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OVIDE

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les halieutiques les Métamorphoses les Fastes les Tristes les Pontiques consolation Ibis      Noyer

LES PONTIQUES.

LIVRE I LIVRE II LIVRE III LIVRE IV

LIVRE QUATRIÈME

LETTRE PREMIÈRE

à SEXTUS POMPÉE

Reçois, Sextus Pompée, ces vers composés par celui qui te doit la vie. Si tu ne me défends pas d'y écrire ton nom, tu auras mis le comble à tes bienfaits. Si au contraire tu fronces le sourcil, je reconnaîtrai que j'ai eu tort. Cependant, le motif qui m'a rendu coupable est digne de ton approbation. Mon cœur n'a pu s'empêcher d'être reconnaissant. Ne t'irrite pas, je t'en conjure, de mon empressement à remplir un devoir. Oh ! Combien de fois, en relisant mes livres, me suis-je fait un crime de passer toujours ton nom sous silence ! Combien de fois, quand ma main voulait en tracer un autre, a-t-elle, à son insu, graver le tien sur mes tablettes ! Ces distractions, ces méprises, je les aimais, et ma main n'effaçait qu'à regret ce qu'elle venait d'écrire. "Après tout, me disais-je, il se plaindra, s'il veut, mais je rougis de n'avoir pas plus tôt mérité ses reproches." Donne-moi, s'il en existe, de cette eau du Léthé qui tue la mémoire du cœur, je ne t'en oublierai pas davantage. Ne t'y oppose pas, je te prie. Ne repousse pas mes paroles avec dédain, et ne vois point un crime dans mon zèle. Après tant de bienfaits, laisse-moi ma stérile gratitude, sinon, je serai reconnaissant malgré toi. Tu fus toujours actif à m'appuyer de ton crédit. Tu m'ouvris toujours ta bourse avec le plus généreux empressement. Auujourd'hui même, ta bonté pour moi, loin de s'effrayer de ce revers inattendu de ma fortune, vient et viendra encore à mon secours. Peut-être me demanderas-tu d'où vient la cause de ma confiance en l'avenir? C'est que chacun défend l'œuvre dont il est le père. Comme la Vénus qui presse sa chevelure ruisselante des flots de la mer est l'œuvre glorieuse de l'artiste de Cos (1), comme les statues d'airain ou d'ivoire de la divinité protectrice de la citadelle d'Athènes sont sorties des mains de Phidias (2), comme aussi Calamis (3) revendique ses coursiers, la gloire de son ciseau, comme, enfin, cette génisse qui paraît animée est l'œuvre de Myron (4),  ainsi, Sextus, je ne suis pas le moindre de tes ouvrages, et je regarde mon existence comme un don de ta générosité, comme le résultat de ta protection.

LETTRE II

à SÉVÈRE

Ces vers que tu lis te sont adressés du pays des Gètes à la longue chevelure, à toi, Sévère (5), le poète le plus grand des plus grands rois, à toi que j'ai honte, s'il faut l'avouer, de n'avoir point encore nommé dans mes livres. Si cependant je ne t'ai jamais adressé de vers, de simples lettres n'ont du moins jamais cessé d'entretenir, de part et d'autre, des rapports de bonne amitié. Oui, seuls mes vers ne sont point venus rendre témoignage de mon souvenir. Et pourquoi t'offrir ce que tu fais toi-même ? Qui donnerait du miel à Aristée, du vin au dieu du Falerne, du blé à Triptolème, des fruits à Alcinoüs ? La nature de ton génie est la fécondité, et de tous ceux qui cultivent l'Hélicon, il n'en est point dont la moisson soit plus abondante. Envoyer des vers à un tel homme, c'était ajouter du feuillage aux forêts. Telle fut, Sévère, la cause de mon retard. D'ailleurs, mon esprit ne répond plus comme autrefois à mon appel, et mon soc laboure inutilement un rivage aride. Comme le limon obstrue les voies des canaux d'où l'eau s'échappe ou que celle-ci, comprimée à sa source par quelque obstacle, est retenue captive, ainsi le limon du malheur a étouffé les élans de mon esprit, et mes vers ne coulent plus que d'une veine appauvrie. Homère lui-même, condamné à vivre sur la terre que j'habite, Homère, n'en doute pas, fût devenu Gète. Pardonne-moi cet aveu. J'ai mis du relâchement dans mes études, et je n'écris même que rarement des lettres. Ce feu sacré qui alimente le cœur du poète, et qui m'embrasait autrefois, s'est éteint en moi. Ma muse est rebelle à sa mission, et quand j'ai pris mes tablettes, c'est par force, pour ainsi dire, qu'elle y porte une main paresseuse. Le plaisir que j'éprouve à écrire est maintenant peu de chose ou plutôt il est nul, et je ne trouve plus de charme à soumettre ma pensée aux lois de la mesure, soit parce que, loin d'en avoir retiré aucun fruit, cette occupation fut la source de mes malheurs, soit parce que je ne trouve aucune différence entre danser dans les ténèbres et composer des vers qu'on ne lit à personne. L'espoir d'être entendu anime l'écrivain, les éloges excitent le courage, et la gloire est un puissant aiguillon !À qui pourrais-je ici réciter mes vers, si ce n'est aux Coralles à la blonde chevelure (6) et aux autres peuples barbares, riverains de l'Ister ? Et pourtant, que faire seul ici ? Comment employer mes malheureux loisirs ? Comment tromper la monotonie des jours ? Je n'aime ni le vin, ni le jeu, deux choses qui font passer le temps inaperçu. Je ne puis, comme je le voudrais, car la guerre y met obstacle, voir la terre renouvelée dans sa culture, et me distraire de ce spectacle. Que me reste-t-il donc, sinon les muses ? Triste consolation, car les muses ont bien peu mérité de moi ! Mais toi qui, plus heureux, bois à la fontaine d'Aonie, aime une étude qui t'a toujours si bien réussi. Rends aux muses le culte que tu leur dois, et envoie-moi quelque nouveauté, production de tes veilles, que je lise dans mon exil.

LETTRE III

à UN AMI INCONSTANT

Dois-je me plaindre ou me taire ? Dire ton crime sans te nommer ou te montrer aux yeux de tous tel que tu es ? Ton nom, je le passerai sous silence. Mes plaintes, tu pourrais t'en glorifier, et mes vers pourraient t'offrir un moyen de célébrité. Tant que mon vaisseau resta ferme sur sa carène solide, tu étais le premier a vouloir voguer avec moi. Maintenant que la Fortune a ridé son front, tu te retires au moment où tu n'ignores pas que j'ai besoin de ton secours. Tu dissimules même, tu veux faire croire que tu ne me connais pas, et, lorsque tu entends mon nom, tu demandes : "Quel est cet Ovide ?" Je suis, tu l'entendras malgré toi, celui dont l'enfance fut la compagne inséparable de ton enfance, celui qui fut le premier confident de tes pensées sérieuses, comme il partagea le premier tes plaisirs, celui qui fut ton commensal, ton ami le plus assidu,  celui que tu appelais ta seule muse, celui, enfin, perfide, dont tu ne saurais dire s'il est encore vivant, et dont tu ne pensas jamais à t'informer le moins du monde. Jamais je ne te fus cher, et alors, tu l'avoueras, tu me trompais ou, si tu étais de bonne foi, ton inconstance est démontrée. Dis-moi donc quel motif de colère a pu te changer ? Car si tes plaintes sont injustes, les miennes ne le seront pas. Qui donc t'empêche d'être aujourd'hui ce que tu étais jadis ? Me trouverais-tu criminel par cela seul que je suis devenu malheureux ? Si tu ne m'assistais ni de ta fortune ni de tes démarches, je devrais du moins attendre de toi quelques mots de souvenir. En vérité, j'ai peine à le croire, mais on dit que tu insultes à ma disgrâce, et que tu ne m'épargnes pas les commentaires injurieux. Que fais-tu, insensé ? pourquoi te rendre d'avance indigne des larmes de ceux qui pleureraient ton naufrage, si tu étais un jour abandonné de la Fortune ? La Fortune, montée sur cette roue qui tourne sans cesse sous son pied mal assuré, indique combien elle est inconstante. Une feuille est moins légère, le vent moins sujet à varier. Toi seul, ami sans foi, es aussi léger qu'elle. La destinée des hommes est suspendue à un fil fragile. Survienne un accident, et l'édifice le plus solide s'écroule tout à coup. Qui n'a entendu parler de l'opulence de Crésus ? Et cependant, captif, il dut la vie à son ennemi. Ce tyran, si redouté naguère à Syracuse, trouve à peine, dans le métier le plus humble, les moyens de prévenir la faim. Qui fut plus grand que Pompée ? et pourtant, dans sa fuite, on l'entendit implorer, d'une voix suppliante, l'assistance de son client. Celui à qui l'univers entier avait obéi, devint lui-même le plus pauvre des hommes. Ce guerrier fameux par son triomphe sur Jugurtha et sur les Cimbres, celui qui, étant consul, rendit Rome tant de fois victorieuse, Marius, fut contraint de se cacher dans la fange des marais, au milieu des roseaux, et là, de souffrir des outrages indignes d'un si grand capitaine. La puissance divine se joue des choses humaines, et c'est à peine si l'instant où nous parlons nous appartient. Si quelqu'un m'eût dit : "Tu seras exilé dans le Pont-Euxin, où tu auras à craindre les atteintes de l'arc des Gètes, - Va, eussé-je répondu, bois ces breuvages qui guérissent les maladies de la raison. Bois le suc de toutes les plantes qui croissent à Anticyre." Et pourtant, j'ai souffert tous ces maux, et quand même j'aurais pu échapper aux traits des mortels, je ne pourrais éviter ceux du plus grand des dieux. Tremble donc aussi, et sache que le sujet de ta joie d'à présent peut devenir plus tard un sujet de tristesse.

