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SIDOINE APOLLINAIRE

LETTRES

 

LIVRE III

Étude sur Sidoine Apollinaire et sur la société gallo-romaine au cinquième siècle.

avant-propos

Notice sur Sidoine Apollinaire


lettres  livre I  lettres livre II lettres livre IV

 

 l

 

LIVRE TROISIÈME.

LIBER TERTIUS.

LETTRE I.

SIDONIUS A SON CHER AVITUS, SALUT.

EPISTOLA PRIMA.

Sidonius Avito suo salutem.

Nous avons été unis dès l'enfance par des nœuds d'amitié qui n'ont fait que se resserrer avec l'âge. D'abord, nos mères étaient étroitement unies par les liens du sang; ensuite, nous sommes nés dans le même temps, nous avons eu les mêmes maîtres, nous avons été façonnés aux mêmes sciences, récréés par les mêmes jeux, élevés aux honneurs par les mêmes princes, nous avons porté les armes ensemble; et, ce qui est bien plus fort, bien plus efficace pour cimenter [amitié, nous nous sommes parfaitement rencontrés dans le choix de certaines personnes, dans l'aversion de quelques autres. Aussi, à part tes lumières qui l'emportent de beaucoup sur les miennes, cette conformité dans nos actions avait étroitement uni nos volontés. Mais il faut avouer que tu as mis le comble à l'édifice de notre affection, en enrichissant l'église de la ville municipale d'Auvergne, dont je suis le chef, malgré mon peu de mérite, et en lui offrant la terre de Cuticiac qui touche aux faubourgs ; ce présent si opportun et si beau, dont tu honores la fraternité de notre profession, ne se recommande pas moins par la proximité du lieu que-par les revenus.

Et, quoique vous soyez deux à partager l'héritage de votre sœur, néanmoins celle qui te reste, touchée de l'exemple de ta foi, a imité ta bonne œuvre. Aussi reçois-tu du Ciel, avec justice, la récompense de ton action, et de celle qu'elle a occasionnée. De là vient que Dieu t'a trouvé digne d'être honoré d'une belle et extraordinaire succession; il n'a pas différé de récompenser ton zèle religieux, en te rendant au centuple; j'ai aussi la confiance qu'il ne laissera pas, même après ces faveurs terrestres, de t'octroyer libéralement les célestes faveurs. Car, si tu l'ignores, la succession Nicétienne a été le prix dont le Ciel a payé ton présent de Cuticiac.

Maintenant, il me reste à te prier d'avoir encore pour la ville la même sollicitude que tu montres pour notre église; si tu la protégeais autrefois, ton patrimoine lui donne aujourd'hui principalement des droits nouveaux à ta protection. Que cette terre ait un grand prix, surtout si vous la visitez souvent; apprenez-le des Goths qui, dégoûtés plus d'une fois de leur Septimanie, débordent au dehors, pour posséder, même après l'avoir dévasté, ce petit coin de terre qui excite leur envie. Mais il nous est permis, Dieu étant notre guide, et vous notre médiateur entre les Goths et la république, de concevoir des espérances meilleures. Car, lors même que rompant ses anciennes limites, cette nation turbulente viendrait, de toute sa valeur et de toute sa masse, à reculer jusques au Rhône et à la Loire les frontières de son domaine, l'autorité que vous donne l'ascendant de votre prudence gouvernerait néanmoins les deux partis, de manière que le nôtre saurait ce qu'il devrait refuser aux demandes qui lui seraient adressées, et que l'autre cesserait de demander ce qui lui aurait été refusé. Adieu.

Multis quidem vinculis caritatis ab ineunte pueritia, quidquid venimus in juventutem, gratiae sese mutuae cura nexuerat. Primum quia matribus nostris summa sanguinis juncti necessitudo. Dein quod ipsi iisdem temporibus nati, magistris usi, artibus instituti, lusibus otiati, principibus evecti, stipendiis perfuncti sumus: et quod est ad amicitias ampliandas his validius efficaciusque, in singulis quibusque personis, vel expetendis aequaliter vel cavendis, judicii parilitate certavimus. Propter quae omnia, praeter conscientiam quae interius tibi longe praestantior eminentiorque, multum voluntates nostras copulaverat decursarum forinsecus actionum similitudo. Sed, quod fatendum est, diu erectis utriusque amoris machinis, ipse culmina pretiosa posuisti, ecclesiam Arverni municipioli, cui praepositus etsi immerito videor, peropportuna oblatione locupletando: cujus possessioni plurimum contulisti Cuticiacensis praedii suburbanitate, non minus nostrae professionis fraternitatem loci proximitate dignatus ditare, quam reditu.

Et licet sororiae haereditatis duo consortes esse videamini, exemplo tamen fidei tuae, superstes germana commota est ad boni operis imitationem. Itaque tibi coelitus jure redhibetur tui facti meritum, alieni incitamentum. Quo fit ut reperiare dignissimus, quem divinitas inusitato successionum genere sublimet: quae tamen nec diu distulit religiosam devotionem centuplicatis opulentare muneribus: quaeque ut confidimus, nihilo segnius coelestia largietur, cum terrena jam solverit. Nicetiana namque, si nescis, haereditas Cuticiaci supernum pretium fuit.

Quod restat exposcimus, ut sicut Ecclesiae nostrae, ita etiam civitatis aeque tibi sit cura communis: quae cum olim, tum debebit ex hoc praecipue tempore, ad tuum patrocinium vel ob tuum patrimonium pertinere. Quod cujus meriti esse possit, quippe si vestra crebro illud praesentia invisat, vel Gothis credite, qui saepenumero etiam Septimaniam suam fastidiunt vel refundunt, modo invidiosi hujus anguli etiam desolata proprietate potiantur. Sed fas est, praesule Deo, vobis inter eos et rempublicam mediis, animo quietiora concipere. Quia etsi illi, veterum finium limitibus effractis, omni vel virtute vel mole, possessionis turbidae metas in Rhodanum Ligerimque proterminant: vestra tamen auctoritas pro dignitate sententiae sic partem utramque moderabitur, ut et nostra discat, quid debeat negare cum petitur, et poscere adversa desinat, cum negatur. Vale.

LETTRE II.

R1DONIUS A SON CHER CONSTANTIUS, SALUT.

EPISTOLA II.

Sidonius Constantio suo salutem

Le peuple Arverne te salue, lui dont tu as rempli les humbles chaumières de ta noble présence, sans une escorte ambitieuse, mais entouré de l'affection publique. Bon Dieu! quelle fut la joie de nos malheureux citoyens, lorsque tu portas ton pied sacré dans leurs murs à demi-détruits ! Comme on voyait se presser en foule autour de toi tous les rangs, tous les sexes, tous les âges ! Comme tu mettais tes paroles à la portée de tout le monde ! Comme tu parus caressant aux enfants, civil aux jeunes gens, et grave à nos vieillards! Combien de larmes tu répandis, comme leur père commun, sur des édifices renversés par l'incendie, et des domiciles à demi-consumés par les flammes ! Quelle douleur n'éprouvas-tu pas à la vue de ces champs ensevelis sous des ossements sans sépulture ! Avec quelle chaleur, avec quel courage ne les engageas-tu pas à réparer ces ruines! Bien plus, tu avais trouvé notre ville aussi dépeuplée par les dissensions intérieures que par l'incursion des Barbares; en conseillant la paix à tous nos citoyens, tu leur as rendu la concorde, tu les as rendus à leur patrie. Tes avis les ont également ramenés au sein de leur ville, et à des opinions uniformes; et si les murs te doivent le retour des citoyens, les citoyens te doivent la concorde qui règne parmi eux. Ils pensent tous que tu leur appartiens, ils croient tous l'appartenir aussi: et ce qui fait le comble de ta gloire, c'est qu'ils ne se trompent pas; car il n'est aucun d'eux qui ne se rappelle chaque jour que, malgré ton grand âge, malgré tes infirmités, malgré la splendeur de ta noblesse et l'éclat de tes vertus, guidé par ton amour seul, tu as rompu toutes les entraves, toutes les barrières, surmonté tous les obstacles qui s'opposaient à ton voyage, c'est-à-dire, la longueur du chemin, la brièveté des jours, l'abondance des neiges, la disette des fourrages, la solitude des lieux, le désagrément des hôtelleries, la difficulté des routes devenues impraticables par les eaux ou par les gelées, des monceaux de pierres élevés çà et là, des fleuves glacés et dangereux, des collines âpres et rudes, des vallées que sillonnent de nombreux éboulements ; tous ces obstacles, surmontés par toi sans aucun intérêt particulier, t'ont mérité l'amour public.

Il nous reste à prier Dieu qu'il recule selon nos désirs les bornes de ta vie; puisses-tu toujours ainsi ambitionner, recevoir et posséder l'amitié des gens de bien; puisse te suivre l'affection que tu laisses ici ; puisse l'estime dont tu jouis partout, grandir sans cesse et durer toujours ! Adieu.

Salutat te populus Arvernus, cujus parva tuguria magnus hospes implesti, non ambitus comitatu, sed ambiendus affectu. Deus bone! quod gaudium fuit laboriosis, cum tu sanctum pedem semirutis moenibus intulisti? quam tu ab omni ordine, sexu, aetate stipatissimus ambiebare? quae salsi erga singulos libra sermonis? quam te blandum pueri, comem juvenes, gravem senes metiebantur? Quas tu lacrymas, ut parens omnium, super aedes incendio prorutas et domicilia semiusta fudisti? quantum doluisti campos sepultos ossibus insepultis? quae tua deinceps exhortatio, quae reparationem suadentis animositas?

His adjicitur, quod cum inveneris civitatem non minus civica simultate, quam barbarica incursione vacuatam, pacem omnibus suadens, caritatem illis illos patriae reddidisti. Quibus tuo monitu non minus in unum consilium, quam in unum oppidum revertentibus, muri tibi debent plebem reductam, plebs reducta concordiam. Quocirca satis te toti suum, satis se toti tuos aestimant: et, quae gloria tua maxima est, minime falluntur. Obversatur etenim per dies mentibus singulorum; quod persona aetate gravis, infirmitate fragilis, nobilitate sublimis, religione venerabilis, solius dilectionis obtentu, abrupisti tot repagula, tot objectas veniendi difficultates: itinerum videlicet longitudinem, brevitatem dierum, nivium copiam, penuriam pabulorum, latitudines solitudinum, angustias mansionum, viarum voragines, aut humore imbrium putres, aut frigorum siccitate tribulosas: ad hoc aut aggeres saxis asperos, aut fluvios gelu lubricos, aut colles ascensu salebrosos, aut valles lapsuum assiduitate derasas: per quae omnia incommoda, quia non privatum commodum requirebas, amorem publicum retulisti.

Quod restat, Deum precamur, ut aevi metis secundum vota promotis, bonorum amicitias indefessim expetas, capias, referas: sequaturque te affectio, quam relinquis: et initiatae per te ubicunque gratiae, longum tibi redhibeantur quam fundamenta, tam culmina. Vale.

LETTRE III.

SIDONIUS A SON CHER ECDICIUS, SALUT.

EPISTOLA III.

Sidonius Ecdicio suo salutem.

Si jamais tu fus désiré par mes Arvernes, c'est aujourd'hui surtout; ils ont pour toi un amour extrême, et certes, ce n'est pas sans de grandes raisons. D'abord, la terre qui nous a vus naître doit toujours tenir la première place dans nos affections; puis, tu es presque le seul homme de ton siècle dont la naissance ait été aussi désirée par la patrie, qu'elle lui a causé de joie; la preuve de cela, c'est que tous les instants de la grossesse de ta mère étaient comptés par les vœux unanimes des citoyens. J'omets des choses communes, à la vérité, mais qui cependant augmentent l'affection du peuple : je ne dis pas que tu as commencé de marcher dans ces champs; je ne dis pas qu'ici d'abord tu as foulé le gazon, passé les fleuves à la nage, poursuivi les animaux dans les forêts; qu'ici la balle, les dés, l'épervier, le chien, le cheval et l'arc furent ion premier amusement; je ne dis pas que c'est à cause de ton enfance que l'on vit accourir ici de toutes parts ceux qui voulaient se livrer à l'étude des lettres; que l'on te fut redevable alors de ce que les nobles, pour déposer la rudesse du langage celtique, s'exerçaient tantôt dans le style oratoire, tantôt dans les modes poétiques. Une chose t'a gagné surtout l'affection générale, c'est que tu as empêché de devenir Barbares, ceux qu'autrefois tu forças à être Latins. Les cœurs de tes concitoyens ne pourront jamais oublier combien naguères tu parus grand aux personnes de tout âge, de toute condition, de tout sexe, lorsqu'on te vit, du haut des murs à demi-abattus, franchir les plaines jetées entre toi et les troupes ennemies, puis, accompagné seulement de dix-huit cavaliers, passer en plein jour, en pleine campagne, à travers des milliers de Goths, action que la postérité croira difficilement. Au bruit de ta renommée, à ton aspect, la stupeur s'empara d'une armée très-belliqueuse; les chefs, saisis d'étonnement, ne savaient combien était grand le nombre de leurs soldats, et combien était petit celui des tiens. Les bataillons ennemis se replièrent aussitôt sur le sommet d'une colline escarpée; ils étaient occupés à faire le siège; tu parus, ils n'osèrent se ranger en bataille. Cependant, après avoir abattu quelques-uns des principaux, que leur audace et non leur lâcheté avait fait rester derrière les autres, tu demeuras seul maître d'une plaine immense, sans avoir, en un si grand combat, perdu aucun des tiens, quoiqu'ils fussent beaucoup moins nombreux que [les convives qui s'asseyent d'ordinaire à ta table.

