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SIDOINE APOLLINAIRE

LETTRES

 

LIVRE VI

Étude sur Sidoine Apollinaire et sur la société gallo-romaine au cinquième siècle.

avant-propos

Notice sur Sidoine Apollinaire


lettres  livre I  lettres livre II  lettres livre III  lettres livre IV lettre livre V lettre livre VII

 

 l

 

 

LIBER SEXTUS

LIVRE SIX

EPISTOLA PRIMA.

Sidonius domino papae Lupo salutem.

LETTRE I.

SIDONIUS AU SEIGNEUR PAPE LUPUS, SALUT.

Benedictus Spiritus sanctus et pater Dei omnipotentis, quod tu pater patrum, et episcopus episcoporum, et alter saeculi tui Jacobus, de quadam specula caritatis, nec de inferiori Hierusalem, tota Ecclesiae Dei nostri membra superinspicis; dignus qui omnes consoleris infirmos, quique merito ab omnibus consularis. Et quid nunc ego dignum dignationi huic putris et fetida reatu terra respondeam? Colloquii salutaris tui, et indigentiam patiens et timorem, recordatione vitae plectibilis adducor, ut clamem tibi, quod dixit Domino tuus ille collega: Exi a me, quia homo peccator sum, Domine (Luc. V, 8). Sed si iste timor non temperetur affectu, vereor ne Gerasenorum destituar exemplo, discedas a finibus meis. Quin potius illud, quod mihi conducibilius est, colleprosi mei te proposita conditione constringam, ut aiam tibi: Si vis, potes me mundare (Matth. VIII, 2). Qua ille sententia non plus de Christo quid peteret prodidit, quam qui crederet publicavit. Ergo ne cum sis procul ambiguo primus omnium toto, qua patet, orbe pontificum, cum praerogativae subjiciatur, cum censurae tuae attremat etiam turba collegii; cum in gravitatis vestrae comparationem, ipsa etiam grandaevorum corda puerascant; cum post desudatas militiae Lirinensis excubias, et in apostolica sede novem jam decursa quinquennia, utriusque sanctorum ordinis quemdam te conclamatissimum primipilarem spiritalia castra venerentur: tu nihilominus hastatorum antesignatorumque paulisper contubernio sequestratus, ultimos calones tuos lixasque non despicis, et ad extimos trahariorum qui per insipientiam suam adhuc ad carnis sarcinas sedent, crucis diu portatae vexilla circumfers, ac manum linguae porrigis in conscientia vulneratis. Nosti, ut apparet, ex adversa acie sauciatos, dux veterane, colligere; et peritissimus tubicen ad Christum a peccatis receptui canere; et evangelici pastoris exemplo non amplius laetaris, si permaneant sani, quam si non remaneant desperati. Te ergo norma morum, te columna virtutum, te, si blandiri reis licet, vera, quia sancta, dulcedo, despicatissimi vermis ulcera digitis exhortationis contrectare non piguit: tibi avaritiae non fuit pascere monitis animam fragilitate jejunam; et de apotheca dilectionis altissimae, sectandae nobis humilitatis propinare mensuram. Sed ora, ut quandoque resipiscam, quantum meas deprimat oneris impositi massa cervices. Facinorum continuatione miser eo necessitatis accessi, ut is pro peccato populi nunc orare compellar, pro quo populus innocentum vix debet impetrare si supplicet. Nam quis bene medelam aeger impartiat? quis febriens arrotanti tactu pulsum distinguat incolumem? quis desertor scientiam militaris rei jure laudaverit? quis esculentus abstemium competenter arguerit? Indignissimus mortalium necesse habeo dicere quod facere detrecto: et ad mea ipse verba damnabilis, cum imperem quae non impleo, idem in me quotidie cogor dictare sententiam. Sed si tu inter me et illum cui concrucifigeris, Jesum Christum Dominum nostrum, pro scelerum meorum populo, junior mage quam minor Moses, intercessor assistas; non ulterius descendemus in infernum viventes; nec per carnalium vitiorum incentiva flammati, ad altare Domini ignem diutius accendemus alienum. Quia quanquam nos, ut pote reos, gloriae libra non respicit: satis tamen superque gaudebimus, si precatu tuo levare valeamus interioris hominis nostri, et si non integrum ad remunerationem, certe vel cicatricatum pectus ad veniam. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

Béni soit l’Esprit-Saint et le Père du Dieu tout-puissant, de ce que toi, le père des pères, l’évêque des évêques et le Jacobus de ton siècle, établi comme une sentinelle sur les hauts lieux de la charité, et dans une Jérusalem non inférieure à la première, tu inspectes tous les membres de l’Eglise de notre Dieu, en cela bien digne de consoler tous les faibles et d’être consulté par tous. Et maintenant, quelle digne réponse puis-je faire à ton élévation, moi, poussière vile et souillée de crimes? Eprouvant le besoin de tes paroles salutaires, et les appréhendant toutefois, je me sens porté par le souvenir d’une vie coupable, à te crier ce que disait jadis au Seigneur cet homme, ton collègue: Eloigne-toi de moi, parce que je suis un pécheur (Luc. V, 8). Mais, si cette crainte n’est point tempérée par l’amour, je tremble d’être abandonné comme les Géraséniens, et de te voir fuir loin de mes frontières. Au contraire, et cela me sera bien plus avantageux, je te dicterai en quelque sorte une condition, de même que cet homme infecté comme moi de la lèpre, et je te dirai: Si tu le veux, tu peux me purifier. Le malade, par ces paroles, déclarait également ce qu’il demandait au Christ, et publiait ce qu’il croyait de lui. Quoi! lorsque tu es, sans contredit, le premier de tous les pontifes du monde, quand la foule de tes collègues se soumet à tes prérogatives, et tremble devant tes censures; lorsque, en face de ta gravité, les vieillards eux-mêmes n’ont qu’un sens d’enfant; lorsque tu t’es exercé dans la rude milice de Lerins, et qu’après neuf lustres passés sur le siège apostolique, les saints de l’un et de l’autre ordre te vénèrent, dans leurs camps spirituels, comme un capitaine fameux, il est donc vrai que tu abandonnes un moment la société de ceux qui portent les drapeaux et se battent en tête, que tu ne dédaignes pas tes serviteurs et tes valets placés aux derniers rangs de l’armée, que, te rapprochant des conducteurs de chars, qui par leur inhabileté sont assis encore près des bagages de la chair, tu promènes l’étendard de la croix si longtemps porté, et que tu appliques la main de ta parole aux plaies de la conscience !... Tu sais, comme il y paraît, chef vétéran, recueillir les blessés de l’armée ennemie; tu sais, habile trompette, sonner le rappel pour passer des péchés vers le Christ; à l’exemple du pasteur de l’Evangile, tu n’es pas plus joyeux s’il est des hommes qui persévèrent dans la santé, que s’il n’en reste pas dont le salut soit désespéré. Toi, la règle des mœurs; toi, la colonne des vertus; et, s’il est permis à un coupable de donner des louanges, toi, la sainte et véritable douceur, tu n’as donc pas craint de toucher avec les doigts de tes exhortations les ulcères d’un méprisable vermisseau; tu n’as pas été avare des avertissements dont tu repaissais une âme fragile et à jeun; du cellier de ta vaste charité, tu m’as donné la mesure de l’humilité qu’il me faut avoir. Obtiens, par tes prières, que je comprenne enfin quelle masse énorme pèse sur mes épaules. La continuité de mes crimes, malheureux que je suis, m’a réduit à une telle nécessité, que je me vois forcé de prier maintenant pour les péchés du peuple, moi pour qui les supplications d’un peuple innocent obtiendraient à peine miséricorde. Quel malade aurait bonne grâce à donner un remède? Quel homme, travaillé par la fièvre, irait d’une main tremblante interroger le pouls d’un homme bien portant? Quel déserteur aurait le droit de louer la science de l’art militaire? Quel ami des festins pourrait d’une manière compétente gourmander l’homme sobre? Moi, le plus indigne des mortels, je suis dans la nécessité de prêcher ce que je refuse de faire; condamné par mes propres paroles, puisque je commande les choses que je n’accomplis pas moi-même, chaque jour je suis forcé de prononcer ma sentence. Mais, si tu daignes, Moïse inférieur en âge et non point en mérite au véritable Moïse, te placer comme intercesseur, pour la foule de mes péchés, entre moi et ce Jésus-Christ notre maître, avec lequel tu es crucifié, je ne descendrai jamais vivant dans l’enfer; je n’irai plus, brûlé par les feux des vices charnels, allumer encore à l’autel du Seigneur une flamme étrangère. Coupable comme je le suis, l’éclat de la gloire ne saurait être mon apanage; mais je serai au comble de la joie, pourvu que, par tes prières, l’intérieur de mon âme puisse prétendre, sinon aux récompenses après une guérison parfaite, tout au moins au pardon, une fois ses blessures cicatrisées. Daigne te souvenir de moi, seigneur Pape.

