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SIDOINE APOLLINAIRE

LETTRES

 

LIVRE V

Étude sur Sidoine Apollinaire et sur la société gallo-romaine au cinquième siècle.

avant-propos

Notice sur Sidoine Apollinaire


lettres  livre I  lettres livre II  lettres livre III  lettres livre IV lettre livre VI

 l

 

 

LIVRE CINQ

LIBER QUINTUS

LETTRE I

SIDONIUS A SON CHER PETRONIUS, SALUT.

EPISTOLA PRIMA.

Sidonius Petronio suo salutem.

J’Apprends que tu mets beaucoup de plaisir et de temps à lire mes lettres. C’est une chose admirable et bien digne d’un homme de lettres aussi distingué que toi, de ne point dédaigner dans les autres même ce qu’il y a de plus petit. C’est aussi là ce qui fait ta plus grande gloire; car on brille assez par son propre talent, quand on favorise celui d’autrui.

Je te recommande Vindicius mon ami, personnage religieux, et bien fait pour la dignité lévitique à laquelle il vient d’être élevé. N’ayant pas le loisir de te porter ce que tu m’avais demandé de mes tablettes, vu les affaires dont il était chargé, il te remettra du moins, en guise de présent, quelques bagatelles. Au reste, avec la politesse qui te caractérise, tu veux bien toujours regarder mes lettres comme des dons pleins d’importance.

En attendant, je te recommande le porteur qu’une affaire pressante conduit dans ta ville. Il s’y rend avec le double but, ou de commencer un procès, ou de recueillir un héritage; car il doit, par la prérogative de la parenté, succéder à un oncle paternel mort célibataire et sans avoir fait de testament, à moins toutefois qu’une intrigue violente ne vienne traverser son entreprise. Mais, contre tous les obstacles, tu peux seul, après le secours du Christ, suffire à ton suppliant, et je ne doute pas que si sa personne trouve grâce auprès de toi, sa cause ne soit victorieuse. Adieu.

Audio quod lectitandis epistolis meis voluptuosam patientiam impendas. Magnum hoc est, et litterarum viro convenientissimum, cum studiis ipse maximis polleas, ea et in aliis etiam minima complecti. Sed ex hoc ipso consummatissima tibi gloria reponderatur, nam satis eminet meritis ingenii proprii, qui fuerit fautor alieni.

Commendo Vindicium necessarium meum, virum religiosum, et leviticæ dignitati quam nuper indeptus est, accommodatissimum. Qui meis e pugillaribus transferre quæ jusseras non vacans, per quam provinciam fuit, hic vobis aliquid næniarum munusculi vice detulit: quanquam quæ tua sanctitas, semper grandia litteras nostras præmia putes.

Interea necessitatem præfati portitoris insinuo, quem traxit isto negotii oborti bipartita conditio. Siquidem hac definitione perrexit, ut aut ineat litem, aut adeat hæreditatem. Nam patrueli paterno cælibi intestatoque defuncto, per agnationis prærogativam succedere parat; nisi tamen cœptis factiosa vis obviet. Contra quas tamen cunctas difficultates, solus post opem Christi supplici tuo sufficis: cujus confido, quod si meruerit persona gratiam, consequetur causa victoriam. Vale.

LETTRE II

SIDONIUS A SON CHER NYMPHIDIUS SALUT.

EPISTOLA II.

Sidonius Nymphidio suo salutem.

Mamertus Claudianus, le plus habile philosophe des chrétiens, le premier de tous les savants, a pris soin d’enrichir et d’orner de tous les membres, de toutes les parties, de tous les secrets de la philosophie profane, un livre remarquable sur la Nature de l’âme, et en trois volumes, où il prouve que les neuf Muses ne sont point des femmes, mais les sciences personnifiées. Car, dans ses pages, un lecteur attentif trouvera les noms véritables des Muses qui se donnent à elles-mêmes leur dénomination réelle, ici, en effet, la grammaire divise, l’art oratoire déclame, l’arithmétique nombre, la géométrie mesure, la musique pèse, la dialectique dispute, l’astrologie devine, l’architecture construit, et la poésie module. Charmé de la nouveauté de ce livre, émerveillé d’un sujet si profond, dès que tu l’eus vu, tu me demandas à l’examiner à la hâte, et tu l’obtins à condition que tu le rendrais promptement. Il ne convient ni que je sois trompé, ni que tu me trompes. C’est temps de rendre ce que je t’ai prêté; car si le livre a pu te plaire, tu dois le connaître assez; s’il t’a déplu, tu dois en être dégoûté. Quoi qu’il en soit, hâte-toi de tenir ta parole, de crainte qu’en rendant trop tard le livre redemandé, tu ne sembles aimer plutôt les membranes que les lettres. Adieu.

Librum de statu animæ, tribus voluminibus illustrem, Mamertus Claudianus, peritissimus Christianorum philosophus, et quorumlibet primus eruditorum totis sectatæ philosophiæ membris, artibus, partibusque comere et excolere curavit, novem quas vocant Musas, disciplinas aperiens esse, non feminas. Namque in paginis ejus vigilax lector inveniet veriora nomina Camœnarum, quæ propriam de se sibi pariunt nuncupationem. Illic enim et grammatica dividit, et oratoria declamat, et arithmetica numerat, et geometria metitur, et musica ponderat, et dialectita disputat, et astrologia prænoscit, et architectonica struit, et metrica modulatur. Hujus lectionis novitate lætatus, excitatusque maturitate, raptim recensendam transferendamque, ut videras, petisti, ut petieras impetrasti, sub sponsione citæ redhibitionis. Nec me falli, nec te fallere decet. Tempus est commodata restitui: quia liber ipse, si placuit, debuit exhibere satietatem, si displicuit, debuit movere fastidium. Tu autem quidquid illud est, fidem tuam celeriter absolve: ne si repetitum libellum serius reddere paras, membranas potius videaris amare, quam litteras. Vale.

LETTRE III

SIDONIUS A SON CHER APOLLINARIS SALUT.

EPISTOLA III.

Sidonius Apollinari suo salutem.

Il était juste, sans doute, de mettre un frein à mon importun babil, en gardant le silence. Mais, comme l’amitié parfaite doit moins se rappeler ce qu’elle rend de bons offices, que se souvenir de ce dont elle est redevable, je viens encore, lâchant la bride à toute retenue, vous réitérer sans pudeur un hommage de lettres: ce qui prouve le mieux l’inconvenance de ma conduite, c’est que vous vous taisez. Quoi donc ! ce que vous faisiez en temps de guerre, n’ai-je pas mérité, mon frère, de le connaître? Avez-vous redouté de faire part ou de votre sécurité, ou de vos craintes, à un ami qui tremble pour vous? Qu’est-ce autre chose, si l’on cache ses actions à celui qui demande à les connaître, que s’imaginer qu’un homme plein de sollicitude pour vous, ou ne se réjouira pas en apprenant vos succès, ou ne s’attristera pas de vos revers? Que cette pensée impie n’aille pas ternir un beau caractère, et que la véritable amitié chasse loin de sa franchise la flétrissure d’une si indigne opinion. Car, ainsi que l’affirme notre Crispus : S’accorder sur ce qu’on veut et sur ce qu’on ne veut pas, voilà ce qui caractérise une solide amitié. En attendant, si vous vous portez bien, j’en suis ravi; quant à moi, accablé sous le poids d’une malheureuse conscience, j’ai été conduit par une fièvre violente aux portes du tombeau. Malgré mon indignité, on m’a imposé le fardeau d’une profession sublime, à moi malheureux, qui, forcé d’enseigner avant d’avoir appris, et osant prêcher le bien avant de le pratiquer, suis semblable à un arbre stérile, et qui, n’ayant pas des œuvres pour fruits, ne donne que des paroles pour feuilles.

Il me reste maintenant à vous demander d’obtenir par vos prières qu’il me soit profitable d’être revenu du séjour infernal, en quelque sorte, de peur que, si je persévère dans mes crimes passés, la vie qui m’a été donnée ne soit plutôt la mort de mon âme. Voilà que nous vous avons fait part de ce que nous faisons; voilà encore que nous demandons à savoir ce que vous faites. Nous accomplissons, nous, un devoir pieux; vous, maintenant faites ce que bon vous semble. Croyez-le, une chose gravée, comme les lois attiques, sur l’airain, que nous ne mettrons jamais de bornes, avec le secours du Christ, à une amitié dont nous nous sommes efforcés de jeter les fondements. Adieu.

Par erat quidem garrulitatem nostram silentii vestri talione frenari. Sed quoniam perfecta dilectio non tam debet recolere quid officiorum solvat, quam meminisse quid debeat; etiam nunc laxatis verecundiæ habenis obsequium alloquii impudentis iteramus. Cujus improbitas vel hinc maxime dignoscitur, quod tacetis. Ergo ne quid tempore hostilitatis ageretis, frater, nosse non merui? Dissimulastis trepido pro vobis amico vel securitatem prodere, vel timorem? Quid est aliud, si requirenti tuas supprimis actiones, quam suspicari eum qui tui sollicitus existat, aut certe non gavisurum compertis prosperis, aut tristem, si diversa cesserint, non futurum? Facessat hæc a bonis moribus impietatis opinio, et a candore suo vera caritas nævum tam miseræ suspicionis eliminet. Namque, ut Crispus vester affirmat, idem velle, atque idem nolle, ea demum firma amicitia est. Interea si vel vos valetis, bene est. Ego autem infelicis conscientiæ mole depressus, vi febrium nuper extremum salutis accessi; ut pote cui indignissimo tantæ professionis pondus impactum est: qui miser ante compulsus docere quam discere, et ante præsumens bonum prædicare quam facere, tanquam sterilis arbor, cum non habeam opera pro pomis, spargo verba pro foliis.

Quod restat, orate, ut operæ pretium sit, quod ab inferna propemodum sede remeavimus: ne si in præteritis criminibus manserimus, incipiat ad animæ potius mortem pertinere, quod vivimus. Ecce quod agimus indicavimus; ecce adhuc quid agatis inquirimus. Fit a nostra parte quod pium est: vos deinceps facite quod videtur. Illud sane velut Atticas leges ita ære credite incisum, nos sub ope Christi nunquam admissuros amoris terminum, cujus studuimus fundare principium. Vale.

LETTRE IV

SIDONIUS A SON CHER SIMPLICIUS, SALUT.

EPISTOLA IV.

Sidonius Simplicio suo salutem.

Si je n’ai point reçu de réponse, moi qui t’avais écrit, j’en accuse l’amitié, mais bien plus encore la retenue; car, à moins que je ne me trompe, si tu m’as refusé des salutations qui me sont dues, c’est l’effet, non point de l’opiniâtreté, mais de la réserve. Toutefois, si tu fermes encore la porte à ma page causeuse, si tu lui opposes le verrou, c’est sans doute malgré moi que je ne trouble pas ton repos; mais, je te le déclare, je saurai trouver mes coupables non loin de toi. Car, tout ce qu’il y a d’odieux dans votre silence, je puis à bon droit le rejeter sur l’orgueil de vos fils qui, se sentant aimés, éprouvent une sorte de dégoût à la vue de nos empressements. Vous devez, en vertu de l’autorité paternelle, leur faire entendre qu’ils sont dans l’obligation d’adoucir sans cesse, par l’amabilité de leurs discours, l’amertume de l’offense dont ils sont coupables envers moi. Adieu.

Quod non recepi scripta qui miseram, imputo amicitiæ, sed deputo plus pudori. Nam, nisi præter equum autumo, ut salutatio mihi debita dissimularetur, non illud contumacia, sed verecundia fuit. At si ulterius paginæ garrienti forem claudis, pessulum opponis; quieti quidem tuæ non invitus indulgeo, sed non procul a te reos meos inventurum me esse denuntio. Nam totam silentii vestri invidiam verti non injurium est ad superbiam filiorum, qui se diligi sentientes, quoddam patiuntur de nostra sedulitate fastidium: quos monere pro patria auctoritate debetis, ut contractæ apud nos offensæ amaritudinem politis affatibus dulcare non desinant. Vale.

LETTRE V

SIDONIUS A SON CHER SYAGRIUS SALUT.

EPISTOLA V.

Sidonius Syagrio suo salutem.

Comme tu es en ligne masculine petit-fils d’un consul, puis, ce qui va mieux encore à notre sujet, du sang d’un poète à qui, sans doute, les lettres auraient élevé des statues, si les trabées ne lui en avaient fait élever déjà (et cette gloire d’auteur dans un genre où sa postérité ne lui est pas inférieure, se trouve attestée aujourd’hui même par les beaux vers qui nous restent de lui), je ne saurais vraiment dire combien je suis étonné de la facilité avec laquelle tu as appris la langue germanique. Je me rappelle tout le soin que l’on a mis à façonner ton enfance aux belles-lettres, et je sais que bien des fois, devant le maître qui t’enseignait l’art oratoire, tu as déclamé avec une chaleureuse éloquence. Or, puisqu’il en est ainsi, dis-moi, je te prie, comment tu as saisi si vite l’accent d’une langue étrangère; en sorte que, après avoir fait une étude spéciale de Virgile, après avoir essayé d’atteindre à la richesse et à l’abondance de l’orateur d’Arpinum, tu prends l’essor, semblable à un jeune faucon qui s’élance de son ancienne demeure? Tu ne saurais croire combien nous rions, moi et les autres amis, toutes les fois que nous apprenons qu’un barbare craint de faire, en ta présence, un barbarisme dans sa langue. Les vieillards germains sont étonnés en te voyant interpréter leurs lettres; ils te prennent pour arbitre et conciliateur dans leurs différends; tu es le Solon des Burgondes pour éclaircir leurs lois; tu es un nouvel Amphion pour manier la cithare à trois cordes; on t’aime, on te fréquente, on te recherche, tu fais les délices de tout le monde; on te prend pour médiateur; on te choisit pour juge; tu décides, et tu es écouté. Et quoiqu’ils aient le corps et l’esprit aussi grossiers, aussi peu façonnables, ils apprennent de toi à mieux parler leur propre langue, à porter un cœur romain.

Une dernière chose: toi, qui as si bien le secret de plaire, n’oublie pas de donner à la lecture tes moments de loisir, et, poli comme tu l’es, fais toujours en sorte de posséder parfaitement la langue germanique, pour ne pas prêter à rire; de cultiver la langue maternelle, pour avoir à rire. Adieu.

Cum sis consulis pronepos, idque per virilem successionem quanquam id ad causam subjiciendam minus attinet, cum sis igitur e semine pœtæ, cui procul dubio statuas dederant litteræ, si trabeæ non dedissent: quod etiam nunc auctoris culta versibus verba testantur, a quo studia posterorum, ne parum quidem, quippe in hac parte, degeneraverunt: immane narratu est, quantum stupeam sermonis te Germanici notitiam tanta facilitate rapuisse. Atqui pueritiam tuam competenter scholis liberalibus memini imbutam, et sæpe numero acriter eloquenterque declamasse coram oratore, satis habeo compertum. Atque hæc cum ita sint, velim dicas, unde subito hauserunt pectora tua euphoniam gentis alienæ; ut modo mihi post ferulas lectionis Maronianæ, postque desudatam varicosi Arpinatis opulentiam loquacitatemque, quasi de Hilario vetere novus falco prorumpas? Æstimari minime potest, quanto mihi cæterisque sit risui, quoties audio, quod te præsente formidet facere linguæ suæ barbarus barbarismum. Astupet tibi epistolas interpretanti curva Germanorum senectus, et negotiis mutuis arbitrum te disceptatoremque desumit. Novus Burgundionum Solon in legibus disserendis; novus Amphion in citharis, sed tricordibus temperandis, amaris, frequentaris, expeteris, oblectas, eligeris, adhiberis, decernis, audiris. Et quanquam æque corporibus ac sensu rigidi sint indolatilesque, amplectuntur in te pariter et discunt sermonem patrium, cor Latinum.

