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ATHÉNÉE DE NAUCRATIS
DEIPNOSOPHISTES
- Introduction -
On sait très peu de choses sur Athénée, si ce n’est que, d'après un article de la Souda, il était originaire de Naucratis, colonie grecque en territoire égyptien. Il aurait également enseigné quelque temps à Alexandrie, sous Commode, avant de passer la fin de sa vie à Rome.
Auteur d'une Histoire des Rois de Syrie et d'un étude sur le comique Archippe, ouvrages tous deux perdus, Athénée est surtout connu pour les célèbres Deipnosophistes, « le Banquet des Sophistes (ou des Savants) », que nous avons conservés en partie. Il les composa probablement sous le règne d’Alexandre Sévère (222-235), puisque, parmi les participants, on trouve Ulpien, le célèbre jurisconsulte, dont la mort – elle intervint en 228, selon Dion Cassius - est attestée dans les derniers livres.
L’ouvrage, très volumineux, véritable encyclopédie, s'avère être la plus colossale entreprise compilatrice que l’Antiquité nous ait léguée. Écrit sous forme d'un dialogue, il a pour cadre un banquet de lettrés organisé sous l’égide du riche pontife romain Larentius. D'évidence, on ne peut pas ne pas songer au Banquet de Platon, ainsi qu'aux Propos de Table ou au Banquet de Sept sages, composés par Plutarque dans la même veine. Mais, dans son œuvre, Athénée fait éclater la forme littéraire dont usaient les précédents Banquets, allongeant son récit jusqu'à la démesure. Et l'on se dit que ce festin interminable est décidément bien fantaisiste, l'unité de temps n'étant guère ici au rendez-vous !
À tour de rôle, chacun des convives expose son avis sur une question donnée, un avis, certes impersonnel, puisqu'il trouve sa matière dans les écrits des auteurs du passé, qu’ils soient indistinctement poètes, philosophes, grammairiens ou historiens.
Certains invités du banquet sont illustres, tels Galien ou Plutarque, qui ont été introduits dans le récit par pure fantaisie, à seule fin d’embellir la conversation. Athénée et son ami Timocrate figurent également parmi les participants. De même, des représentants de toutes les grandes écoles philosophiques sont présents, comme le Cynique, dont la gouaille et l’esprit querelleur égayent les doctes entretiens.
Tout au long de ces quinze livres, même si, à première vue, le fil conducteur a trait aux plaisirs de la table, au vin et à la gastronomie, ce beau monde discute allègrement des sujets les plus divers, que ce soit de rhétorique, de musique, de danse, de médecine, de botanique, de droit, d’architecture, et même de mobilier. On se chamaille aussi beaucoup entre philosophes d'écoles opposées, d'où des scènes parfois truculentes, qui donnent un peu de ressort dramatique, de « punch », à un récit qui en manque parfois cruellement.
Le but de cette œuvre, destinée à la lecture publique – c’est ainsi que l’on appréciait la chose littéraire dans l’Antiquité gréco-romaine - était avant tout de divertir un public cultivé, marqué par la sophistique, et donc féru de beau verbe et de phrases pertinentes, d’où la profusion voulue de « mots d’auteurs ».
Une telle masse littéraire est aussi le révélateur d'une société en crise, celle du début du IIIe siècle, où les notables ressentent le besoin de se ressourcer inlassablement aux modèles du lointain passé hellénique, en vue de se rassurer. Il y a en effet dans ces textes une volonté de revendication d'une sorte de « Grèce éternelle », en réaction aux bouleversements du moment, aux transformations qui travaillent déjà la société en profondeur, et aux guerres quasi permanentes qui menacent l'intégrité de l'Empire romain. Plus généralement, et de manière plus accrue que dans les époques antérieures, la rage compilatrice qui s'empare alors de certains érudits, tel Diogène Laërce, auteur des monumentales Vies de philosophes, montre bien qu'il fallait fournir une réponse adaptée à l'angoisse de toute une société de lettrés, celle-ci passant par la contemplation et la délectation de la grandeur passée.
Mais de nos jours, son principal intérêt est ailleurs : il réside dans le nombre édifiant de citations littéraires émanant de près de deux mille cinq cents ouvrages tirés de sept cents auteurs. Pour l’historien comme pour l’humaniste, c’est une mine incroyable de textes qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans nos sources, ce qui permet de mesurer combien le naufrage des lettres antiques fut considérable autant qu’irréparable.
