notice - Dissertation sur les jeux Olympiques Olympiques Pythiques Néméennes Isthmiques
PINDARE
OLYMPIQUES
texte grec seul
texte bilingue
I
A
HIÉRON SYRACUSAIN,
Vainqueur
au célès
L'eau est le premier des éléments, et l'or brille, entre les
richesses les plus magnifiques, comme un feu étincelant au milieu des ombres de
la nuit. Mais, ô ma Muse ! si tes regards parcourent en un
beau jour le vide immense des cieux, ils n'y rencontreront point d'astre aussi
resplendissant que le soleil ; de même, si tu veux chanter
des combats, tu n'en pourras célébrer de plus illustres que ceux de la carrière
olympique.
C'est eux qui inspirent aux doctes enfants de la sagesse
des hymnes pompeux en l'honneur du fils de Saturne, et qui nous rassemblent
aujourd'hui dans le palais fortuné d'Hiéron.
Ce prince libéral et magnifique, dont le cœur réunit tout ce que les vertus
ont de plus sublime, fait fleurir la féconde Sicile par la sagesse de ses lois.
Il protège aussi les talents, et excelle dans l'art de former ces divins
accords que souvent nous faisons entendre, assis à la table où son amitié
nous convie.
Arrache donc à son silence ta lyre dorienne.
ô ma Muse !
si Pise anime tes transports, redis-nous les inquiétudes et l'allégresse que
tu éprouvas en voyant Phérénice se précipiter d'un vol rapide
sur les bords de l'Alphée, et, sans être pressé de l'aiguillon, conquérir la
victoire au maître habile qui l'a formé.
Ta gloire, ô roi de Syracuse ! vivra sans cesse chez les valeureux descendants
de Pélops, de ce Lydien fameux que le dieu, dont l'humide
empire embrasse la terre, honora de son amitié, dès qu'il l'eut vu retiré par
Clotho du vase funeste avec une épaule de l'ivoire le plus pur.
Prodiges étonnants sans doute ! ... Mais la fable et ses fictions ingénieuses
ont toujours eu plus d'empire sur le cœur des faibles humains que le simple
langage de la vérité, et la poésie, qui embellit tout, a su prêter aux faits
les plus incroyables l'apparence de la réalité. Le temps, à son tour, a épuré
cette merveilleuse croyance...
Quoi qu'il en soit, l'homme ne doit parler des dieux qu'avec respect et dignité
: ses erreurs en seront toujours moins blâmables.
Fils de Tantale, je vais donc faire de ton histoire un récit contraire à celui
de nos aïeux.
Je dirai qu'à ce festin splendide, que ton père, hôte des Immortels, leur
rendit dans sa chère Sipyle, Neptune, épris de tes
charmes, t'enleva sur un char éclatant, au palais de l'Olympe, pour te donner
auprès de lui les mêmes fonctions que déjà Ganymède
remplissait auprès du puissant Jupiter. Tu ne reparus plus, et tes fidèles
serviteurs te cherchèrent en vain pour te rendre à ta mère éplorée.
Alors des voisins, jaloux de ta gloire, publièrent secrètement que tes
membres, coupés en morceaux et jetés dans l'airain frémissant
sur la flamme, avaient été dévorés par les célestes convives.
Et je croirais les dieux avides à ce point !... Non, loin de moi une telle
absurdité. Jamais la calomnie n'échappa au châtiment qu'elle mérite.
Si les habitants de l'Olympe honorèrent un mortel de leur faveur, ce fut
Tantale. Mais il ne put supporter tant de prospérité. Le dégoût et les
soucis naquirent de l'abondance, et le père des dieux suspendit sur sa tête un
énorme rocher. Sans cesse il s'efforce d'en détourner le poids menaçant. Vain
espoir ! Tantale a perdu pour toujours sa joie et son bonheur.
Le voilà donc condamné sans retour à traîner sa triste existence en proie à
de continuelles alarmes et associé aux trois grands
criminels du Tartare.
Un quatrième supplice est encore réservé à son audace. Il osa dérober aux
Immortels et prodiguer à ses compagnons le nectar et l'ambroisie qui l'avaient
préservé de la mort. Insensé ! pouvait-il espérer de cacher son larcin à la
divinité. Pour le punir de sa témérité sacrilège, les dieux firent aussitôt
rentrer son fils dans la courte et pénible carrière de la vie.
Ce fils était à la fleur de l'âge, à peine un tendre duvet commençait à
couvrir ses joues, qu'il espéra allumer le flambeau d'un hymen digne de lui, et
obtenir du roi de Pise, sa fille, la belle Hippodamie. Seul, pendant une
nuit obscure, il se rend sur les bords de la mer écumeuse, et là, au milieu du
mugissement des flots, il invoque à grands cris celui dont le trident fait
retentir au loin les ondes.
Soudain ce dieu apparaît à ses regards : "Neptune, lui dit Pélops, si
les aimables dons de Cypris ont pour toi quelque charme, transporte-moi en Élide
sur ton char rapide, détourne de mon sein la lance du perfide Oenomaos et
couronne mes efforts du succès. Déjà treize prétendants valeureux ont
péri sous les coups de ce père barbare, qui diffère ainsi l'hyménée de sa
fille. Les âmes timides ne sont point faites pour affronter de grands dangers,
et puisque la mort est inévitable, pourquoi attendre dans un indigne repos une
vieillesse honteuse sans avoir rien fait pour la gloire. J'ai résolu de tenter
le combat. C'est à toi, ô Neptune ! de m'accorder la victoire."
Ainsi parla Pélops, et sa prière fut soudain exaucée. Le dieu voulant honorer
son favori, lui donne un char tout resplendissant d'or attelé de coursiers ailés
et infatigables. Il triomphe d'Oenomaos, s'unit à la jeune Hippodamie et
devient bientôt le père de six princes, dignes imitateurs de ses vertus. Maintenant
c'est là que sa cendre repose en paix, non loin des rives de l'Alphée, et sur
l'autel qui orne son tombeau, on offre chaque année de sanglants sacrifices, au
milieu de l'affluence de toutes les nations. Ainsi s'étendit la gloire de
Pélops, ainsi s'est immortalisé son nom dans ces jeux, où Olympie appelle les
combattants à disputer le prix de la vitesse à la course, et celui de la force
et du courage à affronter hardiment les dangers.
Qu'heureux est le mortel à qui la victoire a souri ! II coule le reste de ses
jours au sein de la plus délicieuse tranquillité. Le souvenir de ses combats
est pour lui le souverain bien. Il en jouit sans crainte de le perdre jamais.
O ma Muse ! couronnons le front d'Hiéron, aux accents de la lyre éolienne, et
faisons entendre des chants dignes de la victoire qu'il vient de remporter à la
course.
Quel autre, de ceux qu'une généreuse hospitalité me rend chers, mérite mieux
l'éloge de mes hymnes ? Quel autre possède à un plus haut degré ces deux précieux
avantages : l'amour des choses honnêtes et l'éclat de la puissance ?
Un dieu protecteur, ô Hiéron, veille à l'accomplissement de tes vœux et à
ta postérité. Bientôt, s'il ne retire son bras puissant, j'ai le doux espoir
de célébrer ton char glorieux, et, à la vue de la colline de Saturne, quel
enthousiasme nouveau fécondera mon génie et animera mes accents ! Déjà ma
Muse prépare pour ce beau jour le plus fort, le plus victorieux de ses traits.
La grandeur a différents degrés où sont placés les mortels. Le plus élevé
est celui qu'occupent les rois. Ne porte pas tes regards au-delà.
Ah ! puisses-tu couler tes jours dans l'éclat de ce rang sublime ! Puissé-je
moi-même passer les miens au milieu de tels vainqueurs, et, par ma sagesse, me
recommander à l'estime de la Grèce entière !
II
A
THÉRON D'AGRIGENTE,
Vainqueur
à la course des chars.
Hymnes
qui régnez sur ma lyre, quel dieu, quel héros, quel
mortel vont célébrer nos accents ? Jupiter est le protecteur tout puissant de
Pise. Hercule, des prémices de ses glorieux travaux,
institua les solennités olympiques. Théron vient de remporter à la course des
chars la palme de la victoire : c'est Théron que je veux chanter aujourd'hui.
Prince juste et hospitalier, il est le plus ferme soutien
d'Agrigente, le sage législateur des cités, et s'élève comme une fleur sur
la tige illustre dont il est le rejeton.
Longtemps battus par les vents de l'adversité, ses aïeux s'établirent enfin
sur les rives sacrées du fleuve qui baigne Agrigente et
devinrent le flambeau de toute la Sicile. Là ils passèrent le reste de leur
vie au sein du bonheur, rehaussant par l'éclat de leurs vertus héréditaires
et leurs richesses et leur puissance.
