HÉSIODE
OEUVRES D’HÉSIODE
TRADUITES PAR M. A. BIGNAN.
ESSAI
SUR HÉSIODE.
Son
époque
Il
y a des noms qui ont passé à la postérité avec les impérissables et
gigantesques monuments des anciens âges, dont ils offrent le résumé vivant ;
c'est en eux seuls que tous les autres se sont absorbés et comme perdus :
semblables aux débris du monde antédiluvien, ils ont survécu à tous les
cataclysmes sociaux et politiques pour servir de jalons destinés à marquer les
pas de l'humanité dans les voies successives de la civilisation. Tels sont les
trois grands noms d'Orphée, d'Homère, d'Hésiode, trinité symbolique des
trois phases que dans l'origine l'esprit grec a parcourues. Orphée, Homère, Hésiode
ont été les premiers initiateurs de la Grèce dans le culte, dans l'histoire,
dans la morale. Leur poésie, chargée d'une sorte de sacerdoce, a chanté les
dieux, célébré les héros et gravé les préceptes de la justice et de la
sagesse dans l'âme des peuples. Le scepticisme moderne a contesté ou nié leur
existence. Sans doute les hymnes revêtus du nom d'Orphée portent une date postérieure
au siècle de cet ancien chantre, puisque ce fut Onomacrite qui, sous les
Pisistratides, les composa ou du moins rajeunit entièrement leur forme. Le
nombre immense des ouvrages attribués à Homère et à Hésiode est un motif de
croire que ces deux grands hommes n'ont pu en être les seuls auteurs ; mais si
leurs contemporains et la postérité ont mis sur leur compte des travaux étrangers,
est-ce là une raison suffisante pour ne voir en eux que des êtres imaginaires
et abstraits ? Comment supposer que toute l'antiquité grecque et latine soit
tombée dans l'erreur sur la réalité de faits dont l'époque n'était pas
encore très éloignée et sur lesquels on n'avait aucun intérêt à la tromper
? D'où serait provenue l'idée d'un Orphée, d'un Homère, d'un Hésiode, si
trois poètes de ce nom n'avaient point existé ? Cette existence ne
semble-t-elle pas plutôt confirmée par la variété même des récits auxquels
leur vie a servi de texte, par l'empressement des peuples à se disputer le
privilège de leur berceau et de leur tombe, et surtout par le choix que
l'opinion commune a fait de leur personne pour leur attribuer tant d'ouvrages ?
Après tout, la question relative à la personnalité réelle ou supposée de
ces anciens poètes ne doit pas nous occuper longtemps. Qu'importent des noms ?
Leurs œuvres nous restent ; c'est là qu'il faut étudier les secrets de leur génie.
Avant d'examiner les ouvrages d'Hésiode, reportons nos regards sur les époques
antérieures, parce qu'ils nous offrent un frappant synchronisme des antiques
croyances déjà déchues et des croyances nouvelles prêtes à s'élever.
Le fleuve de la religion et de la poésie grecques se forma des nombreuses
sources qui, des hauteurs de l'Himalaya, des vallées du Nil, des rives de
l’Euphrate et du Tanaïs, se dirigèrent vers la même contrée. Mais leurs
flots, ballottés les uns contre les autres, luttèrent longtemps avant de
suivre un même cours. Les deux races japhétique et sémitique, se trouvant
face à face dans la Grèce, reprirent leurs haines, recommencèrent leurs
combats ; les sacerdoces rivaux de l'Asie et de l'Europe se persécutèrent tour
à tour, jusqu'à ce que la théologie orphique rassemblât les éléments de
ces cultes divers et les concentrât dans une seule doctrine. Alors la théocratie,
qui s'établit au berceau de tous les peuples, essaya de prendre possession du
sol de la Grèce. Quoiqu'elle n'y ait jamais régné aussi impérieusement que
dans l'Inde, dans la Perse, dans l'Égypte, chez les Hébreux ou chez les Étrusques,
cependant, à travers les épais nuages dont est chargé le ciel mythologique de
l'ancienne patrie de Linus et d'Orphée, on voit percer quelques rayons qui
laissent découvrir son vague et mystérieux fantôme. La religion primitive des
Grecs avait personnifié les astres, les vents, les métaux, les révolutions
physiques du globe, les travaux de l'agriculture, les inventions des arts ; non
contente de diviniser toutes les puissances cosmiques, surnaturelles et
intelligentes, elle avait emprunté à l'Orient l'usage d'envelopper sa doctrine
de formes énigmatiques ; ses sentences étaient brèves, synthétiques,
profondes ; pour en traduire le texte, elle les métamorphosait en figures
destinées à pénétrer dans l'esprit par l'organe de la vue ; elle revêtait
ses idées d'un corps ; elle matérialisait sa pensée ; en un mot, elle parlait
la langue du symbole. Le symbole domina jusqu'à la naissance du mythe, qui en
est le développement naturel, et de l'histoire, qui a pour interprète le récit
épique. Avant Homère, il n'y avait donc que des chantres sacerdotaux. Linos,
Olen, Orphée, Musée, Eumolpe, Thamyris, Mélampe, Abaris, Olympus, Hyagnis,
Philammon, Pamphus, ne composèrent en général que des théogonies. Ce fut
dans la Piérie, dans la Thrace et dans les contrées du nord soumises à des
castes sacerdotales que les Muses virent fleurir leur premier culte ; elles tâchèrent
d'apprivoiser les mœurs encore grossières d'une population barbare. Ces
Dactyles Idéens, ces Telchines, ces Curètes, ces Corybantes, ces Cabires de
Samothrace, ces prêtres d'Argos et de Sicyone cherchaient à introduire des
rites moins austères, moins sanglants, à importer des arts utiles, à faire éclore
les germes de la civilisation. Ce n'étaient pas la guerre et la conquête qui
amenaient dans la Grèce leurs cultes nomades ; ils y venaient à la suite de
ces nombreuses colonies qui, chassées de leurs métropoles, voulaient établir
avec un pays voisin des liaisons d'amitié, de commerce et d'industrie. La Grèce,
devenue le rendez-vous des croyances les plus opposées, toucha à la Phénicie
par Cadmus, à l'Égypte par Inachus, Cécrops et Danaüs, à la Phrygie par Pélops
; mais, au milieu de tant de points de contact, elle conserva l'empreinte des idées
théologiques et cosmogoniques qui constituèrent la base de son culte primitif.
Le polythéisme grec trouva d'une part, chez les Pélasges, de l'autre, chez les
Phéniciens, ses deux sources les plus antiques et les plus fécondes. Les arts
se développèrent avec rapidité, comme l'attestent les traditions sur le génie
de Dédale, les constructions cyclopéennes de Mycènes, de Nauplie et de
Tirynthe, le trésor de Minyas à Orchomène et les richesses consacrées à
Apollon dans Pytho, la fonte et la ciselure des métaux, l'usage de tisser la
toile et la pourpre, la fabrication des navires nécessaires à l'expédition
des Argonautes, les premiers essais de la sculpture polychrome et polylithe, de
la médecine, de l'agriculture, de l'astronomie. La barbarie, comme personnifiée
dans Procruste, dans Augias, est combattue par Thésée et par Hercule ; le
droit de la force commence à se retirer devant les principes d'ordre et de
sagesse. Le génie des lois inspire Rhadamanthe et Minos. Partout l'esprit
humain s'éveille, et s'il produit déjà d'utiles et de grandes choses, c'est
qu'il marche appuyé sur la main puissante de la religion. Les corporations
sacerdotales de Sicyone et d'Argos, les oracles de Dodone et de Pytho, la
tendance symbolique de la poésie, tout semble prouver que les prêtres alors
partageaient avec les rois la suprême autorité. Ainsi la théocratie grecque
dut exercer d'abord de l'ascendant sur de jeunes et ardentes imaginations. Á la
tête des poètes se présente Orphée, personnification de l'époque
sacerdotale de l’antique Grèce, comme Isomère est l'expression individualisée
de son âge héroïque.
Le siècle de la guerre de Troie, qui doit être pour nous identique à celui
d'Homère, nous montre le triomphe de l'élément hellénique sur le principe pélasgique.
Le frottement de l’esprit grec contre celui des pays voisins et surtout de
l’Asie Mineure a rendu les mœurs moins farouches, les usages moins barbares.
La religion, que la théocratie avait tenté de retenir dans ses pesantes chaînes,
s'en affranchit pour multiplier ses croyances, qui deviennent, non plus le
privilège exclusif de certaines castes, mais le domaine public de la nation ;
l'anthropomorphisme place les dieux au niveau de toutes les intelligences ; aux
chantres sacrés succèdent les poètes épiques, qui célèbrent les héros
plutôt que les dieux. Plus de mystères, plus de prêtres, plus de sacrifices
de victimes humaines. Les seuls pontifes, ce sont les chefs d'armée, ses
princes, les rois, qui exercent en même temps les fonctions de juges, mais dont
l'autorité est limitée par le concours des grands et du peuple. On voit
combien l’élément populaire s'est accru et combien cet accroissement est
favorable à la propagation des idées, que l'expédition de Troie sert encore
à augmenter par le mélange de tant de peuplades mises en contact les unes avec
les autres. Le temple cède la place au camp, à la cité. C'est alors que règne
complètement le génie hellénique, dont Homère est le chantre et l'Iliade
le trophée.
