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   notice -   Dissertation sur les jeux Olympiques   Olympiques   Pythiques    Néméennes   Isthmiques

PINDARE

LES PYTHIQUES.

I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII

DES JEUX PYTHIQUES.

Les jeux pythiques se célébraient à Delphes, capitale de la Phocide, en l'honneur de la victoire qu'Apollon avait autrefois remportée sur le serpent Python, monstre né du limon infect de la terre après le déluge. Ils furent institués par Jason, lors de la conquête de la toison d'or ; d'autres disent par Agamemnon ou par Diomède, roi d'Étolie, et ne tardèrent pas à être interrompus. Cependant Euryloque de Thessalie, chef des Amphictions, les rétablit.
D'abord ils furent célébrés tous les neuf ans ; puis de cinq en cinq ans ou plutôt après quatre ans révolus et au commencement de la cinquième année. Ils commençaient par des combats de poésie et de musique. Le sujet qu'on proposait ordinairement aux joueurs de flûte était le combat d'Apollon contre le serpent Python. Les exercices du stade étaient comme ceux d'Olympie, les différentes courses d'enfants et d'hommes, de chevaux, de chars, la lutte, le pugilat, le pancrace.
La solennité était rendue plus imposante par la présence des Amphictions, députés à l'assemblée générale de tous les états de la Grèce. Ils étaient établis juges des combats et distribuaient eux-mêmes les prix aux vainqueurs. Le prix fut d'abord une somme d'argent, plus tard, on y substitua des branches de chêne, et enfin une couronne de laurier. Après celle des jeux olympiques, cette couronne était la plus honorable qu'un athlète pût obtenir.

I

A HIÉRON,

Vainqueur à la course des chars

0 toi, qui fais les délices d'Apollon et des Muses à la noire chevelure, lyre d'or ! tes sons mélodieux règlent la mesure de la danse, source de la joie. Fais-tu entendre ces préludes ravissants qui précèdent les chœurs, soudain les chantres t'obéissent, les feux éternels de la foudre s'éteignent, le roi des airs, l'aigle de Jupiter s'endort sous le sceptre du maître des dieux ; son aile rapide des deux côtés s'abaisse, une douce vapeur obscurcit sa paupière et courbe mollement sa tête appesantie, il dort... et son dos assoupi par la volupté, tressaille au gré de tes accords. Mars lui-même, le cruel dieu des combats, oubliant ses armes, s'enivre de ton harmonie. Il n'est enfin aucun des Immortels qui ne soit sensible aux accords divins d'Apollon et des Muses.
Mais ceux que Jupiter poursuit de son courroux sur la terre et sur l'immensité des ondes, frémissent d'horreur à la voix des filles de Piérus. Tel frémit gisant au fond du Tartare ténébreux, cet ennemi des dieux, ce Typhée aux cent têtes, que vit naître jadis l'antre fameux de Cilicie. Maintenant enchaîné sous le rivage des mers qui s'étendent au-delà de Cume (
1), il expie son audace téméraire ; la Sicile pèse sur sa poitrine hérissée, et l'Etna, cette colonne du ciel et l'éternel nourricier des frimas, l'écrase de tout son poids.
Du fond de ses entrailles inaccessibles tourbillonnent des torrents de feu qui pendant le jour exhalent une fumée noire et brûlante : la nuit, des flammes rougeâtres s'élancent du gouffre béant et roulent à grand bruit des rocs calcinés dans le sein des mers profondes. Enorme reptile, dévoré par Vulcain, il vomit les flots d'une lave ardente, prodige affreux à voir : affreux même à entendre raconter de ceux qui l'ont vu. La chaîne qui le tient étendu, le lie depuis les noirs sommets de l'Etna jusque dans la plaine, et sa couche rocailleuse creuse le long de ses reins des sillons ensanglantés.
Puissent, ô Jupiter ! puissent mes chants te plaire, dieu puissant qui règnes sur l'Etna, front sourcilleux d'une terre féconde ! Non loin de ce mont s'élève une cité florissante : fière du nom d'Etna que lui donna son fondateur, elle partage aujourd'hui sa gloire, puisque dans les solennités pythiques la voix du héraut a proclamé son nom avec celui d'Hiéron, vainqueur à la course des chars.
Le nautonier prêt à quitter le rivage, sent-il un vent propice enfler sa voile, il en conçoit le présage d'un heureux retour ; ainsi mes chants, en célébrant le triomphe d'Hiéron, sont pour Etna l'augure de sa gloire à venir. Habiles à dompter les coursiers, ses enfants cueilleront d'immortelles couronnes, et son nom sera chanté par les Muses au milieu de la joie des festins.
Dieu brillant qu'honore la Lydie et Délos, toi qui chéris le Parnasse et les sources de Castalie, écoute mes vœux et dépose dans ton cœur le souvenir d'un peuple généreux. C'est des dieux en effet que viennent toutes les vertus des mortels : c'est par eux que nous naissons sages, guerriers ou éloquents ; c'est aussi par leur secours que j'espère immortaliser le héros que je chante. Le trait que va lancer ma main n'ira point se perdre au-delà du but, mais il franchira un tel espace que mes ennemis étonnés s'avoueront vaincus !
Ah ! si le temps apportait à Hiéron avec les richesses et le bonheur l'oubli de ses maux (
2), avec quel plaisir rappellerait-il à sa mémoire ces guerres et ces combats où, par le secours des dieux, son courage le couvrit d'une gloire qu'aucun des Grecs n'atteignit jamais, et qui maintenant ajoute le plus beau lustre à sa prospérité ! Naguère encore, semblable à Philoctète, ne l'avons-nous pas vu marcher au combat et contraindre un roi puissant à le traiter avec toute la bienveillance qu'on a pour un ami (3) ? Tel on dit qu'autrefois le fils de Poeante, retiré de Lemnos par des héros semblables aux dieux, vint, armé des flèches d'Hercule, renverser la ville de Priam, et, quoique affaibli par les douleurs d'une blessure cruelle, mettre fin aux longs travaux des Grecs : telle était la volonté du Destin. Ainsi, puisse un dieu favorable désormais protéger Hiéron et veiller à l'accomplissement de ses désirs !
Muse, obéis à mon ardeur ; va porter ces chants de victoire jusque dans le palais de Dinomène (
4) ; un fils ne fut jamais insensible au triomphe de son père. Courage donc, ô ma Muse ! enfante pour le roi d'Etna un hymne qui lui soit agréable ! C'est par lui qu'Hiéron gouverne cette cité nouvelle ; c'est par lui que sous les justes lois d'Hyllus (5), il fait régner la liberté, noble présent des dieux. Ainsi s'accomplissent les vœux de Pamphile (6) et des Héraclides (7) : ces vertueux habitants des vallées du Taygète (8) n'auraient pu renoncer à ces lois qu'Égimius (9) leur avait apportées de la Doride. Ils y restèrent fidèles lorsque, des sommets du Pinde, ils vinrent signaler leur vertu dans Amyclée, près de ces lieux que jadis illustrèrent les exploits des fils de Tyndare aux blancs coursiers.
Grand Jupiter, abaisse les regards sur les bords de l'Amène ; accorde aux citoyens d'Etna et à leur roi de comprendre toujours quelle est pour des mortels la véritable source de la gloire. Que, par toi, le maître de la Sicile, formant son fils au trône et honorant les peuples par ses victoires, fasse régner au milieu d'eux la concorde et la paix. Fils de Saturne, je t'en conjure, exauce ma prière ! Que le Phénicien et le Tyrrhénien (
10), dégoûtés du tumulte des combats, demeurent en paix dans leurs foyers ! Qu'ils frémissent au souvenir du désastre déplorable de leur flotte devant Cumes lorsque, du haut de ses nefs rapides, le roi de Syracuse dompta leur orgueil et précipita dans les flots leur brillante jeunesse, arrachant ainsi la Grèce au joug de la servitude (11).
A Athènes, je chanterai les Athéniens, vainqueurs devant Salamine ; à Sparte, je célébrerai ce combat où le Cithéron (
12) vit tomber les Mèdes aux arcs recourbés ; sur les bords riants de l'Himère (13), je redirai la gloire que les fils de Dinomène ont acquise par la défaite de leurs fiers ennemis.
Parler à propos, célébrer en peu de vers une suite nombreuse de belles actions, c'est le moyen d'offrir moins de prise à la critique des hommes. L'esprit est prompt, trop de détails le fatiguent bientôt, et la louange d'autrui pèse en secret à celui qui l'écoute. Quoi qu'il en soit, Hiéron, ne te lasse pas de poursuivre tes nobles desseins ; il vaut mieux exciter l'envie que de s'exposer aux dédains de la pitié ; gouverne ton peuple avec le sceptre de la justice ; que ta langue ne profère jamais que des paroles de vérité (
14) : la moindre erreur qui s'échapperait de ta bouche, acquerrait au loin une haute importance, Souverain de tant de peuples, tu trouves en eux d'irréprochables témoins de tes paroles et de tes actions. Sois donc fidèle aux généreuses inspirations de ton cœur, et, si tu aimes à entendre la douce voix de la renommée, ne te lasse point de répandre d'abondantes largesses ; sache en pilote habile tendre tes voiles aux vents, cher prince, et garde-toi de te laisser séduire par une trompeuse économie ! Les hommes meurent, leur gloire seule leur survit, et quand le héros n'est plus, les orateurs et les poètes redisent ce qu'il fut pendant sa vie. Ainsi la vertu bienfaisante de Crésus (15) ne périra jamais, tandis que la postérité aura toujours en horreur la mémoire de Phalaris (16), qui brûlait inhumainement les hommes dans son taureau d'airain ; jamais son exécrable nom ne retentira dans les assemblées où la jeunesse marie sa voix aux doux sons de la lyre.
Jouir des dons de la victoire est le premier des bienfaits ; entendre célébrer ses louanges est le second : réunir ces deux avantages, c'est porter la plus belle couronne.