Fils de Saturne et de Rhéa, toi qui du haut de l'Olympe, où tu dictes tes
lois, contemples avec plaisir nos glorieux combats, et te montres sensible à
mes chants, conserve, ah ! dans ta bonté, conserve à leurs descendants la
terre fortunée qui les a vus naître.
Les actions passées, justes ou injustes, sont à jamais consommées. Le temps,
père de toutes choses, ne pourrait lui-même les anéantir. Cependant les joies
de la fortune peuvent les faire oublier; et souvent, quand un dieu propice nous
envoie un bonheur constant, le plaisir et la prospérité effacent en nous
jusqu'au moindre souvenir des plus effroyables maux.
à de grands malheurs succède une félicité plus grande encore. Témoin les
filles de Cadmus, qui, maintenant au sein de la gloire,
oublient les longues infortunes qui les ont accablées.
L'aimable Sémélé, que la foudre priva de la lumière, n'habite-t-elle pas
aujourd'hui les palais radieux de l'Olympe, chérie de Jupiter et de Pallas, chérie
du dieu, son fils que couronne le lierre ?
Accueillie au sein des flots, par les filles du vieux Néré, Ino ne
retrouva-t-elle pas la vie et l'immortalité ? Sans doute, aucun mortel ne connaît
le terme de sa carrière. Eh ! qui pourrait seulement se flatter que le jour
dont on voit le matin pur et tranquille s'écoulera jusqu'au soir avec la même
sérénité ?
Ainsi le plaisir et la peine, semblables aux flots balancés, agitent tour à
tour le cœur des misérables humains. Ainsi le sort, qui se plut à prodiguer
aux aïeux de Théron la fortune et l'opulence, doux présents des dieux, leur
fit éprouver en d'autres temps de cruels revers.
Un fils, poussé par le Destin, rencontre et tue Laïus, et, parricide
involontaire, accomplit l'antique et fatal oracle d'Apollon. Mais l'œil
perçant d'Érynnis l'a vu. Elle arme ses deux fils du glaive de la
vengeance, et leurs mains fratricides se lavent dans
leur propre sang !
Polynice laissa un fils, Thersandre, également habile
dans les exercices de la jeunesse et dans les périlleux travaux de Bellone. Ce
rejeton s'allia au noble sang des Adrastides, et de lui naquirent tes ancêtres,
ô Théron ! C'est toi, digne fils d'Oenésidame, que célèbrent maintenant et
ma lyre et mes vers.
Olympie te décerne aujourd'hui les palmes éléennes, et naguère tu
partageas encore la gloire dont ton frère se couvrit à l'Isthme et à Delphes,
où son char victorieux parcourut douze fois la carrière.
Heureux celui dont la victoire a couronné les efforts ! Il ne sera jamais exposé
aux soucis rongeurs. L'opulence embellie par la vertu le rendra capable de tout
entreprendre, créera en lui cette réflexion profonde,
astre divin, guide lumineux de l'homme dans les sentiers et la recherche de la vérité.
Éclairé par cet esprit investigateur, il saura les secrets de l'avenir, les châtiments
qui attendent les crimes commis sur la terre et la sentence que prononce au fond
des enfers un juge inexorable.
Un soleil toujours pur éclaire nuit et jour la paisible demeure des justes. Là
ils coulent des moments heureux : leurs bras ne fatiguent point les flots, leurs
mains n'y déchirent point la terre pour en arracher la pauvre nourriture des
mortels.
Près des amis des dieux vivent en paix ceux qui crurent à la sainteté du
serment : jamais les larmes n'altèrent leur bonheur, tandis que les parjures
sont consumés par d'horribles supplices.
Et vous dont les âmes habitèrent successivement trois
fois le séjour de la lumière et trois fois celui des Enfers sans jamais connaître
l'injustice, bientôt vous aurez parcouru la route que traça Jupiter, bientôt
vous parviendrez au royaume de Saturne, dans ces îles fortunées que les zéphyrs de l'océan
rafraîchissent de leur douce haleine : là des bosquets odorants ombragent le
cours des ruisseaux et les prairies sont émaillées de mille fleurs d'or, dont
tressent des couronnes les habitants de ces demeures pour orner et leur sein et
leur front.
Ainsi, dans sa justice, l'a voulu Rhadamanthe, qui siège à la droite de l'époux
de Rhéa, puissante déesse dont le trône domine celui des autres Immortels.
C'est dans ces lieux qu'habitent et Cadmus et Pélée ; c'est là qu'admis par
les prières de sa mère, habite aussi l'invincible Achille, dont le bras immola
Hector, ce rempart inexpugnable de Troie, et terrassa Cycnus et l'Éthiopien,
fils de l'Aurore.
Combien mon carquois ne renferme-t-il pas encore de ces traits qui ne partent
que de la main du génie et qui sont trop pesants pour le vulgaire !
Celui-là seul est vraiment sage que la nature a instruit par ses
leçons ; ceux qu'une étude pénible a formés se perdent en de vaines paroles,
semblables aux corbeaux qui, de leurs bruyantes
clameurs, ne sauraient intimider l'oiseau sacré de Jupiter.
Mais, ô ma Muse, ranime tes efforts ! tends de nouveau ton arc vers le but. Et
quel but proposer à tes traits victorieux ? Dirige-les vers Agrigente ...
Que les accents de la vérité sortent de ma bouche, et qu'ils soient confirmés
par un serment solennel ! Jamais, depuis cent ans, aucune cité n'a vu naître
un mortel d'un cœur plus généreux, un roi plus libéral que Théron.
En vain, l'envie voudrait ternir sa gloire, en vain l'injustice anime contre lui
ceux qu'il a comblés de ses faveurs : elles ne
parviendront jamais à voiler aux hommes vertueux l'éclat de tant de belles
actions. Qui pourrait en effet compter ses bienfaits ? Leur nombre surpasse
celui des sables de la mer.
III
A THÉRON
Puissent
les fils de Tyndare, protecteurs de l'hospitalité, puisse
la belle Hélène se montrer aujourd'hui propices à mes chants ! Je célèbre
Agrigente et l'illustre Théron, qui fait voler avec tant de succès dans la
carrière olympique ses coursiers aux pieds légers et infatigables.
Ma Muse m'inspire des chants extraordinaires, et me presse de marier tour à
tour aux accords variés du mode dorien les accents de ma voix qui fait
l'ornement des festins. Déjà le front du vainqueur, ceint de l'olivier
triomphal, m'invite à m'acquitter d'une dette sacrée, à unir les sons de ma
lyre aux modulations de la flûte pour célébrer dans mes hymnes le glorieux
fils d'Oenésidame. Tu m'ordonnes aussi de chanter, ô Pise ! source divine, où
les mortels puisent toujours la plus sublime louange.
Suivant l'antique usage établi par Hercule, un citoyen d'Étolie,
juge intègre de nos combats, orne le front de l'athlète victorieux d'une
couronne d'olivier verdoyant. Le fils d'Amphitryon apporta
jadis cet arbre des sources ombragées de l'Ister, la
douce persuasion le lui ayant fait obtenir des
peuples hyperboréens, fidèles adorateurs d'Apollon, il
voulut que ses rameaux fussent la récompense glorieuse de nos triomphes.
Il méditait encore dans son cœur un beau dessein, celui de consacrer à
Jupiter un bois capable de recevoir tous les enfants de la Grèce, et de donner
par son feuillage de l'ombre aux spectateurs et des couronnes à l'athlète
victorieux. Déjà le héros avait élevé dans ces lieux un autel à son père,
alors que Phébé sur son char d'argent montrait en entier son disque lumineux.
Déjà il y avait placé le tribunal des juges incorruptibles du combat, et arrêté
que, tous les cinq ans, on célébrerait ces grands jeux sur les bords de l'Alphée.
Mais ces beaux arbres, dont l'aspect délicieux charme aujourd'hui nos regards,
n'embellissaient point encore le Cronium et la vallée de
Pélops. Ce lieu n'avait ni ombre ni verdure. Il était exposé de toutes parts
aux rayons d'un soleil ardent.
Cependant le fils de Jupiter brillait de se transporter en Istrie, où jadis la
belliqueuse fille de Latone le reçut, lorsqu'il descendait des coteaux et des
vallons sinueux de l'Arcadie, et que, pour obéir à l'oracle de son père et
accomplir les ordres d'Eurysthée, il poursuivait cette
biche aux cornes d'or que Taygète avait jadis consacrée
à Diane l'Orthosienne.
