comme une splendeur : 

« Tiens-toi devant moi, mon ami, et ouvre largement tex yeux charmants. » 

Et que dit Anacréon ? 

« Enfant aux yeux de vierge, je te cherche, mais tu ne m'entends pas, toi qui ne sais pas que tu tiens les rênes de mon âme. » 

Et Pindare, le plus éloquent de tous :

 « Qui peut contempler l’éclat resplendissant des yeux de Theoxène, sans être agité par le désir, celui-là s’est forgé avec une flamme noire un cœur de glace ou d’airain. » 

Quant au Cyclope de Philoxènos de Cythère, il est épris de Galatée et il loue sa beauté ; mais, ayant la prémonition de sa future cécité, il vante bien des choses en elle, hormis les yeux. Il dit seulement : 

« O Galatée au beau visage, aux boucles d'or et à la voix gracieuse, rejeton des amours  » 

En effet, cet éloge est digne d’un aveugle. En revanche, chez Ibycos, rien de semblable :

 « E uryalos, rejeton des Grâces charmantes... souci des Muses aux chevelures éclatantes, Cypris et Peitho, déesse au regard tendre, te nourrissent parmi les roses. » 

Et Phrynichos a dit de Troilos:  

« La lumière de l'amour brille sur tes joues empourprées. »

Barbus ou glabres

   18. Mais, vous les Stoïciens, vous préférez vous exhiber avec vos mignons et leurs jolis mentons bien lisses.  
   Sachez pourtant que le fait de se raser est une mode héritée du temps d'Alexandre, comme le souligne Chrysippe dans le quatrième livre de son ouvrage sur le Beau et le Plaisir. Je pense qu’il n’est pas inopportun de vous rappeler ce qu’il nous dit à ce sujet. Le personnage m’est infiniment sympathique tant pour l’immense érudition que pour le caractère si tempérant. Je vous livre ses propos : 

« La coutume de se raser la barbe prit de l’ampleur sous le règne d’Alexandre. Jusque-là, les anciens ne se rasaient guère et je le prouve : le joueur de flûte Timothéos portait une très longue barbe mais réussissait néanmoins à jouer de son instrument. À Athènes, il n’y a pas si longtemps, le premier homme qui se rasa de près fut affublé du surnom de « Tondu ». C'est pourquoi, Alexis, si je me souviens bien, dit ceci : 
   « Si tu vois un homme dont tous les poils ont disparu soit par la poix, soit par l’épilation, de deux choses l’une : soit il veut nous dire par là qu’il part en campagne et désire faire ce qui est indigne d’une barbe ; soit il est possédé par un vice bien typique des richards. Par les dieux, en quoi ces pauvres petits poils vous embarrassent-ils ? Après tout, grâce à eux, vous apparaissez au moins comme des hommes, des vrais ! À moins que vous ayez la secrète intention de vous opposer à eux par vos agissements ?
   Diogène, voyant un homme avec un menton glabre, lui lança :
   « Reprocherais-tu à la nature de t’avoir fait homme et non point femme ? »
Un autre jour, apercevant un individu à cheval, bien rasé, parfumé et vêtu comme le sont habituellement ces gens aux mœurs particulières, il s’écria qu'il avait autrefois cherché à comprendre ce qui signifiait le mot « putain de cheval » et qu'il avait enfin compris.
   À Rhodes, bien que la loi interdise de se raser, nul n’est inquiété, et ce, pour la simple raison que tout le monde se rase. À Byzance, c’est la même chose : on punit quiconque possède un rasoir mais le tout-venant a recourt à lui ! »
 

Voilà ce que dit cet excellent Chrysippe. 

et les stoïciens dans tout cela ?