Restat hoc unum, vir facetissime, ut nihilo segnius, vel cum vacabit, aliquid lectioni operis impendas, custodiasque hoc, prout es elegantissimus, temperamentum, ut ista tibi lingua teneatur, ne ridearis; illa exerceatur, ut rideas. Vale.

LETTRE VI

SIDONIUS A SON CHER APOLLLINARIS SALUT.

EPISTOLA VI.

Sidonius Apollinari suo salutem.

Quand l’été faisait place à l’automne, quand l’approche de la mauvaise saison pouvait modérer un peu la crainte des Arvernes, je m’étais rendu à Vienne, où j’ai trouvé dans la plus grande tristesse Thaumastus ton père, que j’aime et respecte infiniment à cause de songe et du sang qui nous unit. Quoique fort affligé de la perte récente de son épouse, il ne laissait pas d’être assez inquiet sur ton compte : car il craignait, il appréhendait que la haine des Barbares ou la méchanceté des courtisans ne tramât contre toi quelque calomnie. D’après le rapport envenimé de certains scélérats, on a, dit-il, murmuré secrètement à Chilpéric, maître de la milice, guerrier si heureux, que c’est principalement par tes menées que la ville de Vaison embrasse le parti du nouveau prince. Si tu as quelque chose à craindre à cet égard, ou pour toi ou pour les tiens, hâte-toi de m’en informer par une prochaine lettre, afin que mon zèle ou ma présence dans ces lieux ne vous soit pas inutile. L’objet spécial de mes soins, ce sera, supposé toutefois que tu aies quelque chose à craindre, de te rendre la sécurité, en obtenant ta grâce, ou de te faire tenir sur tes gardes, si je m’aperçois que le prince est irrité. Adieu.

Cum primum æstas decessit autumno, et Atvernorum timor potuit aliquantisper ratione temporis temperari, Viennam veni: ubi Thaumastum germanum tuum, quem pro jure vel sanguinis vel ætatis, reverenda familiaritate complector, mœstissimum inveni. Qui quanquam recenti cælibatu granditer afficiebatur, pro te tamen parum minus anxius erat. Timebat enim verebaturque, ne quam tibi calumniam turbo barbaricus, aut militaris concinnaret improbitas. Namque confirmat magistro militum Chilperico, victoriosissimo viro, relatu venenato quorumpiam sceleratorum fuisse secreto insusurratum, tuo præcipue machinatu, oppidum Vasionense partibus novi principis applicari. Si quid hinc tibi tuisque suspicionis incutitur, raptim doce recursu familiarium paginarum; ne vobis sollicitudinis aut præsentiæ meæ opportunitas pereat. Curæ mihi peculiariter erit, si quid tamen cavendum existimabis, ut te faciat aut gratia impetrata securum, aut explorata iracundia cautiorem. Vale.

LETTRE VII

SIDONIUS A SON CHER THAUMASTUS, SALUT.

EPISTOLA VII.

Sidonius Thaumasto suo salutem.

Nous avons découvert, enfin, ceux qui accusaient auprès de notre Tétrarque ton frère, et en même temps les partisans du nouveau prince, si toutefois les pas clandestins des délateurs n’ont point mis en défaut la sagacité dévouée de nos amis. Ces accusateurs, comme tu l’as entendu dire toi-même, sont des hommes odieux que la Gaule gémit depuis longtemps de voir au milieu des Barbares plus humains qu’eux. Ce sont ces hommes que redoutent ceux mêmes qui sont faits pour inspirer de la crainte. Ce sont ces hommes qui prennent pour occupation spéciale de répandre les calomnies, d’accuser les innocents, de semer les menaces, de ravir les biens. Ce sont ces hommes dont tu entends louer les occupations dans le repos, et le brigandage dans la paix; qui fuient au milieu des combats; qui triomphent an milieu des festins. Ce sont ces hommes qui retardent les affaires auxquelles ils sont employés, qui entravent celles auxquelles ils n’ont point de part, qui dédaignent vos avis, qui vous oublient lorsque vous les avez enrichis. Ce sont ces hommes qui achètent les procès, qui vendent leur médiation, nomment des arbitres, prononcent des jugements, cassent ceux qu’ils ont dictés, attirent les plaideurs, renvoient ceux qu’ils doivent entendre, entraînent ceux qui sont condamnés, et empêchent de transiger ceux qui sont prêts à le faire. Ce sont ces hommes qui, si vous leur demandez une grâce à laquelle personne ne s’oppose, ne vous la promettent qu’à regret, vous la refusent sans honte, se repentent de vous l’avoir accordée. Ce sont ces hommes auprès desquels auraient levé le doigt Narcisse, Asiaticus, Massa, Marcellus, Carus, Parthénius, Licinius et Pallas. Ce sont ces hommes qui envient le repos à ceux qui portent la tunique, la paie à ceux qui portent le paludamentum, les provisions de voyage aux courriers, leurs ventes aux marchands, aux députés les présents qu’ils reçoivent, aux percepteurs le péage, aux provinciaux leurs domaines, le sacerdoce au municipes, leurs poids aux banquiers, leurs mesures à ceux qui tiennent les registres des dépenses publiques leurs salaires aux greffiers, leurs dispositions aux officiers des comptes, aux prétoriens leurs sportules, leurs trêves aux cités, les tributs aux publicains, aux clercs le respect qu’on leur porte, aux nobles leur naissance, aux supérieurs la présence, à leurs égaux la parité, leurs droits aux juges en exercice, aux juges sortis de fonctions leurs privilèges, aux jeunes gens les écoles, aux maîtres leur salaire, aux gens de lettres leur savoir. Ce sont ces hommes ivres de leurs richesses, il faut bien que tu saches tout, qui montrent, par l’abus qu’ils en font, combien ils sont peu dignes de les posséder; car ils vont armés aux festins, vêtus de blanc aux funérailles, aux noces en habit de deuil, couverts de fourrures aux églises, et de poil de castor aux litanies. Aucune espèce d’hommes, d’ordre ou de temps ne sait leur plaire. Ce sont des Scythes au forum, des vipères dans la chambre, des bouffons dans les festins, des harpies dans les exactions, des statues dans les conversations, des animaux stupides lorsqu’on les interroge, des limaçons dans les traités, des banquiers dans les contrats; ils sont de pierre pour comprendre, de feu pour juger, de flamme pour s’irriter, de fer pour pardonner; ce sont des léopards pour l’amitié, des ours pour la plaisanterie, des renards pour tromper, des taureaux pour la fierté, des minotaures pour détruire. Ils ont une ferme espérance dans les révolutions, et préfèrent des temps douteux. D’une conscience lâche et timide, ce sont des lions au prétoire, des lièvres dans les camps; ils craignent les traités, de peur d’être chassés; les guerres, de peur de combattre. L’odeur d’une bourse rouillée se fait-elle sentir à leurs narines, vous les verrez aussitôt fixer dessus des yeux d’Argus, des mains de Briarée, des griffes de sphinx; ils emploient, pour s’en emparer, les parjures de Laomédon, les finesses d’Ulysse, les tromperies de Sinon, la fidélité de Polymnestor et la piété de Pygmalion.

C’est avec de telles mœurs qu’ils veulent perdre un homme non moins distingué par sa bonté que par sa puissance. Mais que peut-il faire seul, entouré de méchants qui empoisonnent ses discours et les interprètent à leur guise? que peut-il faire, dis-je, lui que le caractère rapproche des bons, et qui vit avec les méchants, avec des hommes dont les conseils rendraient Phalaris plus cruel, Midas plus avide, Ancus plus vain, Tarquin plus superbe, Tibère plus rusé, Caius plus dangereux, Claude plus indolent, Néron plus corrompu, Galba plus avare, Othon plus audacieux, Vitellius plus prodigue, et Domitien plus féroce?

Mais la consolation principale de notre douleur, c’est que sa Tanaquil apaise notre Lucumon, et détruit par un officieux mensonge les soupçons que l’on tâche sourdement d’insinuer à son mari, Il est juste que vous le sachiez, c’est par les soins de la princesse que les calomnies empoisonnées des jeunes Cibyrates n’ont pas été nuisibles, dans l’esprit de notre protecteur commun, à la tranquillité de nos frères communs, et que, Dieu aidant, elles ne produiront jamais un fâcheux effet, pourvu toutefois que, pendant qu’il gouvernera la Germanie lyonnaise, notre Agrippine modère notre Germanicus et le sien. Adieu.

Indagavimus tandem, qui apud tetrarcham nostrum germani tui, et e diverso partium, novi principis amicitias criminarentur, si tamen fidam sodalium sagacitatem clandestina delatorum non fefellere vestigia. Hi nimirum sunt, ut idem coram positus audisti, quos se jam dudum perpeti inter clementiores barbaros Gallia gemit. Hi sunt quos timent etiam qui timentur. Hi sunt quos hæc peculiariter provincia manet inferre calumnias, deferre personas, afferre minas, auferre substantias. Hi sunt quorum laudari audis in otio occupationes, in pace prædas, inter arma fugas, inter vina victorias. Hi sunt qui causas morantur adhibiti, impediunt prætermissi, fastidiunt admoniti, obliviscuntur locupletati. Hi sunt qui emunt lites, vendunt intercessiones, deputant arbitros, judicanda dictant, dictata convellunt, attrahunt litigaturos, protrahunt audiendos, trahunt addictos, retrahunt transigentes. Hi sunt quos si petas etiam nullo adversante beneficium, piget promittere, pudet negare, pœnitet præstitisse. Hi sunt quorum comparationi digitum tollerent Narcissus, Asiaticus, Massa, Marcellus, Carus, Parthenius, Licinus et Pallas. Hi sunt qui invident tunicatis otia, stipendia paludatis, viatica veredariis, mercatoribus nundinas, munuscula legatis, portoria quadruplatoribus, prædia provincialibus, flamonia municipibus, arcariis pondera, mensuras allectis, salaria tabulariis, dispositiones numerariis, prætorianis sportulas, civitatibus inducias, vectigalia publicanis, reverentiam clericis, originem nobilibus, consessum prioribus, congressum æqualibus, cinctis jura, discinctis privilegia, scholas instituendis, mercedes instituentibus, litteras institutis. Hi sunt qui novis opibus ebrii, ut et minima cognoscas, per utendi intemperantiam produnt imperitiam possidendi. Nam libenter incedunt armati ad epulas, albati ad exsequias, pelliti ad ecclesias, pullati ad nuptias, castorinati ad litanias. Nullum illis genus hominum, ordinum, temporum, cordi est. In foro Scythæ, in cubiculo viperæ, in convivio scurræ, in exactionibus harpyiæ, in collocutionibus statuæ, in quæstionibus bestiæ, in tractatibus cochleæ, in contractibus trapezitæ; ad intelligendum saxei, ad judicandum lignei, ad succensendum flammei, ad ignoscendum ferrei, ad amicitias pardi, ad facetias ursi, ad fallendum vulpes, ad superbiendum tauri, ad consumendum minotauri. Spes firmas in rerum motibus habent, dubia tempora certius amant, et ignavia pariter conscientiaque trepidantes, cum sint in prætoriis leones, in castris lepores, timent fœdera, ne discutiantur; bella, ne pugnent. Quorum si nares afflaverit uspiam rubiginosi aura marsupii, confestim videbis illic et oculos Argi et manus Briarei, et Sphingarum ungues, et perjuria Laomedontis, et Ulyssis argutias, et Sinonis fallacias, et fidem Polymnestoris, et pietatem Pygmalionis adhiberi.

His moribus obruunt virum non minus bonitate quam potestate præstantem. Sed quid faciat unus undique venenato vallatus interprete? Quid inquam faciat, cui natura cum bonis, vita cum malis est? Ad quorum consilia Phalaris cruentior, Mida cupidior, Ancus jactantior, Tarquinius superbior, Tiberius callidior, Caius periculosior, Claudius socordior, Nero impurior, Galba avarior, Otho audacior, Vitellius sumptuosior, Domitianus truculentior redderetur.

Sane quod principaliter medetur afflictis, temperat Lucumonem nostrum Tanaquil sua, et aures mariti virosa susurronum fæce completas opportunitate salsi sermonis eruderat. Cujus studio scire vos par est; nihil interim quieti fratrum communium apud animum communis patroni juniorum Cibyratarum venena nocuisse, neque quidquam, Deo propitiante, nocitura; si modo quandiu præsens potestas Lugdunensem Germaniam regit, nostrum suumque Germanicum præsens Agrippina moderetur. Vale.

LETTRE VIII

SIDONIUS A SON CHER SECUNDINUS SALUT.

EPISTOLA VIII

Sidonius Secundino suo salutem.

Il y a longtemps que nous lisions et relisions, avec une admiration qui s’épanchait au-dehors, tes hexamètres si faciles; car tes vers étaient pleins de grâce, soit qu’ils chantassent le flambeau nuptial de l’hyménée, soit qu’ils peignissent les bêtes fauves abattues par une main royale. Mais, à ton jugement même, tu n’as rien fait encore de semblable à ces triples trochées arrangés naguère en mètres hendécasyllabes. Dieu bon! que de sel mordant, que de grâce, que d’éloquence piquante n’y ai-je point vu sans pouvoir retenir mon admiration! si ce n’est toutefois que ces éclairs brillants du génie, ce ton d’ironie facile, étaient comprimés par les personnes, peut-être plus que par le sujet. Le consul Ablavius ne me paraît pas avoir censuré par une figure mieux dissimulée la maison et la vie de Constantin, avec ce distique placé secrètement aux portes du palais impérial:

Qui regretterait le siècle d’or de Saturne?

Le nôtre est de diamant, mais Néronien.

C’est que ledit Auguste, à peu près à cette époque, avait fait mourir son épouse Fausta dans un bain chaud, et empoisonné son fils Crispus. Toi, cependant, continue à jeter sans crainte les traits acérés de la satire; car tes écrits trouveront une riche matière dans les vices toujours croissants de nos tyrannopolitains. Ils ne s’enflent pas assez médiocrement les hommes que notre jugement, notre siècle et nos contrées regardent comme heureux, pour que la postérité doive jamais avoir de la peine à se rappeler leurs noms; car la honte des méchants, comme la gloire des gens de bien, est immortelle. Adieu.

Diu quidem est, quod te hexametris familiarius inservientem stupentes prædicantesque lectitabamus. Erat siquidem materia jocunda, seu nuptiales tibi thalamorum faces, sive perfossæ regiis ictibus feræ describerentur. Sed triplicibus trochæis nuper in metrum hendecasyllabum compaginatis nihil ne tuo quidem judicio simile fecisti. Deus bone! quid illic inesse fellis, leporis, piperatæque facundiæ minime tacitus inspexi? nisi quod ferventis fulmen ingenii, et eloquii salsa libertas, plus personis forte, quam causis impediebantur: ut mihi non figuratius Constantini domum vitamque videatur, vel pupugisse versu gemello consul Ablavius, vel momordisse, disticho tali clam palatinis foribus appenso.

Saturni aurea sæcla quis requirat?

Sunt hæc gemmea, sed Neroniana.

Quia scilicet prædictus Augustus, iisdem fere temporibus, exstinxerat conjugem Faustam calore balnei, filium Crispum frigore veneni. Tu tamen nihilo segnius operam saltem facetis satyrarum coloribus intrepidus impende. Nam tua scripta, nostrorum vitiis proficientibus tyrannopolitarum, locupletabuntur. Non enim tam mediocriter intumescunt, quos nostra judicia, sæcula, loca, fortunatos putant; ut de nominibus ipsorum quandoque reminiscendis sit posteritas laboratura. Namque improborum probra, æque ut præconia bonorum, immortalia manent Vale.

LETTRE IX

SIDONIUS A SON CHER AQUILINUS, SALUT.

EPISTOLA IX.

Sidonius Aquilino suo salutem.