En s'attachant à ses traces, il arriva dans ces régions que Borée ne
tourmenta jamais de son souffle glacial. Frappé de la
beauté des arbres qu'elles produisent, il forme aussitôt le projet d'en orner
la carrière où douze contours égaux mesurent le terme
de la course. Et aujourd'hui, il honore de sa présence la pompe de cette fête avec les jumeaux de la belle Léda, car lorsque le héros
fut monté dans l'Olympe, il les chargea de présider à ces nobles combats, et
de juger de la force des athlètes et de l'adresse des écuyers à faire voler
un char dans l'arène ...
Mais, ô ma Muse ! hâte-toi de célébrer la gloire immortelle que Théron et
les Emménides viennent d'acquérir par la protection
des illustres fils de Tyndare. Quels mortels sont plus dignes d'être chantés ?
Nul n'ouvre comme eux sa table généreuse à l'hospitalité. Nul ne remplit
avec plus de religion les devoirs sacrés que les dieux nous imposent. Oui, si
l'eau règne sur les éléments, si l'or est le plus précieux des biens que
l'on puisse posséder, ah ! les vertus de Théron sont encore mille fois préférables
! Elles l'ont conduit jusqu'aux colonnes d'Hercule,
au-delà desquelles aucun mortel, le sage même, ne se flattera jamais
d'atteindre... Cessons nos chants : tout autre éloge serait téméraire.
IV
A
PSAUMIS DE CAMARINA,
Vainqueur
à la course aux chevaux
Toi,
dont la main puissante lance au loin la foudre au vol impétueux, grand Jupiter,
les Heures, tes filles me rappellent à Olympie pour être
témoin de ses illustres combats, et chanter les vainqueurs aux sublimes accords
de ma lyre !
Quelle est grande la joie de l'homme vertueux à la nouvelle du triomphe d'un hôte
qui lui est cher ! Reçois, fils de Saturne, maître souverain de l'Etna
mugissante, dont le poids écrase le furieux Typhon aux
cent têtes, reçois ce témoignage de ma reconnaissance, cet hymne consacré au
vainqueur d'Olympie et qui doit immortaliser les plus héroïques vertus.
Voici venir Psaumis sur son char de triomphe. Le front
ceint de l'olivier de Pise, il se hâte de retourner à Camarina sa patrie, pour
y recueillir une gloire éternelle. Puissent les dieux exaucer tous les vœux
de ce héros dont je célèbre les louanges !
S'il fut habile à dresser les coursiers, il fut encore plus ami des vertus
hospitalières et de la paix si favorable au bonheur des cités. Je n'embellirai
point mes éloges des couleurs du mensonge : de tout temps l'expérience apprit
à juger les hommes.
C'est elle qui jadis vengea le fils de Clymène de
l'affront des femmes de Lemnos, lorsque vainqueur à la course, malgré le poids
d'une armure d'airain, il s'avança vers Hypsiphile pour recevoir de ses mains
la couronne triomphale : "Reconnaissez en moi, lui dit-il, ce guerrier
aussi brave dans les combats que souple et agile à la course." Souvent la jeunesse voit blanchir ses cheveux avant les jours fixés par la nature.
V
AU MÊME PSAUMIS,
Vainqueur
à la course des chars
Fille de l'Océan, recevez avec joie cette palme dont Olympie
vient de couronner le plus glorieux des triomphes et de sublimes vertus. Psaumis
la dépose à vos pieds ; elle est la récompense des infatigables coursiers de
son char.
C'est à ce mortel généreux que Camarina doit son agrandissement et son lustre, et ces douze autels
que sa religion a consacrés aux
grands dieux de l'Olympe et sur lesquels le sang des taureaux a coulé pendant
les cinq jours solennels où Pise le vit se distinguer par son adresse à
diriger un char, à faire voler ses mules et à guider un célès rapide. Quelle
gloire ne vous a-t-il pas acquise en ce jour où il a fait proclamer et le nom
de son père Acron et celui de sa patrie, relevée tout récemment
de ses ruines
par sa munificence.
A peine revenu de ces lieux charmants où tout rappelle Oenomaüs et Pélops,
c'est dans ton bois sacré, ô Pallas ! protectrice des cités, qu'il offre ses premiers vœux. La pompe
de ses fêtes
embellit le fleuve Oanis, le lac dont les bords l'ont vu naître, et ces canaux
magnifiques par lesquels l'Hipparis
porte le tribut de ses
eaux, les matériaux de nombreux et superbes édifices, et la richesse et le
bonheur à un peuple autrefois indigent.
Toujours les entreprises périlleuses coûtent à l'homme vertueux beaucoup de
peines et de travaux, mais quand un heureux succès couronne de tels efforts,
alors les peuples applaudissent à leur sagesse.
O Jupiter sauveur ! toi qui foules aux pieds les nues, qui
habites le Cronium et te plais sur les bords majestueux de l'Alphée et dans
l'antre sacré de l'Ida, que mes chants, mêlés aux
accords des flûtes lydiennes, s'élèvent jusqu'à toi
! Daigne illustrer à jamais cette cité par les plus éclatantes vertus ! Et
toi, vainqueur olympique, si fier de tes coursiers rivaux de ceux de
Neptune, puisses-tu, entouré de tes enfants, couler une heureuse et paisible
vieillesse.
Le mortel qui joint une santé florissante à la richesse et à la gloire doit
se garder d'envier le sort des dieux
VI
A
AGÉSIAS SYRACUSAIN,
Vainqueur à la course des chars .
Quand
un architecte habile élève un somptueux édifice, il en soutient les portiques
sur des colonnes d'or : ainsi donnons à mes vers un début brillant et pompeux,
surtout si le sujet de nos chants est un vainqueur d'Olympie, un prêtre
de l'autel fatidique de Jupiter, un fondateur de la
puissante Syracuse. Quel hymne assez magnifique sera digne de ce héros, que déjà
ses concitoyens ont célébré tant de fois sans envie dans leurs éloges?
Fils de Sostrate, c'est à toi que conviennent des chants
aussi sublimes. La gloire acquise sans péril dans les batailles et sur l'élément
perfide n'est d'aucune valeur aux yeux des mortels. Est-elle le prix de pénibles
travaux, elle vit éternellement dans leur mémoire. O Agésias ! tu es digne de
l'éloge qu'Adraste jadis adressa au fils d'Oïclée, au devin
Amphiaraüs, lorsque la terre l'eut englouti avec ses blancs coursiers.
Après que sept bûchers embrasés eurent consumé les corps des guerriers des
sept chefs, le triste fils de Talaüs prononça ces paroles : "Je pleure
l'ornement et la gloire de mon armée, un sage devin, un vigilant et courageux
capitaine." Eh bien ! l'illustre Syracusain que je célèbre mérite
aussi cet éloge. Oui, quoique je sois ennemi des paroles de défiance et de
contradiction, je ne craindrai pas de l'affirmer avec serment, oui, je le jure,
et les Muses, qui n'inspirent jamais que des chants pleins de douceur, me
pardonneront ce serment.
O Phintis ! attelle-moi promptement tes mules rapides ; je
vais parcourir aujourd'hui une brillante carrière et raconter l'origine des ancêtres
d'Agésias. Ces mules couronnées à Olympie ne sont pas indignes de trouver
place dans mes chants : elles peuvent mieux que tout autre guide me conduire à
l'instant dans le palais de Pitane, sur les bords de
I'Eurotas.
Unie à Neptune, fils de Saturne, Pitane donna le jour à la belle Évadné aux
cheveux d'ébène. Son sein cacha quelque temps le fruit de ses amours ; mais le
neuvième mois étant arrivé, elle confia à ses esclaves ce dépôt précieux
pour le porter au vaillant fils d'Elatus, qui dans
Phésane régnait sur les enfants de l'Arcadie, aux rives de l'Alphée.
Élevée en ces lieux charmants, Évadné goûta dans
les bras d'Apollon les premières faveurs de Cypris ; mais elle ne put longtemps
échapper aux soupçons d’Épytus : cet époux infortuné comprit qu'elle
portait dans ses flancs un germe divin. Cependant il renferme dans son cœur le
feu de la colère qui le dévore et se rend à Delphes en toute hâte pour
consulter l'oracle sur un avenir dont il ne peut supporter la pensée. Alors Évadné
dépose sa ceinture de pourpre et son aiguière d'argent ; et avec les secours
des Parques et de la bienfaisante Lucine qu'Apollon lui
a envoyées, elle enfante, à l'ombre d'épais feuillages, un fils en qui
respire la divinité.
Ainsi Jamus sortit du sein maternel sans peine et sans efforts. Sa mère, en
proie aux plus vives alarmes, le laissait étendu à terre, lorsque, par l'ordre
des Immortels, deux dragons aux regards étincelants, viennent lui prodiguer
leurs caresses et le nourrir du suc délicieux des
abeilles.