II

A HIÉRON, ROI DE SYRACUSE,

Vainqueurs la course des chars

Vaste cité de Syracuse (17), temple du dieu des combats, toi dont le sein fortuné nourrit tant de héros et de coursiers belliqueux, reçois ce chant de victoire qui part de la féconde Thèbes pour t'annoncer le triomphe de ton roi.  Vainqueur à la course bruyante des chars, Hiéron, de l'éclat de ses couronnes, embellit Ortygie (18), terre consacrée à Diane Alphéienne. Jamais, sans la déesse, son bras n'eût pu dompter ses coursiers fiers de leurs rênes brillantes. Mais à peine eut-il invoqué le redoutable dieu du trident que la vierge chasseresse et Mercure, qui préside à nos jeux, répandirent sur ces fougueux quadrupèdes un éclat éblouissant, et qu'Hiéron soudain les attela à son char, dociles au frein qui les guide. 
D'autres en vers pompeux, rendent un juste hommage à la valeur et aux vertus de leurs princes ; c'est ainsi que les peuples de Cypre répètent dans leurs chants le nom de Cynirus (
19), cher au blond Phébus et pontife suprême de Cythérée. Ces chants, ô fils de Dinomène, sont aussi bien que les miens inspirés par des bienfaits ; ils acquittent la dette de la reconnaissance.
De même si les vierges de Locres font retentir leurs paisibles demeures de tes louanges, si l'avenir ne leur offre plus que paix et sécurité, c'est à tes exploits, c'est à ta valeur qu'elles en sont redevables.
Rapidement entraîné sur la roue à laquelle l'a fixé l'ordre des dieux, Ixion ne crie-t-il pas aux mortels (
20)  qu'ils aient à payer la bienfaisance d'un juste retour. Une funeste expérience l'a instruit de ce devoir. Admis par la bonté des fils de Saturne à couler auprès d'eux des jours délicieux, il ne put longtemps soutenir l'excès de son bonheur, il conçut dans son aveugle délire une furieuse passion pour Junon, que la couche du grand Jupiter est seule digne de recevoir. Mais son orgueilleuse audace le précipita dans un abîme de maux; doublement coupable, et lorsque vivant sur la terre, il se souilla le premier du sang de son beau-père, et lorsque, dans l'enceinte du sacré palais, il osa attenter à la pudeur de Junon, l'épouse du puissant Jupiter. Un supplice inouï devint bientôt le juste châtiment de ses crimes. Mortels, apprenez ainsi à ne jamais former des voeux au-dessus de votre faible nature.
Ixion, pour assouvir sa passion sacrilège, se précipita dans l'excès du malheur, aveugle qu'il était, il n'avait embrassé qu'un nuage, et son amour trompé s'était enivré de ce doux mensonge ! La nue, brillant fantôme, pour l'entraîner à sa perte, avait pris sous la main de Jupiter la forme de la céleste fille de Saturne. Alors le maître des dieux l'attacha à celle roue... Ses membres y sont à jamais serrés par d'invincibles noeuds, et ses tortures, hélas ! trop célèbres attestent à la terre la vengeance des Immortels.
Cependant la nue, mère unique de son espèce, conçut, sans l'assistance des Grâces, un fruit unique aussi dans la sienne ; sa nourrice le nomma Centaure ; monstre également étranger aux formes humaines et aux attributs de la divinité, il courut dans les vallées du Pélion perpétuer sa race en s'accouplant avec les cavales de la Thessalie. C'est de cette union qu'est née la race extraordinaire des Centaures, participant à la forme de leur père et de leur mère, hommes jusqu'à la ceinture, et chevaux dans la partie inférieure du corps.
Ainsi Dieu dispose de tout à son gré : plus rapide que l'aigle qui fend les airs, que le dauphin qui fuit au milieu des ondes, il brise l'orgueil des mortels ambitieux et comble les autres d'une gloire impérissable.  
Mais évitons d'aiguiser les traits de la médisance; j'ai vu le mordant Archiloque (
21) avant moi, souvent réduit à une extrême indigence pour avoir exhalé le venin de sa malice et de sa haine. Préférons mille fois à tous les biens d'honorables possessions heureusement unies à la sagesse. Telles sont celles qui sont en ta puissance, ô Hiéron ! Ta main libérale peut les répandre au gré de ta générosité, car tu domines sur de florissantes cités couronnées de remparts et sur des peuples nombreux. Oui, il serait égaré par la démence celui qui oserait avancer que jamais dans la Grèce quelque héros t'ait surpassé en richesses et en gloire.
Je monterai sur la flotte ornée de fleurs, et là je célébrerai tes exploits sur les ondes : je redirai aussi cette ardeur martiale qui, dans plus d'un combat sanglant, signala tes jeunes années, et les lauriers que tu cueillis, tantôt monté sur un impétueux coursier, tantôt à pied guidant au milieu de la mêlée les intrépides phalanges. Enfin, je chanterai la prudence et les sages conseils de ton âge mûr, qui maintenant mettent à l'abri du soupçon et mes louanges et mes chants.
Prince généreux, reçois donc mon hommage, et que cet hymne te soit aussi agréable que les dons précieux que les mers t'apportent du rivage de la Phénicie ! Je l'ai composé, selon tes désirs, sur le mode éolien ; puissent les sons mélodieux de la lyre à sept cordes lui prêter un charme qui captive ton oreille.
Marche sans cesse dans le sentier de la vertu, et ne crois pas au langage des flatteurs. Un prince est toujours grand à leurs yeux, comme un singe est toujours beau pour des enfants. Ainsi Rhadamante fut heureux, parce que son coeur, riche des fruits de la sagesse, fut insensible aux discours artificieux dont les flatteurs séduisent les faibles mortels. Semblables au renard, ces hommes vils distillent sans cesse le noir venin de leur calomnie, également funestes à ceux qu'ils déchirent et à ceux qui les écoutent.
Mais que peu contre moi leur malice ? Comme le liège du pécheur surnage à la surface des eaux sans jamais être englouti, de même je demeure immobile au-dessus des flots de la calomnie qu'ils soulèvent contre moi. Jamais les mensonges du fourbe ne trouvèrent crédit auprès de l'homme vertueux ; c'est en vain que ce reptile se replia de mille manières pour l'en lacer dans ses pièges... Loin de moi d'aussi viles attaques! J'aime mon ami, je hais mon ennemi, et, comme un loup infatigable, je le poursuis dans les sentiers obliques et tortueux. Quelle que soit l'autorité qui régisse un empire, que le pouvoir soit le partage d'un seul, de la multitude turbulente ou d'un petit nombre de sages, celui dont la bouche ne trahit point la vérité est toujours digne du premier rang.
Bien coupable est le mortel qui se raidit contre les décrets des dieux ; eux seuls peuvent accorder les dons de la fortune aux uns, et ceux de la gloire aux autres. Mais la prospérité même n'adoucit pas l'envieux. L'insensé ! sa passion est un poids qui l'entraîne à sa perte, un cruel ulcère lui a rongé le coeur avant qu'il ait recueilli le fruit de ses trames criminelles. Il faut donc alléger par la patience le joug qui nous est imposé, et ne nous point irriter contre l'aiguillon. Pour moi, que les dieux m'accordent de couler mes jours dans la société des gens de bien et de consacrer mes chants à leur gloire ! 

III

A HIERON,

vainqueur au célès

S'il m'était permis d'exprimer un voeu que tous les coeurs forment avec moi, je supplierais les dieux de rappeler à la vie Chiron, le fils de Phillyre (22). Centaure sauvage, mais ami de l'humanité, il régnerait encore dans les vallées du Pélion, ce divin rejeton de Saturne, tel qu'autrefois lorsqu'il y élevait le père de la Santé, Esculape habile dans l'art de guérir les maladies qui affligent les mortels.
Esculape eut pour mère la fille de Phlegyos, riche en beaux coursiers. Atteinte par les traits dorés de Diane, qui servait le courroux d'Apollon, cette jeune beauté descendit hélas ! du lit nuptial dans la sombre demeure de Pluton avant d'avoir reçu les secours de la chaste Lucine ; tant est redoutable la colère des enfants de Jupiter !
Au mépris du dieu à la blonde chevelure, à qui elle s'était unie à l'insu de son père, et entraînée par l'égarement de son coeur, la Nymphe téméraire consentit à d'autres noeuds quoiqu'elle portât déjà dans ses flancs le germe pur et sans tache de l'Immortel qui l'avait  aimée. Sans attendre ni le festin nuptial ni les chants de l'hyménée, que font entendre le soir, au milieu des plaisirs et des jeux, les vierges compagnes de la nouvelle épouse, elle se prostitua à un amour étranger, par un aveuglement hélas ! trop commun. Car telle est la folie des pauvres humains : souvent ils conçoivent un mépris insensé pour les biens dont ils peuvent jouir, et ne soupirent qu'après ceux dont ils sont éloignés, attachant à des avantages chimériques un espoir qui ne peut s'accomplir.
Ainsi la belle Coronis, en partageant sa couche avec un étranger venu de l'Arcadie, attira sur sa tête les plus affreuses calamités ; car son crime ne put échapper aux regards de celui qui éclaire le monde : du fond du sanctuaire, où fument sans cesse les entrailles des victimes, le dieu qui règne à Pytho voit l'infidélité de Coronis. Son oeil pénètre jusqu'au fond des coeurs (
23) et jamais le plus ingénieux mensonge ne lui déroba les actions, ni même les pensées des hommes ou des dieux. A peine Phébus a-t-il connu l'abus qu'Ischys, fils d'Élatus, a fait des droits de l'hospitalité et la perfidie de sa jeune complice, qu'il charge sa soeur du soin de sa vengeance. Elle vole, enflammée de courroux, sur les bords du lac Boebias, à Lucérie (24) qu'habitait l'infidèle. Un autre dieu, maître de ses sens avait entraîné Coronis à sa perte : ses concitoyens y furent enveloppés ; ils périrent par le fléau d'une cruelle épidémie. Tel le feu parti d'une étincelle embrase et consume rapidement les forêts qui couvrent la montagne.
Déjà les parentsde la Nymphe avaient élevé le bûcher ; déjà les feux ardents de Vulcain voltigeaient autour du corps gisant : "Non, s'écrie Apollon, non, je ne laisserai point périr le fruit de mon amour victime du forfait de sa coupable mère!... " Il dit, et d'un pas il arrive au bûcher. Soudain la flamme tremblante se divise ; alors le dieu retire des flancs inanimés de Coronis son fils vivant encore ; il le porte au centaure de Magnésire, pour qu'il lui enseigne l'art de guérir les maux infinis qui affligent l'humanité. Bientôt vers le célèbre disciple se pressent en foule les malades ; celui que dévorait un ulcère spontané, celui qu'avait blessé une pierre ou un coup de lance, celui qui était en proie au feu brûlant ou au froid mortel de la fièvre, venait chercher auprès de lui un remède à ses douleurs. Il guérissait les uns par l'art secret des enchantements, les autres par des breuvages adoucissants, plusieurs par un baume salutaire répandu sur leurs plaies, d'autres enfin par les incisions douloureuses d'un acier tranchant.
Mais hélas! que ne peut l'appât du gain sur le coeur même du sage ! Séduit par l'or qu'une main libérale lui présente, le fils de Coronis ose arracher à la mort (
25) un héros qu'elle venait d'immoler. A l'instant le fils de Saturne d'une main rapide saisissant sa foudre vengeresse, frappe au coeur les deux victimes et les précipite dans le noir séjour. Mortel, apprends par cet exemple à te connaître : que tes voeux soient d'un homme; qu'ils soient conformes à tes destins.
Ainsi donc, ô mon génie! n'aspire point à la vie des Immortels, et n'entreprends jamais rien au-dessus de tes forces. Si le sage Chiron habitait encore son antre, si la douce harmonie de mes chants pouvait s'insinuer dans son coeur comme un philtre séduisant (
26), j'obtiendrais de lui qu'il soulageât encore par son art divin les maux dont l'homme vertueux est consumé. Oui, je l'implorerais lui, ou quelque enfant d'Apollon ou de Jupiter lui-même. Alors, avec quelle célérité mon navire, fendant les ondes de la mer ionienne, me porterait vers la fontaine Aréthuse, auprès du fondateur d'Etna, de ce roi puissant de Syracuse, dont la bonté fait le bonheur de ses sujets ; qui ne porte point envie aux gens de bien, et accueille les étrangers comme un ami, comme un père. Ah ! si je l'abordais, portant un double tribut, la santé plus précieuse que l'or et cet hymne, où je chante la victoire que, non loin de Cirrha, vient de remporter Phérénicus, son coursier, dans les solennités pythiques, je lui apparaîtrais plus radieux que l'astre bienfaisant dont la douce lumière dissipe les ténèbres d'une mer orageuse.
Du moins, j'adresserai pour toi mes voeux à la mer des dieux, à la vénérable Cybèle, dont les vierges de Thèbes, pendant les ombres de la nuit, unissent le culte à celui de Pan, près de la demeure que j'habite (
27).
Si ton esprit, ô Hiéron, sait interpréter les discours des sages, si tu as appris à expliquer les maximes des temps passés, tu comprendras que, pour un bien que les dieux dispensent aux mortels ils leur font éprouver deux maux (
28). Jamais l'insensé ne put souffrir ce mélange, le sage seul ne montre au dehors que le bien qu'il reçoit.
Pour toi, le bonheur s'attache à ta destinée,  et la fortune sur le trône où elle t'a élevé te regarde d'un oeil favorable, plus qu'aucun autre mortel. Mais quelle vie se soutint constamment à l'abri des orages? Ni Pélée, le vaillant fils d'Éaque, ni le divin Cadmus n'en furent exempts. Ces deux héros cependant passent pour avoir possédé le bonheur suprême : tous deux entendirent chanter les Muses, et dans Thèbes aux sept portes, et sur le Pélion, Cadmus, lorsqu'il épousa la brillante Harmonie (
29), Pélée, quand il unit son sort à Thétis, l'illustre fille du sage et prudent Nérée. Tous deux virent les dieux s'asseoir sur des sièges d'or au banquet de leur hyménée, et reçurent de leurs mains les présents de noces. Tous deux enfin, consolés de leurs revers par un bienfait de Jupiter, rouvrirent à la joie leurs coeurs flétris par le vent du malheur.
Mais voici venir de nouveau pour eux un temps d'épreuves et de calamités : les trois filles de Cadmus (
30), par de tragiques aventures, éloignèrent de leur père tout espoir de bonheur, quoique Jupiter eût honoré de sa présence la couche de Thyonée aux bras éclatants de blancheur. Le fils que l'immortelle Thétis (31) donna à Pélée dans Phtie, atteint d'une flèche meurtrière, perdit la vie dans les combats, et les Grecs en deuil pleurèrent sur son bûcher.
Que le sage, fidèle aux inspirations de la vérité, profite donc du présent et jouisse du bonheur que les dieux lui accordent. Rien de plus inconstant que le souffle impétueux des vents ; ainsi la félicité des mortels n'est jamais durable.
Pour moi, que la fortune me sourie ou qu'elle me poursuive de ses rigueurs, on me verra toujours simple avec les petits, grand avec les grands, borner ou étendre mes désirs ; et, sans murmurer, me soumettre à la condition où l'aveugle déesse m'aura placé. Mais si jamais un dieu me prodiguait d'abondantes richesses, ma gloire alors et celle de mon bienfaiteur passerait à la postérité la plus reculée. Ainsi vivent dans la mémoire des hommes et Sarpédon et Nestor (
32) que les plus sages favoris des Muses ont à jamais illustrés dans leurs chants ; ainsi la vertu devient immortelle. Mais peu d'hommes sont capables de la célébrer dignement.