La guerre de Troie avait créé un commencement d'esprit d'association qui ne
tarda point à s'affaiblir. La plupart des rois trouvèrent à leur retour leurs
trônes envahis par l’usurpation ou leurs lits souillés par l’adultère. De
là une longue série de crimes et de vengeances ; de là des querelles d'homme
à homme, de famille à famille, de nation à nation. Quand la Grèce, qui avait
triomphé au dehors, se replie sur elle-même, ce sont les guerres intestines
qui servent d'aliment à son activité. Les peuples s'attaquent, s'exilent,
s'exterminent mutuellement, et ces révolutions enfantent des rivalités héréditaires,
de vives et profondes haines. Au milieu de cet ébranlement général, la royauté
et la religion éprouvent un contrecoup violent. L'insubordination des peuples
explique les tentatives des chefs pour les ramener au devoir. Alors les rois
sont bien plus oppresseurs et les juges bien plus iniques que du temps d'Homère.
Les croyances religieuses n'ont plus la même naïveté ni la même ardeur : le
culte affecte quelques-unes de ces formes bizarrement merveilleuses qu'il avait
déjà revêtues sous l'empire des idées sacerdotales. II y a dans la poésie
un retour vers les anciens dogmes théocratiques. Témoin des désordres de son
siècle, Hésiode crut peut-être les arrêter en retraçant la généalogie de
ces dieux dont il voyait s'affaiblir la puissance. Ses ouvrages durent rappeler
la pensée publique vers des sujets religieux. Mais son mérite le plus
incontestable, c'est d'avoir été poète moraliste. Á la paresse, à l'amour
de l'or et des plaisirs, à tous les vices d'une société où les croyances s'énervent,
mais où les idées s'étendent et se fortifient, il oppose la sagesse de ses
maximes. Les conseils qu'il donne à son frère s'appliquent à tous ses
contemporains. Sa muse initie l'homme au culte d'une morale plus pure ; elle flétrit
l'oisiveté comme un fléau et vante le travail comme une source inépuisable de
vertus, de richesses et de bonheur. Poète cyclique ainsi qu'Homère, Hésiode
fonde une école de chantres gnomiques, semblable à l'école de ces chantres épiques
que la Grèce salua du nom d'Homérides.
Ainsi l'époque de la première civilisation grecque se divise en trois périodes
distinctes, dont Orphée, Homère et Hésiode sont les représentants. Un examen
attentif des œuvres d'Homère et d'Hésiode atteste qu'ils ont dû naître en
deux siècles différents sous le rapport de la religion et de la politique, de
l'état social et de la poésie. Ces preuves, tirées de leurs ouvrages mêmes,
nous semblent les plus propres à détruire l'idée de leur coexistence. Un
critique célèbre, Benjamin Constant, place entre eux l'intervalle de deux siècles,
et cette conjecture offre, selon nous, plus de vraisemblance que toutes les
autres opinions, que nous nous bornerons à rappeler sommairement. Hérodote dit
qu'ils ont vécu quatre cents ans avant lui. Plutarque raconte la lutte de ces
deux poètes, qui se disputèrent la palme des vers à Chalcis. Philostrate,
Varron, Érasme, les considèrent aussi comme contemporains ; mais Philochore, Xénophane
et d'autres auteurs soutiennent qu'Homère est plus ancien. Cicéron dit que ce
poète lui semble antérieur de beaucoup de siècles. Velleius Paterculus et
Proclus croient Hésiode plus jeune, l'un de cent vingt années, l'autre de
quatre siècles. Porphyre prétend qu'il a vécu un siècle après Homère.
Solin met entre eux l'espace de cent trente ans. L.-G. Giraldi, Fabricius,
Saumaise, Leclerc, Dodwell, Wolff, assignent également à Hésiode une date
postérieure. Dans ce conflit de sentiments divers, au milieu desquels Pausanias
n'ose pas se prononcer, nous avons dû appeler la poésie au secours de la
chronologie. La lecture des ouvrages d'Hésiode donne lieu de croire que, postérieur
d'environ deux cents ans à Homère, il a vécu dans le huitième siècle avant
l'ère chrétienne.
Sa
vie
Quant
à sa vie, elle a, comme celle d'Homère, fourni matière à des récits opposés.
D'abord, était-il originaire de Cume en Éolie ou d'Ascra en Béotie ? D'un côté,
Plutarque dit, d'après Éphore, que son père, étant déjà établi dans
Ascra, y épousa Pycimède. De l'autre, Suidas prétend qu'Hésiode, encore très
jeune, fut transporté par ses parents de Cume, sa patrie, dans Ascra. Strabon,
Proclus et Tzetzès rapportent le même fait. Hérodote et Étienne de Byzance
le font naître également à Cume.
L'examen de ses poèmes nous servira à résoudre une question d'ailleurs peu
importante. Lorsqu'il raconte dans les
Travaux et les Jours (v. 835 ) que son père s'est transporté de Cume dans
Ascra pour y chercher des moyens d'existence, il n'ajoute pas y être venu avec
lui. Si cette circonstance avait eu lieu, n'en aurait-il pas fait mention ? Un
voyage maritime, surtout dans son enfance, n'aurait-i1 pas dû frapper son
imagination et rester dans sa mémoire ? II y a plus : il dit formellement dans
le même poème (v. 850 ) qu'il n'a jamais navigué qu'une seule fois, dans son
trajet d'Aulis en Eubée, où il remporta 1e prix de poésie aux funérailles du
roi Amphidamas. De ces deux passages on peut légitimement conclure qu'il naquit
dans Ascra, où son père s'était établi. Ce père dont il ne dit pas le nom
s'appelait Dius, selon beaucoup d'écrivains. Vraisemblablement il amassa
quelque fortune dans Ascra, puisque, après sa mort, ses deux fils plaidèrent
pour le partage de sa succession. Persès corrompit les juges et obtint la part
la plus considérable ; mais Hésiode devint bientôt plus riche, grâce à sa
frugalité et à son économie. Assez généreux pour soulager plusieurs fois
les besoins de son frère, il tenta encore de le ramener à la sagesse en
composant pour son instruction le poème des
Travaux et des Jours.
Hésiode
préférait à la vie corrompue des cités l’innocence et la tranquillité des
campagnes. Pasteur sur l’Hélicon, il exerçait un métier qui, dans les âges
fabuleux et héroïques, avait été le partage des dieux et des rois. C'est là
que les Muses, lui reprochant sa paresse, lui donnèrent une branche de laurier
et l'animèrent du souffle poétique. Dès lors il se voua tout entier à leur
culte : amant de la gloire, il apprit que les fils du roi Amphidamas, pour célébrer
les funérailles de leur père, avaient ouvert à Chalcis en Eubée un concours
de poésie ; il y obtint la victoire et en remporta un trépied, qu'il dédia
aux Muses de l’'Hélicon par reconnaissance ou pour se conformer à l’usage
de son siècle. Suivant Proclus, Panidès, frère d'Amphidamas, l'avait couronné
comme ayant célébré, non la guerre et le carnage, mais l'agriculture et la
paix. Diogène de Laërte (liv. 2, sect. 48) et Thomas Magister (argument des Grenouilles d'Aristophane) lui donnent pour
antagoniste un chantre nommé Cercops. Plusieurs autres écrivains prétendent
que c'était Homère lui-même dont il avait été vainqueur, mais ils ne méritent
pas de créance. Ainsi l’ouvrage intitulé le
Combat d'Homère et d'Hésiode à été sans doute fabriqué par quelque détracteur
d'Homère ou par quelque grammairien postérieur au siècle d'Adrien. Le sujet
de cet opuscule ressemble à ceux que les rhéteurs et les sophistes donnaient
à traiter à leurs élèves. D'ailleurs l’argument le plus péremptoire
contre une semblable lutte n'est-il pas le silence d'Hésiode ? S'il avait eu
Homère pour rival, ne se serait-il pas vanté de l'avoir vaincu ?
Plutarque raconte, dans le Banquet des
Sept Sages, qu’Hésiode, après sa victoire, se rendit à Delphes, soit
pour consacrer son prix à Apollon, soit pour interroger l'oracle sur son avenir
et qu'il reçut cette réponse : "Heureux
ce mortel qui visite ma demeure, cet Hésiode que chérissent les Muses
immortelles ! Sa gloire s'étendra aussi loin que les rayons de l'aurore. Mais
redoute le bois fameux de Jupiter Néméen. C'est là que le destin a marqué le
terme de ta vie."
Hésiode,
comme le raconte l'auteur du Combat,
s'éloigna du Péloponnèse, pensant que la divinité avait voulu désigner le
temple consacré dans ce pays à Jupiter Néméen. Parvenu dans Oenôè, ville
de la Locride, il s'établit chez Amphiphane et Ganyctor, fils de Phégée, ne
comprenant pas le sens de la prédiction, car tout ce lieu s'appelait le lieu
consacré à Jupiter Néméen. Comme il séjourna longtemps chez les Oeniens, de
jeunes hommes, le soupçonnant d'avoir violé leur sœur, le tuèrent et le précipitèrent
dans la mer, entre l'Eubée et la Locride. Le troisième jour son corps fut
rapporté par des dauphins tandis qu'on célébrait une fête en l'honneur
d'Ariane. Tous les habitants, accourus sur le rivage, reconnurent le cadavre et
l'ensevelirent avec pompe. On poursuivit les assassins, qui s'élancèrent dans
une barque de pêcheurs et naviguèrent vers la Crète ; mais au milieu de la
traversée, Jupiter les foudroya et les précipita dans les flots. Suivant
Pausanias (Béotie, ch. 31), ces
jeunes hommes, qui étaient les fils de Ganyctor, Ctiménus et Antiphus,
s'enfuirent de Naupacte à Molycrium, à cause du meurtre d'Hésiode, et là,
ayant commis quelque impiété envers Neptune, ils subirent le châtiment mérité.