Maintenant, les salutations, les applaudissements, les larmes, les fêtes qui t'accueillirent lorsqu'avec la paix tu rentras dans la ville, il serait plus facile à mes vœux de les imaginer, qu'à mes paroles de les redire. On voyait la foule inondant l'atrium de ta vaste maison, pour contempler ton retour et ton heureux triomphe : les uns font disparaître sous les baisers la poussière qui te couvre; les autres saisissent le mors de tes coursiers, remplis de sang et d'écume; ceux-ci renversent tes selles, toutes trempées de sueur; ceux-là détachent les liens de ton casque ; quelques-uns s'empressent de dénouer tes bottes ; d'autres comptent les brèches de tes glaives, émoussés des coups qu'ils ont portés, ou mesurent avec leurs doigts pâles et tremblants les coups d'estoc et de taille dont tes cuirasses gardent l'empreinte. Quoique plusieurs citoyens, bondissant d'allégresse, serrassent entre leurs bras les compagnons de ta gloire, vers toi néanmoins se portait toute l'ardeur de la joie populaire; tu arrivais au milieu d'une foule sans armes, mais dont tu n'eusses pu te dégager, même en étant armé. Tu supportais de bonne grâce les inepties de ceux qui venaient te féliciter; et tandis que la foule tumultueuse se disputait l'honneur de tes embrassements, tu en étais venu jusqu'à te voir contraint, pieux interprète de l'amour public, à rendre de plus abondantes actions de grâce aux personnes qui te faisaient la plus libre injure.

Je ne dis pas non plus que tu rassemblas à tes frais une espèce d'armée, peu secondé d'ailleurs des richesses de tes ancêtres, que tu arrêtas les courses des Barbares, et que tu les châtias de leurs dévastations. Je ne dis pas que plus d'une fois tu tombas à l'improviste sur l'ennemi, et que tu parvins à mettre en pièces plusieurs de ses escadrons, sans perdre plus de deux ou trois de tes soldats. Tu causas tant de désastres dans l'armée des Goths par tes attaques inopinées, qu'ils méditèrent le dessein de cacher honteusement le grand nombre de leurs morts. Ceux qu'une trop courte nuit avait empêché d'inhumer, ils les abandonnèrent après leur avoir coupé la tête, comme si des troncs informes eussent été un moindre indice de leur défaite sanglante, que la couleur des cheveux. Au retour de la lumière, les Goths comprenant que cette ignominieuse barbarie avait encore plus dévoilé toutes leurs pertes, se hâtèrent de rendre les derniers devoirs à leurs morts; mais leur diligence ne cachait pas mieux leur fraude, que leur fraude n'avait caché leur défaite ; ils ne couvraient pas même d'un peu déterre les corps de leurs compagnons, et ne leur donnaient ni vêtements après les avoir lavés, ni sépulture après les avoir ensevelis, dignes funérailles d'un pareil trépas. Les morts, entassés sur des chariots dégoûtants de sang, étaient étendus de côté et d'autre; comme tu poursuivais l'ennemi sans relâche, les cadavres jetés a la hâte dans les chaumières en flamme, trouvaient un bûcher funéraire sous les ruines des toits croulants.

Mais pourquoi m'arrêter plus longtemps au récit de tes exploits ? Mon dessein n'est pas de faire l'histoire entière de tes travaux, j'ai seulement osé en rappeler quelques-uns, afin que tu ajoutes foi aux vœux de tes concitoyens ; leur pénible attente n'aura pas de plus prompt ai de plus salutaire soulagement que ta présence. Si donc tu n'es pas insensible à leurs prières, hâte-toi de revenir dans ta patrie, et cesse de cultiver la dangereuse amitié des rois. Les plus sages la comparent avec raison à la flamme, qui de loin nous éclaire, et de trop près nous brûle. Adieu.

Si quando, nunc maxime Arvernis meis desideraris, quibus dilectio tui immane dominatur, et quidem multiplicibus ex causis. Primum quod summas in affectu partes jure sibi usurpat terra quae genuit. Dein quod saeculo tuo solus ferme mortalium es, qui patriae non minus desiderii nasciturus, quam gaudii natus feceris. Astipulantur assertis materni quondam puerperii tempora, quae proficiente conceptu concordantibus civium votis numerabantur. Omitto illa communia quidem, sed quae non mediocria caritatis incitamenta sunt, istius tibi reptatas cespitis glebas. Praetereo quod haec primum gramina incessu, flumina natatu, venatu nemora fregisti. Omitto quod hic primum tibi pila, pyrgus, accipiter, canis, equus, arcus ludo fuere. Mitto istic ob gratiam pueritiae tuae undique gentium confluxisse studia litterarum, tuaeque personae quondam debitum, quod sermonis Celtici squamam depositura nobilitas, nunc oratorio stylo, nunc etiam camoenalibus modis imbuebatur. Illud in te affectum principaliter universitatis accendit, quod quos olim Latinos fieri exegeras, barbaros deinceps esse vetuisti. Non enim potest unquam civicis pectoribus elabi, quem te, quantumque nuper omnis aetas, ordo, sexus e semirutis murorum aggeribus conspicabantur, cum interjectis aequoribus in adversum perambulatis, et vix duodeviginti equitum sodalitate comitatus, aliquot millia Gothorum; non minus die quam campo medio (quod difficile sit posteritas creditura) transisti. Ad nominis tui rumorem personaeque conspectum, exercitum exercitatissimum stupor obruit: ita ut prae admiratione nescirent duces partis inimicae, quam se multi, quamque te pauci comitarentur. Subducta est tota protinus acies in supercilium collis abrupti: quae cum prius applicata esset oppugnationi, te viso non est explicata congressui. Interea tu caesis quibusque optimis, quos, novissimos agmini non ignavia, sed audacia fecerat, nullis tuorum certamine ex tanto desideratis, solus planitie quam patentissima potiebare, cum tibi non daret tot pugna socios, quot solet mensa convivas.

Hinc jam per otium in urbem reduci, quid tibi obviam processerit officiorum, plausuum, fletuum, gaudiorum, magis tentant vota conjicere, quam verba reserare. Siquidem cernere erat refertis capacissimae domus atriis, illam ipsam felicissimam stipati reditus tui ovationem: dum alii osculis pulverem tuum rapiunt, alii sanguine ac spumis pinguia lupata suscipiunt, alii sellarum equestrium madefacta sudoribus fulera resupinant, alii de concavo tibi cassidis exituro flexilium laminarum vincula diffibulant, alii explicandis ocrearum nexibus implicantur, alii hebetatorum caede gladiorum latera dentata pernumerant, alii caesim atque punctim foraminatos circulos loricarum digitis livescentibus metiuntur. Hic licet multi complexibus tuorum tripudiantes adhaerescerent, in te maximus tamen laetitiae popularis impetus congerebatur: tandemque in turbam inermem quidem veneras, sed de qua te nec armatus evolveres: ferebasque nimirum eleganter ineptias gratulantum; et dum irruentum tumultuoso diriperis amplexu, eo conditionis accesseras, piissimus publici amoris interpres, ut necesse esset illi uberiorem referre te gratiam, qui tibi liberiorem fecisset injuriam.

Taceo deinceps collegisse te privatis viribus publici exercitus speciem, parvis extrinsecus majorum opibus adjutum, et inferiores hostium ante discursus castigatis coercuisse populatibus. Taceo te aliquot superventibus cuneos mactasse turmales, e numero tuorum vix binis ternisve post praelium desideratis: et tantum calamitatis adversae partis inopinatis certaminibus inflictum, ut occulere caesorum numerositatem consilio deformiore meditarentur. Siquidem quos humari nox succincta prohibuerat, decervicatis liquere cadaveribus: tanquam minoris indicii foret, quam villis agnosci crinitum, dimisisse truncatum. Qui postquam luce revoluta, intellexerunt furtum ruinae suae crudeli vilitate patuisse; tum demum palam officiis exsequialibus occupabantur, non magis cladem fraude quam fraudem festinatione celantes: sic tamen, quod nec ossa tumultuarii cespitis mole tumulabant: quibus nec elutis vestimenta, nec vestitis sepulcra tribuebant, juste sic mortuis talia justa solventes. Jacebant corpora undique locorum plaustris convecta rorantibus: quae quoniam perculsis indesinenter incumberes, raptim succensis conclusa domiciliis culminum superlabentium rogalibus fragmentis funerabantur.

Sed quid ego ista haec justo plusculum garrio? qui laborum tuorum non ex asse historiam texere, sed pro parte memoriam facere praesumpsi, quo magis crederes votis tuorum; quorum exspectationi aegrescenti nulla salubrius ociusque, quam tui adventus remedia medicabuntur. Igitur si quid nostratium precatibus acquiescis, actutum in patriam receptui canere festina, et assiduitatem tuam periculosae regum familiaritati celer exime; quorum consuetudinem spectatissimus quisque flammarum naturae bene comparat, quae sicut paululum a se remota illuminant, ita satis sibi admota comburunt. Vale.

LETTRE IV.

SIDONIUS A SON CHER FÉLIX, SALUT.

EPISTOLA IV.

Sidonius Felici suo salutem.

Gozolas, juif de nation, client de ta grandeur, pour qui je me sentirais de l'affection, si je ne méprisais sa secte, te porte une lettre que je t'ai écrite, le cœur grandement affligé. Les armes des nations qui nous entourent épouvantent notre ville, devenue, pour ainsi dire, une barrière entre leurs limites. Placés comme une triste proie au milieu de deux peuples rivaux, suspects aux Burgondes, voisins des Goths, nous sommes exposés à la fureur de nos ennemis, et à l'envie de ceux qui nous défendent. Mais nous parlerons une autre fois de ceci. Cependant, si tout marche parfaitement chez vous, c'est bien. Car, quoique nous soyons punis ouvertement pour des crimes cachés, nous n'avons point un cœur si mal fait, que nous ne désirions de voir le bonheur régner dans les autres contrées. Assurément, celui-là n'est pas moins l'esclave des vices que des ennemis, qui même en des temps mauvais ne sait point former des vœux favorables. Adieu.

Gozolas natione Judaeus, cliens culminis tui, cujus mihi quoque esset persona cordi, si non esset secta despectui, defert litteras meas, quas granditer anxius exaravi. Oppidum siquidem nostrum, quasi quemdam sui limitis oppositi obicem, circumfusarum nobis gentium arma terrificant. Sic aemulorum sibi in medio positi populorum lacrymabilis praeda, suspecti Burgundionibus, proximi Gothis, nec impugnantum ira, nec propugnantum caremus invidia. Sed isthinc alias. Interea si vel penes vos recta sunt, bene est. Neque enim hujusmodi pectore sumus, ut licet apertis ipsi poenis, propter criminum occulta, plectamur; non agi prospere, vel ubicunque velimus. Nam certum est, non minus vitiorum, quam hostium esse captivum, qui non etiam inter mala tempora bona vota servaverit. Vale.

LETTRE V.

SIDONIUS A SON CHER HYPATIUS, SALUT.

EPISTOLA V.

Sidonius Hypatio suo salutem.