LETTRE IV

à SEXTUS POMPÉE

Il n'est point de jour où l'Auster charge le Nil d'assez de nuages pour que la pluie tombe sans interruption. Il n'est pas de lieu tellement stérile qu'il ne s'y mêle quelque plante utile aux buissons épineux. La Fortune irritée n'est pas tellement rigoureuse qu'elle n'adoucisse, par quelque joie, l'amertume du malheur. Ainsi moi, privé de ma famille, de ma patrie, de mes amis, et jeté par le naufrage sur les rives de la mer Gétique, j'ai pourtant trouvé là une occasion de dérider mon front, et d'oublier mon infortune. Je me promenais triste sur la grève jaunissante, quand je crus entendre derrière moi le frémissement d'une aile. Je me retourne et ne vois personne. Seulement les paroles suivantes viennent frapper mon oreille : "Je suis la Renommée. J'ai traversé les vastes plaines de l'air pour t'apporter de joyeuses nouvelles : Pompée est consul, Pompée, le plus cher de tes amis. L'année va s'ouvrir heureuse et brillante." Elle dit, et après avoir semé dans le Pont cette agréable nouvelle, la déesse se dirige vers d'autres nations. Mais cette nouvelle inattendue atténua la violence de mes chagrins, et ce lieu perdit à mes yeux son aspect sauvage. Ainsi donc, Janus, dieu au double visage, dès que tu auras ouvert cette année, si longue à venir, et que décembre aura fait place au mois qui t'est consacré, Pompée revêtira la pourpre du rang suprême, afin qu'il ne manque désormais aucun titre à sa gloire. Déjà je crois voir s'affaisser nos édifices publics, envahis par la foule, et le peuple se froisser dans leurs enceintes trop étroites. Je crois te voir d'abord monter au Capitole, et les dieux accueillir tes vœux avec faveur. Des taureaux blancs, nourris dans les pâturages des Falisques, offrent leurs têtes aux coups assurés de la hache. Après avoir sacrifié à tous les dieux, à ceux surtout que tu voudras te rendre propices, à Jupiter et à César, le sénat t'ouvrira ses portes, et les pères, convoqués d'après l'usage, prêteront l'oreille à tes paroles. Quand ta voix, pleine d'une douce éloquence, aura déridé leurs fronts, quand ce jour aura ramené les vœux de bonheur par lesquels le peuple te salue chaque année, quand tu auras rendu de justes actions de grâces aux dieux et à César, qui te donnera souvent l'occasion de les renouveler, alors tu regagneras ta demeure, suivi du sénat tout entier, et la foule, empressée à t'honorer, aura peine à trouver place dans ta maison. Et moi, malheureux, on ne me verra point dans cette foule, et mes yeux seront privés d'un si grand spectacle. Mais, quoique absent, je pourrai te voir du moins des yeux de l'esprit, et contempler les traits d'un consul si cher à mon cœur. Fassent les dieux qu'alors mon nom se présente un instant à ta pensée, et que tu dises : "Hélas ! Maintenant que fait ce malheureux ?" Si en effet tu prononces ces paroles, et que je vienne à l'apprendre, j'avouerai aussitôt que mon exil est moins rigoureux.

LETTRE V

AU même

Allez, distiques légers, arrivez aux oreilles d'un docte consul. Portez mes paroles au magistrat récemment honoré de sa dignité. La route est longue, vous marchez d'un pied inégal. La terre disparaît, ensevelie sous la neige des hivers. Quand vous aurez franchi les plaines glacées de la Thrace, l'Hémus couvert de nuages, et la mer d'Ionie, sans hâter votre marche, vous atteindrez, en moins de dix jours, Rome, la souveraine du monde. De là dirigez-vous aussitôt vers la maison de Pompée, la plus voisine du forum d'Auguste. Si quelque curieux, comme il en est dans la foule, vous demande qui vous êtes, et d'où vous venez, dites à son oreille abusée quelque nom pris au hasard. Quoique vous puissiez, je pense, avouer sans danger la vérité, cependant un nom supposé sera moins effrayant. N'espérez pas, dès que vous serez sur le seuil de la maison, de pénétrer sans obstacle jusqu'au consul. Ou il sera occupé à rendre la justice du haut de la chaise d'ivoire, enrichie de diverses figures ou bien il mettra à l'enchère la perception des revenus publics, attentif à conserver intactes les richesses de la grande cité ; ou bien, en présence des sénateurs convoqués dans le temple que Jules a fondé (7), il traitera d'intérêts dignes d'un si grand consul ou bien il portera, suivant sa coutume, ses hommages à Auguste et à son fils, et leur demandera conseil sur une charge dont il ne connaît encore qu'imparfaitement les devoirs. Le peu de temps que lui laisseront ces occupations sera consacré à César Germanicus (8), c'est lui qu'après les dieux puissants il honore le plus. Cependant, lorsqu'il aura clos enfin cette longue série d'affaires, il vous tendra une main bienveillante, et vous interrogera peut-être sur la destinée actuelle de votre père. Je veux donc que telle soit votre réponse : "Il existe encore, et sa vie, il reconnaît qu'il te la doit, mais il la doit avant tout à la clémence de César. Il aime à répéter, dans sa reconnaissance, que, proscrit et fugitif, il apprit de toi la route la plus sûre pour parcourir sans danger tant de contrées barbares, que si l'épée des Sarmates ne s'est pas encore abreuvée de son sang, ce fut un effet de ta sollicitude pour lui, que, pour épargner ses ressources, tu lui procuras toi-même généreusement les moyens de pourvoir à son existence. En reconnaissance de tant de bienfaits, il jure qu'il sera toute sa vie ton serviteur dévoué. Les arbres cesseront de couvrir de leur ombre le sommet des montagnes, les vaisseaux aux voiles rapides ne sillonneront plus les flots de la mer, les fleuves rétrograderont et remonteront vers leur source, avant qu'il perde le souvenir de tes bienfaits." Quand vous aurez ainsi parlé, priez-le de conserver son propre ouvrage, et le but de votre mission sera rempli.