IV

A ARCÉSILAS DE CYRÈNE,

vainqueur à la course des chars

Muse, ce jour t'appelle près d'un mortel que tu chéris, prés d'Arcésilas, roi de Cyrène (33), aux agiles coursiers ; pars, et, au milieu des choeurs qu'il conduit, fais entendre cet hymne solennel, dont l'hommage appartient encore au fils de Latone et à Delphes. Ce fut dans le temple de cette cité célèbre, que la Pythie, assise près des aigles de Jupiter et inspirée par Apollon, ordonna à Battus (34) de quitter l'île sacrée qui l'avait vu naître, pour aller fonder une ville fameuse par ses chars, dans la féconde Libye, où la terre sans cesse prodigue les trésors de son sein.
Ainsi s'accomplit l'oracle (
35) que prononça jadis dans Théra (36) la reine de Colchos, l'impitoyable Médée, sur les descendants à la dix-septième génération des demi-dieux compagnons du belliqueux Jason: "Enfants des dieux et des héros, écoutez : Un jour viendra que sur cette terre battue par les ondes, non loin des lieux consacrés à Jupiter Ammon, la fille d'Épaphus (37) fondera une cité chère aux mortels, d'où naîtront à leur tour d'autres cités florissantes. Au lieu des dauphins agiles, ses habitants auront de légers coursiers ; au lieu de rames, des freins et des rênes, au lieu de vaisseaux, des chars aussi rapides que la tempête. Théra deviendra la métropole des cités florissantes ; j'en ai pour garant le présage qu'autrefois reçut Euphémus, non loin des bords du marais Triton, lorsque, descendu de la proue du navire Argo, au moment où l'ancre aux dents d'airain le fixait sur le rivage, il reçut une glèbe mystérieuse, que lui offrit en signe d'hospitalité un dieu caché sous une figure humaine. Pour confirmer cet augure le fils de Saturne fit retentir sur nos têtes les éclats de son tonnerre.
"Déjà la douzième aurore avait brillé depuis qu'échappés aux flots de l'Océan nous avions porté sur la plage déserte les bois du navire Argo, séparés par mes conseils, lorsque ce dieu solitaire s'offre à nous sous les traits d'un vieillard vénérable. Il nous adresse des paroles amicales, comme le font les hommes bienfaisants qui invitent d'abord les étrangers à leur table hospitalière. Mais l'impatience où nous étions de revoir notre patrie ne nous permettait pas de nous rendre à ses offres généreuses ; alors il nous dit qu'il est Euripyle, fils du dieu dont l'humide empire environne et ébranle la terre ; et, voyant notre empressement à partir, il détache du sol une glèbe et nous la présente comme le seul gage d'hospitalité qu'il puisse nous donner en ce moment. Euphémus à l'instant s'élance sur le rivage, et, joignant sa main à celle du vieillard, il en reçoit le don mystérieux.
"Depuis j'ai appris que cette glèbe est tombée dans les flots, où elle s'est dissoute, entraînée par les flots de la mer d'Hespérie. Plus d'une fois cependant j'avais ordonné aux esclaves qui nous soulageaient dans les travaux d'une pénible navigation de conserver cette glèbe sacrée ; ils ont oublié mes ordres, et l'immortelle semence, apportée de la spacieuse Libye, s'est dispersée avant le temps sur le rivage de Théra.
"Si Euphémus, ce grand roi qu'Europe, fille de Tityus donna pour fils à Neptune sur les bords du Céphise, l'eût jetée à son retour dans Ténare (
38) sa patrie, près de la bouche souterraine des Enfers, ses descendants à la quatrième génération, mêlant leur sang avec celui des Grecs, se seraient emparés de cette terre vaste et féconde (car c'est à cette époque qu'on verra sortir de leur territoire de nombreuses colonies de Lacédémone, d'Argos et de Mycénes). Mais maintenant cet honneur est réservé aux fils des femmes étrangères (39) ; ils aborderont à Théra sous la conduite des dieux, et d'eux naîtra un héros qui régnera sur cette terre fécondée par les orages. Ce héros se rendra au temple de Delphes, pour y consulter Apollon ; et dans son sanctuaire tout resplendissant d'or, le dieu lui ordonnera de traverser les mers et de conduire une colonie dans cette terre que le Nil fertilise de ses eaux, et où s'élève le temple du fils de Saturne. "
Ainsi parla Médée ; les héros, saisis d'admiration, écoutèrent en silence le mystérieux langage. Fils heureux de Polymneste, c'est toi, Battus, que désignaient ces accents prophétiques ; c'est toi qu'appela à ces hautes destinées la voix inspirée de la prêtresse de Delphes : et, au moment où tu lui demandais comment tu pourrais, avec l'aide des dieux, délier ta langue embarrassée, la prêtresse, te saluant trois fois, te reconnut pour le roi que le Destin réservait à Cyrène.
Et maintenant le huitième rejeton de cette tige féconde en héros, Arcésilas, brille, tel qu'une fleur purpurine qui s'épanouit à l'approche du printemps. Apollon et Pytho viennent de lui décerner par la voix des Amphictions la palme de la course des chars : je vais à mon tour, par le chant des Muses, illustrer sa gloire et celle des Argonautes Minyens (
40), qui, par l'ordre des Immortels, conquirent au-delà des mers la Toison d'or et se couvrirent d'une gloire impérissable.
Quelle fut la cause de cette célèbre navigation ? quelle nécessité insurmontable y entraîna tant de héros, malgré les périls dont elle était semée ? Un oracle avait prédit à Pélias qu'il périrait par les mains ou par les conseils inflexibles des fils d'Éole (
41). Cet arrêt funeste lui fut annoncé dans les bosquets sacrés de Pytho, centre de la terre (42) :  "Évite soigneusement la rencontre du mortel qui, étranger et citoyen (43) en même temps, descendra des montagnes n'ayant aux pieds qu'un cothurne, et qui, marchant vers l'occident, entrera dans la célèbre Iolcos."
Au temps fixé par le Destin, il parut cet homme inconnu , sous les dehors d'un guerrier formidable. Il porte des armes dans sa main ; un double vêtement le couvre : une tunique magnésienne qui dessine les belles formes de ses membres nerveux, et par-dessus une peau de léopard qui le garantit des pluies et des frimas. Sa superbe chevelure n'était point tombée sous le tranchant du fer, elle flottait négligemment sur ses épaules. Intrépide, il s'avance d'un pas ferme et s'arrête avec une contenance assurée au milieu de la foule qui remplissait la place publique.
Il n'est connu de personne, mais tous, à sa vue, saisis de respect, se disaient : "Ne serait-ce point Apollon, ou l'amant de la belle Vénus, Mars, qui vole sur un char d'airain dans les combats ? Ce ne peut être Otus, un des enfants d'Iphimédée, ni toi, valeureux Éphialte, car on dit que vous êtes morts dans la fertile Naxos. Ce n'est pas non plus Tityus : les flèches de l'invincible Diane l'ont privé de la vie pour apprendre aux mortels à borner leur amour à des objets qu'il leur est permis d'atteindre." Ainsi parlaient entre eux les habitants d'Iolcos.
Cependant Pélias, monté sur un char brillant traîné par des mules, se hâte d'arriver. Étonné à la vue de l'unique chaussure qui couvre le pied droit de l'étranger, il rappelle dans sa mémoire l'oracle qui lui fut prononcé ; mais dissimulant sa frayeur : "Quelle terre, dit-il, ô étranger, te glorifies-tu d'avoir pour patrie, et quels sont parmi les mortels, les illustres parents qui t'ont donné le jour ? Parle : quelle est ton origine ? que l'odieux mensonge ne souille point ta bouche. " 
Alors plein de confiance, le héros lui répond : "Formé à l'école de Chiron, nourri par les chastes filles du Centaure, j'arrive de l'antre qu'habitent avec lui Philyre et Chariclo (
44) ; j'ai atteint parmi elles ma vingtième année sans que jamais une action, ni même une parole indigne m'ait deshonoré. Aujourd'hui, je viens dans mon palais réclamer le trône de mon père injustement possédé par des étrangers ; Éole le reçut (45) de mon père, pour le transmettre avec gloire à ses descendants.
"J'apprends que Pélias, aveuglé par une folle ambition, a arraché violemment des mains de mes aïeux le sceptre qu'ils portaient au nom des lois. Redoutant la férocité de l'orgueilleux usurpateur, mes parents aussitôt ma naissance affichèrent un grand deuil et feignirent de pleurer ma mort ; les femmes firent retentir le palais de leurs gémissements, et, à la faveur de la nuit, seul témoin de leur fraude innocente, ils m'enveloppèrent en secret dans des langes de pourpre, et me firent porter au descendant de Saturne, au centaure Chiron, le chargeant de prendre soin de mon enfance.
"Voilà en peu de mots les principaux événements de ma vie ; maintenant que vous les connaissez, généreux citoyens, indiquez-moi le palais de mes pères : fils d'Éson et né dans ces lieux, je suis loin d'être étranger à cette terre ; Jason est le nom que le divin Centaure m'a donné."
Ainsi parla le héros. Il entre ensuite dans la maison de son père ; à peine le vieillard l'eut-il reconnu que d'abondantes larmes s'échappèrent de ses paupières ; son coeur palpite d'une joie inexprimable, en voyant dans son fils le plus beau des mortels. Au bruit de son arrivée, les frères d'Éson accourent, Phérès, des lieux qu'arrose la fontaine Hypéréide, Amythaon de Messène ; Admète et Mélampe, leurs fils, s'empressent aussi à féliciter leur oncle. Jason les accueille tous avec tendresse ; il les admet à sa table, leur prodigue les dons de l'hospitalité, et passe avec eux cinq jours et cinq nuits dans la joie des festins, au milieu de la plus pure allégresse.
Le sixième jour, il leur raconte ce qu'il a dit au peuple, et leur fait part de ses projets. Tous l'approuvent, puis ils sortent ensemble, et se rendent précipitamment au palais de Pélias. Instruit de leur arrivée, le fils de la belle Tyro s'avance à leur rencontre. Alors Jason lui adresse ces paroles pleines de douceur et de sagesse :  "Noble rejeton de Neptune Pétréen (
46), l'esprit des hommes est malheureusement plus prompt à applaudir aux richesses acquises par la fraude qu'à en prévenir les suites funestes. Mais une telle bassesse répugne à la droiture de nos deux coeurs : nous devons l'un et l'autre fonder sur la justice le bonheur de notre avenir. Qu'il me soit donc permis de vous rappeler des faits que vous connaissez aussi bien que moi. Une même mère donna le jour à Créthée et à l'audacieux Salmonée. Tous deux nous sommes leurs descendants à la troisième génération et jouissons ensemble de la lumière bienfaisante du jour.
"Les Parques mêmes, vous le savez, ont en horreur ceux qui ne rougissent pas de rompre les liens du sang par de honteuses inimitiés. Ce n'est donc point à notre épée ni aux débats sanglants de la guerre, mais à notre droit que nous devons en appeler pour diviser entre nous l'honorable héritage de nos ancêtres. Je vous abandonne les immenses troupeaux de boeufs et de brebis, les vastes champs que vous avez usurpés sur mes pères : jouissez de leur fécondité ; qu'ils accroissent l'opulence de votre maison, je n'en suis pas jaloux. Mais ce que je ne saurais souffrir, c'est de vous voir assis sur le trône de Créthée, posséder ce sceptre à l'ombre duquel il fit fleurir la justice. Sans allumer entre nous le feu de la discorde, sans nous exposer à de nouveaux malheurs, rendez-moi la royauté, elle m'appartient."
Ainsi parla Jason. Pélias lui répond d'un air calme :  "Je ferai ce que vous désirez ; mais déjà la triste vieillesse m'assiège : vous, au contraire, dans la fleur de l'âge, vous avez toute la force que donne la vigueur du sang. Mieux que moi vous pouvez apaiser le courroux des dieux infernaux. L'ombre de Phryxus (
47) m'ordonne de partir pour le pays où règne Aétès, de ramener ses mânes dans sa terre natale, et d'enlever la riche toison du bélier sur lequel il traversa les mers pour échapper aux traits impies d'une cruelle marâtre. Tel est l'ordre que son ombre irritée m'a donné en songe ; j'ai consulté l'oracle de Castalie (48) pour savoir si je devais l'accomplir, et il m'a répondu qu'il fallait sur-le-champ vous équiper un vaisseau et vous exhorter à partir pour cette expédition. N'hésitez donc pas, je vous en prie, d'acquitter ma dette ; je m'engage à vous rendre le trône à votre retour, et je prends à témoin de mes serments le puissant Jupiter dont nous descendons l'un et l'autre." Tous approuvèrent son discours, et ils se séparèrent de lui.
Cependant Jason a fait proclamer dans la Grèce, par la voix des hérauts, l'expédition qu'il médite. Bientôt accourent trois fils de Jupiter, infatigables dans les combats ; le fils d'Alcmène aux noirs sourcils et les jumeaux enfants de Léda. Deux héros à la chevelure touffue, issus du dieu qui ébranle la terre, arrivent aussi, l'un de Pylos et l'autre des sommets du Ténare. Jamais elle ne périra la gloire que vous vous êtes acquise par cet exploit, Euphémus et toi, Périclymène. A tous ces héros, se joignit le fils d'Apollon, Orphée chantre divin et père de la poésie lyrique. Le dieu qui porte un caducée d'or, Mercure, associe à cette entreprise périlleuse ses deux fils, Echion et Eurytus, tous deux brillants de jeunesse ; ils arrivent des vallées que domine le Pangée. Joyeux de concourir à cette noble conquête, Zéthès et Calaïs se joignent aux héros : le roi des vents, Borée, fier du courage de ses deux fils, leur fait présent de deux ailes pourprées qui s'agitent derrière leurs blanches épaules. Enfin Junon souffle dans le coeur de tous ces demi-dieux une telle ardeur à s'embarquer sur le navire Argo qu'aucun d'eux ne songe plus à couler à l'abri des dangers des jours paisibles près d'une tendre mère, mais plutôt à conquérir avec ses rivaux une gloire éclatante, seule capable de faire vivre son nom au-delà du tombeau.
Quand cette élite de la Grèce fut arrivée dans Iolcos, Jason en fait le dénombrement et la comble des éloges qu'elle mérite. Au même instant, Mopsus, habile augure, interroge les destins et ordonne aux guerriers de monter promptement sur le navire. On lève l'ancre et on la suspend à la proue ; alors le chef intrépide de tant de héros, debout sur la poupe, prend en ses mains une coupe d'or ; il invoque et le père des dieux, le grand Jupiter, qui lance la foudre comme un trait, et les vents impétueux et les flots rapides ; il leur demande une heureuse navigation, des nuits et des jours sereins et un prompt retour dans leur patrie.
Soudain du haut des nues embrasées par la foudre, le tonnerre gronde en éclats propices. A ces signes non équivoques de la volonté du ciel, les héros s'arrêtent immobiles d'étonnement ; mais le devin interprétant ce phénomène, les remplit tous d'espérance et de joie. Il les engage à se courber sans délai sur la rame. Aussitôt les flots agités fuient sous les coups redoublés de leurs bras vigoureux ; ils voguent, et, secondés par le souffle du Notus, ils arrivent aux bouches de la mer inhospitalière. Là ils dédient un bois sacré à Neptune, dieu des mers, et sur un autel que jadis des mains divines élevèrent en ces lieux, ils lui immolent un troupeau de taureaux de Thrace, qui s'offre à leurs regards sur le rivage. Souvent dans la suite, à la vue des périls dont ils sont menacés, ils adressent leurs voeux au dieu protecteur des nautoniers: ils le conjurent de les préserver du choc presque inévitable de ces rochers (
49) qui se heurtent au sein des mers. Deux d'entre elles sont vivantes, et roulent plus rapides qu'un tourbillon de vents impétueux ; mais le vaisseau des demi-dieux par sa présence leur enlève pour toujours le mouvement et la vie.
Enfin ils arrivent à l'embouchure du Phase, et livrent sur ses bords, aux farouches enfants de la Colchide, un combat sanglant, non loin du palais même d'Aétès.
Mais voici que la déesse dont les traits subtils blessent les coeurs des hommes, l'aimable Cypris descend de l'Olympe, portant sur son char aux roues brillantes cet oiseau (
50), qui le premier inspira aux mortels les fureurs d'un incurable amour.
Elle enseigne au sage fils d'Eson, par quels prestiges enchanteurs il bannira de l'esprit de Médée le respect qu'elle doit aux volontés de son père et inspirera à son coeur dompté par la persuasion, un violent désir de voir les riantes campagnes de la Grèce. Cette princesse en effet ne tarda pas à révéler au jeune étranger par quel moyen il sortira victorieux des épreuves que lui préparait son père. Elle compose avec de l'huile et des sucs précieux un liniment salutaire dont la vertu rend le corps de Jason inaccessible à la douleur. Mais déjà tous deux, épris l'un de l'autre, se sont juré de s'unir par les doux liens de l'hymen.  
Cependant Aétès place au milieu de la troupe des Argonautes une charrue plus dure que le diamant ; il y attelle seul deux taureaux, qui de leurs narines enflammées exhalent des torrens de feu et tour à tour creusent la terre de leurs pieds d'airain. Il les presse, et le soc soulevant en glèbes énormes le sein de la terre entrouverte, trace derrière eux un sillon d'une orgye de profondeur. Puis il ajoute : Que le héros qui commande ce navire, achève mon ouvrage, et je consens qu'il emporte l'immortelle Toison que l'or fait briller de tout son éclat.
A peine a-t-il achevé ces mots que Jason soutenu par Vénus jette son manteau de pourpre et commence la pénible épreuve. Les flammes que sur lui soufflent les taureaux, ne l'effraient pas grâce aux magiques secrets de son amante. Il arrache la charrue pesante du sillon où elle est enfoncée, force les taureaux à courber sous le joug leur tête indocile, et pressant de l'aiguillon leurs énormes flancs, les contraint à parcourir l'espace qui est prescrit.
Aétès, quoique saisi d'une douleur secrète, ne peut s'empêcher d'admirer une force si prodigieuse ; les compagnons du héros au contraire lui tendent les mains, couronnent son front de verts feuillages et lui prodiguent les témoignages de la plus tendre amitié. Aussitôt le fils du Soleil (
51) lui indique le lieu où l'épée de Phryxus a suspendu la riche dépouille du bélier. Il se flattait qu'il ne pourrait jamais en achever la conquête, car ce trésor précieux, caché dans les sombres profondeurs d'une forêt, était confié à la garde d'un dragon dont la gueule béante était armée de dents voraces, monstre affreux qui surpassait en masse et en longueur un vaisseau à cinquante rangs de rames.
Mais, ô ma Muse ! c'est trop s'écarter du sujet ; il est temps de rentrer dans la carrière des chars : les voies abrégées ne te sont pas inconnues, et quand la sagesse te l'ordonne on t'y voit marcher la première. II me suffira donc ô Arcésilas ! de te dire que Jason tua par ruse le dragon aux yeux azurés, à la croupe tachetée ; qu'avec la Toison il emmena Médée, et que Pélias tomba sous leurs coups.
Après avoir erré sur les gouffres de l'océan et parcouru les plages de la mer Érythrée, les Argonautes abordèrent à Lemnos ; ils y célébrèrent des jeux où leur mâle courage obtint pour récompense le superbe vêtement qu'on distribuait aux vainqueurs, et s'unirent par l'hymen aux femmes dont la jalousie venait d'immoler leurs époux. Ainsi les destins avaient marqué ce jour ou la nuit mystérieuse qui le suivit, pour faire éclore dans cette terre étrangère les premiers rayons de la gloire de tes ancêtres, ô Arcécilas ! Ainsi Euphémus vit naître et s'accroître sa nombreuse postérité ; Lacédémone la reçut dans son sein, et par la suite elle alla s'établir dans l'île de Callista. De là, le fils de Latone la conduisit dans les fertiles campagnes de la Libye, où, sous la protection des dieux, il la fit régner avec équité et sagesse sur la divine cité de la nymphe Cyrène (
52) au trône d'or.
Maintenant, nouvel Oedipe fais usage, ô Arcésilas! de toute la pénétration de ton esprit.
Un chêne robuste est tombé sous le tranchant de la hache ; il a vu dépouiller ses rameaux et flétrir à jamais sa beauté. Mais quoiqu'il ait cessé de porter du fruit, ne pourra-t-il désormais être d'aucune utilité, soit que dans nos foyers il chasse l'hiver et la froidure, soit que transporté loin du sol qui l'a vu naître et appuyé sur deux hautes colonnes il soutienne un poids immense ou les murs d'un palais étranger.
Comme un habile médecin, tu sais, Arcésilas, guérir les maux qu'endurent tes sujets ; favori d'Apollon, tu dois appliquer le remède sur leurs plaies d'une main douce et bienfaisante. Il est aisé d'ébranler un empire, les moindres citoyens le peuvent, mais combien n'est-il pas plus difficile de le rasseoir sur ses bases, à moins qu'un dieu puissant ne dirige les efforts des rois. Les Grâces t'ont réservé la gloire d'un tel ouvrage ; continue à veiller au bonheur de Cyrène, et ne le lasse pas de lui consacrer tes soins.
Pèse dans ta sagesse cette maxime d'Homère et justifie-la : "L'homme de bien est toujours favorable au message dont il se charge." Les chants des Muses ont même plus de pouvoir, quand sa bouche les fait entendre. Cyrène et l'auguste maison de Battus ont connu la justice de Démophile (
53). Quoiqu'il soit encore au printemps de la vie, ses conseils furent constamment ceux d'un sage vieillard, et sa prudence parut toujours mûrie par cent années. Il ne prostitue point sa langue à la médisance ; il sait combien il est odieux l'homme, ami de l'injure, et jamais les gens de bien ne trouvèrent en lui un contradicteur. L'occasion ne se présente aux mortels que pour un instant ; Démophile sait la connaître, et quand il le faut la saisir en maître sans jamais la suivre en esclave.
Le plus cruel des maux est, dit-on, d'avoir connu le bonheur et les joies de la patrie et de se voir contraint par la dure nécessité aux rigueurs de l'exil. Ainsi comme un autre Atlas, privé de ses biens, privé des lieux qui l'ont vu naître, Démophile plie sous le poids du ciel qui l'accable. Mais espérons : Jupiter a délivré les Titans de leurs chaînes et souvent le pilote change ses voiles alors que le vent a cessé.
Après avoir épuisé la coupe du malheur, Démophile forme le voeu ardent de revoir enfin ses foyers et de retrouver, au milieu des festins donnés près de la fontaine d'Apollon, l'allégresse faite pour son jeune coeur. Sa lyre enfanterait de nouveau les sons les plus harmonieux au sein du repos et dans la compagnie des sages. Sans colère envers ses concitoyens, il ne saurait être en butte à leurs traits. Puisse-t-il, ô Arcésilas, te raconter quelle source de chants immortels il a trouvé dans Thèbes, où naguère il goûta les douceurs de l'hospitalité ! 