C’est pour moi une chose précieuse, si tu le veux bien aussi, toi qu’embellissent toutes les vertus, que nous soyons unis par autant de liens d’amitié que nous avons de motifs pour l’être. Ce que je demande remonte à nos ancêtres; en ce point, j’en appellerai au témoignage de nos aïeux Apollinaris et Rusticus, que les mêmes goûts littéraires, les mêmes dignités, les mêmes dangers, les mêmes pensées avaient unis d’une admirable intimité. Ils avaient une égale aversion pour l’inconstance de Constantin, la faiblesse de Jovin, la perfidie de Géronte, et détestaient dans Dardanus tous les vices dont il était infecté. En des temps mitoyens entre nos aïeux et nous, nos pères, parvenus à peine au fort de l’adolescence, furent compagnons d’armes sous le prince Honorius, en qualité, l’un de tribun, l’autre de secrétaire, vivant dans une telle amitié que le moindre titre de leur union, c’était d’être fils de deux pères amis. Sous l’empire de Valentinien, l’un commandait à une partie, l’autre à la totalité des Gaules; mais leurs titres à tous deux se balançaient en quelque façon dans une fraternelle égalité, de sorte que celui qui était le second par son emploi, était le premier par l’ordre de ses faisceaux.

C’est notre tour à nous, je veux dire, c’est le tour des petits-fils, qui ne doivent rien tant avoir à cœur que d’empêcher que l’affection de leurs parents et de leurs aïeux ne semble peut-être affaiblie en leur âme. Outre la prérogative héréditaire, de nombreux motifs nous invitent à une intimité semblable. Notre âge, notre patrie sont les mêmes; la même école nous a exercés ; le même maître nous a instruits; les mêmes joies nous ont épanouis; la même sévérité nous a comprimés; la même discipline nous a formés. Du reste, si Dieu le permet, à l’âge qui déjà s’approche de la vieillesse, soyons, si tu y consens, deux âmes, soyons un seul esprit; apprenons à nos enfants à s’aimer réciproquement, à vouloir, à ne vouloir pas, à éviter, à rechercher les mêmes choses. Ce serait un bien qui dépasserait nos vœux, si nos fils, Rusticus et Apollinaris, faisaient renaître les cœurs de leurs honorables bisaïeuls, comme ils en reproduisent les noms. Adieu.

In meo ære duco, vir omnium virtutum capacissime, si dignum tu quoque putas, ut quantas habemus amicitiarum causas, tantas habeamus ipsi amicitias. Avitum est quod reposco: testes mihi impræsentiarum avi nostri super hoc negotio Apollinaris et Rusticus advocabuntur; quos laudabili familiaritate conjunverat litterarum, dignitatum, periculorum, conscientiarum similitudo: cum in Constantino inconstantiam, in Jovino facilitatem, in Gerontio perfidiam; singula in singulis, omnia in Dardano crimina simul exsecrarentur. Ætateque media, patres nostri sub uno contubernio, vix dum a pueritia, in totam adolescentiam evecti, principi Honorio tribuni notariique militavere, tanta caritate peregrinante ut inter eos minima fuerit causa concordiæ, quod filii amicorum commemorabantur. In principatu Valentiniani imperatoris unus Galliarum præfuit parti, alter soliditati. Sed ita se quodam modo tituli amborum compensatione fraterna ponderaverunt, ut prior fuerit fascium tempore, qui erat posterior dignitate.

Ventum ad nos, id est, ventum est ad nepotes: quos nil decuerit plus cavere quam ne parentum antiquorumque nostrorum per nos forte videatur antiquata dilectio. Ad hoc in similem familiaritatem, præter hæreditariam prærogativam, multifaria opportunitate compellimur: ætas utriusque non minus juncta quam patria. Unus nos exercuit ludus, magister instituit; una nos lætitia dissolvit, severitas cœrcuit, disciplina formavit. De cætero, si Deus annuit, in annis jam senectutis initia pulsantibus, simus, nisi respuis, animæ duæ, animus unus; imbuamusque liberos invicem diligentes, idem velle, nolle, refugere, sectari. Hoc patrum vero jam supra vota, si per Rusticum Apollinaremque, proavorum prædicabilium, tam reformentur corda quam nomina. Vale.

LETTRE X

SIDONIUS A SON CHER SAPAUDUS, SALUT.

EPISTOLA X.

Sidonius Sapaudo suo salutem.

Parmi toutes les qualités du cœur dont est doué l’illustre Pragmatius, il en est une qui mérite plus que toute autre d’être remarquée; c’est l’amitié qu’il a pour toi, par une suite de son amour pour les lettres. En toi seul il retrouve encore des traces du savoir et du goût des anciens; il a donc bien raison de te protéger, car il doit aux lettres une grande reconnaissance. Lorsqu’autrefois il parlait en public et s’attirait des applaudissements nombreux, un homme éloquent, Priscus Valérianus, le fit entrer dans sa famille patricienne, quoique, du reste, outre la naissance et la richesse, Pragmatius eût dans son âge, dans sa beauté, dans sa modestie des avantages qui parlaient en sa faveur. Mais, comme je l’ai appris, cet homme, d’un naturel déjà grave pour lors, rougissait même de plaire par sa beauté, car il eût voulu n’être aimé que pour son caractère; et, en effet, c’est par la beauté de l’âme que l’homme de bien plaît davantage: les frivoles agréments du corps s’évanouissent avec les progrès et la chute des rapides années.

Ferme dans son propos, Priscus Valérianus, devenu par la suite préfet des Gaules, associa son gendre à ses conseils et à ses jugements. Il persévérait en son opinion première, afin que celui que la science avait conduit dans sa famille, entrât aussi dans.ses dignités. Quant à toi, ta manière d’écrire est si claire et si belle, que le style coupé de Palæmon, la gravité de Galion, l’abondance de Delphidius, l’art d’Agrœcius, l’énergie d’Alcime, la mollesse d’Adelphius, la rigidité de Magnus, et la douceur de Victorius, non seulement ne lui sont pas supérieures, mais peuvent à peine lui être comparées Et, afin que je ne paraisse pas, sous ce catalogue hyperbolique de rhéteurs, te donner des louanges outrées, rose l’affirmer, l’on ne peut comparer à tes écrits que la véhémence de ceux de Quintilien et la pompe de ceux de Palladius. C’est pourquoi, si quelqu’un après vous chérit l’éloquence romaine, il rendra des actions de grâces à cette amitié, et, pour peu qu’il soit homme, ambitionnera d’être admis en troisième à votre société. Mais, par malheur, ce désir de se rapprocher de vous ne deviendra pas une importunité, car peu de gens honorent aujourd’hui les études. Ensuite, c’est un défaut naturel à l’homme, quand il ne connaît pas les difficultés de l’art, de ne point admirer l’artiste. Adieu.

Si quid omnino Pragmatius illustris, hoc inter reliquas animi virtutes optime facit; quod amore studiorum te singulariter amat, in quo solo, vel maxime animum advertit, veteris peritiæ, diligentiæque resedisse vestigia. Et quidem non injuria tibi fautor est: nam debetur ab eo percopiosus litteris honor. Hunc olim perorantem et rhetorica sedilia plausibili oratione frangentem, socer eloquens ultro in familiam patriciam ascivit: licet illi ad hoc, ut sileam de genere vel censu, ætas, venustas, pudor, patrocinarentur. Sed ut comperi, erubescebat jam etiam tunc vir serius et formæ dote placuisse; quippe cui merito ingenii suffecisset adamari; et vere optimus quisque morum præstantius pulchritudine placet. Porro autem præter volantia corporis decoramenta currentis ævi profectu defectuque labascunt.

Hunc quoque manente sententia, Gallis post præfectus Priscus Valerianus, consiliis suis tribunalibusque sociavit; judicium antiquum perseverantissime tenens, ut cui scientiæ obtentu junxerat sobolem, jungeret et dignitatem. Tua vero tam clara, tam spectabilis dictio est, ut illi divisio Palæmonis, gravitas Gallionis abundantia Delphidii, Agrœcii disciplina, fortitudo Alcimi, Adelphii teneritudo, rigor Magni, dulcedo Victorii, non modo non superiora, sed vix æquiparabilia scribantur. Sane ne videar tibi sub hoc quasi hyperbolico rhetorum catalogo blanditus quippiam gratificatusque, solam tibi acrimoniam Quintiliani pompamque Palladii comparari non ambigo, sed potius acquiesco. Quapropter si quis post vos Latinæ favet eruditioni, huic amicitiæ gratias agit, et sodalitati vestræ, si quid hominis habet, tertius optat adhiberi. Quanquam quod est gravius, non sit satis ambitus iste fastidium vobis excitaturus, quia pauci studia nunc honorant. Simul et naturali vitio fixum est radicatumque pectoribus humanis, ut qui non intelligunt artes, non mirentur artifices. Vale.

LETTRE XI

SIDONIUS A SON CHER POTENTINUS SALUT.

EPISTOLA XI.

Sidonius Potentino suo salutem

Je t’aime beaucoup, et mon affection n’est l’effet ni de l’erreur, ni du hasard. Avant de me lier avec toi d’une étroite amitié, j’avais compris ce que j’allais faire; car il est dans mes habitudes de choisir d’abord et d’aimer ensuite. — Eh! quelles sont donc, vas-tu dire, les qualités que tu as aimées en moi? — Je vais répondre avec empressement, parce que l’amitié m’ordonne de le faire; en peu de mots, parce que les bornes de ma lettre me forcent à cela. Ce qui me pénètre de respect dans tes actions, c’est que presque toutes peuvent servir d’exemple aux gens de bien. Tes domaines sont habilement cultivés ; tes maisons sont bâties avec une sage ordonnance; tes chasses sont toujours heureuses, les repas que tu donnes toujours élégants, tes bons mots toujours facétieux, tes jugements toujours équitables, tes conseils toujours sincères; tu es lent à t’irriter, prompt à t’apaiser, fidèle en amitié. Tous ces modèles de conduite, si mon Apollinaris les suit dès ses jeunes années, je m’en féliciterai; du moins, je l’invite à les suivre. Pourvu que, avec l’aide du Christ, les soins que j’apporte à son éducation et à son instruction ne deviennent pas inutiles, je serai au comble de la joie d’avoir emprunté de ta conduite une admirable règle de vie. Adieu.

Multum te amamus: et quidem hujusce dilectionis non est erroneus aut fortuitus affectus. Namque ut sodalis tibi devinctior fierem, judicavi. Est enim consuetudinis meæ, ut eligam ante, post diligam. Quænam, inquis, in me tibi probanda placuere? Dicam libenter et breviter: quorum unum fieri gratia, alterum charta compellit. Veneror in actionibus tuis, quod multa bono cuique imitabilia geris. Colis ut qui solertissime, ædificas ut qui dispositissime, venaris ut qui efficacissime, pascis ut qui exactissime, jocaris ut qui facetissime, judicas ut qui æquissime, suades ut qui sincerissime, commoveris ut qui tardissime, placaris ut qui celerrime, redamas ut qui fidelissime. Hæc omnia exempla vivendi jam hinc ab annis puberibus meus Apollinaris si sequitur, gaudeo: certe, ut sequatur, admoneo. In quo docendo instituendoque, modo sub ope Christi disposita succedant, plurimum lætor maximam me formulam vitæ de moribus tuis mutuaturum. Vale.

LETTRE XII

SIDONIUS A SON CHER CALMINIUS, SALUT.

EPISTOLA XII.

Sidonius Calminio suo salutem.

S’il te parvient rarement de mes lettres, ce n’est point ma fierté, mais la trop grande puissance d’autrui qui en est la cause; et ne m’en demande pas davantage à cet égard, puisque des craintes semblables aux miennes te font assez comprendre la nécessité de mon silence. Il est toutefois une seule chose dont je puis gémir librement, c’est que, séparés l’un de l’autre par les troubles qu’excitent les deux armées ennemies, nous ne puissions jamais nous voir. Jamais tu ne t’offres aux regards inquiets de la patrie, si ce n’est malheureusement lorsque, par les ordres terribles d’un étranger, nous sommes défendus, vous par la cuirasse, nous par nos remparts; l’on t’amène ici captif, et tu es forcé de vider ton carquois de flèches, de remplir tes yeux de larmes; nous le savons toutefois, tes vœux ont bien une autre portée que les traits. Mais comme de temps en temps, sinon par des traités sincères, du moins par une ombre de trêves, il brille à nos yeux un rayon de liberté, je te supplie instamment de vouloir bien, lorsque tu le pourras, nous octroyer de fréquentes lettres, car tu dois savoir que les cœurs de tes concitoyens assiégés te gardent une amitié qui sait oublier ce qu’il y a d’odieux dans ton rôle d’assiégeant. Adieu.

Quod rarius ad vos a nobis pagina meat, non nostra superbia, sed aliena impotentia facit. Neque super his quidquam planius quæras; quippe cum silentii hujus necessitatem par apud vos metus interpretetur. Hoc solum tamen libere gemo, quod turbine dissidentium partium segreges facti, mutuo minime fruimur aspectu. Neque unquam patriæ sollicitis offerris obtutibus; nisi forsitan cum ad arbitrium terroris alieni, vos loricæ, nos propugnacula tegunt. Ubi ipse in hoc solum captivus adduceris, ut pharetras sagittis vacuare, lacrymis oculos implere cogaris; nobis quoque non recusantibus, quod tua satis aliud moliuntur vota, quam jacula. Sed quia interdum, et si non per fœderum veritatem, saltem per induciarum imaginem, quædam spei nostræ libertatis fenestra resplendet: impense flagito, uti nos, cum maxime potes, affatu paginæ frequentis impertias; sciens tibi in animis obsessorum civium illam manere gratiam, quæ obliviscatur obsidentis invidiam. Vale.

LETTRE XIII

SIDONIUS A SON CHER PANNYCHIUS, SALUT.

EPISTOLA XIII.

Sidonius Pannychio suo salutem.

Tu n’ignores pas que Séronatus revient de Toulouse; si tu ne le sais pas, et je pense qu’en effet tu l’ignores, apprends-le par cette lettre. Evanthius déjà se rend à Clausétia; il fait déjà déblayer les chemins étroits, et enlever jusques aux feuilles mortes qui pourraient être tombées sur la chaussée. S’il aperçoit quelque fosse un peu profonde, lui-même tout tremblant s’empresse de la combler de terre, comme devant guider sa bête féroce depuis la vallée de Tarmis, pareil en cela aux musculus qui, à travers les rochers et les écueils, conduisent les énormes baleines. Aussi prompt à s’irriter que lent à se mouvoir, semblable à un dragon à peine sorti de son antre, Séronatus approche déjà des Gabalitani pâles de frayeur. Tous dispersés de côté et d’autre, ont déserté leurs villes; Seronatus tantôt les épuise les uns après les autres par des impôts inouïs, tantôt les enveloppe dans les filets de la calomnie, et ne permet pas même à ces malheureux de retourner dans leurs foyers, lorsqu’ils ont payé plusieurs fois le tribut annuel. Un signe certain de son arrivée prochaine, c’est que, partout où il dirige ses pas, l’on voit traîner en foule des prisonniers chargés de fers; il se réjouit de leur douleur, se nourrit de leur faim, et regarde comme une belle action de déshonorer, avant de les punir, ceux qu’il condamnera. Il ordonne aux hommes de laisser croître leurs cheveux, et aux femmes de se les couper. S’il pardonne à quelques personnes, ce qui arrive rarement, c’est tantôt par avarice, tantôt par orgueil, jamais par compassion. Pour peindre un pareil monstre, ce ne serait assez ni du prince des orateurs, Marcus d’Arpinum, ni du prince des poètes, Publius de Mantoue. Ainsi, comme on dit que ce fléau approche, (et puisse le ciel obvier à ses trahisons !) préviens le mal par de la prudence; contre les procès que pourraient te susciter ses brouillons, recours à des accords; contre ses tributs, munis-toi de quittances, afin que ce méchant homme ne trouve aucun moyen de nuire aux gens de bien ou de les écraser. En un mot, veux-tu savoir ce que je pense de Séronatus? Les autres craignent les dommages que ce brigand peut leur causer; moi, je me défie même de ses bienfaits. Adieu.