Si un personnage considérable, et rempli d'estime et d'admiration pour vos mœurs, comme Donidius, n'avait eu d'autre mobile que son intérêt particulier, il se serait adressé lui-même à vous pour obtenir ce qu'il demande, et n'aurait point eu besoin de médiateur ; mais, connaissant l'affection que je lui porte, il m'a prié de vous demander ce qu'il eût d'ailleurs obtenu par lui-même. Ainsi donc, ce qui ajoute encore à votre gloire, c'est que nous sommes deux débiteurs, quoique vous n'ayez répandu vos grâces que sur un seul. La moitié de la terre d'Ebreuille, entièrement ruinée, même avant l'incursion des Barbares, et qui appartient maintenant à une famille patricienne, Donidius désire que, par votre suffrage, il puisse l'ajouter à ses biens. Ce qui l'excite à faire ce marché, ce n'est point la cupidité, mais le respect qu'il doit à la mémoire de ses aïeux; cette terre, dans toute son étendue, a toujours fait partie du domaine de sa famille, jusqu'à la mort de son beau-père, arrivée récemment. Mon ami, peu envieux du bien des autres, économe du sien, ne souffre pas tant de la perte de cette ancienne possession, que de la honte de la voir passer en des mains étrangères. Et s'il s'efforce de racheter cette terre, ce n'est pas l'avarice, mais l’honneur qui l'y contraint.

Daigne donc avoir égard à ses vœux, à mes prières, à notre amitié, faire en sorte qu'il rentre en possession de tonte cette campagne; c'est un bien de famille, qu'il ne connaît pas seulement, mais dans lequel il fut nourri dès sa plus tendre enfance, et s'il n'a pas un grand avantage à la recouvrer, il regarderait comme une honte de ne l'avoir pas rachetée. Quant à moi, je t'aurai autant d'obligation, que si je voyais tourner à ma propre utilité tout ce qu'obtiendra de toi un homme qui est mon père par l'âge, mon fils par la profession, mon concitoyen par la patrie, mon ami par la fidélité Adieu.

Si vir spectabilis, morumque vestrorum suspector admiratorque Donidius solam rationem domesticae utilitatis habuisset, satis abundeque sufficeret fides vestra commodis suis, etsi nullus intercessor accederet. Sed amore meo ductus est, ut quod ipse per se impetraverat, me faceret postulare. Itaque nunc honori vestro hic quoque cumulus accrescit, quod duo efficimur debitores, cum tamen unus e nobis beneficium consequatur. Eborolacensis praedii etiam ante barbaros desolatam medietatem, quae domus patriciae jura modo respicit, suffragio vestro juri suo optat adjungi. Neque ad hanc nundinationem stimulo cupiditatis, sed respectu avitae recordationis adducitur. Siquidem fundi ipsius integritas familiae suae dominium, usque in obitum vitrici nuper vita decedentis, aspexit. Nunc autem vir alieni non appetens, sui parcus, possessionis antiquae a se alienatae non tam damno angitur quam pudore: quam ut redimere conetur, non avaritiae vitio, sed verecundiae necessitate compellitur. Tribuere dignare votis suis, precibus meis, moribus tuis, ut ad soliditatem ruris istius te patrocinante perveniat, cui rem parentum, sibique non solum notam, verum etiam inter lactentis infantiae rudimenta reptatam, sicut recepisse parum fructuosum, sic non emeruisse nimis videtur ignavum. Ego vero tantum obstringar indultis, ac si meae proficiat peculiariter proprietati, quidquid meus aetate frater, professione filius, loco civis, fide amicus, acceperit. Vale.

LETTRE VI

SIDONIUS A SON CHER EUTROPIUS, SALUT

EPISTOLA VI.

Sidonius Eutropio suo salutem.

Si vous vous rappelez que nous avons servi ensemble, et que depuis lors notre amitié s'est toujours accrue, vous comprendrez facilement que, vous voyant parvenu au comble des dignités, je suis aussi au comble de mes désirs. Nous vous félicitons tons sur vos faisceaux, persuadés qu'ils ne servent pas moins à fortifier notre amitié, qu'à élever votre maison. J'en ai pour garant cette lettre, dans laquelle mes exhortations ne furent pas sans influence sur votre esprit; cette lettre ne put qu'avec peine vous engager à réunir la préfecture à la philosophie. Disciple zélé de Plotin, l'école de Platon vous avait entraîné dans une oisiveté profonde et un repos intempestif; j'ai toujours soutenu que cette manière de vivre ne serait excusable que lorsqu'on ne devrait plus rien à sa famille. Ce mépris des emplois semblait trop voisin de la paresse; les envieux ne manquent pas de dire que c'est moins le peu d'ambition que le défaut de mérite, qui empêche les hommes d'une naissance distinguée de s'élever aux honneurs. Nous commençons donc, ainsi qu'il est juste, par rendre d'abondantes actions de grâces au Christ, qui, après avoir fait descendre ta grandeur d'aïeux illustres, t'élève maintenant à des titres dignes de toi ; et nous concevons pour l'avenir de meilleures espérances. Le peuple de notre province dit ordinairement que c'est moins une abondante récolte, que les grands personnages placés à la tête du gouvernement, qui rendent une année heureuse. C'est donc à vous, illustre seigneur, de récompenser notre attente par une sage administration. En se rappelant ton origine, toute la noblesse s'est persuadée que nous n'aurons point à craindre la famille de Sabinianus, tant que celle de Sabinus nous gouvernera. Adieu.

Si veteris commilitii, si deinceps innovatae per dies gratiae bene impraesentiarum fides vestra reminiscitur, profecto intelligitis ut vos ad dignitatum, sic nos ad desideriorum culmina ascendere. Ita namque fascibus vestris gratamur omnes, ut erectam per illos non magis vestram domum quam nostram amicitiam censeamus. Testis est ille tractatus, in quo exhortationis meae non minimum incitamenta valuerunt: quibus vix potuistis adduci, ut praefecturam philosophiae jungeretis, cum vos consectanei vestri Plotini dogmatibus inhaerentes, ad profundum intempestivae quietis otium Platonicorum palaestra rapuisset: cujus disciplinae tunc fore astruxi liberam professionem, cum nil familiae debuisset. Porro autem desidiae vicinior putabatur contemptus ille militiae, ad quam jactitant lividi, bonarum partium viros non posse potius quam nolle conscendere. Igitur quod loco primore fieri par est, agimus gratias uberes Christo, qui statum celsitudinis tuae, ut hactenus parentum nobilitate decorabat, ita etiam nunc titulorum parilitate fastigat: simul et animorum spebus erectis fas est de caetero sperare meliora. Certe creber provincialium sermo est, annum bonum de magnis, non tam fructibus quam potestatibus aestimandum. Qua de re vestrum est, domine major, exspectationem nostram competentibus dispositionibus munerari. Nam memor originis tuae nobilium sibi persuasit universitas: quandiu nos Sabini familia rexerit, Sabiniani familiam non timendam. Vale.

LETTRE VII.

SIDONIUS A SON CHER FÉLIX, SALUT.

EPISTOLA VII.

Sidonius Felici suo salutem.

Vous restez longtemps sans m'écrire; en cela, nous suivons chacun notre coutume : je babille, et vous, vous taisez. Ton exactitude à remplir tous les autres devoirs de l'amitié, me fait donc regarder en toi, comme une sorte de vertu, que tu ne puisses te lasser d'un pareil repos. Eh quoi ! eu considération de notre ancienne amitié, ne te détermineras-tu jamais à rompre ce silence obstiné? ou ne sais-tu pas que c'est une injure de ne point répondre à un babillard? Tu te tais, relégué au fond de ta bibliothèque ou de ton cabinet, et tu attends de moi quelque faible discours ; toutefois, si tu y fais attention, j'ai plus de facilité que de talent pour écrire. Que ma crainte soit du moins pour toi un sujet de réponse; n'oublie pas de charger de ta lettre les mains de quelque voyageur, afin de tirer tes amis d'inquiétude; dis-nous promptement si, avec le secours de Dieu, le questeur Licinianus nous a trouvé quelque moyen de calmer nos mutuelles alarmes. C'est, dit-on, un personnage illustre parles grades auxquels il aspire, et très-puissant parles charges qu'il possède; un homme élevé par ses relations, et plus élevé encore par l'inspection qui lui a été confiée, remarquable enfin par tous les dons de la nature et delà fortune. Un grand discernement, une égale politesse, la même prudence, la même loyauté font le caractère distinctif de l'envoyé et de celui qui envoie. Rien d'affecté, rien de feint dans Licinianus; la sévérité de ses discours est plutôt naturelle qu'imitée; il n'est pas comme beaucoup d'autres qui, exposant avec défiance ce qu'on leur a confié, veulent paraître agir avec plus de précaution. Il n'est point non plus du nombre de ces ministres qui, vendant les secrets de leur prince, cherchent plutôt, dans les traités avec les Barbares, leur avantage propre que celui de leur ambassade. Telle est l'opinion favorable que l'on nous a donnée du caractère de Licinianus. Hâtez-vous de nous dire si toutes ces choses sont vraies, afin qu'ils se reposent un instant de leurs veilles assidues, ceux que ni la neige, ni la profonde obscurité de la nuit ne peuvent engager à quitter la garde de leurs murailles. Quoique le Barbare se retire dans ses quartiers d'hiver, nos citoyens font taire plutôt qu'ils ne chassent la crainte dont leurs cœurs sont frappés. Donnez-nous donc quelque espoir flatteur, car notre cause ne vous est pas aussi étrangère que notre patrie est éloignée de vous. Adieu.

Longum a litteris temperatis. Igitur utrique nostrum mos suus agitur: ego garrio, vos tacetis. Unde etiam, vir ad reliqua fidei officia insignis, genus reor esse virtutis, tanto te otio non posse lassari. Ecquid? nunquamne respectu movebere familiaritatis antiquae, ut tandem a continuati silentii proposito pedem referas? aut nescis, quia garrulo non respondere convicium est? Tu retices, vel bibliothecarum medius, vel togarum; et a me officium paupertini sermonis exspectas, cui scribendi, si bene perspicis, magis est facilitas quam facultas. Certe vel metus noster materiam tuo stylo faciat. mementoque viatorum manus gravare chartis, quatenus amicorum cura relevetur: et indicare festina, si quam praevio Deo, quaestor Licinianus trepidationi mutuae januam securitatis aperuerit. Persona siquidem est, ut perhibent, magna exspectatione, major adventu, relatu sublimis, inspectione sublimior, et ob omnia felicitatis naturaeque dona monstrabilis. Summa censura, par comitas, et prudentia fidesque misso mittentique conveniens. Nihil affectatum simulatumque, ponderique sermonum vera potius severitas quam severitatis imitatio; et non ut plurimi, qui cum credita diffidenter allegant, volunt videri egisse se cautius. Sed neque ex illorum, ut ferunt, numero, qui secreta dirigentium principum venditantes, ambiunt a barbaris bene agi cum legato potius quam cum legatione. Hunc nobis morum viri tenorem secundus rumor invexit. Mandate perniciter, si vero dicta conquadrant; ut tantisper a pervigili statione respirent, quos a muralibus excubiis non dies ninguidus, non nox illunis et turbida receptui canere persuadent: quia etsi barbarus in hiberna concedat, mage differunt quam relinquunt semel radicatam corda formidinem. Palpate nos prosperis, quia nostra non tam procul est a vobis causa, quam patria. Vale.

LETTRE VIII.

SIDONIUS A SON CHER EUCHERIUS, SALUT.

EPISTOLA VIII.

Sidonius Eucherio suo salutem.

Je vénère les anciens, sans toutefois reléguer au second rang les vertus ou le mérite de mes contemporains. Et si la république romaine est descendue à une si fâcheuse extrémité qu'elle ne récompense jamais ceux qui la servent, ce n'est pas à dire pour cela que notre siècle n'engendre plus ni des Brutus, ni des Torquatus. A quoi tend cela, diras-tu? Je parle de toi à toi-même, brave Eucherius, car la république te doit ce que l'histoire la félicite d'avoir payé à tes devanciers. Ainsi, que les ignorants suspendent leurs sentences téméraires, et qu'ils cessent ou d'admirer ceux qui ne sont plus, ou de dédaigner ceux qui existent encore; il est manifeste que la république retarde ses bienfaits, et que vous les méritez. Au reste, il ne faut pas être grandement surpris, tandis qu'une tourbe d'usuriers administrent avec tyrannie, ou plutôt renversent de fond en comble les forces romaines, si pour tout ce qu'il y a d'hommes éminents, de guerriers supérieurs et élevés au-dessus de notre espérance, comme au-dessus de l'opinion des ennemis, les belles actions sont moins rares que les récompenses. Adieu.

Veneror antiquos, non tamen ita ut qui aequaevorum meorum virtutes aut merita postponam. Neque si Romana respublica in extrema haec miseriarum defluxit, ut studiosos sui nunquam remuneretur, non idcirco Brutos Torquatosque non pariunt saecula mea. Quorsum ista haec? inquis. De te ad te mihi sermo est, vir efficacissime, cui debet respublica, quod supradictis solutum laudat historia. Quapropter ignari rerum temeraria judicia suspendant, nec perseverent satis aut suspicere praeteritos, aut despicere praesentes: quandoquidem facile clarescit, rempublicam morari beneficia, vos mereri. Quanquam mirandum granditer non sit, natione feneratorum non solum inciviliter Romanas vires administrante, verum etiam fundamentaliter eruente, si nobilium virorum militariumque, et supra vel spem nostrae, vel opinionem partis adversae bellicosorum, non tam defuerint facta quam praemia. Vale.