V

A ARCÉSILAS,

Vainqueur à la course des chars

Quelle n'est pas la puissance des richesses quand le mortel que la fortune en a comblé, sait comme toi , heureux Arcésilas, leur associer la vertu et par elles grossir la foule des amis qui l'entourent ! Dès tes premiers pas dans la carrière de la vie, tu as vu les dieux te prodiguer leurs faveurs ; mais ta générosité en a fait un usage glorieux en les consacrant à rehausser la pompe des jeux que chérit Castor (54) au char éclatant. En retour, ce demi-dieu, après avoir dissipé les nuages et la tempête, a fait luire sur ta maison fortunée les doux rayons du bonheur et de la paix.
Le sage soutient mieux que bout autre l'éclat de cette puissance que les dieux lui confient. Ainsi, Arcésilas, c'est parce que tu marches dans les sentiers de la justice que tu jouis vraiment du bonheur, et comme souverain de cités opulentes, et comme honoré par la victoire que tes coursiers ont remportée dans Pytho, victoire que célèbrent cet hymne et ces danses légères, délices d'Apollon.
Mais tandis que les accents de la gloire retentissent dans les jardins délicieux de Cyrène, dans ces bosquets consacrés à Vénus, n'oublie pas de rapporter à la divinité, comme à son premier auteur, la félicité dont tu jouis. Chéris aussi entre tous tes amis Carrotus, qui, sans être escorté de la timide Excuse, fille de l'imprévoyant Épiméthée, est revenu victorieux dans l'antique demeure des enfants de Battus dont les peuples chérissent la justice.
Digne des honneurs de l'hospitalité qu'on lui a accordés près de la fontaine de Castalie, Carrotus, monté sur un char magnifique, a parcouru douze fois la carrière avec une étonnante rapidité et a conquis ces couronnes qui parent aujourd'hui ton front. 
Les fatigues d'une course périlleuse n'ont enlevé à son char aucun des ornements que l'art de l'ouvrier y avait prodigués ; mais tel il était naguère lorsque Carrotus descendait de la colline de Crisa, près de la vallée consacrée à Apollon, tel on le voit maintenant suspendu sous les portiques de Cypris, non loin de cette statue faite du tronc d'un seul arbre, que les Crétois élevèrent sur le sommet du Parnasse. Il est donc juste, ô Arcésilas ! qu'une prompte reconnaissance acquitte ce bienfait.
Et toi, fils d'Alexibius (
55), quel n'est pas ton bonheur ! Les Grâces aux beaux cheveux rendent ton nom célèbre ; et après tes mémorables travaux, mes chants élèvent à ta gloire un monument éternel. Quarante combattants, du haut de leurs chars en débris, ont été renversés dans l'arène ; toi seul, intrépide écuyer, as su arracher ton char au déshonneur, et de retour de ces illustres combats, tu as revu les champs de la Libye et la ville où tu reçus le jour.
Personne entre les mortels n'est exempt des travaux de la vie ; personne ne le sera jamais. Cependant l'heureuse destinée de Battus sourit encore à ses descendants et les protège ; elle est le rempart qui défend Cyrène et la source de cette gloire qui la rend chère aux étrangers. Jadis les lions saisis de crainte s'enfuirent devant Battus (
56) quand il vint dans leurs demeures conduit par un oracle prononcé au-delà des mers. Apollon, dont il accomplissait les ordres, livra ces monstres à la terreur, pour qu'elle ne fût pas vaine et sans effet la promesse qu'il avait faite au fondateur de Cyrène.  
Honneur à ce dieu bienfaiteur de l'humanité ! C'est lui qui enseigna aux mortels des remèdes salutaires pour soulager leurs maux ; il inventa la lyre, et avec les trésors de l'harmonie donna à ceux qui lui sont chers l'amour de la justice et de la paix. Du fond de l'antre sacré où il rend ses oracles il fit jadis entendre sa voix, et conduisit à Lacédémone, à Argos et à Pylos, les valeureux descendants d'Hercule et Aegimius.
Sparte ! oh ! combien l'honneur de t'appartenir relève encore la gloire de ma patrie ! C'est toi qui vis naître ces Aegéides, mes ancêtres, que les dieux envoyèrent à Théra. Ils célébraient un sacrifice (
57), au moment où le destin amena devant Thèbes les Héraclides qu'ils suivirent dans tes murs. C'est d'eux, ô Apollon, que nous sont venues tes fêtes carnéennes (58)  et les festins au milieu desquels nous célébrons l'opulente Cyrène, où jadis se réfugièrent les Troyens (59), fils d'Anténor. Après avoir vu Ilion réduit en cendres par le flambeau de la guerre, ce peuple valeureux y aborda avec Hélène ; il y fut admis aux festins sacrés et reçut les dons de l'hospitalité de la main des héros qu'Aristote (Battus) y avait conduits sur ses nefs légères à travers les flots tumultueux des mers.
Battus consacra aux dieux des bois plus vastes, aplanit la voie Scyrota et la revêtit de rocs polis pour qu'elle pût résister aux pieds retentissants des coursiers ; c'est là qu'il est enseveli, à l'extrémité de la place publique : heureux tant qu'il vécut parmi les hommes, et depuis sa mort honoré par les peuples comme un demi-dieu. Hors de la ville et devant le vestibule du palais reposent les cendres des autres rois, qui subirent après lui les rigueurs du trépas. Aujourd'hui mon hymne, en célébrant leurs vertus héroïques, pénètre au sombre bord et, comme une rosée bienfaisante, y réjouit leurs mânes par le souvenir de la gloire que leur fils partage avec eux.
Maintenant donc, ô Arcésilas ! fais retentir au milieu des choeurs des jeunes Cyrénéens les louanges du dieu dont les rayons dorés vivifient le monde ; c'est à lui que tu dois l'éclatante victoire que je chante aujourd'hui et la palme, noble dédommagement de tes dépenses et de tes travaux : ton éloge est dans la bouche de tous les sages. Ce qu'ils ont dit je vais le répéter. Ta sagesse et ton éloquence sont au-dessus de ton âge, pour le courage tu es l'aigle qui d'une aile vigoureuse devance tous les oiseaux, dans les combats ta force est un rempart puissant, dès le matin de tes ans ton génie s'est élevé au séjour des Muses, avec quelle adresse ne le voit-on pas diriger à ton gré un char rapide ! enfin, ce qui est grand et sublime, tu l'encourages, tu l'adoptes, et les dieux bienveillants te donnent la force et tes moyens pour l'exécuter.
Bienheureux enfants de Saturne, daignez favoriser ainsi pour l'avenir les projets et les actions d'Arcésilas ! Que jamais le souffle empoisonné du malheur n'abatte les fruits que lui promettent ses beaux jours ! Jupiter, que ta providence puissante préside au destin des mortels que tu chéris ! daigne bientôt accorder au descendant de Battus l'honneur de la palme olympique.