Parmi les auteurs, en quelque sorte « révélés » par notre Égyptien, citons le poète Alcée, les philosophes Antisthène, Empédocle et Épicure (représenté comme un fieffé glouton). On lui est surtout redevable de nous avoir conserver de larges fragments de comédies, ce qui permet de compléter notre connaissance de ce genre, au-delà des pièces d'Aristophane ou de Ménandre ; nous disposons ainsi de tirades entières tirées d'Eupolis, de Cratinos ou de Diphilos. De même, dans le domaine de la poésie tragique, Athénée nous a transmis des fragments du rival d'Euripide, le bel Agathon.
En outre, sans lui, nous ne saurions que peu de choses de la musique grecque et des instruments de cette époque. Enfin, le Traité de gastronomie d’Apicius largement cité par Athénée, nous fournit mille informations précieuses sur la cuisine antique.
Certes, il a été démontré par des spécialistes qu'Athénée, à l'instar de bien des compilateurs antiques, se soit laissé aller à certaines libertés dans la rédaction de ses morceaux choisis, et ce afin de mieux les adapter au contexte de la conversation.
Cet ouvrage est une somme prodigieuse, même si, tel qu’il nous est parvenu, il ne représente qu’une partie – mais substantielle, reconnaissons-le - de l’ouvrage original qui, de l’opinion de Maurice Croiset, devait comprendre trente livres. Son succès fut tel que des compilateurs y puisèrent largement pour enrichir leurs propres écrits. Ainsi, Élien aurait utilisé à son profit des passages entiers du Banquet, dès le IIIe siècle. Un siècle plus tard, Macrobe aurait agi de semblable manière. Il semblerait qu'à l'époque byzantine, l'ouvrage original soit devenu très difficile d'accès, puisque l'érudit Eustathe (XIIe siècle), lorsqu'il cite Athénée, se réfère toujours à des abrégés, les Épitomes, que nous avons toujours.
Heureusement, un manuscrit original (l'unique !), datant du Xe siècle a permis de restituer une grande partie du Deipnosophistes : il s'agit du Codex Varieto Parisi, nom qui lui fut donné par celui qui l'étudia, Schweighauser. Le manuscrit fut découvert en Grèce par le cardinal Bessarion, et placé, après sa mort, à la librairie Saint Marc de Venise. Au début du XIXe siècle, sur l'ordre de Napoléon, il fut transféré à la Bibliothèque Nationale de Paris.
Certes, il faut reconnaître que cet ouvrage est un fatras, la composition d’ensemble laisse à désirer, et Athénée n’est pas un grand styliste, encore moins un penseur ; il est surtout un lecteur cultivé, un amateur assoiffé de livres, qu’on imagine facilement arpentant les rayonnages de la Bibliothèque d'Alexandrie. Comme la plupart des lettrés de son temps, il s'est efforcé de faire la synthèse des œuvres du passé en en extrayant la « substantifique moelle ». Toutefois, il s’est attaché à rendre son travail à la fois unique en son genre, par son ampleur peu commune, mais aussi plaisant (souvent trop !), en tirant de la profusion d’ouvrages consultés les passages les plus savoureux, parfois les plus triviaux. Son plan d'ensemble est extrêmement lâche, et il ne procède à aucun classement thématique ; de fait, on passe d'un sujet à une autre, en fonction de la fantaisie verbale de l'interlocuteur.
Seuls les livres XII et XIII, consacrés au luxe et à l’amour, respectent un tant soit peu une certaine cohérence. Il est vrai qu'Athénée est comblé par de tels sujets ; en effet, ces deux thèmes ont été mûrement étudiés par les Grecs, depuis les premiers poètes lyriques jusqu'aux digressions des philosophes ; en outre, ils se prêtent admirablement à la narration d’aventures croustillantes en diable, où le goût de l'anecdote, essentiel chez Athénée, peut se donner libre cours. Sa documentation est souvent de qualité, et il a su judicieusement en extraire les meilleurs passages, si bien que son ouvrage se lit souvent avec gourmandise. Certaines histoires rapportées ont même inspiré, beaucoup plus tard, les romanciers, telle l’aventure de Phryné, la maîtresse du sculpteur Praxitèle.