LETTRE VI

à BRUTUS

Cette lettre que tu lis, Brutus, vient d'un pays ou tu voudrais bien qu'Ovide ne fût pas. Mais ce que tu voudrais, l'implacable destin ne le veut pas, hélas ! Et cette volonté est plus puissante que la tienne ! Une olympiade de cinq ans s'est écoulée depuis mon exil en Scythie, et déjà un nouveau lustre va bientôt succéder au premier. La fortune s'opiniâtre à me persécuter, et la perfide déesse vient toujours se jeter méchamment au-devant de tous mes vœux. Tu avais résolu, Maxime, ô toi, l'honneur de la famille des Fabius, de parler au divin Auguste, et de le supplier en ma faveur, et tu meurs avant d'avoir fait entendre tes prières, et je crois être, Maxime, la cause de ta mort, moi qui étais loin de valoir un si haut prix. Maintenant je n'ose plus confier ma défense à personne. En te perdant, j'ai perdu tout appui. Auguste était presque disposé à pardonner à ma faute, à mon erreur. Il a disparu de ce monde, et avec lui mes espérances. Cependant, Brutus, du fond de mon exil, je t'ai envoyé des vers dédiés au nouvel habitant du ciel, des vers tels qu'il m'a été possible de les écrire. Puisse cet acte religieux m'être favorable ! Puissent mes maux avoir un terme ! Puisse la famille d'Auguste apaiser sa colère ! Toi aussi, Brutus, dont l'amitié sincère m'est connue, toi aussi, je le jure sans crainte, tu fais les mêmes vœux, et cette amitié, que tu m'as toujours témoignée avec tant de franchise, a puisé des forces nouvelles dans mon malheur même.À voir nos larmes couler ensemble, on eût dit que nous étions condamnés à souffrir la même peine. Tu dois à la nature un cœur  bon et sensible. Elle n'accorda à nul autre une âme plus compatissante, à tel point que, si l'on ignorait quelle est ta puissance dans les débats du Forum, on croirait difficilement que ta bouche demandât la condamnation d'un coupable. Cependant, le même homme peut être, nonobstant une contradiction apparente, facile aux suppliants et terrible aux coupables. Chargé de la vengeance que réclame la sévérité des lois, chacune de tes paroles semble imprégnée d'un venin mortel. Que tes ennemis seuls apprennent combien tes armes sont redoutables, et combien sont acérés les traits lancés par ton éloquence ! Tu les aiguises avec tant d'art, qu'on en conclut aussitôt, qu'il n'y a rien de commun entre ton génie et ton extérieur. Mais qu'une victime des injustices de la fortune s'offre à tes regards, ton cœur devient plus tendre que celui d'une femme. J'ai pu m'en convaincre, moi surtout, quand la plupart de mes amis affectèrent de ne plus me connaître. Ceux-ci, je les oublie, mais je ne vous oublierai jamais, vous dont la sollicitude a soulagé mes souffrances. L'Ister (hélas ! trop voisin de moi) remontera du Pont-Euxin vers sa source, et, comme si nous revenions aux jours du Festin de Thyeste, le char du soleil reculera vers l'orient, avant qu'aucun de vous, qui avez déploré mon malheur puisse m'accuser d'ingratitude et d'oubli.

LETTRE VII

à VESTALIS

Vestalis, puisque Rome vient de t'envoyer vers les rives de l'Euxin pour rendre la justice aux peuples qui habitent sous le pôle, tu peux juger par toi-même du pays où je passe ma vie languissante, et attester que mes plaintes continuelles ne sont que trop légitimes. Ton témoignage, ô jeune descendant des rois des Alpes, confirmera leur douloureuse réalité. Tu vois toi-même que le Pont est enchaîné par les glaces, et que le vin, cédant lui-même aux lois d'une température rigoureuse, perd sa fluidité. Tu vois comme le Jazyge, bouvier farouche, conduit ses chariots pesants sur les flots de l'Ister. Tu vois aussi la pointe de leurs flèches empoisonnées, et dont l'atteinte est deux fois mortelle. Et plût aux dieux que, simple spectateur de cette partie de mes maux, tu n'en eusses pas fait toi-même l'expérience dans les combats. C'est à travers mille dangers qu'on arrive au grade de primipilaire, honneur que t'a valu récemment ta bravoure. Mais quoique ce titre soit la source de mille avantages, cependant il était encore au-dessous de ton mérite. Témoin l'Ister qui, sous ta main puissante, vit ses rivages teints du sang sarmate. Témoin Aegypsos que tu pris une seconde fois et qui reconnut que son heureuse position n'était plus une sauvegarde pour elle. Citadelle élevée au sommet d'une montagne qui touche aux nues, on n'aurait pu dire si elle trouvait plus de garantie dans la nature de sa position que dans le courage de ses défenseurs. Un ennemi féroce l'avait enlevée au roi de Sithonie, et le vainqueur s'était emparé des trésors du vaincu. Mais Vitellius, descendant le courant du fleuve, et rangeant ses bataillons, déploya ses étendards contre les Gètes. Et toi, digne petit-fils de l'antique Daunus, ton ardeur t'entraîne au milieu des ennemis. Soudain, remarquable par l'éclat de tes armes, tu t'élances, dominé par la crainte que tes hauts faits ne restent ensevelis dans l'obscurité. Tu cours affrontant le fer, la difficulté des lieux, et les pierres qui tombent plus nombreuses que la grêle des hivers. Rien ne t'arrête ni la nuée de traits lancés contre toi ni ces traits eux-mêmes infectés du sang des vipères. Ton casque est hérissé de flèches aux plumes peintes, et ton bouclier n'offre plus de place à de nouveaux coups. Malheureusement, il ne préserva point ta poitrine de tous ceux qui étaient dirigés contre elle, mais l'amour de la gloire étouffe le sentiment de la douleur. Tel on vit, dit-on, sous les murs de Troie, Ajax, pour sauver les vaisseaux des Grecs, repousser les torches incendiaires d'Hector. Bientôt on atteignit l'ennemi. L'épée croisa l'épée et le fer put décider de près de l'issue du combat. Il serait difficile de raconter tes actes de courage, le nombre de tes victimes, quelles furent ces victimes elles-mêmes, et comment elles succombèrent. Tu amoncelais les cadavres sous les coups de ton épée, et tu foulais d'un pied vainqueur cet amas de Gètes immolés. Le second rang combat à l'exemple du premier. Chaque soldat porte et reçoit mille blessures, mais tu les effaces tous par ta bravoure, autant que Pégase surpassait en vitesse les coursiers les plus rapides. Aegypsos est vaincu, et mes chants, ô Vestalis, conserveront à jamais le souvenir de tes exploits.

LETTRE VIII

à SUILLIUS

Ta lettre, docte Suillius, m'est arrivée ici un peu tard, mais elle ne m'en a pas causé moins de joie. Tu m'y fais la promesse, si une tendre amitié peut fléchir le courroux des dieux, de venir à mon aide. Quand tes efforts seraient superflus, je te suis déjà reconnaissant de ta bonne volonté, et je regarde comme le service lui-même l'intention de le rendre. Puisse seulement ce noble enthousiasme être de longue durée ! Puisse ton attachement ne point être lassé par mon infortune ! Les liens de parenté qui nous unissent me donnent quelques droits à ton amitié, et je demande au ciel que ces liens ne se relâchent jamais. Ta femme est pour ainsi dire ma fille, et celle qui te nomme son gendre m'appelle, moi, son époux. Malheur sur moi, si, à la lecture de ces vers, ton front se rembrunit, et si tu rougis de ma parenté ! Mais tu n'y trouveras rien qui doive te faire rougir, si ce n'est la fortune qui fut aveugle pour moi. Si tu considères ma naissance, tu verras que depuis l'origine de ma famille, mes nombreux aïeux furent tous chevaliers. Si d'ailleurs il te plaît de faire l'examen de ma vie, elle est, à l'exception d'une erreur malheureuse, irréprochable et pure. Si tu as l'espoir d'obtenir, par tes prières, quelque chose des dieux, objets de ton culte, fais leur entendre ta voix suppliante. Tes dieux à toi, c'est le jeune César. Apaise cette divinité. Il n'en est pas dont les autels soient plus connus de toi. Elle ne souffre pas que les vœux  de son ministre soient des vœux stériles. C'est là qu'il faut aller chercher un remède à ma fortune. Quelque faible que puisse être le vent favorable qui soufflera de ce coté, mon vaisseau englouti surgira du milieu des flots. Alors, je présenterai à la flamme dévorante l'encens solennel, et je serai là pour attester la clémence des dieux. Je ne t'élèverai pas, ô Germanicus, un temple des marbres de Paros. Ma ruine a atteint jusqu'à mes richesses. Que les villes heureuses, que ta famille t'érigent des temples. Ovide, reconnaissant, donnera tout ce qu'il possède, ses vers. C'est un bien faible don, je l'avoue, pour l'importance du service, que d'offrir des paroles en échange de la vie, mais en donnant le plus qu'on peut donner, on témoigne suffisamment de sa reconnaissance, et rien n'est à exiger au-delà. L'encens offert dans un vase sans prix par le pauvre à la divinité n'est pas moins méritoire que celui qui fume sur un riche coussin. L'agneau né d'hier, aussi bien que la victime engraissée dans les pâturages des Falisques, teint de son sang les autels du Capitole. Cependant, l'offrande sans contredit la plus agréable aux héros est l'hommage que le poète leur rend dans ses vers. Les vers ratifient les éloges que vous avez mérités, et veillent à la garde d'une gloire qui deviendra par eux impérissable. Les vers assurent à la vertu une perpétuelle durée, et après l'avoir sauvée du tombeau, la font connaître à la dernière postérité.
Le temps destructeur ronge le fer et la pierre. Rien ne résiste à son action puissante, mais les écrits bravent les siècles. C'est par les écrits que vous connaissez Agamemnon et tous les guerriers de son temps, ses alliés ou ses adversaires. Sans la poésie, qui connaîtrait Thèbes et les sept chefs, et tous les événements qui précédèrent et tous ceux qui suivirent ? Les dieux mêmes, s'il est permis de le dire, sont l'ouvrage du poète. Leur majestueuse grandeur a besoin d'une voix qui la chante.
Ainsi nous savons que du chaos, cette masse informe de la nature à son origine, sortirent les éléments divers, que les Géants, aspirant à l'empire de l'Olympe, furent précipités dans le Styx par les feux vengeurs, enfants des nuées. Ainsi Bacchus, vainqueur des Indes, et Alcide, conquérant d'Oechalie, furent immortalisés, et naguère, César, les vers ont consacré en quelque sorte l'apothéose de ton aïeul, qui s'était d'avance, par ses vertus, ouvert un chemin jusqu'au ciel. Si donc mon génie a conservé quelque étincelle du feu sacré, ô Germanicus, c'est à toi que j'en veux faire hommage. Poète toi-même, tu ne peux dédaigner les hommages d'un poète, tu sais trop bien en apprécier la valeur. Si le grand nom que tu portes ne t'avait imposé un rôle plus illustre, tu promettais d'être un jour l'honneur de la poésie. Mais il était plus digne de toi d'inspirer des vers que d'en écrire, et cependant tu ne saurais abandonner le culte des Muses. Car tantôt tu livres des batailles, tantôt tu soumets tes paroles aux lois de la mesure, et ce qui est un ouvrage pour les autres est un jeu pour toi. De même qu'Apollon savait manier la lyre et l'arc, de même que ce double exercice occupait ses mains tour à tour, ainsi tu n'ignores ni la science de l'érudit ni la science du prince, et ton esprit se partage entre Jupiter et les Muses. Puisque ces déesses ne m'ont point encore repoussé de la source sacrée que fit jaillir le pied de Pégase, qu'elles fassent tourner à mon profit cet art qui nous est commun, ces études que nous cultivions Germanicus et moi, pour qu'enfin je puisse fuir les Gètes, et leurs rivages trop voisins des Coralles aux vêtements de peaux. Mais si, dans mon malheur, la patrie m'est irrévocablement fermée, que du moins je sois envoyé dans un pays moins éloigné de la ville de l'Ausonie, dans un lieu où je puisse célébrer ta gloire toute récente, et chanter sans retard tes brillants exploits.
Pour que ces vœux touchent le ciel, implore-le, cher Suillius, en faveur de celui qui est presque ton beau-père.