EPISTOLA II.

Sidonius papae Pragmatio salutem.

LETTRE II.

SIDONIUS AU PAPE PRAGMATIUS, SALUT.

Venerabilis Eutropia matrona, quod ad nos spectat, singularis exempli (quae parcimonia et humanitate certantibus: non minus se jejuniis, quam cibis pauperes pascit, et in Christi cultu pervigil, sola in se compellit peccata dormire) moeroribus orbitatis necessitate litis adjecta, in remedium mali duplicis perfectionem vestrae consolationis expetere festinat, gratanter habitura, sive istud tibi peregrinatio brevis, seu longum computetur officium.

Igitur praefata venerabilis fratris mei nunc jam presbyteri Agrippini, ne injuriosum sit dixisse nequitiis, certe fatigatur argutiis: qui abutens imbecillitate matronae, non desistit spiritalis animae serenitatem saecularium versutiarum flatibus turbidare: cui filii, nec post multo nepotis amissi, duae pariter plagae recentes, ad diuturni viduvii vulnus adduntur. Tentavimus inter utrumque componere nos maxime quibus in eos novum jus professio, vetustumque faciebant amicitiae, aliqua censentes, suadentes quaepiam, plurima supplicantes, quodque miremini, in omnem concordiae statum promptius a feminea parte discessum est. Et quanquam se altius profuturum filiae paterna jactaret praerogativa, nurui tamen magis placuit munificentiae socrualis oblatio. Jurgium interim semisopitum vestris modo sinibus infertur. Pacificate certantes, et pontificalis auctoritate censurae suspectis sibi partibus indicite gratiam, dicite veritatem. Sancta enim Eutropia, si quid vadimonio meo creditis, victoriam computat, si vel post damna non litiget. Unde et suspicor vobis unam pronuntiandam domum discordiosam, licet inveniatis utramque discordem. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

La vénérable matrone Eutropia, femme, selon nous, d’un mérite bien rare, qui, sachant allier l’économie à la charité, se repait de jeûnes tandis qu’elle nourrit les pauvres, et qui, vigilante dans le service du Christ, ne fait dormir en elle-même que les péchés, voit se. joindre encore aux chagrins de son veuvage la triste nécessité d’un procès, et se hâte, pour guérir ce double mal, d’implorer la puissance de vos consolations; combien elle se félicitera, soit d’un court voyage, soit d’un ample service!

Or, cette vénérable matrone est obsédée par les arguties, il serait injurieux de dire par les chicanes de notre frère le prêtre Agrippin, qui, abusant de la faiblesse de cette femme, ne cesse de troubler avec les orages d’une astuce mondaine la sérénité d’une âme spirituelle; la perte d’un fils, et plus tard celle d’un petit-fils, voilà deux plaies récentes qui ont rouvert la blessure du long veuvage d’Eutropia. Nous avons essayé d’intervenir entre elle et Agrippin, nous dont la profession ajoute un nouveau droit sur eux à celui que nous conserve une ancienne amitié; nous avons décidé quelquefois, quelquefois persuadé, plus souvent supplié; et, ce qui vous étonnera, c’est qu’Eutropia toute la première en est venue aux propositions de paix. Quoique Agrippin se soit vanté de mieux servir, en qualité de père, les intérêts de sa fille, celle-ci néanmoins a préféré les offres généreuses de sa belle-mère. Le débat à moitié assoupi se porte maintenant devant vous. Pacifiez toutes choses, et, par l’autorité de la censure pontificale, intimez la réconciliation aux parties adverses, proclamez la vérité. La sainte Eutropia, si vous en croyez mon témoignage, regarde comme un triomphe de terminer ce litige, même avec des sacrifices. C’est pourquoi, je le soupçonne, vous aurez à prononcer que des deux maisons une seule entretient la discorde, quoiqu’elles soient l’une et l’autre en mauvaise intelligence. Daigne te souvenir de moi, seigneur Pape.

EPISTOLA III.

Sidonius domino papae Leontio salutem.

LETTRE III.

SIDONIUS AU SEIGNEUR PAPE LEONTIUS, SALUT.

Etsi nullis hortatibus primordia nostrae professionis animatis, neque sitim ignorantiae hactenus saecularis ullo supernae rigatis imbre doctrinae; non ego tamen tantum mei meminens non sum, ut a meis praesumam partibus aequali officiorum lance certandum. Nam cum nostra mediocritas aetate vitae, tempore dignitatis, privilegio loci, laude scientiae, dono conscientiae vestrae facile vincatur; nullum meremur, si par exspectamus alloquium. Igitur non incusantes silentium vestrum, sed loquacitatem nostram potius excusare nitentes, commendamus apicum portitorem: cujus si peregrinationem prompto favore foveatis, grandis actionibus illius portus securitatis aperitur. Negotium huic testamentarium est: latent eum propriarum merita chartarum. Togatorum illic perorantum merita peritiam consulere perrexit; pro victoria computaturus, si se intellexerit jure superari; modo ne sibi suisque desidiae vitio perperam cavisse culpetur. Hunc eatenus commendare praesumo, ut si eum instruere dignanter advocatio consulta fastidit, auctoritas coronae tuae dissimulantibus studeat excudere responsi celeritatem. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

Quoique vous n’encouragiez d’aucune exhortation les débuts de ma nouvelle carrière, quoique vous n’étanchiez point par les rosées d’une doctrine céleste la soif de mon ignorance, à moi jusqu’ici homme du monde, cependant, je ne m’oublie point assez pour aller croire que la mesure des bons offices doit être égale de vous à moi. Comme vous l’emportez sans contredit par les années, par l’antériorité des honneurs, par le privilège du lieu, par l’éclat du savoir, par l’éminence des vertus, sur un homme aussi médiocre que moi, je serais indigne de tout entretien avec vous, si je prétendais agir d’égal à égal. Ainsi donc, loin de blâmer votre silence, je m’efforce bien plutôt d’excuser ma loquacité, et je vous recommande le porteur de cette lettre. Si vous l’accueillez favorablement, un asile assuré est ouvert désormais devant lui. Il a une affaire testamentaire, et ignore la valeur de ses titres. Il va chez vous consulter les plus habiles avocats; il croira qu’il remporte une victoire, si on lui fait comprendre que les lois sont contre lui; ce qu’il désire ensuite, c’est qu’on ne puisse lui reprocher qu’il a par négligence trop peu consulté ses intérêts et ceux de ses proches. J’ose, en vous le recommandant, vous prier de faire en sorte que si les jurisconsultes dédaignent de l’instruire, l’autorité de votre caractère arrache une prompte réponse à leurs retards. Daigne te souvenir de moi, seigneur Pape.

EPISTOLA IV.

Sidonius domino papae Lupo salutem.

LETTRE IV.

SIDONIUS AU SEIGNEUR PAPE LUPUS SALUT.

Praeter officium quod incomparabiliter eminenti apostolatui tuo sine fine debetur, et si absque intermissione solvatur, commendo supplicum bajulorum pro nova necessitate vetustam necessitudinem: qui in Arvernam regionem longum iter, his quippe temporibus, emensi, casso labore venerunt. Namque unam feminam de affectibus suis, quam forte Vargorum (hoc enim nomine indigenas latrunculos nuncupant) superventus abstraxerat, isto deductam ante aliquot annos, isticque distractam, cum non falso indicio comperissent, certis quidem signis, sed non recentibus inquisivere vestigiis. Atque obiter haec eadem laboriosa, priusquam ii adessent, in negotiatoris nostri domo dominioque; palam sane venumdata defungitur; quodam Prudente, hoc viro nomen, quem nunc Tricassibus degere fama divulgat, ignotorum nobis hominum collaudante contractum; cujus subscriptio intra formulam nundinarum, tanquam idonei astipulatoris, ostenditur. Auctoritas personae, opportunitas praesentiae tuae, inter coram positos fac le valebit, si dignabitur, seriem totius indagare violentiae. Quae quod gravius est, eo facinoris accessit, quantum portitorum datur nosse memoratu, ut etiam in illo latrocinio quemdam de numero viantum constet exstinctum.