Seronatum Tolosa nosti redire: si nondum, et credo quod nondum, vel per hæc disce. Jam Clausetiam pergit Evanthius; jamque contractas operas cogit eruderare, si quid forte dejectu caducæ frondis agger insorduit. Certe si quid voraginosum est, ipse humo advecta scrobibus oppletis trepidus exæquat, ut pote belluam suam de valle Tarmis ducaliter antecessurus; musculis similis inter saxosa, vel brevia, balenarum corpulentiam prægubernantibus. At ille sic ira celer, quod piger mole, seu draco e specu vix evolutus, jam metu exsanguibus Gabalitanis e proximo infertur: quos singulos sparsos, inoppidatos, nunc inauditis indictionum generibus exhaurit, nunc flexuosa calumniarum fraude circumretit; ne tum quidem domum laboriosos redire permittens, cum tributum annuum datavere. Signum et hoc certum est imminentis adventus, quod catervatim, quo se cunque converterit, vincti trahuntur vincula trahentes: quorum dolore lætatur, pascitur fame: præcipue pulchrum arbitratus, ante turpare quam punire damnandos: crinem viris nutrit, mulieribus incidit: e quibus tamen, si rara quosdam venia respexerit, hos venalitas solvit, vanitas illos, nullos misericordia. Sed explicandæ bestiæ tali nec oratorum princeps Marcus Arpinas, nec pœtarum Publius Mantuanus, sufficere possunt. Proinde quia dicitur hæc ipsa pernicies appropinquare, cujus proditionibus Deus obviet, præveni morbum providentiæ salubritate; contraque lites jurgiosorum, si quæ moventur, pactionibus consule, contra tributa securitatibus: ne malus homo rebus bonorum vel quod noceat, vel quod præstet inveniat. In summa de Seronato vis accipere quid sentiam? Cæteri affligi per suprascriptum damno verentur; mihi latronis et beneficia suspecta sunt. Vale.

LETTRE XIV

SIDONIUS A SON CHER APER, SALUT.

EPISTOLA XIV.

Sidonius Apro suo salutem.

Est-ce la chaude Baia, est-ce l’eau sulfureuse jaillissant du milieu des pierres ponces, est-ce une piscine salutaire à ceux dont le foie est attaqué ou qui souffrent de la phtisie? est-ce là ce qui te captive? ou bien, par hasard, es-tu assis autour des châteaux bâtis sur les montagnes, et, pour trouver un lieu de refuge, éprouves-tu quelque difficulté à cause du grand nombre des fortifications? Quoi qu’il en puisse être, soit que tu t’abandonnes au repos, soit que tu t’occupes de quelque affaire, tu seras bientôt, si je ne me trompe, rappelé dans la ville pour la cérémonie des Rogations. La solennité de ces prières, c’est le vénérable père et pontife Mamertus qui, le premier, par un exemple digne de respect, par une épreuve très utile, l’a imaginée, réglée et introduite. Il y avait bien, sans doute, auparavant des prières publiques; mais, soit dit sans blesser la foi, elles étaient vagues, tièdes, peu suivies, et pour ainsi dire sommeillantes, interrompues souvent par des repos qui affaiblissaient la dévotion des fidèles; elles avaient pour objet de demander de la pluie ou du beau temps; enfin, pour ne rien dire de plus, elles ne pouvaient convenir également à un jardinier et à un potier de terre; mais dans celles-ci, instituées par le saint pontife, on jeûne, on prie, on psalmodie, on pleure. Je t’invite à ces fêtes où s’abaissent les fronts, à ces pieuses réunions de citoyens qui se prosternent humblement. Si ta piété m’est bien connue, tu mettras d’autant plus d’empressement à venir, qu’il ne s’agit point ici de se réjouir dans les festins, mais de répandre des larmes. Adieu.

Calentes nunc te Baiæ, et scabris cavernatim ructata pumicibus aqua sulphuris, atque jecorosis ac phtisiscentibus languidis medicabilis piscina delectat. An fortasse montana sedes circum castella; et in eligenda sede perfugii, quamdam pateris ex munitionum frequentia difficultatem? Quidquid illud est, quod vel negotio vacas, in urbem tamen, ni fallimur, rogationum contemplatione revocabere. Quarum nobis solemnitatem primus Mamertus pater et pontifex, reverentissimo exemplo, utilissimo experimento, invenit, instituit, invexit. Erant quidem prius quod salva fidei pace sit dictum vagæ, tepentes, infrequentesque, utque sic dixerim, oscitabundæ supplicationes; quæ sæpe interpellantum prandiorum obicibus hebetabantur, maxime aut imbres, aut serenitatem deprecaturæ; ad quas ut nil amplius dicam figulo pariter atque hortulano non oportuit convenire. In his autem quas suprafatus summus sacerdos et protulit pariter et contulit, jejunatur, oratur, psallitur, fletur. Ad hæc te festa cervicum humiliatarum, et sternacium civium suspiriosa contubernia peto: et si spiritalem animum tuum bene metior, modo citius venies, quod non ad epulas, sed ad lacrymas evocaris. Vale.

LETTRE XV

SIDONIUS A SON CHER RURICIUS, SALUT.

EPISTOLA XV.

Sidonius Ruricio suo salutem.

En vous présentant mes devoirs je vous recommande votre libraire, non point par politesse, mais parce que je le connais bien ; j’ai pu suffisamment apprécier la probité de son cœur et la célérité qu’il met à l’ouvrage, par égard pour toi notre maître commun. Il vous reporte l’Heptateuque, écrit avec une grande rapidité, avec une extrême netteté, quoique relu et retouché par nous. Il vous porte aussi le livre des Prophètes, transcrit en mon absence, et débarrassé, grâce à ses soins, des passages superflus; la personne, du reste, qui avait promis de le seconder, n’a pas toujours pu lui lire un autre exemplaire, et cela, ‘e crois, parce que la maladie l’a empêché de tenir sa parole. C’est maintenant à votre encouragement, ou à vos promesses, de récompenser dignement un serviteur ou qui s’efforce ainsi de vous plaire, ou qui a droit à vos bonnes grâces. Si, pour un pareil travail, vous les lui accordez, la récompense ne devra pas être loin; mais, comme je ne vous parle que de faveurs, voyez ce qu’il mérite, celui qui, certes, est bien plus jaloux de l’affection de son maître que de ses récompenses. Adieu.

Officii sermone præfato, bibliopolam vestrum non gratiose, sed judicialiter expertus insinuo: cujus ut fidem in pectore, sic in opere celeritatem, circa dominum te mihi sibique communem satis abunde probavi. Librum igitur jam ipse deportat Heptateuchi, scriptum velocitate summa, summo nitore; quanquam et a nobis relectum et retractatum. Defert et volumen prophetarum, licet me absente decursum, sua tamen cura manuque de supervacuis sententiis eruderatum; nec semper illo contra legente, qui promiserat operam suam: credo quia infirmitas fuerit impedimento, quominus pollicita compleret. Restat ut exhortatio vestra, sive sponsio, famulum sic vel studentem placere, vel meritum, gratia competenti remuneretur: quæ utique pro tali labore si solvitur, incipiet vestram respicere mercedem. Sed cum hoc ego de sola gratia precer, vos quid mereatur aspicite, quem constat affectum domini magis ambire quam præmium. Vale.

LETTRE XVI

SIDONIUS A SA CHÈRE PAPIANILLA, SALUT.

EPISTOLA XVI.

Sidonius Papianillae suae salutem.

Dès que le questeur Licinianus, venant de Ravenne, a pu franchir les Alpes et toucher le sol de la Gaule, il s’est hâté de nous écrire qu’il est porteur de patentes par lesquelles ton frère Ecdicius, dont les titres te flattent autant que les miens, est élevé à la dignité de patrice; il a obtenu cette dignité de bonne heure, si tu considères son âge; bien tard, si tu regardes son mérite. Depuis longtemps il s’est rendu digne de cette charge, non point en tenant la balance de la justice, mais en combattant, les armes à la main. Simple particulier, il a enrichi le trésor public, sinon d’argent, au moins de dépouilles ennemies.

L’empereur Julius Népos, célèbre par ses victoires et recommandable par ses mœurs, vient enfin d’accomplir la promesse que son prédécesseur Anthémius avait souvent faite à ton frère en récompense de ses travaux: conduite d’autant plus louable, que la promesse était restée longtemps sans effet. Tout bon citoyen peut donc se vouer maintenant au service de la république sans craindre d’être oublié, puisqu’après la mort d’un prince, son successeur acquitte les promesses faites à ceux qui se sont signalés par leurs exploits et par un dévouement généreux.

Si je connais bien ton cœur, cette nouvelle doit, au milieu des maux qui nous affligent, être pour toi une grande consolation, et la crainte même d’un siège prochain ne peut t’empêcher de prendre part à la joie publique. Je le sais bien, les honneurs que j’ai reçus, et auxquels la loi te faisait participer, ne t’ont jamais autant flattée que ceux de ton frère; car, si tu es bonne épouse, tu es meilleure sœur encore. Je me hâte de t’annoncer par des lettres de félicitation les grands titres que ta famille, grâces au ciel, vient de recevoir; je satisfais à l’impatience que tu éprouves, et je ménage tout à la fois la modestie de ton frère. S’il ne t’annonce pas lui-même la dignité dont il va être revêtu, tu ne peux accuser que cette modestie et non pas son cœur. Pour moi, quoique je me réjouisse beaucoup des honneurs accordés à ta famille, honneurs que tu attendais jusqu’ici avec d’autant plus d’impatience qu’ils vous étaient promis, je m’en réjouis moins cependant que de l’intimité qui règne entre ton frère et moi. Puisse une telle union toujours exister entre ses enfants et les nôtres! L’objet de mes vœux, c’est qu’imitant leurs pères qui, d’une famille préfectorienne, ont fait, avec la faveur d’en haut, une famille patricienne, nos enfants puissent, eux aussi, rendre consulaire une famille patricienne.

Roscia, notre sollicitude commune, te salue; elle est élevée ici sous les yeux bienveillants de son aïeule et de ses tantes paternelles, ce qui arrive rarement à d’autres enfants, et gouvernée avec une sévérité qui, sans, nuire à son âge tendre encore, sert à former son caractère. Adieu.

Ravenna veniens quæstor Licinianus, cum primum tetigit, Alpe transmissa, Galliæ solum, litteras adventus sui prævias misit, quibus indicat esse se gerulum codicellorum, quorum in adventu, fratri etiam tuo Ecdicio, cujus æque titulis ac meis gaudes, honor patricius accedit; celerrime, si cogites ejus ætatem; si merita, tardissime. Namque ille jam pridem suffragium dignitatis ineundæ non solvit in lance, sed in acie: ærariumque publicum ipse privatus non pecuniis, sed manubiis locupletavit.

Hoc tamen sancte Julius Nepos, armis pariter summus Augustus ac moribus, quod decessoris Anthemii fidem, fratris tui sudoribus obligatam, quo citerior, hoc laudabilior absolvit; siquidem iste complevit, quod ille sæpissime pollicebatur. Quo fit, ut deinceps pro republica optimus quisque possit ac debeat, si quid cuipiam virium est, quia securus, hinc avidus impendere: quando quidem mortuo quoque imperatore, laborantum devotioni quidquid spoponderit princeps, semper redhibet principatus.

Interea tu, si affectum tuum bene colligo, hisce compertis, magnum solatium inter adversa maxima capis: nec animum tuum a tramite communium gaudiorum vicinæ quoque obsidionis terror exorbitat. Novi enim probe, ne meo quidem te, quem ex lege participas, sic honore lætatam: quia licet sis uxor bona, soror quoque optima es. Qua de re, propitio Deo Christo, ampliatos prosapiæ tuæ titulos ego festinus gratatoriis apicibus inscripsi, pariter absolvens sollicitudinem tuam, fratris pudorem: quem nil de propria dignitate indicaturum, si verecundum forte nescires, nec sic impium judicares. Ego vero non tantum insignibus vestris, quæ tu hactenus quanto liberius, tanto impatientius præstolabare, quanquam iis quoque granditer, quantum concordia fruor: quam parem nostris, suisque liberis in posterum exopto; votis in commune deposcens, ut sicut nos utramque familiam nostram præfectoriam nacti, etiam patriciam divino favore reddidimus: ita ipsi quam suscipiunt patriciam, faciant consularem.

Roscia te salutat, cura communis: quæ in aviæ amitarumque indulgentissimo sinu, quod raro nepotibus contingit alienis, et cum severitate nutritur: qua tamen tenerum non infirmatur ævum, sed informatur ingenium. Vale.

LETTRE XVII

SIDONIUS À SON CHER ERIPHIUS, SALUT.

EPISTOLA XVII.

Sidonius Eriphio suo salutem.

Tu es toujours le même, cher Eriphius, mais ni la chasse, ni la ville, ni les champs ne t’attireront si fortement que l’amour des lettres ne te retienne encore, et ces goûts studieux font que tu ne nous dédaignes pas, nous qui sentons les Muses, comme tu nous l’écris. Cette façon de penser, au reste, est bien éloignée de la, vérité, et provient, ce semble, ou de la plaisanterie, si tu es joyeux, ou de l’amitié, situ es sérieux. Certainement, il s’en faut bien qu’elle soit juste, puisque tu m’assignes des qualités qui pourraient à peine convenir à Virgile ou à Homère. Mais laissons cela, et venons-en au sujet.

Tu me prescris de t’envoyer les vers que j’ai faits à la prière de ton beau-père, cet homme respectable, qui, dans la société de ses égaux, vit également prêt à commander ou à obéir. Mais, comme tu désires savoir en quel lieu et à quelle occasion ont été faits ces vers, afin de mieux comprendre cette œuvre de peu de valeur, ne t’en prends qu’à toi-même si la préface est plus longue que l’ouvrage.