VI

A XENOCRATE D'AGRIGENTE,

vainqueur à la course des chars

Mortels, prêtez l'oreille a mes accents ! me voici dans la terre consacrée à l'aimable Vénus et aux Grâces (60), après avoir porté mes pas vers le temple d'Apollon Pythien : c'est là que pour célébrer à l'envi la victoire de Xénocrate, la félicité des Eminénides (61) et la belle Agrigente qu'un fleuve du même nom arrose de ses eaux, j'ai trouvé dans le sanctuaire un trésor où j'ai puisé mes chants, trésor indestructible (62), qui n'a à redouter ni les pluies de l'hiver, ni les orages qui s'entrechoquent comme des bataillons armés, ni les vents qui roulent en tourbillons sur le gouffre des mers. Il brille de l'éclat le plus pur, ô Thrasybule, et devient pour moi une source de chants harmonieux qui, répétés de bouche en bouche, rediront à ta postérité la gloire de ton père et de tes descendants, et la victoire curule qu'il a remportée dans la vallée de Crisa.
Digne fils de Xénocrate, avec quelle attention ne remplis-tu pas le précepte que jadis le Centaure né de Philyre donnait sur le mont Pélion au fils de Pélée, qu'il élevait loin de ses parents. "Mon fils, lui disait-il , honore parmi tous les dieux de l'Olympe le redoutable maître du tonnerre et garde-toi bien de priver pendant ta vie du tribut de la reconnaissance le mortel qui te donna le jour."
Tel fut le valeureux Antiloque qui se dévoua à la mort pour sauver les jours de son père, et seul s'exposa aux coups homicides de Memnon, sous qui combattaient les Éthiopiens. Blessé par les traits de Pâris (
63), un des coursiers de Nestor retardait la fuite de son char, et Memnon s'avançait brandissant une longue javeline. Déjà le vieillard éperdu crie à son fils de ne pas affronter le trépas ; c'est en vain, le jeune héros vole au combat, et, par le sacrifice de sa vie, il achète celle de son père, laissant aux races futures un modèle admirable de piété filiale.
Cette antique vertu des siècles passés, Thrasybule nous en donne aujourd'hui le touchant exemple : il marche dans le sentier que lui a tracé son père et le dispute en magnificence à son oncle Théron. Avec quelle modération jouit-il de ses richesses ! Formé à la sagesse dans le sanctuaire des Muses, jamais il ne permit à l'injustice ni à l'aveugle prévention d'égarer un instant son coeur. Comme sa jeune ardeur se plaît à tes nobles exercices, Neptune, toi dont le trident ébranle la terre et qui appris aux mortels l'art de dompter les coursiers ! Enfin son caractère aimable et bienveillant fait la joie de ses amis, et, dans les festins, ses paroles coulent avec la douceur du miel que distille l'industrieuse abeille.

VII

A MEGACLES D'ATHÈNES,

Vainqueur au quadrige

Pour célébrer dignement l'antique puissance des enfants d'Aclméon (64) et les triomphes de leurs coursiers, pourrais-je mieux-préluder à mes chants que par le nom de la superbe Athènes ? Fut-il jamais patrie plus fameuse dans la Grèce ! fut-il jamais un nom plus illustre que celui d'Alcméon ! 
La renommée a porté chez tous les peuples la gloire des citoyens à qui Érechtée dicta ses lois. Ce sont eux, ô Apollon (
65) ! qui, dans l'enceinte de Pytho, rebâtirent ton divin sanctuaire. Que de victoires, ô Mégaclès, tes ancêtres et toi n'offrez-vous pas à mes chants ! Cinq à l'Isthme, une plus glorieuse aux champs de Jupiter, à Olympie, deux enfin à Cirrha (66).
Ton nouveau triomphe sutout me comble d'allégresse ; mais une pensée m'afflige... Tant de belles actions ne vont-elles pas attirer sur toi les traits du sort jaloux ? Telle est la destinée des mortels : le bonheur le plus durable n'est jamais ici-bas à l'abri des revers.

VIII

A ARISTOMÈNE D'EGINE,

Vainqueur à la lutte

Fille de la justice, ô douce paix ! toi qui rends les cités puissantes et tiens en tes mains les clés de la guerre et des sages conseils, reçois l'hommage de la couronne pythique dont Aristomène vient d'orner son front. Aimable déesse, tu donnes aux mortels les loisirs favorables à nos triomphes pacifiques et tu leur apprends à en jouir. Quand deux ennemis, le coeur gonflé d'une haine implacable, sont près de se frapper, c'est encore toi qui, t'élançant au-devant de leurs coups, fais tomber à tes pieds l'insulte et la colère.
Oh! combien il fut sourd à tes inspirations ce Phorphyrion (
67), dont la fureur aveugle tenta d'envahir l'Olympe. Insensé ! ne savait-il pas que les seuls biens légitimes sont ceux que nous offre avec plaisir une main libérale, et que tôt ou tard la violence et l'orgueil subissent le châtiment de leur cupidité ! Tel fut encore ce terrible roi des Géants, ce Typhon (68) à cent têtes, que la Cilicie engendra. Tous deux succombèrent, l'un sous les coups de la foudre et l'autre sous les traits d'Apollon. C'est à la protection de ce dieu que le fils de Xénarque doit la victoire où il a cueilli dans Cirrha le laurier du Parnasse, digne sujet de mes chants doriens.
L'heureuse patrie du vainqueur, Égine, amie de la justice (
69) et favorisée par les Grâces, brille encore de l'éclat des antiques vertus des Eacides (70). Non, depuis son origine, sa renommée ne s'est point affaiblie, et les favoris des Muses ont célébré dans leurs chants cette foule de héros qu'elle a vus naître et que souvent couronna la victoire dans nos jeux et dans nos combats meurtriers. Adresse et valeur, telles sont en effet les sources de la gloire pour les mortels.
Mais pourquoi fatiguer ma lyre et ma voix du long  récit de tous les titres de gloire d'Égine? la satiété est mère du dégoût. Bornons donc nos chants au sujet offert à ma Muse ; qu'elle touche à ton dernier triomphe, ô Aristomène! d'une aile prompte et légère !
Jadis Théognète et Clytomaque, tes oncles maternels, vainquirent à la lutte, l'un à Pise, l'autre à Corinthe ; tu suis leurs traces et tu ne dégénères pas de leur courage. Noble soutien de la tribu des Midyles, tes ancêtres, j'oserais t'appliquer ces paroles mystérieuses que prononça le fils d'Oïclée (
71) en voyant devant Thèbes aux sept portes les fiers Épigones, la lance à la main lorsque, pour la seconde fois, ils venaient livrer à cette ville de nouveaux assauts. Ils combattaient, et le devin s'écria : "La nature a transmis aux enfants la magnanimité de leurs pères ; je vois clairement aux portes de la cité de Cadmus Alcméon agitant le dragon dont les couleurs varient l'éclat de son bouclier. Après une première défaite, l'héroïque Adraste reparaît sous de meilleurs auspices ; mais un malheur domestique lui fera payer cher ses succès. Seul de tous les enfants de Danaüs, Égialée (72) périt, et Adraste, que la faveur des Dieux reconduit dans la vaste cité d'Abas (73) avec son armée entière, emporte avec lui les cendres de ce fils adoré." Ainsi parla Amphiaraüs.
Et moi je couronne aujourd'hui de fleurs la statue d'Alcméon (
74), son fils, en lui consacrant les chants de ma reconnaissance. Voisin de mes foyers, son monument protège mes possessions, et le devin lui-même s'est offert à ma rencontre au moment où j'allais visiter le temple auguste placé au centre de la terre : héritier de l'art de son père, il sembla alors m'annoncer la victoire d'Aristomène.
O toi, qui lances au loin tes flèches redoutables et qui, au sein des vallées pythiques, règnes dans ce sanctuaire fameux ouvert à toutes les nations, tu as élevé Aristomène au comble de la félicité. Déjà, dans ces fêtes que sa patrie célèbre (
75) en ton honneur, dieu puissant, ta faveur lui a fait cueillir la palme du pentathle, le plus glorieux des combats. Daigne encore aujourd'hui agréer cet hymne harmonieux destiné à célébrer ses victoires. Eh ! qui mieux qu'Aristomène a mérité le tribut de mes louanges et de mes chants ? Et toi, Xénarque, puissent mes prières attirer sur ton fils et sur toi la protection immortelle des dieux.
L'homme qui, sans de longs travaux, a amassé de grands biens, paraît sage aux yeux du vulgaire ignorant : il a su, dit-il, par sa prudence et son adresse assurer sa prospérité. Insensé ! le bonheur ne dépend point de la volonté des mortels : Dieu seul est le dispensateur ; c'est lui dont la justice, distribuant également les biens et les maux, sait quand il lui plaît élever l'un, abaisser l'autre sous sa main puissante.
Mégare et les champs de Marathon ont été témoins de tes triomphes, ô Aristomène, et dans les jeux que ta patrie célèbre en l'honneur de Junon (
76) trois fois ta vigueur a dompté tes rivaux. Naguère aux solennités pythiques quatre athlètes terrassés ont éprouvé la force de tes coups. Combien leur retour a différé du tien : le doux sourire d'une mère n'a point réjoui leur coeurs ; honteux de leur défaite, ils tremblent à l'aspect de leurs ennemis, ils se cachent et fuient les regards des hommes.
Mais celui auquel la victoire vient de sourire s'élève aux plus hautes destinées sur les ailes de l'Espérance et préfère aux soucis de l'opulence la palme que sa valeur lui a conquise. Cependant si un court instant accroît ainsi le bonheur de l'homme, la plus légère faute en un instant aussi l'ébranle et le renverse.
O homme d'un jour (
77): qu'est-ce que l'être ? qu'est-ce que le néant ? Tu n'es que le rêve d'une ombre et ta vie n'a de jouissance et de gloire qu'autant que Jupiter répand sur elle un rayon de sa bienfaisante lumière.
O nymphe Égine (
78) ! tendre mère d'un peuple libre, joins-toi à Éaque, à Pélée, à l'immortel Télamon, à l'invincible Achille, pour protéger, sous le bon plaisir du puissant Jupiter, Aristomène et la cité qui l'a vu naître.

