LIVRE I - LIVRE II PÄRTIE I - PARTIE II - LIVRE III PARTIE I - PARTIE II
TRAITÉ DE L'AME.
LIVRE TROIS.
PARTIE II (chapitre I à VI)
LIVRE TROISIÈME. FIN DE LA THEORIE DE LA SENSIBILITÉ. - L'IMAGINATION. — L'INTELLIGENCE .— LA LOCOMOTION. -- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. CHAPITRE PREMIER. Il ne peut pas y avoir de sens outre les cinq sens connus. Il ne peut pas y avoir de sens spécial pour les choses communes à tous les sens: le mouvement, le repos, la figure, la grandeur, le nombre, etc. Si nous pouvons par plusieurs sens percevoir les choses communes, c'est afin que nos perceptions soient plus sûres et plus exactes. |
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424b.22 1 Ὅτι δ' οὐκ ἔστιν αἴσθησις ἑτέρα παρὰ τὰς πέντε (λέγω δὲ ταύτας ὄψιν, ἀκοήν, ὄσφρησιν, γεῦσιν, ἁφήν), ἐκ τῶνδε πιστεύσειεν ἄν τις. Εἰ γὰρ παντὸς οὗ ἐστὶν αἴσθησις ἁφὴ καὶ νῦν αἴσθησιν ἔχομεν (πάντα γὰρ τὰ τοῦ ἁπτοῦ ᾗ ἁπτὸν πάθη τῇ ἁφῇ ἡμῖν αἰσθητά ἐστιν), ἀνάγκη τ', εἴπερ ἐκλείπει τις αἴσθησις, καὶ αἰσθητήριόν τι ἡμῖν ἐκλείπειν, καὶ ὅσων μὲν αὐτῶν ἁπτόμενοι αἰσθανόμεθα, τῇ ἁφῇ αἰσθητά ἐστιν, ἣν τυγχάνομεν ἔχοντες, ὅσα δὲ διὰ τῶν μεταξὺ καὶ μὴ αὐτῶν ἁπτόμενοι, τοῖς ἁπλοῖς, λέγω δ' οἷον ἀέρι καὶ ὕδατι, 2 ἔχει δ' οὕτως ὥστ' εἰ μὲν δι' ἑνὸς πλείω αἰσθητὰ ἕτερα ὄντα ἀλλήλων τῷ γένει, ἀνάγκη τὸν ἔχοντα τὸ τοιοῦτον αἰσθητήριον ἀμφοῖν αἰσθητικὸν εἶναι (οἷον εἰ ἐξ ἀέρος ἐστὶ τὸ αἰσθητήριον, καὶ ἔστιν ὁ ἀὴρ καὶ ψόφου καὶ χρόας), εἰ δὲ πλείω 425a τοῦ αὐτοῦ, οἷον χρόας καὶ ἀὴρ καὶ ὕδωρ (ἄμφω γὰρ διαφανῆ), καὶ ὁ τὸ ἕτερον αὐτῶν ἔχων μόνον αἰσθήσεται τοῦ δι' ἀμφοῖν, 3 τῶν δὲ ἁπλῶν ἐκ δύο τούτων αἰσθητήρια μόνον ἐστίν, ἐξ ἀέρος καὶ ὕδατος (ἡ μὲν γὰρ κόρη ὕδατος, ἡ δ' ἀκοὴ ἀέρος, ἡ δ' ὄσφρησις θατέρου τούτων), τὸ δὲ πῦρ ἢ οὐθενὸς ἢ κοινὸν πάντων (οὐθὲν γὰρ ἄνευ θερμότητος αἰσθητικόν), γῆ δὲ ἢ οὐθενός, ἢ ἐν τῇ ἁφῇ μάλιστα μέμικται ἰδίως, διὸ λείποιτ' ἂν μηθὲν εἶναι αἰσθητήριον ἔξω ὕδατος καὶ ἀέρος, 4 ταῦτα δὲ καὶ νῦν ἔχουσιν ἔνια ζῷα-πᾶσαι ἄρα αἱ αἰσθήσεις ἔχονται ὑπὸ τῶν μὴ ἀτελῶν μηδὲ πεπηρωμένων (φαίνεται γὰρ καὶ ἡ ἀσπάλαξ ὑπὸ τὸ δέρμα ἔχουσα ὀφθαλμούς)· ὥστ' εἰ μή τι ἕτερον ἔστι σῶμα, καὶ πάθος ὃ μηθενός ἐστι τῶν ἐνταῦθα σωμάτων, οὐδεμία ἂν ἐκλείποι αἴσθησις. 5 Ἀλλὰ μὴν οὐδὲ τῶν κοινῶν οἷόν τ' εἶναι αἰσθητήριόν τι ἴδιον, ὧν ἑκάστῃ αἰσθήσει αἰσθανόμεθα κατὰ συμβεβηκός, οἷον κινήσεως, στάσεως, σχήματος, μεγέθους, ἀριθμοῦ· ταῦτα γὰρ πάντα [κινήσει] αἰσθανόμεθα, οἷον μέγεθος κινήσει (ὥστε καὶ σχῆμα· μέγεθος γάρ τι τὸ σχῆμα), τὸ δ' ἠρεμοῦν τῷ μὴ κινεῖσθαι, ὁ δ' ἀριθμὸς τῇ ἀποφάσει τοῦ συνεχοῦς, καὶ τοῖς ἰδίοις (ἑκάστη γὰρ ἓν αἰσθάνεται αἴσθησις)· ὥστε δῆλον ὅτι ἀδύνατον ὁτουοῦν ἰδίαν αἴσθησιν εἶναι τούτων, οἷον κινήσεως· οὕτω γὰρ ἔσται ὥσπερ νῦν τῇ ὄψει τὸ γλυκὺ αἰσθανόμεθα· 6 τοῦτο δ' ὅτι ἀμφοῖν ἔχοντες τυγχάνομεν αἴσθησιν, ᾗ ὅταν συμπέσωσιν ἅμα γνωρίζομεν. Εἰ δὲ μή, οὐδαμῶς ἂν ἀλλ' ἢ κατὰ συμβεβηκὸς ᾐσθανόμεθα (οἷον τὸν Κλέωνος υἱὸν οὐχ ὅτι Κλέωνος υἱός, ἀλλ' ὅτι λευκός, τούτῳ δὲ συμβέβηκεν υἱῷ Κλέωνος εἶναι)· 7 τῶν δὲ κοινῶν ἤδη ἔχομεν αἴσθησιν κοινήν, οὐ κατὰ συμβεβηκός· οὐκ ἄρ' ἐστὶν ἰδία· οὐδαμῶς γὰρ ἂν ᾐσθανόμεθα ἀλλ' ἢ οὕτως ὥσπερ εἴρηται [τὸν Κλέωνος υἱὸν ἡμᾶς ὁρᾶν]. τὰ Δ' ἀλλήλων ἴδια κατὰ συμβεβηκὸς αἰσθάνονται αἱ αἰσθήσεις, οὐχ ᾗ αὐταί, ἀλλ' ᾗ μία, ὅταν 425b ἅμα γένηται ἡ αἴσθησις ἐπὶ τοῦ αὐτοῦ, οἷον χολῆς ὅτι πικρὰ καὶ ξανθή (οὐ γὰρ δὴ ἑτέρας γε τὸ εἰπεῖν ὅτι ἄμφω ἕν)· διὸ καὶ ἀπατᾶται, καὶ ἐὰν ᾖ ξανθόν, χολὴν οἴεται εἶναι. 8 Σητήσειε δ' ἄν τις τίνος ἕνεκα πλείους ἔχομεν αἰσθήσεις, ἀλλ' οὐ μίαν μόνην. Ἢ ὅπως ἧττον λανθάνῃ τὰ ἀκολουθοῦντα καὶ κοινά, οἷον κίνησις καὶ μέγεθος καὶ ἀριθμός; εἰ γὰρ ἦν ἡ ὄψις μόνη, καὶ αὕτη λευκοῦ, ἐλάνθανεν ἂν μᾶλλον κἂν ἐδόκει ταὐτὸν εἶναι πάντα διὰ τὸ ἀκολουθεῖν ἀλλήλοις ἅμα χρῶμα καὶ μέγεθος. Νῦν δ' ἐπεὶ καὶ ἐν ἑτέρῳ αἰσθητῷ τὰ κοινὰ ὑπάρχει, δῆλον ποιεῖ ὅτι ἄλλο τι ἕκαστον αὐτῶν.
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§ 1. 424b.22 Pour se convaincre qu'il n'y a point d'autre sens que les cinq sens ordinaires, je veux dire la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher, il suffit des remarques suivantes. Si tous les objets auxquels s'applique le sens du toucher nous sont perceptibles actuellement, toutes les modifications de l'objet tangible, en tant que tangible, nous devenant sensibles par le toucher, il faut nécessairement, si quelque sensation du toucher nous manque, que quelque moyen de sentir nous manque aussi. Or, toutes les choses que nous sentons en les touchant directement elles-mêmes, sont sensibles par le sens du toucher tel que nous le possédons; et pour les choses que nous ne sentons que par des intermédiaires, et sans pouvoir les toucher elles-mêmes, nous les sentons par des éléments simples, je veux dire par l'air et par l'eau. § 2. Nous sommes constitués de telle sorte que, si plusieurs choses, différant de genre entre elles, peuvent être senties par l'intermédiaire d'un seul élément, il faut nécessairement que l'être qui a un tel moyen de sentir soit sensible aussi aux deux choses diverses. Prenons, par exemple, le moyen de sentir qui vient de l'air, et l'air, qui s'applique à la fois et au son et à la couleur. D'autre part, si plusieurs éléments 425a se rapportent à la même sensation, par exemple l'air et l'eau se rapportant à la couleur, tous les deux étant diaphanes, il suffit d'avoir l'un pour sentir ce qu'on peut percevoir par les deux. § 3. Du reste, les organes ne relèvent parmi les corps simples que de ces deux-là seulement, l'air et l'eau. Ainsi la pupille se rapportée l'eau, l'ouïe à l'air, et l'odorat à l'un ou à l'autre. Quant au feu, il ne se rapporte à aucun sens, ou plutôt il est commun à tous ; car il n'y a pas d'être doué de sensibilité qui n'ait de la chaleur. La terre ne sert à aucun sens ; ou bien, c'est surtout dans le toucher qu'elle intervient avec le rôle qui lui est propre. Il résulterait de tout ceci, qu'il n'y aurait pas de moyen de sentir qui ne se rapportât soit à l'air, soit à l'eau. § 4. Et il y a même dans l'état actuel des choses des animaux qui remplissent toutes ces conditions. Donc, tous les sens sont possédés sans exception par les animaux qui ne sont ni incomplets ni mutilés. La taupe même, à ce qu'il paraît, a des yeux sous la peau. En résumé, à moins qu'il n'y ait un autre corps possible, et qu'il n'y ait d'autres qualités qui n'appartiennent à aucun des corps d'ici-bas, on peut affirmer qu'aucun sens ne nous manque. § 5. Mais il n'est pas davantage possible qu'il y ait un sens particulier pour les choses communes, dont les sens spéciaux ne nous donnent les perceptions qu'accidentellement : je veux dire le mouvement, le repos, la figure, la grandeur, le nombre, l'unité. C'est que nous sentons tout cela par le mouvement; ainsi, nous sentons la grandeur par le mouvement; par conséquent encore, la figure, car la figure est bien aussi une sorte de grandeur. Nous sentons ce qui est en repos parce qu'il ne remue pas; nous sentons le nombre par la négation de la continuité, et par les sens spéciaux, car chacun des sens sent l'unité. Ainsi donc évidemment, il ne saurait y avoir un sens propre pour Tune quelconque de ces choses, et, par exemple, pour le mouvement. Il en serait comme il en est actuellement, quand nous sentons les choses douces même par la vue. § 6. Et c'est parce que nous nous trouvons avoir la sensation des deux choses, que nous les reconnaissons à la manière dont elles se rencontrent, et quand elles se rencontrent simultanément. Autrement, nous n'en aurions aucune sensation; ou du nous, nous n'en aurions que des sensations accidentelles, comme si, par exemple, du fils de Cléon nous sentions, non pas qu'il est le fils de Cléon, mais qu'il est blanc; or ce n'est qu'un accident, pour tel objet blanc, d'être le fils de Cléon. § 7. D'ailleurs, nous avons bien une sensation commune pour les choses communes, et nous ne les percevons pas simplement par accident. Mais il n'y a pas pour elles de sens propre; car alors nous ne pourrions les sentir que comme nous disions tout-à-l'heure que nous voyons le fils de Cléon. Les sens peuvent percevoir accidentellement les objets spéciaux les uns des autres, non pas en tant qu'ils sont des sens séparés, mais en tant qu'ils se réunissent en un seul ; comme lorsqu'une 425b double sensation arrive en même temps pour un même objet : par exemple, pour la bile, qui est amère et qui est jaune. Il n'est possible à aucun des deux sens, de dire que celte chose unique ait ces deux qualités à la fois ; et voilà aussi pourquoi l'on se trompe si, par cela seul que l'on voit un corps jaunâtre, on va s'imaginer que ce soit de la bile. § 8. On pourrait aussi demander pourquoi il nous a été donné plusieurs sens pour percevoir les choses communes, et non pas un seul uniquement. C'est sans doute afin que nous nous trompions moins souvent sur les choses qui ne font qu'accompagner les autres, sur ces choses communes telles que le mouvement, la grandeur et le nombre. Si la vue, en effet, était seule quand elle perçoit un objet blanc, elle serait exposée à se tromper bien davantage, et à toujours croire que couleur et grandeur sont une même chose parce qu'elles se suivent sans cesse. Mais comme ici les choses communes sont aussi dans un autre objet sensible, cela nous apprend que la couleur et la grandeur sont différentes. |
L'authenticité de ce troisième livre a été révoquée en doute par un érudit allemand, M. C. H. Weisse, que cite M. Trendelenbourg. C'est là une de ces témérités philologiques dont M. Ast a donné l'exemple, mais dont il n'est pas possible à une saine critique de tenir le moindre compte. Averroès, et Albert, qui l'a imité, ainsi que quelques autres commentateurs latins, ne commencent ce troisième livre qu'au chapitre 4, et réunissent les trois premiers chapitres au livre précédent. Thémistius, Simplicius, . Philopon, suivent la division ordinaire; et ils doivent faire autorité, bien que cette division ne soit peut-être pas fort logique. § 1. Il n'y a pas d'autre sens que les cinq sens ordinaires. La question est très claire, la solution ne l'est pas moins ; mais les démonstrations par lesquelles Aristote prétend y arriver, sont fort loin d'être décisives : elles sont très obscures, et tous les commentateurs le prouvent assez par les efforts même qu'ils ont faits pour les expliquer. Aucun n'y est parvenu entièrement, et je crois qu'il est à peu près impossible d'aller plus loin qu'eux. La concision du texte est extrême, et elle peut prêter à des explications assez diverses et en général peu satisfaisantes. Il n'y a pas d'autres sens que les cinq sens ordinaires, parmi les animaux quels qu'ils soient ; car l'homme, qui est le plus parfait des animaux, n'a que cinq sens. Par conséquent, les autres ne peuvent en avoir davantage. Tel est le sens général que les Coïmbrois donnent à ce premier paragraphe, et ce sens est admissible. Voir plus bas § 4. Nous sont perceptibles actuellement, avec l'organisation humaine telle que nous la connaissons. Quelque sensation du toucher. J'ai ajouté ces deux derniers mots pour être plus clair ; et il me semble que la suite les justifie, et même les exige. Quelque moyen de sentir nous manque aussi. Or, il n'y a que deux moyens possibles de sentir les choses par le toucher, ou directement ou médiatement. Ces deux moyens, nous les avons ; et, par suite, on peut conclure que nous sentons par le toucher tout ce qui peut être perceptible par ce sens. J'ai traduit : « moyen de sentir, » et non point « organe, » afin de rendre mieux ce qu'il y a d'indéterminé et d'équivoque dans l'expression d'Aristote, qui se sert du même mot pour exprimer tantôt l'organe, tantôt le milieu qui agit sur lui. Les Coïmbrois ont avec raison remarqué cette cause d'obscurité. Par des éléments simples. J'ai ajouté éléments. Le texte de l'édition de Berlin et celui de M. Trendelenbourg donnent seulement : « Par des simples, » ces mots étant exprimée par un ablatif pluriel neutre. Le texte antérieurement admis était : « Par des intervalles simples. » M. Trendelenbourg insiste beaucoup sur cette différence; je la crois peu importante : le sens reste le même. Si l'on admet le mot « d'intervalles, » ce seront toujours des intervalles remplis d'éléments simples. Par l'air et par l'eau, qui transmettent les impressions à tous les sens, comme il a été démontré plus haut, liv. II, ch. 7 et suiv. § 2. Nous sommes constitués. Le texte dit d'une manière moins précise : « Il en est de telle sorte, etc. » — Et l'air qui s'applique à la fois et au son et à la couleur, La pensée n'est pas complète, et, pour l'achever, Aristote aurait dû dire que l'être qui peut sentir par l'intermédiaire de l'air, doit pouvoir sentir les sons et les couleurs, dont l'air est le milieu indispensable. Après avoir traité dans le paragraphe précédent des sensations que nous obtenons par le toucher, Aristote traite des sensations que nous pouvons obtenir, toutes différentes qu'elles sont, par un seul intermédiaire, et aussi des sensations identiques que nous obtenons par plusieurs milieux ; il veut prouver que dans un cas comme dans l'autre, nous atteignons sans exception tous les objets qui sont accessibles à chacun de nos sens Se rapportent à la même sensation, peuvent nous transmettre la sensation d'une seule et même chose. Ainsi la couleur se voit dans l'air et dans l'eau, l'air et l'eau étant diaphanes. Il suffit d'avoir l'un, il suffit de pouvoir percevoir par le moyen d'un de ces deux éléments, d'avoir un organe en rapport avec l'un de ces deux éléments. Ce qu'on peut percevoir par les deux. L'édition de Berlin dit simplement : « Pour sentir les deux. » M. Trendelenbourg a bien fait de rétablir l'ancienne leçon, qui est indispensable. § 3. Les organes ne relèvent parmi les corps simples que de ces deux-là seulement. L'expression est obscure, mais j'ai dû laisser la pensée indécise comme elle l'est dans le texte. Il peut signifier à la fois et que les organes sont composés des éléments, et qu'ils en viennent, et qu'ils sont en rapport avec eux. Ce dernier sens d'ailleurs paraît préférable ; mais les mots dont se sert Aristote ne l'exigent pas impérieusement. La pupille se rapporte à l'eau. Il semble au contraire ici qu'Aristote veut dire que la pupille est composée d'eau ; mais l'ouïe ne l'est certainement pas d'air : elle est seulement en rapport avec l'air, de même que l'odorat peut être en rapport avec l'air, ou avec l'eau. Qui n'ait de la chaleur, afin de pouvoir digérer et se nourrir, comme il a été dit plus haut, liv. Il, ch. 4, § 16. La terre ne sert à aucun sens. Aristote a dit plus haut, liv. II, ch. 11, § 4, comme il le dit ici, que la terre doit servir au sens du toucher, parce que le corps d'aucun être animé ne peut être composé uniquement d'air ou d'eau. De moyen de sentir, au lieu de « organe, » que j'ai repoussé ici comme plus haut, § 1, et par la même raison, § 4. Dans l'état actuel des choses. Le texte dit simplement : Maintenant. Qui remplissent toutes ces conditions, c'est-à-dire qui peuvent percevoir des sensations par deux intermédiaires, par l'air et par l'eau. Donc tous les sens, etc. M. Trendelenbourg trouve cette conclusion tout-à-fait incomplète et tout-à-fait inattendue. « Aristote, dit-il, s'était proposé de montrer, non pas que tous les animaux ont tous les sens, mais qu'il n'y a que cinq sens. » Cette objection même, qui semble spécieuse, est une preuve de plus qu'il convient d'entendre le § 1 de ce chapitre comme l'ont fait les Coïmbrois, et comme je l'ai indiqué en note. La fin du paragraphe revient d'ailleurs à la question même des cinq sens ; et quoique la conclusion ne soit pas bien démontrée par ce qui précède, elle y tient cependant directement; Aristote répond très positivement au doute qu'il avait élevé au début. Simplicius essaie aussi de prouver que le raisonnement, bien qu'un peu embarrassé, se suit bien et qu'il est concluant.