Sed quia judicii vestri medicinam expetunt, civilitatemque qui negotium criminale parturiunt; vestrarum, si bene metior, partium pariter et morum est, aliqua indemni compositione istorum dolori, illorum periculo subvenire; et quodam salubris sententiae temperamento, hanc partem minus afflictam, illam minus ream, et utramque plus facere securam: ne jurgii status, ut sese fert temporis locique civilitas, talem discedat ad terminum, qualem coepit habere principium. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

Après avoir rendu à ton apostolat si éminent les honneurs qui lui sont perpétuellement dus, quoiqu’on les lui rende sans cesse, je me recommande à ta vieille amitié dans le besoin oh se trouvent les porteurs de cette lettre. Ils ont fait, mais avec des peines inutiles, un voyage bien long dans ces temps-ci, pour venir en Auvergne. Une femme de leurs proches, enlevée par hasard dans une incursion des Varges (c’est le nom que l’on donne à des brigands originaires du pays), avait été conduite en ta ville, il y a quelques années, et de là transportée ailleurs; instruits du fait par des témoignages certains, ils se mirent à sa poursuite, sur des indications précises, mais un peu tard. Cependant, cette malheureuse, jetée au marché public avant leur arrivée, se trouve aujourd’hui dans la maison et au pouvoir de mon homme d’affaires ; un certain Prudens, que l’on dit habitant de Troyes, avait approuvé le contrat des vendeurs qui me sont inconnus, et l’on montre sa signature au bas de la formule d’achat, comme celle d’une caution suffisante. L’autorité de ta personne et l’opportunité de ta présence pourront sans peine, si tu veux bien le faire, saisir l’ensemble de cette indigne violence, en confrontant les parties. Ce qui aggrave le fait, c’est que, autant qu’on en peut juger par l’exposé des porteurs de ma lettre, l’un d’entre eux aurait péri dans ce brigandage.

Mais comme ceux qui poursuivent les coupables désirent bien que l’affaire soit décidée par la sagesse de votre jugement, il convient, si je ne me trompe, à votre état, à votre caractère, de donner quelque chose à la douleur des uns, quelque chose au péril des autres, et, par un sage tempérament, de consoler l’une des parties, de faire paraître l’autre moins coupable, de les tranquilliser toutes deux; sans cela, il serait fort à craindre, vu le temps et le lieu, que cette querelle ne se terminât comme elle a commencé. Daigne te souvenir de nous, seigneur Pape.

EPISTOLA V.

Sidonius domino papae Theoplasto salutem.

LETTRE V.

SIDONIUS AU SEIGNEUR PAPE THEOPLASTUS SALUT.

Causam meam nesciens agit, qui ad vos a me litteras portat. Nam dum votivi mihi fit gerulus opportunus officii, beneficium praestat, quod se arbitratur accipere: sicuti nunc venerabilis Donidius, dignus inter spectatissimos quosque numerari, cujus clientem puerosque commendo, profectos, seu in patroni necessitatem, seu in domini. Laborem peregrinantium, qua potestis ope, humanitate, intercessione tutamini: ac si in aliquo amicus ipse per imperitiam novitatemque publicae conversationis videbitur minus efficax, vos hoc potius aspicite, quid absentis causa, non quid praesentis persona mereatur. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

Quiconque te porte mes lettres, travaille pour moi sans le savoir. En m’obligeant ainsi à propos, on me rend le service que l’on pense recevoir soi-même ; c’est ce qui arrive maintenant à ce vénérable Donidius, bien digne d’être compté parmi ce qu’il y a d’hommes éminents; je te recommande son client et ses serviteurs qui ont entrepris un voyage, l’un pour les intérêts de son patron, les autres pour l’utilité de leur mal. Apportez à leur adoucir les fatigues de la route, tous les secours, toute l’humanité, tout l’appui que vous pourrez; et si mon ami, par son inhabileté, par son inexpérience dans le train des affaires, vous semblait trop faible en quelque chose, regardez ce que demande la cause de l’absent, plutôt que ce que mérite la personne de celui qui est présent. Daigne te souvenir de moi, seigneur Pape.

EPISTOLA VI.

Sidonius domino papae Eutropio salutem.

LETTRE VI.

SIDONIUS AU SEIGNEUR PAPE EUTROPIUS, SALUT.

Postquam foedifragam gentem rediisse in suas sedes comperi, neque quidquam viantibus insidiarum parare; nefas credidi ulterius officiorum differre sermonem, ne vester affectus quamdam vitio meo duceret, ut gladius impolitus, de curae raritate rubiginem. Unde misso in hoc solum negotii gerulo litterarum, quam vobis sit corpusculi status in solido, quamve ex animi sententia res agantur, sollicitus inquiro: sperans ne semel mihi amor vester indultus, aut interjecti itineris longitudine, aut absentiae communis diuturnitate tenuetur: quia bonitas conditoris habitationem potius hominum quam caritatem finalibus claudit angustiis. Restat ut vestra beatitudo compunctorii salubritate sermonis avidam nostrae ignorantiae pascat esuriem. Est enim tibi nimis usui, ut exhortationibus tuis interioris hominis maciem saepenumero mysticus adeps et spiritalis arvina distendat. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

Depuis que je sais qu’une nation perfide est rentrée dans ses frontières, et que rien ne s’oppose plus à la sécurité des voyageurs, j’ai pensé que ce serait un crime de tarder plus longtemps à vous présenter mes civilités; car votre affection pourrait peut-être accuser mon silence, en le comparant à la. rouille, qui dévore un glaive en repos. C’est donc pour cela seulement que je vous envoie le porteur de cette lettre, pressé comme je le suis de m’informer s vous êtes en bonne santé, et si tout réussit au gré de vos désirs; car je crains que l’espace qui se trouve entre nous, ou la durée de notre commune séparation, ne porte quelque atteinte l’amitié que vous m’avez une fois accordée: c’est l’habitation des hommes, et non pas leur mutuel amour, que la bonté du créateur a renfermée en d’étroites limites. Il me reste à désirer que votre béatitude repaisse de ses discours piquants et salutaires l’avide faim de notre ignorance; car tu es assez dans l’usage de relever souvent par tes exhortations, comme par un suc mystique et spirituel, la maigreur des âmes. Daigne te souvenir de nous, seigneur Pape.

EPISTOLA VII.

Sidonius domino papae Fonteio salutem.

LETTRE VII.

SIDONIUS AU SEIGNEUR PAPE FONTEIUS SALUT.

Si aliquid ad inchoandam gratiam compendii posteris tribuat necessitudo praemissa seniorum, ego quoque ad apostolatus tui notitiam pleniorem cum praerogativa domesticae familiaritatis accedo. Nam sic te familiae meae validissimum in Christo semper patronum fuisse reminiscor, ut amicitias tuas non tam expetendas mihi quam repetendas putem. His adjicitur, quod indignissimo mihi impositum sacerdotalis nomen officii confugere me ad precum vestrarum praesidia compellit: ut adhuc ulcerosae conscientiae nimis hiulca vulnera vestro saltem cicatricentur oratu. Quapropter me meosque commendans, et excusans litteras seriores, granditer obsecro, ut intercessione consueta cujus viribus immane polletis, clericalis tirocinii in nobis reptantia rudimenta tueamini: ut si quid dignabitur de morum pravitate nostrorum immutabilis Dei mutare clementia, totum id suffragiorum vestrorum patrocinio debeamus. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

Si des relations antérieures entre les proches peuvent être de quelque avantage à leurs descendants pour entrer en amitié, je viens, m’appuyant sur la prérogative de rapports domestiques, faire une plus ample connaissance avec ton apostolat. Je me rappelle que tu us toujours été pour ma famille un puissant patron dans le Christ, en sorte que j’ai moins, ce semble, à lier qu’à renouer amitié avec toi. Il y a plus, le titre d’évêque et les devoirs que l’on m’a imposés, malgré mon indignité, m’obligent de réclamer l’appui de tes prières, afin que par elles les blessures béantes de ma conscience altérée se cicatrisent du moins. C’est pourquoi, en me recommandant à vous, moi et les miens, en m’excusant de vous avoir écrit si tard, je vous supplie avec instance de soutenir en nous, par cette intercession accoutumée, dont la force est si puissante, les faibles débuts de notre apprentissage clérical; si l’immuable clémence de Dieu daigne alors changer quelque chose à la perversité de nos mœurs, nous le devrons à vos suffrages et à votre protection. Daigne te souvenir de nous, seigneur Pape.

EPISTOLA VIII.

Sidonius domino papae Graeco salutem.

 LETTRE VIII.

SIDONIUS AU SEIGNEUR PAPE GRAECUS SALUT.