Pausanias dit que tout le monde est d'accord sur ces faits, mais qu'il n'en est
pas de même au sujet d'Hésiode ; que, selon les uns, il fut accusé à tort
d'avoir fait violence à la sœur de ces jeunes gens et que, d'après les
autres, il était réellement coupable. Plutarque, dans
le Banquet de Dioclés, explique ainsi la cause de sa mort : Hésiode, avec
Milésius et un enfant nommé Troïle, fut reçu chez un hôte dont Milésius
viola la fille pendant la nuit ; les frères de la jeune fille, croyant Hésiode
coupable, le tuèrent dans une prairie avec Troïle et le jetèrent dans la mer,
en laissant le corps de l’enfant sur le rivage ; des dauphins ayant rapporté
le cadavre d'Hésiode au moment où l'on célébrait la fête de Neptune, les
habitants du pays démolirent la maison de ses meurtriers et les noyèrent eux-mêmes.
Pausanias rapporte (Béotie, ch. 38)
que de son temps on voyait à Orchomène le tombeau d'Hésiode, et il raconte
pour quel motif les habitants de cette ville l'y avaient érigé : une maladie
contagieuse faisant périr les hommes et les animaux, on envoya des députés
pour consulter le dieu. On assure que la Pythie leur répondit qu'il fallait
transporter les os d'Hésiode de la Naupactie dans l'Orchoménie et qu'il n'y
avait pas d'autre remède au fléau. Les envoyés, ayant demandé ensuite dans
quel lieu de la Naupactie ils trouveraient ces ossements, la Pythie leur annonça
qu'une corneille le leur indiquerait. Lorsqu'ils eurent débarqué dans le pays
de Naupacte, ils aperçurent à peu de distance de la route un rocher où était
perchée une corneille, et ils découvrirent les os d'Hésiode dans le creux de
ce rocher. On grava sur le tombeau l'épitaphe suivante :
"Ascra, riche en moissons, fut la
patrie d'Hésiode ; mais la terre des Minyens, dompteurs de chevaux, possède
les os de ce poète dont la gloire a été si éclatante dans la Grèce parmi
les hommes qui jugent d'après les lois de la sagesse."
Quels qu'aient été le motif et le genre de la mort d'Hésiode, la
tradition veut qu'il soit parvenu jusqu'à un âge très avancé. De là le
proverbe d'une vieillesse hésiodéenne et ce distique attribué à Pindare par
Tzetzès (Prolégomènes ad Erga).
"Salut, mortel qui es entré deux
fois dans l’adolescence et qui as eu deux fois un tombeau : Hésiode ! toi qui
as atteint le dernier degré de la sagesse humaine."
Hésiode laissa un fils dont il parle (les
Travaux et les Jours, v. 315), mais sans le nommer et sans dire quelle fut
sa mère. Quelques auteurs prétendent que cette jeune fille, appelée Clymène
ou Clémène, qu'il fut soupçonné d'avoir violée, avait été son épouse légitime
et lui avait donné un fils nommé Mnaséas, Stésichore ou Archiépès.
Tout ce qu'on a débité sur la vie et la mort d'Hésiode semble porter le
caractère de la fable plutôt que de l’histoire ; les seuls faits
authentiques sont les événements consignés dans ses poèmes, tels que sa
condition de pâtre sur l'Hélicon, sa victoire à Chalcis, son procès avec son
frère et la naissance de son fils. Quant à son caractère, il s'est peint
lui-même dans ses ouvrages ; ami d'une existence sédentaire, observateur de la
tempérance et de la justice, religieux jusqu'à la superstition, il
n'ambitionna point la faveur des rois et borna son ambition à se rendre utile
à ses concitoyens, à qui il prêchait la morale en beaux vers. Sa mémoire
obtint les faveurs qui l’avaient fui pendant sa vie. L'admiration publique lui
fit ériger, suivant Pausanias, des statues à Thespie, à Olympie, sur l'Hélicon.
Chantées par la bouche des rhapsodes et transmises des pères aux enfants par
la tradition orale, ses poésies furent rassemblées à la même époque que l'Iliade
et l'Odyssée. Rien ne manqua à la
renommée du poète, puisqu'il eut même la gloire d'irriter l'envie. Hésiode,
dit-on, eut son Cercops, comme Homère son Zoïle.
Ses
oeuvres
La
Théogonie
Après
avoir jeté un coup d'oeil sur le siècle et la vie d'Hésiode, nous examinerons
ses oeuvres avec plus de détails. Quel a été son premier ouvrage ? Plusieurs
critiques prétendent que c'est celui des Travaux
et des Jours, parce que Pausanias dit (Béotie,
ch. 31) avoir vu sur l'Hélicon, auprès de la fontaine, des lames de plomb très
altérées par le temps et sur lesquelles ce poème était inscrit. La nature de
son sujet leur semble encore un puissant motif de croire à son antériorité.
On peut leur répondre premièrement que l'existence du poème des Travaux
et des Jours, tracé sur des lames de plomb, ne saurait indiquer la date de
sa composition, attendu que, composé sans le secours de l'écriture, il n'a eu
besoin que plus tard de chercher en elle un appui plus durable que les chants
des rhapsodes et la mémoire des peuples ; en second lieu, qu'il doit se
rattacher à une époque où la civilisation avait altéré déjà la foi naïve
et les mœurs simples des premiers âges, puisqu'il nous montre presque partout
l'équité aux prises avec l'intérêt, la paresse en opposition avec la nécessité
du travail, des pratiques de religion minutieuses et puériles succédant à
l'ardeur et à la sainteté des vieilles croyances, une poésie qui cherche à
moraliser et à convaincre au lieu de raconter et d'émouvoir. Toutefois nous
sommes loin de prétendre qu'il soit postérieur à la Théogonie.
Autant qu'il est permis de le conjecturer dans une question d'une si haute
antiquité, ces deux poèmes nous semblent contemporains.
L'authenticité de la Théogonie a été
révoquée en doute, et le scepticisme à cet égard s'est appuyé du récit de
Pausanias, qui rapporte (Béotie, ch.
31) que les Béotiens, voisins de l'Hélicon, assuraient qu'Hésiode n'avait
composé d'autre poème que celui des
Travaux et des Jours. Mais on ne doit pas oublier que Pausanias parle d'une
autre opinion qui lui attribuait un grand nombre d'ouvrages, parmi lesquels se
trouve la Théogonie. D'ailleurs, si
nous ajoutons foi au témoignage d'Hérodote, de Platon, d'Aristote, d'Ératosthène,
d'Acusilaüs, de Pythagore, de Démosthène de Thrace, d'Agatharchide de Cnide,
de Manilius, de Xénophane de Colophon, de Zénon le stoïcien, de Chrysippe, du
grammairien Aristonicus, de Zénodote et d'autres savants de l'école
alexandrine, nous sommes en droit de regarder la Théogonie
comme l'œuvre légitime du chantre béotien. Devons-nous pour cela penser
qu'elle ait franchi un intervalle de plus de deux mille six cents ans sans
additions, sans pertes, sans changements ? Non : il en est d'Hésiode comme
d'Homère : les rhapsodes ont mis la main dans ses oeuvres. La Théogonie,
qui n'a pas plus été écrite que l'Iliade,
quoiqu'elle lui soit postérieure, présente encore plus d'empreintes d'un
travail étranger. En considérant l'ensemble et les détails du poème, la série
de ces fables, souvent décousues ou maladroitement liées, la manière diverse
et inégale d'exagérer les faits ; là d'oiseuses répétitions, ici des
lacunes ou des contradictions frappantes, on ne peut s'empêcher de convenir que
nous ne possédons qu'un monument incomplet, qu'un poème conforme sans doute
pour le fond, mais dissemblable en beaucoup de parties à celui qui est sorti
pour la première fois de la bouche inspirée du poète. Un sujet si religieux,
si populaire, célébré par tant de chantres, semblait provoquer naturellement
l'insertion de ces nombreux fragments qui l'ont amplifié. La plus grande partie
des interpolations remonte probablement à une époque très ancienne. Depuis
les rhapsodes, qui chantaient la Théogonie
de ville en ville, jusqu'aux critiques de l'école d'Alexandrie, comme Cratès,
Aristarque, Zénodote et d'autres, qui s'occupèrent de la révision de son
texte, combien d'altérations successives n'a-t-elle pas dû éprouver !
Examinons la toutefois telle qu'elle nous est parvenue.
D'abord on ne saurait douter que la Théogonie
n'ait été précédée de plusieurs ouvrages de la même nature, bien que, pour
montrer dans Homère et dans Hésiode les fondateurs de la mythologie grecque,
on ait souvent cité ce passage d'Hérodote (liv. 2, c. 53) : "D'où chacun
des dieux est-il venu ? Tous ont-ils existé de tout temps ? Quelles étaient
leurs formes diverses ? Les Grecs ne le savent que depuis hier, pour ainsi dire,
car je ne crois pas qu'Hésiode et Homère aient vécu plus de quatre cents ans
avant moi. Ce sont eux qui ont été les auteurs de la théogonie des Grecs, qui
ont donné des surnoms aux dieux, partagé entre eux les honneurs et les
inventions des arts et décrit leurs figures." Hérodote, sans doute a
voulu dire qu'Homère et Hésiode furent au nombre des premiers poètes qui
chantèrent la religion grecque et dont les oeuvres leur survécurent : il
n'ignorait pas que cette religion existait bien longtemps avant eux. Homère et
Hésiode ont pu greffer quelques rameaux sur l'arbre des anciens dogmes ; mais,
quel que fût l'ascendant de leur génie, ils n'ont pu implanter brusquement sur
le sol de la Grèce une mythologie toute nouvelle. Hésiode n'a donc point
inventé de théogonie ; sa voix n'a été que l'écho des croyances populaires.