—La taupe même. Voir l'Histoire des animaux, liv. 1, ch. 9, p. 491, b, 30, éd. de Berlin ; et aussi liv. TV, ch. 8, p. 533, a, 3, où Aristote répète à peu près ce qu'il a dit au livre I. Les commentateurs se sont beaucoup exercés, d'après l'exemple de Simplicius, à rechercher pourquoi la nature avait refusé la vue à la taupe, qui d'ailleurs, est un animal complet. La raison qu'en donne le cardinal Tolet est ingénieuse et neuve : La «nature, dit-il, a couvert ainsi les yeux de la taupe pour qu'au moment où elle sort de la terre, ses yeux ne fussent pas blessés par l'éclat de la lumière ; elle les a garnis d'un tégument pour les défendre contre tous les accidents; et ce tégument est transparent de manière que la taupe puisse encore y voir assez pour se diriger. » Un autre corps possible, un corps autre que les deux intermédiaires nommés plus haut, l'air ou l'eau : ou bien un corps autre que les cinq éléments que nous connaissons : l'eau, l'air, la terre, le feu et l'éther; et c'est ce dernier sens que plusieurs commentateurs ont adopté. Le premier paraît mieux répondre à ce qui précède. Aucun sens ne nous manque. Le texte dit d'une manière plus vague : « Aucune sensation ne manque. » J'ai cru pouvoir, avec saint Thomas, rendre la pensée plus précise, et l'appliquer exclusivement à l'espèce humaine. § 5. Les choses communes. Voir plus haut, liv. II, chap. 6, § 3, cette distinction déjà faite à peu près comme elle l'est ici; voir aussi plus loin, dans ce liv. III, ch. 3, § 12. Descartes l'a faite tout comme Aristote. Voir les Principes, première partie, § 69, éd. de M. Cousin. Ne nous donnent les perceptions qu'accidentellement. Les manuscrits n'offrent point de variante, et j'ai dû conserver le texte ordinaire. Mais il est certain, d'après les explications de Simplicius et de Philopon, comme d'après Averroès, Albert, saint Thomas, le cardinal Tolet, etc., qu'il y avait une variante toute contraire au texte reçu, et qui semble s'accorder mieux avec la doctrine aristotélique en général, et ici aussi avec le contexte : « Dont les sens spéciaux nous donnent les perceptions non accidentellement. » Je n'aurais pas hésité à préférer cette leçon, si j'avais pu l'appuyer sur quelque autorité plus directe que des commentaires et des paraphrases. M. Trendelenbourg a cherché à lever la difficulté en distinguant, d'après Simplicius, plusieurs significations dans le mot « d'accident. » Ce paragraphe n'en reste pas moins en désaccord avec ce que contient le § 7; et la négation semblerait ici pouvoir tout concilier, s'il était possible de l'admettre. L'unité. Je crois devoir, avec Philopon, comprendre ainsi le texte, au lieu du sens habituellement adopté : «Le nombre qui est un : » j'admets une virgule qui sépare les deux mots. D'une part, Aristote ne nomme pas l'unité dans le passage du second livre; mais d'un autre côté, il en parle un peu plus bas, dans ce paragraphe même, et le contexte semble exiger la leçon que j'ai suivie. Tout cela, c'est-à-dire les choses communes. Nous sentons tout cela par le mouvement. Aristote, comptant le mouvement parmi les choses communes, semble faire un cercle vicieux en essayant de démontrer que nous sentons les choses communes par le mouvement; c'est qu'il faut sans doute sous-entendre que le mouvement est évidemment perçu par chacun des sens, et qu'ainsi il peut servir d'intermédiaire à la perception de toutes les choses communes. Nous sentons le nombre. M. Trendelenbourg voudrait exclure le nombre des choses communes que nos sens nous font connaître. Il croit que le nombre se rapporte exclusivement à l'entendement. Voir le petit traité de la Sensation et des choses sensibles, chap. 1, p. 437, §, 9, édit. de Berlin. Par la négation de la continuité. J'ai conservé le mot même de « négation » qui est dans le texte; celui de « privation » serait peut-être plus exact, comme semble l'indiquer Simplicius. Et par les sens spéciaux. Simplicius ne voulait pas rapporter ces mots au nombre ; il les rapportait à ce qui a été dit plus haut: « Nous sentons tout cela par le mouvement. » Seulement Simplicius paraît avoir lu : « Nous sentons tout cela d'une manière commune ; » et il ajoutait : « Et par les sens spéciaux. » L'explication ordinaire que j'ai adoptée me semble parfaitement claire, bien qu'elle ait causé aussi quelque embarras à M. Trendelenbourg. Sent l'unité, et par conséquent le nombre, qui n'est qu'une collection d'unités. Et, par exemple, pour le mouvement, que tous les sens indistinctement peuvent connaître. — Il en serait comme il en est actuellement. La pensée est un peu obscure par la concision même de l'expression. Aristote veut dire que les choses communes pourraient être perçues par chacun de nos sens, tout comme la vue, qui parait un sens très spécial, perçoit cependant aussi des choses qui sembleraient ne point lui devoir appartenir. En voyant un corps de couleur fauve, que la vue nous fait connaître pour du miel, nous savons aussi que ce corps est doux ; et nous voyons en quelque sorte son goût comme nous voyons sa couleur. Mais nous ne connaissons le goût qu'accidentellement. Et de même, si les choses communes étaient perçues par un sens spécial, les autres sens ne nous les feraient connaître qu'accidentellement. Il en serait. Le texte dit positivement au futur : « Il en sera. » On peut rapprocher de cette théorie celle de Reid sur le toucher, Recherches sur l'entend, humain, ch. 6, sect. ν et suiv. § 6. Nous nous trouvons avoir ta sensation des deux choses. Philopon voudrait ajouter, d'après une variante conservée par Plutarque, le mot « antérieurement. » Aucun manuscrit ne le donne; mais si, par « les deux choses, » on entend la couleur et la saveur, en joignant étroitement ce paragraphe à celui qui précède, l'addition proposée par Philopon serait admissible, ou du moins elle compléterait bien la pensée. Simplicius n'en parle pas. Des sensations accidentelles non simultanées; comme, en voyant un homme: habillé de blanc, nous nous souvenons que cet homme est le fils de Cléon. La sensation actuelle nous fait connaître un homme qui est habillé de blanc, et elle réveille notre mémoire qui nous rappelle de qui cet homme est le fils. Le fils de Cléon. Voir un exemple tout-à-fait analogue où le nom propre est seul changé, plus haut, liv. II, ch. 6, § 1. § 7. Une sensation commune, en ce que les cinq sens peuvent également la percevoir ; et l'unité des cinq sens fait l'unité même de la perception des choses communes. Il n'y a pas pour elles de sens propre. C'est ce qui a déjà été dit plus haut, au § 5. Car alors nous ne pourrions les sentir, etc. M. Trendelenbourg voudrait rejeter cette phrase; et il croit qu'elle est passée de la marge, où l'avait mise la main de quelque lecteur peu intelligent, dans le texte où elle est restée. Tous les commentateurs la reconnaissent, et elle peut très bien être gardée. Son pas en tant qu'ils sont des sens séparés. Le texte dit mot à mot : « Qu'ils sont eux-mêmes. » L'édition de Berlin et M. Trendelenbourg lisent : « les mêmes,» au lieu de « eux-mêmes. » C'est la leçon de Philopon. Mais celle que nous avons traduite est celle de Simplicius, d'Albert, de saint Thomas, des Coïmbrois, etc., et c'est la vraie, en ce qu'elle s'accorde mieux avec le contexte, tandis que l'autre présente une sorte de contradiction avec ce qui suit : « Mais en tant qu'ils se réunissent en un seul. » A aucun des deux sens, ni à la vue, de dire que la bile est amère, ni au goût, de dire qu'elle est jaune. § 8. Pour percevoir les choses communes. J'ai cru devoir ajouter ces mots afin de rendre la pensée plus précise. Déjà Plutarque, cité par Simplicius, qui l'approuve, avait indiqué cette addition nécessaire. Sans elle, on pourrait croire, bien que ce fût contre le contexte, qu'il s'agit en général de sa\voir pourquoi la nature nous a donné cinq sens au lieu d'un seul. Pacius s'y est trompé, malgré l'avertissement de Simplicius et les explications de tous les commentateurs. Qui ne font qu'accompagner les autres, les êtres et les qualités que nous révèlent les sens spéciaux. Dans un autre objet sensible. Il semblerait plus naturel de dire : « dans un autre sens, » et c'est ainsi que tous les commentateurs ont compris et expliqué ce passage. On peut remarquer, du reste, qu'ici « objet sensible » et « sens » se confondent. Aristote veut dire un objet sensible perçu par un autre sens que la vue. Pacius n'a pas voulu finir ici ce chapitre : il l'a joint au suivant. Malgré les raisons qu'il en donne, il vaut mieux conserver la division généralement admise. |
Il y a un sens commun qui n'est pas, à proprement parler, un sixième sens, mais qui nous avertit de nos perceptions, quel que soit le sens qui nous les fournisse. La fonction propre de ce sens est de nous faire connaître les différences des objets entre eux et des sensations entre elles. Fin de la théorie de la sensibilité. |
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425b12 1 Ἐπεὶ δ' αἰσθανόμεθα ὅτι ὁρῶμεν καὶ ἀκούομεν, ἀνάγκη ἢ τῇ ὄψει αἰσθάνεσθαι ὅτι ὁρᾷ, ἢ ἑτέρᾳ. Ἀλλ' ἡ αὐτὴ ἔσται τῆς ὄψεως καὶ τοῦ ὑποκειμένου χρώματος, ὥστε ἢ δύο τοῦ αὐτοῦ ἔσονται ἢ αὐτὴ αὑτῆς. Ἔτι δ' εἰ καὶ ἑτέρα εἴη ἡ τῆς ὄψεως αἴσθησις, ἢ εἰς ἄπειρον εἶσιν ἢ αὐτή τις ἔσται αὑτῆς· ὥστ' ἐπὶ τῆς πρώτης τοῦτο ποιητέον. 2 Ἔχει δ' ἀπορίαν· εἰ γὰρ τὸ τῇ ὄψει αἰσθάνεσθαί ἐστιν ὁρᾶν, ὁρᾶται δὲ χρῶμα ἢ τὸ ἔχον, εἰ ὄψεταί τις τὸ ὁρῶν, καὶ χρῶμα ἕξει τὸ ὁρῶν πρῶτον. 3 Φανερὸν τοίνυν ὅτι οὐχ ἓν τὸ τῇ ὄψει αἰσθάνεσθαι· καὶ γὰρ ὅταν μὴ ὁρῶμεν, τῇ ὄψει κρίνομεν καὶ τὸ σκότος καὶ τὸ φῶς, ἀλλ' οὐχ ὡσαύτως. Ἔτι δὲ καὶ τὸ ὁρῶν ἔστιν ὡς κεχρωμάτισται· τὸ γὰρ αἰσθητήριον δεκτικὸν τοῦ αἰσθητοῦ ἄνευ τῆς ὕλης ἕκαστον· διὸ καὶ ἀπελθόντων τῶν αἰσθητῶν ἔνεισιν αἰσθήσεις καὶ φαντασίαι ἐν τοῖς αἰσθητηρίοις. 4 Ἡ δὲ τοῦ αἰσθητοῦ ἐνέργεια καὶ τῆς αἰσθήσεως ἡ αὐτὴ μέν ἐστι καὶ μία, τὸ δ' εἶναι οὐ τὸ αὐτὸ αὐταῖς· λέγω δ' οἷον ὁ ψόφος ὁ κατ' ἐνέργειαν καὶ ἡ ἀκοὴ ἡ κατ' ἐνέργειαν· ἔστι γὰρ ἀκοὴν ἔχοντα μὴ ἀκούειν, καὶ τὸ ἔχον ψόφον οὐκ ἀεὶ ψοφεῖ, ὅταν δ' ἐνεργῇ τὸ δυνάμενον ἀκούειν καὶ ψοφῇ τὸ δυνάμενον ψοφεῖν, τότε ἡ κατ' ἐνέργειαν ἀκοὴ ἅμα γίνεται καὶ ὁ κατ' ἐνέργειαν ψόφος, 426a ὧν εἴπειεν ἄν τις τὸ μὲν εἶναι ἄκουσιν τὸ δὲ ψόφησιν 5 εἰ δή ἐστιν ἡ κίνησις (καὶ ἡ ποίησις καὶ τὸ πάθος) ἐν τῷ κινουμένῳ, ἀνάγκη καὶ τὸν ψόφον καὶ τὴν ἀκοὴν τὴν κατ' ἐνέργειαν ἐν τῷ κατὰ δύναμιν εἶναι· ἡ γὰρ τοῦ ποιητικοῦ καὶ κινητικοῦ ἐνέργεια ἐν τῷ πάσχοντι ἐγγίνεται· διὸ οὐκ ἀνάγκη τὸ κινοῦν κινεῖσθαι. Ἡ μὲν οὖν τοῦ ψοφητικοῦ ἐνέργειά ἐστι ψόφος ἢ ψόφησις, ἡ δὲ τοῦ ἀκουστικοῦ ἀκοὴ ἢ ἄκουσις· διττὸν γὰρ ἡ ἀκοή, καὶ διττὸν ὁ ψόφος. 6 Ὁ δ' αὐτὸς λόγος καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων αἰσθήσεων καὶ αἰσθητῶν. Ὥσπερ γὰρ καὶ ἡ ποίησις καὶ ἡ πάθησις ἐν τῷ πάσχοντι ἀλλ' οὐκ ἐν τῷ ποιοῦντι, οὕτω καὶ ἡ τοῦ αἰσθητοῦ ἐνέργεια καὶ ἡ τοῦ αἰσθητικοῦ ἐν τῷ αἰσθητικῷ. Ἀλλ' ἐπ' ἐνίων μὲν ὠνόμασται, οἷον ἡ ψόφησις καὶ ἡ ἄκουσις, ἐπ' ἐνίων δ' ἀνώνυμον θάτερον· ὅρασις γὰρ λέγεται ἡ τῆς ὄψεως ἐνέργεια, ἡ δὲ τοῦ χρώματος ἀνώνυμος, καὶ γεῦσις ἡ τοῦ γευστικοῦ, ἡ δὲ τοῦ χυμοῦ ἀνώνυμος. 7 Ἐπεὶ δὲ μία μέν ἐστιν ἐνέργεια ἡ τοῦ αἰσθητοῦ καὶ τοῦ αἰσθητικοῦ, τὸ δ' εἶναι ἕτερον, ἀνάγκη ἅμα φθείρεσθαι καὶ σώζεσθαι τὴν οὕτω λεγομένην ἀκοὴν καὶ ψόφον, καὶ χυμὸν δὴ καὶ γεῦσιν, καὶ τὰ ἄλλα ὁμοίως· τὰ δὲ κατὰ δύναμιν λεγόμενα οὐκ ἀνάγκη· 8 ἀλλ' οἱ πρότερον φυσιολόγοι τοῦτο οὐ καλῶς ἔλεγον, οὐθὲν οἰόμενοι οὔτε λευκὸν οὔτε μέλαν εἶναι ἄνευ ὄψεως, οὐδὲ χυμὸν ἄνευ γεύσεως. Τῇ μὲν γὰρ ἔλεγον ὀρθῶς, τῇ δ' οὐκ ὀρθῶς· διχῶς γὰρ λεγομένης τῆς αἰσθήσεως καὶ τοῦ αἰσθητοῦ, τῶν μὲν κατὰ δύναμιν τῶν δὲ κατ' ἐνέργειαν, ἐπὶ τούτων μὲν συμβαίνει τὸ λεχθέν, ἐπὶ δὲ τῶν ἑτέρων οὐ συμβαίνει. Ἀλλ' ἐκεῖνοι ἁπλῶς ἔλεγον περὶ τῶν λεγομένων οὐχ ἁπλῶς. 9 Εἰ δ' ἡ φωνὴ συμφωνία τίς ἐστιν, ἡ δὲ φωνὴ καὶ ἡ ἀκοὴ ἔστιν ὡς ἕν ἐστι [καὶ ἔστιν ὡς οὐχ ἓν τὸ αὐτό], λόγος δ' ἡ συμφωνία, ἀνάγκη καὶ τὴν ἀκοὴν λόγον τινὰ εἶναι. Καὶ διὰ τοῦτο καὶ φθείρει ἕκαστον ὑπερβάλλον, καὶ τὸ ὀξὺ καὶ τὸ βαρύ, τὴν ἀκοήν· ὁμοίως δὲ καὶ ἐν χυμοῖς τὴν 426b γεῦσιν, καὶ ἐν χρώμασι τὴν ὄψιν τὸ σφόδρα λαμπρὸν ἢ ζοφερόν, καὶ ἐν ὀσφρήσει ἡ ἰσχυρὰ ὀσμή, καὶ γλυκεῖα καὶ πικρά, ὡς λόγου τινὸς ὄντος τῆς αἰσθήσεως. Διὸ καὶ ἡδέα μέν, ὅταν εἰλικρινῆ καὶ ἄμικτα ὄντα ἄγηται εἰς τὸν λόγον, οἷον τὸ ὀξὺ ἢ γλυκὺ ἢ ἁλμυρόν, ἡδέα γὰρ τότε· ὅλως δὲ μᾶλλον τὸ μικτόν, συμφωνία, ἢ τὸ ὀξὺ ἢ βαρύ, ἁφῇ δὲ τὸ θερμαντὸν ἢ ψυκτόν· ἡ δ' αἴσθησις ὁ λόγος· ὑπερβάλλοντα δὲ λύει ἢ φθείρει. 10 Ἑκάστη μὲν οὖν αἴσθησις τοῦ ὑποκειμένου αἰσθητοῦ ἐστίν, ὑπάρχουσα ἐν τῷ αἰσθητηρίῳ ᾗ αἰσθητήριον, καὶ κρίνει τὰς τοῦ ὑποκειμένου αἰσθητοῦ διαφοράς, οἷον λευκὸν μὲν καὶ μέλαν ὄψις, γλυκὺ δὲ καὶ πικρὸν γεῦσις· ὁμοίως δ' ἔχει τοῦτο καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων. Ἐπεὶ δὲ καὶ τὸ λευκὸν καὶ τὸ γλυκὺ καὶ ἕκαστον τῶν αἰσθητῶν πρὸς ἕκαστον κρίνομεν, τινὶ καὶ αἰσθανόμεθα ὅτι διαφέρει. Ἀνάγκη δὴ αἰσθήσει· αἰσθητὰ γάρ ἐστιν. 11 ᾟ καὶ δῆλον ὅτι ἡ σὰρξ οὐκ ἔστι τὸ ἔσχατον αἰσθητήριον· ἀνάγκη γὰρ ἂν ἦν ἁπτόμενον αὐτὸ κρίνειν τὸ κρῖνον. Οὔτε δὴ κεχωρισμένοις ἐνδέχεται κρίνειν ὅτι ἕτερον τὸ γλυκὺ τοῦ λευκοῦ, ἀλλὰ δεῖ ἑνί τινι ἄμφω δῆλα εἶναι-οὕτω μὲν γὰρ κἂν εἰ τοῦ μὲν ἐγὼ τοῦ δὲ σὺ αἴσθοιο, δῆλον ἂν εἴη ὅτι ἕτερα ἀλλήλων, δεῖ δὲ τὸ ἓν λέγειν ὅτι ἕτερον· ἕτερον γὰρ τὸ γλυκὺ τοῦ λευκοῦ· λέγει ἄρα τὸ αὐτό· ὥστε ὡς λέγει, οὕτω καὶ νοεῖ καὶ αἰσθάνεται- 12 ὅτι μὲν οὖν οὐχ οἷόν τε κεχωρισμένοις κρίνειν τὰ κεχωρισμένα, δῆλον· ὅτι δ' οὐδ' ἐν κεχωρισμένῳ χρόνῳ, ἐντεῦθεν. Ὥσπερ γὰρ τὸ αὐτὸ λέγει ὅτι ἕτερον τὸ ἀγαθὸν καὶ τὸ κακόν, οὕτω καὶ ὅτε θάτερον λέγει ὅτι ἕτερον καὶ θάτερον (οὐ κατὰ συμβεβηκὸς τὸ ὅτε, λέγω δ', οἷον νῦν λέγω ὅτι ἕτερον, οὐ μέντοι ὅτι νῦν ἕτερον, ἀλλ' οὕτω λέγει, καὶ νῦν καὶ ὅτι νῦν)· ἅμα ἄρα. Ὥστε ἀχώριστον καὶ ἐν ἀχωρίστῳ χρόνῳ. 13 Ἀλλὰ μὴν ἀδύνατον ἅμα τὰς ἐναντίας κινήσεις κινεῖσθαι τὸ αὐτὸ ᾗ ἀδιαίρετον, καὶ ἐν ἀδιαιρέτῳ χρόνῳ. Εἰ γὰρ γλυκύ, ὡδὶ κινεῖ τὴν αἴσθησιν 427a ἢ τὴν νόησιν, τὸ δὲ πικρὸν ἐναντίως, καὶ τὸ λευκὸν ἑτέρως. Ἆρ' οὖν ἅμα μὲν ἀριθμῷ ἀδιαίρετον καὶ ἀχώριστον τὸ κρῖνον, τῷ εἶναι δὲ κεχωρισμένον; ἔστι δὴ [πως] ὡς τὸ διαιρετὸν τῶν διῃρημένων αἰσθάνεται, ἔστι δ' ὡς ᾗ ἀδιαίρετον· τῷ εἶναι μὲν γὰρ διαιρετόν, τόπῳ δὲ καὶ ἀριθμῷ ἀδιαίρετον. 14 Ἢ οὐχ οἷόν τε; δυνάμει μὲν γὰρ τὸ αὐτὸ καὶ ἀδιαίρετον τἀναντία, τῷ δ' εἶναι οὔ, ἀλλὰ τῷ ἐνεργεῖσθαι διαιρετόν, καὶ οὐχ οἷόν τε ἅμα λευκὸν καὶ μέλαν εἶναι, ὥστ' οὐδὲ τὰ εἴδη πάσχειν αὐτῶν, εἰ τοιοῦτον ἡ αἴσθησις καὶ ἡ νόησις. 15 Ἀλλ' ὥσπερ ἣν καλοῦσί τινες στιγμήν, ᾗ μία καὶ δύο, ταύτῃ <καὶ ἀδιαίρετος> καὶ διαιρετή. ᾟ μὲν οὖν ἀδιαίρετον, ἓν τὸ κρῖνόν ἐστι καὶ ἅμα, ᾗ δὲ διαιρετὸν ὑπάρχει, δὶς τῷ αὐτῷ χρῆται σημείῳ ἅμα· ᾗ μὲν οὖν δὶς χρῆται τῷ πέρατι, δύο κρίνει καὶ κεχωρισμένα, ἔστιν ὡς κεχωρισμένως· ᾗ δὲ ἑνί, ἓν καὶ ἅμα. Περὶ μὲν οὖν τῆς ἀρχῆς ᾗ φαμὲν τὸ ζῷον αἰσθητικὸν εἶναι, διωρίσθω τὸν τρόπον τοῦτον. |
§ 1. 425b12 Comme nous sentons que nous voyons et entendons, il faut absolument que ce soit ou par la vue, ou par un autre sens, que l'on sente que l'on voit. Mais alors ce même sens s'appliquera, et à la vue et à la couleur, qui est l'objet de la vue; il y aura donc deux sens pour le même objet ; ou bien la vue se percevra elle-même. De plus, si l'on suppose un autre sens que la vue, ou l'on sera forcé d'aller ainsi à l'infini ; ou bien le sens, quel qu'il soit, aura la sensation de lui-même; et alors, autant vaut admettre cela pour le premier sens. § 2. Mais voici la difficulté : si sentir par la vue c'est voir, et que ce qui est vu soit la couleur ou ce qui a la couleur, il faudra, si l'on voit ce qui voit, que ce qui voit ait aussi soi-même primitivement couleur. § 3. Il est donc clair que sentir par la vue n'est pas une chose une et simple. Ainsi, d'abord, même quand nous ne voyons pas, nous n'en jugeons pas moins par la vue de l'obscurité et de la lumière, mais ce n'est pas de la même façon. De plus, ce qui voit est bien en quelque sorte revêtu de couleur, car chacun des organes des sens reçoit la chose sensible sans la matière; et voilà pourquoi, même en l'absence des choses sensibles, des sensations et des images restent dans les organes. § 4. Mais l'acte de l'objet sensible et l'acte de la sensation sont un seul et même acte, bien que leur être ne soit pas identique. Je prends, par exemple, le son en acte et l'ouïe en acte. On peut, tout en ayant l'ouïe, ne pas entendre, de même que ce qui a le son ne résonne pas toujours. Mais quand ce qui peut entendre agit, et que ce qui peut résonner résonne, alors l'ouïe en acte se produit en même temps que le son en acte; 426a et l'on pourrait dire de l'un qu'il est l'audition, et de l'autre, la résonnance. § 5. Mais si c'est dans la chose mue que sont à la fois, et le mouvement, et l'action de faire, et la modification subie, il faut nécessairement aussi que le son et l'ouïe en acte soient dans l'ouïe en puissance ; car l'acte de ce qui fait et de ce qui meut, se passe dans la chose qui souffre. Et voilà pourquoi il n'est pas nécessaire que le moteur soit mû lui-même. Ainsi donc, l'acte du sonore est le son ou la résonnance ; et l'acte de ce qui peut entendre est l'ouïe ou l'audition; car l'ouïe est double et le son l'est comme elle. § 6. On ferait le même raisonnement, et pour les autres sens, et pour les autres objets qu'ils perçoivent. En effet, tout comme l'action et la souffrance sont dans l'être qui souffre, et non dans l'être qui agit, de même l'acte de l'objet sensible et l'acte de ce qui sent sont dans l'être qui sent. Pour certains sens, il y a ici des mots spéciaux, comme résonnance, audition; pour d'autres, l'une des deux nuances n'a pas reçu de nom particulier. Ainsi, on appelle bien vision l'acte de la vue, mais l'acte de la couleur n'a pas reçu de nom ; ainsi le goût est l'acte de l'être qui goûte, mais l'acte de la saveur est sans nom. § 7. Puisque l'acte de la chose sentie, et celui de l'être qui la sent, sont un seul acte, bien que leur être soit différent, il y a nécessité que l'ouïe, prise en ce sens, et le son, soient détruits ensemble on subsistent ensemble; et qu'il eu soit de même de la saveur et du goût, ainsi que des autres rapports du même genre. Mais cela n'est pas nécessaire pour les choses qui ne sont dites qu'en puissance. § 8. C'est ce que les premiers naturalistes n'ont pas bien expliqué, pensant qu'il n'y avait ni blanc ni noir sans la vue, non plus que de saveur sans le goût. Ils avaient en partie raison, et tort en partie. Sensation et sensible ayant deux sens, tantôt pour signifier les choses en puissance, tantôt pour signifier les choses en acte, ce qu'ils ont dit est vrai pour les unes, et ne l'est pas pour les autres. C'est qu'ils ont rendu par une expression simple des choses qui n'étaient pas simples. § 9. Si une voix quelconque est toujours une harmonie, et que la voix et l'ouïe soient d'une certaine façon une