Nous nous étions réunis au sépulcre de saint Justus, tandis que la maladie t’empêchait de te joindre à nous. On avait, avant le jour, fait la procession annuelle au milieu d’une immense population des deux sexes, que ne pouvaient contenir la basilique et la crypte, quoique entourées d’immenses portiques. Après que les moines et les clercs eurent, en chantant alternativement les psaumes avec une grande douceur, célébré Matines, chacun se retira de divers côtés, pas très loin cependant, afin d’être tout prêts pour Tierce, lorsque les prêtres célébreraient le sacrifice divin. Les étroites dimensions du lieu, la foule qui se pressait autour de nous et la grande quantité de lumières nous avaient suffoqués; la pesante vapeur d’une nuit encore voisine de l’été, quoique attiédie par la première fraîcheur d’une aurore d’automne, avait encore échauffé cette enceinte. Tandis que les diverses classes de la société se dispersaient de tous côtés, les principaux citoyens allèrent se rassembler autour du tombeau du consul Syagrius, qui n’était pas éloigné de la portée d’une flèche. Quelques-uns s’étaient assis sous l’ombrage d’une treille formée de pieux qu’avaient recouverts les pampres verdoyants de la vigne; nous nous étions étendus sur un vert gazon embaumé du parfum des fleurs. La conversation était douce, enjouée, plaisante; en outre, ce qui est le plus agréable, il n’était question ni des puissances, ni des tributs; nulle parole qui pût compromettre, et personne qui pût être compromis. Quiconque pouvait raconter en bons termes une histoire intéressante, était sûr d’être écouté avec empressement. Toutefois, on ne faisait point de narration suivie, car la gaîté interrompait souvent le discours. Fatigués enfin de ce long repos, nous voulûmes faire quelque chose. Bientôt nous nous séparâmes en deux bandes, selon les âges; nous demandâmes, les uns une paume, les autres une table et des dés: pour moi, je fus le premier à donner le signal du jeu de paume, car je l’aime, tu le sais, autant que les livres. D’un autre côté, mon frère Domnicius, homme rempli de grâce et d’enjouement, s’était emparé des dés, les agitait et frappait de son cornet, comme s’il eût sonné de la trompette, pour appeler à lui les joueurs. Quant à nous, nous jouâmes beaucoup avec la foule des écoliers, de façon à ranimer, par cet exercice salutaire, la vigueur de nos membres engourdis en un trop long repos. L’illustre Philimatius lui-même:

Dont la vieillesse encor veut cueillir un laurier,

Enéide, V. v. 4 trad. de Delille.

comme a dit l’illustre poète de Mantoue, se mêla constamment aux nombreux joueurs de paume. Il avait réussi très bien à ce jeu, quand il était jeune ; mais, comme il était fort souvent repoussé du milieu, où l’on se tenait debout, par le choc du joueur qui courait; comme d’autres fois, s’il entrait dans l’arène, il ne pouvait ni couper le chemin, ni éviter la paume volant devant lui ou tombant sur lui, et que, renversé fréquemment, il ne se relevait qu’avec peine de sa chute malencontreuse, il fut le premier à s’éloigner de la scène du jeu, poussant des soupirs et fort échauffé. Cet exercice lui avait fait gonfler les fibres du foie, et il éprouvait des douleurs poignantes. Je m’arrêtai tout aussitôt, pour faire l’acte de charité de cesser en même temps que lui, et d’éviter ainsi à notre frère l’embarras de sa fatigue. Nous nous assîmes donc de nouveau, et bientôt la sueur le força à demander de l’eau pour se laver le visage: on lui en présenta, et en même temps une serviette chargée de poils, qui, nettoyée de la saleté de la veille, était par hasard suspendue sur une corde, tendue par une poulie devant la porte à deux battants de la petite maison du portier. Tandis qu’il séchait à loisir ses joues : « Je voudrais, me dit-il, que tu dictasses pour moi un quatrain sur l’étoffe qui me rend cet office. — Soit, lui répondis-je. — Mais, ajouta-t-il, que mon nom soit contenu dans ces vers. » — Je lui répliquai que ce qu’il demandait était faisable. — « Eh bien, reprit-il, dicte donc. » — Je lui dis alors en souriant: « Sache cependant que les Muses s’irriteront bientôt, si je veux me mêler à leur chœur, au milieu de tant de témoins. » — Il reprit alors très vivement et toutefois avec politesse, car c’est un homme de feu et une source inépuisable de bons mots: « Prends plutôt garde, seigneur Sollius, qu’Apollon ne s’irrite bien davantage, si tu tentes de séduire en secret et seul ses chères élèves. » Tu peux juger quels applaudissements excita cette réponse rapide et si bien tournée. Alors, et sans plus de retard, j’appelai son secrétaire qui était là tout près, ses tablettes à la main, et je lui dictai le quatrain que voici:

« Un autre matin, soit en sortant d’un bain chaud, soit lorsque la chasse échauffe le front, puisse le beau Philimatius trouver encore ce linge pour sécher son visage tout mouillé, afin que l’eau passe de son front dans cette toison, comme dans le gosier d’un buveur ! »

A peine notre Epiphanius avait-il écrit ces vers qu’on nous annonça que l’heure était venue, que l’évêque sortait de sa retraite; et nous nous levâmes aussitôt. Sois indulgent pour ces vers que tu m’as demandés.

Maintenant, vous deux, revoyez en secret la pièce plus grande que vous m’avez prié naguère d’écrire, en style parabolique ou figuré, contre quelqu’un qui ne peut souffrir les bons jours; vous la recevrez demain. Si elle vous plaît, accueillez-la, publiez-la; si elle vous déplaît, détruisez-la, excusez-la. Adieu.

Es, Eriphi meus, ipse qui semper: nunquamque te tantum venatio, civitas, ager avocat, ut non obiter voluptate litterarum teneare: fitque eo studio, ut nec nostra fastidias, qui tibi, ut scribis, musas olemus. Quæ sententia tamen large probatur vero carere: quanquam et apparet, aut ex joco venire, si lætus es, aut ex amore, si serius. Cæterum a justo longe resultat, cum mihi assignas, quæ vix Maroni, vix aut Homero competenter accommodarentur. Hæc relinquamus, idque, unde causa, sermocinemur.

 Dirigi ad te præcipis versus, quos viri amplissimi soceri tui precibus indulsi: qui contubernio mixtus æqualium, vivit moribus ad jubendum obsequendumque juxta paratis. Sed quia scire desideras et locum et causam, quo facilius intelligas rem peregrinam, tibi potius vitio verte, quod loquacior erit opere præfatio.

Conveneramus ad sancti Justi sepulcrum, sed tibi infirmitas impedimento, ne tunc adesses: processio fuerat ante lucana, solemnitas anniversaria, populus ingens sexu ex utroque, quem capacissima basilica non caperet, et quamlibet cincta diffusis crypta porticibus. Cultu peracto vigiliarum, quas alternante mulcedine monachi clericique psalmicines concelebraverant, quisque in diversa secessimus; non procul tamen; ut pote ad tertiam præsto futuri, cum sacerdotibus res divina facienda. De loci sane turbarumque compressu, deque numerosis luminibus illatis, nimis anheli: simul et æstati nox adhuc proxima tacito clausos vapore torruerat; et si jam primo frigore tamen autumnalis auroræ detepescebat. Itaque cum passim varia ordinum corpora dispergerentur, placuit ad conditorium Syagrii consulis civium primis una coire, quod nec impleto jactu sagittæ separabatur. Hic pars sub umbra palmitis adulti, quam stipitibus altatis cancellatimque pendentibus pampinus superducta texuerat; pars cespite in viridi, sed floribus odoro consederamus. Verba erant dulcia, jocosa, fatigatoria: præterea, quod beatissimum, nulla mentio de potestatibus aut de tributis; nullus sermo qui proderet, nulla persona quæ proderetur. Fabulam certe referre dignam relatu, dignisque sententiis quisque potuisset: audiebatur ambitiosissime. Nec erat idcirco non distincta narratio, quia lætitia permixta. Inter hæc otio diu marcidis aliquid agere visum. Mox bipertitis, ut erat ætas, acclamationibus afflagitata profertur his pila, his tabula. Sphæræ primus ego signifer fui, quæ mihi, ut nosti, non minus libro comes habetur. Altera ex parte, frater meus Domnicius, homo gratiæ summæ, summi leporis, tesseras ceperat quatiebatque: quo velut classico ad pyrgum vocabat aleatores. Nos cum caterva scholasticorum lusimus abunde, quantum membra torpore statarii laboris hebetata, cursu salubri vegetarentur. Hic vir illustris Philematius, ut est illud Mantuani pœtæ:

Ausus et ipse manu juvenum tentare laborem,

sphæristarum se turmalibus constanter immiscuit. Pulchre enim hoc fecerat, sed cum adhuc essent anni minores. Qui cum frequenter de loco stantum medii currentis impulsu summoveretur; nunc quoque acceptus in aream, tam pilæ coram prætervolantis, quam superjectæ, nec intercideret tramitem, nec caveret; ad hoc per catastropham sæpe pronatus, ægre de ruinoso flexu se recolligeret; primus ludi ab accentu sese removit suspiriosus extis incalescentibus. Namque et jecusculi fibra tumente pungebant exercitatum crebri dolores. Destiti protinus et ipse, facturus communione cessandi rem caritatis, ne verecundiam lassitudo fraterna pateretur. Ergo ut resedimus, et illum mox aquam ad faciem petere sudor admonuit, exhibita poscenti est: pariter et linteum villis onustum, quod pridiana squama politum casu sub ipsis ædiculæ valvis bipatentibus de janitoris erecto trochleatim fune nutabat: quo dum per otium genas siccat. Vellem, inquit, ad pannum similis officii, aliquod tetrastichon mihi scribi juberes. Fiat, inquam. Sed quod meum, dixit, et nomen metro teneret. Respondi possibilia factu quæ poposcisset. Ait et ipse, Dicta ergo. Tunc ego arridens, illico scias Musas moveri, si choro ipsarum non absque arbitris vacem. Respondit ille violenter et perurbane, ut est natura vir flammeus, quidamque facundiæ fons inexhaustus: Vide, domine Solli, ne magis Apollo forte moveatur, quod suas alumnas solus ad secreta sollicitas. Jam potes nosse, quem plausum sententia tam repentina, tam lepida commoverit. Nec plus moratus, mox suo scriba qui pugillarem juxta tenebat, ad me vocato, subditum sic epigramma composui.

Mane novo, seu cum ferventia balnea poscunt,

Seu cum venatu frons calefacta madet.

Hoc foveat pulcher faciem Philematius udam,

Migret ut in bibulum vellus ab ore liquor.

Epiphanius noster vix supra scripta peraraverat, et nuntiatum est, hora monente, progredi episcopum de receptorio: nosque surreximus. Da postulatæ tu veniam cantilenæ.

Illud autem ambo, quod majus est, quodque me nuper in quemdam dies bonos male ferentem parabolice, seu figurate dictare jussistis, quodque expeditum cras dirigetur, clam recensete; et si placet, edentes fovete; si displicet, delentes ignoscitote. Vale.

LETTRE XVIII

SIDONIUS A SON CHER ATTALUS, SALUT.

EPISTOLA XVIII.

Sidonius a Attalo suo salutem.

J’ai appris avec un extrême plaisir que tu as reçu le gouvernement de la ville des Eduens; j’ai plusieurs motifs de me réjouir de ton élévation. D’abord, tu es mon ami; puis, tu es juste; ensuite, tu es austère; enfin, tu es rapproché de nous. Ce qui fait que tu voudras, que tu devras, que tu pourras servir nos intérêts et ceux des nôtres. Ainsi, profitant du nouveau droit que donne à un vieil ami le pouvoir auquel il vient d’être élevé, je cherche depuis longtemps l’occasion d’exercer ta bienfaisance. Sache-le, je compte si fort sur ton amitié que, n’eussé-je rien à demander, tu chercherais toi-même, ce semble, quelque chose que tu pusses m’accorder. Adieu.

Heduæ civitati te præsidere cœpisse, libens atque cum gaudio accepi. Lætitiæ causa quadripartita est: prima, quod amicus; secunda, quod justus es; tertia, quod severus; quarta, quod proximus. Quo fit, ut nostris nostrorumque contractibus, plurimum velis, debeas, possis opitulari. Igitur amplectens in familiari vetusto novum jus potestatis indeptæ, materiam beneficiis tuis jam diu quæro. Quibus me tantum fidere agnosce, ut et si non invenio quæ poscam, quæsiturus mihi videaris ipse quæ tribuas. Vale.

LETTRE XIX

SIDONIUS A SON CHER PUDENS, SALUT.

EPISTOLA XIX.

Sidonius Pudenti suo salutem.

Le fils de ta nourrice a enlevé la fille de ma nourrice; c’est une chose indigne et qui nous eût brouillés, si je n’eusse d’abord su que tu as ignoré le dessein du ravisseur. Après avoir apporté les raisons qui te justifient, tu daignes demander l’impunité pour une faute criante; je te l’accorde, à condition que, devenant patron de maître que tu étais, tu affranchiras le coupable de son esclavage originel. Quant à cette femme, elle est déjà libre; elle ne paraîtra pas alors victime de la passion, mais épouse légitime, si toutefois notre ravisseur, pour lequel tu supplies, devenu client de tributaire qu’il était, commence à jouer le rôle de plébéien, plutôt que de colon. Cet arrangement, ou cette satisfaction, peut seule réparer abondamment l’injure que j’ai reçue; j’accorde à tes vœux et à ton amitié, que si la liberté délivre le mari, le châtiment ne vienne pas atteindre le ravisseur. Adieu.

Nutricis meæ filiam filius tuæ rapuit: facinus indignum, quodque vos nosque inimicasset, nisi protinus scissem te nescisse faciendum. Sed conscientiæ tuæ purgatione prælata, petere dignaris culpæ calentis impunitatem. Sub conditione concedo, si stupratorem pro domino jam patronus originali solvas inquilinatu. Mulier autem illa jam libera est: quæ tum demum videbitur non ludibrio addicta, sed assumpta conjugio; si reus noster pro quo precaris, mox cliens factus e tributario, plebeiam potius incipiat habere personam quam colonariam. Nam meam hæc sola seu compositio, seu satisfactio, vel non mediocriter contumeliam emendat: qui tuis votis atque amicitiis hoc acquiesco, si laxat libertas maritum, ne constringat pœna raptorem. Vale.

LETTRE XX.

SIDONIUS A SON CHER PASTOR SALUT.

EPISTOLA XX.

Sidonius Pastori suo salutem

Comme tu n’as pas assisté hier à la délibération des citoyens dans le conseil, les meilleurs d’entre eux ont pensé que tu l’avais fait à dessein, et dans la crainte qu’on ne t’imposât le fardeau de la députation future. Je te félicite de cette modestie qui te fait craindre d’être élu; je loue ton adresse, j’admire ta prudence, je donne des éloges à ton bonheur; enfin, je souhaite des choses semblables à ceux que j’aime également. Beaucoup d’hommes, que pousse une exécrable popularité, prennent par la main les citoyens les plus distingués, les entraînent hors de l’assemblée publique, leur donnent des baisers à l’écart, leur promettent leurs services, mais sans qu’on les en prie. Afin de paraître envoyés dans l’intérêt du bien commun, ils renoncent au privilège de l’évection, refusent d’eux-mêmes l’argent qui leur est alloué, et vont en particulier demander à chacun sa voix, afin qu’en public ils soient demandés par tous. Aussi, quand même on pourrait gratuitement profiter de leurs peines, on aime cependant mieux élire des personnages modestes, tout en payant les dépenses, tant l’effronterie de ceux qui s’offrent ainsi est, odieuse, alors même que les tributs ne sont pas augmentés à cause d’eux.

Par conséquent, quoique tu connaisses les pensées des bons citoyens, cède toutefois aux vœux de ceux qui t’attendent, et approuve l’amitié de ceux qui te veulent, toi qui as déjà éprouvé leur réserve. Si tu as manqué d’abord, on l’attribue à ta modestie, on traiterait de lâcheté une seconde absence. De plus, en partant pour Arles, tu as sur ton chemin ta vénérable mère, tes frères, tes amis et le sol de la douce patrie où l’on vient toujours avec plaisir; puis ensuite, tes domaines, ton intendant, ta vigne, tes moissons, tes oliviers, ta maison elle-même, toutes choses qu’il est agréable de voir, même en passant. Envoyé par nous, tu voyages donc pour toi; car telles seront, si je ne me trompe, la nature et l’opportunité de ton voyage et de notre cause, que tu pourras, ce semble, remercier la ville de ce que tu auras vu les tiens. Adieu.

Quod die hesterno tractatui civitatis in concilio defuisti, ex industria factum pars melior accepit; quæ suspicata est id te cavere, ne tuis humeris onus futuræ legationis imponeretur. Gratulor tibi quod istis moribus vivis, ut necesse habeas electionem tui timere: laudo efficaciam, suspicio prudentiam, prosequor laude felicitatem. Opto denique æqualia iis, quos æqualiter amo. Multi frequenter quos exsecrabilis popularitas agit, civium maximos manu prensant, æque consessu publico abducunt, ac sequestratis oscula impingunt, operam suam spondent, sed non petiti. Utque videantur in negotii communis assertione legati, evectionem refundunt, ipsosque sumptus ultro recusant, et ab ambitu clam rogant singulos, ut ab omnibus palam rogentur. Sic quoque cum fatigatio illorum gratuita possit libenter admitti, libentius tamen atque amabilius verecundi leguntur, idque cum expensa: tantum impudentia sese ingerentum ponderis habet, etiam fasci cum tributario nomine ipsorum nil superfunditur.