Avant lui la poésie grecque avait enveloppé de ses formes sévères des pensées
mystiques, comme les oracles, ou liturgiques, comme les lois des initiations et
des purifications. L'école orphique est la source où il parait avoir puisé le
plus abondamment : plusieurs chantres de cette école et d'autres encore ont pu
lui servir de modèles. Pausanias rapporte (Béotie,
c. 27) que Olen de Lycie composa pour les Grecs les plus anciens hymnes connus
et qu'il inventa les vers hexamètres (Phocide,
c. 5 ). Pamphus, suivant Philostrate (in
Heroicis), célébra le premier les Grâces et consacra un hymne à Jupiter.
Musée, d'après Diogène de Laërte, fut l'auteur d'une Théogonie, quoique Pausanias (Attique,
ch. 22 ) ne reconnaisse comme son seul ouvrage légitime qu'un hymne pour les
Lycomèdes en l'honneur de Cérès, dont Homère et Hésiode, selon Clément
d'Alexandrie (Stromates,
liv. 6), ont imité quelques passages. Mélampe passe pour avoir expliqué en
vers les mystères de Bacchus. Les combats des dieux contre les Titans servirent
aussi de sujets à beaucoup de poèmes, parce qu'ils offraient la
personnification de la lutte des éléments. En effet, la première période de
la poésie grecque est toute mythique : elle présente, non les simples jeux de
l'imagination, mais le caractère solennel et grave du symbolisme. C'est sur la
base des généalogies que repose l'édifice de la mythologie païenne. Les
objets extérieurs et leurs principes furent personnifiés de telle sorte que
l'on regardait comme engendrée d'une autre chose celle qui renfermait en elle-même
le germe de son existence. Ce premier genre de génération comprit les
cosmogonies et les théogonies établies par les physiciens sur le combat des éléments,
sur l'organisation du ciel et de la terre, sur la puissance des forces
productives et destructives de la nature. Le second embrassa dans la suite les héros
fondateurs d'un peuple et d'une ville ou célèbres par leurs exploits et par
leurs bienfaits envers l'humanité : on fit remonter leur origine jusqu'à
l'antiquité la plus haute, soit qu'on suivît la route des vieilles traditions,
soit qu'on appliquât l'ancien langage au récit des fables et qu'on se servît
pour de nouveaux mythes de ces mêmes dieux inventés dans les époques
cosmogoniques, où l'esprit, fortement frappé des objets exposés à la vue,
cherchait à produire au dehors, comme des faits, ses impressions et ses pensées.
Ainsi donc les premiers poètes de la Grèce convertirent le vieux langage des
symboles en récits mythiques qui devinrent le développement détaillé d'un
sens abstrait et profond. Hésiode nous présente de nombreuses imitations des
dogmes de ces poètes. Comme il ne vint que longtemps après eux, il mêla aux
symboles changés en mythes les mythes changés en histoires. Toutefois au
milieu de ce mélange on reconnaît encore le type primitif. Mais ces allégories
dont s'enveloppe sa muse, il n'en pénétrait pas probablement le sens occulte ;
il les rapportait comme des traditions populaires, sans se douter qu'elles se
rattachaient en partie à cette première religion révélée à l'homme dans le
berceau de l’univers. On remarque plusieurs similitudes entre ses poésies et
les saintes Écritures. Hésiode est généalogiste à la manière de Moïse, et
la Théogonie est, à quelques égards,
la Genèse du paganisme. Mais comme
les points de contact des religions grecque et hébraïque n'ont pas été
directs, il est difficile de les déterminer d'une manière précise, parce que
ces emprunts se sont antérieurement combinés, modifiés ou altérés avec les
divers cultes de l'Égypte, de la Phénicie et des autres contrées. Toutefois
le début des cosmogonies hébraïque, phénicienne et grecque offre des traits
de ressemblance qu'on ne saurait méconnaître.
Moïse dit, au commencement de la Genèse :
"La
terre était informe et nue ; les ténèbres couvraient la face de l'abîme et
le souffle de Dieu planait sur les eaux."
Sanchoniathon
admet pour principe du monde le souffle d'un air ténébreux, un chaos confus et
le désir qui excite tous les êtres à leur reproduction.
Hésiode nous montre, avant tout, le Chaos, puis la Terre, ensuite le Tartare,
enfin l'Amour, lien harmonique de tous tes éléments, source de toute création.
L'empreinte originelle et identique des deux idées, d'abord de la confusion des
éléments, puis de leur coordination, ne se manifeste-t-elle pas dans ces trois
fragments ? Plusieurs orientalistes ont établi d'autres rapports entre les récits
de Moïse, de Sanchoniathon et d'Hésiode. Ainsi ils ont considéré Abraham,
auteur de la circoncision, comme le type du Cronos des Phéniciens et de celui
des Grecs, qui privent Uranus, leur père, de ses parties génitales. Les détails
avec lesquels Sanchoniathon raconte la mutilation d'Uranus par Cronos sont évidemment
la source où Hésiode a puisé toute sa narration. L'origine de ces mythes
bizarres provient des idées symboliques qu'on attachait au lingam et au phallus
dans l’Inde et dans l'Égypte.
D'après Fourmont (Réflexions sur
l'origine, l'histoire et la succession des anciens peuples, liv. 2, c. 5),
le livre d'Hénok, l’historien de la Phénicie et le poète d'Ascra
s'accordent à peu près pour les trois races que rapportent les traditions des
âges primitifs.
Nous pourrions signaler d'autres traits de similitude plus éloignés et plus
confus ; mais nous aimons mieux nous borner à constater quelques rapports plus
frappants entre la religion phénicienne et la Théogonie d'Hésiode. Dans le fragment de Sanchoniathon que nous a
conservé Eusèbe, ne découvrons-nous pas une identité remarquable entre
l’invention du feu par Phos, Pyr et Phlox et la découverte de cet élément
par Prométhée, entre ces hommes doués d'une force et d'une taille
prodigieuses qui donnèrent leurs noms aux montagnes dont ils s'emparèrent et
les trois géants Cottus, Briarée et Gygès, entre ces Bétyles, ou pierres
animées qu'inventa Uranus et la pierre emmaillotée que la Terre fit avaler à
Saturne ? Dans les deux Théogonies,
Uranus et Gué, quoique frère et sœur, ne s'épousent-ils pas et n'ont-ils pas
Cronos pour fils ? L'Hermès, la Vénus et le Vulcain de la Grèce ne
rappellent-ils pas le Taaut, l'Astarté et le Sydic de la Phénicie ? La famille
de Nérée et de Doris, la race de Phorcys et de Célo ne portent-elles pas
l'empreinte d'une origine phénicienne ? Les noms de Pontus, de Nérée, de
Poseidon, de Notus et de Borée ne se rencontrent-ils pas également chez
Sanchoniathon et chez Hésiode ? Enfin la conformité de plusieurs autres noms,
les divers points d'analogie de l'un et l'autre idiome, la fréquence des
relations que des liens de commerce ou de mariage avaient redoublées entre les
deux peuples, tout ne prouve-t-il pas que l'empreinte de ces dogmes phéniciens,
importés par les premières colonies, est plus manifeste dans les poèmes d'Hésiode
que dans ceux de tous ses devanciers ?
Si nous cherchons maintenant les traces de la religion égyptienne dans la Théogonie,
ce Typhoë, qu'Hésiode décrit sous l'image d'un monstre combattu par Jupiter,
nous semblera une copie du Typhon d'Égypte, dieu malfaisant. II y a dans cette
lutte une allusion au dualisme des principes du bien et du mal, représentés
dans l'Égypte par Osiris et Typhon.
Cette Hécate, qu'Hésiode le premier transporta dans le polythéisme grec,
n'est autre, suivant Jabionski (Panthéon
égyptien), que la Titrambo égyptienne.
Latone est assimilée par Hérodote (liv. 2, c. 156) à l'Égyptienne Buto, qui
représente l'air ténébreux dont la région sublunaire est remplie. Le même
historien compare Apollon à Orus, Cérès à Isis, Artémis à Bubastis.
La nuit primitive, Aides ou Pluton, Athéné
ou Minerve, Héphaïstos ou Vulcain, nous reportent à l'Athor, à l'Amanthès, à
la Neilha, au Phtas de l'Égypte.
Enfin, les formes grandioses et monstrueuses attribuées aux premiers simulacres
de la Grèce, certaines idées sur la génération des êtres, sur les qualités
des éléments, sur le dogme encore confus de l’immortalité de l'âme,
attestent les nombreux emprunts que les chantres sacrés de la Grèce firent aux
prêtres de Memphis. N'oublions pas qu'Hérodote (liv. 2, c. 81) considérait
comme identiques les qualifications d'orphique
et d'égyptien.
L'Inde
nous fournira aussi plusieurs lumières dont les croyances du polythéisme d'Hésiode
n'ont été que le reflet.
Les Pouranas traitent, ainsi que la Théogonie,
de la création du monde et de la généalogie des dieux.
Minerve est enfantée par la tête de Jupiter, comme les Brames sont issus de
celle de Brama.