LETTRE IX

à GRAECINUS

Des bords du Pont-Euxin, triste exil où le sort le retient, et non sa propre volonté, Ovide t'adresse ses vœux, ô Graecinus ! Je souhaite que cette lettre te parvienne le premier jour où tu marcheras précédé de douze faisceaux. Puisque tu monteras au Capitole sans moi, puisque je ne pourrai pas me mêler à ton cortège, que cette lettre du moins me remplace, et te présente, au jour fixé, les hommages d'un ami. Si j'étais sous un astre meilleur, si mon char ne s'était brisé sur son perfide essieu, je t'aurais rendu de vive voix ces devoirs dont je m'acquitte aujourd'hui par l'intermédiaire de cet écrit. Je pourrais et t'adresser mes félicitations et t'embrasser. Les honneurs que tu reçois, j'en jouirais directement autant que toi-même. J'aurais été, je l'avoue, si fier de ce beau jour, que mon orgueil n'eût trouvé aucun palais assez vaste pour le contenir. Pendant que tu marcherais, escorté de la troupe auguste des sénateurs, moi, chevalier, je précéderais le consul, et quelque joyeux que je fusse d'être rapproché de ta personne, je m'applaudirais pourtant de ne pouvoir trouver place à tes côtés. Quand la foule m'écraserait, je ne m'en plaindrais pas, mais alors, il me serait doux de me sentir pressé par la foule. Je contemplerais tout joyeux la longue file du cortège et l'espace immense occupé par cette épaisse multitude, et, pour te témoigner combien j'attache de prix même aux choses les plus simples, je ferais attention jusqu'à la pourpre dont tu serais revêtu. Je traduirais les emblèmes gravés sur ta chaise curule, et les sculptures de l'ivoire de Numidie. Lorsque tu serais arrivé au Capitole, et que la victime immolée par ton ordre tomberait au pied des autels, alors ce dieu puissant, ce dieu dont la demeure est dans cette enceinte, m'entendrait, moi aussi, lui adresser en secret des actions de grâces, et mille fois heureux de ton élévation aux honneurs suprêmes, je lui offrirais du fond de mon cœur  plus d'encens que n'en brûlent les cassolettes sacrées. Je serais là, enfin, présent au milieu de tes amis, si la fortune moins cruelle ne m'avait pas enlevé le droit de rester à Rome, et ce plaisir, dont la vivacité se communique seulement à ma pensée, serait alors partagé par mes yeux. Les dieux ne l'ont pas voulu ! Et peut-être est-ce avec justice, car à quoi me servirait-il de nier la justice de mon châtiment ? Mon esprit, du moins, qui n'est pas exilé de Rome, suppléera à mon absence. Par lui, je contemplerai ta robe prétexte et tes faisceaux, je te verrai rendre la justice au peuple, et je croirai assister moi-même à tes conseils secrets. Je te verrai tantôt mettre aux enchères (9) les revenus de l'état pendant un lustre, et les affermer avec une probité scrupuleuse, tantôt faire entendre au sein du sénat des paroles éloquentes, et discuter des matières d'utilité publique, tantôt décerner des actions de grâces aux dieux pour les Césars, et frapper les blanches têtes des taureaux engraissés dans les meilleurs pâturages.
Fasse le ciel qu'après avoir prié pour les grandes nécessités de l'Etat, tu demandes aussi que la colère divine s'apaise en ma faveur ! Qu'alors une flamme pure s'élève et se détache de l'autel chargé d'offrandes et favorise ta prière d'un heureux présage ! Cependant je ferai taire mes plaintes, et je célébrerai en ces lieux, et du mieux qu'il me sera possible, la gloire de ton consulat. Mais un autre motif de bonheur pour moi, et qui ne le cède en rien au premier, c'est que l'héritier de ton éminente dignité doit être ton frère. Car ton pouvoir, Graecinus, expire à la fin de décembre, le sien commence au premier jour de janvier. Fidèle à cette amitié qui vous unit, tu partageras avec lui la joie d'avoir possédé tour à tour les mêmes honneurs. Tu seras fier de ses faisceaux comme il le sera des tiens. Tu auras été deux fois consul, comme lui-même le sera deux fois. La même dignité sera restée deux fois dans la même famille. Quelque grand que soit cet honneur, quoique la ville de Mars ne connaisse pas de dignité plus élevée que celle de consul (
10), cependant la main qui la décerne en rehausse encore l'éclat, et l'excellence du don participe de la majesté du donateur. Puissiez-vous donc ainsi, toi et Flaccus, jouir toute votre vie de la faveur d'Auguste ! Mais aussi, quand les affaires de l'Etat lui laisseront quelque loisir, joignez alors, je vous en conjure, vos prières aux miennes ; et, pour peu qu'un vent favorable vienne à souffler de mon côté, déployez toutes les voiles, afin de relever sur l'eau ma barque enfoncée dans les flots du Styx. Naguère Flaccus commandait sur cette côte, et sous son gouvernement, Graecinus, les rives sauvages de l'Ister étaient tranquilles. Il sut constamment maintenir en paix les nations de Mysie, et son épée fit trembler les Gètes, si confiants dans la puissance de leurs arcs. Par sa valeur impétueuse, il a repris Trosmis (11) tombée au pouvoir de l'ennemi, et a rougi I'Ister du sang des barbares. Demande-lui quel est l'aspect de ces lieux, quelles sont les incommodités du climat de la Scythie, et de combien d'ennemis dangereux je suis environné. Demande-lui si leurs flèches légères ne sont pas trempées dans du fiel de serpent et s'ils n'immolent pas sur leurs autels des victimes humaines. Qu'il te dise si j'en impose ou si, en effet, le Pont-Euxin est bien enchaîné par le froid, et si la glace couvre une étendue de plusieurs arpents dans la mer. Lorsqu'il t'aura donné tous ces détails, informe-toi quelle est ma réputation dans ce pays. Demande-lui comment s'y passent mes longs jours de malheurs. On ne m'y hait point, sans doute, et d'ailleurs je ne le mérite pas. En changeant de fortune, je n'ai point changé d'humeur. J'ai conservé cette tranquillité d'esprit que tu avais coutume d'admirer autrefois, et cette pudeur inaltérable qui se réfléchissait sur mon visage. Tel je suis loin de vous, au milieu d'un peuple farouche, et dans ces lieux où la violence brutale des armes a plus de pouvoir que les lois. Cependant, Graecinus, depuis tant d'années que j'habite ce pays, ni homme, ni femme, ni enfant ne peuvent se plaindre de moi. Aussi les Tomites, touchés de mes malheurs, viennent-ils à mon secours. Oui, et j'en prends à témoin, puisqu'il le faut, cette contrée elle-même, ses habitants qui me voient faire des vœux pour en sortir, voudraient bien que je partisse, mais pour eux-mêmes ils souhaitent que je reste. Si tu ne m'en crois pas sur ma parole, crois en du moins les décrets solennels où l'on me prodigue des éloges, et les actes publics en vertu desquels je suis exempté de tout impôt. Et quoiqu'il ne convienne pas aux malheureux de se vanter, sache encore que les villes voisines m'accordent les mêmes privilèges. Ma piété est connue de tous. Tous, sur cette terre étrangère, savent que dans ma maison j'ai dédié un sanctuaire à César, qu'on y trouve aussi les images de son fils si pieux, et de son épouse, souveraine prêtresse, deux divinités non moins augustes que notre nouveau dieu. Afin qu'il ne manque à ce sanctuaire aucun membre de la famille, on y voit encore les images des deux petits-fils, l'une auprès de son aïeule, et l'autre à côté de son père. Tous les matins, au lever du jour, je leur offre avec mon encens des paroles suppliantes. Interroge tout le Pont, témoin du culte que je leur rends, il te dira que je n'avance rien ici qui ne soit exactement vrai. La terre du Pont sait encore que je célèbre par des jeux la naissance de notre dieu avec toute la magnificence que comporte ce pays.À cet égard, ma piété n'est pas moins célèbre parmi les étrangers qui viennent ici de la vaste Propontide et d'ailleurs, que dans le pays même. Ton frère, lui aussi, quand il commandait sur la rive gauche du Pont, en aura peut-être entendu parler. Ma fortune ne répond pas toujours à mon zèle, mais, dans mon indigence, je consacre volontiers à une pareille oeuvre le peu que je possède. Au reste, loin de Rome, je ne prétends point faire parade d'une piété fastueuse. Je m'en tiens à une piété modeste et sans éclat. Il en viendra sans doute quelque bruit aux oreilles de César, lui qui n'ignore rien de ce qui se passe dans le monde. Tu la connais du moins, toi qui occupes maintenant une place parmi les dieux. Tu vois, César, tout ce que je fais, toi dont les regards embrassent, au-dessous de toi, la surface de la terre. Tu entends, du haut de la voûte étoilée où tu es placé, les vœux inquiets que je t'adresse. Peut-être même ces vers que j'ai envoyés à Rome pour célébrer ton admission dans le séjour des dieux parviendront-ils jusqu'à toi, j'en ai le pressentiment. Ils apaiseront ta divinité, et ce n'est pas sans raison que tu portes le nom si doux de père des Romains.