seule et même chose, et que d'une autre façon elles soient différentes, du moment que l'on regarde l'harmonie comme un rapport, il y a nécessité que l'ouïe soit également une sorte de rapport. C'est là aussi ce qui fait que tout excès, soit an grave, soit à l'aigu, échappe à l'ouïe; qu'il en est de même dans les saveurs 426b pour le goût; que dans les couleurs, ce qui est trop brillant et trop vif empêche la vision; et que dans l'odoration, une odeur trop forte, soit agréable, soit désagréable, échappe à l'odorat, comme si la sensation n'était qu'une espèce de rapport. Aussi les choses sont agréables, lorsqu'elles sont amenées pures et sans mélange au rapport convenable, comme l'aigu, ou le doux, ou le rude ; et ce n'est qu'à cette condition qu'elles nous plaisent. En général, c'est le mélange qui est une harmonie plutôt que le grave tout seul ou l'aigu tout seul ; et pour le toucher, que ce qui est simplement chaud ou simplement froid. Mais la sensation est le rapport; tout excès la détruit ou la rend pénible. § 10. Ainsi donc, chacun des sens s'applique à son sujet sensible ; et chaque sens est dans l'organe en tant que cet organe est spécial. De plus, il juge les différences du sujet sensible, comme la vue juge le blanc et le noir, comme le goût juge le doux et l'amer. Les choses se passent absolument de même aussi pour les autres sens. Mais puisque nous jugeons le blanc et le doux, et chacune des choses sensibles, par rapport à toutes les autres, comment sentons-nous aussi que les choses diffèrent ? Nécessairement, c'est par un sens, puisque ce sont des choses sensibles. § 11. Cela nous fait bien voir encore que la chair n'est pas l'organe extrême de la sensation ; car alors il faudrait nécessairement que ce qui juge jugeât en touchant l'objet lui-même. Mais des sens séparés ne peuvent pas davantage juger que le doux est autre que le blanc. Loin de là, il faut que ces deux qualités apparaissent en toute évidence à un seul et unique sens. Ce serait absolument comme lorsque je sens telle chose et que vous sentez telle autre ; il est alors tout-à-fait clair que ces choses sont différentes l'une de l'autre. Mais il faut ici que ce soit un être unique qui dise qu'il y a différence, et qui dise que le doux est différent du blanc. Et c'est parce que le même être le dit que, de même qu'il le dit, il le pense et le sent. § 12. Donc évidemment, il est impossible à des sens séparés de y juger des choses séparée. Il s'ensuit que le jugement ne pourra pas davantage avoir lieu dans un temps séparé ; et voici ce qui le prouve. Tout comme c'est le même être qui affirme que le bien et le mal sont divers, pareillement aussi quand il dit de deux objets que l'un est divers, il dit que l'autre l'est également ; et ici quand qu'est pas pris par accident, comme on prend le mot maintenant dans cette phrase : « Je dis maintenant que l'objet est divers, » sans dire toutefois qu'il soit maintenant divers. Ici, au contraire, le même affirme maintenant, et affirme que c'est aussi maintenant que les objets sont divers. C'est donc à la fois qu'existent ces deux objets; et par conséquent ces objets ne sont pas séparés, et ils sont dans un temps qui n'est pas séparé davantage. § 13. Mais il est impossible qu'un même être reçoive en même temps les mouvements contraires, en tant qu'il est indivisible et qu'il est dans un temps indivisible; et, en effet, si l'impression d'un objet doux meut de telle façon la sensibilité 427a et la pensée, l'objet amer les meut autrement, et l'objet blanc les meut aussi d'une façon tout autre. Mais peut-on dire que ce qui juge soit tout à la fois indivisible et inséparable numériquement, et séparé par sa manière d'être? Alors il y a possibilité que ce soit comme divisible qu'il sente les choses divisées, et qu'il les sente aussi en tant qu'indivisible; car il est alors indivisible par sa façon d'être, et il est indivisible en lieu et en nombre. § 14. Ou bien ne doit-on pas dire que cela n'est pas possible? En puissance, le même peut être indivisible et divisible : il peut être les contraires; mais en essence, il ne le peut pas. C'est quand il reçoit l'action qu'il devient divisible, et il ne lui est pas possible d'être à la fois noir et blanc. Par conséquent, on ne peut pas davantage sentir à la fois la forme du noir et celle du blanc, si la sensation et la pensée sont bien telles que nous avons dit. § 15. Mais il en est ici comme pour le point, qui est parfois appelé unité en tant qu'un, et qui, en tant que deux, est aussi divisible. Ainsi donc, en tant qu'indivisible, le sens qui juge est un, et il est simultanément aux deux perceptions; mais en tant qu'il est divisible, il n'est plus un ; car il emploie deux fois simultanément le même point. En tant qu'il se sert, pour deux choses sensibles, de la limite où elles se rencontrent, il les juge toutes deux ; et elles sont séparées pour lui, comme appartenant à des sens séparés. Mais en tant qu'un, ce sens juge d'un seul coup et tout à la fois. Bornons ici nos considérations sur le principe qui constitue, selon nous, la sensibilité dans l'animal. |
§ 1. Alexandre d'Aphrodise a discuté ce premier paragraphe dans ses Questions, liv. III, ch. 7. Comme nous sentons que nous voyons. Cette question a été déjà indiquée plus haut, liv. II, ch. 6, § 2. M. Trendelenbourg remarque avec raison qu'Aristote aurait dû prendre pour la sensation de la sensation un autre mot que pour les sensations ordinaires; et il s'étonne qu'il rapporte cette faculté à chacun des sens, au lieu de la rapporter d'une manière générale à l'intelligence. C'est ce qu'a fait Platon en la rapportant à l'Ame. Voir le Théétète, p. 159, trad. de M. Cousin. Ce même sens s'appliquera et à la vue, verra la vue elle-même, et la couleur qui est l'objet propre de la vue. Deux sens pour le même objet. La couleur sera perçue par la vue ordinaire, et, de plus, par la vue de la vue. Ou bien la vue se percevra elle-même. C'est la solution qu'Aristote adopte pour les autres sens comme pour la vue. D'aller ainsi à l'infini, en supposant que ce sens nouveau qui perçoit la vue soit à son tour perçu par un autre sens encore, etc. Le sens quel qu'il soit. Ce nouveau sens qui perçoit la vue ne sera pas perçu par un autre, mais il se percevra lui-même. Admettre cela pour le premier sens, c'est-à-dire, admettre que la vue ordinaire se perçoit elle-même tout comme elle perçoit la couleur. § 2. Et que ce qui est vu soit la couleur. Voir plus haut la théorie de la Vision, liv. 11, chap. 7, § 1. Ait aussi soi-même primitivement couleur. Je crois, avec Simplicius, qu'il faut rapporter le mot de « primitivement » à l'idée de couleur; on pourrait la rapporter aussi à ce qui voit primitivement, au principe qui voit. La phrase permet indifféremment l'une ou l'autre explication. Celle que j'ai préférée me semble plus conforme à tout le contexte. § 3. Il est donc clair. Il ne faut pas prendre ceci pour la conclusion de ce qui précède immédiatement : il faut le prendre plutôt pour le résumé de ce qui a été dit sur la théorie de la Vision, liv. II, chap. 7, § 4, et chap. 10, § 3. Quand nous ne voyons pas. Ainsi la vue n'a pas besoin de voir à la façon ordinaire, pour voir certaines choses, pour se voir elle-même, par exemple. En quelque sorte. L'impression de l'objet coloré sur l'organe a en quelque sorte coloré l'organe lui-même. — La chose sensible sans la matière. Voir plus haut, liv. Il, chap. 12, § 1. § 4. Mais l'acte de l'objet sensible. Alexandre d'Aphrodise, au rapport de Philopon, et plus tard saint Thomas, ont essayé de montrer comment la discussion qui va suivre tient à celle qui précède et la complète. Aristote veut prouver que la vue peut se voir elle-même; et, après avoir remarqué qu'il reste dans l'organe comme une sorte de couleur que la vue perçoit, tout comme elle perçoit les ténèbres qu'elle ne voit pas, il ajoute que, comme dans le fait de la sensation, l'acte de l'organe se confond avec l'acte même de l'objet sensible, il faut bien que, pour percevoir cet objet, le sens se perçoive aussi lui-même. Philopon combat celte explication d'Alexandre ; elle me semble parfaitement acceptable Sont un seul et même acte. Aristote dira plus loin comment il entend cette identité. M. Trendelenbourg remarque que ceci veut dire seulement que l'un des deux actes est la condition de l'autre. Leur être. C'est le mot même du texte. On pourrait encore traduire : « Bien que la nature de tous deux ne soit pas identique ; » à cause de la diversité même des choses dans lesquelles l'un et l'autre se passent. Ce qui a le son, par exemple un vase d'airain, qui ne résonne pas tant qu'il n'est point frappé. Et l'autre la résonnance. La ressemblance du mot est encore plus complète en grec que je n'ai pu la faire en français. § 5. Si c'est dans la chose mue. L'édition de Berlin porte : « Si c'est dans la chose faite ; » et c'est là la leçon ordinaire qu'adopte aussi M. Trendelenbourg. Celle que j'ai préférée est non seulement dans l'édition des Aldes, mais elle est certainement donnée par les commentaires de Simplicius et de Philopon. Et le mouvement, et l'action de faire, et la modification subie. Les commentateurs grecs, et tous les autres à leur suite, renvoient, pour la démonstration de ces principes, au livre III des Leçons de physique; voir l'édition de Berlin, p. 202, a, 13. Dans l'ouïe en puissance. J'ai ajouté le mot d'ouïe, qui est sous-entendu dans le texte, et que Philopon recommande de rétablir. Et de ce qui meut. Ce mot justifie tout-à-fait la variante que j'ai adoptée au début de ce paragraphe. Et voilà pourquoi. Philopon a remarqué que cette interposition interrompt le raisonnement; et M. Trendelenbourg blâme la forme de la phrase: il ne voit pas que ceci soit une conclusion nécessaire de ce qui précède. Il faut se reporter aux théories d'Aristote sur le moteur immobile, soit dans la Physique, soit surtout dans la Métaphysique; il regarde ces principes comme évidents, et il en tire des conclusions chaque fois que l'occasion lui en est offerte. Il est possible, d'ailleurs, que cette petite phrase soit une interpolation. L'ouïe est double, en acte et en puissance, tout comme le son. § 6. Et l'acte de ce qui sent. C'est la leçon adoptée par l'édition de Berlin, d'après quelques manuscrits. La plupart des éditeurs ont supprimé cette partie de la phrase, qui pourtant est indispensable, et qui est confirmée par le début du § 7. Il est probable que Philopon avait cette leçon ; et saint Thomas, ainsi qu'Albert, l'a suivie. N'a pas reçu de nom particulier. Aristote s'est déjà plaint de semblables lacunes dans le langage ; voir plus haut, liv. Il, ch. 7, §§ 1 et 9. L'acte de la couleur n'a pas reçu de nom, pas plus en français qu'en grec, à moins qu'on n'attache ce sens à notre mot de visibilité. L'acte de la saveur est sans nom. Même remarque. § 7. Bien que leur être soit différent. Voir plus haut, § 4, une expression analogue. Prise en ce sens, l'ouïe en acte, et le son en acte aussi. Pour les choses quine sont dites qu'en puissance. La puissance de l'une n'est pas relative et nécessairement liée à la puissance de l'autre. L'une des deux choses peut conserver sa puissance, tandis que l'autre perd la sienne; et réciproquement. Pour l'acte au contraire, l'acte de l'une est indissolublement joint à l'acte de l'autre. Il semble qu'Aristote s'éloigne déjà depuis bien longtemps du point précis qu'il voulait prouver, à savoir que chaque sens peut se percevoir lui-même. Il n'y reviendra même pas dans ce qui suit. § 8. Les premiers naturalistes. Simplicius croit qu'il s'agit des disciples de Démocrite ; Philopon croit qu'il s'agit plutôt de ceux de Protagoras. Aristote s'est plusieurs fois servi dans ses autres ouvrages, et notamment dans la Métaphysique, de l'expression qu'il emploie ici. Il l'applique le plus ordinairement aux Ioniens disciples de Thalès ; mais cependant cette expression n'a rien de parfaitement déterminé ; et il serait difficile de dire ici en particulier à qui elle doit s'appliquer. Du reste, l'observation que fait Aristote n'en est pas moins très ingénieuse. Sans la vue. Ceci semblerait concerner plus particulièrement les théories de Protagoras et des sophistes. Une expression simple, ou peut-être mieux : absolue. § 9. Si une voix quelconque est toujours une harmonie. M. Trendelenbourg a eu raison de dire que tout ceci pouvait être considéré comme un épisode. La question vraie, qui est de savoir si chaque sens se perçoit lui-même, semble perdue de vue. Une harmonie. La voix est bien en elle-même une sorte d'harmonie, mais ce n'est point ce qu'Aristote veut dire ici; il veut dire seulement que la voix est une sorte d'harmonie relativement à l'oreille qui l'entend ; et que, sans ce rapport harmonique, la voix ne pourrait être perçue par l'ouïe. Il aurait peut-être mieux valu parler du son en général, et non de la voix spécialement. Il semble qu'Averroès a eu ici une leçon un peu différente. Dans son commentaire, il parle du son et non de la voix. J'aurais adopté ce changement si j'avais pu l'appuyer sur l'autorité d'un manuscrit. La voix et l'ouïe, plutôt le son et l'ouïe, pour que ceci se rapporte plus directement à la fois, et à ce qui va suivre, et à ce qui a été dit plus haut, § 4. D'une certaine façon, quand elles sont en acte toutes les deux. D'une autre façon, quand elles ne sont l'une et l'autre qu'en puissance. Tout excès, soit au grave, soit à l'aigu. On sait qu'au-dessous d'un certain nombre de vibrations, le son grave n'est plus perceptible, et qu'au-dessus, le son aigu ne l'est plus davantage. Ce qui est trop brillant. Voir plus haut, liv. II, ch. 12, § 3. et la note. Comme l'aigu pour l'ouïe, le doux pour le goût, le rude pour le toucher. Le grave tout seul. J'ai ajouté ces deux derniers mots pour être plus clair. L'aigu tout seul. Même remarque. Simplement chaud, ou simplement froid. J'ai ajouté deux fois ce mot « simplement. » L'expression même du texte est peut-être un peu trop indéterminée. § 10. Ainsi donc. Malgré la forme de cette phrase, on ne peut pas la considérer comme une conclusion de ce qui précède. Et chaque sens est dans l'organe. Saint Thomas a compris : « Et l'objet sensible est dans l'organe. » La construction grammaticale s'oppose à cette interprétation, qui d'ailleurs serait d'accord avec la doctrine aristotélique : Le sens reçoit la forme de l'objet sensible sans la matière. Comme la vue juge le blanc et le noir, c'est-à-dire, sans sortir du genre. Le doux et l'amer. Même remarque. Le blanc et le doux. Ici, au contraire, c'est sortir du genre ; ce n'est pas la vue qui peut faire connaître le doux comme elle fait connaître le blanc ; et le goût, réciproquement, ne peut faire connaître le blanc comme il fait connaître le doux. Il faut donc un sens autre que ces deux-là. Et chacune des choses sensibles par rapport à toutes les autres, discernant les perceptions qui sont irréductibles les unes aux autres, et que nous fournissent les sens divers. Comment sentons-nous. Il faut ici une interrogation, comme l'a remarqué avec raison M. Trendelenbourg. Nécessairement, c'est par un sens. Peut-être Aristote va-t-il ici trop loin, puisqu'il semble attribuer à un sens ce qui est évidemment l'œuvre de l'intelligence. Platon a beaucoup mieux vu en disant que c'est l'âme qui examine immédiatement par elle-même ce que les objets ont de commun et qui les compare. Théétète, p. 160, trad. de M. Cousin. Puisque ce sont des choses sensibles. Oui sans doute; mais le rapport, la différence n'est pas une chose sensible; et c'est l'esprit seul qui perçoit le rapport et la différence. — Pacius, qui avait joint les neuf paragraphes précédents au premier chapitre, fait, à partir du dixième, un autre chapitre qui est pour lui le second. C'est en effet comme un nouveau sujet qui commence ici. § 11. Cela nous fait bien voir. On ne comprend pas aisément cette conséquence, et les commentateurs se sont donné beaucoup de peine pour montrer la liaison des idées. Voici comment on peut la concevoir : Il y a un sens commun qui compare à lui seul les perceptions différentes des sens spéciaux. Le toucher ne peut faire cette comparaison ; car il ne pourrait, par exemple, percevoir les choses de la vue ou celles de tout autre sens, pour les comparer aux choses propres du toucher, il lui faudrait toucher ces choses qui lui sont étrangères, comme il touche directement celles qui lui sont spéciales ; mais il ne le peut. Encore. Ceci se rapporte aux théories exposées plus haut, liv. II, ch. 11, § 3. L'organe extrême. Les commentateurs veulent qu'Aristote entende par là le sens commun, le sens intérieur, qui recueille et compare les perceptions de tous les sens spéciaux. Cette explication ne va pas bien avec les théories que je viens de rappeler; mais elle s'accorde avec ce qui suit. Ce qui juge, ou le sens commun. En touchant l'objet lui-même, bien que la plupart des perceptions ne soient pas des sensations du toucher. Mais des sens séparés. Autre argument pour prouver que le sens commun ne peut se trouver dans des sens séparés, ou plutôt résulter de sens séparés. Davantage, pas plus que le toucher ne peut expliquer le sens commun. Le toucher est pris pour exemple ; mais la même objection vaut contre