IX

A TÉLISICRATE DE CYRÈNE,

Vainqueur à la course armée

Je veux, sous les auspices des Grâces à la belle ceinture, célébrer la victoire que dans Pytho, Télésicrate à remportée à la course malgré le poids d'un énorme bouclier d'airain (79). Heureux mortel, Télésicrate fait la gloire de sa patrie, de Cyrène, cité célèbre par ses coursiers et qui doit son nom à cette nymphe chasseresse que, sur un char d'or, le blond Phébus enleva jadis dans les vallées retentissantes du Pélion. Ce dieu la transporta dans une contrée féconde en fruits et en troupeaux, et l'y établit reine de la florissante Libye, troisième partie du vaste continent.
Vénus aux pieds d'albâtre, arrêtant d'une main légère le char qui les portait, reçut le dieu de Délos comme un hôte chéri ; puis elle introduisit dans leur couche l'aimable Pudeur et accomplit l'hymen du jeune dieu avec la fille du puissant Hypséus qui régnait alors sur les fiers Lapithes. Petit-fils de l'Océan (
80), ce héros avait pour mère la naïade Créuse, fille de la Terre, qui l'avait eue du Pénée, dans les célèbres vallons du Pinde. Hypséus lui-même prit soin des jeunes années de la belle Cyrène, sa fille.
Jamais la jeune nymphe ne se plut à promener sur la toile la navette légère (
81) ni à se livrer avec ses compagnes aux soins domestiques des festins ; mais armée de ses flèches d'airain et d'un glaive meurtrier elle poursuivait les hôtes féroces des bois, les immolait sous ses coups et assurait ainsi la tranquillité des troupeaux de son père : à peine au lever de l'aurore le sommeil si doux aux mortels appesantissait quelques instants sa paupière.
Un jour le dieu qui lance au loin ses flèches, Apollon au vaste carquois la trouve luttant seule et sans armes contre un lion furieux. A cette vue il appelle le centaure Chiron : "Fils de Philyre, dit-il, sors de ton antre, viens admirer le courage et la force étonnante d'une jeune vierge ; vois avec quelle intrépidité son coeur, supérieur au danger et inaccessible à la crainte, soutient ce terrible combat. Quel mortel lui donna le jour ? de quelle tige est sorti ce rejeton qui, dans les sombres retraites de ces monts sourcilleux, se plaît à déployer tant de force ? Serait-il permis à une main illustre de s'en approcher pour cueillir cette fleur de beauté plus douce que le miel ?" A ces mots la gravité du centaure disparaît, un doux sourire déride son front et il répond au dieu du jour : 
"Apollon, la sage persuasion fait jouer des ressorts cachés pour servir les desseins d'une honnête passion, et les dieux comme les hommes rougiraient de ne pas couvrir du voile de la pudeur le mystère des premières amours. Aussi les paroles que tu viens de m'adresser, ô dieu que le mensonge ne peut jamais tromper, te sont-elles inspirées par ton aménité naturelle. Tu me demandes l'origine de cette nymphe !  toi qui connais l'impérieuse destinée de tous les êtres, toi qui comptes les feuilles que la terre au printemps fait éclore et les grains de sable que les flots et les vents roulent dans les fleuves et dans les mers, toi dont l'oeil perçant découvre tout ce qui est, tout ce qui sera !
"Mais s'il m'est permis de comparer ma sagesse à la tienne, puisque tu l'ordonnes, je vais te répondre : Le sort te conduit en ces lieux pour être l'époux de Cyrène et la transporter au-delà des mers dans les délicieux jardins de Jupiter. Là, sur une colline qu'entourent de riches campagnes, s'élèvera une cité puissante, peuplée d'une colonie d'insulaires dont tu l'établiras souveraine. En ta faveur, la vaste et féconde Libye recevra avec empressement dans ses palais dorés cette nymphe destinée à donner des lois à une contrée également célèbre par sa fertilité et par les animaux féroces qu'elle nourrit.
"Elle y mettra au jour un fils que Mercure ravira aux baisers de sa mère pour le confier aux soins de la Terre et des Heures (
82) aux trônes étincelants. Ces déesses recevront l'enfant divin sur leurs genoux, feront couler sur ses lèvres le nectar et l'ambroisie et le rendront immortel comme Jupiter et le chaste Apollon. Il sera la joie de ses amis, veillera à la garde de nombreux troupeaux, et son goût pour les travaux des chasseurs et des bergers lui méritera le nom d'Aristée." Ainsi parla Chiron, et il exhortait Phébus à accomplir cet heureux hyménée.
Les voies des dieux sont courtes et l'exécution de leurs desseins rapide : un seul jour suffit à Apollon. Ce jour même la Libye unit les deux époux sous les lambris dorés d'un palais somptueux. Bientôt Cyrène, s'élève et Apollon se déclare le protecteur de cette cité que la gloire des jeux a si souvent illustrée.
Aujourd'hui le fils de Carnéas, vainqueur à Delphes, l'associe à sa fortune en faisant rejaillir sur lui l'éclat de son triomphe. Aussi de quelle allégresse ne tressaillera pas celte heureuse patrie, que peuplent tant de jeunes beautés, quand elle le verra revenir de Pytho couronné par la victoire !
Les grandes vertus prêtent à de pompeux éloges ; mais peu de paroles suffisent au sage, même dans un vaste sujet. Saisir l'à-propos est en toutes choses le plus grand mérite. Jadis Thèbes aux sept portes vit Iolas signaler son habileté dans cet art, alors qu'il revint, une heure seulement (
83), à la fleur de l'âge pour faire tomber sous son glaive la tête d'Eurysthée, et que peu après il fut renfermé dans la tombe. On l'ensevelit non loin du monument d'Amphitryon, son aïeul paternel, habile à conduire les chars, et qui de Sparte était venu chez les enfants de Cadmus demander l'hospitalité. Amphitryon et Jupiter partagèrent la couche  de la sage Alcmène et donnèrent la vie à deux jumeaux célèbres par leur force et par leurs victoires.
Quel est le mortel assez stupide pour ne pas chanter les louanges d'Hercule et n'avoir aucun souvenir de la fontaine de Dircé (
84), près de laquelle furent élevés Hercule et son frère Iphiclès ? L'un et l'autre ont exaucé mes voeux ; je célébrerai leurs bienfaits aux accents de ma lyre. Puissent les Grâces m'éclairer de leurs douces lumières, pour chanter dignement la victoire que trois fois Télésicrate a remportée dans Egine sur la colline de Nissa. Un si glorieux triomphe illustre sa patrie, et met pour toujours ce héros à l'abri de la tristesse et des regrets d'une défaite. Aussi n'est-il aucun citoyen de Cyrène, ami ou ennemi de Télésicrate, qui ne publie ce que cet athlète puissant a fait pour leur commune gloire, et qui ne soit à son égard fidèle observateur de la maxime du vieux Nérée: "Louez avec franchise même un ennemi, lorsqu'il s'est signalé par de brillants exploits."
Combien de fois, ô Télésicrate, t'ai-je vu couronné aux solennités de Pallas, qui reviennent à des temps réglés, et dans ces fêtes olympiennes (
85) qu'on célèbre dans les vallées profondes et sinueuses de l'Attique, et dans tous les jeux des autres contrées de la Grèce : alors quelles mères ne désirèrent de t'avoir pour fils ! quelles vierges ne demandèrent aux dieux un époux tel que toi !
Mais la soif des vers me tourmente ; et, au moment de terminer mes chants, je ne sais quelle voix me presse de rappeler la gloire de tes nobles aïeux. Je dirai donc comment ils vinrent dans Irasse, ville d'Antée (
86), pour disputer la main d'une jeune Libyenne que sa beauté faisait rechercher et de ses illustres parents et d'une foule d'étrangers : chacun à l'envi soupirait après le bonheur de cueillir cette rose virginale qu'Hébé à la couronne d'or, venait de faire éclore. Mais Antée prépare à sa fille une union plus glorieuse. Il sait qu'autrefois dans Argos, Danaüs fixa promptement l'hymen de ses quarante-huit filles (87) avant que le soleil eût achevé la moitié de sa carrière. Il plaça ses filles à l'extrémité de la lice et voulut que parmi tous les prétendants le vainqueur à la course méritât seul de devenir son gendre. 
A son exemple, le roi de Libye veut donner à sa fille un époux digne d'elle. Il la pare de ses plus riches ornements et la place pour but à l'extrémité de la carrière. Puis s'avançant au milieu des jeunes guerriers : "Que celui d'entre vous, leur dit-il, qui, dans sa course rapide aura le premier touché le voile qui la couvre l'emmène dans sa maison." Soudain Alexidamus (
88) s'élance, franchit l'espace, prend la nymphe par la main et la conduit en triomphe au milieu des Nomades (89) si renommés par leurs coursiers. On le couvre de couronnes, sous ses pas la terre est jonchée de fleurs... Mais déjà combien de fois avant ce triomphe n'avait-il pas été porté sur les ailes de la Victoire !  

X

A HIPPOCLES, THESSALIEN,

Vainqueur à la course diaulique

O fortunée Lacédémone, et vous heureuses campagnes de la Thessalie où règnent, sortis d'une même lige, les descendants d'Hercule, le plus vaillant des guerriers, serait-ce à contretemps que je vous célébrerais aujourd'hui dans mes chants ? Non... mais Pytho, Pélinnée et les enfants d'Aleüas (90) m'appellent ; ils veulent que mes plus nobles accents consacrés à la gloire des héros, chantent la victoire d'Hippoclès.
A peine ce jeune athlète eut-il pris part à nos jeux solennels que l'auguste assemblée des Amphictions réunis dans les vallées du Parnasse le proclama vainqueur de ses rivaux, pour avoir deux fois parcouru la vaste étendue de la carrière. "Le mortel qu'un dieu daigne conduire voit toujours un commencement prospère couronné d'une fin glorieuse." C'est ainsi , ô Apollon! qu'Hippoclès a vaincu sous tes auspices.
Cependant il doit encore à sa valeur naturelle l'honneur de marcher sur les traces de Phricias, son père. Deux fois vainqueur à Olympie, sous l'armure pesante de Mars, cet heureux père fut encore couronné à la course légère dans les prairies qu'ombrage le rocher de Cirrha (
91). Puisse le Destin favorable répandre sur le père et le fils (92)  la gloire et le bonheur ! Puissent aussi leurs richesses croître comme des fleurs brillantes !
Le sort pour eux ne fut jamais avare de ses dons ; il leur a prodigué ces triomphes qui font l'orgueil des enfants de la Grèce. Ah ! plaise aux Immortels de leur être toujours propices, et d'éloigner d'eux les coups funestes de l'Envie! Celui que les sages aiment à célébrer comme le plus fortuné des mortels, est l'athlète qui, par la vigueur de son bras, la légèreté de ses pieds et sa noble audace a conquis la palme de la victoire ; surtout, s'il peut voir au déclin de ses jours un jeune fils ceindre son front des couronnes pythiques. Cependant jamais ce ciel d'airain ne sera accessible aux mortels. Ballottée sur l'océan de la vie, notre frêle nacelle arrive au terme de la navigation alors seulement que le bonheur nous luit. Eh ! quel homme a pu jusqu'à ce jour se frayer par mer ou par terre la route merveilleuse qui conduit aux régions hyperborées. Le seul Persée y pénétra : admis dans les demeures de leurs habitants, il s'assit à leurs festins et prit part à ces magnifiques hécatombes d'onagres qu'ils immolent à Apollon. Ce dieu prend plaisir à leurs fêtes, à leurs acclamations de joie, et sourit en voyant ces animaux d'une taille prodigieuse bondir et se débattre sous le couteau sacré.
Ces peuples ne sont point étrangers aux Muses. Partout chez eux les jeunes vierges se réunissent en choeurs, partout retentissent les accents de la lyre mariés aux sons éclatants de la flûte. Couronnés de laurier, les habitants de ces climats heureux se livrent gaiement aux plaisirs de la table ; jamais la triste vieillesse, jamais les maladies ne les atteignirent ; ils ne connaissent ni les travaux pénibles, ni les fureurs de la guerre, ni les vengeances de Némésis.
C'est parmi ces sages qu'arriva jadis, conduit par Minerve, l'intrépide fils de Danaé ; il tua la Gorgone, et s'étant saisi de sa tête hérissée de serpents il la porta aux habitants de Sériphe, qui, à sa vue, ô prodige étonnant ! furent changés en pierres. Qu'y a-t-il d'incroyable pour moi, quand la toute-puissance des dieux commande et exécute !
Mais, ô ma Muse, arrête ici les rames ; hâte-toi de jeter l'ancre et de l'enfoncer dans la terre pour mettre ta nef à l'abri des écueils que recèle l'onde amère ; car, telle que l'abeille qui voltige de fleur en fleur, tu distribues les louanges de tes hymnes tantôt aux uns tantôt aux autres, errant avec rapidité sur différents sujets.
J'ai néanmoins la douce espérance que mes chants harmonieux répétés par des Éphyriens (
93) sur les bords du Penée, prêteront un éclat durable aux couronnes d'Hippoclès, et que les vieillards, les hommes de son âge et les jeunes filles, quoique dominés par des attraits divers, le chériront et rendront hommage à sa victoire.
Celui qui, emporté par ses désirs, posséda enfin le bonheur après lequel il a tant soupiré doit se hâter d'en jouir, car il n'est point de signes auxquels l'homme puisse prévoir même les événements d'une seule année.
Pour moi, guidé par les nobles élans de mon coeur, j'ai répondu par cet hymne à l'amitié de Thorax. Il me l'a demandé : pouvais-je moins faire pour un hôte si cher dont les mains ont attelé pour moi le char éclatant des Muses ! Comme l'or brille sur la pierre qui l'éprouve, ainsi le bon esprit d'un ami se montre par l'expérience. Puis-je donc refuser le tribut de mes chants aux généreux frères de Thorax ! La sagesse de leurs lois fait resplendir au loin la gloire de la Thessalie, et la justice de leur gouvernement assure à jamais la prospérité de cet empire.