LETTRE X

à ALBINOVANUS

Voici le sixième été que je passe sur les rivages cimmériens, au milieu des Gètes aux vêtements de peau ! Quel est le marbre, cher Albinovanus (12), quel est le fer dont la résistance soit comparable à la mienne ? L'eau, en tombant goutte à goutte, creuse la pierre. L'anneau s'use par le frottement, et le soc de la charrue s'émousse à force de sillonner la terre. Ainsi, l'action corrosive du temps détruit tout, excepté moi et la mort ! Elle-même est vaincue par l'opiniâtreté de mes souffrances. Ulysse, qui erra dix ans sur des mers orageuses, est cité pour exemple d'une patience inébranlable, mais Ulysse n'éprouva pas toujours les rigueurs du destin. Il eut souvent, dans son infortune, des intervalles de repos. Fut-il donc bien à plaindre d'avoir, pendant six ans, répondu à l'amour de la belle Calypso, et partagé la couche d'une déesse de la mer ? Le fils d'Hippotas (13) le reçut ensuite et lui confia la garde des vents, afin que celui-là seul qui lui était favorable enflât ses voiles et les dirigeât. Il ne fut pas non plus si malheureux d'entendre les chants harmonieux des sirènes, et le suc du lotos n'eut pour lui rien d'amer. Ah ! j'achèterais volontiers, s'il en existait encore, au prix d'une partie de mes jours, des sucs qui me feraient oublier ma patrie. Tu ne compareras pas la ville des Lestrygons aux peuples de ces pays que baigne l'Ister au cours sinueux. Le cyclope ne sera pas plus cruel que le féroce Phyacès, et encore quelle part a-t-il dans les alarmes qui m'assiègent à tous moments ? Si, des flancs monstrueux de Scylla, s'échappent des aboiements sauvages, les vaisseaux héniochiens sont autrement funestes aux nautoniers et tu ne dois pas davantage mettre en parallèle avec les terribles Achéens le gouffre de Charybde, vomissant trois fois les flots qu'elle a trois fois engloutis. Ces barbares, sans doute, promènent plus audacieusement leur existence vagabonde sur la rive droite du fleuve, mais l'autre rive que j'habite n'en est pas pour cela plus sûre. Ici la campagne est nue, et les flèches sont empoisonnées. Ici, l'hiver rend la mer accessible au piéton, et, sur ces ondes, où naguère la rame ouvrait un passage, le voyageur, laissant là son vaisseau, poursuit sa route à pied sec. Les Romains qui viennent ici disent que vous avez peine à croire cet état de choses. Qu'il est malheureux celui dont les souffrances sont trop cruelles pour être croyables ! Crois-moi, cependant, et je ne veux pas te laisser ignorer pourquoi la mer des Sarmates est ainsi chaque hiver. Tout près de nous est une constellation qui a la figure d'un chariot, et dont l'influence amène les plus grands froids. C'est de là que souffle Borée, l'hôte ordinaire de ces rivages, et d'autant plus violent qu'il naît plus près de nous. Le Notus, au contraire, dont la tiède haleine souffle du pôle opposé, n'arrive ici, d'aussi loin, que rarement et d'une aile toujours fatiguée. Ajoutez à cela les fleuves qui viennent se décharger dans cette mer sans issue, et qui, par le mélange, font perdre à l'eau salée une grande partie de sa force. Là se jettent le Lycus, le Sagaris, le Penius, l'Hypanis, le Cratès et l'Halys aux rapides tourbillons. Là aussi se rendent le violent Parthénius et le Cynapis, qui roule avec lui des rochers, et le Tyras, le plus rapide tous, et toi aussi, Thermodon, si connu des belliqueuses Amazones, et toi, Phase, visité jadis par les héros de la Grèce, et le Borysthène, et le Dyraspe, aux eaux limpides, et le Mélanthe, qui poursuit jusque-là et sans bruit son paisible cours, et cet autre qui sépare l'Asie de la sœur de Cadmus, et coule entre elles deux, et cette foule d'autres enfin, parmi lesquels le Danube, le plus grand de tous, refuse, ô Nil, de reconnaître ta suprématie. Cette quantité d'affluents, qui viennent grossir le Pont-Euxin, en altèrent les eaux et en diminuent la force. Bien plus, semblable à un étang aux eaux dormantes d'un marais, il perd beaucoup de sa couleur, laquelle n'est presque plus azurée. L'eau douce, plus légère que celle de ta mer, surnage, car le sel qui domine en celle-ci la rend plus pesante. Si l'on me demande pourquoi je donne tous ces détails à Pédo, pourquoi je me suis amusé à les écrire en vers, j'ai passé le temps, répondrai-je, j'ai trompé mes ennuis. Voilà le fruit d'une heure ainsi écoulée. Pendant que j'écrivais, j'oubliais que j'étais toujours malheureux et toujours au milieu des Gètes. Pour toi, qui composes maintenant un poème en l'honneur de Thésée (14), je ne doute pas que tu n'éprouves les beaux sentiments qu'inspire un si grand sujet, et que tu n'imites le héros que tu chantes. Or Thésée ne veut pas que la fidélité soit la compagne du bonheur. Si grand qu'il ait été par ses actions, et que le représentent tes vers, dignes de sa renommée, on peut toutefois l'imiter en un point. Chacun, par sa fidélité, peut être un Thésée. Tu n'as pas à dompter, armé du glaive ou de la massue, les hordes ennemies qui rendaient l'isthme de Corinthe presque inabordable, mais il faut montrer ici que tu m'aimes, chose toujours facile à qui la veut bien. Est-il si pénible de conserver pur le sentiment de l'amitié ? Mais toi, dont l'amitié me reste tout entière, ne crois pas que les plaintes qui s'exhalent de ma bouche s'adressent à toi.