tous les autres sens. Ce serait absolument. Si le sens commun était dans des sens séparés, il n'y aurait pas plus de perception commune qu'il n'y en a entre deux individus qui sentent des choses différentes. Que le doux est différent du blanc. M. Trendelenbourg trouve ces mots tout-à-fait inutiles; ils ne sont pas indispensables, mais ils complètent bien la pensée. C'est parce que le même être le dit. M. Trendelenbourg croit encore que ceci est une répétition parfaitement inutile ; et il propose un changement qui n'est pas nécessaire et que n'autorisent pas les manuscrits. § 12. Si le sens commun est indivisible par rapport aux sens, il ne l'est pas moins relativement au temps. C'est au même instant, dans un instant indivisible, qu'il prononce sur les perceptions diverses et les compare. Il s'ensuit que le jugement. J'ai plutôt paraphrasé que traduit, pour que la pensée fût claire. De deux objets. J'ai ajouté ces mots pour plus de clarté; la pensée du contexte entier, et l'exemple cité plus haut du doux et de blanc, les autorisent assez. Comme on prend le mot « maintenant.» Le reproche de subtilité que M. Trendelenbourg adresse à tout ce paragraphe pourrait s'appliquer surtout, et spécialement, à ce passage. Qu'existent ces deux objets. Ici encore le texte est beaucoup plus concis et moins net que la traduction ; j'ai cru devoir faire une paraphrase pour être plus clair. § 13. Mais il est impossible, objection que se fait Aristote, ou plutôt qu'il prévient en se la faisant. Reçoive en même temps les mouvements contraires. La substance a cette propriété spéciale de recevoir les contraires ; mais ce n'est pas en même temps qu'elle les reçoit. Voir les Catégories, chap. 5, § 21, de ma traduction. Ou la pensée. II semble que ceci soit une addition faite après coup. D'une façon tout autre, non d'une façon contraire, parce que les contraires ne sortent pas du genre, Catégories, chap. il, § 6; et que le blanc, s'adressant à la vue, est dans un autre genre que le doux, qui s'adresse au goût. Peut-on dire. Aristote répond à l'objection qu'il vient de se poser. Ce qui juge, ou le sens commun. Numériquement, c'est-à-dire qu'il est un. Et séparé par sa manière d'être, divisible en tant qu'il peut connaître à la fois de plusieurs sensations diverses, qu'il compare entre elles. Manière d'être signifie ici, suivant les commentateurs grecs : « rationnellement, sous le rapport de la notion qu'on peut s'en faire. » Les choses divisées, les perceptions différentes qu'il compare et qu'il juge. En tant qu'indivisible, au moment même où il les réunit. Car il est alors, répétition de ce qui vient d'être dit. En lieu. Aristote ajoute cette nouvelle condition de l'unité du sens commun: plus haut, il n'a nommé que l'unité de nombre, qui emporte aussi celle de lieu. § 14. Ou bien ne doit-on pas dire. Aristote revient à l'objection qu'il se faisait au paragraphe précédent, et il y insiste. Le même être peut, quand il est en puissance, être les deux contraires; mais, en acte, il ne le peut pas : il faut qu'il soit l'un des deux nécessairement. Et divisible : il peut être les contraires. Je tire cette leçon des manuscrits qui la donnent avec tout ce développement. M. Trendelcnbourg, qui suit l'édition de Berlin, donne simplement : « En puissance, le même être, tout indivisible qu'il est, peut être les contraires. » C'est quand il reçoit l'action. C'est ainsi qu'il faut, ce semble, comprendre le passif dont se sert ici Aristote. Les commentateurs ont pourtant, en général, expliqué ce passage comme si le verbe était simplement à l'actif. Le sens revient, du reste, à peu près au même, d'après ce qui a été dit plus haut, § 7, sur la simultanéité nécessaire de l'acte de l'objet, et de l'acte du sens qui le perçoit. Si la sensation et la pensée. En ponctuant ce passage d'une manière différente, on pourrait lui donner le sens suivant :« par conséquent, ni la sensation, ni la pensée, ne peuvent pas davantage sentir à la fois la forme du noir et celle du blanc, etc. » Telles que nous avons dit. Le texte dit seulement : « Sont telles. » On peut consulter sur tout ce passage assez obscur l'explication qu'en donne Alexandre d'Aphrodise dans ses Questions, liv. III, chap. 9. § 15. Qui est parfois appelé unité. J'ai admis ici la correction très ingénieuse de M. Trendelenbourg, bien qu'aucun manuscrit ni aucun commentateur ne l'autorise; mais d'abord elle est parfaitement conforme à la pensée générale du texte; et, déplus, elle a l'avantage de ne Caire que changer une lettre longue en une brève. Et qui, en tant que deux. Le point est deux, et par conséquent divisible, parce que, placé à l'extrémité dune ligne, s'il peut être considéré comme la fin de l'une, il peut être aussi considéré comme le commencement de l'autre. Voir des théories tout-a-fait analogues, Leçons de physique, II ν. IV, ch. 11, p. 219, b, 11, et 220, a, 10, ch. 13, p. 222, a, 16, et liv. VIII, chap. S, p. 262, a, il, et p. 263, a, 23, édit. de Berlin. Alexandre d'Aphrodise et plusieurs autres commentateurs avec lui, Thémistius entre outres, croient qu'il s'agit ici du centre du cercle, qui peut être pris à la fois pour l'origine et pour le terme de tous les rayons qu'on peut mener à la circonférence, ou qui peuvent en partir. Aux deux perceptions. J'ai ajouté ces mots. Il n'est plus un; car. M. Trendelenbourg n'admet pas ces mots que donne l'édition des Ailes et qu'adopte Sylburge. Ils me semblent compléter très bien la pensée. Le même point. Le texte peut signifier : « Le même « signe, » aussi bien que « le même point ; » car le mot grec a ces deux sens à la fois. Il est difficile de savoir ce qu'on doit entendre par ceci. Aristote veut dire sans doute que le sens commun réduit à un point unique et indivisible, centre de toutes les perceptions, y reçoit à la fois. de côtés différents, des perceptions différentes qu'il distingue tout en les comparant. Pour deux choses sensibles. Je suppose par cette traduction que le mot grec est au datif et non point à l'ablatif; et, dès lors, il est inutile de changer le texte, comme le propose M. Trendelenbourg. Où elles se rencontrent. J'ai ajouté ces mots pour plus de clarté. Comme appartenant à des sens séparés. Voila la leçon ordinaire : il en est une autre que donnent encore quelques manuscrits, et qui serait très admissible : « Comme s'il était lui-même séparé. » M. Trendelenbourg préférerait cette dernière. Les deux parties qui composent ce chapitre sont étroitement liées, et la question de savoir si chaque sens se perçoit lui-même se lie parfaitement à la question du sens commun; mais l'on attendait un résumé spécial qu'Aristote n'a point donné ; et il s'est contenté d'indiquer que c''est ici que se termine ce qu'il avait à dire sur la sensibilité. Albert-le-Grand finit le second livre arec cette théorie, et commence le troisième avec la théorie de l'imagination. Le précepteur de Pacius, Federicus Pendasius, suivait cet exemple. Les Arabes ne commençaient le troisième livre qu'avec la théorie de l'intelligence, au chapitre quatrième. |
Théorie de l'imagination : la sensation et la pensée ne se confondent pas ; erreurs des anciens philosophes et particulièrement d'Empédode sur ce point. Différences de l'imaginationtινατιον et des autres facultés : la sensation, la science, l'entendement, l'opinion. Nature propre de l'imagination; ses rapports à la sensation ; étymologie du mot Imagination. |
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427a17 1 Ἐπεὶ δὲ δύο διαφοραῖς ὁρίζονται μάλιστα τὴν ψυχήν, κινήσει τε τῇ κατὰ τόπον καὶ τῷ νοεῖν καὶ φρονεῖν καὶ αἰσθάνεσθαι, δοκεῖ δὲ καὶ τὸ νοεῖν καὶ τὸ φρονεῖν ὥσπερ αἰσθάνεσθαί τι εἶναι (ἐν ἀμφοτέροις γὰρ τούτοις κρίνει τι ἡ ψυχὴ καὶ γνωρίζει τῶν ὄντων), καὶ οἵ γε ἀρχαῖοι τὸ φρονεῖν καὶ τὸ αἰσθάνεσθαι ταὐτὸν εἶναί φασιν-ὥσπερ καὶ Ἐμπεδοκλῆς εἴρηκε "πρὸς παρεὸν γὰρ μῆτις ἀέξεται ἀνθρώποισιν" καὶ ἐν ἄλλοις "ὅθεν σφίσιν αἰεὶ καὶ τὸ φρονεῖν ἀλλοῖα παρίσταται", τὸ δ' αὐτὸ τούτοις βούλεται καὶ τὸ Ὁμήρου "τοῖος γὰρ νόος ἐστίν", 2 πάντες γὰρ οὗτοι τὸ νοεῖν σωματικὸν ὥσπερ τὸ αἰσθάνεσθαι ὑπολαμβάνουσιν, καὶ αἰσθάνεσθαί τε καὶ φρονεῖν τῷ ὁμοίῳ τὸ ὅμοιον, ὥσπερ καὶ ἐν τοῖς κατ' ἀρχὰς λόγοις διωρίσαμεν (καίτοι ἔδει ἅμα καὶ περὶ 427b τοῦ ἠπατῆσθαι αὐτοὺς λέγειν, οἰκειότερον γὰρ τοῖς ζῴοις, καὶ πλείω χρόνον ἐν τούτῳ διατελεῖ ἡ ψυχή· διὸ ἀνάγκη ἤτοι, ὥσπερ ἔνιοι λέγουσι, πάντα τὰ φαινόμενα εἶναι ἀληθῆ, ἢ τὴν τοῦ ἀνομοίου θίξιν ἀπάτην εἶναι, τοῦτο γὰρ ἐναντίον τῷ τὸ ὅμοιον τῷ ὁμοίῳ γνωρίζειν· δοκεῖ δὲ καὶ ἡ ἀπάτη καὶ ἡ ἐπιστήμη τῶν ἐναντίων ἡ αὐτὴ εἶναι) 3 -ὅτι μὲν οὖν οὐ ταὐτόν ἐστι τὸ αἰσθάνεσθαι καὶ τὸ φρονεῖν, φανερόν· τοῦ μὲν γὰρ πᾶσι μέτεστι, τοῦ δὲ ὀλίγοις τῶν ζῴων. Ἀλλ' οὐδὲ τὸ νοεῖν, ἐν ᾧ ἐστι τὸ ὀρθῶς καὶ τὸ μὴ ὀρθῶς, τὸ μὲν ὀρθῶς φρόνησις καὶ ἐπιστήμη καὶ δόξα ἀληθής, τὸ δὲ μὴ ὀρθῶς τἀναντία τούτων-οὐδὲ τοῦτό ἐστι ταὐτὸ τῷ αἰσθάνεσθαι· ἡ μὲν γὰρ αἴσθησις τῶν ἰδίων ἀεὶ ἀληθής, καὶ πᾶσιν ὑπάρχει τοῖς ζῴοις, διανοεῖσθαι δ' ἐνδέχεται καὶ ψευδῶς, καὶ οὐδενὶ ὑπάρχει ᾧ μὴ καὶ λόγος· 4 φαντασία γὰρ ἕτερον καὶ αἰσθήσεως καὶ διανοίας, αὕτη τε οὐ γίγνεται ἄνευ αἰσθήσεως, καὶ ἄνευ ταύτης οὐκ ἔστιν ὑπόληψις. Ὅτι δ' οὐκ ἔστιν ἡ αὐτὴ [νόησις] καὶ ὑπόληψις, φανερόν. Τοῦτο μὲν γὰρ τὸ πάθος ἐφ' ἡμῖν ἐστιν, ὅταν βουλώμεθα (πρὸ ὀμμάτων γὰρ ἔστι τι ποιήσασθαι, ὥσπερ οἱ ἐν τοῖς μνημονικοῖς τιθέμενοι καὶ εἰδωλοποιοῦντες), δοξάζειν δ' οὐκ ἐφ' ἡμῖν· ἀνάγκη γὰρ ἢ ψεύδεσθαι ἢ ἀληθεύειν. Ἔτι δὲ ὅταν μὲν δοξάσωμεν δεινόν τι ἢ φοβερόν, εὐθὺς συμπάσχομεν, ὁμοίως δὲ κἂν θαρραλέον· κατὰ δὲ τὴν φαντασίαν ὡσαύτως ἔχομεν ὥσπερ ἂν εἰ θεώμενοι ἐν γραφῇ τὰ δεινὰ ἢ θαρραλέα. 5 Εἰσὶ δὲ καὶ αὐτῆς τῆς ὑπολήψεως διαφοραί, ἐπιστήμη καὶ δόξα καὶ φρόνησις καὶ τἀναντία τούτων, περὶ ὧν τῆς διαφορᾶς ἕτερος ἔστω λόγος. Περὶ δὲ τοῦ νοεῖν, ἐπεὶ ἕτερον τοῦ αἰσθάνεσθαι, τούτου δὲ τὸ μὲν φαντασία δοκεῖ εἶναι τὸ δὲ ὑπόληψις, περὶ φαντασίας διορίσαντας οὕτω περὶ θατέρου λεκτέον. 6 428a Εἰ δή ἐστιν ἡ φαντασία καθ' ἣν λέγομεν φάντασμά τι ἡμῖν γίγνεσθαι καὶ μὴ εἴ τι κατὰ μεταφορὰν λέγομεν, <ἆρα> μία τις ἔστι τούτων δύναμις ἢ ἕξις καθ' ἃς κρίνομεν καὶ ἀληθεύομεν ἢ ψευδόμεθα; τοιαῦται δ' εἰσὶν αἴσθησις, δόξα, ἐπιστήμη, νοῦς. 7 !Ότι μὲν οὖν οὐκ ἔστιν αἴσθησις, δῆλον ἐκ τῶνδε. Αἴσθησις μὲν γὰρ ἤτοι δύναμις ἢ ἐνέργεια, οἷον ὄψις καὶ ὅρασις, φαίνεται δέ τι καὶ μηδετέρου ὑπάρχοντος τούτων, οἷον τὰ ἐν τοῖς ὕπνοις. Εἶτα αἴσθησις μὲν ἀεὶ πάρεστι, φαντασία δ' οὔ. Εἰ δὲ τῇ ἐνεργείᾳ τὸ αὐτό, πᾶσιν ἂν ἐνδέχοιτο τοῖς θηρίοις φαντασίαν ὑπάρχειν· δοκεῖ δ' οὔ, οἷον μύρμηκι ἢ μελίττῃ, σκώληκι δ' οὔ. Εἶτα αἱ μὲν ἀληθεῖς ἀεί, αἱ δὲ φαντασίαι γίνονται αἱ πλείους ψευδεῖς. Ἔπειτα οὐδὲ λέγομεν, ὅταν ἐνεργῶμεν ἀκριβῶς περὶ τὸ αἰσθητόν, ὅτι φαίνεται τοῦτο ἡμῖν ἄνθρωπος, ἀλλὰ μᾶλλον ὅταν μὴ ἐναργῶς αἰσθανώμεθα πότερον ἀληθὴς ἢ ψευδής. Καὶ ὅπερ δὴ ἐλέγομεν πρότερον, φαίνεται καὶ μύουσιν ὁράματα. 8 Ἀλλὰ μὴν οὐδὲ τῶν ἀεὶ ἀληθευουσῶν οὐδεμία ἔσται, οἷον ἐπιστήμη ἢ νοῦς· ἔστι γὰρ φαντασία καὶ ψευδής. Λείπεται ἄρα ἰδεῖν εἰ δόξα· γίνεται γὰρ δόξα καὶ ἀληθὴς καὶ ψευδής, ἀλλὰ δόξῃ μὲν ἕπεται πίστις (οὐκ ἐνδέχεται γὰρ δοξάζοντα οἷς δοκεῖ μὴ πιστεύειν), τῶν δὲ θηρίων οὐθενὶ ὑπάρχει πίστις, φαντασία δὲ πολλοῖς. [Ἔτι πάσῃ μὲν δόξῃ ἀκολουθεῖ πίστις, πίστει δὲ τὸ πεπεῖσθαι, πειθοῖ δὲ λόγος· τῶν δὲ θηρίων ἐνίοις φαντασία μὲν ὑπάρχει, λόγος δ' οὔ.] 9 428a24 Φανερὸν τοίνυν ὅτι οὐδὲ δόξα μετ' αἰσθήσεως, οὐδὲ δι' αἰσθήσεως, οὐδὲ συμπλοκὴ δόξης καὶ αἰσθήσεως, φαντασία ἂν εἴη, διά τε ταῦτα καὶ διότι οὐκ ἄλλου τινὸς ἔσται ἡ δόξα, ἀλλ' ἐκείνου, εἴπερ ἔστιν, οὗ καὶ ἡ αἴσθησις· λέγω δ', ἐκ τῆς τοῦ λευκοῦ δόξης καὶ αἰσθήσεως ἡ συμπλοκὴ φαντασία ἔσται· οὐ γὰρ δὴ ἐκ τῆς δόξης μὲν τῆς τοῦ ἀγαθοῦ, αἰσθήσεως δὲ τῆς τοῦ 428b λευκοῦ. Τὸ οὖν φαίνεσθαι ἔσται τὸ δοξάζειν ὅπερ αἰσθάνεται, μὴ κατὰ συμβεβηκός. 10 Φαίνεται δέ γε καὶ ψευδῆ, περὶ ὧν ἅμα ὑπόληψιν ἀληθῆ ἔχει, οἷον φαίνεται μὲν ὁ ἥλιος ποδιαῖος, πιστεύεται δ' εἶναι μείζων τῆς οἰκουμένης· συμβαίνει οὖν ἤτοι ἀποβεβληκέναι τὴν ἑαυτοῦ ἀληθῆ δόξαν, ἣν εἶχε, σωζομένου τοῦ πράγματος, μὴ ἐπιλαθόμενον μηδὲ μεταπεισθέντα, ἢ εἰ ἔτι ἔχει, ἀνάγκη τὴν αὐτὴν ἀληθῆ εἶναι καὶ ψευδῆ. †Ἀλλὰ ψευδὴς ἐγένετο ὅτε λάθοι μεταπεσὸν τὸ πρᾶγμα†. Οὔτ' ἄρα ἕν τι τούτων ἐστὶν οὔτ' ἐκ τούτων ἡ φαντασία. 11 Ἀλλ' ἐπειδὴ ἔστι κινηθέντος τουδὶ κινεῖσθαι ἕτερον ὑπὸ τούτου, ἡ δὲ φαντασία κίνησίς τις δοκεῖ εἶναι καὶ οὐκ ἄνευ αἰσθήσεως γίνεσθαι ἀλλ' αἰσθανομένοις καὶ ὧν αἴσθησις ἔστιν, ἔστι δὲ γίνεσθαι κίνησιν ὑπὸ τῆς ἐνεργείας τῆς αἰσθήσεως, καὶ ταύτην ὁμοίαν ἀνάγκη εἶναι τῇ αἰσθήσει, εἴη ἂν αὕτη ἡ κίνησις οὔτε ἄνευ αἰσθήσεως ἐνδεχομένη οὔτε μὴ αἰσθανομένοις ὑπάρχειν, καὶ πολλὰ κατ' αὐτὴν καὶ ποιεῖν καὶ πάσχειν τὸ ἔχον, καὶ εἶναι καὶ ἀληθῆ καὶ ψευδῆ. 12 Τοῦτο δὲ συμβαίνει διὰ τάδε· ἡ αἴσθησις τῶν μὲν ἰδίων ἀληθής ἐστιν ἢ ὅτι ὀλίγιστον ἔχουσα τὸ ψεῦδος. Δεύτερον δὲ τοῦ συμβεβηκέναι ταῦτα <ἃ συμβέβηκε τοῖς αἰσθητοῖς>· καὶ ἐνταῦθα ἤδη ἐνδέχετα διαψεύδεσθαι· ὅτι μὲν γὰρ λευκόν, οὐ ψεύδεται, εἰ δὲ τοῦτο τὸ λευκὸν ἢ ἄλλο τι, ψεύδεται. Τρίτον δὲ τῶν κοινῶν καὶ ἑπομένων τοῖς συμβεβηκόσιν οἷς ὑπάρχει τὰ ἴδια (λέγω δ' οἷον κίνησις καὶ μέγεθος) [ἃ συμβέβηκε τοῖς αἰσθητοῖς]· περὶ ἃ μάλιστα ἤδη ἔστιν ἀπατηθῆναι κατὰ τὴν αἴσθησιν. 13 Ἡ δὲ κίνησις ἡ ὑπὸ τῆς ἐνεργείας τῆς αἰσθήσεως γινομένη διοίσει, ἡ ἀπὸ τούτων τῶν τριῶν αἰσθήσεων, καὶ ἡ μὲν πρώτη παρούσης τῆς αἰσθήσεως ἀληθής, αἱ δ' ἕτεραι καὶ παρούσης καὶ ἀπούσης εἶεν ἂν ψευδεῖς, καὶ μάλιστα ὅταν πόρρω τὸ αἰσθητὸν ᾖ. Εἰ οὖν μηθὲν ἄλλο ἔχει τὰ εἰρημένα ἢ φαντασία 429a (τοῦτο δ' ἐστὶ τὸ λεχθέν), ἡ φαντασία ἂν εἴη κίνησις ὑπὸ τῆς αἰσθήσεως τῆς κατ' ἐνέργειαν γιγνομένη. 14 Ἐπεὶ δ' ἡ ὄψις μάλιστα αἴσθησίς ἐστι, καὶ τὸ ὄνομα ἀπὸ τοῦ φάους εἴληφεν, ὅτι ἄνευ φωτὸς οὐκ ἔστιν ἰδεῖν. 15 Καὶ διὰ τὸ ἐμμένειν καὶ ὁμοίας εἶναι ταῖς αἰσθήσεσι, πολλὰ κατ' αὐτὰς πράττει τὰ ζῷα, τὰ μὲν διὰ τὸ μὴ ἔχειν νοῦν, οἷον τὰ θηρία, τὰ δὲ διὰ τὸ ἐπικαλύπτεσθαι τὸν νοῦν ἐνίοτε πάθει ἢ νόσῳ ἢ ὕπνῳ, οἷον οἱ ἄνθρωποι. Περὶ μὲν οὖν φαντασίας, τί ἐστι καὶ διὰ τί ἐστιν, εἰρήσθω ἐπὶ τοσοῦτον. |
§ 1. 427a17 Comme, en définissant l'âme, on s'occupe surtout de deux facultés différentes, la locomotion et la pensée, jugement, sensibilité, on pourrait croire aussi que penser et réfléchir c'est une sorte de sensation. En effet, dans les deux cas, l'âme distingue et connaît toujours quelque chose; et les anciens n'ont pas hésité à croire que réfléchir et sentir c'était tout un. C'est ainsi qu'Empédocle l'a dit : « La sagesse s'accroît dans l'homme quand l'objet est présent. » Et ailleurs : - De là vient pour eux qu'ils peuvent toujours réfléchir à des choses différentes. » Homère ne veut pas exprimer une autre idée quand il dit : « Telle est la pensée. » § 2. Ainsi, tous ont supposé que la pensée était corporelle comme l'est la sensation; et que le semblable sentait et comprenait le semblable, ainsi que nous l'avons dit au début de ce traité. Ces philosophes auraient bien dû s'occuper en même temps 427b des méprises des sens et de la pensée ; car c'est là surtout ce qui est propre aux êtres animés, et c'est dans l'erreur que l'âme est le plus ordinairement plongée. Dans cette doctrine, il faut ou que tous les objets, tels qu'ils nous apparaissent, soient vrais, ainsi que quelques uns le prétendent ; ou bien il faut que ce soit le contact du dissemblable qui produise l'erreur; car c'est là la théorie contraire à celle qui veut que le semblable connaisse le semblable. Il paraît aussi que l'erreur sur les contraires est la même, ainsi que l'est la connaissance des contraires. § 3. On voit donc que sentir et réfléchir ne sont pas des choses identiques. L'un, en effet, appartient à tous les animaux; et l'autre, au contraire, est réservé à quelques uns. Mais penser ne se confond pas non plus avec sentir, puisque la pensée peut admettre le bien et le mal. Le bien, dans la pensée, c'est la sagesse, la science et l'opinion vraie; le mal, c'est le contraire de tout cela. Or, tout cela ne peut pas du tout se confondre avec sentir. La sensation des choses particulières est toujours vraie, même dans tous les animaux ; mais on peut faire aussi on usage erroné de la pensée, et cette faculté n'appartient à aucun être qui n'ait eu même temps la raison. § 4. C'est que l'imagination est tout autre chose que la sensation et que la pensée. Elle ne se produit pas, il est vrai, sans la sensation, et sans elle il n'y a pas de conception; mais on voit facilement que l'imagination et la conception ne sont pas identiques. L'imagination ne dépend que de nous et de notre volonté, et l'on peut s'en mettre l'objet devant les yeux, comme le pratiquent ceux qui traduisent les choses en signes mnémoniques, et inventent des symboles. Mais avoir une opinion ne dépend pas de nous, c'est un fait nécessaire, l'opinion pouvant d'ailleurs être vraie ou fausse. Il y a plus : quand notre opinion se rapporte à quelque chose de terrible et de redoutable, l'affection dont nous sommes aussitôt saisis est pareille à l'objet; et de même, quand nous avons opinion de quelque chose de hardi. Au contraire, lorsqu'il s'agit d'imagination, nous sommes comme de simples spectateurs qui voient, représentées en peinture, des choses terribles et effrayantes. § 5. Il y a aussi des différences dans la conception elle-même : par exemple, science, opinion, sagesse, et leurs contraires, différences dont on parlera dans un autre lieu. Quant à penser, comme c'est tout antre chose que sentir, et que l'on y peut distinguer d'une part l'imagination, et d'autre part la conception, nous parlerons d abord de l'imagination, et nous parlerons ensuite de l'autre. § 6. 