Pour ce qui concerne le livre XIII, on constate qu'il est un remarquable condensé des opinions philosophiques relatives à l’amour, qu’il soit féminin ou de nature pédérastique. Car, c’est sans aucun a priori qu’Athénée fait le tableau de tous les goûts et de toutes les tendances en matière sexuelle. C’est donc un témoignage éclairant sur les mentalités antiques, et ce, un siècle avant les grands bouleversements qui consacreront la naissance d’une nouvelle donne spirituelle, marquée par le triomphe irrésistible du christianisme.
Bibliographie
La première édition d'Athénée fut imprimée à Venise par Aldus, dès 1514, puis en 1597 à Genève par Casaubon, avec une traduction latine. Mais la grande édition critique en quatorze volumes, publiée de 1801 à 1807, fut entreprise brillamment par Schweighauser. On doit à Lefèvre de Villebrune, une traduction intégrale en français d'Athénée, sous le titre Banquet des Savans, en 1791, contestée très tôt, et améliorée en partie par Adrien Hubert dans ses Extraits d'Athénée, publiés en 1828, par ailleurs, dernière traduction en date de l'œuvre, si l'on excepte l'édition par la CUF des deux premiers livres du Banquet, parus en 1956.
Deipnosophistae, édition critique grec-latin par Schweighauser, 14 volumes, Strasbourg, 1801-1807.
Athenaeus. Dipnosophistarum sive Coenae sapientum libri XV. Natale de comitibus Veneto nunc primum Graeca in Latinam linguam vertente. Compluribis ex manuscriptis antiquissimis exemplaribus additis: quae in Graece hactenus impressis voluminibus non reperiebantur. Venice: Apud Andream Arriuabenum, 1556. Traduction de Natalis Comes. Lyon : Franciscum Baptolomaei Honorati, 1556. L'édition de Lyon est la première édition parue en France. Elle semble rare.
Athenaiou Deipnosophiston biblia pentekaideka. Athenai Deipnosophistarvm libri qvindecim. Bound with, Isaaci Casauboni animadversionum in Athenaei Dipnosophistas. Heildeberg, apud Hieronymum Commelinum, 1597. Lyon J. A. Huguetan & M. A. Ravaud, 1657, 1664. L'humaniste protestant Isaac Casaubon a établi le texte définitif grec mis en ordre et commenté des Deipnosophistae en 1597, avec la traduction latine de Jacques Dalechamp. Selon Graesse, l'édition de 1597 est plus recherchée que les deux suivantes réimpressions. Il ajoute aussi que ce livre fut imprimé à Genève dans l'atelier de P. Estienne.
Deipnosophistae, édition critique grec-latin par Schweighauser, 14 volumes, Strasbourg, 1801-1807.
Banquet des Savans, par Athénée, traduit, tant sur les textes imprimés, que sur plusieurs Manuscrits, par Jean Baptiste Lefebvre de Villebrune. Paris, Lamy, 1789-1791. C'est la première traduction sérieuse en français selon Gérard Oberlé, car la traduction de Michel de Marolles, faite au XVIIe siècle est très lacunaire.
Morceaux extraits du Banquet des Savans d'Athénée, traduction avec texte en regard, par A. Hubert. Paris, Hachette, 1828.
Athénée, Les Deipnosophistes, Tome I : Livres I et II. Texte établi et traduit par A. M. Desrousseaux avec le concours de C. Astruc. LXXIII-384 p. Paris, Les Belles Lettres, 1956, 2e tirage 2002.
Plan des Deipnosophistes
LIVRE I : ÉPITOME.
Éloge de Larentius, le plus libéral de tous les hommes – Les auteurs qui ont écrit sur les banquets – Épicure – Éloge du vin – Les noms de certains mets – Danses – Jeux – bains – Partialité des Grecs quant aux divertissements – Danse et danseurs – De l'usage de certains mots – Exercices – Différents mets – Différents vins – Des productions locales variées – Vins divers.
LIVRE II : ÉPITOME.
Vin – Boisson – Les démons de la boisson – Éloge du vin – Eau – Différentes sortes d'eau – Viandes succulentes – Noms de fruits – Fruits et herbes – Lupins – Noms de plantes – Œufs – Champignons – Oignons, asperges etc. – Concombres et laitues – Le cactus – le Nil.
LIVRE III
Concombres – Figues – Pommes – Citrons – Fruits de mer – Huîtres à perles – Pieds de cochons – Musique de banquet – Plats de banquets – Boisson – Sorbets.