Apicum oblator pauperem vitam sola mercandi actione sustentat: non illi est opificium quaestui, militia commodo, cultura compendio: hoc ipsum quod mercenariis prosecutionibus et locatitia fatigatione cognoscitur, fama quidem sua, sed facultas crescit aliena. Sed tamen quoniam illi fides magna est, et si parva substantia, quoties cum pecuniis quorumpiam e catapli recentis nundinas adit, creditoribus bene credulis sola deponit morum experimenta pro pignore. Inter dictandum milri ista suggesta sunt, nec ob hoc dubito audita fidenter asserere: quia non parum mihi intimos agunt, quibus est et ipse satis intimus. Hujus igitur teneram frontem, dura rudimenta commendo: et quia nomen ejusdem lectorum nuper albus accepit, agnoscitis profecturo a civi me epistolam, clerico debuisse formatam. Quem propediem non injuria reor mercatorem splendidum fore; si hic ad vestra obsequia festinans, frigoribus fontium civicorum saepe b fontem mercatoris anteferat. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

Le porteur de cette lettre ne soutient une vie pauvre que par son négoce; il ne peut trouver ni gain dans un métier quelconque, ni avantage dans la milice, ni profit dans la culture des terres; s’il se fait connaître par ses travaux mercenaires et ses fatigues de louage, sa bonne renommée s’en accroit bien, mais tout le résultat n’est que pour autrui. Néanmoins, comme il jouit d’une grande confiance, malgré son peu de fortune, toutes les fois qu’à l’arrivée récente d’un vaisseau marchand, il vient acheter avec un argent emprunté, il ne laisse en gage à ses créanciers que sa probité de mœurs bien reconnue. Pendant que j’écrivais cette lettre, on m’a donné ces détails, que je ne balance pas néanmoins à confirmer parce que je regarde comme d’intimes amis ceux qui sont ses intimes à lui. Je vous recommande donc sa jeunesse, à cause des rudes épreuves auxquelles il est soumis ; et comme son nom vient d’être inscrit sur le registre des Lecteurs, vous comprenez que j’ai dû lui donner, à son départ, une lettre ordinaire comme citoyen, une lettre formée comme clerc. Je suis bien fondé à croire qu’il deviendra bientôt un riche commerçant, pourvu qu’il se hâte d’aller profiter de vos bons offices, et qu’il préfère souvent la fontaine du négoce aux froides sources de sa patrie. Daigne te souvenir de nous, seigneur Pape.

EPISTOLA IX

Sidonius domino papae Lupo salutem.

LETTRE IX.

SIDONIUS AU SEIGNEUR PAPE LUPUS SALUT.

Vir jam honestus Gallus, quia jussus ad conjugem redire non distulit, litterarum mearum obsequium, vestrarum reportat effectum. Cui cum pagina quam miseratis, reseraretur, actutum compunctus ingemuit; destinatamque non ad me epistolam, sed in se sententiam judicavit. Itaque confestim iter in patriam spopondit, adornavit, arripuit. Quem nos propter hanc ipsam poenitudinis celeritatem, non increpative, sed consolatorie potius compellare curavimus; quia vicinaretur innocentiae festinata correctio. Neque enim quisquam, etiam sibi bene conscius, plus facere praesumpsit; si quis tamen vestrae correptionis orbitam non reliquit: quippe cum ea ipsa quae legimus, parcentis verba censurae, maximae emendationis incitamenta sint. Nam quid potest esse castigationis hujusce tenore pretiosius, in qua forte peccato animus aeger, reperit intrinsecus remedium, cum non valeret extrinsecus invenire convicium?

Quod superest, obsecramus, ut crebra oratione per quam vitiis omnibus immane dominamini, nos quoque sicut evangelicos Magos remeasse manifestum est, vel jam nunc per aliam viam morum in beatorum patriam redire faciatis. Pene omiseram quod praetereundum minime fuit. Agite gratias Innocentio spectabili viro, qui ut praeceperatis, gnaviter morem gessit injunctis. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

L’honorable Gallus n’ayant pas différé, sur mes ordres, de retourner auprès de sa femme, vous porte les civilités de ma lettre et les effets de la vôtre. A l’ouverture des pages que vous m’aviez adressées, saisi d’une componction soudaine, il se prit à gémir, et reconnut qu’il s’agissait moins d’une lettre pour moi que d’une sentence contre lui. Il promit donc aussitôt de regagner sa patrie, fit les préparatifs du voyage, se mit en route. A cause d’un aussi prompt repentir, nous eûmes soin de lui adresser des paroles plutôt de consolation que de reproche ; car un amendement si hâtif était bien voisin de l’innocence, et aucun homme, n’eût-il rien à se reprocher, ne peut se flatter de faire plus. Heureux celui qui ne s’est point éloigné de vos corrections ! Les paroles d’une censure indulgente sont un puissant motif de s’amender. Et que peut-il y avoir d’aussi précieux que ce genre de réprimande, par lequel un cœur malade peut-être vient à trouver un remède intérieur, lorsqu’il ne pouvait trouver dès reproches extérieurs?

Il nous reste maintenant à vous demander que ces prières assidues, qui vous donnent tant d’empire sur les vices, nous fassent retourner, nous aussi, dans la patrie des bienheureux, par d’autres mœurs, comme les Mages de l’Evangile retournèrent dans leur patrie par un autre chemin. J’allais omettre ce que j’ai de plus essentiel à vous dire: remerciez Innocentius, personnage honorable, qui, d’après vos ordres, s’est empressé d’obéir à ce qu’on lui commandait. Daigne te souvenir de nous, seigneur Pape.

EPISTOLA X.

Sidonius domino papae Censorio salutem.

LETTRE X.

SIDONIUS AU SEIGNEUR PAPE CENSORIUS, SALUT.

Gerulum litterarum levitici ordinis honestat officium. Hic cum familia sua depraedationis Gothicae turbinem vitans, in territorium vestrum delatus est, ipso, ut sic dixerimus, pondere fugae; ubi in re Ecclesiae cui sanctitas tua praesidet, parvam sementem semiconfecto cespiti advena jejunus injecit: cujus ex solido colligendae fieri sibi copiam exorat. Quem si domesticis fidei deputata humanitate foveatis, id est, ut debitum glebae canonem non petatur, tantum lucelli praestitum sibi computat (peregrini hominis, ut census, sic animus augustus), ac si in patrio solo rusticaretur. Huic si legitimam, ut mos est, solutionem perexiguae segetis indulgeas, tanquam opipare viaticatus, cum gratiarum actione remeabit. Per quem si me stylo solitae dignationis impartias, mihi fraternitatique istic sitae, pagina tua veluti paulo lapsa reputabitur. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

Le porteur de cette lettre remplit un ministère dans l’ordre lévitique. En fuyant avec sa famille les orageuses dévastations des Goths, il s’est vu jeté sur votre territoire, je dirai presque par le poids de sa fuite. Là, étranger, dénué de tout, il a semé un peu de grain sur un étroit espace de terre à demi-travaillée, dans les domaines de l’Eglise que gouverne ta sainteté; il demande qu’on lui permette de recueillir en entier le produit de son travail. Pourvu que vous l’accueilliez avec les égards bienveillants qui sont dus aux enfants de la foi, c’est-à-dire pourvu qu’on n’exige pas de lui la portion qui vous revient sur la glèbe, cet étranger, dont les désirs sont aussi bornés que l’est sa fortune, se croira aussi heureux que s’il cultivait les champs de sa patrie. Faites-lui grâce du tribut légitime et ordinaire, et, comme s’il avait été magnifiquement enrichi pour son voyage, il reviendra plein de reconnaissance. Si tu veux, par la voie de cet homme, m’écrire avec ta bienveillance accoutumée, nos frères d’ici et moi nous regarderons ta lettre comme tombée du ciel. Daigne te souvenir de nous, seigneur Pape.

EPISTOLA XI.

Sidonius domino papae Eleutherio salutem.

 LETTRE XI.

SIDONIUS AU SEIGNEUR PAPE ELEUTHERIUS SALUT.

Judaeum praesens charta commendat: non quod mihi placeat error per quem pereunt involuti; sed quia neminem ipsorum nos decet ex asse damnabilem pronuntiare dum vivit. In spe enim adhuc absolutionis est, cui suppetit posse converti. Quae sit vero negotii sui series, ipse rectius praesentanea coram narratione patefaciet. Nam prudentiae satis obviat, epistolari formulae debitam concinnitatem plurifario sermone porrigere. Sane quia secundum vel notitia, vel judicia terrena, solent hujusmodi homines honestas habere causas; tu quoque potes hujus laboriosi, etsi impugnas perfidiam, propugnare personam. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

Cette lettre vous recommande un Juif, non que j’aime une erreur qui fait périr ceux qui l’ont embrassée, mais parce que nous ne devons jamais condamner sans retour quelqu’un d’entre les Juifs, quand il vit encore; car on peut espérer d’être absous, lorsqu’on a les moyens de se convertir. Cet homme vous fera mieux connaître de vive voix l’état de son affaire; il est assez difficile de concilier de longues explications avec les formes nettes et précises que demande la lettre. Assurément, soit dans les affaires, soit dans les débats de ce monde, les Juifs peuvent avoir une cause juste; tu peux donc aussi, tout en désapprouvant sa croyance, prendre intérêt à la personne de ce malheureux. Daigne te souvenir de nous, seigneur Pape.

EPISTOLA XII.

Sidonius domino papae Patienti salutem.

LETTRE XII.

SIDONIUS AU SEIGNEUR PAPE PATIENS SALUT.