428a Si l'imagination est la faculté par laquelle nous disons qu'une image se présente ou ne se présente pas à nous (et ce mot n'est ici qu'une simple métaphore), elle est une faculté, ou une habitude de ces images, qui nous fait juger, c'est-à-dire, connaître le vrai ou le faux. Or, les facultés de cette espèce sont : la sensation, l'opinion, la science et l'intelligence. § 7. D'abord elle n'est pas la sensation, et voici pourquoi : la sensation est ou une simple puissance ou un acte effectif ; telles sont la vue et la vision. Mais une image peut quelquefois se produire pour nous, bien qu'il n'y ait ni puissance ni acte ; et l'on peut citer, par exemple, les objets qui nous apparaissent dans les songes. De plus, la sensation est toujours présente ; l'imagination ne l'est pas toujours. Ajoutez que si l'imagination se confondait avec l'acte de la sensation, elle pourrait appartenir à tous les animaux. Or, il ne semble pas que tous sans exception la possèdent : la fourmi, par exemple, l'abeille, le ver. En outre, les sensations sont toujours vraies; les représentations de l'imagination, au contraire, sont fausses pour la plupart; et, en effet, nous ne disons pas, quand notre perception actuelle est exacte à l'égard de l'objet senti, que nous nous imaginons que ce soit un homme, par exemple; c'est seulement lorsque nous ne sentons pas très clairement que la sensation est ou vraie ou fausse. Et enfin, pour répéter ce que nous venons de dire, les représentations de l'imagination se montrent encore à nous, même quand nous fermons les yeux. § 8. Mais l'imagination ne sera pas davantage lune de ces facultés éternellement vraies, par exemple, la science ou l'entendement; car l'imagination, si elle peut être vraie, peut aussi être fausse. Reste donc à voir si elle n'est pas l'opinion ; car l'opinion est, comme l'imagination, vraie et fausse. Mais la croyance est la conséquence de l'opinion, puisqu'il est impossible, quand on a une opinion, que l'on ne croie pas aux choses dont on a l'opinion. Or la croyance n'appartient jamais à la brute, tandis que l'imagination lui appartient bien souvent. De plus, si la croyance accompagne toujours l'opinion, la persuasion accompagne la croyance, comme la raison accompagne la persuasion ; mais si quelques bêtes ont l'imagination, aucune n'a la raison en partage. § 9. 428a24 Il est donc bien clair que l'imagination n'est ni l'opinion, qui accompagne la sensation, ou qui vient par la sensation, ni davantage une combinaison de l'opinion et de la sensation. En outre, tout ceci nous fait voir que l'opinion doit s'appliquer à la chose seulement dont il y a sensation, et non à une autre; je veux dire, par exemple, qu'on admettrait que l'imagination du blanc est le composé de l'opinion du blanc et de la sensation du blanc, et qu' elle η est pas du tout un composé de l'opinion du bien et de la sensation 428b du blanc. Ainsi, imaginer ce serait avoir opinion de ce qu'on sent autrement que par accident. § 10. Mais il y a des choses qui nous apparaissent sous de fausses images, bien que l'on en ait une conception vraie. Ainsi, nous imaginons le soleil en lui donnant un pied de diamètre ; et cependant on sait, sans le moindre doute, qu'il est plus grand que la terre. Il arrive donc ici, ou que l'on a perdu l'opinion vraie qu'à part soi l'on avait de la chose ( cette chose d'ailleurs subsistant telle qu'elle est, sans qu'on ait oublié cette opinion ni qu'on en ait adopté une autre); ou bien, si on l'a encore, il faut nécessairement que la même opinion soit vraie et fausse tout à la fois; mais elle devenait fausse quand on ne s'apercevait pas que la chose était changée. Ainsi, l'imagination n'est ni l'une des facultés indiquées, ni le résultat de ces facultés. § 11. Mais comme une chose mise en mouvement peut en mouvoir une autre ; comme l'imagination parait être une sorte de mouvement; comme elle ne peut se produire sans la sensation, et ne se produit que dans les êtres qui sentent, et que pour les choses dont il y a sensation ; comme, d'autre part, il est possible aussi qu'un mouvement se produise par l'acte même de la sensation, et que ce mouvement nécessairement doit être pareil à la sensation, on peut dire que l'imagination est le mouvement qui ne saurait avoir lieu tant» la sensation, ni ailleurs que dans des êtres qui sentent; qu'elle peut rendre l'être qui la possède agent et patient de bien des manières; et en6n qu'elle peut également et être vraie et être fausse. § 12. Et voici comment il se peut qu'elle devienne fausse. La sensation des objets propres à chaque sens est vraie, ou du moins elle a le moins d'erreur possible. En second lieu, la sensation peut n'être qu'accidentelle, et c'est là que l'erreur peut commencer. Ainsi, quand on dit que telle chose est blanche, on ne se trompe pas ; mais si l'on ajoute que cette chose blanche est ceci ou cela, c'est alors qu'on peut tomber dans l'erreur. En troisième lieu, vient la sensation des choses communes à tous les sens, et des conséquences qui suivent les accidents que supportent les objets propres : je veux dire, par exemple, le mouvement et la grandeur, qui sont les accidents des objets sensibles, et pour lesquels il y a surtout chance qu'on se trompe dans la sensation. § 13. Mais le mouvement produit par l'acte de la sensation différera de la sensation qui vient de ces trois sources. Le premier mouvement, celui de la sensation présente, est vrai; mais les autres, que la sensation soit ou ne soit pas présente, peuvent être faux ; et ils le sont surtout quand l'objet de la sensation est éloigné. Si donc l'imagination 429b est la seule à remplir toutes les conditions indiquées, et qu'elle soit tout ce qu'on vient de dire, elle peut être définie : Un mouvement causé par la sensation qui est en acte. § 14. Mais comme la vue est le principal de nos sens, l'imagination a reçu son nom de l'image que la lumière nous révèle, parce qu'il n'est pas possible de voir sans lumière. § 15. Et parce qu'elle subsiste dans l'esprit et qu'elle est pareille aux sensations, les animaux agissent très souvent par elle et par les sensations : les uns, parce qu'ils n'ont pas l'intelligence en partage, comme les bêtes brutes ; les autres, parce que leur intelligence est quelquefois obscurcie par la passion, les maladies ou le sommeil, comme les hommes. Bornons-nous à ce qui précède, pour expliquer ce qu'est l'imagination, et comment elle se produit. |
§ 1. Et la pensée, jugement, sensibilité. J'ai supprimé, entre les deux derniers mots, les conjonctions, qui pouvaient obscurcir le sens de ce passage très important. Les deux facultés différentes sont ici : d'une part, la locomotion, et de l'autre, la pensée sous les diverses formes où on peut l'étudier. C'est une sorte de sensation. Il faut donner la plus grande attention à cette théorie, où Aristote distingue aussi nettement que possible la sensation de la pensée. Et les anciens. Les reproches adressés aux anciens qui ont commis cette erreur, sont développée dans la Métaphysique, liv. IV, chap. 5, p. 1009, édit. de Berlin. Empédocle l'α dit. Ce vers d'Empédocle est cité à même intention dans le liv. IV de la Métaphysique, p. 1009, b, 18. Et ailleurs, même remarque sur cette seconde pensée d'Empédocle. M. Trendelenbourg, après Philopon, défend Empédocle et Homère contre la critique d'Aristote. Cette critique, appliquée aux citations spéciales qui sont données ici, n'est peut-être pas très juste ; mais il est probable qu'Aristote la prenait d'une manière plus générale, et l'adressait à l'ensemble des doctrines d'Empédocle. Ainsi entendue, cette critique est sans doute plus vraie. Et Homère, quand il dit: « Telle est la pensée, » commencement d'un vers. Voir Odyssée, chant 18, v. 136, édit. de Didot. § 2. Ainsi que nous t'avons dit. Ce passage se rapporte évidemment à ce qui a été exposé plus haut, liv. I, chap. 2, §§ 7 et 20. M. Trendelenbourg semble en douter, sans dire pourquoi. S'occuper en même temps des erreurs. Il ne suffit pas de dire comment l'homme connait la vérité, il faut dire encore comment il se trompe ; car l'erreur est son état le plus habituel. Des sens et de la pensée. J'ai ajouté ces mots pour être plus clair. Aux êtres animés. Le texte dit : « Aux animaux. » Le terme est bien général, et peut-être la pensée gagnerait-elle à être restreinte aux hommes. Ainsi que quelques uns le prétendent. Cette opinion est attribuée à Démocrite. Voir plus haut, liv. I, chap. 2, § S; mais elle est rapportée plus ordinairement encore à Protagore. Voir la Métaphysique, liv. V, chap. 5, p. 1009, a, 5, édit. de Berlin, et liv. XI, p. 1062, b, 15. Ou bien il faut que ce soit le contact du dissemblable. Aristote complète lui-même la théorie des anciens philosophes, qu'il blâme; et il explique comment c'est bien là le complément de cette théorie. Est la même. Ceci veut dire que, du moment qu'on se trompe sur l'un des contraires, on se trompe également sur l'autre; de même qu'il suffit de connaitre l'un des contraires, pour connaître l'autre du même coup. Du reste, on ne voit pas bien à quoi sert ici cette pensée, toute juste qu'elle peut être. § 3. On voit donc. Philopon s'efforce de justifier celte sorte de conclusion, qui ne tient pas assez directement à ce qui précède, pour qu'elle paraisse en sortir nécessairement. A tous les animaux, comme au paragraphe ci-dessus. Est réservé à quelques uns, aux hommes ; et même, comme le remarque Simplicius, à quelques uns parmi les hommes. Penser peut admettre le bien et le mal. On peut mal penser ou bien penser ; on ne sent ni bien ni mal : on sent tout simplement. L'opinion vraie. Voyez sur l'opinion les théories d'Aristote, Derniers Analytiques, liv. I, ch. 88. Celles de Platon sont plus claires et plus exactes; République, liv. V, ρ 315, de la traduction de M. Cousin. Dans les Topiques, liv. I, ch. 15, § 9, Aristote semble confondre la sensation et la pensée, qu'il s'efforce ici de distinguer profondément. La sensation des choses particulières. La sensation ne s'adresse jamais qu'à des choses particulières, à des êtres individuels. Elle n'atteint pas l'universel, elle le prépare seulement. Voir Derniers Analytiques, liv. I, ch. 31. Dans tous les animaux. Ici le terme est tout-à-fait général, et ne s'applique pas seulement à l'homme, comme on pouvait le croire plus haut, § 2. La raison. Je préfère ce sens à celui de « parole, » que présente aussi le mot grec, et qu'adopterait M. Trendelenbourg. La raison peut, du reste, être ici très bien confondue avec la parole qui nous sert à l'exprimer. § 4. C'est que. Le texte dit positivement : car; et Philopon s'est étonné avec raison de l'emploi de cette conjonction, qui ne semble pas en effet très convenablement placée ici. C'est que l'imagination. Ici commence la véritable théorie de l'imagination. Ce qui précède n'a fait que la préparer. Et que ta pensée, ou l'action de l'entendement. Et sans elle. Philopon (et non Simplicius, comme le dit M. Trendelenbourg) veut que » sans elle » signifie : sans la pensée; c'est évidemment une erreur, remarque M. Trendelenbourg. Aristote veut dire que l'imagination est a égale distance de la sensation et de la pensée. La sensation doit précéder l'imagination, comme l'imagination précède la pensée. II est vrai que Philopon comprend aussi au début de la phrase, que la pensée n'a pas lieu sans la sensation. Mais je crois encore qu'il s'agit, en ce dernier passage, non pas de la pensée, mais de l'imagination. Les pronoms dont se sert Aristote peuvent causer de l'ambiguïté; il faut se reporter plutôt à la consécution logique des idées. Conception. Je n'ai pu trouver de mot plus convenable pour rendre le mot grec. La conception répond en grande partie à ce qu'Aristote appellera plus bas l'opinion ou la perception proprement dite, et en partie aussi à la pensée. L'imagination, et non la pensée, comme le donnent la plupart des éditeurs, et entre autres M. Trendelenbourg et l'édition de Berlin. La leçon que j'adopte, outre qu'elle est autorisée par la marge d'un manuscrit du Vatican, semble être celle qu'ont possédée déjà Simplicius et Philopon, malgré ce qu'en dit M. Trendelenbourg. C'est certainement celle de saint Thomas et d'Albert; c'est celle qu'ont adoptée les Coïmbrois et Pacius, à la suite des Aldes et de Sylburge. Enfin ce qui est au-dessus de toutes ces autorités, quelque graves qu'elles soient déjà, cette leçon est réclamée impérieusement par la raison. Sans elle, tout ce passage est plein de contradictions, qu'on ne peut lever qu'en torturant le sens des mots les plus clairs. L'imagination ne dépend. Le texte dit : « cette modification. » Ceci se rapporte à ce qu'Aristote vient de dire, que l'imagination tient directement à la sensation. Qui traduisent les choses en signes mnémoniques. Philopon comprend qu'il s'agit des gens qui ont une bonne mémoire, opposés à ceux qui se font de fausses représentations des objets. Les expressions d'Aristote ne se prêtent pas à cette interprétation. A voir une opinion, un jugement à la suite d'une sensation perçue. Voir plus haut une pensée analogue, liv. II, ch. 5, § 6. L'opinion pouvant d'ailleurs être vraie ou fausse. La phrase du texte n'est pas tout-à-fait construite comme celle-ci : « il faut nécessairement que l'opinion soit fausse ou vraie. » Le changement que j'ai introduit me semble justifié par tout ce qui précède ; et l'idée principale est que la perception, l'opinion, est un fait nécessaire et fatal. Notre opinion. Notre jugement à la suite d'une perception. Il s'agit d'imagination. Ici l'opposition de l'imagination et de l'opinion est parfaitement claire. L'opinion s'adresse toujours à des réalités ; l'imagination ne s'adresse qu'à des idées, à des images que nous nous faisons volontairement. § 5. Dans la conception elle-même. On voit que le mot de conception répond à peu près à celui de pensée. Voir plus haut § 3. Dans un autre lieu. Dans la Morale, comme l'indiquent tous les commentateurs. Voir la Morale à Nicomaque. liv. V Quant à penser. Pacius fait ici un nouveau chapitre qui, dans sa division, est le quatrième. D'une part l'imagination. Ici Aristote rattache l'imagination à la pensée plus étroitement qu'il ne l'a fait jusqu'à présent. Nous parlerons ensuite de l'autre, dans les chapitres qui suivront celui-ci. § 6. Se présente ou ne se présente pas à nous. Le sens que je donne ici n'est pas du tout celui des commentateurs ; il suffît, pour l'obtenir, d'un simple changement de ponctuation. Je le crois préférable au sens vulgairement reçu : « Se présente à nous, sans que nous prenions ici cette expression par simple métaphore. » Je crois qu'Aristote ne peut pas dire que le mot d'image soit pris au propre quand il s'agit d'imagination. Les images proprement dites sont uniquement celles que donne la réflexion de la lumière sur certains corps, les eaux, les miroirs, etc. Appliquée à l'intelligence de l'homme, cette expression est évidemment métaphorique. Mais j'avoue que cette interprétation que je propose est / bien nouvelle pour être vraie, et qu'elle a contre elle cette alternative assez singulière : « ou ne «représente pas. » Je la préfère cependant ; et la grammaire l'autorise plus complètement que l'autre. Si l'on admet avec les commentateurs qu'Aristote prétende ne point parler Ici par métaphore, il faut admettre aussi avec eux que le mot « d'imagination » s'applique souvent par simple métaphore, soit à la sensation, soit à l'intelligence. Sont la sensation, l'opinion. Voir un peu plus bas la fin du § 10; voir surtout les Derniers Analytiques, liv. II, ch. 19, où Aristote ne compte plus la sensation parmi les facultés qui donnent la connaissance, et où il ajoute le raisonnement aux trois autres qu'il énumère ici. § 7. Telles sont la vue et la vision. Voir plus haut cette distinction déjà faite, chap. 2, § 6. Ni puissance ni acte. Le texte dit simplement : « Ni l'un ni l'autre. » Il n'y a pas de puissance ; car on voit, et la simple puissance ne suffit pas pour voir : il n'y a pas d'acte; car le sens n'agit pas, puisqu'on dort. La sensation est toujours présente. Ceci est assez obscur, et les interprétations ont été fort diverses. Simplicius veut que la sensation appartienne aux animaux dès le premier instant de leur naissance, tandis que l'imagination ne vient que plus tard : Averroès comprend que la sensation a toujours besoin de ta présence de l'objet sensible, tandis que l'imagination peut s'en passer. Le sens le plus naturel, c'est celui qu'adopte saint Thomas : La sensibilité est toujours permanente dans l'animal. l'imagination a des intermittences. Se confondait avec l'acte, était identique à la sensation en acte. La fourmi, par exemple, l'abeille, le ver, en un mot les animaux inférieurs. Voir plus loin, chap. 11, § 1, où ceci est contredit. Les représentations de l'imagination. Le texte dit simplement : « Les imaginations. » Que nous nous imaginons, ou « qu'il « nous paraît; » mais j'ai préféré reproduire le radical du mot imagination, comme le fait le mot grec. Ce que nous venons de dire, en parlant des songes, bien qu'Aristote n'ait pas dit tout-à-fait la même chose.