LETTRE IX.

SIDONIUS A SON CHER RIOTHAMUS, SALUT.

EPISTOLA IX.

Sidonius Riothamo suo salutem.

Voici encore une lettre dans le style ordinaire, car je mêle les compliments aux plaintes. Ce n'est pas, certes, que je m'étudie à prendre un ton officieux dans le titre, rude et âpre dans les pages qui le suivent; mais chaque jour il arrive des choses dont un homme de ma naissance ou de mon rang ne saurait parler sans déplaire, qu'il ne peut cacher sans se rendre coupable. Du reste, j'ai égard à vos sentiments d'honneur, qui furent toujours tels, que vous rougissez même des fautes d'autrui.

Le porteur de ma lettre, humble, obscur et d'un caractère à se laisser fouler impunément, se plaint que ses esclaves ont disparu, débauchés en secret par les Bretons. J'ignore si sa plainte est fondée; mais, pourvu que vous confrontiez avec impartialité les parties adverses, je pense que ce malheureux établira facilement ce qu'il allègue : toutefois j'appréhende 'qu'au milieu de gens subtils, armés, turbulents, remplis d'une confiance hautaine à cause de leur force, de leur nombre et de leurs compagnons, un homme isolé, faible, sans crédit, sans usage du monde, étranger et pauvre, ne puisse être entendu avec justice et bonté. Adieu.

Servatur nostri consuetudo sermonis; namque miscemus cum salutatione querimoniam: non omnino huic rei studentes, ut stylus noster sit officiosus in titulis, asper in paginis; sed quod ea semper eveniunt, de quibus loci mei aut ordinis hominem constat inconciliari, si loquatur; peccare, si taceat. Sed et ipsi sarcinam vestri pudoris inspicimus, cujus haec semper verecundia fuit, ut pro culpis erubesceretis alienis.

Gerulus epistolarum, humilis, obscurus. despicabilisque etiam usque ad damnum innocentis ignaviae, mancipia sua, Britannis clam sollicitantibus, abducta deplorat. Incertum mihi est an sit certa causatio: sed si inter coram positos aequanimiter objecta discingitis, arbitror hunc laboriosum posse probare, quod objicit: si tamen inter argutos, armatos, tumultuosos, virtute, numero, contubernio contumaces, poterit ex aequo et bono solus, inermis, abjectus, rusticus, peregrinus, pauper audiri. Vale.

LETTRE X.

SIDONIOS A SON CHER TETRADIUS, SALUT.

EPISTOLA X.

Sidonius Tetradio suo salutem.

Nos jeunes gens méritent de grands éloges, toutes les fois que, ne connaissant pas bien la nature de leurs affaires, ils ont recours aux conseils des hommes habiles. Tel est cet illustre Théodorus, distingué par sa naissance, mais plus remarquable encore par la renommée de sa rare modestie, et qui, appuyé sur ma lettre, s'en va, dans une louable avidité, vers ta personne, c'est-à-dire vers la source véritable du savoir, pour y trouver non-seulement de quoi apprendre, mais peut-être encore de quoi enseigner. Contre les puissants et les factieux, si votre habileté ne le défendait pas assez, les conseils de votre prudence suffiraient pour l'éclair». Répondez, nous vous en conjurons, à moins toutefois que nos communes prières ne vous semblent pénibles et fastidieuses, répondez au jugement que Théodorus porte de vous, au témoignage que je lui en ai rendu; soutenez par une réponse favorable et salutaire, la fortune et la cause chancelante de notre suppliant. Adieu.

Plurimum laudis juvenes nostri moribus suis applicant, quoties de negotiorum meritis ambigentes ad peritorum consilia decurrunt: sicuti nunc vir clarissimus Theodorus, domi quidem nobilis, sed modestissimae conversationis opinione generosior, qui per litteras meas ad tuas litteras, id est ad meracissimum scientiae fontem, laudabili aviditate proficiscitur, non modo reperturus illic ipse quod discat, sed et forsitan relaturus inde quod doceat. Cui contra potentes factiososque, si vestra peritia abundanter non opitularetur, prudentia consulta sufficeret. Respondete, obsecramus, nisi vobis tamen utriusque nostrum sociae preces oneri fastidiove reputabuntur, judicio suo, testimonio meo; et substantiam causamque supplicis fluctuantem medicabilis responsi salubritate fulcite. Vale.

LETTRE XI.

SIDONIUS A SON CHER SIMPLICIUS, SALUT.

EPISTOLA XI.

Sidonius Simplicio suo salutem.

Quoiqu'une sorte de fatalité vienne traverser mes désirs, et que je ne puisse, même aujourd'hui, jouir de ta présence, je n'ignore pas néanmoins, ô le meilleur des hommes, toutes les grandes choses que l'on raconte de ta vie. Tous nos concitoyens, tous nos premiers personnages te louent d'une voix unanime comme le père de famille le plus excellent et le plus distingué. Ce qui confirme de pareils témoignages, c'est le choix que tu as fait d'un tel gendre, l'éducation que tu as donnée à ta fille; dans cette union, tes désirs t’ont été en un doute si heureux, que tu ignores laquelle de ces deux choses te procure le plus de gloire, la prudence de ton choix ou l’instruction de ta fille. Mais toutefois, parents vénérables, soyez sans crainte, car vous surpassez les autres, en ce que vos enfants vous devancent. Ainsi excuse ma première lettre; s’il y avait de la paresse à ne pas l’envoyer d’abord, je crains bien qu’il n’y ait eu un babil indiscret à te l’avoir envoyée. Ce babil cependant ne sera pas condamnable, si tu daignes, par l’échange d’une lettre, absoudre la hardiesse de cette page. Adieu.

Etsi desiderium nostrum sinisteritas tanta comitatur, ut etiam nunc nostris invidearis obtutibus: non idcirco is es, virorum optime, de cujus nos moribus lateant celsa memoratu. Ita cuncti nostrates, iidemque summates viri, optimarum te exactissimarumque partium praestantissimum patremfamilias consono praeconio prosequuntur. Astipulatur huic de te sententiae bonorum, vel sic electus gener, vel educta sic filia: in quorum copula tam felicem tibi controversiam vota pepererunt, ut ambigas, utrum judicio, an institutione superaveris. Sed tamen hinc vel maxime parentes ambo venerabiles este securi: idcirco caeteros vincitis, quod vos filii transierunt. Igitur dona venia litteras primas; quas ut necdum mittere desidia fuerat, ita vereor ne sit misisse garrulitas. Carebit sane nostrum naevo loquacitatis officium, si exemplo recursantis alloquii, impudentiam paginae praesentis absolveris. Vale.

LETTRE XII.

SIDONIUS A SON CHER SECUNDUS SALUT.

EPISTOLA XII.

Sidonius Secundo suo salutem.

Hier, ô douleur! une main profane a presque violé le tombeau de mon aïeul, ton bisaïeul; mais Dieu est intervenu pour empêcher qu’un si grand forfait ne fût consommé. Le champ lui-même où il repose, rempli depuis longtemps de cendres funéraires et de cadavres, ne recevait plus de fosses, voilà déjà bien des années; mais toutefois, la terre que l’on jette sur les morts avait repris son ancien niveau, soit qu’elle se fût affaissée sous le poids des neiges, soit que des pluies fréquentes l’eussent entraînée. C’est pour cela que les fossoyeurs, croyant la place vacante, ont eu la hardiesse de la souiller avec la bêche funéraire. Que dire encore? le gazon, vert auparavant, commençait à devenir noir : il y avait déjà sur le sépulcre antique des mottes de terres fraîchement remuées, lorsqu'en me rendant par hasard à la ville d'Auvergne, j'aperçus, du haut d'une colline prochaine, le crime qui allait se consommer au grand jour; je me précipitai au galop, à travers la plaine et les chemins difficiles, impatient que j'étais du moindre retard, et je prévins par mes cris, avant même d'être arrivé, un audacieux attentat. Pendant que les fossoyeurs, surpris en flagrant délit, ne savaient s'ils devaient fuir ou rester, je les abordai. J'avoue ma faute, je ne pus différer le supplice qu'ils méritaient, et je châtiai ces brigands sur le tombeau même de notre vieillard, autant que l'exigeaient le soin des vivants et le repos des morts. Je ne laissai rien à faire à notre pasteur, et je pourvus en même temps à ma cause et à ce que demandait sa dignité; je craignais que mon droit ne fût trop faiblement vengé, et que l'évêque ne punît mon empressement avec trop de rigueur. Je lui écrivis aussitôt, comme je devais le faire, pour lui exposer la manière dont la chose s'était passée : ce personnage saint et équitable, à qui je ne demandais que mon pardon, me loua de ma colère, en prononçant que, suivant la coutume des anciens, les hommes coupables d'un tel crime paraissaient dignes de mort.

Mais, afin de rendre désormais impossibles de pareils accidents, que cet exemple doit nous porter à prévenir, je demande que sur-le-champ même, en mon absence, la terre dispersée se relève par tes soins et à mes frais, pour former un tertre qui sera couvert d'un marbre poli. J'ai laissé au vénérable Gaudentius le prix de la pierre et le salaire des ouvriers. Les vers qui suivent, je les ai écrits la nuit dernière; ils sont loin d'être parfaits, je crois, car j'étais tout occupé de mon voyage ; quels qu'ils soient d'ailleurs, je te prie de les faire promptement graver sur le marbre. Veille bien à ce que le sculpteur n'aille pas faire de faute ; si cela arrivait ou à dessein, ou par inattention, le lecteur malin me l'attribuerait plutôt qu'à lui. Si tu remplis avec un pieux empressement ce que je te demande, j'en aurai autant de reconnaissance que si tu n'avais pas en cela ta part d'honneur et de mérite, toi qui aurais dû, en qualité de descendant, te charger de tous ces soins et de tous ces devoirs, dans le cas où je me fusse trouvé absent, moi, ton oncle paternel.

« Digne petit-fils de mon aïeul, je lui ai consacré, après la mort de mes oncles paternels et de mon père, cette tardive épitaphe, dans la crainte qu'à l'avenir, toi, voyageur, ignorant quel respect mérite celui qui repose ici, tu ne foules aux pieds la terre affaissée de son tombeau. Ci-gît le préfet Apollinaris; après avoir gouverné les Gaules, il fut reçu dans le sein de sa patrie désolée. Il aima la campagne, s'illustra dans les armes a comme dans le barreau, et, par un exemple dangereux pour les autres, il sut être libre sous le règne des tyrans. Mais sa dignité principale fut d'avoir été le premier d'entre les siens qui, purifiant son front par la croix, ses membres par les eaux du baptême, abandonna un culte sacrilège. La plus grande gloire, la vertu la plus sublime, c'est de surpasser en espérances ceux qu'on égale en honneurs, et d'être placés là-haut par ses mérites au-dessus de ses pères, quand on est ici-bas leurs égaux en titres. »

Je sais que cette épitaphe ne répond pas au savoir de notre ancêtre, mais un bon juge ne s'amuse point à relever des bagatelles. Tu ne trouveras pas sans doute trop tardif le devoir dont nous nous acquittons, comme héritiers au troisième ou au quatrième degré : Alexandre-le-Grand célébra, après plusieurs siècles, les funérailles d'Achille, et Jules César rendit les honneurs funèbres à Hector, comme à l'un de ses ancêtres. Adieu.

Avi mei, proavi tui tumulum hesterno, proh dolor! die manus profana pene temeraverat: sed Deus adfuit, ne nefas tantum perpetraretur. Campus autem ipse dudum refertus tam bustualibus favillis quam cadaveribus, nullam jamdiu scrobem recipiebat! Sed tamen tellus, humatis quae superducitur, redierat in pristinam distenta planitiem, pondere nivali, seu diuturno imbrium fluxu sidentibus acervis. Quae fuit causa ut locum auderent, tanquam vacantem, corporum bajuli rastris funebribus impiare. Quid plura? Jam niger cespes ex viridi; jam supra antiquum sepulcrum glebae recentes, cum forte pergens urbem ad Arvernam, publicum scelus e supercilio vicini collis aspexi; meque equo effuso tam per aequata quam per abrupta proripiens, et morae exiguae sic quoque impatiens, antequam pervenirem, facinus audax praevio clamore compescui. Dum dubitant in crimine reperti, dilaberentur an starent, superveni. Confiteor errorem; supplicia captorum differre non potui: sed supra ipsum senis nostri opertorium torsi latrones, quantum sufficere possit superstitum curae, mortuorum securitati. Caeterum nostro quod sacerdoti nil reservavi; meae causae, suaeque personae praescius, in commune consului; ne vel haec justo clementius vindicaretur, vel illa justo severius vindicaret. Cui cum tamen totum ordinem rei, ut satisfaciens ex itinere mandassem; vir sanctus et justus iracundiae meae dedit gloriam, cum nil amplius ego veniam postularem, pronuntians more majorum reos tantae temeritatis jure caesos videri.