XI

AU JEUNE THRASYDÉE DE THÈBES,

vainqueur à la course

Fille de Cadmus, Sémélé, qui habites l'Olympe avec les Immortels, et toi, Ino-Leucothée, compagne des Néréides, c'est vous que j'invoque ! Allez avec l'auguste mère du grand Hercule auprès de Mélia (94), dans ce sanctuaire où brillent les trépieds d'or d'Apollon. Nulle demeure n'est si chère à ce dieu ; il l'honora du nom d'Ismène et la rendit le siège de ses infaillibles oracles (95). Illustres filles d'Harmonie, c'est là que Mélia vous appelle pour chanter aux approches du soir et l'auguste Thémis et Delphes source de jugements équitables.
Vous illustrerez de nouveau Thèbes aux sept portes et ce combat fameux de Cirrha, où Thrasydée a fait revivre la mémoire de ses pères, et par sa victoire dans les champs de Pylade, ajouté une troisième couronne à celles que ceignit leur front.
Pylade ! tu as à jamais immortalisé ta tendresse pour le Lacédémonien Oreste, que sa nourrice Arsinoé déroba aux cruelles embûches de Clytemnestre, quand cette reine impitoyable armée du fer tranchant fit descendre aux sombres bords de l'Achéron l'âme indignée de son époux Agamemnon et la malheureuse Cassandre, fille du vieux Priam. Cruel ressentiment ! qu'excita dans le coeur de Clytemnestre la mort d'Iphigénie, immolée sur les bords de l'Euripe, loin de sa patrie, ou peut-être la honte de cet amour adultère, qu'à la faveur des ténèbres de la nuit, recéla une couche étrangère.
Mais en vain de jeunes épouses s'efforcent-elles de cacher ce crime odieux. Elles n'échappent point à la langue du vulgaire médisant ; car l'opulence de l'homme puissant aiguise les traits de l'envie et fait frémir tout bas l'indigent.
Ainsi le héros fils d'Atrée trouva la mort à son retour dans les champs célèbres d'Amyclée, et avec lui périt la vierge Cassandre, célèbre par ses oracles. Ce fut donc en vain que, pour venger Hélène, ce prince réduisit Pergame en cendres et dépouilla de leurs richesses ses palais somptueux. Cependant le jeune Oreste son fils, se réfugia au pied du mont Parnasse, chez le vieillard Straphius, et bientôt s'armant du glaive, vengea sur Égisthe et sur sa mère le meurtre de son père infortuné.
Mais, ô mes amis ! où s'égarent mes pas incertains ? je ne suis plus la route dans laquelle j'étais d'abord entré. Serait-ce quelque vent contraire qui m'aurait détourné de ma course comme un barque légère ?... S'il est vrai, ô ma Muse ! que tu te sois engagée à mériter le salaire, honorable récompense de tes chants, reviens à ton sujet, et dis-nous comment Trasydée et son père se sont tous deux couverts de gloire. Jadis le père, monté sur un char traîné par de fiers coursiers, obtint le prix des combats fameux d'Olympie ; le fils, naguère déployant ses membres nerveux aux regards de la Grèce, vola dans la carrière de Delphes et couvrit de honte tous ses rivaux.
Pour moi, je borne mes désirs aux biens que les dieux ont mis à ma portée ; et quand je réfléchis que de tous les avantages que procurent à l'homme les institutions politiques, une heureuse médiocrité est le plus solide et le plus durable, je plains le sort des princes et des rois. J'ambitionne donc la possession des vertus privées et sans éclat : elles font le tourment de l'envieux, qui se consume en voyant au faîte du bonheur l'homme simple et tranquille, à l'abri de ses cruelles atteintes.
Heureux le mortel qui touchant aux noirs confins de la vie lègue à ses enfants chéris une bonne renommée, le plus précieux de tous les biens : sa mort est un doux sommeil. C'est à cet avantage que doivent leur célébrité, Jolaüs fils d'Iphiclès, et Castor et Pollux, héros issus des dieux, qui habitent tour à tour Thérapné , leur patrie, et les brillants palais de l'Olympe. 

XII

A MIDAS D'AGRIGENTE,

Joueur de flûte

0 toi ! la plus belle des cités qu'ait jamais construites la main des mortels, demeure riante de Proserpine, Agrigente, qui t'élèves comme une colonne sur les bords fertiles de l'Acragas, agrée avec cette bienveillance qui charme et les hommes et les dieux, la couronne que dans Pytho, Midas vient de remporter : daigne accueillir en lui un vainqueur qui a surpassé les Grecs dans l'art inventé par Minerve.
Jadis cette déesse (
96) voulut imiter les affreux gémissements des Gorgones et les sifflements que poussèrent les serpents entrelacés sur leurs têtes, alors que Persée, les plongeant dans un deuil éternel, trancha la tête à Méduse leur troisième soeur et avec cet horrible trophée porta la mort dans la maritime Sériphe.
Ainsi fut anéantie la race monstrueuse du divin Phorcus (
97) par le fils de Danaé qu'une pluie d'or rendit féconde ; ainsi ce héros, après avoir enlevé la tête hideuse de Méduse, rendit funeste à Polydecte (98) l'odieuse hospitalité qu'il en avait reçue, et brisa les liens de l'hymen que la victoire avait imposé à sa mère.
Cependant quand Pallas eut délivré de ces travaux périlleux le mortel cher à son coeur, elle inventa la flûte (
99) pour imiter par les sons de cet instrument les cris lugubres que de sa bouche effroyable poussait la féroce Euryale. Bientôt elle en fit présent aux mortels, et lui donna un nom qui leur rappela que ses sons belliqueux font mouvoir des peuples entiers, en donnant le signal des combats. Modifiés ensuite par l'airain et les joncs que produit le bois sacré du Céphise, près de la ville des Grâces, les accents mélodieux de la flûte présidèrent partout à nos danses et à nos concerts.
S'il est parmi les hommes quelque félicité, elle a été acquise par de pénibles efforts. Ce que le Destin nous refuse aujourd'hui, demain peut-être il nous l'accordera : ses décrets sont inévitables ; mais tantôt l'inconstante fortune dispense aux mortels ce qu'ils n'espéraient point obtenir, tantôt elle leur enlève ce qu'ils se croyaient déjà sûrs de posséder.

NOTES SUR LES PYTHIQUES

PYTHIQUE I

(1) Au-delà de Cumes. Une des îles éoliennes, située près de la Sicile.

(
2) L'oubli de ses maux. Hiéron, au rapport d'Aristote, était tourmenté de la pierre ; Pindare fait allusion à son état de souffrance lorsqu'il compare son héros à Philoctète.

(
3) Et contraindre un roi puissant à le traiter. Anaxilas, roi de Rhèges, effrayé des menaces du roi de Syracuse, abandonna ses projets sur les Locriens.

(
4) Dans le palais de Dinomène. Hiéron était fils de Dinomène et père d'un autre Dinomène à qui il avait confié la nouvelle ville d'Etna.

(
5) Sous le
s justes lois d'Hyllus. Dorien célèbre qui régna sur les Doriens, habitant les confins de l'Italie.

(
6) Les voeux de Pamphyle. II était fils d'Égimius et eut pour frères Dymas et Dorus ; tous trois donnèrent leur nom à des peuples de Laconie.

(
7) E
t des Héraclides. C'est-à-dire les Lacédémoniens.

(
8) Habitants des vallées du Taygète. Montagne de Laconie qui dominait Sparte et Amyclée.

(
9) A ce
s lois qu'Egimius. Ces lois étaient les mêmes que celles de Lycurgue.

(
10) Que le Phénicien et le Tyrrhénien. Les Carthaginois, et les Toscans assiégeaient Cumes et la menaçaient, ainsi que la Sicile entière, d'un honteux esclavage. Hiéron la sauva.

(
11) Arrachant ainsi la Grèce au joug. C'était l'époque de l'invasion des Perses en Grèce. Sparte et Athènes avaient demandé du secours à Hiéron ; mais Xerxès, pour paralyser les efforts de ce prince, engagea les Carthaginois à faire une descente en Sicile. Ils furent défaits et obligés à conclure une paix honteuse qui assurait de ce côté la liberté des Grecs.

(
12) Ce co
mbat où le Cythéron. La bataille de Platées.

(
13) Sur les bords riants de l'Himère. Fleuve de Sicile, ainsi que l'Amène dont il a été question plus haut.

(
14) Que t
a langue ne profère jamais, etc. Littéralement : "Forge la langue sur une enclume véridique."

(
15) Ainsi la vertu bienfaisante de Crésus. Ce prince attira à sa cour les plus beaux génies.

(
16) La mémoire de Phalaris. Tyran d'Agrigente, en Sicile

PYTHIQUE II

(17) Vaste cité de Syracuse. Elle se composait de la réunion de plusieurs bourgs qui devinrent autant de quartiers : Acradine, Épipole, Tyché et Néapolis ; c'est ce qui explique le pluriel Surakousai.

(
18) Ortygie, terre consacrée à Diane Alphéienne.  Ile voisine de Syracuse ; elle fut réunie à la ville par une jetée. Hiéron y avait ses haras. C'est dans cette île que se trouvait la fontaine Aréthuse, autrefois nymphe de Diane, et que l'Alphée amoureux poursuit, selon la fable, jusque sous la mer de Sicile.

Alpheum fama est Elidis amnem 
Occultas egisse vias subter mare, qui nunc 
Ore, Arethusa, tuo siculis confunditur undis.
(VIRGILE, liv. 4, v. 3.)

(
19) Le nom de Cinyras. II était fils d'Apollon, régna à Chypre. Hiéron prétendait faire remonter sa généalogie jusqu'à ce prince.

(
20) Ixion ne crie-t-il pas aux mortels :

Diserte justitiam moniti et non temnere divos.  (VIRGILE, liv. 6, 620)

(
21) J'ai v
u le mordant Archiloque. Poète satirique, inventeur de l'iambe.

Archilochum proprio rabies armavit iambo. (Hoace. Art poétique.)

PYTHIQUE III

(22) Chiron, le fils de Philyre. Une des nymphes filles de l'Océan. Pindare, après avoir raconté l'histoire d'Esculape, fait des voeux pour la guérison du roi de Syracuse et regrette que Chiron n'existe plus.

(
23) Son oeil pénètre jusqu'au fond des coeurs.  Hésiode et Ovide disent qu'un corbeau avertit Apolon du crime de Coronis. La fiction de Pindare est plus noble.

(
24Sur les bords du lac Baebias, à Lucérie. Lac de Thessalie, près de Lucérie, qui est le même que Larisse, entre les monts Olympe, Ossa et Pélion.

(
25) Osa arracher à la mort un héros. Hippolyte, fils de Thésée.

(
26) S'in
sinuer dans son coeur comme un philtre séduisant. Comparez la marche de celte ode à celle de Rousseau au comte de Luc.

(
27) A celui de Pan, près de la demeure que j'habite. II y avait devant la porte de Pindare un temple consacré à Cybèle.

(
28) Ils leur font éprouver deux maux. Allusion aux deux urnes qu'Homère place l'une à droite, l'autre à gauche de Jupiter. (Iliade, chant 24.)

(
29) La brillante Harmonie. Fille de Mars et de Vénus.

(
30) Les trois filles de Cadmus. Ino, Agavé et Sémélé, que le poète appelle Thyonée. Ino vit son fils Zéarque brisé par Athauras contre les rochers ; Agavé, mère de Penthée, le déchire de ses propres mains dans un accès de fureur ; le sort de Thyonée est célèbre dans la fable.

(
31) Le fils que l'immortelle Thétis donna. Achille.

(
32) Et Sarpédon et Nestor. Le premier était fils de Jupiter et roi de Lycie ; le second, roi de Pylos, en Élide.

PYTHIQUE IV

(33) Roi de Cyrène. Ville d'Afrique. Neptune avant appris à ses habitants à dompter les chevaux.

(
34) Ordonna à Battus. Ce prince était bègue ; il se nommait encore Aristote. 

(
35) Dans Théra. Théra ou Callista, une des îles les plus méridionales de l'Archipel.

(
36) Ainsi s'accomplit l'oracle. Les Argonautes étant tombés dans les Syrtes, écueils dangereux de la Libye, furent contraints, par le conseil de Médée, à transporter sur leurs épaules leur navire désassemblé. Après avoir marché douze jours à travers l'Afrique, ils arrivèrent au bord du lac Tritonide, où Euripyle, fils de Neptune, donna à Euphémus, un de leurs chefs, une glèbe ramassée à terre, comme présent d'hospitalité. Elle tomba dans la mer près de Théra.

(
37) La fille d'Épaphus. D'Épaphus, fils de Jupiter et d'Io, naquit Libye, qui donna son nom à une partie de l'Afrique.

(
38) Dans Ténare. Ville de Laconie, près de laquelle était une porte des Enfers.

Tenarias etiam fauces, alta ostra ditis... (VIRGILE.)