Jupiter, renfermant Métis dans ses entrailles, rappelle le dieu suprême de
l'Inde, qui tire de son propre sein Mana, ou l'Intelligence.
Vishnu et les géants luttent pour la possession de l'amrita, breuvage d'immortalité, comme Jupiter et les Titans pour
l'empire de l'Olympe.
Les centimanes d'Hésiode ont pu avoir été modelés d'après ce Krishna, qui
possède une si grande quantité de bras, d'yeux et de bouches.
Saturne engloutit ses enfants comme Haranguer Behah : les deux cultes consacrent
le symbole universel de la créature détruite par son propre créateur.
Nous pourrions signaler encore d'autres généalogies mythiques tirées des
religions antérieures au polythéisme grec. Ainsi les Grecs ont peut-être reçu
leur Ilythyia du pays des Hyperboréens et leur Neptune de la Libye. C'est peut-être
de 1a Scythie que Vesta leur est venue. On dirait qu'il existe des rapports
entre les Izeds qu'Ormuzd créa pour faire le bien et les génies tutélaires
dont parle Hésiode ; entre Persée et Mithras ; entre Hercule et le Roustan de
l'épopée persane ; entre l'Olympe de la Grèce et l'Albordj de la Perse, qui
rappellent tous deux le mont Mérou de l'Inde. Toute la race du Soleil et de la
Lune contient une foule de dénominations orientales et les souvenirs d'un culte
astronomique.
Ainsi s'éleva le polythéisme de la Grèce, vaste panthéon où chaque nation
appliqua son ciment, mais qui, malgré tant de couches successives, dut au génie
hellénique la majesté, l'harmonie et la grandeur de son ensemble. L'époque où
le polythéisme acquit le plus d'indépendance et de popularité fut l’époque
homérique. La période antérieure est celle vers laquelle remonte Hésiode.
Ces merveilleuses et gigantesques créations des premiers âges, telles que les
Cyclopes, les Centimanes, les Harpies, les Gorgones, Typhoë, la Chimère, Échidna
occupent chez lui plus de place que chez Homère. La Théogonie contient des allusions, soit aux guerres et aux actions
des anciens héros, soit aux conflagrations, aux déluges, aux catastrophes
locales ou universelles qui avaient ravagé le globe, soit aux luttes de
quelques sacerdoces ennemis, soit enfin au sabéisme et aux dogmes symboliques répandus
dans la Grèce primitive. De là un antagonisme de l'ancien et du nouvel élément
religieux ; de là une œuvre complexe où, à travers le coloris de la forme
grecque, on voit souvent percer le fond des doctrines orientales ; de là une
mosaïque composée des débris de la théologie d'Orphée et de
l'anthropomorphisme d'Homère, mais où l'on remarque déjà quelques-uns de ces
premiers matériaux qui servirent dans la suite à la construction du nouveau
temple érigé par Pythagore et par Socrate. Quoique le culte chez Hésiode
n'ait point dépouillé encore la grossièreté de ses anciennes formes, sa
morale commence à s'améliorer. Les dieux mettent plus de soin à juger les
actions humaines, à récompenser la vertu, à punir le crime. L'Olympe
mythologique, à mesure qu'il s'éloigne de la terre, s'élève vers une région
plus brillante et plus pure.
L'examen du système ou, pour mieux dire, des divers systèmes que renferme la Théogonie,
a donné lieu à une foule d'explications contradictoires. Les uns, à l'instar
des savants de l'école d'Alexandrie, n'y ont vu qu'une série continuelle de
symboles et d'allégories ; les autres, adoptant les idées d'Évhémère et de
Diodore de Sicile, n'ont regardé les dieux que comme de simples mortels divinisés
à cause de leurs services envers l'humanité ; c'est avec la clé de l'histoire
qu'ils ont cru ouvrir le sanctuaire de toutes les énigmes de la fable. Nous ne
nions pas que l'histoire ne soit quelquefois entrée comme élément important,
dans le polythéisme d'Hésiode ; mais nous pensons que c'est dans le symbole et
dans le mythe qu'il faut en chercher la base fondamentale. Ces symboles, ces
mythes s'étaient développés, quelquefois altérés ou perdus avec le temps ;
leur type primitif avait dû nécessairement s'effacer lorsqu'il se revêtit des
formes humaines de l'épopée homérique. Aussi Hésiode, en cherchant à
renouer une chaîne interrompue, ne pouvait-il expliquer le sens occulte des
faits divins dont il ramassait les débris épars dans la mémoire des hommes.
Nous ne saurions donc obtenir la solution complète de tant de problèmes.
Toutefois, d'après l'idée que nous pouvons concevoir de la nature de
quelques-uns, nous sentons que dans tous devait dominer une pensée grave,
mystique, révélée, contemporaine peut-être des premiers jours de la création.
Un motif qui a induit en erreur les partisans exclusifs du système historique,
c'est qu'Hésiode, postérieur au siècle épique, confond par un anachronisme
involontaire les traditions des temps héroïques avec les dogmes plus anciens
de l'époque purement religieuse. Les croyances de toute date se pressent confusément
dans son poème, quoiqu'il ait tenté de réunir en un corps homogène de
doctrines tant d'allégories mythiques, cosmogoniques ou morales. La seule idée
dominante qui plane sur toute la Théogonie,
c'est l'idée des trois règnes ou plutôt des trois cultes d'Uranus, de
Saturne, de Jupiter. Le culte de Jupiter admet surtout des développements et
des changements considérables : tout ce qui le précède est bizarre, mystérieux,
désordonné, parce qu'il y a encore lutte entre les dieux qui représentent les
forces aveugles de la nature ; tout ce qui vient après porte le caractère de
la régularité, de la sagesse et de la beauté. Lorsque Jupiter, vainqueur des
Titans, a obtenu l'empire des dieux et des hommes ou, en d'autres termes,
lorsque le principe de l'intelligence a triomphé de celui du désordre, nous
voyons naître non plus des géants et des monstres, mais des êtres doués de
proportions naturelles, revêtus de formes élégantes ; alors s'établit une hiérarchie
durable dans les honneurs et les emplois de chaque divinité. Le poète, dans l'énumération
de ces trois dynasties célestes et des nombreuses généalogies qui s'y
rattachent, entrelace au tissu principal de sa narration beaucoup de fils
accessoires. En accumulant tous ces détails, il semble reproduire dans la
composition de son œuvre une image de ce polythéisme qui n'était parvenu
jusqu'à lui qu'après avoir traversé tant de siècles, de pays et de
croyances. Placée dans une de ces époques de transition où la société en
travail enfante douloureusement un nouvel ordre de choses, au milieu des
monarchies qui s'écroulent de toutes parts et des républiques qui commencent
à s'élever, sa muse semble une prophétesse qui embrasse à la fois le passé
et l'avenir de la religion grecque.
les
Travaux et les Jours
Hésiode,
dans la Théogonie, a passé en revue
cette foule de dieux qui composaient le polythéisme. C'est jusqu'au chaos qu'il
a fait remonter les innombrables anneaux de la chaîne de cette généalogie céleste,
et sa lyre a peuplé la terre et le ciel, les enfers et la mer des divinités créées
par l'imagination ou admises par la crédulité d'une nation enthousiaste.
Descendu des hauteurs sacrées, il jette, dans les Travaux et les Jours, ses regards sur la famille humaine ; alors il
ne raconte plus, il conseille ; le mythologue devient moraliste. En adressant à
son frère Persès des maximes de sagesse et de vertu, d'économie domestique et
rurale, il cherche à exciter chez tous ses contemporains le goût du travail.
En effet, eu quittant la vie guerrière pour la vie agricole et civile, les
peuples ont dû substituer l'empire du travail, l'amour de la propriété à
l'abus de la force, aux rapines de la conquête. Le poème des Travaux et des Jours nous montre l'introduction des deux éléments
nouveaux du travail et de l'ordre. Quoique renfermé dans un cercle moins large
que celui de la Théogonie, il gagne
en utilité ce qu'il semble perdre en grandeur et en élévation. Mais le poète
n'a dans sa marche rien de fixe ni de gradué : après avoir invoqué les Muses
il s'adresse à Persès ; puis il raconte la fable de Pandore, décrit les cinq
âges du monde, cite un apologue, donne des conseils tantôt à son frère, tantôt
aux souverains, trace des préceptes pour l'agriculture, pour la navigation et
finit par recommander des pratiques superstitieuses soit pour l'exécution des
travaux champêtres, soit pour l'observation des jours propices et funestes.
Les Travaux et les Jours présentent
donc une nomenclature de préceptes qui aurait pu se prolonger encore davantage
; il est probable que ce poème ne nous est point parvenu dans sa totalité. La
plantation des arbres, par exemple, ne devait-elle point faire partie d'un code
poétique d'agriculture ? Heinsius (Introductio
in Opera et Dies ) observe qu'Hésiode devait avoir compris dans son poème
les préceptes relatifs à ce genre de travail.
Pline se plaint de ce que l'on commençait à ignorer de son temps la plupart
des noms d'arbres mentionnés par Hésiode, On voit en outre par un fragment de
Manilius (Astronomiques, c.2) qu'Hésiode
avait dû enseigner l'art de planter les arbres, indiquer la qualité des
terrains propres à la culture du blé et de la vigne, et même parler des bois
et des fontaines. Ces diverses parties de son ouvrage n'ont point été conservées
; il peut en avoir été de même de beaucoup d'autres.