Sed ne quid in posterum casibus liceat, quos ab exemplo vitare debemus, posco ut actutum, me quoque absente, tua cura, sed meo sumptu resurgat in molem sparsa congeries, quam laevigata pagina tegat. Ego venerabili Gaudentio reliqui pretium lapidis, operisque mercedem. Carmen hoc sane quod consequetur, nocte proxima feci, non expolitum, credo, quod viae non parum intentus: quod peto, ut tabulae quantulumcunque est, celeriter indatur. Sed vide ut vitium non faciat in marmore lapidicida: quod factum sive ab industria, seu per incuriam, mihi magis quam quadratario, lividus lector ascribat. Ego vero, si pio studio rogata curaveris, sic agam gratias, quasi nil tibi quoque laudis aut gloriae accedat, quem patruo tuo, id est me remoto, solida praesentis officii sollicitudo mansisset pro gradu seminis. Vale.

Serum post patruos, patremque carmen
Haud indignus avo nepos dicavi:
Ne fors tempore posthumo, viator,
Ignorans reverentiam sepulti,
Tellurem tereres inaggeratam.
 Praefectus jacet hic Apollinaris,
Post praetoria recta Galliarum,
Moerentis patriae sinu receptus.
Consultissimus, utilissimusque,
Ruris, militiae, forique cultor,
Exemploque aliis periculoso,
Liber sub dominantibus tyrannis.
Haec sed maxima dignitas probatur:
Quod frontem cruce, membra fonte purgans,
Primus de numero patrum suorum
Sacris sacrilegis renuntiavit.
Hoc primum est decus, haec superba virtus,
Spe praecedere, quos honore jungas.
Quique hic sunt titulis pares parentes,
Hos illic meritis supervenire.  

Novi quidem auctoris nostri non respondere doctrina epitaphii qualitatem; sed anima perita musicas non refutat inferias. Tibi quoque non decet tardum videri, quod haeres tertius quartusque dependimus: cum tot annorum gyro voluto magnum Alexandrum parentasse manibus Achillis, et Julium Caesarem Hectori, ut suo, justa persolvisse didicerimus. Vale.

LETTRE XIII.

SIDONIUS A SON CHER APOLLINARIS, SALUT.

EPISTOLA XIII.

Sidonius Apollinari suo salutem.

Ce qui devient l'unique objet de mon estime, de ma joie, de mon admiration, c'est de voir que, par amour de la chasteté, tu fuis la compagnie des impudiques, surtout de ceux qui ne se font ni un scrupule, ni un crime de désirer des choses honteuses et d'en parler, et qui, pour salir les oreilles d'autrui par des propos obscènes, s'imaginent être grandement facétieux; tu sauras que le premier de ces hommes vils est un parasite de notre patrie. Impitoyable conteur de fables, il invente des crimes, il grossit des rumeurs sinistres; bavard, sans être plaisant; jaloux de faire rire, sans être gai; arrogant, sans avoir de la constance; curieux, sans perspicacité, et plus grossier encore par une grâce affectée mal à propos, il admire le présent, critique le passé, dédaigne l'avenir. Importun, s'il doit solliciter un bienfait; censeur amer, si on lui refuse; jaloux, si on lui accorde ; rusé, quand il faut rendre; se plaignant, lorsqu'on lui redemande ce qu'il a reçu; vantard, lorsqu'il a rendu ce qu'il devait; puis, si l'on réclame un service de lui, feignant d'être prêt à obliger; plein de dissimulation, quand il faut tenir sa promesse; vendant ce qu'il prête; publiant ce qui a été fait en secret; calomniateur, dès qu'on tarde à s'acquitter; niant une chose reçue. Il déteste les jeûnes, recherche les festins, et porte un jugement favorable, non pas de celui qui vit bien, mais de celui qui traite bien. Cet homme est très-avare, et le pain qu'il trouve bon, c'est le pain d'autrui; il ne mange dans sa maison que les plats qu'il a pu enlever au milieu d'une grêle de soufflets. Mais je ne dois pas entièrement passer sous silence son admirable frugalité : il jeûne toutes les fois qu'on ne le prie pas à dîner; mais, dans sa légèreté parasitique, il s'excuse quand on l'invite; espionne, quand on l'évite; murmure, quand on l'exclut; bondit de joie, quand on l'admet; attend, quand on le frappe. Une fois à table, il se laisse aussitôt aller à la rapine, s'il mange tard; aux larmes, s'il est rassasié tout de suite; aux plaintes, s'il a soif; aux vomissements, s'il s'enivre]; aux outrages, s'il plaisante; aux injures, s'il est plaisanté ; semblable absolument à un cloaque impur, qui répand d'autant plus d'infection qu'on le remue davantage. Avec cette vie, il plaît à peu de gens, n'est aimé de personne, sert de risée à tout le monde ; plein de forfanterie, endurci aux coups, avide buveur, critique plus avide encore, de sa bouche furibonde il exhale à la fois et la bourbe, et les fumées du vin, et le poison de ses paroles, faisant douter si c'est l'infection, l'ivrognerie ou la scélératesse qui domine chez lui.

Mais, dis-tu, son visage colore la laideur de son âme, et les qualités de son corps demandent grâce pour l'ineptie de son intelligence? — En effet, c'est un homme élégant, très-beau, et dont toute la personne attire l'admiration des spectateurs. Il est plus sale et plus hideux que ne l'est un cadavre à demi-consumé, descendant avec le bûcher qui s'affaisse, et que le Pollinctor, dans son dégoût, ne veut plus rendre aux flammes. Déplus, il a des yeux privés de lumière, et qui, semblables au marais du Styx, roulent des larmes dans les ténèbres. Il porte d'énormes oreilles d'éléphant, qui sont environnées d'une peau couverte d'ulcères, chargées de rudes tumeurs et de verrues purulentes dans les replis intérieurs. Il a un nez dont les ouvertures sont très-larges, et l'épine fort étroite; de là, un aspect horrible et un odorat bien gêné. Il avance une bouche aux lèvres de plomb, au rictus de bête, aux gencives purulentes, aux dents de buis, et qui jette souvent du sein des molaires à demi-pourries une odeur méphitique, assaisonnée encore d'un rot succulent que provoquent les mets de la veille, et la sentine des soupers mal digérés. Il avance un front qui se replie par un mouvement hideux, et qui allonge les sourcils. Il nourrit une barbe qui, blanchissant déjà de vieillesse, se noircit néanmoins par la maladie de Sylla. Enfin, toute la figure de ce misérable est aussi pâle que si des ombres et des larves venaient à chaque instant y produire la terreur. Je ne dis rien du reste de son corps, enchaîné par la goutte, tout flasque de graisse. Je ne dis rien de son cerveau sillonné de coups, qui n'est guère moins couvert de cicatrices que de cheveux. Je ne dis pas que, vu le peu d'étendue de sa nuque, l'extrémité de ses épaules va s'unir à l'occiput rejeté sur la tête. Je ne dis rien de ses épaules sans grâce, de ses bras sans élégance, de ses poignets sans force. Je ne dis rien de ses mains goutteuses, enveloppées de cataplasmes, de linges et d'onguents, en guise de cestes. Je ne dis rien des antres hérissés de poils et infects qui emprisonnent ses flancs de leurs remparts, et qui envoient aux narines des assis-tans les exhalaisons d'un double Amsaint. Je ne dis rien de ses mamelles affaissées sous la graisse, et qui retombent comme celles d'une nourrice, quand il serait monstrueux déjà de les voir saillir sur une poitrine d'homme. Je ne dis rien de son ventre qui se détache en filets suspendus pour donner, avec des rides difformes, un voile plus difforme encore aux parties génitales vraiment honteuses dans un impuissant. Et que dire de son dos, de son épine vertébrale? Quoiqu'elle jette des côtes pour couvrir sa poitrine, cette charpente osseuse néanmoins est comme inondée par le débordement de l'abdomen. Je ne dis rien de la corpulence des lombes, ni de l'arrière-train dont l'épaisseur fait paraître mince le devant du corps. Je ne dis rien de ses cuisses sèches et courbées, de ses genoux si démesurés, de ses jarrets si frêles, de ses jambes si raides, de ses talons si fragiles, de ses doigts si petits, de ses pieds si grands. Et, quoiqu'il fasse horreur par des proportions si désordonnées, quoique sans force et à demi vif il ne marche pas quand on le soutient, et ne sente pas quand on le porte l'horrible infection qu'il exhale de toute part, cet homme néanmoins est plus détestable encore dans ses paroles que dans ses membres. Il éprouve une singulière démangeaison de propos déshonnêtes, et il est surtout à craindre pour les mystères de ses patrons, dont il se fait le louangeur dans la prospérité, le délateur dans les circonstances critiques ; si l'occasion le sollicite à dévoiler les secrets de ceux avec lesquels il est familier, ce nouveau Spartacus brisera bientôt toutes les barrières, ouvrira toutes les portes, et les maisons qui ne pourront être attaquées par une guerre déclarée, il les attaquera par les détours d'une trahison clandestine. Voilà comment notre Dédale élève l'édifice de ses amitiés, s'associant, de même que Thésée, à ses compagnons dans la bonne fortune, et leur échappant, de même que Protée, dans le malheur.

Ainsi donc, tu agiras selon mes vœux, si tu fuis tout rapport avec de pareilles gens, surtout avec ceux dont les discours obscènes et dignes des théâtres ne reçoivent de la pudeur aucun frein, aucune barrière. Car, les hommes qui, dans leur vain babil, franchissent les bornes de l'honnêteté, et dont la langue sans retenue se plonge dans ta lie d'une pétulance effrontée, ces hommes ne peuvent avoir non plus qu'une conscience souillée de crimes. Enfin, il est plus facile de trouver des gens dont les discours soient sérieux et la vie obscène, que d'en montrer dont les propos soient indécents et les mœurs honnêtes. Adieu.

Unice probo, gaudeo, admiror quod castitatis affectu contubernia fugis impudicorum; praesertim quibus nihil pensi, nihil sancti est, in appetendis garriendisque turpitudinibus: quique quod verbis inverecundis aurium publicarum reverentiam incestant, granditer sibi videntur facetiari: cujus vilitatis esse signiferum gnatonem patriae nostrae vel maximum intellige. Est enim hic gurges de sutoribus fabularum, de concinnatoribus criminum, de sinistrarum opinionum duplicatoribus; loquax ipse, nec dicax, ridiculusque, nec laetus, arrogansque, nec constans, curiosusque, nec perspicax, atque indecenter affectato lepore, plus rusticus: tempora praesentia colens, praeterita carpens, futura fastidiens. Beneficii, si rogaturus est, importunus petendi, derogator negati, aemulator accepti, callidus reformandi, querulus flagitati, garrulus restituti; at si rogandus, simulator parati, dissimulator petiti, venditor praestiti, publicator occulti, calumniator morati, inficiator soluti: osor jejuniorum, sectator epularum; laudabilem proferens non de bene vivente, sed de bene pascente sententiam. Inter haec tamen ipse avarissimus, quemque non pascit tam panis bonus quam panis alienus: hoc solum comedens domi, si quid e raptis inter alaparum procellas praemisit obsoniis. Sed nec est sane praedicabilis viri in totum silenda frugalitas; jejunat quoties non vocatur; sed sic quoque levitate parasitica, si invitetur excusans, si vitetur explorans, si excludatur exprobrans, si admittatur exsultans, si verberetur exspectans. Cum discubuerit, fertur actutum, si tarde comedat, in rapinas; si cito saturetur, in lacrymas; si sitiat, in querelas; si inebrietur, in vomicas; si fatiget, in contumelias, si fatigetur, in furias: fetulentiae omnino par cloacali, quae quo plus commota, plus fetida est. Ita vivens paucis voluptati, nullis amori, omnibus risui est: vesicarum ruptor, fractorque ferularum; bibendi avidus, avidior detrahendi, rabido pariter ore spirans coenum, spumans vinum, loquens venenum, facit ambigi puditior, temulentior, an facinorosior existimetur.