Le roi bientôt a de nouveau franchi les sommets escarpés sur lesquels s'élève
la ville d'Apollon ; il rentre dans son palais, et demande à chacun des siens
quel enfant Évadné a mis au monde: "Phébus, leur dit-il, m'a révélé
qu'il en est le père, qu'entre tous les mortels il l'a choisi pour rendre sur
la terre les oracles du ciel, et que sa postérité sera éternelle." Ainsi
parle Epytus. Tous répondent qu'ils n'ont rien aperçu, rien entendu. Cinq
jours néanmoins s'étaient écoulés depuis que le fils d'Évadné avait reçu
la vie ; on l'avait tenu caché parmi les joncs et les bosquets touffus, où les
violettes purpurines avaient parfumé de leurs suaves
odeurs ses membres délicats.
C'est pourquoi sa mère voulut qu'il portât à jamais l'immortel nom de
Jamus. Et quand le duvet du jeune âge eut orné ses joues de sa blonde
couronne, il descend la nuit au milieu de l'Alphée, et invoquant Neptune son aïeul,
dont la puissance s'étend au loin, et celui dont l'arc redoutable protège Délos, ouvrage de ses mains, il les prie de lui accorder un de
ces honneurs qui contribuent au bonheur des peuples. Alors son père lui fait
entendre sa voix fatidique en ces termes : "Lève-toi, mon fils, et
suis-moi dans cette contrée, où se rendent toutes les nations : c'est là que
s'accompliront pour toi mes premiers oracles."
Ils arrivent ensemble au sommet escarpé du Cronium : là le dieu lui donne le
double trésor de la divination. D'abord il recueille les paroles véridiques
d'Apollon ; ensuite, quand Hercule, le noble rejeton des
Alcaïdes, eut institué en l'honneur de son père ces combats illustres, ces
jeux célèbres par l'affluence de tous les peuples, Apollon voulut que Jamus établît
un oracle sur l'autel même de Jupiter. Dès lors la race des Jamides devint célèbre
dans toute la Grèce, dès lors s'accrurent ses richesses et sa puissance.
Quiconque s'honore de la vertu mérite de briller aux yeux des mortels, et
chacun se reconnaît à ses oeuvres ; mais l'envie s'efforce toujours de
suspendre le blâme sur la tête de ceux qui, après avoir fourni douze fois la
carrière, ont le bonheur de ceindre leur front de l'olivier triomphal.
S'il est vrai, ô Agésias ! que tes ancêtres maternels, pieux habitants du
mont Cyllène, aient souvent offert des sacrifices au céleste messager des
dieux qui préside au succès des combats et à la distribution des couronnes,
à Mercure, protecteur de l'Arcadie féconde en troupeaux , c'est à lui, n'en
doute pas, fils de Sostrate, c'est à son père, au dieu de la foudre, que tu
dois la félicité dont tu jouis... Mais quel dieu commande à ma langue ?...
Les sons harmonieux des instruments m'inspirent des chants sublimes : ainsi crie
l'acier sous les frottements de la pierre.
Métope, fille de Stymphale, est mon aïeule maternelle
; Métope donna le jour à Thèbes, célèbre par ses coursiers, Thèbes que
j'habite aujourd'hui et dont j'immortalise par mes hymnes les enfants valeureux.
O Énée ! excite tes compagnons à chanter d'abord
Junon Parthénienne, et à montrer si nous méritons
encore cet ancien et injurieux surnom pourceau
de Béotie. Tu es le fidèle interprète des Muses aux beaux cheveux, et de
ta bouche coulent des sons plus doux que la liqueur de la coupe du festin.
Ordonne-leur encore de chanter Syracuse et Ortygie,
heureuses sous la domination du sage Hiéron, le fidèle adorateur de
Cérès, de Hiéron dont la présence embellit les fêtes de Proserpine et les pompes du puissant Jupiter Etnéen.
Que de fois ma lyre et mes vers n'ont-ils pas déjà répété la louange de ce
prince !... Puisse le temps ne jamais troubler sa félicité ! Puisse Hiéron
lui-même recevoir avec bienveillance cet hymne consacré au triomphe d'Agésias
! Il quitte aujourd'hui Stymphale, cette reine de l'Arcadie si riche en
troupeaux, et rentre à Syracuse, son heureuse patrie. Ainsi, pendant une nuit
orageuse, deux ancres assurent souvent le salut d'un
esquif léger.
Quelque part que le sort te porte, ô Agésias, que les dieux t'accordent
d'illustres destinées ! Puissant maître des mers, époux d'Amphitrite
à la quenouille d'or, donne à mon héros une heureuse navigation, et accrois
de plus en plus la gloire de mes chants.
VII
A
DIAGORAS DE RHODES,
vainqueur
au pugilat
Tel
qu'on voit un père magnifique dans ses largesses, remplir d'un vin pétillant
une coupe d'or massif, le plus riche ornement de sa table, l'effleurer de ses lèvres,
et, l'offrant au jeune époux de sa fille, comme un présent digne d'être
transmis de famille en famille, honorer par ce don l'alliance qu'il contracte et
rendre ses amis jaloux d'un hymen si fortuné, ainsi je me plais à abreuver du
nectar des Muses les athlètes victorieux, et par les doux fruits de mon génie,
j'enivre de joie les héros couronnés à Delphes et à Olympie.
Oh! qu'heureux sont les mortels dont la renommée publie au loin la gloire !
Tour à tour la victoire jette sur eux un regard favorable, et les grâces de la
poésie mêlées aux tendres accords de la lyre et de mille instruments sèment
de fleurs le sentier de leur vie.
Je vais donc te chanter aujourd'hui au son éclatant des flûtes, aux douces mélodies
de ma lyre, fille de Vénus, Rhodes, puissante reine des
mers et épouse du Soleil.
J'unirai ton éloge à celui de Diagoras en célébrant les trophées de cet
invincible athlète, que viennent d'ennoblir la palme du pugilat, sur les bords
de l'Alphée, et celles qu'on décerne aux sources sacrées
de Castalie.
Mes chants n'omettront point Démagète, son père, dont
l'équité est bénie en cent lieux. Tous deux habitent cette île aux
trois florissantes cités qui s'élèvent sur les côtes de la vaste Asie, non
loin du promontoire où se réfugia l'élite des enfants
d'Argos.
Je veux, en commençant leur commun éloge, remonter jusqu'à Tlépolème, issu
du grand Hercule.
Par son père, le sang même de Jupiter coule dans leurs veines ; du côté
d'Astydamie, leur mère, ils sont de la race d'Amyntor.
Mais pourquoi faut-il qui l'erreur assiège sans cesse le cœur des faibles
mortels ! Et quel est celui qui, parvenu au terme de sa carrière, peut se
glorifier de s'être toujours arrêté au parti le plus avantageux ? Fondateur
de cette colonie, on le vit jadis à Tirynthe, dans un transport de colère,
tuer d'un coup de massue Licymnius, frère d'Alcmène, issu de la Phrygienne Médée.
Hélas ! des passions tumultueuses peuvent donc à ce point égarer l'âme d'un
sage.
Il part aussitôt pour consulter l'oracle. Le dieu à la blonde chevelure, du
fond de son sanctuaire odorant, lui commande de quitter le rivage de Lerne et de
diriger sa course vers cette terre que la mer environne
de toutes parts, où le souverain puissant des dieux fit tomber une pluie d'or
lorsque, par le secours de l'industrieux Vulcain, Minerve s'élança de son
cerveau en poussant un cri qui fit frémir et la terre et les cieux.
A la vue de ce prodige, le dieu qui verse la lumière, le dieu
fils d'Hypérion ordonna à ses enfants d'acquitter à l'avenir une dette à
jamais sacrée, d'élever aussitôt un autel et d'honorer
les premiers, par d'augustes sacrifices, le puissant Jupiter et sa fille à la
lance frémissante. Le respect que les hommes ont pour la volonté des dieux est
le garant de leurs vertus et de leur bonheur.
Cependant un oubli funeste des ordres du divin Apollon aveugla l'esprit des
Rhodiens et les écarta de la route qu'ils auraient dû suivre : ils font de
leur citadelle un temple et immolent des victimes sans avoir le feu sacré
pour les consumer. Soudain Jupiter les enveloppe d'une nuée lumineuse et verse
sur eux une abondante pluie d'or.
Dés cet instant, la déesse satisfaite leur accorda le don de surpasser
par leur adresse tous les autres peuples ; dès lors leurs places publiques
furent ornées de statues magnifiques semblables à des hommes vivants ; dès
lors enfin leur gloire s'étendit par toute la terre.