Tout mutilé qu'il est, ce poème ne laisse pas d'être aussi utile à étudier
que la Théogonie. Indépendamment du
luxe de poésie dont il est orné en certains passages, il fournit de précieux
matériaux pour reconstruire le siècle d'Hésiode : s'il nous atteste les progrès
des sciences et des arts, il nous initie au secret de cette corruption de mœurs
qui dégénérait en tyrannie chez les rois, en vénalité chez les juges, en
avarice, en jalousies, en haines, en paresse chez presque tous les citoyens.
Mais en même temps que les justes plaintes d'Hésiode annoncent un état rongé
de vices nombreux, une société différente de celle que nous représente Homère,
le poète remonte, sous le rapport de la religion, à une époque bien antérieure,
puisqu'il constate cette croyance des premiers siècles du polythéisme que les
dieux et les hommes étaient issus d'une commune origine. Hésiode, ici comme
dans la Théogonie, est toujours le
chantre de deux époques. S'il cherche à corriger ses contemporains, c'est en
évoquant d'anciens souvenirs, c'est en prononçant des commandements et des
interdictions qui ressemblent aux dogmes des religions sacerdotales, c'est en
revêtant sa muse de cette forme sentencieuse qu'affectait la poésie symbolique
des temps primitifs. La formule des anciens oracles a contribué également à
resserrer cette poésie dans les limites d'une expression brève et synthétique
dont elle ne se dégagea entièrement qu'à l'apparition de l'épopée.
L'histoire nous a conservé le souvenir de plusieurs poèmes didactiques qui
datent de cette première période. Pausanias (Béotie,
t. 31) cite les Préceptes de Chiron pour
l'éducation d'Achille, et Plutarque (Vie
de Thésée) les sentences morales du vieux Pitthée. Clément d'Alexandrie
rapporte (Stromates, liv.1, p. 2361) un vers d'un poème intitulé la Titanomachie,
d'après lequel le centaure Chiron avait enseigné aux hommes la
religion du serment, les sacrifices et les formes de l'Olympe. Suivant Diogène
de Laërte, Musée chanta le premier la théogonie et la sphère. Orphée,
dit-on, composa un poème des Travaux et
des Jours. Tzetzès prétend qu'Hésiode avait fait quelques emprunts à Mélampe.
Telles sont les sources où Hésiode a puisé peut-être l'idée principale et
les détails de son ouvrage. Mais comme le temps n'a point respecté les poèmes
antérieurs au sien, nous pouvons placer les Travaux et les Jours à la tête de toutes les oeuvres didactiques
et gnomiques de l'antiquité grecque. Hésiode ouvrit la carrière où marchèrent
Solon, Simonide, Phocylide, Théognis, Pythagore, Mimnerme, Panyasis, Rhianus,
Événus, Ératosthène, Naumachius, Oppien, Nicandre et Aratus.
Son poème est donc pour nous le premier qui consacre l'union féconde de la poésie
avec la morale et la science ; il ne peut avoir été composé que dans un temps
où l'épopée en décadence fut remplacée par des ouvrages qui renfermèrent
non plus le récit des anciens exploits, mais d'utiles préceptes applicables à
la religion et à la vie champêtre ou domestique. Les Travaux et les Jours, chantés par fragments comme la Théogonie,
exercèrent sans nul doute une salutaire influence : la sagesse de leurs préceptes
dut ramener les peuples de l'existence oisive de la place publique aux
occupations honnêtes et profitables de l'agriculture et de l'industrie, à des
idées de morale, d'ordre et de justice. La plupart de ces maximes devinrent
proverbiales, grâce à la mesure du vers, qui rend plus durable la forme de la
pensée. Le patriarche Photius rapporte, d'après un ancien auteur, que ce poème
était si cher à Séleucus Nicator qu'après sa mort il fut trouvé sous son
chevet. Ainsi Alexandre dormait sur la cassette d'or qui renfermait le chef-d'œuvre
du prince de l'épopée.
Le
Bouclier d'Hercule
Si
la critique a signalé plusieurs lacunes dans la Théogonie
et dans les Travaux et les Jours, le Bouclier
d'Hercule est encore bien moins complet, puisqu'il n'offre qu'un fragment
qui a dû appartenir à deux ouvrages différents. Les cinquante-six premiers
vers, qui parlent de l'amour de Jupiter et d'Alcmène, du retour d'Amphitryon et
de la naissance d'Hercule se rattachent probablement au poème intitulé Mégalai
Êoiai, dans lequel Hésiode chantait les femmes les plus célèbres de la
Grèce, tandis que la description du combat de Cycnus et d'Hercule, et du
bouclier de ce dernier héros, a pu avoir été détachée d'un autre ouvrage
intitulé Généalogiai èrôicai
ou Eröogonia, que le poète avait consacré à la louange des héros
les plus fameux. Cette dernière partie présente une plus forte empreinte de la
couleur homérique que le commencement. Nous ne serions pas éloigné de croire
qu'elle a été l'œuvre de quelque rhapsode. Le bouclier d'Achille dans l'Iliade
a pu servir de type à celui de cet Hercule dont la gloire n'était pas moins répandue
que la gloire du vainqueur d'Hector. C'est dans les jeux célébrés aux
environs de Thèbes qu'on aura eu l'idée de chanter l’Hercule thébain. Ainsi
le morceau des Mégalai Êoiai qui
concerne la naissance de ce héros aura été rattaché à la description de son
bouclier et de son combat avec Cycnus. L'école alexandrine assignait à la
composition du Bouclier d'Hercule une
date très ancienne. Parmi les critiques modernes, Scaliger la fait remonter
jusqu'au siècle de Solon et de Tyrtée.
Quant au poème des Megalai Eoiai que
le temps ne nous a point conservé, Pausanias rapporte (Béotie, c. 31) que certains peuples le regardaient comme étant d'Hésiode
; il est attribué à ce même poète par Athénée et par les scholiasles
d'Apollonius de Rhodes, de Pindare et de Sophocle. Dans l'origine, ce poème dépendait
peut-être de la Théogonie, dont les
deux derniers vers semblent propres à faire naître une telle conjecture. Ce
n'est que plus tard qu'on l'en aura séparé, pour lui donner un titre spécial.
Hésiode y célébrait les héroïnes les plus illustres, en les proposant pour
modèles aux femmes de son siècle ou en les comparant toujours les unes avec
les autres. Or, chaque comparaison commençant par celte formule ë
oié ou telle que, c'est de là qu'est venu le titre général de Eoiai
: on sait qu'autrefois les premiers mots des ouvrages de poésie servaient
souvent à les faire désigner. Quant à l'épithète de Mégalai,
quelques savants pensent qu'elle est provenue du grand nombre de vers que ce poème
renfermait ; l'importance des héroïnes qui étaient célébrées a pu aussi
lui donner naissance. Quoi qu'il en soit, ce titre n'a pas été inventé par
les grammairiens ; s'il ne remonte pas jusqu'au premier auteur du poème, il a dû
au moins être imaginé dans ces temps où la multiplication des poésies de
tout genre exigeait qu'on distinguât chacune par une dénomination particulière.
Le témoignage de Pausanias démontre que le poème d'Hésiode était connu très
anciennement chez les Grecs sous le nom de Megalai
Eoiai.
Il y a donc lieu de penser que le commencement du Bouclier d'Hercule n'est qu'un lambeau de ce grand ouvrage qu'Hésiode
avait consacré à la gloire des femmes de l'antiquité, mais qu'un autre poète
a composé la description du Bouclier
et du Combat. Ces deux fragments, réunis,
reçurent le titre de celui qui avait le plus d'étendue et d'importance ; on
les appela le Bouclier d'Hercule. Si
ce poème a été attribué à Hésiode, c'est que son nom, ainsi que celui
d'Homère, est comme le centre autour duquel a gravité toute la poésie de son
siècle et même celle des âges postérieurs. Mais le caractère spécial de la
muse d'Hésiode est moins le genre de l'épopée que les genres didactique et
mythique ; elle aime plutôt à dicter des préceptes de morale, à décrire les
généalogies humaines et divines qu'à chanter le courage et les exploits des héros.
Tout le Bouclier d'Hercule, à
l'exception du début, n'est donc vraisemblablement qu'un de ces pastiches homériques
que les rhapsodes se plaisaient à composer. Si Apollodore, Athénée,
Apollonius de Rhodes, Stésichore et l'Athénien Mégaclès l'attribuent à Hésiode,
Aristophane le grammairien, Joseph Scaliger, Heinsius, Vossius, Dorville et
d'autres célèbres critiques lui en refusent la gloire.
Le fond du sujet et les détails de la narration portent l'empreinte du génie
primitif qui chanta le combat d'Achille et d'Hector. Ici les dieux, à l'exemple
des dieux homériques, partagent les formes, les passions et les souffrances
humaines, viennent secourir les mortels et sont blessés par leur lance ou par
leur glaive.
Ce lambeau d'épopée est rempli sans doute de brillantes images, de traits
rigoureux, de nobles pensées ; mais plusieurs vers sont textuellement empruntés
de l'Iliade, et l'on reconnaît dans la couleur générale du style un
caractère évident d'imitation. La poésie en est souvent abondante et
large comme dans Homère ; elle n'est plus serrée et pleine comme dans Hésiode.
Quant au Bouclier d'Hercule,
proprement dit, sa description est faite dans le style homérique ; mais il présente
dans la nature des idées et dans le choix des figures quelques dissemblances
avec le Bouclier d'Achille. Celui-ci
n'offre point d'allusion à la généalogie ni aux exploits du fils de Pélée ;
ses tableaux sont empreints du caractère de la généralité. Celui-là, au
contraire, semble convenir à Hercule plus spécialement qu'à aucun autre héros.