Sed dicis, animi probra vultu colorat, et deprecatur ineptias mentis qualitas corporis. Elegans videlicet homo pervenustusque, cujusque sit spectabilis persona visentibus. Enim vero illa sordidior atque deformior est cadavere rogali, quod facibus admotis semicombustum, moxque sidente strue tortium devolutum, reddere pyrae jam fastidiosus pollinctor exhorret. Praeter haec, lumina gerit idem lumine carentia; quae Stygiae vice paludis, volvunt lacrymas per tenebras. Gerit et aures immanitate barrinas; quarum fistulam biforem pellis ulcerosa circumvenit, saxeis nodis et tofosis humore verrucis per marginem curvum protuberantibus. Portat et nasum, qui cum sit amplus in foraminibus, et strictus in spina, sic patescit horrori, quod angustatur olfactui. Praetendit os etiam labris plumbeum, rictu ferinum, gingivis purulentum, dentibus buxeum; quod spurcat frequenter exhalatus e concavo molarium computrescentium mephiticus odor, quem supercumulat esculenta ructatio de dapibus hesternis et redundantium sentina coenarum. Promit et frontem, quae foedissimo gestu cutem plicat, supercilia distendit. Nutrit et barbam, quae jam senectute canescens, fit tamen morbo nigra Syllano. Tota denique est misero facies ita pallida, veluti per horas umbris moestificata larvalibus. Taceo reliquam sui molem, vinctam podagra, pinguedine solutam.

Taceo cerebrum crebra vibice peraratum; quod parum amplius tegi constat capillis quam cicatricibus. Taceo prae brevitate cervicis, occipiti supinato scapularum adhaerere confinia. Taceo quod decidit honor humeris, decor brachiis, robur lacertis. Taceo chiragricas manus unctis cataplasmatum pannis, tanquam caestibus involutas. Taceo quod alarum specubus hircosis atque acescentibus latera captiva vallatus, nares circumsedentium ventilata duplicis Ampsancti peste funestat. Taceo fractas pondere arvinae jacere mammas, quasque foedum esset in pectore virili vel prominere, has ut ubera materna cecidisse. Taceo ventris inflexi pendulos casses partium genitalium, quia debilibus pudendae, turpibus rugis turpius praebere velamen. Jam quid hic tergum, spinamque commemorem? de cujus licet internodiorum fomitibus erumpens aream pectoris texat curvatura costarum; tota nihilominus haec ossium ramosa compago sub uno velut exundantis abdominis pelago latet. Taceo lumborum corpulentiam, cliniumque, cui crassitudini comparata censetur alvus exilis. Taceo femur aridum et pandum, genua vasta, poplites delicatos, crura cornea, vitreos talos, parvos digitos, pedes grandes. Cumque distortis horreat ita liniamentis, per quae multiplicem pestilentiam exsanguis semivivusque, nec portatus sentiat, nec sustentatus incedat, verbis tamen est ille quam membris exsecrabilior. Nam quanquam pruritu laborat sermonis inhonesti, tum patronorum est praecipue cavendus arcanis; quorum est laudator in prosperis, delator in dubiis: at si ad occulta familiarium publicanda temporis ratio sollicitet, mox per hunc Spartacum quaecunque sunt clausa franguntur, quaeque obserata reserantur: ita quod quas domorum nequiverit machinis apertae simultatis impetere, cuniculis clandestinae proditionis impugnat. Hoc fabricatu Daedalus noster am citiarum cutmen aedificat: qui sicut sodalibiis velut Theseus inter secunda sociatur; sic ab iis postmodum velut Proteus inter adversa dilabitur.

Igitur ex voto meo feceris, si talium sodalitati ne congressu quidem primore sociere, maxime illorum quorum sermonibus prostitutis ac theatralibus nullas habenas, nulla praemittit repagula pudor. Nam quibus citra honestatis nitorem jactitabundis loquacis faece petulantiae lingua polluitur infrenis, his conscientia quoque sordidatissima est. Denique facilius obtingit, ut quispiam seria loquens vivat obscene, quam valeat ostendi, qui pariter existat improbus dictis, et probus moribus. Vale.

LETTRE XIV.

SIDONIUS A SON CHER PLACIDIS, SALUT.

EPISTOLA XIV.

Sidonius Placido suo salutem.

Quoique tu sois enfermé dans ta ville de Gratianopolis, j'ai appris par le récit fidèle de tes anciens hôtes, que tu fais plus de cas de mes bagatelles, en vers ou en prose, que d'ouvrages plus graves. Je me réjouis de savoir que mes faibles écrits occupent tes moments de loisir; mais, je le sens bien, le charme que tu trouves à cette lecture est moins l'effet de leur mérite que celui de ton affection pour l'auteur; aussi te suis-je bien redevable de ce que tu donnes à l'amitié des éloges que tu refuserais au style. Quant à ceux qui parlent mal de mes travaux, je n'ai point encore délibéré sur l'opinion formelle que je dois en avoir. Car, l'homme qui se croit savant, parcourt avec la même ardeur presque un bon ou un mauvais ouvrage, et ne désire pas plus trouver des idées élevées dont il puisse faire l'éloge, que des choses vulgaires dont il puisse se moquer. C'est ainsi que le génie, l'élégance, la propriété de la langue latine, sont méprisés par ces critiques oisifs ; leur indifférence, compagne de la raillerie, ne cherche que ce qui prête à la censure, et, de cette manière, ils abusent plus des lettres qu'ils n'en font leur profit. Adieu.

Quanquam te tua tenet Gratianopolis, comperi tamen hospitium veterum fido relatu, quod meas nugas sive confectas opere prosario, seu poetarum stylo cantilenosas, plus voluminum lectione dignere repositorum. Gaudeo hoc ipso, quod recognovi chartulis occupari nostris otium tuum. Sed probe intelligo, quod moribus tuis hanc voluptatem non operis effectus excudit, sed auctoris affectus. Ideoque plus debeo, quia gloriae punctum quod dictioni negares, das amicitiae. De caeteris vero studii nostri derogatoribus, quid ex asse pronuntiem, nondum deliberavi. Nam qui maxime sibi doctus videtur, dictionem sanam et insanam ferme appetitu pari revolvit, non amplius concupiscens erecta quae laudet, quam despecta quae rideat. Atque in hunc modum scientia, pompa, proprietas linguae Latinae judiciis otiosorum maximo spretui est: quorum scurrilitati negligentia comes, hoc volens tantum legere quod carpat, sic non utitur litteris, quod abutitur. Vale.

NOTES.

LETTRE PREMIÈRE.

Septimaniam suam. Nos auteurs modernes sont loin d'être d'accord entre eux sur ce que signifie ici le terme de Septimanie ; leurs opinions diverses ont été savamment examinées par DD. Vaissette et De Vic, dans les Notes sur l'histoire de Languedoc, tom. I, p. 656-660. Nous extrairons ce que leur travail présente d'essentiel.

Il est clair, par ce passage et par l'époque de la lettre, que Sidonius entend par la Septimanie ce qu'il appelle dans le même endroit les anciennes limites des Visigoths, veteres fines Gothorum, que ces peuples avaient franchies depuis quelques années pour se rendre maîtres de la plus grande partie de l'Aquitaine Ire et de la Narbonnaise Ire, et qu'ils voulaient étendre jusqu'au Rhône et à la Loire. Septimaniam suam fastidiunt vel refondant, etc. Veterum finium limitibus effractis, etc. Metas in Rhodanum Ligerimque proterminant, etc. Or, Sidonius explique ailleurs ce qu'il entend par les anciennes limites des Visigoths, savoir le pays des Gaules qui avait été cédé anciennement à ces peuples par les empereurs, et dans les bornes duquel ils s'étaient auparavant tenus renfermés, conformément aux traités qu'ils avaient faits avec les Romains jusqu'aux nouvelles entreprises d’Euric : Evarix rex Gothorum quod limitem regni sui, rapto dissolutoque fœdere antiquo, vel tutatur armorum jure vel promovet, Epist. VII, 6 ; et dans un autre endroit, parlant du même roi : Modo per promotae limitem sortis, ut populos sub armis, sic frenat arma sub legibus, Epist. VIII, 3. La lettre d'où le premier de ces passages est tiré fut écrite au commencement de l'an 475, et l'antre l'année suivante. On voit dans cette dernière, que ces termes limes promotae sortis ou le pays qui était échu en partage aux Visigoths dans les Gaules, et dont Euric avait fort étendu les frontières, est la même chose que ce qu'il appelle dans la lettre à Avitus, veteres fines, les anciennes limites, ou limes regni Gothorum, les limites du royaume visigothique. Paul Diacre, Hist. Miscell. XV, s'exprime de la même manière ; car il renferme l’ancien domaine des Visigoths dans les Gaules avant Euric, à ce qui leur avait été d'abord cédé par les empereurs, c'est-à-dire, à l'Aquitaine II, et à la ville de Toulouse. Gothi quoque non constanti provincial quam superius a Romanis habitandam penes Galliam acceperant, Arvernos et Narbonam cum suis finibus captas invadunt, etc.

Il résulte de ce que nous venons de rapporter, que par le nom de Septimanie, Sidonius entend seulement l'ancien domaine des Visigoths dans les Gaules, veteres fines, domaine dans lequel la Narbonnaise Ire, a la réserve de la ville de Toulouse et de son territoire, n'était pas comprise. Et, en effet, dans le temps que ce prélat se servait du mot de Septimanie, les Visigoths n'étaient pas encore entièrement les maîtres de toute cette province, puisqu'il dit dans le même endroit que ces peuples faisaient tous leurs efforts pour étendre leurs frontières jusqu'au Rhône. Ce ne pouvait être que par la conquête de la Narbonnaise Ire, limitrophe de ce fleuve ; par conséquent, ils ne la possédaient pas encore en entier. Il faut donc chercher la Septimanie dans les anciens états des Visigoths dans les Gaules, c'est-à-dire, dans l'Aquitaine II, qui, avec la ville de Toulouse et son territoire, fut d'abord cédée à ces peuples, l’an 419 par le patrice Constance au nom de l'empereur Honoré ; or, nous trouvons la Septimanie dans cette province, en y joignant le Toulousain.

« L'Aquitaine II, dont la ville de Bordeaux était la métropole, ne renfermait anciennement que six peuples[1] ou cités, savoir : le Bordelais, le Poitou, la Saintonge, l'Angoumois, le Périgord et l'Agénois, ou les diocèses de Bordeaux, de Poitiers, de Saintes, d'Angoulême, de Périgueux et d'Agen : à quoi si l'on ajoute la cité ou le diocèse de Toulouse qui fut cédé aux Visigoths par le même traité, on trouvera les sept cités ou sept peuples qui peuvent avoir donné le nom à la Septimanie dont parle Sidonius.

« On pourrait croire que la Novempopulanie, ou du moins une grande partie, fut cédée aux Visigoths par l'empereur Honoré avec l'Aquitaine II et Toulouse ; mais les anciens historiens qui font mention de cette cession n'en disent rien. Idace rapporte seulement que cet empereur leur céda l'Aquitaine depuis Toulouse jusqu'à l'Océan,[2] et St. Prosper, auteur contemporain suivi par Isidore, la seconde Aquitaine avec quelques villes des provinces voisines.[3] Or, l'un de ces auteurs explique l'autre ; car, en supposant, comme nous faisons, qu'Honoré ne céda aux Visigoths que l'Aquitaine II avec le Toulousain, on entend très bien ce qu'Idace a voulu dire, puisque tout ce pays s'étend depuis Toulouse jusqu'à l'Océan ; et par les villes des provinces voisines dont parle St. Prosper, on peut entendre seulement le Toulousain qui était alors d'une très grande étendue, et pouvait comprendre plusieurs petites villes outre la capitale. Quoi qu'il en soit, il est du moins certain par le texte de cet auteur, que toute la Novempopulanie ne fut pas alors cédée aux Visigoths ; nous savons d'ailleurs qu'ils ne s'étendirent dans l'Aquitaine Ire que longtemps après.

« Ces peuples demeurèrent longtemps renfermés dans les limites de ces sept pays ou cités qu'ils possédaient légitimement. L'an 462, le comte Agrippin leur ayant livré la ville de Narbonne au nom de l'empereur Sévère, ils s'étendirent depuis peu à peu, et firent successivement des conquêtes dans la Narbonnaise Ire et les provinces voisines ; de sorte que l'an 473 qui est l'époque de la lettre d'Apollinaris Sidonius, dont il s'agit, il ne restait plus aux Visigoths qu'à s'emparer de l'Auvergne, pour être maîtres de toute la partie des Gaules située entre la Loire, le Rhône, les Pyrénées et les deux mers. Il est vrai que ces peuples, non contents des pays qui leur avaient été cédés par Honoré, avaient fait diverses tentatives depuis cette cession pour étendre leurs frontières, et il y a lieu de croire qu'ils s'emparèrent de divers pays voisins de leur demeure ; c'est aussi ce que Sidonius fait entendre par ces termes : Sœpenumero Septimaniam suam faslidiunt et refundunt. Mais il paraît en même temps que les empereurs les obligèrent de restituer leurs conquêtes et de se renfermer dans leurs anciennes limites par les nouveaux traités qu'ils firent avec eux; jusqu'à ce qu'enfin ces mêmes peuples, profitant de la décadence et des troubles qui suivirent la mort de Majorien, ils franchirent impunément les bornes de leurs anciens états, et s'approprièrent les provinces voisines que l'empereur Népos fut obligé de leur céder par un traité.