L'homme habile a d'autant plus de talent qu'il n'a pas recours à de vains
artifices.
Écoutons maintenant l'antique tradition des peuples. Quand les dieux se partagèrent
l'univers, Rhodes n'apparaissait point encore au milieu des flots ; elle était
cachée dans les profonds abîmes de la mer. Le Soleil fut exclu du partage, il
était absent. Ainsi aucune région ne lui fut spécialement consacrée.
Le dieu du jour le rappelle à Jupiter, qui consent à diviser de nouveau le
monde ; mais Apollon s'y oppose: "Je vois, dit-il, sortir du sein des ondes
écumantes une île féconde en moissons et en excellents pâturages."
Il ordonne aussitôt à Lachésis, dont le front est ceint d'une chaîne d'or,
de lever la main et de jurer avec le fils de Saturne, par le serment redoutable
des dieux, que cette terre qui vient d'apparaître à la
lumière sera désormais son apanage.
Cet inflexible arrêt fut exécuté selon ses désirs ; et du milieu des flots
surgit à l'instant cette île renommée. Depuis lors, elle appartint au dieu
qui lance les rayons perçants du jour et dont les coursiers soufflent au loin
la flamme.
Uni à la nymphe Rhodes, le divin Apollon donna la vie à sept fils, sages législateurs
des premiers habitants de cette île. L'un d'eux engendra d'abord Jalysus,
ensuite Camire et Lindus. Ainsi le territoire divisé en trois parties forma
trois villes qui prirent, clans la suite des âges, le nom de leurs fondateurs.
C'est là que le chef des Tirynthiens, Tlépoléme,
trouva un adoucissement à ses malheurs ; là on lui
offrit, comme à un dieu, de pompeux sacrifices et l'on célébra des jeux en
son honneur.
Deux fois Diagoras y a triomphé ; trois fois l'Isthme le vit vainqueur, et la
forêt de Némée, et la puissante Athènes l'ont aussi
vu voler de triomphe en triomphe.
Le bouclier d'airain, récompense que donne Argos, les
magnifiques ouvrages de l'art que décernent l'Arcadie
et Thèbes, les combats fameux de la Béotie attestent sa valeur.
Six fois Égine et Pellène ont proclamé sa victoire,
et jamais le nom d'un athlète n'orna si souvent la colonne
sur laquelle Mégare inscrit le nom des vainqueurs.
Grand Jupiter, qui règnes sur les sommets de l'Atabyre,
daigne accueillir mes chants et jeter un regard propice sur ce héros dont
Olympie vient de couronner les mâles vertus.
Que sa gloire éclate et dans sa patrie et dans tout l'univers, puisqu'il suit
les traces de ses héroïques ancêtres et qu'il marche d'un pas ferme dans les
sentiers de la justice.
Dieu puissant, ne permets pas que la race de Callianacte se perde avec sa gloire
dans l'obscurité. Ta patrie, ô Diagoras, célèbre aujourd'hui par ses pompes,
la prospérité présente des Ératides , mais hélas ! le souffle inconstant de
la fortune ne peut-il pas nous rendre en un instant le jouet de ses caprices ?
VIII
AU
JEUNE ALCIMÉDON,
vainqueur
à la lutte
O
tendre mère! qui te plais à orner de brillantes couronnes le front de tes athlètes,
Olympie, prête l'oreille à mes accents !
Sanctuaire de la vérité, c'est dans ton enceinte que
d'augustes sacrificateurs demandent aux entrailles fumantes
des victimes les volontés du maître du tonnerre, sur ces hommes que de pénibles
travaux conduisent aux vertus les plus sublimes et au repos, digne récompense
de leurs succès; et Jupiter, sensible à leur piété et à leurs prières,
leur manifeste ses décrets.
Et toi, verdoyant Altis, dont l'épais ombrage embellit le cours de l'Alphée,
reçois cet hymne et ces couronnes. Quelle gloire n'est
pas réservée au mortel assez heureux pour obtenir une de tes palmes ! Mais les
mêmes biens ne sont pas réservés à tous les hommes, et les dieux dans leur
bonté ont ouvert mille chemins pour aller au bonheur.
C'est ainsi, ô Timosthènes ! que la fortune a attiré sur ton frère et sur
toi les bienfaits de Jupiter, souche de ta race, en te faisant remporter la
victoire à Némée et en donnant à Alcimédon la palme d'Olympie, au pied de
la colline de Saturne. Qu'il faisait beau le voir ! et combien sa valeur prêtait
de charmes aux grâces de son visage! Vainqueur à la lutte, il a couvert
de gloire sa patrie puissante sur les mers Égine, où Thémis,
conseillère de Jupiter Hospitalier, est honorée d'un culte solennel.
II est sans doute bien difficile de juger avec sagesse au milieu de tant de
passions et d'intérêts divers. Mais les dieux, par un décret spécial, ont
voulu que cette terre s'élevât comme une colonne au milieu des flots et que
les étrangers y trouvassent un égal appui. Ah ! que le
temps dans son vol rapide ne l'ébranle jamais !
Égine fut gouvernée par les Doriens, depuis Éaque, que
le fils de Latone et le puissant Neptune associèrent à leurs travaux
lorsqu'ils s'apprêtaient à achever les murailles de Troie. Ainsi l'avait
arrêté le Destin pour que les remparts d'Ilion pussent s'écrouler au milieu
de noirs tourbillons de fumée et des ravages sanglants de la guerre. A peine le
mur fatal est-il achevé que trois dragons s'élancent
contre ces nouveaux retranchements : deux tombent et roulent au pied des tours où
ils expirent épouvantés ; mais le troisième se jette dans la ville et pousse
d'horribles sifflements. Alors Apollon, méditant sur ce funeste présage, fait
entendre ces paroles: "Je vois Pergame prise par cet endroit même que tes
mains viennent de fortifier, ô
Éaque ! ainsi me
l'expliquent les prodiges que nous envoie le fils de Saturne, le puissant maître
du tonnerre. Tes enfants ne sont point étrangers à cette catastrophe : je vois tes fils la commencer et tes arrière-neveux la
consommer."
A ces mots, interprète des volontés du Destin, Apollon s'éloigne et va
parcourir les bords du Xanthe ; puis il se retire chez
les belliqueuses Amazones et dans les régions que l'Ister arrose. Le dieu dont
les mains sont armées du trident laisse Éaque retourner à Égine et dirige
ses coursiers brillants d'or vers les hauteurs de Corinthe, pour
contempler les jeux qu'un y célèbre en son honneur.
Jamais on ne peut plaire également aux mortels. Que l'envie ne s'irrite donc
point contre moi si je célèbre par mes hymnes la gloire que recueille
Milésias des succès de ses jeunes élèves : Némée le vit aussi se
distinguer lui-même ; plus tard, dans l'âge viril, la victoire couronna ses
efforts au combat du pancrace. Instruire est chose facile pour un maître
habile; mais enseigner sans avoir la connaissance de son art est la plus grande
des folies : tout précepte qui n'est pas fondé sur l'expérience est inutile
et vain.
Qui mieux que Milésias peut apprendre par quels travaux doit se former l'athlète
qui brûle de remporter la victoire dans nos combats sacrés. Ah ! combien il
est maintenant récompensé de ses soins pour Alcimédon ! ce jeune héros vient
de cueillir une palme que trente autres avant lui durent aux leçons de Milésias.
La fortune, à la vérité, lui prodigua ses faveurs ; mais ne doit-il pas à
son courage d'avoir imprimé sur les membres de quatre jeunes rivaux les marques
de leur défaite et de les avoir forcés à cacher leur honte dans l'obscurité
et le silence ? La joie qu'en ressentit son aïeul
rajeunit ses vieux ans, car la prospérité et la gloire font aisément oublier
à l'homme la mort. et le sombre empire...
Mais, en célébrant la victoire d'Alcimédon, ne dois-je pas rappeler le
souvenir des Blepsiades. Jadis leurs mains
cueillirent aussi les palmes du triomphe : aujourd'hui leur digne rejeton ajoute
une sixième couronne à celles qu'on leur vit mériter dans nos combats. Ainsi
la gloire des vivants rejaillit sur ceux qui ne sont plus, et la poussière du
tombeau ne déshérite point les enfants de la gloire de leurs enfants.
O Iphion ! dès que la Renommée,
fille de Mercure, t'aura apporté aux Enfers la nouvelle de la victoire de ton
fils, hâte-toi d'en instruire Callimaque ; qu'il apprenne qu'un athlète sorti
de son sang s'est montré cligne de la faveur de Jupiter et des honneurs
d'Olympie.