Homère se complaît davantage à décrire les travaux de la campagne, comme
pour reposer sa muse guerrière sur de douces et riantes peintures : l'auteur du
Bouclier d'Hercule retrace plus
longuement les horreurs des comtats, sans doute parce que ce tableau formait
alors un contraste naturel avec les occupations champêtres de son siècle. On
voit que le dernier chantre s'efforce toujours d'amplifier et d'embellir les
images dont le premier lui a fourni le modèle. Le Bouclier d'Achille ne contient que huit sujets principaux ; le
Bouclier d'Hercule en renferme un bien plus grand nombre.
Fragments
Si
le Bouclier d'Hercule nous offre un précieux objet d'étude, parce
qu'il remonte jusqu'à un temps où la poésie était encore populaire, les Fragments
conservés sons le nom d'Hésiode n'ont pas moins d'intérêt aux yeux du
savant. Là un passage sur Linos, dont on chantait la gloire au milieu des
festins et des chœurs de danse ; ici un vers sur Danaüs, qui procura de l'eau
à la ville d'Argos, rappellent les premiers essais des Muses, les premiers
bienfaits de la civilisation. Tous ces débris, dispersés dans les ouvrages des
auteurs, des grammairiens et des scholiastes grecs, malgré leur sens incomplet,
se rattachent à un vaste ensemble de poésie, car le nom d'Hésiode a été
peut-être le nom générique de tous les chantres d'une même époque. Si
quelques critiques ont faussement attribué à Hésiode des fragments qui ne lui
appartiennent pas, beaucoup d'autres, sans citer de lui aucun vers, font
allusion aux traditions d'histoire ou de mythologie consignées dans ses
ouvrages. Or, la pensée se refuse à croire qu'il ait pu composer seul tant de
poèmes. Plusieurs des fragments qui nous sont parvenus ne présentent donc guère
plus d'authenticité que certains passages de la Théogonie,
des Travaux et des Jours et du Bouclier
d'Hercule. Mais nous avons dû les recueillir religieusement comme les
versets d'une légende sacrée dont l'ensemble a péri dans le souvenir des
hommes. L'ami des arts, lorsqu'il n'a pas le bonheur de découvrir une statue
tout entière, ne rejette point pour cela les tronçons épars qu'il rencontre
en fouillant le sol fécond de l'Antiquité.
Autres
oeuvres
Pausanias
rapporte (Béotie, c. 31) qu'on
attribuait encore à Hésiode un poème sur le devin Mélampe, la
Descente de Thésée et de Pirithoüs aux Enfers, les Préceptes de Chiron pour l'éducation d'Achille, et qu'ayant
appris des Acarnaniens l'art de la divination, il passait pour avoir composé
des Prédictions en vers et un livre
d'Explication des Prodiges. Hésiode
fut l'auteur, d'après Suidas, du Catalogue
des femmes en cinq livres, de l'éloge funèbre de son ami Batrachus et d'un
poème sur les Dactyles Idéens ; suivant Zosime (liv. v, c. 28), des Théogonies
héroïques ; selon Tzetzès (Prolégomènes
sur Lycophron), de l'Épithalame de Thétis
et de Pelée, et comme le dit le scholiaste d'Aratus (v. 255), de la Grande astronomie ou du Livre des astres. Strabon (liv. VII, p.
302) cite de lui le Tour de la Terre ;
Maxime de Tyr (Dissert. 16), les Discours
divins ; Athénée (liv. II, p. 49 ; liv. VIII, p. 364, et liv. XI, p. 503),
les Noces de Céyx, les Grands
Travaux et l'Égimius. Aristote et quelques grammairiens mettent sur son compte
un ouvrage intitulé les Préceptes.
Pline (liv. XV, c. I ; liv. XXI, c. 17 et 20 ; liv. XXII, c. 22 ; liv. XXV, c.
2) et Plutarque (Banquet de Dioclés)
semblent croire qu'il composa des poèmes sur la vertu des plantes et des herbes
et sur l'art de la médecine. La simple nomenclature de tous ces ouvrages, qui
supposent une si grande variété de savoir, ne démontre-t-elle pas
l'impossibilité qu'un seul homme en ait été l'auteur ?
Après tout, l'idée d'attribuer tant de poèmes à Hésiode atteste
l'admiration que son génie inspira. Si quelques écrivains l'ont accusé d'impiété,
si Pythagore, suivant Diogène de Laërte (liv. VIII, sect. 21), feignait
d'avoir vu son ombre enchaînée avec celle d'Homère dans le Tartare à une
colonne d'airain, parce que ces deux poètes avaient débité des mensonges sur
les dieux ; si Platon (Répub., liv.
II) le bannissait de sa république, d'où il chassait aussi le grand Homère,
ces philosophes ne condamnaient sans doute que quelques points de ses croyances
: ils devaient apprécier son talent reconnu par tant de juges habiles. Denys
d'Halicarnasse vante la douceur de son style et l'habileté de sa composition.
Velléius Paterculus dit que ce fut un poète d'un esprit élégant et
remarquable par la mollesse de ses vers. Quintilien fait l'éloge de la sagesse
de ses maximes et de l'harmonie de sa diction ; il lui décerne la palme dans le
genre tempéré. Hésiode a obtenu également les suffrages d'Aristote, de Xénophon,
d'Isocrate, d'Alcée, de saint Basile, du sophiste Aphtonius et de Cicéron.
Commentateurs
La
Théogonie avait été commentée, suivant Aulu-Gelle (liv. XX, c.
8), par Plutarque ; on dit qu'elle l'avait été aussi par Aristote, par
Aristonicus d'Alexandrie, par Démétrius Ixion d'Adramyttium et par Denys de
Corinthe. Il ne nous est parvenu que deux commentaires grecs sur ce poème :
l'un est attribué à Jean Diaconus ; l'autre est intitulé
Quelques anciennes scholies détachées sur la Théogonie d'Hésiode.
Natalis Comes (Myth., liv. VI, c. 18)
semble croire que Didyme en est l'auteur.
Nous avons sur les Travaux et les Jours des
scholies de Proclus, de Jean Tzetzès et d'Emmanuel Moschopole. Jean
Protospatharius a composé pour son fils une
Explication physique des Jours.
Tzetzès et Jean Diaconus ont laissé, l'un une Explication, l'autre une Paraphrase
sur le Bouclier d'Hercule.
Le travail de ces divers scholiastes à l'exception de Proclus, n'offre guère
qu'une compilation faite sans critique des gloses qu'ils avaient recueillies de
tous côtés.
Les principaux commentateurs modernes sont Ange Politien, Scaliger, Vinet, Mélanchton,
Jean Frisius, Groevius, Guiet, Hemsterhusius, Bats, Robinson, Leclerc,
Ruhnkenius, Heyne, Wolff, Bergier et C.-F. Heinrich. M. Creuzer, dans ses lettres
sur Homère et Hésiode, a fait la critique d'une dissertation latine de M.
Hermann sur la plus ancienne mythologie
des Grecs.
Éditions
Quant
aux diverses éditions d'Hésiode, on nous saura gré sans doute d'extraire ce
passage de la notice composée par Amar dans la Biographie
universelle :
"Les Travaux et les Jours furent
publiés pour la première fois à Milan, 1493, in-fol., par les soins de Démétrius
Chalchondyle avec Isocrate et Théocrite ; mais comme le poème d'Hésiode ne se
trouvait pas dans tous les exemplaires, on regarda longtemps comme édition princeps
celle d'Alde Manuce, Venise, 1495, in-fol.,
qui renferme, avec plusieurs autres petits poèmes gnomiques, la Théogonie
et le Bouclier d'Hercule. Le seizième siècle vit paraître un assez
grand nombre d'éditions d'Hésiode, parmi lesquelles il faut distinguer celle
de Victor Trincavelli, imprimée à Venise, chez Zanetti, in-4°, 1537. C'est la
première qui présente les trois poèmes d'Hésiode réunis et accompagnés des
scholies grecques de Proclus, de Jean Tzetzès et de Moschopole; elle est
d'ailleurs très correcte et d'une belle exécution typographique. Celle de Bâle,
1542, in-8°, est avec la version latine de Valla et les scholies de Tzetzès.