Si Aristote refuse l'imagination à
quelques animaux, Cuvier semble l'accorder à tous, mais dans un
autre sens ; car il explique leur instinct « par des images innées et constantes qui les déterminent à agir, comme les sensations ordinaires § 8. Ces facultés éternellement vraies, ou toujours vraies; c'est l'expression même dont Aristote se sert dans les Dern. Analytiques, liv. II, chap. 19, § 8. Si elle peut être vraie. J'ai ajouté ces mots. La conséquence de l'opinion, le jugement qui suit la sensation. Aux choses dont on a l'opinion, ou qui paraissent. J'ai préféré reproduire le même mot, parce que le texte reproduit le même radical. La croyance. On pourrait traduire aussi : la foi. Voir Platon. République, l. VII, p. 107, traduction de M. Cousin. Conséquence de l'opinion, c'est-à-dire que là où il y a opinion, on peut affirmer qu'il y a foi ; et l'on remonte ainsi, de degré en degré, jusqu'à la raison. Accompagne toujours l'opinion. Même remarque. Si quelques bêtes ont l'imagination. Voir le paragraphe précèdent. § 9. Il est donc bien clair. Simplicius pense qu'Aristote veut réfuter ici la définition que Platon a donnée de l'imagination dans le Philèbe et dans le Sophiste. Philopon est à peu près du même avis, quoiqu'il ne nomme que le Sophiste. Voir le Philèbe, p. 376, 379, et le Sophiste, p. 311, de la traduction de M. Cousin. Doit s'appliquer. Le texte dit simplement : « N'est d'aucune autre chose que de celle dont il y a sensation. » Quelques manuscrits donnent ici une variante que plusieurs éditeurs ont admise, et qu'a suivie saint Thomas : « L'imagination n'est pas différente, mais s'applique, etc. » La leçon vulgaire est plus précise, et c'est là ce qui me l'a fait préférer. Qu'on admettrait. J'adopte ici la leçon que M. Trendelenbourg a empruntée à un manuscrit du Vatican, cité par l'édition de Berlin, et qui me semble plus d'accord avec le reste du contexte. Ce changement ne porte que sur une seule lettre. L'opinion du blanc, la pensée qu'on se forme d'un objet de couleur blanche, à la suite de la sensation. L'opinion du bien.. la sensation du blanc; car alors l'opinion ne porterait plus sur le même objet que la sensation. Ce serait. Le texte dit simplement : c'est; j'ai préféré le conditionnel, pour mieux indiquer qu'Aristote réfute cette opinion loin de l'affirmer. Autrement que par accident. M. Trendelenbourg, s'appuyant sur Simplicius, voudrait rapporter ces mots à l'idée précédente « avoir une opinion, » et non à l'idée de « sentir » à laquelle ils se rattachent immédiatement. La grammaire permet les deux interprétations: mais celle que j'ai suivie, d'après Philopon, parait à la fois plus claire et plus vraie. Voir pins haut, cbap. I, § 6. § 10. Nous paraissent sous de fausses images. Le texte dit seulement : « Nous paraissent fausses; » mais le mot dont se sert Aristote dérive du même radical que celui qui signifie « l'imagination. » J'ai dû chercher à reproduire cette ressemblance. Nous imaginons, même remarque. Le texte dit simplement : « Le soleil parait avoir un pied de diamètre. » Descartes a exprimé aussi cette pensée, Discours de la méthode, p. 166, édit. de M. Cousin. Il arrive donc ici. Aristote veut montrer que l'imagination diffère de la conception, de l'opinion qu'on se fait des choses ; et que par conséquent on ne peut les confondre. Mais, dans l'exemple qu'il choisit, l'imagination, si elle ne se confond pas avec l'opinion et le jugement de l'esprit, semble venir directement de la sensation qui nous donne sous un si petit angle le diamètre du soleil. L'opinion vraie, que le soleil est plus grand que la terre. Il faut nécessairement, si l'on suppose que l'imagination et l'opinion soient identiques. Soit vraie et fausse tout à la fois, ce qui est absurde et impossible. Mais elle devenait fausse. Il est difficile de rattacher bien directement ceci à ce qui précède, et la logique n'est guère mieux satisfaite par l'explication que propose M. Trendelenbourg ; mais, à mon avis, c'est la dernière phrase, plutôt que la première, qui gène la pensée. Simplicius rappelle d'ailleurs qu'Aristote a fait une remarque analogue dans les Catégories. Voir les Catégories, chap. 5, § 2î et suiv. L'une des facultés indiquées. Le texte dit d'une manière moins précise : « l'une de ces choses. » § 11. Qu'elle ne peut se produire sans la sensation. Aristote rapproche ici l'imagination de la sensation plus qu'il ne semblait le foire dans le § 9. Que ce mouvement nécessairement. Au lieu de « ce mouvement, » Philopon entend : « l'imagination. » La grammaire se prête également à ces deux sens On peut dire que l'imagination. Cette définition de l'imagination peut paraître encore insuffisante. § 12. Il se peut qu'elle devienne fausse. Le texte dit seulement: « Cela se peut. » Ce qui suit prouve évidemment qu'il s'agit des erreurs que l'imagination peut commettre. La sensation peut n'être qu'accidentelle. Les distinct ions qui sont faites dans ce passage sont précisément les mêmes que plus haut, liv. II, ch. 6, § 1. Plusieurs éditions, entre autres celles des Ailes et de Sylborge, ont ici une variante qui ne change pas le sens, comme M. Trende-lenbourg le remarque, mais qui n'est pas préférable à celle que j'adopte. « En second lieu, l'erreur de l'imagination peut venir de l'objet pour lequel aussi les sensations sont accidentelles ; » c'est-à-dire pour lequel les sensations peuvent être accidentelles, tout aussi bien qu'ordinairement elles sont propres. Et des conséquences qui suivent les accidents. Ceci ne semble être qu'une sorte de définition des choses communes, comme le prouve la suite de la phrase. Que supportent les objets propres. Je crois que c'est le seul sens admissible; toutefois les mots du texte pourraient recevoir une interprétation qui serait plus conforme à l'usage habituel de la langue, mais qui le serait moins à la réalité et au système aristotélique. Le mouvement et la grandeur. Voir plus haut, liv. II, ch. 6. § 3. § 13. Qui vient de ces trois sources. Plusieurs manuscrits ont une autre leçon qu'adoptent aussi M. Trendelenbourg et les éditeurs de Berlin : « qui vient de ces trois sensations. » La répétition du mot « sensation » obscurcit la pensée, et j'ai préféré la variante qui le supprime. De la sensation présente, la sensation ordinaire, celle où le sens s'applique à l'objet qui lui est propre et qui est à sa portée. Est vrai. Voir le paragraphe qui précède. Si donc l'imagination. J'ai préféré ici le nominatif, que donnent plusieurs manuscrite et plusieurs éditions, à l'accusatif qu'a conservé M. Trendelenbourg, et qui fournit un sens beaucoup moins naturel. Toute cette phrase, du reste, paraît à M. Trendelenbourg complètement inutile, et il proposerait presque de la supprimer. Je ne dis pas qu'elle soit indispensable, mais rien n'autorise à la retrancher. Elle peut être définie. Voir plus haut la fin du § 11 . Un mouvement causé par la sensation qui est en acte. On peut trouver cette définition de l'imagination bien vague, et Aristote essaiera de la compléter par ce qui suit, en remontant à l'étymologie même du mot. § 14. Comme la vue est le principal de nos sens. Voir le début de la Métaphysique. De l'image que la lumière nous révèle. J'ai été obligé de paraphraser un peu le texte pour faire sentir en français l'analogie qui, en grec, est évidente, le radical étant le même pour le mot « d'imagination » et pour celui de « lumière. » § 15. Et parce qu'elle subsiste dans l'esprit. J'ai ajouté ces deux derniers mots qui m'ont paru nécessaires. Ils ne sont pas dans le texte, mais tout l'ensemble de ce passage me semble les justifier. Par elle et par les sensations. Le texte dit seulement : « Par elles ; » et ce pronom se rapporte alors à l'imagination et aux sensations tout à la fois. J'ai cru devoir l'indiquer précisément par la traduction, qui n'aurait point suffi si elle eût été parfaitement fidèle. Leur intelligente est quelquefois obscurcie. Philopon, qui veut absolument qu'Aristote ait cru à l'immortalité de l'âme, voit dans ce passage un argument en faveur de cette opinion. Il est évident qu'il n'y a ici rien de pareil ; et si la pensée d'Aristote n'est pas contraire à celle que lui prête le commentateur, elle en est tellement éloignée qu'elle n'a avec elle aucun rapport. Quel que soit le jugement que l'on porte sur cette théorie de l'imagination, elle n'en a pas moins une grande importance, ne fût-ce que par l'influence qu'elle a exercée jusqu'à nos jours. Il est difficile/et les psychologistes les plus habiles doivent en convenir, d'expliquer au juste ce qu'est l'imagination et comment elle se produit en nous, dans quel rapport elle est à la sensation, ce qu'elle en conserve, et ce qu'elle y ajoute. Sans en avoir fait une étude aussi étendue et aussi complète, Cuvier a dû en parler dans son Règne animal ; et s'il ne lui a point fait une place très large, les traits qu'il en a donnés méritent du moins d'être recueillis, « La perception acquise par le moi, dit-il, produit l'image de la sensation éprouvée. - Les modifications éprouvées par les masses médullaires y laissent des impressions qui se reproduisent et rappellent à l'esprit les images et les idées ; c'est la mémoire, faculté corporelle qui varie beaucoup selon l'âge et la santé. — Nous reportons hors de nous la cause de la sensation, et nous nous donnons ainsi l'idée de l'objet qui l'a produite. » Règne animal, tom. I, p. 41. Chose singulière, Reid, dans ses analyses si exactes et si étendues, n'a pas dit un seul mot de l'imagination ; c'est une lacune évidemment. Ce qu'en a dit D. Stewart est fort court et fort incomplet. Il faut voir la sixième méditation de Descartes. On doit consulter aussi le second livre de la Recherche de la vérité ; il est consacré tout entier à l'imagination, malgré les digressions nombreuses auxquelles Malebranche se laisse aller. Pour lui, la sensibilité et l'imagination « ne diffèrent que du plus et du moins. » C'est à peu près, comme on l'a pu remarquer, la pensée d'Aristote dans tout ce chapitre. |
Théorie de l'intelligence; rapports de l'intelligence à la sensibilité. Elle est aux choses intelligibles ce que la sensibilité est aux choses sensibles; mais l'intelligence est impassible et parfaitement distincte des choses, comme l'a dit Anaxagore. Différence de l'intelligence et de la sensibilité : la sensation, quand elle est trop violente, ne peut plus être perçue, au contraire, plus un objet est intelligible, plus l'Intelligence le comprend. L'Intelligence est en puissance les objets intelligibles eux-mêmes : explication de cette théorie. L'intelligence peut se penser elle-même; et comment. |
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429a10 1 Περὶ δὲ τοῦ μορίου τοῦ τῆς ψυχῆς ᾧ γινώσκει τε ἡ ψυχὴ καὶ φρονεῖ, εἴτε χωριστοῦ ὄντος εἴτε μὴ χωριστοῦ κατὰ μέγεθος ἀλλὰ κατὰ λόγον, σκεπτέον τίν' ἔχει διαφοράν, καὶ πῶς ποτὲ γίνεται τὸ νοεῖν. 2 Εἰ δή ἐστι τὸ νοεῖν ὥσπερ τὸ αἰσθάνεσθαι, ἢ πάσχειν τι ἂν εἴη ὑπὸ τοῦ νοητοῦ ἤ τι τοιοῦτον ἕτερον. 3 Ἀπαθὲς ἄρα δεῖ εἶναι, δεκτικὸν δὲ τοῦ εἴδους καὶ δυνάμει τοιοῦτον ἀλλὰ μὴ τοῦτο, καὶ ὁμοίως ἔχειν, ὥσπερ τὸ αἰσθητικὸν πρὸς τὰ αἰσθητά, οὕτω τὸν νοῦν πρὸς τὰ νοητά. Ἀνάγκη ἄρα, ἐπεὶ πάντα νοεῖ, ἀμιγῆ εἶναι, ὥσπερ φησὶν Ἀναξαγόρας, ἵνα κρατῇ, τοῦτο δ' ἐστὶν ἵνα γνωρίζῃ (παρεμφαινόμενον γὰρ κωλύει τὸ ἀλλότριον καὶ ἀντιφράττει)· ὥστε μηδ' αὐτοῦ εἶναι φύσιν μηδεμίαν ἀλλ' ἢ ταύτην, ὅτι δυνατός. Ὁ ἄρα καλούμενος τῆς ψυχῆς νοῦς (λέγω δὲ νοῦν ᾧ διανοεῖται καὶ ὑπολαμβάνει ἡ ψυχή) οὐθέν ἐστιν ἐνεργείᾳ τῶν ὄντων πρὶν νοεῖν· 4 διὸ οὐδὲ μεμῖχθαι εὔλογον αὐτὸν τῷ σώματι· ποιός τις γὰρ ἂν γίγνοιτο, ἢ ψυχρὸς ἢ θερμός, κἂν ὄργανόν τι εἴη, ὥσπερ τῷ αἰσθητικῷ· νῦν δ' οὐθὲν ἔστιν. Καὶ εὖ δὴ οἱ λέγοντες τὴν ψυχὴν εἶναι τόπον εἰδῶν, πλὴν ὅτι οὔτε ὅλη ἀλλ' ἡ νοητική, οὔτε ἐντελεχείᾳ ἀλλὰ δυνάμει τὰ εἴδη. 5 Ὅτι δ' οὐχ ὁμοία ἡ ἀπάθεια τοῦ αἰσθητικοῦ καὶ τοῦ νοητικοῦ, φανερὸν ἐπὶ τῶν αἰσθητηρίων καὶ τῆς αἰσθήσεως. Ἡ μὲν γὰρ αἴσθησις οὐ δύναται 429b αἰσθάνεσθαι ἐκ τοῦ σφόδρα αἰσθητοῦ, οἷον ψόφου ἐκ τῶν μεγάλων ψόφων, οὐδ' ἐκ τῶν ἰσχυρῶν χρωμάτων καὶ ὀσμῶν οὔτε ὁρᾶν οὔτε ὀσμᾶσθαι· ἀλλ' ὁ νοῦς ὅταν τι νοήσῃ σφόδρα νοητόν, οὐχ ἧττον νοεῖ τὰ ὑποδεέστερα, ἀλλὰ καὶ μᾶλλον· τὸ μὲν γὰρ αἰσθητικὸν οὐκ ἄνευ σώματος, ὁ δὲ χωριστός. 6 Ὅταν δ' οὕτως ἕκαστα γένηται ὡς ὁ ἐπιστήμων λέγεται ὁ κατ' ἐνέργειαν (τοῦτο δὲ συμβαίνει ὅταν δύνηται ἐνεργεῖν δι' αὑτοῦ), ἔστι μὲν καὶ τότε δυνάμει πως, οὐ μὴν ὁμοίως καὶ πρὶν μαθεῖν ἢ εὑρεῖν· καὶ αὐτὸς δι' αὑτοῦ τότε δύναται νοεῖν. 7 Ἐπεὶ δ' ἄλλο ἐστὶ τὸ μέγεθος καὶ τὸ μεγέθει εἶναι, καὶ ὕδωρ καὶ ὕδατι εἶναι (οὕτω δὲ καὶ ἐφ' ἑτέρων πολλῶν, ἀλλ' οὐκ ἐπὶ πάντων· ἐπ' ἐνίων γὰρ ταὐτόν ἐστι), τὸ σαρκὶ εἶναι καὶ σάρκα ἢ ἄλλῳ ἢ ἄλλως ἔχοντι κρίνει· ἡ γὰρ σὰρξ οὐκ ἄνευ τῆς ὕλης, ἀλλ' ὥσπερ τὸ σιμόν, τόδε ἐν τῷδε. Τῷ μὲν οὖν αἰσθητικῷ τὸ θερμὸν καὶ τὸ ψυχρὸν κρίνει, καὶ ὧν λόγος τις ἡ σάρξ· ἄλλῳ δέ, ἤτοι χωριστῷ ἢ ὡς ἡ κεκλασμένη ἔχει πρὸς αὑτὴν ὅταν ἐκταθῇ, τὸ σαρκὶ εἶναι κρίνει. 8 Πάλιν δ' ἐπὶ τῶν ἐν ἀφαιρέσει ὄντων τὸ εὐθὺ ὡς τὸ σιμόν· μετὰ συνεχοῦς γάρ· τὸ δὲ τί ἦν εἶναι, εἰ ἔστιν ἕτερον τὸ εὐθεῖ εἶναι καὶ τὸ εὐθύ, ἄλλο· ἔστω γὰρ δυάς. Ἑτέρῳ ἄρα ἢ ἑτέρως ἔχοντι κρίνει. Ὅλως ἄρα ὡς χωριστὰ τὰ πράγματα τῆς ὕλης, οὕτω καὶ τὰ περὶ τὸν νοῦν. 9 429b.22 Ἀπορήσειε δ' ἄν τις, εἰ ὁ νοῦς ἁπλοῦν ἐστὶ καὶ ἀπαθὲς καὶ μηθενὶ μηθὲν ἔχει κοινόν, ὥσπερ φησὶν Ἀναξαγόρας, πῶς νοήσει, εἰ τὸ νοεῖν πάσχειν τί ἐστιν (ᾗ γάρ τι κοινὸν ἀμφοῖν ὑπάρχει, τὸ μὲν ποιεῖν δοκεῖ τὸ δὲ πάσχειν), 10 ἔτι δ' εἰ νοητὸς καὶ αὐτός; ἢ γὰρ τοῖς ἄλλοις νοῦς ὑπάρξει, εἰ μὴ κατ' ἄλλο αὐτὸς νοητός, ἓν δέ τι τὸ νοητὸν εἴδει, ἢ μεμιγμένον τι ἕξει, ὃ ποιεῖ νοητὸν αὐτὸν ὥσπερ τἆλλα. 11 Ἢ τὸ μὲν πάσχειν κατὰ κοινόν τι διῄρηται πρότερον, ὅτι δυνάμει πώς ἐστι τὰ νοητὰ ὁ νοῦς, ἀλλ' ἐντελεχείᾳ οὐδέν, πρὶν ἂν νοῇ· δυνάμει δ' οὕτως 430a ὥσπερ ἐν γραμματείῳ ᾧ μηθὲν ἐνυπάρχει ἐντελεχείᾳ γεγραμμένον· ὅπερ συμβαίνει ἐπὶ τοῦ νοῦ. 12 Καὶ αὐτὸς δὲ νοητός ἐστιν ὥσπερ τὰ νοητά. Ἐπὶ μὲν γὰρ τῶν ἄνευ ὕλης τὸ αὐτό ἐστι τὸ νοοῦν καὶ τὸ νοούμενον· ἡ γὰρ ἐπιστήμη ἡ θεωρητικὴ καὶ τὸ οὕτως ἐπιστητὸν τὸ αὐτό ἐστιν (τοῦ δὲ μὴ ἀεὶ νοεῖν τὸ αἴτιον ἐπισκεπτέον)· ἐν δὲ τοῖς ἔχουσιν ὕλην δυνάμει ἕκαστον ἔστι τῶν νοητῶν. Ὥστ' ἐκείνοις μὲν οὐχ ὑπάρξει νοῦς (ἄνευ γὰρ ὕλης δύναμις ὁ νοῦς τῶν τοιούτων), ἐκείνῳ δὲ τὸ νοητὸν ὑπάρξει. |
§ 1. 429a10 Quant à cette partie de l'âme par laquelle l'âme connaît et réfléchit moralement, que cette partie soit d'ailleurs séparée, ou quelle ne soit pas séparée en réalité et le soit seulement en raison, il faut voir ce qui la distingue des autres, et rechercher comment se produit l'intelligence. § 2. Puisque l'intelligence ressemble à la sensation, elle se réduit à éprouver une action de la part de l'objet intelligible, ou à quelque autre chose d'analogue. § 3. Il faut donc que cette partie soit impassible, mais quelle soit capable de recevoir la forme des objets, et quelle soit en puissance telle que la chose, sans être la chose elle-même; en un mot, il faut que ce que la sensibilité est à l'égard des choses sensibles, l'intelligence le soit à l'égard des choses intelligibles. Il est donc nécessaire, puisqu'elle pense toutes choses, qu'elle soit distincte des choses, ainsi que le dit Anaxagore, afin qu'elle les domine, c'est-à-dire afin qu'elle les connaisse. Sa lumière intérieure, quand elle paraît, empêche de voir l'objet étranger, et l'éclipsé; par conséquent, il ne peut y avoir pour elle d'autre nature que celle-là seule, à savoir, d'être en puissance. Ainsi donc, ce qu'on appelle l'intelligence de lame, je veux dire ce par quoi l'âme raisonne et conçoit, n'est en acte aucune des choses du dehors, avant de penser. § 4. Voilà aussi pourquoi il est rationnel de croire que l'intelligence ne se mêle pas au corps ; car elle prendrait alors une qualité : elle deviendrait froide ou chaude, ou bien elle aurait quelque organe, comme en a la sensibilité. Mais maintenant elle n'a rien de pareil, et l'on a bien raison de prétendre que l'âme n'est que le lieu des formes ; encore faut-il entendre, non pas l'âme tout entière, mais simplement l'âme intelligente; et non pas les formes en toute réalité, en entéléchie, mais seulement les formes en puissance. § 5. Du reste, on voit clairement, quand on considère les organes et la sensation, que l'impassibilité de la partie de l'âme qui sent, et celle de la partie intelligente, ne sont pas du tout semblables. La sensibilité, en effet, ne peut pas 429b sentir l'objet, quand la sensation qu'il produit est trop forte ; ainsi elle ne perçoit pas le son au milieu de sons violents, et quand les couleurs sont trop vives ou les odeurs trop fortes, elle ne peut ni voir ni odorer. Tout au contraire, l'intelligence, quand elle pense quelque chose de fortement intelligible, loin de penser moins bien les choses qui sont plus faibles, les pense encore mieux. C'est que la sensibilité ne peut s'exercer sans le corps, et que l'intelligence en est séparée. § 6. Mais lorsqu'elle pense, elle devient les choses qu' elle pense, en ce sens où l'on dit d'un homme qu'il est savant, parce qu'en effet il est savant en acte. Et c'est ce qui a lieu du moment que l'intelligence peut agir par elle-même. Elle n'en est pas moins alors également en puissance de certaine façon, mais elle n'est pas tout-à-fait comme elle était avant qu'elle eût appris ou découvert la chose; car alors elle peut aller jusqu'à se penser elle-même. § 7. Mais on peut remarquer qu'être une grandeur et être La grandeur sont des expressions fort différentes, ainsi qu' être De l'eau et être L'eau, le sont aussi. Il en est de même dans bien d'autres cas encore; mais non pas pourtant dans tous sans exception, et ainsi, quelquefois ce sont des expressions identiques que être La chair et être De la chair. Ces nuances sont-elles distinguées par une faculté différente dans l'âme, ou du moins par l'âme autrement disposée? C'est qu'en effet, cette chair ne peut pas exister sans la matière ; et c'est comme le camus qui est telle chose dans telle autre chose. Or, c'est par la sensibilité que nous distinguons le froid et le chaud, et les éléments qui servent de quelque façon à composer ce qu'on appelle la chair. Mais c'est certainement par une autre faculté qui est séparée, ou qui du moins devient à elle-même ce que la ligne brisée est à elle-même aussi quand on la redresse, que nous jugeons ce que signifie être La chair. § 8. En outre, dans les études abstraites, on considère la ligne droite, absolument comme nous considérions tout-à-l'heure le camus. On ne la conçoit qu'avec la continuité matérielle d'un corps. Mais quant à l'essence, s'il y a bien une différence entre ces deux expressions être Droit et être Le droit, c'est certainement par une autre faculté que nous jugeons et admettons cette dualité; l'esprit distingue cette différence par une autre faculté, ou du moins parce qu'il est autrement affecté. En général, de même que sont les choses de la matière quand elles en sont séparées, de même aussi sont les choses propres de l'intelligence. § 9. 