Puisse ce dieu favorable combler toujours de ses bienfaits les descendants des
Blepsiades ! Puisse-t-il chasser loin d'eux les maladies
promptes et cruelles ! Puisse-t-il forcer Némésis à
ne jamais leur envier une félicité qu'ils ne doivent qu'à leurs vertus, leur
accorder une vie exempte de maux et accroître leur bonheur et la prospérité
de leur patrie!
IX
(146)
A
EPHARMOSTE D'OPONTE,
vainqueur
à la lutte
Loin
de moi cet hymne d'Archiloque qu'Olympie entend souvent répéter,
ce triple refrain bruyant : Gloire au
vainqueur ! Il a pu suffire pour guider les pas d'Epharmoste et les chœurs
de ses amis près du mont de Saturne.
Mais aujourd'hui, ô Muse ! c'est à toi de faire entendre d'autres concerts ;
que nos accents soient dignes du puissant maître de la foudre et des sommets
de l'Élide, que Pélops, le héros de la Lydie, conquit pas sa bravoure et
assura pour dot à la belle Hippodamie.
Dirige d'abord ton vol heureux vers la ville d'Apollon : ne crains pas de
ramper; tu célèbres aux accords de ta lyre un illustre enfant d'Oponte, qui
vient de s'immortaliser à la lutte. Chante donc et le fils et la mère, chante
Oponte, séjour fortuné de Thémis et sa fille la
glorieuse Eunomie.
Les sources de Castalie et les bords de l'Alphée sont également
témoins de la valeur d'Epharmoste ; et les lauriers de sa couronne rehaussent
aujourd'hui la gloire de celle patrie des Locriens, si fameuse par sa fertilité.
O cité chérie, puissé-je, par l'éclat de mes chants, répandre au loin ta
gloire avec plus de vitesse que le coursier rapide ou que le vaisseau léger qui
fend l'onde ! Pourvu qu'une main divine daigne m'introduire dans le jardin des
Grâces et m'aide à y cueillir quelques fleurs. Les Grâces seules donnent la
beauté, de même que les dieux distribuent aux mortels la force et la sagesse.
Et comment Hercule, lorsqu'il attaqua Pylos, aurait-il pu,
sans autres armes que sa massue, résister au trident de Neptune, braver
Apollon, qui épuisa contre lui les traits de son arc d'argent, et rendre
immobile dans la main de Pluton cette baguette fatale avec laquelle il conduit
dans le séjour des ombres les victimes de la mort ?...
Silence, ma bouche ! loin de toi de semblables récits ! Médire des dieux est
une fausse et odieuse sagesse et le symptôme de la folie. Cesse
donc de proférer d'imprudentes paroles et de nous représenter les immortels déchirés
par les dissensions et les combats.
Chante plutôt la cité de Protogénie où, par l'ordre
de Jupiter-Tonnant, Deucalion et Pyrrha, descendant du ciel, trouvèrent leur
premier asile, où, sans suivre les lois de la nature, ils propagèrent leur
race et firent sortir des pierres un peuple dont le nom seul rappelle
l'origine. Consacre-leur des chants harmonieux, mais nouveaux; car si la
vieillesse est louable dans la liqueur de Bacchus, la nouveauté prêta toujours
des charmes aux accents de la poésie.
Je dirai donc qu'à cette époque, un déluge engloutit la terre sous la
profondeur de ses ondes ; mais que bientôt, les flots, refoulés au loin, rentrèrent
dans les abîmes creusés par la puissante main de Jupiter.
Ce couple illustre, ô Épharmoste ! fut la souche de tes magnanimes aïeux;
ainsi les héros de ton sang sont également issus des filles de Japhet et des
fils valeureux de Saturne, qui régnèrent toujours dans Oponte, leur berceau et
le tien.
Jadis le puissant roi de l'Olympe enleva de la terre des
Éphéens la fille d'Oponte, et s'unit à elle sur les sommets du
Ménale : puis il la rendit à Locrus son époux, afin que la mort ne le vînt
point surprendre sans postérité.
Protogénie portait dans son sein un gage de la tendresse de son divin
ravisseur; et Locrus fut transporté de joie en voyant naître cet enfant, dont
il n'était que le père adoptif. Il voulut que ce fils, depuis si célèbre par
sa beauté et ses vertus, prît le nom de son aïeul maternel, et qu'il régnât
sur la ville et les peuples d'Oponte.
Bientôt des émigrés d'Argos, de Thèbes, d'Arcadie et
de Pise accourent se ranger sous ses lois. Mais, de tous ces étrangers celui
qu'il honora le plus fut le fils d'Actor et d'Égine, le vaillant Ménétius. Il
était père de ce guerrier qui accompagna les Atrides dans la contrée où régna
Teuthras, et qui soutint seul avec Achille le choc des
bataillons troyens, lorsque Télèphe repoussait les
enfants de Danaüs et les forçait à se retirer en désordre dans leurs
vaisseau.
Dès ce jour on connut la valeur de Patrocle ; dès ce jour le fils de Thétis
ne voulut plus que ce brave s'exposât aux hasards des combats meurtriers, sans
être protégé de sa lance redoutable aux mortels.
Qui m'inspirera maintenant des chants sublimes, et me rendra digne de m'asseoir
sur le char des Muses ! C'est là que la hardiesse sera
donnée à mes pensées et la force à mes paroles.
Chantre de l'hospitalité et de nobles exploits, je viens célébrer le triomphe
que Lampromaque et Épharmoste ont remporté en un même
jour aux jeux isthmiques. Déjà deux victoires les avaient signalés aux portes
de Corinthe; le nom d'Épharmoste a depuis été proclamé dans la forêt de Némée.
Argos lui a décerné la couronne des hommes faits, et
Athènes celle de l'enfance.
Mais de quelle gloire ne se couvrit-il pas à Marathon
lorsque, dédaignant de combattre des rivaux de son âge, il enlevait à des
athlètes vigoureux la coupe d'argent, prix du triomphe ; et, qu'après les
avoir vaincus par son agilité et son adresse, il parcourait la lice aux
bruyantes acclamations des spectateurs. Dieux ! que de noblesse répandaient sur
sa personne les grâces du jeune âge, rehaussées par son héroïque valeur !
Partout il a paru digne d'admiration, et aux peuples de Parrhasie
dans les fêtes publiques de Jupiter Lycéen, et à Pellène,
où il obtint, pour prix de sa bravoure, un manteau que ni les vents, ni les
frimas ne sauraient pénétrer. Le tombeau d'Iolas et la
maritime Éleusis ont été aussi témoins de ses
exploits.
C'est de la nature que nous vient tout ce qui est parfait. Cependant combien de
mortels s'efforcent d'acquérir de la gloire par des vertus empruntées à l'art
et aux préceptes, mais tout ce qu'on entreprend contre nature et sans la
divinité, il est peu important que la renommée le publie ou le laisse dans
l'oubli du silence. Ainsi, il est certaines routes qu'il n'est pas donné à
tout homme de parcourir ; car les mêmes désirs ne les enflamment pas tous, et
la sagesse exige les plus grands efforts.
Maintenant, ô ma Muse! offre à Épharmoste cet hymne qui doit immortaliser sa
victoire, et publie à haute voix qu'issu d'un sang divin, ce héros fut doué dès
sa naissance d'une souplesse, d'une dextérité et d'une force extraordinaires.
Cet éloge est bien dû à celui dont la main victorieuse a naguère couronné
au milieu des banquets sacrés l'autel de l'invincible
Ajax, fils d'Oïlée.
X
A
AGESIDAME LOCRIEN ÉPIZÉPHYRIEN,
Vainqueur
au pugilat
O
Muses ! rappelez à mon cœur le souvenir du fils d'Archestrate, qu'Olympie a couronné. Je
lui devais le tribut de mes chants, comment ai-je pu l'oublier
?... Et toi, fille de Jupiter, céleste Vérité, que tes
mains pures éloignent de moi le reproche odieux d'avoir voulu tromper un hôte
et un ami. Si le temps qui s'est écoulé depuis enlève de son prix à mon
hommage, ne puis-je pas, en payant ma dette avec usure, éviter
les traits de la satire et de l'envie ?
Je vais donc le chanter maintenant ; mes chants feront disparaître le blâme,
comme les ondes engloutissent le caillou qu'elles roulent dans leurs cours.
Ainsi, cet hymne consacré à Agésidame et à sa patrie n'en sera pas moins
digne d'eux et de l'amitié dont ils m'honorent : car la vérité règne dans la
cité de Locres, et ses citoyens excellent également dans
l'art divin de Calliope et dans les travaux de Mars.