Proinde quanquam te non fefellit, quid boni quique meditarentur, redde te tamen exspectantium votis, expetentumque caritatem proba, qui jam probasti pudorem. Quod defuisti primum, modestiæ ascribitur: ad ignaviam respicit secunda dilatio. Præterea tibi Arelatem profecturo est venerabilis in itinere mater, fratres, amantes, redamantisque patriæ solum, ad quod et præter occasionem voluptuose venitur: tum domus propria, cujus auctorem, vineam, messem, olivetum, tectum quoque ipsum, vel dum præterveharis, inspicere res commodi est. Quapropter missus a nobis et tibi pervenis. Namque erit talis viæ tuæ causæque nostræ conditio, ni fallor, atque opportunitas, ut pro beneficio civitati posse imputare quandocunque videaris, quod tuos videris. Vale.

LETTRE XXI.

SIDONIUS A SES CHERS SACERDOS ET JUSTINUS SALUT.

EPISTOLA XXI.

Sidonius Sacerdoti et Justino suis salutem.

Victorius votre oncle, homme aussi distingué que savant, entre autres productions littéraires, a laissé de fort belles poésies. Moi aussi, dès mon enfance, je n’ai cessé de cultiver les Muses. Vous héritez maintenant de votre parent, avec autant de droit que de justice. Je suis son parent par la profession de poète, si vous l’êtes, vous, par le sang. Il est donc bien juste que chacun de nous succède au défunt, suivant les degrés de parenté; c’est pourquoi, gardez son patrimoine, et donnez-moi les vers. Adieu.

Victorius patruus vester, vir ut egregius, sic undecunque doctissimus, cum cætera potenter, tum potentissime condidit versus. Mihi quoque semper a parvo cura musarum. Nunc vos parenti venitis hæredes, quam jure, tam merito. Ilicet ego pœtæ proximus fio professione, vos semine. Ergo justissimum est, ut die functo sic quisque nostrum succedat, ut jungitur. Ideoque patrimonia tenete, date carmina. Valete.

NOTES DU LIVRE CINQ.

 

 

LETTRE PREMIERE.

Vindicium. — L’auteur, Epist. VII, 4, parle encore de ce même Vindicius, diacre de l’église des Arvernes.

LETTRE II.

Vigilax. — Sidon. Epist. VIII, 11. Cette expression se trouve employée dans le même sens par Properce, Eleg. IV, 7 ; par Columelle, VII, 12.

Grammatica dividit. — Voyez ce que dit Claudianus Mamertus, sur ce sujet, dans la dédicace de son livre, à Sidonius.

LETTRE III.

Talione. — Expression qui revient souvent dans les Lettres de Symmaque; I, 59, 89; III, 1, 26.

Idem velle, etc. — Sallustii Bell. Catilin. XX. Ces paroles sont encore citées par St. Jérôme, Epître à Démétriade ; par Jean de Saribbery, Polycrat. III, 4; par Pierre le Vénérable, Epist. IV, 21.

LETTRE V.

Arpinatis. — C’est Cicéron que Sidonius appelle l’orateur d’Arpinum, et à qui il donne l’épithète de varicosus, qui a des varices aux jambes.

Arpinum, aujourd’hui Arpino, est une ‘ville du pays des Volsques, dans la province dite maintenant Terre de Labour, et la patrie de Marius et de Cicéron, etc.

 

Hilario. — Il est très difficile de fixer la valeur du mot hilario. Le P. Sirmond dit que quelques exemplaires des Lettres de Sidonius portent harilao ou harilio: plusieurs personnes, adoptant cette dernière manière d’écrire le mot dont il s’agit, croient que harilao signifie montagne, cime de rocher; de hartz, qui a cette signification dans les langues du nord, contrée d’où viennent ordinairement les faucons; d’autres prétendent que ce mot signifie une aire, et rapportent hilario, ou harilao, au mot latin area.

Il est peut-être plus vraisemblable de le dériver du mot latin hilaris. Alors il signifierait un lieu agréable, dans lequel on se plaît; mais ceci n’est qu’une conjecture.

Le P. Sirmond ignorant aussi la propre valeur de ce mot, a commenté la phrase de cette manière : Après avoir fait une étude particulière de Virgile, et tâché d’atteindre à la richesse et à l’abondance de l’orateur d’Arpino, vous semblez avoir quitté la patrie de vos dieux, pour une patrie étrangère. »

Le texte porte: quasi de hilario vetere novus falco prorumpas. Vous prenez l’essor, semblable à un jeune faucon, qui s’élance de son ancien. . . . (Note de Billardon de Sauvigny).

LETTRE VI.

Æstas decessit autumno. — Imité de Symmaque, Epist. II, 6.

Chilpericum. — Chilpericus était le père de sainte Clotilde, femme de Clovis, et un des quatre rois qui régnaient sur les Burgondes; il paraît, par la lettre suivante, que Lugdunum était la capitale de ses états.

Novi principis. — Quel était ce nouveau prince? il est difficile de le savoir; on ne peut douter néanmoins que l’auteur ne parle d’un empereur de Rome, dit le P. Sirmond

LETTRE VII.

Tetrarcham. — Chilpericus n’est point nommé dans cette lettre, mais il l’a été dans la précédente. L’auteur lui donne ici la qualité de Tétrarque, parce qu’il avait trois frères, et que tous les quatre portaient le titre de rois des Burgondes.

Coram positus. — A Vienne; voyez la lettre précédente.

Narcissus. — Narcissus, Pallas et Licinius étaient des affranchis de l’empereur Claude ; Massa, Marcellus et Carus, de Néron; Asiaticus, de Vitellius; Parthénius, de Domitien; leur corruption les avait rendus infmes.

Portoria quadruplatoribus. — Ces deux mots ne sont pas faciles à expliquer. Par portorium, on peut entendre les droits que l’on paie aux receveurs dans les ports et sur les ponts; par quadruplatores, ceux qui affermaient ces droits, en se réservant le quart des revenus. On voit aisément d’où vient leur nom de quadruplatores.

Flamonia municipibus. — Flamonia est ici pour Flaminia, comme le prouve cette inscription rapportée par le P. Sirmond:

L. FL. VALENS

OB HONOREM

FLAMONTI.

B.P.D.

Flaminia , c’est-à-dire dignité des flammes, ou prêtres-sacrificateurs. « Quid referam reverendos municipali purpura flamines, insignes apicibus sacerdotes? » Drepanius Pacatus, in Paneg. Theod. Les flamines étaient affectés aux municipes; les sacerdotes, ou prêtres, aux provinces. « Ne flamini municipali, sacerdoti provinciæ, liceret habere uxorem ancillam. » Novella Martiani IV.

Arcariis pondera. — Les arcarii étaient ceux qui avaient soin de la caisse, arca, du préfet. On pesait l’or et l’argent que l’on recevait: « A prætoriana sede, ad singulas non solum provincias, sed etiam civitates pondera examinata, mittantur, » dit une Novelle de Majorien, de Curialibus.

Mensuras allectis. — Les allecti étaient ceux qui tenaient l’état des recettes publiques; ils sont ainsi appelés, parce qu’ils étaient attachés, allecti, à la perception des impôts. « Debitores vero et quos allectos aut susceptores memorant, » dit le Code Théodosien, leg. XII et XIII, De susceptoribus. Ces allecti avaient besoin de mesures, comme les arcarii avaient besoin de poids, pondera.

Salaria tabulariis. — De salaria vient notre mot salaire; quant au mot salaria, il dérive de sal, sel, ou de se alere, se nourrir; les tabularii étaient ceux qui tenaient le registre de la caisse fiscale.

Dispositiones numerariis. — C’est-à-dire, ce qu’on entendait par commonitoria, praeceptiones, notitias, evectiones, etc.

Castorinati. — « Castorinas quærimus et sericas vestes, et ille se inter episcopos credit altiorem, qui vestem induerit clariorem. » Ambrosii, de dignit. Sacerdot. cap. IV. — « Fibrinum, dit Isidore de Séville, lana castorum, et fibrina vestis , tramam de fibri lana habens, castorina. » Orig. XIX.

Lucumonem Tanaquil. — On sait que Tarquin l’Ancien s’appelait d’abord Lucunion. — Il paraît, d’après Juvénal, Sat. VI, Ausone, II, 12 et Apollinaris Sidonius, que Tanaquil était fort impérieuse, et que les anciens donnaient le surnom de Tanaquil aux femmes qui menaient leurs maris; du reste, comme, de la part de l’épouse du premier Tarquin, cet empire tournait au bien des sujets et à la gloire de son mari, il ne faut pas en faire à cette reine un sujet de reproche. Bayle, dans son Dictionnaire, a consacré un article curieux à Tanaquil.

Sidonius veut parler ici de Chilpéric et de son épouse.

Cibyratarum. — Les Cibyrates, auxquels Sidonius fait allusion, étaient deux frères, Tiépolémus et Hiéron, natifs de Cibyre en Cilicie, et dont Verrés se servit pour piller la Sicile.

Lugdunensem Germaniam. — L’auteur entend par ces mots la province lugdunaise, dans laquelle s’étaient établis les Burgondes, venus de la Germanie. C’est assez l’ordinaire de Sidonius, lorsqu’il parle des Burgondes, de les appeler Germains; ainsi, il dit: Curva Germanorum senectus, Epist. V, 5; et ailleurs: — Germanica verba sustinentem. Carm. XII. 4.

Germanicum. — Chilpéric; il faut entendre ceci au figuré; l’auteur, par-là, fait l’éloge de la bonté de Chilpéric, en le nommant Germanicus. Le Lucumon de tout à l’heure ne doit donc pas être pris à la lettre.

LETTRE VIII.

Ablavius ou Ablabius, vivait sous Constantin, fut préfet du prétoire, depuis l’an 326 jusqu’à l’an 337, et obtint un grand crédit à la cour de ce prince. En 331, Ablavius fut consul avec Bassus. Lorsque Constantin mourut, il nomma Ablavius conseil de son fils Constance; mais cet empereur, loin de suivre les volontés de son père, commença par ôter à Ablavius sa charge, sous prétexte de se conformer aux désirs des soldats. Ablavius se retira dans une maison de plaisance qu’il avait en Bithynie; mais, quoiqu’il se fût ainsi résigné de lui-même à une sorte d’exil, il ne put jouir du repos qu’il avait espéré. Constance, qui redoutait toujours son crédit, lui envoya quelques officiers avec des lettres par lesquelles il semblait l’associer à l’empire; mais lorsque Ablavius demandait où était la pourpre dont il allait être revêtu, d’autres officiers survinrent et le tuèrent. On pense que, victime d’une si odieuse trahison, il n’obtint pas même après sa mort les honneurs de la sépulture. Ablavius ne laissa qu’une fille, nommée Olympiade. Elle avait été fiancée à l’empereur Constant, qui, tant qu’il vécut, vit toujours en elle sou épouse future; mais, en 350, ce prince fut tué; et en 360, Constance fit épouser à Olympiade le roi d’Arménie, Arsace. » Biogr. univ.

Faustam. — De cruels malheurs domestiques pour ne pas dire des crimes atroces, souillèrent le palais et le règne de Con stant.in. Son fils Crispus, né de Minervine, Première femme ou plutôt concubine de l’empereur (ex concubina Minerva, dit Aurel. Vict. p. 388), fut accusé par sa belle-mère Fausta d’avoir osé lui montrer une passion incestueuse. On ignore si ce fut l’envie, ou l’amour méprisé, qui porta cette nouvelle Phèdre à une démarche si fatale. Crispus fut sacrifié sans instruction de procès, et mourut par le poison (la Biogr. univ. dit qu’il eut la tête tranchée), à l’âge de 25 ans, chéri et regretté du peuple et des courtisans. Sa marâtre, dont la perfidie avait été mise à découvert, fut étouffée par la vapeur de bains chauffés à l’excès.

On peut présumer que Constantin eut de grandes qualités, mais qu’il donna aussi dans les plus grands travers, Si l’on oppose à la critique d’Aurélius Victor, de Zosime, et, en général, des historiens païens, les suffrages flatteurs des Pères de l’Eglise et des écrivains chrétiens, il est juste de tenir compte aussi de l’opinion de quelques poètes et orateurs chrétiens de cette même époque (ou très peu éloignés), qui n’ont pas eu une idée fort avantageuse de la moralité de ce prince. Par exemple, Apollinaris Sidonius, louant la justesse et l’utilité des satires de son ami Sécundinus, les compare à celles que le consul Ablavius composa contre l’empereur Constantin, vivant, et qu’il fit placarder secrètement à la porte même du palais. Dans la lettre suivante du même livre, il taxe, par une sorte d’antonomase, Constantin d’inconstance, Constantino inconstantiam. Ce jeu de mots rentre naturellement dans le sens d’un proverbe rapporté par Sextus Aurélius Victor, Epitom. « Unde proverbio vulgari, dit cet auteur, Trachala decem annis præstantissimus, duodecim sequentibus armis latro, decem no- vissimis pupillus ob profusiones immodicas nominatus. » Ce qui veut dire en bon français: « Il fut un parfait comédien, pendant les dix premières années de son règne; un brigand, durant les douze années suivantes; et un pupille, dans les dix dernières, à cause de son luxe et de ses profusions immodérées. » Le seul mot qui puisse embarrasser ici le commun des lecteurs est celui de Trachala, qui ne se trouve dans aucun antre lexique que dans le Glossaire de Ducange, où l’on voit que Cédrénus, historiographe grec, dérive l’étymologie du sobriquet Trachala, donné à Constantin, du mot grec TrachloV (Trachélos), cou; parce que ce prince avait le cou très long, les épaules larges, et que, en un mot, il était de prestance et de taille à jouer un rôle. Voyez les Œuvres complètes de l’empereur Julien, traduites pour la première fois du grec en français, accompagnées d’arguments et de notes, et précédées d’un Abrégé historique et critique de sa vie; par R. Tourlet, Paris, 1821, tom. I., pag. 31.

Tyrannopolitarum. — Ce mot est composé de deux mots grecs, turannoV et poliV, tyran de ville. Pour comprendre Sidonius, il suffit de se rappeler tous les meurtres, toutes les atrocités qui désolèrent la famille des frères Tétrarques.

LETTRE IX.