« Selon ce que nous venons de dire, l'Aquitaine II avec la ville de Toulouse, aura d'abord porté le nom de Septimanie avant que les Visigoths fissent des progrès dans les provinces voisines ; à moins qu'Apollinaris Sidonius n'eût inventé ce terme pour désigner les anciens états des peuples dans les Gaules, états qui en effet étaient composés de sept cités.

« Depuis cet évêque de Clermont jusqu'à Grégoire de Tours, nous ne trouvons aucun auteur ni aucun monument qui fassent mention de la Septimanie.... Tout ce qu'il y a de certain, c'est que depuis Grégoire de Tours on a toujours appelé Septimanie la partie de la Narbonnaise Ire qui demeura aux Visigoths, et qu'on continua de donner ce nom à cette province jusque sous la troisième race de nos rois; soit que cet historien l'ait emprunté d'Apollinaris Sidonius, et qu'il l'ait appliqué aux états que les Visigoths possédaient de son temps dans les Gaules ; ou que lui et les autres auteurs qui l'ont suivi, aient ainsi appelé cette, province, parce qu'elle comprit d'abord sous les Visigoths sept cités ou diocèses, comme nous l'avons déjà dit. » Voyez Dubos, tom. I, p. 521.

LETTRE II

Cujus parva tuguria magnus hospes implesti.— « Quod denique tectum magnus hospes impleveris. » Plinii Paneg. XV. — Epist. VII, 25.

Quam te blandum pueri, etc. — « Puer simplicitate, comitate juvenis, senex gravitate. » Plin. Epist. VI, 26.

Itinerum ... longitudinem. — II y a 20 lieues de Lyon à Clermont, et le chemin est assez mauvais, en hiver surtout.

Angustias mansionum. — Les mansiones étaient des hôtelleries, pour loger les personnes qui allaient d'une cité à l'autre ; chez les Grecs, on les appelait σταθμος. Voyez Bergier, Hist. des grands chemins, tom. II, p. 638.

Viarum voragines. — Ammien Marcellin dit, en parlant des Alpes Cotiennes : « Hieme vero humus crustata frigoribus, et tanquam laevigata, ideoque labilis, incessum prtecipitantem impellit, et patulae valles per spatia plana glacie perfidae vorant nonnunquam transeuntes. » XV, 10.

LETTRE III.

Sermonis celtici squamam. — « Non exquires a nobis qui apup Celtas commoramur, et in barbarum sermonem plerumque avocamur, orationis artem quam non didicimus. » Irenaei Praef. in lib. I. — « Tu vero vel celtice, aut si mavis, gallice loquere. » Severi Sulp. Dial. I, 20.

Quos olim latinos fieri exegeras, deinceps esse barbaros vetuisti. — Il y a ici une de ces antithèses, une de ces phrases à double sens que l'auteur aime tant. Ecdicius avait encouragé le goût des études latines parmi les nobles Arvernes, qui défendirent toujours la cause des Romains ; voila comment il empêcha les Arvernes de devenir barbares.

Civicis pectoribus. — Sidon. Epist. II, 2 — III, 3 — IV, 24 — VIII, 6 — IX, 14 — Carm. II, 37.

Duodeviginti equitum. — Grégoire de Tours n'en met que dix. « Quem Ecdicium, dit-il, mirae velocitatis fuisse multi commemorant ; nam, quadam vice, multitndinem Gothorum cum decem viris fugasse perscribitur. » Hist. Franc. II, 24.

Ovationem. — Il y avait, chez les Romains, le petit et le grand triomphe. Dans le petit triomphe, ovatio, le vainqueur, vêtu seulement d'une robe blanche bordée de pourpre, marchait à pied ou à cheval, à la tête de ses troupes, sans autre marque de ses succès que les acclamations populaires, que quelques couronnes de myrte et une partie de son armée qui le précédait au son des flûtes. Dans le grand triomphe, le vainqueur, monté sur un char, était couronné de lauriers; il parcourait la ville jonchée de fleurs, et se rendait au Capitole où il sacrifiait un taureau. Sabbathier, Dict. au mot Ovatio.

Ocrearum. — « Les ocreœ, qui étaient une espèce de bottes, s'appelaient en grec knhmideV. Selon Homère, elles étaient déjà en usage du temps de la guerre de Troie ; il y en avait d'étain, dit le même poète. Elles couvraient une bonne partie de la jambe. Les Romains s'en servaient; Volcatius Gallicanus, parlant d'Avidius Cassius, distingue ces bottes de la chaussure du pied, lorsqu'il dit : Il visitait de sept jours en sept jours les armes des soldats, leurs vêtements, leurs chaussures de pieds et leurs bottes ; calceamenta, dit-il, et ocreas. Il paraît par là que l'un différait de l'autre. Il y avait encore, selon Homère, des ocreœ de cuivre, d'autres d'oripeau ; telles étaient celles d'Hercule, selon le même poète. Les Romains, dit Végèce, en avaient de fer. On croit que pour éviter un plus grand poids on ne mettait à ces ocreœ que des lames de fer d'espace en espace. Dans les monuments qui nous restent, on voit des ocreœ ou des boîtes, les unes avec un soulier tout fermé comme les nôtres, telles sont celles de Télamon ; les autres avec des caliges et des sandales, dont les bandes ne couvraient qu'une partie du pied. » Montfaucon, Antiquité expliquée, loin. III, p. 62.

Villis agnosci cribitum. — Voyez les notes de la lettre 2 du livre I. La différence la plus frappante qui fût alors entre les Romains et les Barbares, venait de ce que les premiers portaient les cheveux si courts qu'ils ne couvraient point entièrement les oreilles, an lieu que les autres portaient une chevelure si longue qu'elle descendait jusqu'aux épaules. Dans la suite même, nos premiers rois, lorsqu'ils voulaient, dans leurs ordonnances, désigner en général, et par opposition aux Romains, tous les Barbares sujets de la couronne de quelque nation qu'ils fussent, les nommaient les Chevelus.

Nec elutis vestimenta, nec vestitis sepulcra tribuerant. — On connaît les usages funéraires des Romains ; à l'époque de Sidonius, et plus tard, ils étaient encore en vigueur. Greg. Turon. Hist. Franc. IV, 52 ; — VI, 46 ; — VII, 1. De Gloria Confess. LXXXI.

Periculosae regum familiaritati. — Attale, roi de Lydie, avait mandé le philosophe Lacydes de Cyrène, qui répondit : La figure des rois doit être vue de loin, « τὰς εἰκώνας πορρωθεν ἑωρεισθαι » Diogenis Laertii IV, 60. édit. Var. — La pensée de Sidonius est exprimée dans les vers suivants, Epigrammatum vet. I.

Vive, et amicitias regum fuge, pauca monebas

Maximus hic scopulus, non tamen unus erat.

Vive, et amicitias nimio splendore nitentes,

Et quidquid colitur perspicuum fugito.

La cour du prince où se trouvait Ecdicius, était probablement celle de l'un des rois bourguignons. Dubos, Hist. critic., tom. I, p. 566.

LETTRE IV.

Nec propugnantum caremus invidia. — Par ce mot propugnantum, il faut entendre les Burgondes qui tenaient, avec les Arvernes, pour le parti des Romains. Sidon. Epist. VII, 10. — Carm. XII, 11.

L'abbé Dubos, dans son Histoire critique de la monarchie française, tom. I, p. 565, a donné une espèce de traduction de cette lettre ; ce qu'il dit sur l'invasion des Visigoths en Auvergne, et sur la chute de l'empire en Occident, mérite d'être lu avec attention.

LETTRE V.

Eborolacensis praedii. — Ebreuille est actuellement une petite ville d'Auvergne sur la Sioule, rivière qui tombe dans l'Allier, à trois lieues environ au-dessous de St-Pourçain.

LETTRE VI.

Si veteris commilitii. Commilitium est pris ici dans le sens de sodalitium, societas. Sidon. Epist. I, 11.

Testis est ille tractatus. — La lettre dans laquelle notre auteur exhorte Eutropius à rechercher des honneurs dignes de lui, est la 6e du livre I.

Annum bonum, etc. —Sidon. Epist. VI, 12.

LETTRE VII.

Bibliothecarum medius, vel togarum. Cypriani Epist. II, 3. La toge, nous l'avons déjà dit, était portée par les avocats ; de là vient qu'ils furent appelés togati ; togarum doit se prendre, dans ce passage, pour advocationum.

LETTRE IX.

Riothamus est appelé Riothamus par Jornandès;[4] mais notre auteur, qui eut beaucoup de rapports avec lui, à l'occasion des désordres que les Bretons commettaient quelquefois jusque sur les confins de l'Auvergne, où Sidonius avait part alors au gouvernement comme sénateur de la ville capitale, a dû savoir mieux le véritable nom de Riothamus que Jornandès, qui n'écrivait qu'au milieu du VIe siècle. Si Jornandès donne le titre de roi à ce Riothamus, c'est pour se conformer à un usage qui commençait à s'établir dès le Ve siècle, et qui était généralement reçu dans le VIe. Cet usage était de donner le nom de roi à tous les chefs suprêmes d'une société libre, et qui ne dépendait que des engagements qu'elle prenait. Or, les Bretons que Riothamus commandait, n'étaient plus sujets peut-être de la monarchie romaine.

Soit que cet usage ne fut point encore pleinement établi du temps de Sidonius, soit qu'il crût qu'une personne de son rang ne devait point s'y soumettre, il ne qualifie Riothamus que du nom d'ami, et le traite même avec familiarité, dans la lettre qu'il lui écrivit, lorsque les Bretons étaient déjà postés dans le Berry.[5]

Euricus, roi des Visigoths de Toulouse, brûlait d'envie de réunir sous sa puissance tous les pays compris entre la Loire, l'Océan, la Méditerranée et le Rhône. Les Bretons qui s'étaient établis dans l'Armorique, furent les premiers qui éprouvèrent la force de ses armes. Anthémius, apprenant qu'il était prêt à se mettre en campagne, donna ordre de rassembler les troupes de la Gaule, et engagea Riothamus, roi des Bretons, à marcher contre les Visigoths. Ce prince s'étant embarqué à la tête de douze mille hommes, vint par la Loire (l'abbé Dubos, appuyé sur la fausse interprétation d'un passage de Jornandès, suppose que Riothamus était roi de la Grande-Bretagne, et se donne beaucoup de peine pour le faire arriver dans les Gaules), entra dans le Berry, et fut reçu dans Bourges.

Comme Euricus approchait avec une armée nombreuse, Riothamus, pour avoir seul l'honneur du succès, marcha contre lui, avant d'être joint par les troupes romaines. La bataille fut livrée près du bourg de Déols, sur les bords de l'Indre. Les Bretons, après avoir longtemps disputé la victoire, furent défaits avec une grande perte ; et Riothamus, forcé d'abandonner le pays, se retira sur les terres des Burgondes, qui tenaient pour l'empire romain (469). Malgré le gain de cette bataille, les Visigoths ne se rendirent pas alors maîtres du Berry, puisqu'il était encore au pouvoir des Romains en 473.

Inter argutos, armatos. —Ces hommes subtils et violents, dont il est parlé à la fin de cette lettre, sont peut-être les Goths, ou les Bretons.

LETTRE XII.

Campus ... ipse dudum refertus. — La loi des Douze Tables défendait d'ensevelir les morts dans l'enceinte des villes ; on sait, par le témoignage unanime des anciens auteurs, que, soit qu'on brûlât les corps sur des bûchers particuliers, soit qu'on les brûlât sur le lieu public, destiné pour le simple peuple, il n'était pas permis de le faire dans l'intérieur des cités. La loi des Douze Tables le défendait expressément: « Hominem mortuum in urbe ne urito, neve sepelito; » et Cicéron nous apprend que la juste crainte qu'on avait des incendies avait été un des grands objets envisagés par les décemvirs, quand ils firent publier cette loi : « Credo, dit-il, vel propter ignis periculum. » De Legibus, II, 13.