(
39) Aux fils des femmes étrangères. Au retour de leur expédition, les Argonautes s'arrêtèrent à Lemnos et eurent des Lemniennes plusieurs enfants. Ceux-ci étant devenus grands se rendirent à Lacédémone. Les Spartiates les reçurent avec bonté ; mais ayant découvert qu'ils conspiraient contre eux, ils les mirent en prison. Leurs mères, ayant trouvé moyen de pénétrer jusqu'à eux, les firent évader en prenant leurs habits et en restant à leur place. Ils allèrent, à la suite de Théras et Samus, fonder une colonie dans l'île de Callista, nommée depuis Théra.

(
40) Des Argonautes Minyens. Les Thessaliens qui suivirent Jason faisaient remonter leur origine à Minyas, fils de Neptune.

(
41) Des fils d'Éole. Éson était fils de Créthée, roi d'Iolcos, et Créthée fils d'Éole.

(
42) De Pytho, centre de la terre. Jupiter voulant connaître exactement le milieu de la terre, lâcha des extrémités du monde, à l'orient et à l'occident, deux aigles d'égale vitesse ; ils se rencontrèrent à Delphes.

(
43) Étranger et citoyen. Étranger, comme élevé loin de sa patrie ; citoyen, comme fils d'Éson.

(
44) Qu'habitent avec lui Philyre et Chariclo.  Philyre était mère du Centaure, et Chariclo, sa femme ; ses deux fils s'appelaient Ocyroë et Eudéis.

(
45) Éole la reçut. Il ne s'agit point ici du dieu des vents, mais d'un autre Éole, fils d'Hellen, qui eut pour père Deucalion, fils de Prométhée.

(
46) Noble rejeton de Neptune Pétréen. Surnom de Neptune que les Thessaliens croyaient avoir entrouvert les rochers pour donner un libre cours au Pénée. Ce dieu était encore honoré de ce nom dans le lieu où il avait fait sortir d'un rocher le premier cheval.

(
47) L'ombre de Phrixus. II était fils d'Athumus et frère d'Hellé. Pendant qu'il était avec sa soeur chez Créthée leur oncle, une peste ravagea le pays. L'oracle, consulté, répondit que les dieux s'appaiseraient pourvu qu'on leur immolât les dernières personnes de la maison royale. Comme cet oracle regardait Phrixus et Hellé, on les condamna à être immolés ; mais dans l'instant ils furent entourés d'une nue d'où sortit un bélier qui les enleva l'un et l'autre dans les airs et prit le chemin de la Colchide. En traversant la mer, Hellé, effrayée du bruit des flots, tomba et se noya dans cet endroit qu'on appela depuis l'Hellespont. Phrixus étant arrivé en Colchide y sacrifia ce bélier à Jupiter, en prit la toison qui était d'or, la pendit à un arbre dans une forêt consacrée à Mars et la fit garder par un dragon qui dévorait tous ceux qui se présentaient pour l'enlever.

(
48) L'oracle de Castalie. Fontaine située sur le Parnasse et par conséquent voisine de Delphes.

(
49) Le choc presque inévitable de ces rochers. Ces rochers s'appelaient Cyanées et quelquefois aussi Symplégades. Homère ne dit pas que ces rochers eussent du mouvement ; mais un fragment d'Orphée le dit positivement: "Ai d'allélôn aporousai." Ce fut ce chantre habile qui passa pour avoir fixé les roches cyanées.

(
50) Cet oiseau qui le premier. La bergeronnette ou hochequeue, en grec iuyx ou seisoura. On s'en servait dans les enchantements dont le but était d'inspirer de l'amour.

(
51) Alors le fils du Soleil. Aétès était fils du Soleil.

(
52) De la nymphe Cyrène. Qui donna son nom à la ville de Cyrène. Elle eut pour fils Aristée, dont parle Virgile au 4e livre des Géorgiques.

(
53) La justice de Démophile. Ce Démophile avait trempé dans les séditions formées contre Arcésilas. Pindare, en finissant, sollicite sa grâce ; il sent la difficulté de son entreprise et enveloppe d'abord sa demande du voile de l'allégorie.

PYTHIQUE V

(54) Les jeux que chérit Castor. Les Cyrénéens rendaient un culte particulier à Castor et à Pollux. Castor était le dieu de l'équitation ; on lui attribuait l'invention des chars attelés de deux coursiers.

(
55) Et toi, fils d'Alexibius. Carrothus était fils d'Alexibius.

(
56) Jadis les lions s'enfuirent. Hérodote et Pausanias racontent que Battus ayant rencontré un lion monstrueux, poussa dans sa frayeur un cri qui fit fuir l'animal et rompit le filet de la langue de Battus, guérison qui lui avait été prédite par l'oracle.

(
57) Ils célébraient un sacrifice au moment. Les Héraclides, marchant sur Lacédémone, passèrent par Thèbes et y arrivèrent au moment où les Thébains célébraient un sacrifice. Ils en transportèrent les cérémonies d'abord à Sparte, puis à Théra et à Cyrène.

(
58) Tes fêtes Carnéennes. Ainsi nommées d'un certain Carnus, devin et favori d'Apollon.

(
59) Où jadis se réfugièrent les Troyens. Sous la conduite de Ménélas, qui, ayant abordé en Libye, avec Hélène, y fonda une colonie, partie de Grecs, partie de captifs troyens. (Voyez Odys., chant 3e.)

PYTHIQUE VI

(60) Dans la terre consacrée à Vénus et aux Grâces. Le poète appelle ainsi les campagnes d'Agrigente à cause de leur beauté et de leur fertilité.

(
61) La victoire de Xénocrale et la félicité des Emménides. Cette victoire ne fut pas remportée par Xénocrate, mais par Thrasybule son fils, qui fit proclamer Xénocrate. Ce dernier était frère de Théron, et tous deux étaient fils d'Emménus.

(
62) Trésor indestructible. Horace a dit par imitation : 
Exegi monumentum aere perenius, 
Regalique situ pyramidem altius,
Quod nec imber edax, aut aquilo impotens 
Possit diruere, aut innumerabilis
Annorum series, et fuga temporum. 
(Odes, liv. 3 - 30.)

(
63) Blessés par les traits de Pâris. Homère fait mention de cette blessure de l'un des chevaux de Nestor par une flèche que décocha Pâris ; mais le roi de Pylos était poursuivi par Heclor et non par Memnon, et il ne fut point alors secouru par son fils, mais par Diomède. (Iliade, chant 8.)

PYTHIQUE VII

(64) L'antique puissance des enfants d'Alcméon.  Mégaclis était de la famille des Alcméonides, descendants d'Érechtie, l'un des anciens rois d'Athènes. Ce furent les éloges que Pindare donna à Athènes, dans cette ode, qui le brouillèrent avec Thèbes, car la jalousie rendit ces deux républiques ennemies jusqu'au temps où l'éloquence de Démosthéne et les invasions de Philippe les réconcilièrent momentanément ; mais en même temps que Thèbes, par ce motif, priva Pindare du droit de cité et le condamna à une forte amende, Athènes paya l'amende et l'adopta. Il se réconcilia depuis avec sa patrie.

(
65) Ce sont eux, ô Appollon! Les Pisistratides avaient brûlé le temple de Delphes ; les Alcméonides, alors exilés, firent voeu de le rebâtir s'ils chassaient les tyrans. Ils triomphèrent et tinrent leur promesse.  

(66) Deux enfin à Cirrha. Ville de la Phocide, au pied du Parnasse ; on la prenait souvent pour Delphes elle-même.

PYTHIQUE VIII

(67) Ce Porphyrion. Géant qui tenta d'enlever les boeufs d'Hercule ; il fut foudroyé par Jupiter avec les autres Géants dans leur entreprise contre le ciel.

(
68) Ce Typhon. L'un des Géants qui tentèrent d'escalader l'Olympe.

(
69) Égine amie de la justice. Ile au sud de Salamine, dans le golfe Salonique. Pindare loue souvent Égine pour ses vertus douces et paisibles. (Voyez Olymp, 8-27).

(
70) Des antiques vertus des Éacides. Égine eut pour roi Eaque, un des juges des Enfers. Elle lui dut des lois équitables qui la font appeler par le poète Dikaiopolis.

(
71) Le fils d'Oïclée. Le devin Amphiaraüs, un des sept princes qui secoururent Polynice contre son frère.

(
72) Égialée périt. Au deuxième siège, Égialée, fils d'Adraste, roi d'Argos et de Sicyone, fut le seul chef qui périt.

(
73) La vaste cité d'Abas. Abas, 12e roi d'Argos, était fils de Lyncée et d'Hypermestre.

(
74) La statue d'Alcméon. Apparemment il y avait près de la maison de Pindare une statue ou un temple d'Alcméon. Il n'est point étonnant que Thèbes eût érigé des monuments à sa gloire, puisqu'il commandait l'expédition des Épigones, qui fut heureuse.

(
75) Dans ces fêtes que sa patrie célèbre. Tous les cinq ans on célébrait à Égine les jeux delphiens en l'honneur d'Apollon.

(
76) En l'honneur de Junon. Les jeux en l'honneur de Junon se célébrèrent d'abord à Argos ; dans la suite, les citoyens d'Égine, colonie d'Argos, les empruntèrent à la métropole.

(
77) O homme d'un jour ! etc. Ce passage est remarquable par son énergie et sa précision. Sophocle a dit après Pindare :
Orô gar êmas ouden ontas allo plên
Eidôl', osoi per zômen, ê kouphên skian.
(Ajax, 125.) 
Video enim nos nihil aliud esse quam
Simulacra, quicumque vivimus, aut levem umbram.

Et Aristophane dans les Oiseaux: "Les hommes ne sont que la fange pétrie et façonnée ; ce sont des êtres d'un jour : ils sont semblables à des songes.

(
78) O nymphe Egine! Le poète s'adresse à la nymphe tutélaire d'Égine.

PYTHIQUE IX

(79) Malgré le poids d'un énorme bouclier. Pour obtenir le prix dans cette lutte, il fallait parcourir deux fois le stade, allant et revenant avec la pesante armure des anciens.

(
80) Petit-fils de l'Océan. Hypséus, père de Cyrène, naquit de Pénée, fils de l'Océan et de Créuse, fille de la Terre.

(
81) A promener sur la toile la navette. Le texte porte : "A men outh' istôn palimbamous ephilosen odous;" littéralement : "Quae quidem non telarum reciprocas amavit vias." Plus bas, il appelle le sommeil sugkoiton glukun (concubitorem suavem). Expressions qui n'ont point de synonymes dans notre langue.

(
82) Aux soins de la Terre et des Heures. On pourrait peut-être dire avec plus de raison et des saisons, ce qui désigne les occupations d'Aristée, qui le premier, dit-on, distingua les saisons par l'inspection des astres et fendit la terre pour la féconder.

(
83) Alors qu'il revint une heure. Iolas, compagnon d'Hercule et d'un âge très avancé, voyait les enfants du héros poursuivis par l'implacable jalousie d'Eurysthée. Il demanda aux dieux une heure de son ancienne jeunesse et en profita pour tuer le persécuteur de sa famille.

(
84) La Fontaine de Dircé. Voisine de Thèbes et consacrée aux Muses.

(
85) Dans ces fêtes olympiennes. Les Olympiennes d'Athènes, qu'il ne faut pas confondre avec les Olympiques de Pise, se célébraient en l'honneur de la Terre.

(
86) Dans Irasse, ville d'Antée. Ville de Libye près du marais Tritonide. Antée, dont il est ici question, n'est pas celui qui fut étouffé par Hercule.

(
87) L'hymen de ses quarante-huit filles. Danaüs en avait cinquante ; mais le poète ne compte ici ni Hypermnestre, épouse de Lyncée, ni Amymone qui céda aux hommages d'Apollon.

(
88) Soudain Alexidamus s'élance. Télésicrate comptait Alexidamus parmi ses ancêtres.

(
89) Au milieu des Nomades. C'est-à-dire Pasteurs ; de là vint plus tard le nom de Numides, peuples si célèbres pour leur cavalerie.  

PYTHIQUE X

(90) Les enfants d'Aleuius. Famille qui dominait alors dans les villes de Thessalie.

(
91) La roche de Cirrha, c'est-à-dire le Parnasse.

(
92) Le père et le fils. Phricias et Hippoclès.

(
93) Par les Ephyriens. Les Thessaliens, habitants de la ville d'Éphyre, située en Thessalie. Corinthe portait aussi ce nom.

PYTHIQUE XI

(94) Auprès de Mélia. Nymphe fille de l'Océan.

(
95) Oracle isménien. Près de Thèbes était une colline et un temple dédié à Apollon lsménien, du nom d'Isménus, devin célèbre.

PYTHIQUE XII

(96) Méduse avait osé le disputer en beauté à Minerve elle-même.

(
97) Phorcus était père des Gorgones.

(
98) Polydecte, roi de l'île de Sériphe, craignant l'humeur entreprenante de Persée, qu'il avait élevé, ordonna dans un festin, à chaque convive, de lui apporter un don, et demanda à Persée la tête de Méduse. II la vit et fut changé en pierre.

(
99) Cette origine de la flûte fait concevoir que plus tard elle ait été proscrite dans les jeux à cause du son triste et désagréable qu'elle rendait. Elle ne fut plus employée que dans les funérailles.