Aliquis aliquem, ego illum praecipue puto suo vivere bono qui vivit alieno: quique fidelium calamitates indigentiamque miseratus, facit in terris opera coelorum. Quorsum ista haec, inquis? Te sententia quam maxime, papa beatissime, petit; cui non sufficit illis tantum necessitatibus opem ferre quas noveris; quique usque in extimos terminos Galliarum caritatis indage porrecta, prius soles indigentum respicere causas, quam inspicere personas. Nullius obest tenuitati debilitatique, si te expetere non possit: nam praevenis manibus illum, qui non valuerit ad te pedibus pervenire. Transit in alienas provincias vigilantia tua: et in hoc curae tuae latitudo diffunditur, ut longe positorum consoletur angustias: et hinc fuit, ut quia crebro te non minus absentum verecundia, quam praesentum querimonia movet, saepe terseris eorum lacrymas, quorum oculos non vidisti. Omitto illa quae quotidie propter defectionem civium pauperatorum, irrequietis toleras excubiis, precibus, expensis. Omitto te tali semper agere temperamento, sic semper humanam, sic abstemium judicari; ut constet indesinenter regem praesentem prandia tua, reginam laudare jejunia. Omitto te tanto cultu ecclesiam tibi creditam convenustare, ut dubitet inspector melius ne nova opera consurgant, an vetusta reparentur. Omitto per te plurimis locis basilicarum fundamenta consurgere, ornamenta duplicari. Cumque multa in statu fidei tuis dispositionibus augeantur, solum haereticorum numerum minui: teque quodam venatu apostolico, feras Photinianorum mentes spiritalium praedicationum cassibus implicare, atque a tuo barbaros jam sequaces, quoties convincuntur verbo, non exire vestigio, donec eos a profundo gurgite erroris felicissimus animarum piscator extraxeris.

Et horum aliqua tamen cum reliquis forsan communicanda collegis. Illud autem deberi tibi quodam, ut jurisconsulti dicunt, a praecipui titulo, nec tuus poterit ire pudor inficias; quod post Gothicam depopulationem, post segetes incendio absumptas, peculiari sumptu, inopiae communi per desolatas Gallias gratuita frumenta misisti; cum tabescentibus fame populis nimium contulisses, si commercio fuisset species ista, non munere. Vidimus angustas tuis frugibus vias; vidimus per Araris et Rhodani ripas, non unum, quod unus impleveras horreum.

Fabularum cedant figmenta gentilium, et ille quasi in coelum relatus pro reperta spicarum novitate Triptolemus; quem Graecia sua caementariis, pictoribus significibusque illustris, sacravit templis, formavit statuis, effigiavit imaginibus. Illum dubia fama conciliat, per rudes adhuc et Dodonigenas populos, duabus vagum navibus, quibus poetae deinceps formam draconum deputaverunt, ignotam circumtulisse sementem. Tu, ut de mediterranea taceam largitate, victum civitatibus Tyrrheni maris erogaturus, granariis tuis duo potius flumina, quam duo navigia complesti. Sed si forte Achaicis Eleusinae superstitionis exemplis, tanquam minus idoneis, religiosus laudatus offenditur; seposita mystici intellectus reverentia, venerabilis patriarchae Joseph historialem diligentiam comparemus, qui contra sterilitatem septem uberes annos insecuturam, facile providit remedium quod praevidit. Secundum tamen moralem sententiam, nihil judicio meo minor est, qui in superveniente simili necessitate non divinat, et subvenit.

Quapropter et si ad integrum conjicere non possum, quantas tibi gratias Arelatenses, Reienses, Avennicus, Arausionensis quoque et Albensis, Valentinaeque, nec non et Tricastinae urbis possessor exsolvat; quia difficile est eorum ex asse vota metiri, quibus noveris alimoniam sine asse collatam. Arverni tamen oppidi ego nomine uberes perquam gratias ago; cui ut succurrere meditarere, non te communio provinciae, non proximitas civitatis, non opportunitas fluvii, non oblatio pretii adduxit. Itaque ingentes per me referunt grates, quibus obtigit per panis tui abundantiam, ad sui sufficientiam pervenire. Igitur si mandati officii munia satis videor explesse, ex legato nuntius ero. Ilicet scias volo, per omnem fertur Aquitaniam gloria tua: amaris, laudaris, desideraris, excoleris, omnium pectoribus, omnium votis. Inter haec temporum mala, bonus sacerdos, bonus pater, bonus annus es: quibus operae pretium fuit, fieri famem suam periculo, si aliter esse non poterat tua largitas experimento. Memor nostri esse dignare, domine Papa.

Chacun juge différemment du bonheur des hommes; pour moi, je pense que celui-là surtout travaille à sa propre félicité, qui travaille à la félicité d’autrui, et qui, prenant pitié des maux et de l’indigence des fidèles, accomplit sur la terre les œuvres des cieux. Que signifie cela, me diras-tu? Ce langage, bienheureux pontife, te regarde principalement, toi qui ne bornes pas ton zèle à secourir les besoins que tu connais, mais qui, portant jusqu’aux dernières limites des Gaules ta généreuse sollicitude, as coutume de considérer la nature des besoins, avant de regarder à la qualité des indigents. La pauvreté et la faiblesse ne sont point un préjudice pour quiconque ne peut venir te trouver car tes mains préviennent par leurs aumônes celui que ses pieds n’ont pu porter jusqu’à toi. Ta vigilance passe dans les provinces étrangères, tu dilates ton affectueuse tendresse pour consoler des infortunes lointaines. Et c’est ainsi que, touché de la honte et de la modestie des pauvres absents, comme des plaintes de ceux qui t’environnent, tu as souvent essuyé les larmes de ceux dont tu n’as pas vu les yeux. Je ne parle point de ces veilles infatigables, des prières, des dépenses que chaque jour tu fais pour des citoyens défaillants et appauvris. Je ne parle pas de ce sage tempérament avec lequel tu agis; de cette réputation de politesse et d’abstinence qui fait que le roi ne se lasse pas de vanter tes dîners auxquels il daigne venir, et que la reine s’émerveille de tes jeûnes. Je ne parle pas des magnifiques ornements dont tu embellis l’église qui t’est confiée; on doute, quand on les voit, si les anciens ouvrages que tu répares l’emportent sur ceux que tu fais faire. Je ne dis rien des nombreuses, basiliques dont tu as jeté les fondements, ni des richesses dont tu les ornes. Pendant que ton zèle agrandit le domaine de la foi, le nombre des hérétiques diminue seul. Par une sorte de chasse apostolique, tu enveloppes dans les filets de tes prédications spirituelles les sauvages esprits des Photiniens. Les barbares, une fois convaincus par tes discours, s’attachent à tes pas, sans pouvoir s’en écarter, jusqu’à ce que tu viennes, heureux pêcheur des âmes, à les retirer du gouffre profond de l’erreur.

La plupart de ces choses te sont communes peut-être avec le reste de tes collègues; mais, ce qui te revient en quelque sorte, comme disent les jurisconsultes, à titre de préciput, et ta modestie ne pourra le désavouer, c’est l’humanité avec laquelle tu as distribué gratuitement dans les Gaules désolées et partout souffrantes., après l’incursion des Goths, après l’incendie des moissons, un blé acheté de tes propres deniers; car, pour ces peuples épuisés de faim, c’eût été déjà un bienfait inexprimable, si ce blé leur fût venu à titre de marchandise, et non pas à titre de présent. Nous avons vu les chemins embarrassés des vivres envoyés par toi, nous avons vu sur les bords de 1’Arar et du Rhône plus d’un grenier que tu avais rempli seul.

Loin d’ici les fictions et les fables du paganisme, loin d’ici ce Triptolême qui fut presque porté jusqu’aux cieux pour avoir découvert le blé, et à qui la Grèce, célèbre par ses architectes, ses peintres, ses sculpteurs, consacra des temples, éleva des autels; ce Triptolême dont elle reproduisit les traits sur la toile. La renommée toujours douteuse raconte qu’errant avec deux navires, auxquels, dans la suite, les poètes prêtèrent la forme de dragons, il porta chez des peuples grossiers encore et nourris de glands, le blé inconnu jusque-là. Pour toi, sans qu’il faille parler de tes largesses abondamment répandues au sein des Gaules, jaloux de prodiguer des vivres aux cités qui bordent la mer Tyrrhénienne, tu as bien plus tôt couvert deux fleuves que rempli deux vaisseaux avec tes magasins. Mais si ta piété s’offense de se voir louée par les exemples trop profanes des superstitions d’Eleusis, je vais, en écartant le sens mystique, recourir à l’histoire de Joseph. Ce vénérable patriarche, ayant prévu la stérilité qui devait suivre sept années d’abondance, sut y pourvoir aisément. Si je considère le sens moral de ce fait, il n’est pas moins grand que Joseph, ce me semble, celui qui répand des secours au milieu d’une semblable calamité qu’il n’a pas devinée.