   19. Zénon, qui était un sage, lui, avait déjà auguré, s’il faut en croire Antigonos de Carystos, de votre manière de vivre et de votre vertu hypocrite, et il proclamait que ceux qui auraient mal assimilés vos préceptes ou n’en auraient pas saisi un traître mot, deviendraient des êtres répugnants, semblables aux disciples dévoyés d'Aristippe, tous rompus d’insolence. Et c’est ainsi qu’on vous voit, pour la plupart d'entre vous, tout ratatinés et tout crasseux du point de vue moral autant que du point de vue physique. À force de vanter la sobriété de votre mise, on finit par vous retrouver croulant sur le seuil de l’avarice, menant une vie mesquine, vous enveloppant de manteaux minables, usés jusqu’à la corde, chargeant vos chaussures de clous, et traitant invariablement de tapette, quiconque a eu le malheur de se parfumer et de revêtir une tunique à vos yeux trop moelleuse. Ah ! avec un tel équipement, vous ne devriez pas être si âpres au gain et vous acoquiner avec des minets bien épilés - tant par devant que par derrière - eux qui vous accompagnent  

« au Lycée avec des sophistes, qui sont, par Zeus ! maigrichons, ayant le ventre creux et la peau sur les os, » 

pour ne citer qu’Antiphanès.

La beautÉ

   20. Mais je peux aussi faire l’éloge de la beauté.  
   Dans les cortèges masculins, on choisit les garçons les mieux faits pour porter les objets cultuels.  
   À Élis, on choisit directement les porteurs dans le cadre d’un concours de beauté : le vainqueur a l’honneur de se voir confier les vases sacrés de la déesse ; le deuxième prix conduit le bœuf, tandis que le troisième s’occupe des prémices sur l’autel.  
   Héraclide de Lembos raconte qu'à Sparte, plus qu’ailleurs, on peut admirer l'homme le plus beau et la femme la plus belle. D’ailleurs, les femmes originaires de Sparte sont réputées pour leur splendeur. Pour en témoigner, rappelons l’histoire du roi Archidamos qui, un jour qu’on lui présentait, deux femmes, l’une très belle, l’autre disgracieuse mais fortunée, fut tenté de prendre pour épouse cette dernière. Alors, les éphores lui infligèrent pour cela une amende en ajoutant qu'il valait mieux pour Sparte faire naître de vrais rois plutôt que des princes malingres.  

   Car comme l’a dit
Euripide
 

« C’est d’abord la majesté qui est digne du pouvoir. »

 Chez Homère, même les vieillards, frappés par la beauté d'Hélène, disent :

 « Ce n'est pas sans raison que les Troyens et les Achéens aux belles jambières ont souffert pour une telle femme : elle ressemble miraculeusement aux déesses immortelles. » 

Priam lui-même fut stupéfié par la grâce de cette femme, malgré les tourments qu’il eut à subir par elle. De même, il admirait Agamemnon pour sa beauté, en ces termes : 

 « Je n'ai jamais de mes yeux vu un homme si beau et si majestueux : indéniablement, il ressemble à un roi. » 

Des peuples ont fait rois des hommes doués de beauté. C’est une pratique que l’on retrouve encore aujourd’hui chez les Éthiopiens qu’on nomme Immortels, comme le rapporte Bion dans ses Éthiopiques. En fait, la beauté est un attribut propre à la royauté.
   Pour la beauté, les déesses se sont disputées avec violence. On sait que les dieux emmenèrent Ganymède dans le ciel, où il servit d’échanson à Zeus
 

« Du fait de sa beauté, pour être le compagnons des Immortels. »

 Et les déesses, qui ont-elles enlevés ? Les hommes les plus beaux, bien sûr ! Et elles couchèrent avec eux : Aurore avec Céphalos, Cléitos avec Tithonos, Déméter avec Jasion, Aphrodite avec Anchise et Adonis. 
   Sensible à la beauté, le plus grand des dieux n’hésita pas à se changer en or pour se couler entre les tuiles d’un toit ; il se transforma aussi en taureau, et souvent en aigle, comme lorsqu’il ravit Égine. 
   Socrate lui-même, au-dessus pourtant de toutes choses, ne fut-il pas subjugué par la beauté d'Alcibiade ? Le très vénérable Aristote, fut, lui aussi, conquis par son disciple de Phasélis. 
   Quant à nous, devant des objets inanimés, ne sommes-nous pas irrésistiblement tentés de choisir les plus beaux ? 
   Nous ne pouvons qu’applaudir à la coutume spartiate qui veut que l’on dénude les jeunes filles devant les étrangers. 
   Et sur l'île de Chios, c’est un plaisir sans nom que de se rendre aux jeux gymniques afin d’assister aux joutes entre les jeunes gens et les jeunes filles.

suite