LIVRE IV
Fête de Caranos – Souper d'Iphicratès – Cuisiniers – Danses – Le Banquet attique – Fêtes athéniennes – Les Phidities – Cléomène – Banquets perses – Alexandre le Grand – Cléopâtre – Antoine – Banquets égyptiens – Banquets à Phigaléa – Banquets thraces – Banquets celtiques – Banquets romains – Combats de Gladiateurs – Tempérance des Lacédémoniens – Théorie d'Euxithéos – Lentilles – Les bons vivants – Les Perses – Diodoros – Luxe des Tarentins – Extravagance du cuisinier Apparatos – De l'usage de certains mots – Goûteurs – Les Delphiens – Instruments de musique – Différentes sortes de flûtes – Les vents.
LIVRE V
Banquets – Bains – Les banquets décrits par Homère – Les Palais des rois homériques – Conversations de Banquets – Coutumes du temps d'Homère – Comportement des convives – Fête donnée par Antiochos – Extravagance d'Antiochos – Ptolémée Philadelphe – Procession de Ptolémée Philadelphe – Palais flottant construit par Ptolémée – Le vaisseau de Ptolémée Philopator – Le bateau de Hiéron – Banquet offert par Alexandre – Athénion – La grandeur de Socrate – Socrate vu par Platon – Les Gorgones.
LIVRE VI
La Tragédie – Les marchands de poissons – Mauvaise conduite des marchands de poissons – Usage de mots particuliers – Plats en argent – Gobelets d'or – Usage de l'or dans différents pays – Parasites – Flatteurs de Dionysos – Flatteurs de rois – Flatterie des Athéniens – Les Tyrans de Chios – La conduite de Philippe - Flatteurs et Parasites – Les Mariandynes – Les esclaves – Drimacos – Condition des esclaves – Les conséquences de la faim – Les Mothaces – Modération des premiers Romains – La loi Fannia – Le polype.
LIVRE VII
Le poisson de Phagésie – Épicure – Cuisiniers – Le thon – Le polype.
LIVRE VIII
Animaux aquatiques – Poissons – Recommandations pour les réjouissances – Grands mangeurs de poissons – Hypéride – Épicure – Stratonicos – Aristote – Histoire Naturelle d'Aristote – L'hirondelle – Noms des fêtes éphésiennes.
LIVRE IX
Explication de mots – Anaxandridès le comique – Porcs – Cuisinier – Usage de mots particuliers – Plats de faisans – Le porphyrion – Cailles et geais – Hirondelles – Pigeons et canards – Paons – Lièvres – Soupe aux pois.
LIVRE X
Ulysse – Voracité de certains personnages – Mithridate – Sur les Béotiens – Sur les Thessaliens – Ménédémos – Éloge de la Tempérance – Stilpon – Vin – Echansons – Beuveries – Le vin coupé d'eau – Coutumes lacédémoniennes – Alcée – Anacréon – Alexandre – Philippe – Denys – Les femmes et le vin – Divinités illyriennes de la boisson – Disciples de Platon.
LIVRE XI
Coupes – Beuveries – Banquets athéniens – Les Pléiades – Signification de termes particuliers – Sur Platon.
LIVRE XII
Apologie de la volupté – Luxe des Perses – Coutumes lydiennes – Les Sybarites – Les Tarentins – Les Milésiens – Les gens d'Abydos – Les Colophoniens – Luxe des Syriens – Rois asiatiques – Sardanapale – Philippe – Les Pisistratides – Alcibiade – Pausanias – Diomnestos – Alexandre – Polycrate – Agrigente – Lucullus – Aristippe – Les Perses – Épicure – Anaxarchos – Ptolémée Évergète – Les Lacédémoniens – Cinésias – Aphrodite Callipyge.
LIVRE XIII
Mariages lacédémoniens – Héraclès – Rapacité des Courtisanes – Folie du mariage – Éloge de la femme modeste – Éros – Homosexualité – Courtisanes célèbres – Phryné – Pythionicé – Amour des animaux – Invectives contre les Cyniques.
LIVRE XIV
Bouffons – Chants – Rhapsodes – Harpistes – Musique – Danse – Instruments de musique – Chansons d'amour – Desserts – Fromages – Gâteaux – Figues et raisin – Paons – Les Ilotes – Fromage – Bienfaits de la cuisine – Les Thessaliens.
LIVRE XV
Le Cottabe – Couronnes – Parfums – Libations – Scolies – Parodies – Torches.