Ainsi, quoique je ne puisse connaître au juste les actions de grâces que te rendent les habitants d’Arles, de Riez, d’Avignon, d’Orange, de Viviers, de Valence et de Trois-Châteaux, parce qu’il est difficile de mesurer au poids de l’or la reconnaissance de ceux auxquels tu as prodigué des vivres sans en exiger de l’argent, moi, néanmoins, je te remercie beaucoup au nom du peuple Arverne que tu as secouru, quoique tu ne fusses engagé à cela ni par la communauté de la province, ni par la proximité de la ville, ni par la commodité d’un fleuve, ni par l’offre d’argent. Ils me chargent donc de te présenter la vive expression de leur gratitude, ceux qui n’ont dû la vie qu’à tes abondantes largesses.

Maintenant, après avoir rempli le mieux que j’ai pu la mission qui m’était confiée, je quitte le rôle de député pour passer à celui de nouvelliste. Or, sache que ta gloire est répandue dans toute l’Aquitaine; tu y es aimé, loué, désiré, respecté ; tu vis dans tous les cœurs, chacun fait des vœux pour toi. Au milieu des malheurs de nos temps, tu es un bon ministre de Dieu, un bon père, une bonne année pour ceux auxquels il a été utile de passer par les dangers de la faim, puisqu’ils ne pouvaient autrement ressentir tes bienfaits. Daigne te souvenir de moi, seigneur Pape.

NOTES DU LIVRE SIX.

Ce VIe livre et le suivant renferment les lettres qui sont adressées à des Evêques.

 

LETTRE PREMIERE.

Alter Seculi tui Jacobus. — St. Clément, dans l’inscription de sa première lettre à St. Jacques de Jérusalem, le nomme l’évêque des évêques; c’est pour cela que Sidonius, après avoir donné le même titre à Lupus, ajoute que c’est un autre Jacques de son siècle. On ne soupçonnait pas alors de supposition cette lettre de St. Clément.

Militiae Lirinensis Excubias. — Sidon. Epist. VIII, 14; Carm. XVI, v. 105 à 116. Voyez ce que nous avons dit de l’ile de Lerins, dans notre préface des Œuvres de St. Vincent et de St. Eucher.

Primipilarem. — Le primipile était un officier des légions romaines, qu’on nommait communément primipilus, ou primipili centurio, capitaine de la première compagnie. Le primipile avait en garde l’aigle romaine, la déposait dans le camp, et l’enlevait quand il fallait marcher, pour la remettre ensuite au vexilaire ou porte-enseigne. Voyez Sabbathier, Dictionn., etc.; — Adam, Antiquités romaines, tom. II, pag. 148. Primipilaris veut dire qui a rempli la charge de primipile; mais, en ce passage de notre auteur, il est pris dans le sens de primipilus. Voyez Savaron, Not. in Sidon., pag. 382; — Pitiscus, Lexicon Antiquit. Rom. au mot Primipilaris.

Hastotorum. — Les hastaires ou hastats étaient ainsi appelés à cause des longues lances (hastae) dont ils se servaient au combat, et qu’ils abandonnèrent depuis comme embarrassantes; Varr., de Lat. ling. IV, 6. Des jeunes gens à la fleur de leur âge composaient ce corps; ils formaient la première ligne au jour de bataille; Tit.-Liv. VIII, 8. — Adam, tom. II, pag. 143. — Sabbathier, Dict. au mot. Hastaires.

Antesignanorum. — Chez les Romains on appelait ainsi les soldats qui combattaient en avant des étendards, ou sur la première ligne.

Calones. — Espèce d’esclaves ou de valets qui suivaient les Romains à l’armée. Il n’y eut d’abord que les tribuns, les centurions et les plus distingués d’entre les soldats, qui eussent droit d’amener avec eux des calones. Mais cela changea dans la suite. Le nombre de ces sortes de valets devint très grand; et, quoiqu’ils ne fussent pas enrôlés comme les soldats, ils ne laissaient pas quelquefois de marcher au combat, et de rendre par là de grands services à la République.

On croit que le mot calones a été formé du latin calae, qui signifie bâtons. C’est que les calones portaient, en effet, des bâtons en suivant leurs maîtres à la guerre. D’autres dérivent ce mot, avec autant de vraisemblance, du grec kalon, lignum, du bois. Sabbathier, Dict. —Pitiscus, Lexicon.

Lixas. — Espèce de mercenaires qui suivaient les armées, et qui n’en faisaient point partie. Tout leur était permis, et ils n’étaient soumis à aucune discipline. Salvien, au VIIe livre, de Gubernatione Dei, a justement flétri leur infime conduite. Voyez les Notes qui suivent ses paroles, dans notre édition, tom. II, pag. 520.

Traharii. — Les Traharii étaient ainsi appelés, parce qu’ils portaient des fardeaux, des bagages, trahere.

Ex adversa acie sauciatos. — L’auteur fait allusion au voyage de Lupus dans la Grande-Bretagne, entrepris avec Germanus d’Auxerre, pour aller combattre l’hérésie.

LETTRE II.

Singularis exempli. — Cette locution se rencontre bien souvent dans les auteurs latins. Voyez Pétrone, Satyricon, CXI; — Plin. Epist. III, 1 ; VIII, 5 ; — Vopiscus, in Bonoso.

Quod Miremini. — Cette parenthèse a son mérite et son à-propos; on connaît les vers de Juvénal, Sat. VI, v. 242:

« Nulla fere caussa est, in qua non femina litem

Moverit; accusat Manilia, si rea non est.

Componunt ipsae per se, formantque libellos,

Principium atque locos Celso dictare paratœ. »

Pontificales auctoritate censurae. — Les évêques avaient encore alors le noble privilège de juger et d’accommoder les différends qui étaient portés à leur tribunal. Voyez Sidonius lui-même, Epist. VI, 4.

Si quid vadimonio meo creditis. — Symm. Epist. II, 16; IX, 7.

LETTRE III.

Privilegio loci. — Ces deux mots donnent à entendre que la ville de Léontius était au-dessus des autres; or, telle était à cette époque la ville d’Arles, devenue la capitale de ce qui restait aux Romains dans les Gaules. Je ne sais comment Savaron peut confondre, d’après cela, Léontius d’Arles avec Léontius de Fréjus qui, du reste, vivait avant notre auteur.

Apicum portitorem. — Sidonius emploie souvent ce terme, dans le sens de tabellarius, gerulus litterarum.

Togatorum. — La toge, appelée toga forensis, était l’habillement des avocats ; Symmaque parle d’un avocat de son temps qui fut rayé du corps, et dit: « Epictetus togae forensis honore privatus est. » Epist. V, 39. Cassiodore appelle la dignité d’avocat, togata dignitas, Var. VI, 4; mais Apulée emploie les mots vultures togati : ne dirait-on pas qu’il parle de nos sangsues du palais Voyez l’Encyclopédie, au mot Toge.

Auctoritas coranae tuae. — C’est-à-dire, la dignité de ton épiscopat. « Coronam tuam consulerem. » Sidon. Epist. VII, 8. — « Dejectas sacerdotum coronas reponeret. » Vincentii Lirin. Commonit. — « Erigat parvulos implorata coronae vestrae miseratio. » Ennodii Epist. IV, 22. Comme le mot purpura sert quelquefois à désigner un prince, le mot corona sert de même à désigner un clerc, un prêtre. « Per coronam nostram, dit St. Augustin, nos adjurant vestri ; per coronam vestram vos adjurant nostri. » Epist. 33. — Gregorii Turonensis Vitae Patrwn, XVII, 1, édit. de Ruinart. La couronne cléricale n’était autrefois qu’un tour de cheveux qui représentait véritablement une couronne : on le remarque aisément dans plusieurs statues et autres monuments anciens; il est certain, par Grégoire de Tours, qu’elle a été en usage dès le VIe siècle. La couronne est aujourd’hui remplacée par la tonsure. Voyez Bergier Dict. de Théol. au mot Tonsure; — l’Encyclopédie, et Richard, Dict. univ. des sciences ecclésiastiques, aux mots Tonsure et Couronne; — Dubos, Hist. crit., tom. II, pag. 603.

LETTRE IV.

Apostolatui tuo. — Ces mêmes expressions reviennent souvent dans les auteurs contemporains de Sidonius. Voyez Ruricii Epist. II, 8; Ennodii Epist. VI, a.

Feminam de affectibus suis. — Dans Sidonius et dans beaucoup d’auteurs contemporains, affectus est pris pour désigner les plus proches parents. Cassiod. Var. V, 33. — Ruricii Episi. II, 38; — Salviani De Gubern. Dei.