429b22 On pourrait demander, en supposant que l'intelligence soit parfaitement simple, impassible, et n'ait rien de commun avec quoi que ce soit, ainsi que le veut Anaxagore, comment elle peut penser, si penser c'est éprouver et souffrir quelque chose ? Car c'est seulement en tant qu'il y a quelque chose de commun entre deux termes que l'un paraît agir, et l'autre, souffrir. § 10. On pourra se faire encore une pareille question, si l'intelligence elle-même est intelligible ; car, ou bien l'intelligence se retrouve dans les autres choses, si elle-même n'est pas intelligible d'une autre manière qu'elles, et que l'objet intelligible soit quelque chose de spécifiquement un; ou bien l'intelligence aura quelque chose de mélangé, qui la rendra intelligible elle-même comme tout le reste des choses. § 11. Mais souffrir selon quelque rapport commun, s'explique par la distinction faite plus haut, que l'intelligence est en puissance comme les choses mêmes qu'elle pense, sans en être aucune en réalité, en entéléchie, avant que de les penser. 430a Évidemment il en est ici comme d'un feuillet où il n'y a rien d'écrit en réalité, en entéléchie ; et c'est là le cas même de l'intelligence. § 12. De plus, elle est elle-même intelligible comme le sont toutes les choses intelligibles. Pour les choses sans matière, l'être qui pense et l'objet qui est pensé se confondent et sont identiques ; ainsi, la science spéculative et l'objet su de cette façon, sont un seul et même objet. Resterait à rechercher, il est vrai, pourquoi l'intelligence ne pense pas toujours. Mais c'est dans les choses matérielles que sont en puissance toutes les choses intelligibles. Par conséquent, l'intelligence ne sera pas dans les choses matérielles, puisque l'intelligence est précisément la puissance sans matière de ces choses mêmes. Mais c'est dans l'intelligence que sera réellement l'objet intelligible. |
§ 1. Voici la théorie la plus importante du Traité de l'âme, et les commentateurs l'ont tous senti; leurs explications prennent ici un développement nouveau. On peut le voir dans Simplicius et Philopon, Averroès et Albert. Connaît et réfléchit moralement. Le mot de « réfléchit » doit être pris surtout dans le sens de sagesse et de prudence. J'ai ajouté « moralement » pour être fidèle au sens de l'expression grecque. Connaître s'applique spécialement à l'intelligence proprement dite; Réfléchir s'appliquerait plutôt à la raison. C'est, du reste, dans tout le Traité de l'âme, la seule réserve que fasse Aristote en faveur de la partie morale de l'entendement. Que cette partie. Plus haut, liv. I, ch. § 6, Aristote a reconnu que l'âme a plusieurs parties; mais on voit comment il entend ceci. Les parties ne sont point matériellement séparées; elles ne sont distinctes que rationnellement Séparée en réalité. Le texte dit positivement : « en grandeur. » L'intelligence. Le texte a ici un infinitif que je n'ai pu rendre en français par une forme analogue. J'ai dû préférer aussi le mot « d'intelligence » à celui « d'entendement, » qui ne m'aurait pas offert d'adjectifs dérivés intelligent, intelligible. Bossuet a remarqué que ce qu'Aristote appelle intelligence a été nommé par les Pères de l'Église Esprit : « en sorte que dans leur langage, nature spirituelle et nature intellectuelle, c'est la même chose. » Connaissance de Dieu et de soi-même, p. 103, Œuvres complètes, éd. de 1836. § 2. Puisque. Les deux conjonctions dont se sert Aristote ont bien le sens que leur donne M. Trendelenbourg : Si l'intelligence ressemble à la sensation, et l'on ne peut nier qu'elle ne lui ressemble, etc. J'ai voulu rendre cette nuance du texte par la conjonction : « puisque. » L'intelligence... la sensation. Aristote emploie encore Ici des infinitifs. Elle se réduit. Cette tournure me semble équivaloir à l'optatif qui est dans le grec. Voir plus bas le paragraphe suivant et aussi le § 9, et de la sensibilité sont développés de nouveau. § 3. Il faut donc que cette partie soit impassible. C'est bien là ce qui a déjà été dit plus haut, liν. I, ch. 4, § 14 : Aristote ne fait que se répéter; mais l'on attendait une conclusion toute contraire, ainsi que l'ont remarqué la plupart des commentateurs. Aussi se sont-ils efforcés presque tous d'expliquer et de justifier la contradiction apparente qu'offre ce passage. Pour se tirer ici d'embarras, il faut suivre l'exemple de saint Thomas, et demander aux théories antérieures d'Aristote sur la sensibilité, la conciliation de doctrines qui semblent si opposées. Plus haut, liv. II, ch. 6, §§ 1 et 3, il a été établi qu'au fond la sensibilité n'était qu'une simple puissance, et qu'elle n'était vraiment affectée qu'au moment où elle entrait en acte sous l'impression des objets extérieurs. Ainsi, en soi, la sensibilité paraît impassible en tant que puissance ; à plus forte raison l'intelligence l'est-elle. Philopon semblerait adopter cette explication, que ne repousse pas non plus la paraphrase de Thémistius. La véritable passiveté, comme le dit formellement Aristote plus haut, liv. II, ch. 5, § 3, est celle qui accompagne l'acte. La puissance est, à proprement parler, tout-à-fait impassible ; et Aristote réduisant l'intelligence à n'être qu'une simple puissance, la réduit aussi à l'impassibilité. Voir plus bas dans ce chapitre, § 5, où la sensibilité est encore appelée impassible. Soit impassible. Quelques traducteurs, et entre autres Argyropoulo, ont ajouté : « en soi. » Si cette variante s'appuyait sur quelques manuscrits, elle lèverait toute difficulté. Les Coïmbrois ont suivi dans leur traduction l'exemple d'ArgyrdpouIo, et ils ont en outre distingué avec le cardinal Tolet la passion qui change l'être et le corrompt, de la passion qui le complète et l'achève. Dans ce dernier sens, l'intelligence est impassible, puisque l'acte, loin de l'altérer, ne fait que l'amener à toute sa perfection. C'est là la doctrine qu'Aristote a exposée plus haut, liv. II, ch. 5, g 5. La forme des objets, sous-entendu: intelligibles. C'est, avec les changements nécessaires, la même définition qui a été donnée plus haut, liv. Il, ch. 12, § 1, de la sensibilité ; et par là Aristote veut marquer d'autant plus les analogies de la sensibilité et de l'intelligence. Le texte dit seulement : « la forme; » j'ai cru devoir ajouter : « des objets, » pour rendre la pensée plus complète et plus claire. Voir Reid, Recherches sur l'entend, hum., ch. 7. Qu'elle soit en puissance telle que la chose. C'est toute la théorie exposée pour la sensibilité, liv. II, ch. 5. Ainsi que le dit Anaxagore. Voir plus haut, liv. I, ch. 2. § 13; voir aussi les fragments d'Anaxagore, recueillis par Schaubach, fragm. 8, p. 100. Afin qu'elle les domine. Le sens qu'Aristote donne à l'expression dont se servait Anaxagore ne paraît pas très exact à Philopon. M. Trendelenbourg fait aussi une remarque analogue; et il pense qu'Aristote ajoute quelque chose à la pensée du philosophe qu'il cite, en disant : « puisqu'elle pense toutes choses. » Sa lumière intérieure quand elle paraît. J'ai tâché de rendre par cette espèce de paraphrase la force de l'expression grecque, qui se réduit ici à un seul mot au lieu de six que j'ai dû employer. D'être en puissance. C'est ainsi que plus haut la sensibilité a été réduite aussi à n'être qu'une simple puissance, liv. II. ch. 5. Raisonne. Le mot dont se sert Aristote se rapporte au même radical que le mot « d'intelligence. » Rien des choses du dehors. J'ai ajouté ces deux derniers mots pour être plus clair. Penser. Le mot dont se sert encore ici Aristote vient du radical même d'où est tiré le mot qui exprime « l'intelligence. » Ces analogies, si essentielles pour la pensée, ne peuvent être rendues en français ; et j'ai dû souvent regretter cette impuissance de notre langue. Avant de penser. Après avoir pensé, elle devient semblable aux choses mêmes qu'elle pense, comme le sens devient semblable aux choses réelles qu'il sent, après les avoir senties, liv. II ch. 5, § 7. § 4. Ne se mêle pas au corps. On pourrait encore traduire : « Il n'est pas rationnel de croire que l'intelligence se mêle au corps. » Le texte se prête également à ces deux sens. Voir sur ce passage la longue discussion où Albert rapporte et compare les opinions d'Alexandre, de Thémistius, de Théophraste, d'Avempace, d'Aboubekre, d'Averroès, d'Avicenne, etc. Et l'on a bien raison de prétendre. Philopon n'hésite pas à croire que ceci s'adresse à Platon; je le pense aussi; mais l'on ne saurait citer le passage même où se trouve l'expression qu'Aristote prête à son maître, si c'est bien de lui toutefois qu'il veut parler. Le lieu des formes. Dans la langue de Platon, il faudrait dire : « le lieu des Idées ; » mais, en grec, le même mot signifie, comme l'on sait : espèce, idée, forme ; j'ai dû préférer cette dernière expression, qui revient à celle dont Aristote s'est servi plus haut dans la théorie de la sensibilité, liv. Il, ch. 12, § 1. On pourrait également traduire dans le langage péripatéticien : « les espèces, » et ce terme est même le plus ordinaire. § 5. De la partie de l'âme qui sent. Le texte dit d'une manière plus vague : « De ce qui sent. » Voir plus haut, § 1, d'où j'ai tiré l'expression dont je me sers ici. Celle de la partie intelligente. Voir plus haut, § 8. Est trop forte. Voir liν. II, chap. 11, § 1I, une pensée tout-à-fait analogue. De fortement intelligible, ou de très intelligible. Bossuet a développé cette idée qu'il a empruntée, avec plusieurs autres, à Aristote, Connaissance de Dieu et de soi-même, p. 66, Œuvres complètes, édit. de 1836, iη-8°. Et que l'intelligence en est séparée. Il faut entendre par ceci que l'intelligence n'a pas d'organes spéciaux comme la sensibilité. C'est là le sens que donnent la plupart des commentateurs, entre autres saint Thomas. Il blâme vivement Averroès d'avoir compris que l'Intelligence s'exerçait en dehors du corps ; ce qui, en effet, n'a point de sens dans ce passage, et ce qui est contraire à tous les faite que nous connaissons. Il faut, en outre, se rappeler ce qu'Aristote a dit plus haut, au § 1. Thémistius, du reste, semble être de l'avis d'Averroès, et c'est sa paraphrase, sans doute, qui aura inspiré le philosophe arabe : de plus, pour justifier cette interprétation, il a déplacé l'ordre des pensées, et il a mis après ce cinquième paragraphe la fin du paragraphe précédent. § 6. Les choses qu'elle pense. J'ai ajouté ces deux derniers mots que justifie le contexte, et qui me semblent utiles pour que la pensée soit parfaitement claire. Parce qu'il est savant en acte. Un homme ignorant est savant en puissance, c'est-à-dire qu'il a toutes les facultés nécessaires pour acquérir la science. Une fois qu'il a su l'acquérir, il est savant, il possède la science; et quand il applique la science qu'il possède, soit aux objets du dehors, soit à ses propres pensées, il est savant en acte, il agit comme savant. Du moment que l'intelligence peut agir par elle-même, quand elle n'a plus besoin d'apprendre, et qu'un travail antérieur l'a mise en état de savoir et de comprendre les choses, par son propre effort. En puissance de certaine façon. Plus haut, § 3, il a été établi que l'intelligence est essentiellement à l'état de puissance, et qu'elle n'est rien avant d'agir, c'est-à-dire, de penser. Avant qu'elle eût appris ou découvert la chose, elle n'était alors qu'une simple puissance qui n'avait point encore agi, et qui ne pouvait savoir jusqu'à quel point il lui était donné d'agir. Plus tard, elle le sait par l'effort même qu'elle a fait, et dans la mesure même où elle a réussi. Appris, en recevant l'enseignement d'autrui ; découvert, en s'instruisent elle-même. Jusqu'à se penser elle-même. Elle est devenue les choses mêmes qu'elle pense ; et, en les pensant, elle ne fait que se penser elle-même. Je n'ai pas besoin de faire remarquer ici combien toute cette théorie est importante, ni de rappeler les commentaires de toute sorte dont elle a été l'objet. Elle est l'une des plus graves et des plus profondes de tout le Péripatétisme. Voir la Préface. § 7. La pensée de ce paragraphe est assez obscure, et l'on ne voit pas bien d'abord comment elle se rattache à ce qui précède. La voici d'une manière générale : Est-ce la même faculté de l'âme qui connaît les choses particulières, réelles, que les sens lui révèlent, et qui connaît l'essence de ces choses, leur espèce? Ainsi, est-ce la même faculté qui nous fait connaître cette eau que nous avons sous les yeux, et ce qu'est l'eau d'une manière universelle? ou bien sont-ce des facultés différentes ? Aristote répond que c'est toujours la même faculté qui agit dans les deux cas, mais qu'elle est différemment disposée dans l'un et dans l'autre. Être une grandeur, déterminée, spéciale, réelle. Être la grandeur, d'une manière universelle et tout indéterminée. Être de l'eau, être l'eau. Même remarque. Mais non pas pourtant dans tous sans exception. Pour les choses immatérielles, les deux idées se confondent, puisque la réalité de la chose et son essence ne font qu'un : l'infini, par exemple, comme le remarque fort bien M. Trendelenbourg, d'après un passage décisif des Leçons de physique, liv. III, chap. 5, p. 204, a, 23, édit. de Berlin. Ce sont des expressions identiques. Je n'ai pas adopté ici la ponctuation proposée par M. Trendelenbourg, non seulement parce qu'elle est contraire aux explications données par les commentateurs, mais aussi parce qu'elle rend la pensée moins claire et moins simple à la fois. Je n'ai pas pu, du reste, reproduire exactement le mouvement du texte, qui n'a qu'une seule phrase : j'ai dû en faire plusieurs, afin d'être plus intelligible. Ces nuances sont-elles distinguées. J'ai suivi ici le conseil de Philopon, qui propose de donner à lu pensée une forme interrogative. Cette chair, la chair réelle, que l'on voit ou que l'on touche. Exister sans la matière. Elle est perceptible à nos sens en tant qu'elle est composée d'éléments matériels. Comme le camus, qui ne peut jamais exister sans le nez. Telle chose dans telle autre chose, qui est une certaine forme dans un nez. Et les éléments. Ce sens me parait fort logique ; mais on ne pourrait assurer que ce soit bien celui du texte, qui est ici fort vague et que les commentateurs n'ont pas suffisamment expliqué. Qui est séparée, non pas matériellement, mais comme il a été dit plus haut, § 1 : « en raison. » Devient à elle-même. J'ai ici un peu paraphrasé le texte ; mais c'est le sens qu'y trouvent la plupart des commentateurs, Thémistius, Simplicius, Philopon, etc. Je ne crois pas qu'Aristote veuille dire, comme saint Thomas l'a pensé, que l'intelligence, en comprenant les choses matérielles, se replie sur elle-même comme la ligne qui se recourbe pour devenir circulaire, et qu'elle va directement, en ligne droite, pour comprendre les choses immatérielles et universelles. Les Coïmbrois ne semblent pas non plus approuver cette explication de saint Thomas. § 8. Dans les éludes abstraites. Ce sont toujours les mathématiques qu'Aristote désigne ainsi, comme le remarque Simplicius : on peut voir plusieurs exemples de cette expression, qui ne peut faire le moindre doute, dans le Traité du Ciel, liv. III, chap. 1, p. 299, a, 16, et dans les Derniers Analytiques, liv. I, chap. 48, p. 81, b, 3, et aussi chap. 13, 79, a, 8, de l'édit. de Berlin. On considère la ligne droite. J'ai ici un peu paraphrasé le texte pour le rendre