LETTRE XI

à GALLION

Je ne pourrai qu'à peine me disculper, Gallion (15), de n'avoir pas jusqu'à ce jour cité ton nom dans mes vers, car je ne t'ai point oublié lorsqu'un trait parti de la main d'un dieu m'atteignit. Toi aussi, tu calmas la blessure en l'arrosant de tes larmes, et plût au ciel que, déjà malheureux de la perte d'un ami, tu n'eusses point eu depuis d'autres sujets de plaintes ! Mais les dieux ne l'ont pas permis. Impitoyables, ils ont cru pouvoir sans crime te ravir ta chaste épouse ! Une lettre est venue dernièrement m'annoncer ton malheur et ton deuil, et j'ai pleuré en lisant la cause de ton affliction. Cependant je n'ose entreprendre, si peu sage que je suis moi-même, de consoler un homme aussi sage que toi ni te citer toutes les sentences des philosophes qui te sont familières. Si la raison n'a pas triomphé de ta douleur, je présume que le temps l'aura beaucoup adoucie. Pendant que ta lettre m'arrive et que la mienne te porte ma réponse, à travers tant de terre et de mers, toute une année s'écoule. Il n'est qu'une occasion favorable pour offrir des consolations, c'est lorsque la douleur est encore dans toute sa force, et que le malade a besoin de secours, mais si la plaie du cœur commence à se cicatriser avec le temps, celui-là la réveille qui y touche mal à propos. D'ailleurs (et puissent mes conjectures se vérifier) tu as peut-être déjà heureusement réparé par un nouvel hymen la perte que tu as essuyée.

LETTRE XII

à TUTICANUS

S'il n'est point fait mention de toi dans mes livres, ton nom seul, ô mon ami, en est la cause. Personne plus que toi ne me paraît digne de cet honneur, si toutefois c'est un honneur que d'avoir place en mes écrits. Les lois du rythme et la contexture de ton nom me gênent, et je ne trouve aucun moyen de faire entrer ce dernier dans mes vers. Car j'aurais honte de le scinder en deux parties, l'une finissant le premier vers, et l'autre commençant le second. J'aurais honte d'abréger une syllabe que la prononciation allonge, et de te nommer Tuticanus. Je ne puis non plus t'admettre dans mes vers en t'appelant Tuticanus, et changer ainsi de longue en brève la première syllabe, enfin je ne puis ôter la brièveté à la seconde syllabe, et lui donner une quantité qui n'est pas dans sa nature. On se moquerait de moi si j'osais défigurer ton nom par de telles licences. On dirait avec justice que j'ai perdu la raison.  Voilà pourquoi mon amitié ne t'a point encore payé sa dette, mais enfin je m'acquitte aujourd'hui envers toi avec usure. Je te chanterai sur quelque mesure que ce soit, je t'enverrai des vers, à toi que j'ai connu enfant, enfant moi-même, à toi que, pendant ces longues années qui nous vieillissent également l'un et l'autre, j'aimai de tout l'attachement d'un frère pour son frère. Tu me donnas d'excellents conseils. Tu fus mon guide et mon compagnon lorsque ma main, débile encore, dirigeait mon char dans des routes pour moi toutes nouvelles. Plus d'une fois, docile à ta censure, je corrigeai mes ouvrages, plus d'une fois, suivant mon avis, tu retouchas toi-même les tiens, quand, inspiré par les Muses, tu composais cette Phéacide, digne du chantre de Méonie. Cette amitié constante, cette uniformité de goûts, qui nous ont liés dès notre plus tendre jeunesse, se sont continués sans altération jusqu'à l'âge où nos cheveux ont blanchi. Si tu étais insensible à ces souvenirs, je te croirais un cœur aussi dur que le fer recouvert d'une enveloppe de diamants impénétrables. Mais la guerre et les frimas, ces deux fléaux qui me rendent le séjour du Pont si odieux, auront plus tôt leur terme, Borée soufflera la chaleur, et l'Auster le froid, les rigueurs même de ma destinée s'adouciront, avant que tu n'aies plus d'entrailles pour un ami disgracié. Loin de moi la crainte d'un mal qui serait le comble de mes malheurs ! Ce mal n’est point, et il ne sera jamais.  Seulement emploie pour moi toute la faveur dont tu jouis près des dieux et surtout près de celui sur lequel tu dois le plus compter, et qui t'a élevé aux plus hauts honneurs. Fais qu'en défendant l'exilé par ton zèle persévérant mes voiles n'attendent pas en vain un souffle favorable. Tu me demandes quelle recommandation j'ai à t'adresser ? Que je meure si j'en sais rien moi-même, mais que dis-je ? Ce qui est déjà mort peut-il mourir encore ? Je ne sais ni ce que je dois faire, ni ce que je veux, ni ce que je ne veux pas. J'ignore moi-même ce qui peut m'être utile. Crois-moi, la sagesse est la première à fuir les malheureux. Le sens commun la suit aussi bien que les conseils de la fortune. Cherche toi-même, je t'en prie, quels services tu peux me rendre, et s'il est quelques chemins pour parvenir à réaliser mes vœux.

LETTRE XIII

à CARUS

Toi qui mérites de compter parmi mes plus fidèles amis, toi qui es si bien nommé Carus, reçois mes vœux. La couleur de ces tablettes, le rythme de ces vers, t'indiqueront sur-le-champ d'où te vient cette lettre. Ces vers n'ont sans doute rien de merveilleux. Cependant ils ne ressemblent pas à ceux de tout le monde, et, quels qu'ils soient, on voit de suite que je suis leur père. Toi aussi, quand même tu effacerais les titres de tes écrits, il me semble que j'en reconnaîtrais toujours l'auteur au milieu de mille autres. Je les distinguerais à des signes certains.
L'auteur s'y décèle par une vigueur digne d'Hercule, digne du héros que tu chantes. Ainsi ma muse se trahit par une certaine allure qui lui est propre, et peut-être même par ses défauts. Si Nirée était remarquable par sa beauté, Thersite frappait aussi les regards par sa laideur. Au reste, tu ne devrais pas t'étonner de trouver des défauts dans des vers qui sont presque l'œuvre d'un Gète (
16). Hélas ! J'en rougis! j'ai écrit un poème en langue gétique, j'ai adapté nos mesures à des paroles barbares.
Cependant, félicite-moi,  j'ai su plaire aux Gètes, et déjà ces peuples grossiers commencent à m'appeler leur poète. Vous me demandez de quel sujet j'ai fait choix. J'ai chanté les louanges de César, et sans doute le dieu m'a secondé dans cette tentative nouvelle. J'ai appris à mes hôtes que le corps d'Auguste, le père de la patrie, était mortel, mais que l'essence divine était retournée au ciel, que le fils qui, après bien des résistances, et malgré lui, a pris en main les rênes de l'empire, égalait déjà les vertus de son père (
17), que tu es, ô Livie, la Vesta de nos chastes Romaines, toi qui te montres aussi digne de ton fils que de ton époux, qu'il existe en outre deux jeunes princes (18), les fermes appuis du trône de leur père, et qui ont déjà donné des preuves certaines de leur noble caractère. Après avoir lu ce poème, enfant d'une muse étrangère, et lorsque j'en étais arrivé à la dernière page, tous ces barbares agitèrent leurs têtes, et leurs carquois chargés de flèches, et leurs bouches firent entendre un long murmure d'approbation. "Puisque tu écris de telles choses sur César, me dit l'un d'eux, tu devrais être déjà rendu à l'empire de César." Il l'a dit, Carus, et voilà pourtant le sixième hiver que je suis relégué sous le pôle glacé.
Les vers ne sont bons à rien. Les miens ne m'ont été que trop funestes autrefois. Ils furent la cause première de mon malheureux exil. Je t'en conjure, ô Carus, par cette union que le culte divin des Muses a fait naître entre nous, par les droits d'une amitié respectable à tes yeux, (et si tu entends ma prière, puisse Germanicus, imposant à ses ennemis les chaînes du Latium, préparer aux poètes de Rome une matière féconde! Puissent se fortifier de jour en jour ces enfants si chers à nos dieux, et dont, pour ta plus grande gloire, tu surveilles l'éducation ! ) Je t'en conjure, dis-je, emploie tout ton crédit à me sauver un reste de vie déjà près de s'éteindre si l'on ne change le lieu de mon exil !