Vargorum. — Sidonius explique lui-même le sens de ce mot; toutefois on appelait plus proprement du nom de Vargi ceux qui étaient exilés de leur patrie, comme dans la loi Ripuaire XCVII, et dans la loi Salique LVII: « Si quis corpus jam sepultum exfodierit et exspoliaverit, Wargus sit, hoc est expulsus de eodem pago. » Il n’y a pas très loin quelquefois d’un homme errant et fugitif à un homme voleur.

Superventus. — Sidon. Episi. III, 3; VI, 8. — Gregorii Turon., Hist. Franc. III, 16; VIII, 40. Dans ces divers passages, le mot superventus ou superventa signifie tantôt incursion soudaine, tantôt rapine, violence subite et imprévue. Voyez encore Leges Barbarorum antique, tom. II, pag. 42, tit. XVI, de superventis.

LETTRE V.

Clientem puerosque commendo. — « Disce quod etiam aetatis senions servuli, pueri dicantur a dominis, vel a quibusque potioribus, unde et quidam poeta hoc sequendum putavit, sive in eorum usu qui sibi docti et sapientes videntur, ipse hoc repent; sive de nostris ipse transtulit, sive translatum invenit:

« Pascite ut ante boves, pueri, submittite tauros. »

Virg. Eclog. I, 46.

Unde et pueros dicimus, quando servulos significamus, non aetatem exprimentes, sed conditionem. » Ambros. de Abraham, lib. I, cap. IX, 82; —Sidon. Epist. IV, 8; VI, 7.

LETTRE VI.

Foedifragam gentem. — Cette nation fœdifraga, qui rompt les alliances, est probablement celle des Goths, que divers auteurs nous représentent comme trompeuse et perfide. « Suadentibus proximis ut adgrederetur propinquos Gothos saepe fallaces et perfidos. » Ammiani Marcellini XXII,

« Submittent trepidi perfida colla Getae.

Rutilil. Itin. I.

« Gothorum gens perfida, sed pudica. » Salviani de Provid. VII, tom. II.

Ne vester affectus ... duceret, de curae raritate rubiginem. — « Obsolescere enim quadam silentii rubigine animarum foedus existimas. Symm. Epist. VII, 55.

Quam ... corpusculi status, etc. — Quam est ici pour quantum. Sidonius dit ailleurs, Carm. II, v. 541 «

« ………………………..Quae nunc tibi classis et arma

Tractentur, quam magna geras, quam tempore parvo. »

Sperans. — C’est-à-dire, craignant. « Sperat Arverna supplicium. » Sidon. Epist. VII, 7. Et encore Carm. VII, v. 370:

« Quin et Aremoricus pyratam Saxona tractus

Sperabat. »

Interjecti itineris longitudine. — « Neque locorum intercedente divortio in oblivionem familiaritatis adducor. » Symm. Epist. III, 2.

LETTRE VII.

Fonteius occupait le siège de Vaison vers les fêtes de Pâques de l’an 450, comme on peut l’inférer des lettres de St. Léon aux évêques des Gaules, et des lettres des évêques des Gaules à St. Léon, ou se trouve la signature de Fontéius. L’évêque de Vienne (on ne le nomme pas) avait ordonné un pontife pour la ville de Vaison; le P. Boyer croit que c’était Fontéius. Quelques évêques des Gaules en écrivirent au pape Léon, afin que sa prudence et son autorité terminassent les troubles qu’une pareille ordination avait causés. L’évêque de Vienne se plaignait de ce que celui d’Arles s’était attribué, par une usurpation manifeste, le droit de consacrer l’évêque de Vaison, et, prenant le devant, il envoya d’abord des messagers en grande hâte, pour prévenir l’esprit du Pape. Ravennius d’Arles assembla les évêques de sa province, et députa en même temps au souverain Pontife un prêtre nommé Pétronius et un diacre nommé Régulus, chargés d’une requête. La réponse de St. Léon à cette lettre est du Ve de mai de l’an 450, et porte les noms de dix-neuf évêques, parmi lesquels se trouve Fontéius. Ce grand pape dit d’abord que l’évêque de Vienne les avait devancés par ses lettres et par ses députés, se plaignant en particulier que l’évêque d’Arles eût usurpé sur lui le droit d’ordonner l’évêque de Vaison : « Petitionem fraternitatis vestrae Viennensis episcopus proevenerat, conquerens Arelatensem episcopum ordinationem sibi Vasensis antistitis usurpasse. Leonis Pape Epist. V ad Episcopos Provinciœ. Voyez Sirmond, Concil. Gall., tom. I, pag. 91. St. Léon ne décide rien touchant cette prétendue usurpation, il semble au contraire l’approuver; car, après avoir dit qu’Arles et Vienne avaient joui, tantôt l’une, tantôt l’autre, de divers avantages, il ordonne que l’évêque de Vienne préside aux quatre villes voisines, Valence, Tarentaise, Genève et Grenoble, et que les autres villes épiscopales soient sous la juridiction de l’évêque d’Arles.

Le même jour il écrivit à Ravennius, pour le charger de faire connaître à tous les évêques des Gaules sa lettre à Flavien de Constantinople et celle de St. Cyrille, qui portaient la condamnation d’Eutychès. Ravennius fit assembler à Arles tous les évêques des deux Narbonnaises, de la Viennoise et des Alpes Maritimes, pour leur communiquer la lettre du Pape; ils lui écrivirent leur tour, et le remercièrent de l’honneur qu’il leur fiait; on trouve parmi les signataires Fontéius de Vaison. Dans la réponse que le Pape fit le premier de février 452, on voit encore les noms des mêmes évêques; il loue surtout leur doctrine et leur foi. Fontéius est encore nommé dans une lettre du pape Hilarus, au sujet de Mamert de Vienne.

Si tout cela peut nous donner de lui une grande idée, ses rapports avec Sidonius sont plus capables encore de nous faire connaître quelle estime on avait dans le monde pour sa puissance, pour sa vertu, pour sa charité et sa libéralité. Sidon. Epist. VI, VII, 4. Fontéius fut présent au concile d’Arles tenu contre les Prédestinatiens, en 475 ; depuis cette époque, l’histoire ne nous dit rien de lui. Boyer, Hist. de l’Eglise cathédrale de Vaison, pag. 24 et — Gall. Christ., tom. III, pag. 1135, anc. édit. — Tillemont, Mémoires, tom. XVI, pag. 106, etc. — Hist. litt. de la France, tom. II, pag. 410.

Ut adhuc ulcerosae conscientiae. — Sidonius parle souvent de lui-même avec cette humilité chrétienne. Epist.VI, 1 et 9 ; VII, 9 ; IX, 2.

LETTRE VIII.

Apicum oblator. — Le lecteur Amantius.

Catapli recentis nundinas adit. KatoplouV, entrée des navires dans un port; Sidoine emploie de nouveau le même terme, Epist. VII, 7. Martial a dit, pour désigner un navire marchand Epig. XII, 75

 « Cum tibi Nillacus portet cristalla cataplus. »

Et Ausone, Clar. urb. XIII, v. 20

Et quidquid vario per flumina, per freta cursu

Advehitur, toto tibi navigat orbe kataplouV. »

Civi ... epistolam, clerico ... formatam. On appelait lettres formées ou canoniques les attestations que l’on donnait aux évêques, aux prêtres et aux clercs, lorsqu’ils étaient obligés de voyager. Le concile de Laodicée, de l’an 366; celui de Milève, de l’an 402; celui de Meaux, de l’an 845, ordonnent aux prêtres et aux clercs obligés de voyager, de demander à leur évêque des lettres canoniques, et défendent d’admettre à la communion et aux fonctions ecclésiastiques ceux qui n’ont pas pris cette précaution. Un concile de Carthage, de l’an 397, défend aussi aux évêques de passer la mer sans avoir reçu du primat ou du métropolitain des lettres semblables.

Cette précaution était nécessaire, surtout dans les premiers siècles, soit pendant le temps des persécutions, lorsqu’il était dangereux de se fier à des étrangers qui auraient pu se donner pour chrétiens, sans l’être en effet, soit pour ne pas communiquer avec des hérétiques, soit enfin pour ne pas être trompés par des hommes qui se seraient faussement attribué les privilèges de la cléricature. Aujourd’hui encore il est d’usage, dans les divers diocèses, de ne laisser exercer aucune fonction à un prêtre étranger, s’il n’est pas muni d’un exeat ou d’une attestation de son évêque, à moins qu’il ne soit suffisamment connu d’ailleurs.