Apollinaris et Rusticus. L’auteur nous a parlé de la préfecture de son aïeul, Epist., III, 12. — Rusticus, aïeul d’Aquilinus, est ce Decimus Rusticus qui, de maître des offices, était devenu Préfet des Gaules, sous le tyran Constantin, 410, 411. Laccary, Hist. Gali. sub Praefectis Proet. p. 121. Lorsque Constantin eut été vaincu devant la ville d’Arles, « Rusticus étant tombé entre les mains des généraux d’Honorius, subit un rigoureux supplice, dit Grégoire de Tours, Hist. des Francs, II, 9. Je noterai, en passant, que l’endroit de cet historien où il est question de Rusticus,

Il existe encore, près de Sisteron, une inscription de Dardanus, qui a été publiée par plusieurs auteurs: Spon, Miscell. 150; Gronovius, in Thesauro, tom. X, pag. 124; — Gruter, ch. 1,6; — Bergier, Hist. des grands Chemins, 169; Boldon, Epigraph. 297; — Bouche, Chor. de Provence, 244 intégr., 250 mutil.; — D. Bouquet, Script. rer. Gent. t. I, in Exc. Grut. 137; — De la Gandara, Nobiliario, armas y triumfos de Galicia, 35; — Chorier, Hist. du Dauphiné, 187, mutilée; — Papon, Hist. de Provence, pag. 95 et 96; — Hagenbuch, de Diptycho Brixiensi, pag. 63; — Mevolhon, sur des inscriptions récemment trouvées à Sisteron, 1604, in 8; — Sirmond, Not. ad Apoll. Sidon.; — Laccary, lieu cité, pag. 117. Mais dans tous ces auteurs cette inscription n’est pas figurée, et ne se trouve que d’une manière inexacte. Mihin, Voyages dans les départements du Midi de la France, tome III, pag. 6, en donne une copie fidèle. Voici la traduction du texte:

« Claudius Postumus Dardanus, homme illustre, revêtu de la dignité de patrice, ex-gouverneur consulaire de la province Viennoise, ex-maître des requêtes, ex-questeur, ex-préfet du prétoire des Gaules; et Névia Galla, femme clarissime et illustre, son épouse; ont procuré à la ville appelée Theopolis l’usage des routes, en faisant tailler des deux côtés les flancs de ces montagnes, et lui ont donné des portes et des murailles. Tout cela a été fait sur leur propre terrain, mais ils l’ont voulu rendre commun pour la sûreté de tous. Cette inscription a été placée par les soins de Claudius Lépidus, comte et frère de l’homme déjà cité, ex-consulaire de la première Germanie, ex-maître du conseil des mémoires, ex-comte des revenus particuliers de l’empereur, afin de pouvoir montrer leur sollicitude pour le salut de tous, et d’être un témoignage écrit de la reconnaissance publique. »

« L’entière solitude, le bruit du torrent, les souvenirs que cette inscription rappelle, les beautés que la nature déploie dans ce lieu sauvage, tout concourt à imprimer à l’âme une douce teinte de mélancolie. On aimerait à livrer son cœur à la bienveillance envers le magistrat qui a fait un usage utile de sa fortune et de son crédit et envers ses concitoyens, qui ont voulu éterniser sur cette roche la reconnaissance du bienfait qu’ils avaient reçu. Pourquoi faut-il être contraint de refuser son estime à celui à qui l’on se plaisait tant à l’accorder! St. Jérôme et St. Augustin font un grand éloge de Dardanus; mais ils ne l’ont jugé que par ses lettres. Apollinaris Sidonius, témoin de sa conduite, a pu le juger d’après ses actions; et il dit en propres termes que c’était un monstre qui réunissait tous les vices des divers tyrans qui avaient envahi les Gaules sous l’empire d’Honorius : la légèreté de Constantin, la faiblesse de Jovin, et la perfidie de Géronce. Souvent des hommes injustes et criminels dans leur conduite publique, ont des vertus domestiques, des qualités privées; ils soignent leur famille, ils font du bien à ce qui les entoure : ces bonnes actions particulières méritent la reconnaissance des personnes qui en ont été l’objet. Mais les magistrats chargés d’un grand pouvoir, et auxquels le prince a confié son autorité, sont toujours responsables de l’usage qu’ils en font; et ce n’est point pour avoir répandu autour d’eux quelques bienfaits, qu’ils doivent être absous des actes d’oppression et d’injustice dont ils se sont rendus coupables, etc.

« De cette ville, qui dut être, à en juger par sa situation, par les soins qui avaient été pris pour la rendre accessible, par le nom qu’on lui avait imposé (Theopolis, ville de Dieu), et par l’importance du personnage qui en était le magistrat, il ne reste plus que quelques ruines, son antique nom conservé dans l’inscription, et la mémoire de ce nom dans celui de Théon, par lequel on désigne aujourd’hui son emplacement. Millin, lieu cité.

Il paraît que Dardanus, après sa deuxième préfecture du moins il fut préfet deux fois, au rapport de St. Jérôme, mena une vie différente de celle qu’il avait menée d’abord. « Quæris, Dardane, christianorum nobiissime, lui écrit le pieux solitaire, nobilium christianissime, quæ sit terra repromissionis, etc... et, à la fin de la Lettre: « Hæc tibi, vir eloquentissime, in duplicis prœfecturœ honore transacto, nunc in Christo honoratior, tumultuaria et brevi lucubratione dictavi, ne viderer omnino reticere. Eodem enim tempore, imo eodem mihi die, et litteræ tuæ redditæ sunt, et meæ expetitæ, ut aut tacendum fuerit, aut incompto eloquio respondendum, quorum alterum pudoris, alterum caritatis est. Epist. Crit., tome II, pag. 605 et 611, des Œuvres de saint Jérôme.

Cette lettre peut être datée, suivant Martianay, de l’année 414. Il en est une encore, adressée par St. Augustin à Dardanus, en 417, suivant les Bénédictins; or, il semblerait d’après les expressions des deux Pères de l’Eglise, que Dardanus avait embrassé le christianisme. « Fateor me, dit St. Augustjn, frater dilectissime Dardane, illustrior mihi in cantate Christi, quam in hujus seculi dignitate, litteria tuis tardius respondisse quam debui. Epist. CLXXXVII.

Tribuni notariique. Secrétaires de l’empereur. Pater candidati sub Valentiniano principe gessit tribuni et notanii laudabiliter dignitatem : honor, qui tunc dabatur egregua, dum ad imperial. secretum tales constet eligi, in quibus reprehensionis vitium nequeat inveniri. » Cassiod. Variar. 1, 4.

Unus ... parti, alter soliditati. — Il faut que le père d’Aquilinus ait été vicaire d’une province des Gaules, ce que fait comprendre le mot parti; nous savons que le père de Sidonina fut préfet de prétoire dans toute la Gaule. Sidon. Epist. VIII, 6.

LETTRE X.

Sapaudus, l’un des plus savants hommes de son temps, était de Vienne, où il enseignait la rhétorique. Il a un article dans l’Hist. litt. de la France, tome II, pag. 498.

Pragmatius. — Les auteurs de l’Hist. litt. ont également consacré un article à ce docte, personnage, tome II, p. 580.

Priscus Valerianus. — Préfet des Gaules et parent de l’empereur Avitus. Voyez l’Hist. litt. de la France, tome II, p. 360. — Sidon. Carm. VIII.

Palæmonis. — Il ne nous reste, de tous les rhéteurs dont il est parlé dans cette lettre, que les Déclamations de Quintilien.

Palémon vivait sous Adrien, comme nous l’apprend la Chronique d’Eusèbe, anno Dom. 135.

Sénèque nous a conservé le souvenir de son frère Gallio, qui fut d’abord appelé Annæus Novatus, et qui, ayant été adopté par Junius Gallio, prit, comme c’était la coutume, le nom de ce dernier, en passant dans sa famille. Nat. Quœst. IV. Præfat.; — Ibid., V, ii. — Sénèque nous apprend encore que son frère haïssait l’adulation, et qu’un jour, ayant la fièvre en Achaïe, il monta sur un vaisseau, « Clamitans non corporis esse, sed loci morbum. » Epist. CIV. C’est probablement ce même Gallio que St. Jérôme, in Proœm. Commentarii VIII in Isaiam, appelle « Gallionem declamatorem distinctissimum. »

Delphidii, Agrœcii. — Voyez l’Hist. litt. de la France, tom. I, p. 202-206.

LETTRE XI.

Colis ut qui, etc. — Imitation de Pline, Episi. IX, 22.

Meus Apollinaris. — D’après cette lettre, on ne peut guère douter que Sidonius n’eût un fils nommé Apollinaris, dont Potentinus était l’instituteur. Il est évident qu’il ne s’agit pas ici d’Apollinaris, frère de Thaumastus, et parent de Sidonius.

LETTRE XII.

Il y avait quelque trêve, entre les Romains et les Goths, au commencement de 474. C’est alors apparemment que Sidonius écrivait à son ami cette lettre, par laquelle il le plaint si fort d’être obligé de porter les armes contre sa propre patrie. Tillemont, Mém. tom. XVI, p. 249.

Impotentia. — C’est-à-dire, nimia potentia, comme le sens l’indique assez. L’expression n’est pas rare chez les auteurs latins. Voyez, entre autres, Symmaque, Epist. I, 95.

LETTRE XIII.

Sidonius avait déjà prié Ecdicius, dans la lettre Ire du livre II, de venir s’opposer aux vexations que Séronatus commettait dans l’Auvergne.

Pannychius était de Bourges ; Sidon. Epist. VII, 9, in Concione.

Musculis similis. — « Amicitiæ exempla sunt, præter illos de quorum diximus societate, balæna et musculus: quando prægravi superciliarum pondere obrutis ejus oculis, infestantia magnitudinem vada prænatans demonstrat, oculorumque vice fungitur. »

Plinii Nat. Hist. IX, 88. — Claudien dit encore, in Eutrop. II, 45:

« Sic ruit in rupes, amisso pisce sodali

Bellua, sulcandas qui prævius edocet undas,

Immensumque pecus parvæ moderamine caudæ

Temperat, et tanto conjungit fœdera monstro. »

Voyez Plutarque, lib. de Solert. Anim., pag. 980 et 981 ; — Oppien, Halieut. V, 71; — Elien, Hist. Anim. II, 13; — Rondelet, de Piscibus marinis, XVI, 11.

Gabalitani. — Habitants du Gévaudan. Ce mot signifie les montagnards; il est formé du mot oriental, gibel, gabal, etc., qui signifie montagne.

Contra tributa securatibus. — Par ce mot securitates, il faut entendre ce que nous entendons par celui de quittance. Symmaque, Epist. X, 43, désigne la même chose par ces mots : Illationum documenta. Cassiodore dit au receveur des tributs de Venise (canonicario): « Validas contra te apochas invenerunt; invictas securitates illis dedit calamitas sua; violentus abstulit quod quærebas. » Var. XII, . Et Sévère Sulpice : Expetere securitates annorum serie et vetustate consumptas, et, eis non extantibus, inde prædæ occasionem captare, et tantum accepti lationem divendere. »

Mihi latronis et beneficia suspecta. — Virgile a dit, Enéide, II, 49 : «Timeo Danaos et dona ferentes. »

LETTRE XIV.

Calentes Baiæ. — Nous empruntons ce qui suit à un ouvrage publié en 1823, à Clermont-Ferrand, par M. Michel Bertrand; 2e édition, in-8. Ces pages sont extraites du IVe chapitre:

« Conjectures sur l’époque de la construction des bains décombrés au Mont d’Or (en 1817) —. . . . . . C’est de ces bains qu’il est fait mention dans les Tables de Peutinger et les écrits de Sidoine Apollinaire, et non de ceux de Chaudes-Aigues, comme Savaron et le P. Sirmond le prétendent.

« . . . . On est surpris de ne rien trouver dans les vieilles chroniques, dans les vieux manuscrits, dans les anciens auteurs , qui ait trait aux bains que l’on vient de décombrer; que Sidoine Apollinaire surtout, qui a décrit avec tant de charmes son Avitac, qui a tant parlé de l’Auvergne et de ce qu’elle présentait de plus intéressant, garde le silence sur ce point.

« Mais d’abord, est-il bien vrai que nulle part il ne soit fait mention de ces bains? J’ai de bonnes raisons pour penser le contraire. Le village a changé de nom: voilà, je crois, tout le mystère. Si donc nous cherchons dans les anciens livres, sous le nom actuel, quelque chose qui y soit relatif, nous n’y trouverons rien. Mais si, au lieu de s’attacher servilement au mot, on consulte la tradition; si l’on confère ce que disent plusieurs auteurs avec ce que les lieux présentent, alors les inductions se pressent et la vérité se montre dans tout son jour.

Ainsi les Tables de Peutinger, dressées sous le règne d’Honorius et d’Arcadius, sont indicatives des routes qui traversaient l’empire d’Orient et d’Occident, et des établissements thermaux qui se trouvaient sur cette vaste surface. Imparfaites sous bien des rapports, on ne conteste pas l’exactitude de ces Tables en ce qui concerne la détermination des distances, objet essentiel de leur composition.

Sur leur première feuille, on voit deux endroits appelés l’un Aquis Neris, et l’antre Aquis calidis. Augusto-Nemetum, aujourd’hui Clermont, se trouve entre ces deux endroits à peu près sur la même ligne, et, chose très remarquable, à 39 milles, environ z5 lieues du premier, et à 22 milles, ou 9 lieues du second.

cc Maintenant revenons à Sidoine, dont la maison de campagne avoisinait le Mont d’Or, soit qu’elle se trouvât sur les bords du lac d’Aidat, ainsi que quelques personnes le veulent, ou, comme je crois l’avoir démontré, qu’elle fût bâtie dans un enfoncement de la vallée délicieuse du Chambon.

« La 14e lettre du livre V de cet auteur, adressée à son ami Aper, commence par ces expressions fort remarquables: Calentes nunc te Baiœ, et scabris cavernatim ructata pumicibus aqua sulphuris atque jecorosis ac phthisiscentibus languidis medicabilis piscina delectat. An fortasse montana sedes circum castella, etc. Il suffit d’avoir vu avec quelque attention les eaux du Mont d’Or, pour convenir que cette description caractéristique leur est tout à fait applicable. Ainsi, en se dégageant de la coulée, elles font entendre un bruit souterrain et entrecoupé, très fort surtout au temps des orages; elles naissent à travers des prismes dont les angles sont aigus et la surface polie; elles jouissent d’une ancienne célébrité contre les maladies de la poitrine; et enfin elles se trouvent dans un pays montagneux et pittoresque, ou de nombreuses cimes sont couronnées de vieilles ruines de châteaux.

« Dans leurs annotations sur Sidoine, Savaron et le P. Sirmond interprètent bien autrement le passage que je viens de citer: ils traduisent les mots Calentes Baiœ par celui de Chaudes-Aigues; et ils ne doutent point que Sidonius aurait voulu parler de ces eaux, situées sur les confins de l’Auvergne et du Rouergue. Savaron s’appuie sur ce que Philander, commentateur de Vitruve, a dit de Chaudes-Aigues; et le P. Sirmond, sur les Tables de Peutinger. L’opinion de ces deux savants, dont les écrits honorent l’Auvergne, serait, je crois, très différente, si, à l’époque où ils vivaient, on avait eu sur les eaux du Mont d’Or les notions nouvellement acquises.

« Suivant le P. Sirmond, Chaudes-Aigues est la traduction de l’Aquis calidis des Tables de Peutinger. Mais les mêmes Tables présentent sept ou huit établissements thermaux, les uns dans l’orient et les autres dans l’occident, auxquels cette dénomination est commune. L’inspection de ces Tables, d’ailleurs, est aussi favorable au Mont d’Or que contraire à Chaudes-Aigues. En effet, l’Aquis calidis en question s’y trouve moins éloigné de Clermont que Néris; or, Néris est à quinze lieues de Clermont, et Chaudes-Aigues à trente, tandis que le Mont d’Or, en suivant l’ancienne route dont j’ai parlé, en est tout au plus à neuf lieues.

Cependant il fallait voir Chaudes-Aigues, examiner ses eaux, interroger la tradition sur les lieux, et rechercher avec une attention scrupuleuse si l’on y découvre quelque vestige d’un ancien établissement thermal, si l’on y rencontre quelque trace de route romaine. Eh bien! les eaux, les lieux et la tradition repoussent également l’opinion de Savaron et du P. Sirmond, accueillie plus tard par M. Legrand-d’Aussi, et reproduite dans son Voyage d’Auvergne. J’en appelle au témoignage d’un homme célèbre, de M. le comte de Montlosier; ramené dans le Cantal par le désir d’en observer de nouveau les montagnes, il a bien voulu s’intéresser à mes recherches et m’aider de ses lumières. Nous avons vu, sur les bords et dans le lit même du ruisseau qui traverse cette petite ville, de nombreuses sources très-chaudes. Nous avons admiré surtout la belle et volumineuse fontaine du Parc ………………………………………………………………………………

Nulle part on ne saurait trouver autant de ressources pour un grand établissement thermal; et peut-être n’y a-t-il qu’à le vouloir pour que Chaudes-Aigues, aujourd’hui si négligée, devienne un jour la Carlsbad de la France. Au reste, les eaux de la fontaine du Parc s’échappent rapidement, mais sans aucun bruit, du flanc de la montagne, par un conduit dont la gueule est béante; et ni cette source, ni les autres ne présentent rien à quoi le scabris cavernatim ructata pumicibus de Sidoine soit applicable.