Celle de Henri Estienne, Paris, 1560, in-fol., est la première où la critique
du texte ait appelé l'attention de l'éditeur ; elle est devenue la base de la
plupart des suivantes. Oporinus donna à Bâle, en 1674, in-8°, les Oeuvres
d'Hésiode avec une version latine des scholies de Tzetzès. Celle de
Spondanus, grecque et latine, La Rochelle, 1592, petit in-8°, est une édition
rare et excellente. Le dix-septième siècle nous offre l'Hésiode de Daniel
Heinsius, Plantin, 1603, in-4°. Cette édition, que tant de titres recommandent
aux savants, est devenue excessivement rare ; mais ce qu'elle renferme de plus
précieux se retrouve dans celle d'Amsterdam, 1701, in-8°, qui contient de plus
les Lectiones Hesiodeae de Graevius et l'Index de Pasor. Jusqu'ici l'érudition, les recherches savantes et
la collation des manuscrits avaient fait beaucoup pour Hésiode ; mais il ne
devait rien encore au luxe typographique, lorsque Thomas Robinson publia sa
belle édition à Oxford, 1734, grand in-4°. De nouveaux manuscrits furent
consultés pour la Théogonie et les Travaux
et les Jours. L'éditeur ajouta ses propres observations aux notes
d'Heinsius, de Guiet, de Leclerc ; une dissertation préliminaire sur la vie,
les ouvrages et le siècle d'Hésiode, et le Combat
d'Homère et d'Hésiode avec une nouvelle traduction latine et les notes de
Barnès. Cette édition en un mot ne laissait à désirer que les scholies
grecques ; aussi gagna-t-elle beaucoup entre les mains de Loesner, qui la publia
de nouveau avec d'importantes additions, Leipzig, 1778, in-8°. Nous avons parlé
déjà de celle de Brunck, page 150 de son recueil des poètes gnomiques,
Strasbourg, 1784. Le savant et ingénieux éditeur s'est servi, pour établir
son texte, d'un manuscrit d'Hésiode de la bibliothèque du roi et d'un autre de
Stobée, qui n'avait point encore été consulté. II eût été à désirer que
son travail embrassât les trois poèmes attribués à Hésiode, au lieu de se
borner à celui des Travaux, qu'il a heureusement corrigé dans plusieurs endroits et
purgé de plus de cinquante vers justement réputés suspects. L'année
suivante, 1785, Bodoni fit paraître à Parme les ouvrages d'Hésiode avec la
traduction en vers latins de Bernardo Zamagra de Raguse, traduction assez élégante,
mais en général peu fidèle et qui ne méritait pas un tel honneur
typographique. Nous ne devons pas oublier l'édition publiée à Lemgow, 1792,
in-8°, avec la traduction allemande de Hartmann et les remarques de Wachler, ni
celle de Lanzi, accompagnée d'une traduction italienne in terza
rima, Florence, 1808, grand in-4°. Elle ne contient que le poème des Travaux
et des Jours avec un discours préliminaire et de longues notes qui
n'offrent rien qu'on ne retrouve ailleurs. Nous souhaitons, en terminant cette
nomenclature, que M. Heinrich ne s'arrête pas au spécimen qu'il nous a donné
dans son édition du Bouclier d'Hercule et que M. Tiersch réalise le projet de son édition
d'Hésiode.
Nous ajouterons à la liste de ces éditions celle de quelques autres non moins
importantes :
Hesiodus, Theognis, Gnomae diversorum
poetarum, Carmina Sibyllac, Pythagorae aurea Carmina, Gregorii gnomae, Theocriti
opera omnia. Florentiae, in aedibus Phil. Juntae, 1515, in-8°.
Hesiodus, Theognidis sententiae, Sibyllae
Carmina, Musaei opusculum de Herone et Leandro, Orphei Argonautica, Hymni et de
Lapidibus, Phocylidis Paraenesis, Florentiae, per Benedictum, Junctam, 1540,
in-8°.
Hesiodi ascraei opera quae extant : in
eadem doctorum virorum annotationes et lectiones variae è mss. palat. ab
Hieronymo Commelino collecltae: 1591, in-8°.
Hesiodi ascraei quae extant, cum notis ex
probatissimis quibusdarn auctoribus, brevissimis selectissimisque ; accessit
viri clarissimi Lamberti Barlaei, Graecae linguae in academiâ Lugduno-Batavâ,
professoris eximiis, in ejusdem Theogoniam commentarius. Operâ
et studio Cornelii Schrevelii. Lugduno-Batavorum ex officinâ Francisci Hackii 1658.
Hesiodus cum versione emendatâ ab Erasmo
Schmidio et in Erga enarratione Melanchthoniis et 23 tabulis synopticis ejusdem
Schmidii Witebergae, 1601, in-8°.
Theogonia Hesiodea, textu subindé reficto
in usum praelectionum seorsim, edita à F. a. Wolf. Halae
Saxon,
1783, in-8°.
Texte
grec et traduction française
Le
texte d'Hésiode le plus correct est celui que Thomas Gaisford a édité en
1814. M. Boissonade l’a suivi dans son Recueil
des poètes grecs (tome XI, 1824) et nous l’avons également adopté.
Les traductions françaises en prose les plus connues sont la traduction de
Bergier, précédée d'un discours sur l’origine des dieux du paganisme et
suivie de remarques sur les ouvrages d'Hésiode, 1767 ; celles de Gin 1785 et de
Coupé 1796.
II existe une vieille traduction des Travaux
et des Jours, publiée sous ce titre :
Les Besongnes et les Jours, mis en vers français par Jacques Legras, Paris,
1586, in-12. L'abbé Goujet la trouvait préférable à celles de Richard
Leblanc, de Lambert Daneau et de J.-A. Baïf. Ces traductions ne sont en général
ni exactes ni complètes, puisqu'elles ne comprennent pas les Fragments ; elles ne nous ont offert que peu de ressources. C'est
donc au texte grec seulement que nous avons eu recours, n'hésitant point à préférer
le langage de la prose à celui de la poésie. Rien n'eût été moins poétique,
en effet, que la reproduction en vers soit des nombreuses généalogies, soit
des préceptes moraux et religieux que renferme Hésiode. Plusieurs morceaux d'élite,
tels que la brillante description des cinq âges du monde, l’ingénieuse création
de Pandore, l’énergique et sombre peinture de l’hiver, le magnifique combat
de Jupiter avec les Titans, auraient sans doute prêté à la poésie ; mais ces
divers passages ne constituent pas le caractère dominant du génie d'Hésiode,
la physionomie habituelle de sa versification. Quelquefois comparable à Homère,
Hésiode s'en éloigne souvent par la nature du style. Le style d'Homère est
lucide, abondant, coloré, parce qu'il date d'une époque où la guerre avait
mis en dehors tous les caractères, toutes les passions : celui d'Hésiode, au
contraire, est grave, sérieux et précis ; il révèle un siècle de crise
sociale où la pensée a besoin de se résumer dans un langage plein et nerveux
et de se concentrer en elle-même, comme effrayée du tableau des vices et des
dissensions qui tourmentent la Grèce. Hésiode diffère d'Homère sous beaucoup
d'autres rapports, car tantôt il passe en revue les généalogies des familles
célestes, et alors ses vers, presque entièrement hérissés de noms propres,
ont toute la sécheresse d'une froide nomenclature ; tantôt il décrit en
termes techniques des instruments et des objets d'arts ou il trace des maximes
dont le fond est revêtu d'une forme complexe. Ajoutez à ces difficultés les
entraves que les interpolations ou les lacunes apportent à la marche et au sens
de la phrase. Comme les ouvrages du compilateur d'Ascra sont loin de présenter
cet enchaînement de faits, cette liaison d'idées qui, malgré des
contradictions partielles, dominent l'ensemble des époques d'Homère, sa poésie
est trop souvent elliptique, serrée, obscure. Quoiqu'elle appartienne au
dialecte ionien, nous ne lui trouvons pas en général cette douceur si vantée
par Denys d'Halicarnasse et par d'autres critiques ; il semble qu'on reconnaisse
quelquefois en elle un reste d'archaïsme de l'époque antéhomérique.
Hésiode n'en est pas moins digne d'une étude sérieuse, surtout pour le fond
de sa poésie. L'examen de ses oeuvres prouve que sa pensée, malgré de fréquents
retours vers un ordre de choses dès longtemps aboli, a été novatrice et
progressive. Habile à seconder la marche de l'humanité dans ses initiations
graduelles de siècle en siècle, elle a contribué puissamment à améliorer la
morale en proclamant la supériorité du travail et de l'économie sur la
paresse et sur la prodigalité, la religion en lui faisant faire un pas de plus
vers ce dernier degré de perfection qu'elle ne devait atteindre que dans
Pindare et dans Sophocle, la politique en poussant les esprits vers ces idées républicaines
qui développèrent en Grèce le germe de tant de gloire et de liberté. Tel était
l'auguste privilège des muses antiques : intimement liées au culte et aux mœurs
populaires, chaque corde de leur lyre répétait, comme un fidèle écho, les
divers sentiments qui vibraient dans le cœur de la nation ; leur voix
inspiratrice immortalisait les grands événements guerriers ou politiques, les
saintes et vieilles croyances, les utiles maximes d'équité, de sagesse et de
vertu. Le chantre alors exerçait l'autorité du législateur ; un vers d'Homère,
un précepte d'Hésiode, étaient révérés comme une loi de Lycurgue ou de
Solon. Ce pieux respect, qui semble placer dans le ciel même le berceau de la
poésie, n'appartient qu'à la jeunesse des peuples. Plus ces peuples
vieillissent et plus le domaine du positif usurpe celui de l'idéal et du
merveilleux. La poésie devient, non plus la base nécessaire, mais une simple décoration
de l'édifice social : objet de vaine distraction pour quelques individus, elle
ne pénètre plus, victorieuse, dans l'esprit des masses. Lorsque tant de
puissants intérêts absorbent l'attention générale des états modernes, l'art
restera peut-être longtemps encore sans construire un de ces monuments dont le
large frontispice appelle tout d'abord les regards des contemporains et dont les
fondements solides résistent au cours dévorant des siècles. Mais si son
avenir peut sembler incertain, étudions son passé avec une nouvelle ardeur ;
la Grèce est le pays où il eut le plus de spontanéité, le plus de vérité,
le plus d'indépendance. C'est donc vers cette terre privilégiée que notre
pensée reconnaissante doit surtout se reporter comme vers la source primitive
d'où jaillirent ces flots de poésie, d'éloquence, de philosophie et
d'histoire qui, après avoir traversé les siècles d'Homère et de Périclès,
fécondèrent le sol de l'Italie sous Auguste et sous Léon X et firent éclore
dans notre France les palmes éternellement florissantes du talent et du génie.