On prenait de grandes précautions dans les lettres formées, afin qu’elles ne pussent être contrefaites. On écrivait au haut de la lettre les premiers caractères grecs du nom des trois personnes de la Trinité, et de celui de saint Pierre, pour marquer qu’on était en communion avec le Saint-Siège, et de cette manière: P. U. A. P. Ces lettres, aussi bien que celles du mot Amen qui était à la fin, étaient censées numérales, comme elles le sont en grec, et toutes ensemble formaient le nombre 660, commun à toutes les lettres formées. Mais de plus on prenait la première lettre du nom de celui qui écrivait, la seconde du nom de celui à qui on écrivait, la troisième du nom de celui pour qui l’on écrivait, et la quatrième du nom de la ville où l’on écrivait. Toutes ces lettres, avec l’indication courante, formaient encore un certain nombre qui était exprimé dans le contenu de la lettre formée, signée de l’évêque qui la donnait, et scellée de son sceau. On prétend que ce fut le concile de Nicée qui traça ce modèle; les évêques le tenaient secret, afin que les faussaires ne pussent l’imiter. Le tome II des Conciles du P. Sirmond présente plusieurs formules de ces lettres, qui étaient encore en usage dans le IXe siècle. Bergier, Dict. de Théologie, au mot Lettres. — Longueval, Hist. de l’Eglise gall., tom. I, pag. 447.

LETTRE IX.

Quia vicinaretur innocentiae festinata correctio. — Un poète, Voltaire, je crois, a très bien dit: « Dieu fit du repentir la vertu des mortels. »

Immane dominamini. — « Quibus dilectio tui immane dominatur. » Sidon. Epist. III, 3.

LETTRE X.

Debitum glebae canonem non petatur. — Sidonius a dit ailleurs, Carm. XXIII, v 29 : « Usuram petimur, reddimusque. » Il veut parler ici de la redevance, appelée Canon emphytéotique.

LETTRE XI.

Censorius, que plusieurs écrivains appellent Censurius; Ruricii, Epist. II, 50; — les Bollandistes; — Longueval; — Labbe, Novae Bibliotecae, tom. I, pag. 418; — Gallia Christiana, fut fait évêque d’Auxerre, on ne sait pas au juste en quelle année. La Vie de saint Germain par le moine Héric a donné lieu, sur cette matière, à des conjectures que les Bollandistes n’admettent pas, Acta Sanctor., 10 juin. Ils rapportent à l’année 500 la mort du pieux pontife. Lorsque le prêtre Constantius eut offert à Patiens la Vie de saint Germain qu’il avait composée par son ordre, en quelque sorte, il l’envoya aussi à Censorius, avec une lettre que nous avons encore. La voici :

« Domino beatissimo et mihi apostolico honore venerabili Censurio papae, Constantius peccator.

« Prima mihi cura est pudorem conscienti humilis custodire, cujus cancellos si in aliquo forte transgredior, jubentum magis culpa, quam mea est. Itaque ut vitam gestaque beatissimi Germani episcopi ex parte peratringerem, patris vestri sancti antistitis Patientis fecit auctoritas; cujus preceptioni, si non ut debui, ut potui tamen parui. Cumque obedientia mea ad beatitudinis vestrae notitiam pervenisset, ut iterato in temeritatem prorumperem, praecepistis, jubendo ut paginula, quae adhuc intra secreti vicinia tenebatur, longius, me auctore, procederet, essemque ipse reatus mei quodammodo et accusator et proditor. Rejecto itaque pudoris velamine, obtemperans jussioni, transmisi vobis impensa devotionis obsequium, pro fiducia caritatis deposcens ut duplici me favore tueamini, quatenus et legentum examen evadam, et ministerium meum, per intercessionem vestram, domini mei sancti Germani sensibus intimetur. »

Non quod mihi placerat error. — « Cujus mihi quoque esset cordi, si non esset secta despicatui. » Sidon. Epist. III, 4.

LETTRE XII.

Aliquis aliquem, ego illum, etc. — C’est une imitation de Piine, Epist. IX, 3: « Alius alium ego beatissimum existimo... » Aliquis aliquem putel, et non pas laudet, malgré l’autorité de Baronius; Annal. Eccl., tom. VIII, ad ann. 475, édit. du P. Pagi.

Caritatis indage porrecta. Indage pour indagine. Grégoire de Tours a dit : « Eosdemque sollicita indage quaesitos. » Mirac. I, 67.

Praevenis manibus. —Symmaque donne à son père des éloges à peu près semblables. « Solent impatientes dilationis esse, lui dit-il, qui sperant in se aliquid muneris conferendum; hoc vero a vobis recens ortum videmus, ut suarum rerum munifici moram non ferant largiendi. » Epist. I, 3. — Il écrit à son ami Ausone: « Ita animatus es, ut nec opperiaris petitionem, sed solam voluntatis me famam sequaris. » I, 15. Rapprochez d’Apollinaris Sidonius un passage d’Ausone, in Gratiarum Actione, 5-6, pag. 525, édit. de Souchay; un passage d’Eumène, Grat. Act. Constantino Aug., 10-15; dans les Panegyrici veteres du P. de la Baune; puis un dernier passage de Pacatus, Paneg. Theodosii Aug., XIX, 10-15.

Photinianorum. — Les Photiniens étaient des hérétiques du IVe siècle, qui avaient embrassé les erreurs de Photius, évêque de Sirmium ou Sirmich en Hongrie. Si leurs doctrines différaient en quelque chose de celle des Ariens, comme eux cependant ils niaient la génération éternelle du Christ.

Praecipui titulo. — Ce terme de jurisprudence signifie, en général, praecipua pars, c’est-à-dire, une portion qui se prend avant partage.

Quem Graecia sua. — On prétend que Triptolême apprit le premier aux Grecs à cultiver la terre et à semer le blé. Pour enseigner un art si nécessaire, il parcourut, dit-on, divers pays avec deux vaisseaux, que l’on ne manqua pas de métamorphoser en dragons volants, comme le remarque Sidonius. La fable qui dit que Triptolême était monté sur un char tiré par des dragons ailés est tirée d’une équivoque de la langue phénicienne, dont les mots employés dans cette histoire signifiaient également des dragons ailés et un vaisseau garni de pointes de fer, comme le dit Bochart et après lui Le Clerc. Cependant, je serais de l’avis de Philochorus, cité par Eusèbe, qui rapporte que ce vaisseau fut pris pour un dragon volant, parce qu’il portait sur la proue la figure d’un dragon. » Banier, la Mythologie et les Fables expliquées par l’histoire, tom. II, pag. 463. Le parallèle de Triptolême et de St. Patiens pourra sembler quelque peu ridicule; c’est plus convenablement, sans doute, que Sidonius compare le pontife chrétien au patriarche Joseph. — Voyez Mamertin, Gratiarum Act. VIII, 20-25.

Eleusinae superstitionis. — Julius Firmucus, De errore profan. Relig. VII, nous retrace l’origine des superstitions d’Eleusis. Voyez surtout l’abbé Banier, tom. II, pag. 465 et suiv.; — l’abbé Barthélemy, Voyage d’Anacharsis en Grèce.

Seposita mystici intellectus reverentia. — Joseph était la figure de Jésus-Christ. Voyez Adon de Vienne, Chronic. aetate III, tom. XVI, pag. 774 de la Bibliothèque des Pères, édit. de Lyon.

Reienses. — Riez, Reii Apollinarii, Regium, civitas Reiensium. Cette ville est très ancienne, elle figurait déjà dès le temps des Romains; c’était même le chef-lieu d’un peuple dont elle a pris le nom. Voyez l’abbé Expilly, Dict. géographique, hist. et polit. des Gaules et de la France, au mot Riez; — Hadrien de Valois, Notit. Gall., au mot Albici Reiorum.

Avennicus. — Voyez l’abbé Expilly, au mot Avignon; — de Valois, au mot Avenio.

Albensis. — Il y a, dans le texte de Sidonius, Albensis urbis, ce qui désigne Viviers, nommé par les anciens Alba Helviorum. Pascal II le dit en termes formels: Alba quœ et Vivarium dicitur, Epist. ad Guidonem Viennensem. L’abbé Fleury néanmoins, Hist. Eccl. tom. VI, pag. 580; et Guillaume Paradin, Hist de Lyon, traduisent Albensis urbis par Albi : c’est une faute. Voyez de Valois, Notit. Gall. au mot Helvii.

Valentinae. — De Valois, Notit. Gall., au mot Valentia.

Tricastinae. — Cette ville est appelée dans les anciennes Notices Augusta, ou civitas Tricastinorum, d’où s’est formé par corruption le nom de Trois-Châteaux. Elle a pris encore le nom de son IVe évêque, et s’appelle aujourd’hui Saint-Paul Trois Châteaux.

Non te communio provinciae. — Arvernum était une ville de la première Aquitaine; Lugdunum était la métropole de la première Lyonnaise.

Ex legato nuncius ero. — « Ait enim, ex advocato nuntius factus sum. » Plinii Epist. IV, 11.

Amaris, desidaris. — Amaris, frequentaris, etc. Sidon. Epist. V, 5. Dans les Commentaires du Ier volume de cet ouvrage, nous avons consacré à St. Patiens une Notice un peu étendue.