plus clair. La continuité matérielle d'un corps. J'ai ajouté ces trois derniers mots. Être droit et être le droit. Même distinction, mais moins marquée que plus haut : « être de la chair, être la chair. » Aristote veut dire ici qu'il y a une différence entre l'idée sensible que nous avons de la ligne droite placée sous nos yeux, et l'idée universelle, essentielle, de la ligne droite que comprend l'intelligence. Cette dualité, c'est-à-dire l'idée de la ligne réelle que nos sens nous font connaître, et l'idée essentielle de la ligne droite en général. L'esprit ou l'intelligence. Le texte n'a point de sujet. Séparées, ou plutôt abstraites comme dans les mathématiques. Les choses propres de l'intelligence. C'est une sorte d'abstraction qu'Aristote attribue à l'entendement comme faculté essentielle. § 9. Ainsi que le veut Anaxagore. Voir plus haut, liv. I, ch. 3, 113, où ces expressions d'Anaxagore sont déjà citées d'une manière à peu près pareille. Éprouver et souffrir. Le texte n'a qu'un seul mot au lieu de deux que j'ai cru devoir mettre. Souffrir. Voir plus haut, dans ce chapitre, § 2 L'un paraît agir, id. Ce qu'il y a de commun entre les deux termes, c'est le rapport dans lequel l'un et l'autre s'unissent, le premier étant capable d'agir sur le second, le second étant capable de recevoir l'impression do premier; le second étant en puissance ce que le premier est en acte. Aristote ne répond que dans le § 11 au doute qu'il élève ici. Il n'y répond pas directement dans le § 9, comme quelques commentateurs semblent l'avoir cru. § 10. Une pareille question, a savoir : Comment l'intelligence pourra penser. Voir le paragraphe précédent. L'intelligence se retrouve dans les autres choses, c'est-à-dire dans les choses intel-igibles. L'intelligence, en te pensant elle-même, se pense ou par elle seule ou par quelque autre chose qui lui est ajoutée. Si elle se pense par elle seule, Il s'ensuit que, quand elle pense d'autres choses intelligibles, elle se retrouve aussi tout entière dans ces autres choses, qui alors deviennent elles-mêmes Intelligentes en même temps qu'elles sont intelligibles. C'est là l'explication que donne saint Thomas, et qui semble en effet la vraie. Et que l'objet intelligible. C'est là une hypothèse, comme le remarque M. Trendelenbourg, qui est indispensable à tout ce raisonnement; mais il reste à démontrer qu'en effet l'intelligence, quand elle devient intelligible, l'est bien comme toute autre chose. Quelque chose de mélangé. Elle ne sera pas simple, comme le supposait Anaxagore ; elle se composera de deux parties, dont l'une sera intelligente et l'autre intelligible. Comme tout le reste des choses qui ne sont pas l'intelligence elle-même, et qui sont seulement comprises par elle. § 11. Souffrir, selon quelque rapport commun. Aristote répond ici à la question qu'il s'est posée plus haut, g 9. Le rapport commun entre les objets et l'intelligence, c'est que l'intelligence est en puissance ce que les objets sont en réalité. Plus haut... sans en être aucune. Voir dans ce chapitre 4 la fin du § 3, où Aristote se sert des mêmes expressions. D'un feuillet où il n'y a rien d'écrit. Philopon ne veut pas qu'on prenne ici trop rigoureusement les paroles d'Aristote. Les caractères sont mal tracés, à peine lisibles; mais ils sont tracés sur le feuillet de l'intelligence, puisqu'elle est déjà en puissance les objets eux-mêmes. Les caractères deviennent parfaitement clairs et lisibles pour elle, quand elle conçoit pleinement les objets. Par là Philopon rapproche la théorie d'Aristote de celle que Platon développe dans le Ménon, et il croit presque retrouver ici la réminiscence. Alexandre d'Aphrodise parait incliner à modifier en ce sens la pensée d'Aristote. Albert-le-Grand combat celte interprétation d'Alexandre; et saint Thomas croit aussi qu'Aristote s'éloigne par cette théorie, et des opinions des anciens physiologistes, qui croyaient que l'âme humaine était composée de tous les éléments, et des opinions de Platon, qui croyait que toute la science n'est que réminiscence. La comparaison dont se sert ici Aristote peut prêter en effet à des explications très diverses, et la plus naturelle n'est certainement pas celle de Philopon. Voir dans le Théétète de Platon les tablettes de Mnémosyne, p. 180, éd. de M. Cousin, et Philèbe, p. 378, id. § 12. De plus, elle est elle-même intelligible. Réponse à la seconde question développée dans le § 10, comme le remarque Simplicius, et avec lui la plupart des commentateurs. Toutes les choses intelligibles, c'est-à-dire, les notions propres à l'entendement, à l'intelligence; et plus haut, § 8, on a vu que c'étaient les notions universelles et purement intelligibles de la géométrie et des mathématiques. Pour les choses sans matière, pour les purs intelligibles, pour les abstractions mathématiques. Se confondent et sont identiques. De ce principe péripatéticien mal compris, sont sorties en partie les erreurs des Alexandrins. L'intelligence et l'intelligible sont identiques au sens où le dit Aristote, et avec toutes les réserves qu'il a faites; mais c'est une erreur de les confondre substantiellement, comme Plotin semble l'avoir fait, et comme semblent le faire aussi quelques systèmes contemporains en Allemagne. La science spéculative, celle que se donne l'intelligence à elle-même à l'aide des notions qu'elle possède, quelle que soit la source d'où elle les ait tirées. Et l'objet su de cette façon, l'objet tout intelligible, et non point l'objet matériel. Du reste, la langue grecque, grâce au neutre que la notre n'a pas, se prête ici à une indétermination que je n'ai pu conserver. Il est vrai qu'on pourrait traduire ainsi : « La science spéculative et ce qui est su de cette façon sont une seule et même chose. » Resterait à rechercher. Le texte dit seulement : « La cause doit être recherchée. » Les commentateurs se sont donné beaucoup de peine pour justifier ces mots, qui semblent assez mal intercalés ici. M. Trendelenbourg inclinerait presque à les supprimer. Philopon y voit une question toute nouvelle qu'Aristote s'est abstenu de résoudre. Ces mots, qui gênent en effet la suite de la pensée, bien qu'ils ne la contredisent pas, sont donnés par tous les manuscrits. Thémistius les a tout aussi bien que les ont les autres commentateurs, et il les explique en disant que si l'intelligence ne pense pas toujours, c'est qu'elle est une simple puissance ; elle ne pense donc que quand elle assemble des notions qui, sans doute dans le système de Thémistius, doivent lui venir primitivement du dehors et la provoquer. J'ai tâché de lever l'obscurité de ce passage en le traduisant. comme je l'ai fait, avec un léger changement dans la forme de la pensée. L'intelligence ne pense pas toujours, si confondue avec l'intelligible, elle a toujours par conséquent en elle-même tous les éléments de ses pensées Que sont en puissance toutes les choses intelligibles. L'intelligible n'est qu'en puissance dans les objets du dehors; il n'est vraiment en acte que dans l'intelligence même, comme le dit la fin du paragraphe. On peut voir aussi plus loin, ch. 8, § 3, comment les intelligibles sont en puissance dans les choses sensibles et étendues, les seules qui existent réellement. Ne sera pas dans les choses matérielles, ne sera pas elle-même matérielle. Le texte n'est pas plus précis que ma traduction. Que sera réellement l'objet intelligible. Aristote reprend l'expression dont il vient de se servir, bien qu'évidemment le sens ne soit pas tout-à-fait le même. Je n'ai pas besoin de faire remarquer toute l'importance de cette théorie. Si je ne la commente pas avec plus de détails, c'est que je dois me borner à éclaircir le texte, et que ces notes paraîtront déjà bien développées. Il faut rapprocher de tout ce chapitre les chap. 7,8 et 9 du livre II de la Métaphysique, p. 1072 et suiv., édition de Berlin. |
Il y a dans l'Intelligence deux parties qui répondent à la matière et à la cause. L'intelligence active est impassible et immortelle. L'intelligence passive est périssable, et ne peut rien penser sans l'intelligence active. |
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4310a10 1 Ἐπεὶ δ' [ὥσπερ] ἐν ἁπάσῃ τῇ φύσει ἐστὶ [τι] τὸ μὲν ὕλη ἑκάστῳ γένει (τοῦτο δὲ ὃ πάντα δυνάμει ἐκεῖνα), ἕτερον δὲ τὸ αἴτιον καὶ ποιητικόν, τῷ ποιεῖν πάντα, οἷον ἡ τέχνη πρὸς τὴν ὕλην πέπονθεν, ἀνάγκη καὶ ἐν τῇ ψυχῇ ὑπάρχειν ταύτας τὰς διαφοράς· καὶ ἔστιν ὁ μὲν τοιοῦτος νοῦς τῷ πάντα γίνεσθαι, ὁ δὲ τῷ πάντα ποιεῖν, ὡς ἕξις τις, οἷον τὸ φῶς· τρόπον γάρ τινα καὶ τὸ φῶς ποιεῖ τὰ δυνάμει ὄντα χρώματα ἐνεργείᾳ χρώματα. Καὶ οὗτος ὁ νοῦς χωριστὸς καὶ ἀπαθὴς καὶ ἀμιγής, τῇ οὐσίᾳ ὢν ἐνέργεια· 2 ἀεὶ γὰρ τιμιώτερον τὸ ποιοῦν τοῦ πάσχοντος καὶ ἡ ἀρχὴ τῆς ὕλης. [Τὸ δ' αὐτό ἐστιν ἡ κατ' ἐνέργειαν ἐπιστήμη τῷ πράγματι· ἡ δὲ κατὰ δύναμιν χρόνῳ προτέρα ἐν τῷ ἑνί, ὅλως δὲ οὐδὲ χρόνῳ, ἀλλ' οὐχ ὁτὲ μὲν νοεῖ ὁτὲ δ' οὐ νοεῖ.] Χωρισθεὶς δ' ἐστὶ μόνον τοῦθ' ὅπερ ἐστί, καὶ τοῦτο μόνον ἀθάνατον καὶ ἀΐδιον (οὐ μνημονεύομεν δέ, ὅτι τοῦτο μὲν ἀπαθές, ὁ δὲ παθητικὸς νοῦς φθαρτός)· καὶ ἄνευ τούτου οὐθὲν νοεῖ. |
§ 1. 431a10 De même que dans toute la nature, il faut distinguer, d'une part, la matière pour chaque genre d'objets, la matière étant ce qui est tous ces objets en puissance; et, d'autre part, la cause, et ce qui fait, parce que c'est la cause qui fait tout, comme l'art fait tout ce qu'il veut de la matière; de même, il faut nécessairement aussi que ces différences se retrouvent dans l'âme. Telle est, en effet, l'intelligence, qui, d'une part, peut devenir toutes choses, et qui, d'autre part, peut tout faire. C'est en quelque sorte une virtualité pareille à la lumière; car la lumière, en un certain sens, fait, des couleurs qui ne sont qu'en puissance, des couleurs en réalité. Et telle est l'intelligence qui est séparée, impassible, sans mélange avec quoi que ce soit, et qui par son essence est en acte. § 2. C'est que toujours ce qui agit est supérieur à ce qui souffre l'action, et que le principe est supérieur à la matière. La science en acte se confond avec l'objet auquel elle s'applique. Mais la science en puissance est pour l'individu seul antérieure dans le temps. Absolument parlant, elle n'est point antérieure dans le temps. Mais ce n'est point lorsque tantôt elle pense et tantôt ne pense pas, c'est seulement quand elle est séparée que l'intelligence est vraiment ce qu'elle est; et cette intelligence seule est immortelle et éternelle. Du reste, cette partie de l'intelligence ne nous donne pas la mémoire, parce qu'elle est impassible. L'intelligence passive, au contraire, est périssable; et, sans le secours de l'intelligence active, l'intelligence passive ne peut rien penser.
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§ 1. De même que dans toute la nature. Aristote distingue dans tous les êtres deux éléments essentiels, la matière, et la cause ou la forme. Ces deux éléments doivent se retrouver également dans l'intelligence, où l'on reconnaîtra deux parties, l'une active, l'autre passive: la première représentant la cause, la seconde représentant la matière. Plusieurs commentateurs ont trouvé que cette comparaison n'était pas fort juste. Se retrouvent dans l'âme, ou plus exactement : « dans cette «partie de l'âme qu'on appelle « l'intelligence. » Peut devenir toutes choses. C'est l'intelligence en puissance qui devient en acte tous les sujets mêmes qu'elle pense et qu'elle comprend. Qui peut tout faire. C'est l'intelligence active. C'est-en quelque sorte une virtualité. Ceci se rapporte à l'intelligence active. J'aurais voulu trouver un mot plus convenable que celui de « virtualité ; » mais la langue ne m'en a pas offert : « habitude, capacité, aptitude, » eussent été moins convenables encore. Pareille à la lumière. Voir plus haut la théorie de la vision et de la couleur, liv. II, chap. 7, § 1. Qui ne sont qu'en puissance, tant que la lumière ne vient pas les rendre réellement visibles, tant que la lumière ne nous les fait pas voir. Telle est l'intelligence séparée, non pas matériellement, mais en raison. Voir plus haut, chap. 4, § 1. Impassible, sans mélange. Ce sont les qualités qu'Aristote a reconnues à l'intelligence, d'après les théories mêmes d'Anaxagore qu'il adopte sur ce point. Voir plus haut, chap. 4, § 8, et liv. I, chap. 4, § 14. Les trois premières qualités conviennent à l'intelligence passive ou en simple puissance, tout aussi bien qu'à l'intelligence active, à l'intelligence en acte ; mais la quatrième qualité ne se rapporte qu'à celle-ci uniquement, [qui, par son essence, est en acte. § 2. Le principe est supérieur ά la matière. Le principe signifie ici « la cause ou la forme ; » ainsi l'intelligence active est supérieure à l'Intelligence passive. La science en acte se confond. Aristote va au-devant d'une objection qu'on pourrait élever sur ce point contre lui, et il veut montrer que l'intelligence active est supérieure à l'intelligence passive, non pas seulement par ses fonctions, mais par son antériorité même. L'acte est antérieur à la puissance ; car la puissance ne peut passer à l'acte que par une cause qui est elle-même en acte. Pour l'individu seul. C'est le sens que donnent tous les commentateurs, et il est difficile d'en trouver un autre, bien que celui-ci ne soit pas très satisfaisant ; ou que du moins il suppose dans la pensée une ellipse assez considérable. Elle pense et tantôt ne pense pas, ce qui peut arriver à cette partie de l'intelligence qui est en puissance; ce qui ne peut arriver à celle qui est en acte. Quand elle est séparée, comme ci-dessus § 1. Qu'elle est vraiment ce qu'elle est. J'ai ajouté le mot vraiment pour rendre la pensée plus complète et plus claire. Et cette partie seule est immortelle. Voir plus haut la même pensée développée, et le principe de l'intelligence complètement séparé du corps, liv. I, ch. 4, § 14. Il faut voir aussi cette opinion de l'immortalité de l'intelligence, reproduite dans la Métaphysique, liv. XII, ch. 3, p. 1070, a, 25, éd. de Berlin, sans les distinctions importantes qui l'accompagnent ici. Voir, en outre, Morale à Nicomaque, liv. X, ch. 7, p. 1177, a, 15 et b, 30, éd. de Berlin. Ne nous donne pas la mémoire, évidemment, dans la vie éternelle, que conserve l'intelligence active. C'est ainsi que tous les commentateurs ont entendu ce passage, qui ne peut en effet offrir un autre sens. Parce qu'elle est impassible. Cet argument est très décisif, car la mémoire ne peut avoir lieu qu'à la suite d'une impression antérieurement reçue et soufferte ; et si l'intelligence active est impassible, elle est par cela môme incapable de mémoire. L'intelligence passive est au contraire périssable. Ceci ne veut pas dire tout-à-fait qu'une partie de l'intelligence périt : seulement, la faculté passive de l'intelligence ne subsiste plus dans la vie nouvelle où eue entre. Sans le secours de l'intelligence active, l'intelligence passive. Le texte est beaucoup moins précis; et les pronoms qui y sont employés laissent une ambiguïté fâcheuse. En effet, on peut également comprendre, et que l'intelligence active ne peut se passer de l'intelligence passive, qui lui fournirait en quelque sorte les matériaux, comme la sensibilité les fournit à l'imagination, et que l'intelligence passive, au contraire, a nécessairement besoin de l'intelligence active. Ce dernier sens m'a semblé préférable, parce qu'il est plus en harmonie avec tout ce qui précède. Reid (Recherches sur l'entend, humain, ch. 2, section x) repousse cette distinction d'actif et de passif pour l'intelligence ; mais il reconnaît que les péripatéticiens sont ici plus près de la vérité, que les philosophes qui ont cru que la sensation est purement passive. Reid n'a peut-être pas assez approfondi la distinction qu'a faite Aristote entre l'intelligence et la sensation. Il n'est pas besoin pour ce chapitre, plus que pour le précédent, de rappeler qu'il a donné lieu, parmi les commentateurs, aux discussions les plus longues et les plus approfondies. On peut voir comment Philopon réfute les diverses opinions d'Alexandre, de Plotin, de Maxime et de Plutarque. Averroès est entré aussi dans les réfutations les plus délicates. Ce n'est pas le texte, ce ne sont pas les mots qui offrent ici de difficulté : c'est le fond même des théories ; et l'on voit sans peine tout ce qu'elles ont en effet de grave et d'essentiel pour le système général d'Aristote. Afin de les bien comprendre, il convient de les rapprocher de la Métaphysique, et surtout du livre XII. La pensée vraie d'Aristote sur l'immortalité de l'âme a été très controversée, parce qu'elle est certainement très peu nette. Il faut consulter sur ce point le traité spécial d'Augustin Oreggi, Rome, 1631, in-4°, et la dissertation très complète du cardinal Tolet. L'immortalité sans personnalité est parfaitement vaine ; et voilà comment l'école péripatéticienne inclina généralement à croire que l'âme est mortelle. Pacius, après tant d'autres commentateurs du moyen-âge, accommode tout ceci à la foi catholique, qu'il retrouve jusque dans les assertions les plus obscures et les moins concluantes d'Aristote. V. plus haut la préface, où ce grand sujet est longuement discuté. |