LETTRE XIV

à TUTICANUS

Je t'envoie ces vers, à toi dont naguère j'accusais le nom de ne pouvoir s'ajuster à la mesure.
Tu ne trouveras ici rien qui t'intéresse, si ce n'est que ma santé se soutient comme elle peut, mais la santé même m'est odieuse dans cet affreux pays, et je ne souhaite rien tant aujourd'hui que d'en sortir. Mon unique souci est de changer d'exil. Toute autre contrée me sera délicieuse au prix de celle que j'ai actuellement sous les yeux. Lancez mon vaisseau au-milieu des Syrtes, à travers ces gouffres de Charybde, pourvu que je sois délivré de ce pays, dont la vue m'est insupportable. Le Styx lui-même, s'il existe, je le préférerais à l'Ister, et s'il est un abîme plus profond que le Styx, je le préférerais encore.
Le champ cultivé est moins ennemi des herbes stériles, l'hirondelle est moins ennemie des hivers qu'Ovide du voisinage des Gètes belliqueux.À ces paroles, les habitants de Tomes s'indignent contre moi, et mes vers ont soulevé la colère publique. Ainsi donc, je ne cesserai par mes vers d'attirer sur moi le malheur, et mon esprit peu sage me sera donc une source d'éternels châtiments ? Mais d'où vient que j'hésite encore à me couper les doigts pour ne plus écrire, et que, dans ma folie, je continue à manier ces armes qui m'ont été si fatales ? Mes regards cherchent de nouveau ces écueils où je touchai jadis, ces ondes perfides où vint échouer mon vaisseau. Mais je n'ai rien fait, habitants de Tomes, qui doive vous offenser.
Si je hais votre pays, je ne vous en aime pas moins. Parcourez tous ces ouvrages que j'ai produits dans mes veilles, vous n'y trouverez pas un mot de plainte contre vous. Je me plains du froid, des incursions qui nous menacent de toutes parts, et d'un ennemi qui vient sans cesse assiéger vos remparts. J'ai souvent déclamé, et avec raison, contre le pays, mais non contre les hommes, et vous-mêmes, vous avez plus d'une fois accusé le sol que vous habitez.
La muse du poète antique qui chanta la culture osa bien dire qu'Ascra était un séjour insupportable en toute saison, et pourtant celui qui écrivait ainsi était né à Ascra (
19), et Ascra ne s'irrita point contre son poète. Quel homme eut pour sa patrie plus de tendresse que le sage Ulysse ? Et cependant c'est de lui qu'on sait que sa patrie n'était qu'un rocher stérile. Scepsius, dans ses écrits pleins d'amertume, n'attaque pas le pays, mais bien les mœurs de l'Ausonie (20). Il mit en cause Rome elle-même, et toutefois Rome souffrit avec patience ces invectives et ces mensonges, et sa langue insolente ne lui attira rien de fâcheux. Mais un interprète maladroit excite contre moi la colère du peuple de Tomes, et appelle sur ma muse un nouvel orage. Plût au ciel que mon bonheur fût égal à mon innocence ! Le fiel de ma bouche n'a encore blessé personne ; et quand j'aurais l'âme plus noire que la poix d'Illyrie, ma critique ne s'adresserait jamais à un peuple si constant dans l'amitié qu'il me porte. Habitants de Tomes, la douce hospitalité que je reçois de vous et votre humanité dénotent suffisamment votre origine grecque. Les Péligniens, mes compatriotes, et Sulmone, où je suis né, n'auraient pas été plus sensibles que vous à mes malheurs. Vous venez encore de m'accorder un honneur que vous accorderiez à peine à celui que la fortune aurait respecté, et encore à présent je suis le seul qui, sur ces bords, ait été jusqu'à ce jour exempt d'impôts, le seul, dis-je, à l'exception de ceux à qui la loi confère ce privilège. Vous avez ceint mon front d'une couronne sacrée, hommage que j'ai été contraint de recevoir de la bienveillance publique. Autant Latone aime Délos, qui seule lui offrit une retraite lorsqu'elle était errante, autant j'aime Tomes, où, depuis mon bannissement jusqu'à ce jour, j'ai trouvé une hospitalité inviolable. Plût aux dieux seulement qu'on pût espérer d'y vivre en paix, et qu'elle fût située dans un climat plus éloigné du pôle glacé !

LETTRE XV

à SEXTUS POMPÉE

S'il est encore au monde un homme qui se souvienne de moi, et qui s'informe de ce que moi, Ovide, je fais dans mon exil, qu'il sache que je dois la vie aux Césars, et la conservation de cette vie à Sextus, à Sextus, qui, après les dieux, est le premier dans mon affection ! Si, en effet, je passe en revue les différentes phases de ma déplorable existence, il n'en est pas une seule qui ne soit marquée par ses bienfaits. Ils sont tout aussi nombreux que les graines vermeilles enfermées sous l'enveloppe flexible de la grenade dans un jardin fertile, que les épis des moissons de l'Afrique, que les raisins de la terre du Tmole, que les oliviers de Sicyon et les rayons de miel de l'Hybla. J'en fais l'aveu, tu peux invoquer mon témoignage. Romains, signez tous, il n'est pas besoin de l'autorité des lois. Ma parole suffit. Tu peux, quelque mince que soit ma valeur, me compter dans ton patrimoine. Je veux être une partie, si faible qu'elle soit, de ta fortune. Comme ta terre de Sicile est celle où Philippe régna jadis, comme ta maison qui s'étend jusqu'au forum d'Auguste, et ton domaine de Campanie, les délices de son maître, comme enfin tous les biens que tu possèdes par droit d'héritage ou d'achat, t'appartiennent sans contredit, ô Sextus, ainsi je t'appartiens moi-même. Triste propriété, sans doute, mais qui te donne au moins le droit de dire que tu possèdes quelque chose dans le Pont. Plaise aux dieux que tu le puisses dire un jour ! Que j'obtienne un lieu d'exil plus favorable, et que, par conséquent, tu aies ton bien mieux placé ! Mais puisque telle est la volonté des dieux, tâche d'apaiser par tes prières ces divinités auxquelles tu rends chaque jour tes pieux hommages, car ton amitié prouve mon innocence autant qu'elle aime à me consoler dans mon infortune. Je t'implore d'ailleurs avec pleine confiance, mais tu sais que, lors même qu'on descend le fil de l'eau, le secours des rames seconde encore la rapidité du courant. Je rougis de te faire toujours la même prière, et je crains de te causer de trop justes ennuis, mais qu'y faire ? Le désir est une chose qu'on ne peut modérer. Pardonne, tendre ami, à mes importunités fatigantes. Souvent je voudrais bien t'écrire sur tout autre sujet, mais toujours je retombe sur le même, et ma plume elle-même me ramène à ce triste lieu commun. Cependant, soit que ton crédit ait pour moi d'heureux résultats, soit que la Parque inflexible me condamne à mourir sous ce pôle glacé, mon cœur reconnaissant se rappellera toujours tes bons offices. Toujours cette terre où je passe ma vie m'entendra répéter que je suis à toi, et non seulement cette terre, mais encore toutes celles qui sont sous le ciel, si ma muse peut jamais s'ouvrir un passage à travers le barbare pays des Gètes. Oui, l'univers saura que tu m'as sauvé la vie, et que je suis plus à toi que si tu m'avais acheté à prix d'argent.