Bustualibus favillis. — On brûlait les corps du temps de Sidonius ; Epist. III, 3, 13. Carm. XVI, v. 124.

Bajuli. —C'est-à-dire les Sandapilaires, les Vespillones.

Pergens ad Arvernam urbem. — Savaron veut inférer de cette phrase que le tombeau du vieil Apollinaris était placé dans les faubourgs de la ville des Arvernes. Rien ne prête ici a une pareille conjecture ; Sidonius dit seulement qu'il sortait de Lyon pour aller du coté de l'Auvergne. Voyez Colonia, Hist. ML de Lyon, tom. I, p. 283.

Nostro sacerdoti. — C'était Patiens, évêque de Lyon, et l'ami particulier de Sidonius. Colonia, lieu cité.

Jure caesos. — C'était une formule de la loi des Douze Tables : « Si aliquis occidit, jure cœsus esto, » et qui se retrouve souvent dans les auteurs latins, dans Tite-Live, dans Tacite, Sénèque, Valère-Maxime, Velléius Paterculus, Ammien-Marcellin.

Posthumo tempore. — C'est-à-dire, postremo ; Sidonius emploie le mime terme dans le même sens, Epist. IV, 22 ; VIII, 5 ; Carm. VII, v. 165.

Supervenire. — C'est-à-dire, surpasser. Sidon. Epist. IV, 3 ; VII, 14. Apollinaris était chrétien ; voila ce qui l'élevait au-dessus de ses ancêtres. Cette pensée de Sidonius est admirablement exprimée par Salvien« Epist. I ; elle se retrouve aussi dans Eusèbe, V, 3 ; — dans la Vie de St. Germain, par le prêtre Constantius, I, 32 ; — dans Grégoire de Tours, Hist. II, 2.

Haeres tertius quartusque. — Le commentaire de ces mots, s'ils en avaient besoin, se trouverait dans le premier vers de Pépita plie.

Magnum Alexandrum parentasse manibus Achillis. — Alexandre, âgé de 11 ans, avait médité la conquête de l'Asie. Parvenu à Ilium, il offrit un sacrifice à Minerve, oignit d'huile le cippe du tombeau d'Achille, et courut nu, autour de ce monument, avec ses amis. Il le couronna ensuite de fleurs, et félicita Achille d'avoir eu pendant sa vie un ami comme Patrocle, puis après su mort un chantre tel qu'Homère. Il fit aussi des sacrifices aux mânes de Priam. Descendant d'Achille par sa mère, et combattant comme ce héros pour détruire un empire asiatique, il voulut conjurer la haine dont il pensait que l'ombre du monarque troyen devait être animée contre lui. Cicero pro Archia, X. — Arriani Exped. Alex. I, 12. Hieron. Vitae S. Hilarionis Prolog.

Julium Caesarem Hectori, ut suo, justa persolvisse. — César descendait de l'illustre famille Julia, qui rapportait son origine à Énée et à Venus ; voilà pourquoi notre auteur dit ut suo. Voyez Cassiod. Var. II, 22. — Lucain nous a décrit les honneurs rendus par César aux mânes d'Hector : Pharsal. XX, v. 976-1000.

LETTRE XIII.

Gnatonem. Gnato est un des personnages de Térence, qui lui fait dire : Les philosophes donnent leur nom à la secte dont ils sont les auteurs ; je veux, s'il est possible, les imiter, et que les parasites prennent le nom de Gnatoniciens.

« .........................................................................................Sectari jussi

Si potis est, tanquam philosophoruni habent disciplinae ex ipsis

Vocabula, parasiti itidem ut Gnatonici vocentur. »

Eunuchi II, 2.

Voy. Cicéron Philipp. II, 6 ; — De Amicit. 25. Dans les siècles d'ignorance, le métier de parasite était facile à Rome. Il suffisait d'être bouffon, ou patient, pour être admis aux tables. Dès le temps de Plaute on n'en faisait plus de cas ; la manière dont il fait parler un parasite le prouve assez; Captiv. III, 1. Si l'on veut voir plus en détail l'avilissement des parasites chez les Romains, qu'on lise la Ve satire de Juvénal.

Le nom de parasite, depuis longtemps odieux, n'était pas anciennement une épithète infamante ; ce mot dérive de deux expressions grecques para, sur, autour, σιτος, le blé : celui qui a soin du blé, celui qui veille sur les magasins d'abondance destinés à assurer la subsistance du peuple ; ou bien, un ministre préposé à recueillir le blé que l'on destinait au culte sacré. Ces parasites étaient fort honorés, et avaient part aux viandes des sacrifices. Les Romains suivirent cet usage, mais ne donnèrent l'emploi qu'à des affranchis, qui s'avilirent bientôt en se ménageant l'entrée des grandes maisons par de basses flatteries. Alors on nomma parasites les adulateurs, les complaisants qui, pour s'asseoir à la table des riches, sacrifiaient l'honneur et la probité ; et les riches usèrent largement alors du droit qu'ils avaient de les ridiculiser, de les bafouer ; aussi, dans l’Eunuque de Térence, Gnaton dit :

« At ego infelix, neque ridiculus esse, neque plagas pati

Potium. » II, 3.

Inter alaparum procellas. — « Il n'y a rien à espérer ici pour un parasite, dit un personnage de Plaute ; s'il n'est disposé à se laisser souffleter, ou casser quelques pots sur la tête, il peut bien s'en aller, la besace sur les épaules, mendier hors de la porte des Trois Jumeaux. »

« Et hic quidem, herde, nisi qui colaphos perpeti

Polis parasitus, frangique aulas in caput,

Vel ire extra portam Trigeminam ad sacrum licet. »

Captiv. I, i.

Jejunat quoties non vocatur. —Martial a dit, Epigr. V, 47

« Nunquam se cœnasse domi Philo jurat, et hoc est ;

Non coenat quoties nemo vocavit eum. »

Cette épigramme a été traduite ou imitée bien des fois ; voyez le Martial de Simon, tom. II, p. 83, et tom. III, p. 498. Nous citerons de préférence la traduction de M. Eloi Johanneau :

Philon prétend que de sa vie

Il n'a fait chez lui de repas ;

C'est que Philon ne mange pas,

Quand personne ne le convie. »

Vesicarum ruptor. — Qui dit de grandes paroles vides de sens, et semble, en quelque sorte, vesicas rumpere, displodere. Martial a dit, Epigr. IV, 49 :

« A nostris procul est ornnis vesica libellis,

Musa nec insano syrmate nostra tumet. »

Le mot vesica signifie dans ces vers ce que nous appelons de l'enflure. Savaron pense que l'on peut donner à ce passage un autre sens qu'il croit plus naturel, et qu'il appuie sur ce passage de Sénèque : « Aliud genus est acre, quod crepitum magis dixerim quam sonum, qualem andire solemus, cum super caput alicujus dirupta vesica est. Nat. Quaest. II, 37

Fractos ferularum. — Juvénal a dit, Sat. VI, v. 479

« ... Hic frangit ferullas, rubet ille flagellis,

Hic teutica. »

Voyez Tertullien, Apologet. VI.

Pollinctor. — « La coutume d'oindre les corps de différentes sortes d'onguents, de parfums et de baumes, était établie dans plusieurs pays du monde. Ceux qui brûlaient les corps disaient que c'était afin que le feu y prît plus promptement ; ceux qui ne les brûlaient pas disaient qu'ils les oignaient et les parfumaient pour les préserver de la corruption. Les hommes destinés pour cette onction s'appelaient pollinctores ; ils étaient domestiques des libitinaires. » Montfaucon, l'Antiquité expliquée, tom. V, p. 8.

Quae stygiae vice paludis, etc. « — Sidonius veut parler du Cocyte, fleuve imaginaire, que les poètes font couler dans les enfers ; ce nom a paru d'autant plus propre à un lieu si funeste, qu'il vient du mot grec κοκύειν, qui signifie gémir, pleurer. Les poètes prêtent des larmes au Cocyte. Voyez Stace, Thebaidos VIII, v. 29. Sidonius parait s'être rappelé plus spécialement ces vers de Claudien, in Rufinum, II, v. 466 :

Est locus, in faustis quo conciliantur in unum

Cocytos Phlegetonque vadis, inamoenus uterque

Alveus ; hic volvit lacrymas, hic igne redundat.

Morbo Syllano. — La phthiriasis. Les débauches de Sylla avaient tellement vicié la masse de son sang, qu'il s'engendrait sur sa peau une horrible quantité de vermine, qui ne cessait de se reproduire malgré tous les soins possibles, et l'usage continuel des bains. Plinii Nat. Hist. VII, 44; XI, 39.

Delille a parlé ainsi de l'affreuse maladie de Sylla :

Que Sylla meure en proie aux insectes hideux,

Qui de la pauvreté sont les hôtes honteux,

Je m'étonne et m'écrie : Est-ce donc là cet homme,

Vainqueur dans Orchomène et le bourreau de Rome ? »

L'Imagination, ch. I, p. 19, édit. de Michaud.

Avant lui Q. Sérénus Samonicus, dans son poème de Medieina, cap. VI, p. 128, avait dépeint cette maladie pédiculaire de la manière suivante :

« Noxia corporibus quaedam de corpore nostro

Progenuit natura, volens abrumpere somnos

Sensibus, et monitis vigiles intendere curas.

Sed quis non parcat Pherecydis fata tragœdi,

Qui nimio sudore fluens animalia tetra

Eduxit, turpi miserum quae morte tulerunt ?

Sylla quoque infelix tali languore peresus

Corruit, et fœdo se vidit ab agmine vinci. »

Ampsancti. — Amsancte, nom d'une vallée d'Italie, auprès des Hirpiniens, entre l'Apulie et la Campanie, la première à l'orient, la seconde à l'occident, et environ à égale distance des deux mers, appelées Superum et Inferum, c'est-a-dire, Adriatique et Tyrrhène. C'est pour cela que Virgile dit, Aeneidos VII, v. 563-571 :

« Est locus Italiae medio sub montibus altis

Nobilis, et fama multis memoratus in oris,

Amsancti dies : densis hunc frondibos atrum

Urget utrinque latus nemoris, medioque fragosus

Dat sonitum saxis et torto vertice torrens ;

Hic specus horrendum, saevi spiracula Ditis,

Monstratur, ruptoque ingens Acheronte vorago

Pestiferas aperit fames, queis condita Erynnis,

Invisum numen, terras cœlumque levabat. »

Il y avait dans ce même lieu un temple de Méphitis, c'est-à-dire, de Junon, qui présidait à l'air corrompu. La vallée d'Amsancte se nomme aujourd'hui Ericenti, dans la principauté ultérieure, au royaume de Naples. Voyez le Virgile de Lemaire, tom. III, p. 315.

LETTRE XIV.

Gratianopolis. — Ville des Gaules, située au pays des Allobroges. Elle porta d'abord le nom de Cularo.[6] Quoique les monuments les plus authentiques nous apprennent qu'elle fut nommée Gratianopolis, en l’honneur de l'empereur Gratien, l'histoire ancienne de cette ville est si obscure, que l'on n'est pas même d'accord sur ce fait. Les uns cherchent l'origine de son nom dans Graiorum polis, ville des Grecs ; d'autres dans granorum polis, ville des grains, et quelques-uns enfin dans Gratiarum polis, ville des Grâces. Je ferai remarquer que c'est par allusion au mot gratia, que les armes de Grenoble représentent trois roses épanouies, l'attribut des Grâces.

L'ancienne position de Cularo a aussi donné lieu à différentes discussions : les uns fixent son premier emplacement sur la rive droite de l’Isère, chez les Allobroges ; les autres sur la rive gauche, chez les Voconces; et d'autres dans l’endroit où se trouve Echirolles, à cause de la ressemblance des deux noms. Il y en a même qui ont mis en doute si Grenoble est réellement le Cularo des Romains ; il suffit, pour les convaincre, de citer les inscriptions qui étaient au-dessus des portes de cette ville, et qui attestent qu'elle s'appelait Cularo. Voyez de Val. Notit. Gall. au mot Cularo ; — Sabbathier, Dict., au mot Grenoble ; — M. Pilot, Hist. de Grenoble et de ses environs, depuis sa fondation tous le nom de Cularo jusqu'à nos jours ; Grenoble, Baratier, 1829, in-8°.

 


 

[1] Notit. critic. Gall. Apud Sirm., tom. I, Concil. gall.

[2] In Chron.

[3] Prosp. In Chron. p. 49. — Isid. Chron. p. 716.

[4] De rebus Heticis, XLV

[5] Dubos, tom. I, p. 523.

[6] Cularum signifie proprement lien reculé, extrémité, désignation qui convenait fort bien à l'ancienne position de Culara.