Jadis Hercule, malgré sa force, fut contraint à reculer
devant Cycnus ; et toi, que vient d'illustrer une victoire remportée à
Olympie, Agésidame, rends des actions de grâces à Ilas,
comme autrefois Patrocle en rendit à Achille. La voix du courage enflamme un cœur
généreux, et l'élève au faite de la gloire, avec la protection du ciel ;
mais combien peu de mortels ont acquis sans de grands travaux cette renommée,
qui répand tant d'éclat sur la vie.
Docile aux lois de Jupiter, je veux aussi chanter ces antiques jeux que le
vaillant Hercule institua près du tombeau de Pélops, après avoir immolé à
sa vengeance les deux fils de Neptune, le brave Ctéatus
et son frère Eurytus. Il voulait forcer Augias à lui payer le salaire promis
à ses travaux, et ce roi parjure le lui refusait. Déjà les audacieux enfants
de Molione avaient défait l'armée du héros de Tirynthe dans les défilés de
l'Élide, où elle s'était arrêtée. Mais à son tour, il leur tend des embûches
dans les bois que domine Cléone, et les fait tomber sous ses coups. Bientôt le
perfide roi des Epéens voit son opulente patrie ravagée par le fer et le feu,
s'engloutir dans un abîme de maux, tant il est difficile d'échapper à la
vengeance d'un plus puissant que soi ! Lui-même réduit au désespoir par le
sac de sa ville, se montre le dernier aux regards d'Hercule, et ne peut éviter
une mort cruelle.
Après sa victoire, le magnanime fils de Jupiter rassemble à Pise ses guerriers
et les dépouilles qui sont le prix de sa valeur; puis il dédie à son père,
le puissant roi des dieux, un temple magnifique, trace dans une vaste plaine
l'enceinte sacrée de l'Apis, et veut que l'espace qui l'environne soit destiné
à recevoir les tables des festins. Enfin il honore l'Alphée et les douze
grands dieux, et appelle Colline de
Saturne ce tertre qui, sous le règne d'Oenomaüs, était sans nom et
toujours couronné de neiges et de frimas.
A cette inauguration première assistèrent les Parques et le Temps, père de la
Vérité. C'est lui qui nous a appris comment Hercule partagea les dépouilles
de ses ennemis, et consacra les prémices de sa victoire par l'institution des
solennités olympiques, qui se renouvellent tous les cinq ans. Muse, dis-moi
quels furent les premiers qui s'ouvrirent la carrière de la gloire, en obtenant
la couronne, soit par la force de leurs bras, soit par l'agilité à ta course
ou la rapidité des chars.
Celui qui d'un pied léger parcourut le plus rapidement toute la longueur du
stade fut le fils de Licymnius, Oeonus, venu de Midée,
à la tête d'une armée valeureuse. Échémus illustra
Tégée, sa patrie, par le prix de la lutte, et Doryclus
de Tirynthe par celui du pugilat. Le fils d'Halirotius, Samus de Mantinée, fut
vainqueur à la course du char attelé de quatre coursiers. Le javelot de
Phrastor frappa le but ; Enicéus, après avoir d'un bras vigoureux fait tourner
rapidement son énorme disque de pierre, le lança à une prodigieuse distance,
et vit sa victoire saluée des acclamations unanimes de ses rivaux. Le soir de
ce grand jour, la pleine lune versa sur la lice les rayons de sa douce lumière,
et l'enceinte sacrée de foules parts retentit de la joie des festins et des
louanges des vainqueurs. Fidèles à ces rites antiques, nos chants de victoire
vont célébrer, en l'honneur du héros qu'Olympie a couronné, le dieu
qui fait gronder son tonnerre, et qui, d'une main terrible, lance au loin la
foudre, dont les éclats proclament sa puissance.
O Agésidame, les accords de la flûte seconderont la délicieuse harmonie de
mes accents ; et, quoiqu'ils aient retenti après un trop long délai sur les
bords de la célèbre Dircé, ces chants n'en seront pas
moins pour toi ce que la naissance d'un fils est pour un père dans sa
vieillesse. De quel amour son cœur paternel ne brûle-t-il pas pour ce tendre
objet de ses désirs ! car rien n'est plus douloureux pour un mortel, sur le
seuil de la tombe, que de voir ses richesses devenir la proie d'un étranger.
De même, ô Agésidame ! quelque gloire qu'un vainqueur ait cueillie, s'il
descend au palais de Pluton sans que les chants des poètes aient consacré ses
hauts faits, il s'est fatigué longtemps pour ne jouir que d'un instant de
bonheur. Mais toi, les doux accords de la lyre et les modulations de la flûte célèbrent
ton triomphe, et les Piérides, filles de Jupiter, en
éternisent la mémoire.
Pour moi, qui partage leurs divins transports, j'ai chanté l'illustre nation
des Locriens, j'ai répandu la louange de mes vers, comme un miel délicieux,
sur leur cité féconde en héros, et j'ai payé un juste tribut d'éloges au
fils d'Archestrate. Je l'ai vu près des autels d'Olympie remporter la victoire,
par la force de son bras, à cet âge de grâces et de jeunesse où était Ganymède lorsque, avec le secours de Cypris, il repoussa la mort.
XI
AU
MÊME AGÉSIDAME
Comme
le souffle des vents est nécessaire au pilote, comme les douces rosées du
ciel, filles des nues, réjouissent le laboureur, ainsi les hymnes, par leur
harmonie, récompensent les travaux et les succès de l'athlète victorieux, le
rendent l'objet de l'entretien des siècles à venir et sont la preuve assurée
de ses immortelles vertus.
Les hymnes que chante ma bouche en l'honneur des vainqueurs olympiques n'ont
point à craindre les traits de l'envie : telle est la faveur que les dieux
accordent au génie et à la sagesse.
Fils d'Archestrate, je vais, pour célébrer ta victoire au
pugilat, ajouter l'ornement de mes vers à ta couronne d'olivier, mille fois plus précieuse que l'or, et mes chants seront un nouveau témoignage
de l'intérêt que je porte au peuple de la Locride.
Volez, Muses, volez vers la cité qu'il habite. Mêlez-vous à ses chœurs et
ses fêtes. Vous trouverez, j'en suis garant, un peuple hospitalier, sage,
belliqueux et ami des arts. Vit-on jamais le lion intrépide
et le renard adroit dépouiller le caractère, dont la nature les a doués ?
XII
A
ERGOTÈLE D'HIMÈRE,
Vainqueur
au dolichodrome
Fille
de Jupiter Libérateur, Fortune
conservatrice des cités, accorde, je t'en conjure, ta protection divine à la
florissante Himère.
C'est toi qui fais voler sur les ondes les vaisseaux légers ; c'est toi qui présides
aux combats sanglants et aux sages délibérations des mortels. Tu te joues de
leurs espérances trompeuses : tantôt tu les portes au sommet de la roue, tantôt
tu les en précipites.
Jamais aucun d'eux ne reçut des Immortels un présage certain de son avenir :
leur esprit, enveloppé de ténèbres, ne peut porter ses regards au-delà du
présent. Souvent des malheurs imprévus trompent leur attente et leurs désirs,
tandis que d'autres, battus par la tempête, voient le bonheur tout à coup leur
sourire, et leur destin changer en un instant.
Ainsi, toi-même, ô fils de Philanor ! si une sédition allumée parmi tes
concitoyens ne t'eût pas arraché à Cnosse, ton ancienne patrie, réduit comme
le coq belliqueux à des combats ignorés, tu aurais vu s'évanouir dans une
honteuse inaction cette gloire que tu viens d'acquérir à la course.
Au lieu que maintenant, couronné à Olympie, deux fois vainqueur à Delphes et
à l'Isthme, tu vas, ô Ergotèle ! rendre célèbres les bains chauds des
Nymphes, près desquels tu as établi tes paisibles
foyers.
XIII
A
XENOPHON DE CORINTHE,
Vainqueur
à la course et au pentathle
En
célébrant une illustre famille, trois fois victorieuse aux jeux Olympiques,
bienveillante pour ses concitoyens et officieuse envers ses hôtes, je redirai
la gloire de l'heureuse Corinthe, vestibule de Neptune
Isthmien et féconde en jeunes héros. C'est dans ses murs qu'habite Eunomie
avec ses sœurs, la Justice, ferme appui des cités, et la Paix, sa fidèle
compagne. Ces trois célestes filles de Thémis aux conseils salutaires
dispensent aux mortels la richesse et le bonheur, et écartent loin d'eux
l'Insolence, mère audacieuse de la Satiété.
Une noble hardiesse délie ma langue, mon génie me fait sentir sa puissance irrésistible
et m'inspire des chants sublimes en l'honneur de Corinthe. Mille fois, ô
valeureux enfants d'Alétès ! a rejailli sur vous l'éclat
des triomphes que vos aïeux, athlètes indomptables, remportèrent à nos jeux
solennels! et les Heures, qui sèment les fleurs sur leurs
traces, vous ont donné cette adresse admirable qui brille dans les chefs-d'œuvre
sortis de vos mains. Tout inventeur a le droit de revendiquer son ouvrage.