LETTRE XVI

à UN ENVIEUX

Pourquoi donc, envieux, déchires-tu les vers d'Ovide, qui n'est plus ? La mort n'étend pas ses droits destructeurs jusque sur le génie. La renommée grandit après elle, et j'avais déjà quelque réputation quand je comptais encore parmi les vivants. Tels florissaient alors, et Marsus, et l'éloquent Rabirius (21), et Macer, le chantre d'Ilion, et le divin Pédo (22), et Carus (23), qui, dans son poème d'Hercule, n'aurait pas épargné Junon, si déjà Hercule n'eût été le gendre de la déesse, et Sévère (24), qui a donné au Latium de sublimes tragédies, et les deux Priscus, avec l'ingénieux Numa (25), et toi, Montanus (26), qui n'excelles pas moins dans les vers héroïques que dans les vers inégaux, et qui as exploité les deux genres au profit de ta gloire, et Sabinus qui fit écrire à Ulysse (27), errant depuis deux lustres sur une mer irritée, des lettres adressées à Pénélope, mais qu'une mort prématurée a enlevé à la terre, avant qu'il ait mis la dernière main à sa Trézène et à ses Fastes, et Largos, qui doit ce surnom à la fécondité de son génie, et qui conduisit dans les plaines de la Gaule le vieillard phrygien (28), et Camerinus, qui a chanté Troie, conquise par Hercule, et Tuscus (29), qui s'est rendu célèbre par sa Phyllis, et le poète de la mer, dont les chants semblent être l'œuvre des dieux mêmes de la mer, et cet autre qui décrivit les armées libyennes et leurs combats contre les Romains (30), et Marius, cet heureux génie qui se prêtait à tous les genres, et Trinacrius, l'auteur de la Perséide, et Lupus (31), le chantre du retour de Ménélas et d'Hélène dans leur patrie, et le traducteur de la Phéacide (32), inspirée par Homère. Toi aussi, Rufus (33), qui tiras des accords de la lyre de Pindare, et la muse de Turranus (34), chaussée du cothurne tragique, et la tienne, Mélissus (35), plus légère et chaussée du brodequin. Alors, pendant que Varus et Gracchus (36) faisaient parler les tyrans inhumains, que Proculus (37) suivait la pente si douce, tracée par Callimaque, que Tityre (38) conduisait ses troupeaux dans les champs de ses pères, et Gratius (39) donnait des armes au chasseur, que Fontanus (40) chantait les Naïades aimées des Satyres, que Capella (41) modulait des strophes inégales, que beaucoup d'autres, qu'il serait trop long de nommer, et dont les vers sont entre les mains de tout le monde, s'exerçaient alors dans la poésie, qu'enfin s'élevaient de jeunes poètes dont je ne dois point citer les noms, puisque leurs oeuvres n'ont pas vu le jour, et parmi eux, cependant, je ne puis te passer sous silence, ô Cotta (42), toi l'honneur des muses et l'une des colonnes du barreau, toi qui, descendant des Cotta par ta mère, et des Messala par ton père, représentes à la fois les deux plus nobles familles de Rome. Alors, au milieu de ces grands noms, ma muse, si je l'ose dire, occupait glorieusement la renommée, et mes poésies trouvaient des lecteurs. Cesse donc, Envie, de déchirer un exilé. Cesse, cruelle, de disperser mes cendres. J'ai tout perdu, hors un souffle de vie qu'on ne m'a laissé sans doute que pour servir d'aliment à mes malheurs, et pour m'en faire sentir toute l'amertume.À quoi bon enfoncer le fer dans un corps inanimé ? Il ne reste plus d'ailleurs en moi de place à de nouvelles blessures.

LIVRE IV

LETTRE PREMIÈRE

(1 ) Cet artiste est Apelle, né à Cos, et cette Vénus, son chef-d'œuvre, la Vénus Anadyomène, c'est-à-dire sortant des flots.

(2) Cette statue était d'or et d'ivoire. On peut juger de sa hauteur par la dimension de la Victoire qui était représentée sur l'égide de la déesse. Cette égide était d'environ quatre coudées. Phidias osa graver son nom sur le piédestal, quoique cela fût interdit aux artistes, sous peine de mort.

(3) Voy. sur Calamis et ses chevaux, Pline, liv. XXXIV, ch. 8.

(4) Myron, statuaire célèbre, surtout par une vache dont Pline vante la perfection.

LETTRE II

(5) Le Sévère dont il s'agit ici est apparemment Cornelius Sévérus, dont parle Quintilien (Inst. orat., liv. 10.)

(6) Les Coralles étaient un peuple habitant les bords de l'Euxin.

LETTRE V

(7) Il s'agit ici du temple élevé par Jules César à Vénus, dont il prétendait descendre par son fils Énée.

(8) Ce Germanicus était appelé le jeune, à cause de son père, Drusus Néron Germanicus. C'est celui-là qui vengea la défaite de Varus et dont Tacite fait un si grand éloge. Il fut père de Caligula et grand-père de Néron.

LETTRE IX

(9) Lorsqu'on faisait une vente ou une adjudication publique, on plantait une pique qui était le signe ou l'annonce de cette adjudication.  Les revenus publics s'affermaient pour un lustre ou cinq ans.

(10) Le dictateur avait vingt-quatre licteurs, tandis que le consul n'en avait que douze. C'est que la dictature n'était qu'une magistrature extraordinaire et en dehors de la constitution, tandis que le consulat était et demeurait toujours, nonobstant les circonstances, la plus haute charge de l'Etat.

(11) Ce mot varie dans les manuscrits de huit ou dix manières ; le véritable nom est en effet Trosmin , en grec Trôsmis ou Trôismis. C'était une ville de la basse Mysie.

LETTRE X

(12) Celui-ci se nomme Caïus Pedo Albinovanus, et l'autre, auquel Horace adresse aussi une épître, se nomme Celsus Albinovanus.

(13) Éole, fils d'Hippotas, remit à Ulysse des outres qui enfermaient les vents, pour la commodité de son voyage. (Mét., liv. XIV, v. 229.)

(14) On voit ici qu'Albinovanus était poète, et que Thésée était le sujet de ses chants.

LETTRE XI

(15) Junius Gallio fut le père adoptif d'Annaeus Novatus, frère de Sénèque, le philosophe, et qui fut proconsul d'Achaïe au temps de la prédication de saint Paul, à Corinthe. (Voy. Actes des Apôtres, ch. XVIII)

LETTRE XIII

(16) Ovide avait fait un poème en langue gétique, à la louange d'Auguste.

(17) Tibère, fils d'Auguste par adoption.

(18) Germanicus le jeune, fils de Drusus , et adopté par Tibère, et Drusus, fils naturel de Tibère.

LETTRE XIV

(19)  Hésiode, le chantre des Travaux et des jours, et de la Théogonie.  Il était d'Ascra en Béotie.

(20)  C'est Métrodorus Sceptius dont il s'agit ici, et que Pline dit avoir été un philosophe et non un poète (liv. XXXIV, ch. IX).

LETTRE XVI

(21) Domitius Marsus fut un poète célèbre, au temps d'Auguste. Rabirius Fabius le range parmi les poètes épiques.

(22) Emilius Macer a écrit sur la guerre de Troie, d'où l'épithète Iliacus que lui donne Ovide. C'est à Pedo Albinovanus qu'est adressée la lettre X de ce quatrième livre. Ovide lui donna le nom de sidereus, à cause d'un poème qu'il composa, dit-on, sur les astres.

(23) C'est à Carus qu'est adressée l'épître XIII ci-dessus. Il avait fait une Héracléide, ou poème en l'honneur d'Hercule.

(24) Cornelius Severus, poète tragique. Ovide dit carmen regale, parce que les crimes et les passions des rois faisaient le sujet des tragédies.

(25) Trois poètes inconnus.

(26) Jules Montanus, poète ami de Tibère.

(27) Sabinus est célèbre par une héroïde, en réponse à la lettre qu'Ovide adressait à Ulysse au nom de Pénélope.

(28) Anténor, vieillard troyen, vint en Italie après la prise de Troie, et fonda Padoue.

(29) Tuscus est inconnu, Heinsius croit qu'il faut lire Fuscus.

(30) On ne sait pas non plus quel est ce poète.

(31) Trois poètes inconnus.

(32) Voy. let. XII de ce livre, v. 27.

(33) Peut-être Pomponius Rufus.

(34) Auteur inconnu.

(35) Melissus est auteur de comédies appelées Togatae, suivant le scoliaste d'Horace.

(36) Quinctilius Varus, de Crémone, ami de Virgile et d'Horace, poète particulièrement fort vanté par celui-ci. Gracchus, poète du même temps fit, comme Varus, une tragédie de Thyeste.

(37) Fabius parle d'un Proculus qu'il met au premier rang des poètes élégiaques. C'est tout ce qu'on en sait.

(38) Virgile est ici désigné par le titre de sa première églogue.

(39) Gratius, est auteur d'un poème sur la chasse, qui est venu jusqu'à nous.

(40) Auteur inconnu.

(41) Capella est auteur d'élégies qui ne nous sont point parvenues.

(42) Voy. la lettre V du liv. III.