Ainsi, qu'on nous dise où naquit, sous l'inspiration des Grâces,
le bruyant dithyrambe consacré à Bacchus ? qui donna de justes proportions aux
rênes des coursiers ? qui plaça sur les temples des dieux
la double figure de l'oiseau de Jupiter ?
C'est dans Corinthe que fleurissent les Muses aux délicieux accords ; c'est là
que Mars embrase une jeunesse intrépide de l'ardeur des combats.
Grand Jupiter, qui règnes en souverain dans Olympie, sois propice à mes chants
! mets à l'abri de tout danger le peuple de Corinthe et dirige toi-même la
destinée de Xénophon au souffle de la prospérité. Daigne aussi agréer l'éloge
solennel par lequel j'immortalise la couronne que, dans les champs de Pise, il mérita
pour prix de sa victoire au pentathle, à la course, couronne que jamais aucun
mortel ne ceignit avant lui.
Deux fois Xénophon parut aux jeux Isthmiques, et deux fois le sélinum
au vert feuillage orna son front ; Némée lui accorda aussi le même honneur.
Les bords de l'Alphée ont été témoins de la gloire que Thessalus, son père,
s'est acquise par la légèreté de ses pieds. Un même soleil éclaira son
triomphe aux jeux Pythiques, où il remporta le prix de la course et celui du
double stade.
Trois fois dans le même mois, Athènes, au sol pierreux, le ceignit de
couronnes magnifiques ; sept fois les jeux Hellotiques
le virent triompher ; et, dans ces lieux célèbres que Neptune
environne presque de ses flots, des chants de victoire répétèrent avec les
noms de Terpsias et d'Éritime, celui de Ptoeodore, qui
lui donna le jour. Que de palmes, ô Corinthiens ! ont illustré votre bravoure,
à Delphes et dans la forêt qui servit de retraite au lion furieux. Je défie
cent voix de les énumérer ; non, il serait plus facile de compter les sables
de la mer. Mais chaque chose a ses bornes ; le mérite,
c'est de les fixer avec discernement. Ainsi, en chantant la victoire d'un seul de vos concitoyens, je célébrerai votre gloire nationale et la sagesse et les
vertus héroïques de vos ancêtres, sans rien dire de Corinthe qui puisse
blesser la vérité.
Sisyphe fut semblable à un dieu par sa prudence et son adresse. Médée
s'engagea malgré son père dans les nœuds de l'hyménée et sauva le navire
Argo et les héros qu'il portait. On vit sous les murs de Dardanus les
Corinthiens, partagés entre les deux partis, dont l'un, commandé par les fils
d'Atrée, redemandait Hélène, et l'autre, avec les Troyens, s'obstinait à la
retenir, signaler également leur valeur dans les deux armées.
Glaucus, venu de Lycie, jeta l'épouvante, dans le camp
des Grecs : fier de l'opulence de ses palais et des richesses que lui avaient léguées
ses aïeux, il se glorifiait encore d'être fils de Bellérophon, qui régna
jadis dans la cité qu'arrose Pyrène. Bellérophon brûlait
du désir de dompter Pégase qui devait le jour à l'une des Gorgones, aux
cheveux hérissés de serpents ; mais ses efforts furent inutiles jusqu'au
moment où la chaste Pallas lui apporta un frein enrichi de rênes d'or.
Réveillé en sursaut d'un sommeil profond, il la voit apparaître à ses yeux
et l'entend prononcer ces paroles : "Tu dors, roi, descendant d'Éole
! Prends ce philtre, seul capable de rendre les coursiers dociles ; après
l'avoir offert à Neptune, ton père, immole un superbe taureau à ce dieu si
habile à dompter les coursiers."
La déesse à la noire égide ne lui en dit pas davantage au milieu du silence
de la nuit. Bellérophon se lève aussitôt, et, saisissant le frein
merveilleux, le porte au fils de Coeramus, le devin de ces contrées. Il lui
raconte la vision qu'il a eue, comment, docile à ses oracles, il s'est endormi
pendant la nuit sur l'autel de la déesse, et comment cette fille du dieu, à
qui la foudre sert de lance lui a donné elle-même ce frein d'or sous lequel
doit plier Pégase. Le devin lui ordonne d'obéir sans retard à ce songe et d'élever
un autel à Minerve Equestre, après avoir immolé un
taureau au dieu, qui de ses ondes environne la terre.
C'est ainsi que la puissance ces dieux rend facile ce que les mortels jureraient
être impossible et désespéreraient même d'exécuter jamais. Tressaillant
d'allégresse, l'intrépide Bellérophon saisit le cheval ailé : tel qu'un
breuvage calmant, le frein dont il presse sa bouche modère sa fougue impétueuse;
alors, s'élançant sur son dos, Bellérophon, revêtu de ses armes, le dresse
au combat en se jouant. Bientôt, transporté avec lui dans le vide des airs
sous un ciel glacé, il accable de ses traits les Amazones,
habiles à tirer de l'arc, tue la Chimère qui vomissait des flammes et défait
les Solymes. Je ne parlerai point de la mort de Bellérophon : je dirai seulement que Pégase fut reçu dans les étables
de l'immortel roi de l'Olympe.
Mais pourquoi tant de traits que ma main lance toujours au but iraient-ils
frapper au-delà ? Je vais donc, inspiré par les Muses aux trônes
resplendissants, chanter la victoire des Oligéthides à
l'Isthme et à Némée ; je vais tracer rapidement leurs nombreux triomphes et
affirmer avec serment que soixante fois l'agréable voix du héraut les a
proclamés vainqueurs dans ces deux lices.
Ma lyre a déjà célébré les palmes qu'ils ont cueillies dans les champs
d'Olympie : celles qu'ils cueilleront à l'avenir, je les chanterai aussi, et ce
bonheur leur est sans doute réservé, j'en ai l'espérance, quoiqu'il dépende
encore de la divinité. Si toutefois le génie qui veille sur Xénophon
l'abandonnait, c'est à Jupiter, c'est à Mars que je confierais le soin de sa
gloire.
Combien de victoires n'a-t-il pas déjà remportées sur les sommets du Parnasse, à Argos et à Thèbes! Combien de couronnes ne lui a
pas décernées l'Arcadie ! L'autel vénérable de
Jupiter Lycéen est témoin de sa gloire. Pellène,
Sicyone, Mégare, le bois sacré
des Eacides, Éleusis, l'opulente Marathon, les cités
florissantes qui s'élèvent auprès de l'Etna, l'Eubée, tous les peuples de la Grèce enfin l'ont vu remporter
plus de couronnes que l'esprit ne peut en concevoir.
O puissant Jupiter ! fais que mon héros achève
heureusement sa carrière ; et avec la modestie, accorde-lui la douce prospérité,
mère de la joie.
XIV
AU
JEUNE ASOPICHUS
D'ORCHOMÈNE,
Vainqueur
à la course
O
vous, augustes reines du Céphise et d'une cité fameuse par ses coursiers, Grâces
! illustres protectrices de la fertile Orchomène
et de l'antique race de Minyas, écoutez-moi, je vous adresse mes vœux !
Tous les biens, tous les plaisirs dont jouissent les mortels sont des bienfaits
de votre bonté ; et si quelque homme a en partage la beauté, la sagesse ou la
gloire, c'est encore à vous qu'il le doit. Jamais, sans les Grâces décentes,
les festins et les chœurs ne plairaient aux dieux. Dispensatrices augustes de
tous les plaisirs du ciel, assises sur des trônes auprès d'Apollon à l'arc
d'or, vous offrez sans cesse d'éternels hommages à votre père, l'immortel roi
de l'Olympe.
Charmante Aglaé, Euphrosyne, amie des chants des poètes, filles du plus
puissant des dieux, prêtez l'oreille à mes accents ; et vous, Thalie, pour qui
la musique a tant de charmes, jetez un regard favorable sur cet hymne qui vole
d'une aile légère dans ce jour heureux et prospère.
Plein d'une ardeur poétique, jeune Asopichus, je suis venu chanter sur le mode
lydien la victoire olympique et la gloire dont tu illustres aujourd'hui la ville
des Minyens. Volez, Écho, volez vers les sombres demeures de Proserpine ;
portez à Cléodame l'agréable nouvelle de la victoire de son fils ;
annoncez-lui qu'au sein de la glorieuse Pise, le laurier triomphal a couronné
son jeune front.
FIN
DES OLYMPIQUES