« Enfin, consultons Philander, sur l’autorité duquel est fondé le sentiment de Savaron. Philander avait pu voir Chaudes-Aigues pendant qu’il habitait Rodez, ou Georges d’Armagnac l’avait attiré, vers le milieu du seizième siècle. Au temps ou il écrivait, Chaudes-Aigues se trouvait, comme il se trouve aujourd’hui, sans établissement thermal; et rien de ce qu’il dit ne donne à penser qu’à des âges antérieurs ses eaux aient été moins négligées. D’après cet auteur, on les employait, comme ou les emploie à présent, en étuves et en bains pour exciter de fortes transpirations; comme à présent, ces étuves et ces bains étaient dans des maisons particulières.[1] Dans l’énumération détaillée de leurs différents usages, Philander aurait-il omis leurs vertus contre la phtisie? Phthisiscentibus languidis medicabiis piscina; expressions qui annoncent tout à la fois des effets salutaires, depuis longtemps observés, et un certain concours de personnes atteintes de la poitrine.

«L’Aquis calidis de Peutinger, placé près d’Augusto-Nemetum, le Calentes Baiae de Sidoine, sont donc le Mont d’Or d’aujourd’hui. La nature et les vertus des eaux, la tradition, les monuments, la route romaine, les bains décombrés, le site bien autrement intéressant que celui de Chaudes-Aigues enterré dans une gorge très-profonde, tout le démontre; le nom ancien a changé, comme les anciens bains avaient disparu. Ce changement, au surplus, s’est reproduit à différentes époques. Connu, il y s plusieurs siècles, sous le nom de St-Pardoux, postérieurement on a appelé ce village les Bains; puis les Bains du Mont d’Or, à cause de la montagne au pied de laquelle il se trouve. Telle est encore à présent la dénomination conservée par un établissement dont les lieux, les souvenirs qui s’y rattachent, l’intérêt du pays, et plus que cela les besoins de l’humanité souffrante, appelaient également la régénération..... »

Figulo ... atque hortulano non ... convenise. — Voilà qui me paraît friser singulièrement la plaisanterie, telle que Voltaire l’entendait, en matière de religion. Comment un évêque se permettait-il ce langage irrespectueux?

LETTRE XV.

Heptateuchi. — Le mot heptateuque signifie sept livres. On appelait ainsi les cinq livres qui composent le Pentateuque, le livre de Josué et celui des Juges. Quand on y ajoutait le livre de Ruth, cela formait l’Octateuque. Mais comme les Hébreux, suivant la remarque de St. Epiphane et de St. Jérôme, réunissaient en un livre et Ruth et les Juges, il arriva que l’on disait souvent Heptateuque, au lieu d’Octateuque.

Eruderatum. — Il paraît, d’après ce passage, que l’on avait corrompu les Prophètes. Tillemont, Mém. tom. XVI, pag. 236.

LETTRE XVI.

Licinianus. — Voyez Sidon. Epist. III, 7.

Alpe. — L’auteur emploie souvent ce mot au singulier. Carm. II, 510; IX, 45; XVI, 95.

Non ... in lance, sed in acie. — C’est-à-dire qu’Ecdicius n’a point acheté à prix d’or (on pesait la monnaie dans une balance, lance), mais avec son épée. Voyez Sidon. Epist. VIII, 7.

Roscia. — Roscia était fille de Sidonius et de Papianilla, comme ces mots, cura communis, le font assez voir. Il dit encore ailleurs, Epist. II, 1: « Severiana, sollicitudo communis. »

LETTRE XVII.

Dans son Cours d’Histoire moderne, tome I, pag. 131, M. Guizot trouve le fait que présente cette lettre, indispensable pour compléter le tableau de la société gauloise au Ve siècle, et de son singulier état.

« Les deux classes d’hommes, dit-il, les deux genres de vie et d’activité que je viens de mettre sous vos yeux, n’étaient pas toujours aussi distincts, aussi séparés qu’on serait tenté de le croire, et que leur différence pourrait le faire présumer. De grands seigneurs à peine chrétiens d’anciens préfets des Gaules, des hommes du monde et de plaisir devenaient souvent évêques. Ils finissaient même par y être obligés, s’ils voulaient prendre part au mouvement moral de l’époque, conserver quelque importance réelle, exercer quelque influence active. C’est ce qui arriva à Sidoine Apollinaire comme à beaucoup d’autres. Mais, en devenant évêques, ces hommes ne dépouillaient pas complètement leurs habitudes leurs goûts; le rhéteur, le grammairien, le bel esprit, l’homme du monde et de plaisir ne disparaissaient pas toujours sous le manteau épiscopal; et les deux sociétés, les deux genres de mœurs se montraient quelquefois bizarrement rapprochées. Voici une lettre de Sidoine, exemple et monument curieux de cette étrange alliance. Il écrit à son ami Eriphius. »

Puis vient la lettre qui est en partie traduite, et avec habileté; M. Guizot reprend ensuite:

« Sidoine était alors évêque, et sans doute plusieurs de ceux qui l’accompagnaient au tombeau de St. Just et à celui du consul Syagrius, qui participaient avec lui à la célébration de l’office divin et au jeu de paume, au chant des psaumes et au goût des petits vers, étaient évêques comme lui. »

Tillemont présume que cette lettre est la plus ancienne des lettres de l’auteur; « car, dit-il, il s’y dépeint comme étant encore du nombre des jeunes gens qui fréquentaient le barreau. Je pense, ajoute en note Tillemont, que c’est ce que signifie, en cet endroit, ex caterva scholaticorum. » Mém., tome XVI, p. 199.

Nous ne croyons pas que le passage cité puisse contredire le sentiment de M. Guizot; il n’est pas assez positif.

Soceri tui. — Le P. Sirmond croit que Philimace à qui Sidonius conseille, Epist. I, 3, d’accepter un emploi d’assesseur, est le même qui était beau-père d’Eriphe. J’ai peine à le croire, d’autant que ce beau-père d’Eriphe est appelé vir illustris, titre bien élevé au-dessus d’un assesseur; à moins que nous ne disions que Sidonius le donnait quelquefois à ceux qui étaient illustres, non en dignité, mais en mérite, comme il le dit, Epist. VIII, 6, de Nicet, avocat, qu’il appelle ortu clarissimum, privilegio spectabilem, merito illustrem. Et néanmoins, il veut dire proprement qu’il méritait d’avoir le titre et la qualité d’illustre. Tillemont, Mém. tom. XVI, pag. 749.

De tributis. — Il y avait raison de parler des tributs, car les Gaules alors en étaient surchargées, comme nous l’apprend Sidonius lui-même, Carm. V, 446. Voyez encore Salvien, livre V.

Ausus et ipse, etc. — Vers de Virgile, Enéide V.

Dies bonos. — Qu’est ce que l’auteur entend par-là? Seraient-ce les jours d’assemblée que les Romains appelaient dies legitimi, ou bien les jours heureux?

Il est parlé, dans cette lettre, d’un Domnicius, que Sidomus appelle son frère; c’est par amitié, sans doute, qu’il lui donne ce nom.

LETTRE XVIII.

Attalus, à qui cette lettre est adressée, était petit-fils de Grégoire de Langres, qui fut pendant quarante ans comte d’Autun, et ensuite évêque de la même ville. On voit que son petit-fils lui succéda dans la première dignité.

Cet Attalus était frère de la mère de Grégoire de Tours. Il fut, dans sa jeunesse, envoyé en otage, et réduit à l’état d’esclave au pays de Trêves. Cette singulière aventure, rapportée par son neveu, mérite bien d’être lue, car elle a tout l’intérêt d’un roman. La voici, dans la traduction de M. Guizot:

« Cependant Théodoric et Childebert firent alliance, et, s’étant prêté serment de ne point marcher l’un contre l’autre, ils se donnèrent mutuellement des otages pour confirmer leurs promesses. Parmi ces otages, il se trouva beaucoup de fils de sénateurs; mais, de nouvelles discordes s’étant élevées entre les rois, ils furent dévoués aux travaux publics, et tous ceux qui les avalent en garde en firent leurs serviteurs; un bon nombre cependant s’échappèrent par la fuite et retournèrent dans leur pays; quelques-uns demeurèrent en esclavage. Parmi ceux-ci, Attale, neveu du bienheureux Grégoire, évêque de Langres, avait été employé au service public et destiné à garder les chevaux; il servait un barbare qui habitait le territoire de Trèves. Le bienheureux Grégoire envoya des serviteurs à sa recherche, et, lorsqu’on l’eut trouvé, on apporta à cet homme des présents; mais il les refusa, en disant: « De la race d’où il est, il me faut dix livres d’or pour sa rançon. » Lorsque les serviteurs furent revenus, Léon, attaché à la cuisine de l’évêque, lui dit: « Si tu veux le permettre, peut-être pourrai-je le tirer de sa captivité. Son maître fut joyeux de ces paroles, et Léon se rendit au lieu qu’on lui avait indiqué. Il voulut enlever secrètement le jeune homme, mais il ne put y parvenir. Alors, menant avec lui un autre homme, il lui dit: « Viens avec moi, vends-moi à ce barbare, et le prix de ma vente sera pour toi: tout ce que je veux, c’est d’être plus en liberté de faire ce que j’ai résolu. » Le marché fait, l’homme alla avec lui, et s’en retourna après l’avoir vendu douze pièces d’or. Le maître de Léon, ayant demandé à son serviteur ce qu’il savait faire, celui-ci répondit: « Je suis très habile à faire tout ce qui doit se manger à la table de mes maîtres, et je ne crains pas qu’on en puisse trouver un autre égal à moi dans cette science. Je te le dis en vérité, quand tu voudrais donner un festin au roi, je suis en état de composer des mets royaux, et personne ne les saurait mieux faire que moi. » Et le maître lui dit: « Voilà le jour du soleil qui approche (car c’est ainsi que les Barbares ont coutume d’appeler le jour du Seigneur), ce jour-là mes voisins et mes parents sont invités à ma maison je te prie de me faire un repas qui excite leur admiration et duquel ils disent: Nous n’aunons pas attendu mieux dans la maison du roi. Et lui dit: « Que mon maître ordonne qu’on me rassemble une grande quantité de volailles, et je ferai ce que tu me commandes. » On prépara ce qu’avait demandé Léon. Le jour du Seigneur vint à luire, et il fit un grand repas plein de choses délicieuses. Tous mangèrent, tous louèrent le festin; les parents ensuite s’en allèrent; le maître remercia son serviteur, et celui-ci eut autorité sur tout ce que possédait son maître. Il avait grand soin de lui plaire, et distribuait à tous ceux qui étaient avec lui leur nourriture et les viandes préparées. Après l’espace d’un an, son maître ayant en lui une entière confiance, il se rendit dans la prairie, située proche de la maison, où Attale était à garder les chevaux, et, se couchant à terre loin de lui et le dos tourné de son côté, afin qu’on ne s’aperçût pas qu’ils parlaient ensemble, il dit au jeune homme: « Il est temps que nous songions à retourner dans notre pays ; je t’avertis donc, lorsque cette nuit tu auras ramené les chevaux dans l’enclos, de ne pas te laisser aller au sommeil, mais, dès que je t’appellerai, de venir, et nous nous mettrons en marche. » Le barbare avait invité ce soir-là à un festin beaucoup de ses parents, au nombre desquels était son gendre qui avait épousé sa fille. Au milieu de la nuit, comme ils eurent quitté la table et se furent livrés au repos, Léon porta un breuvage au gendre de son maître, et lui présenta à boire ce qu’il avait versé; l’autre lui parla ainsi: « Dis-moi donc, toi, l’homme de confiance de mon beau-père, quand te viendra l’envie de prendre ses chevaux et de t’en retourner dans ton pays? » ce qu’il lui disait par jeu et en s’amusant; et lui, de même en riant, lui dit avec vérité: « C’est mon projet pour cette nuit, s’il plaît à Dieu. » Et l’autre dit: « Il faut que mes serviteurs aient soin de me bien garder, afin que tu ne m’emportes rien. » Et ils se quittèrent en riant. Tout le monde étant endormi, Léon appela Attale, et les chevaux sellés, il lui demanda s’il avait des armes. Attale répondit: « Non, je n’en ai pas, si ce n’est une petite lance. » Léon entra dans la demeure de son maître, et lui prit son bouclier et sa framée. Celui-ci demanda qui c’était et ce qu’on lui voulait. Léon répondit: C’est Léon, ton serviteur, et je presse Attale de se lever en diligence et de conduire les chevaux au pâturage, car il est là endormi comme un ivrogne.

L’autre lui dit: « Fais ce qui te plaira; » et, en disant cela, il s’endormit. Léon étant ressorti munit d’armes le jeune homme, et, par la grâce de Dieu, trouva ouverte la porte d’entrée qu’il avait fermée au commencement de la nuit avec des clous enfoncés à coups de marteau pour la sûreté des chevaux ; et, rendant grâces au Seigneur, ils prirent d’autres chevaux et s’en allèrent, déguisant aussi leurs vêtements. Mais lorsqu’ils furent arrivés à la Moselle,[2] en la traversant, ils trouvèrent des hommes qui les arrêtèrent; et, ayant laissé leurs chevaux et leurs vêtements, ils passèrent l’eau sur des planches et arrivèrent à l’autre rive, et, dans l’obscurité de la nuit, ils entrèrent dans la forêt où ils se cachèrent. La troisième nuit était arrivée depuis qu’ils voyageaient, sans avoir goûté la moindre nourriture; alors, par la permission de Dieu, ils trouvèrent un arbre couvert du fruit vulgairement appelé prune, et ils le mangèrent. S’étant un peu soutenus par ce moyen, ils continuèrent leur route et entrèrent en Champagne. Comme ils y voyageaient, ils entendirent le trépignement de chevaux qui arrivaient en courant, et dirent : « Couchons-nous à terre, afin que les gens qui viennent ne nous aperçoivent pas. Et voilà que tout à coup ils virent un grand buisson de ronces, et passant auprès ils jetèrent à terre, leurs épées nues, afin que, s’ils étaient attaqués, ils pussent se défendre avec leur framée, comme contre des voleurs. Lorsque ceux qu’ils avaient entendus arrivèrent auprès de ce buisson d’épines, ils s’arrêtèrent, et l’un des deux, pendant que leurs chevaux lâchaient leur urine, dit: « Malheur à moi, de ce que ces misérables se sont enfuis sans que je puisse les retrouver; mais je le dis, par mon salut, si nous, les trouvons, l’un sera condamné au gibet, et je ferai hacher l’autre en pièces à coups d’épée. » C’était leur maître, le barbare, qui parlait ainsi; il venait de la ville de Reims, où il avait été à leur recherche, et il les aurait trouvés en route si la nuit ne l’en eût empêché. Les chevaux se mirent en route et repartirent. Cette même nuit les deux autres arrivèrent à la ville, et y étant entrés, trouvèrent un homme auquel ils demandèrent la maison du prêtre Paulelle. Il la leur indiqua, et comme ils traversaient la place, ou sonna Matines, car c’était le jour du Seigneur. Ils frappèrent à la porte du prêtre, et entrèrent. Léon lui dit le nom de son maître. Alors le prêtre lui dit: « Ma vision s’est vérifiée, car J’ai vu cette nuit deux colombes qui sont venues en volant se poser sur ma main: l’une des deux était blanche, et l’autre noire.[3] » Ils dirent au prêtre: « Il faut que Dieu nous pardonne; malgré la solennité du jour, nous vous prions de nous donner quelque nourriture, car voilà la quatrième fois que le soleil se lève depuis que nous n’avons goûté ni pain ni rien de cuit. » Ayant caché les deux jeunes gens, il leur donna du pain trempé dans du vin, et alla à Matines. Il y fut suivi par le barbare qui revenait cherchant ses esclaves ; mais, trompé par le prêtre, il s’en retourna, car le prêtre était depuis longtemps lié d’amitié avec le bienheureux Grégoire. Les jeunes gens ayant repris leurs forces en mangeant, demeurèrent deux jours dans la maison du prêtre, puis s’en allèrent; ils arrivèrent ainsi chez saint Grégoire. Le pontife, réjoui en voyant ces jeunes gens, pleura sur le cou de son neveu Attale. Il délivra Léon et toute sa race du joug de la servitude, lui donna des terres en propre, dans lesquelles il vécut libre le reste de ses jours avec sa femme et ses enfants. Grégoire de Tours, Hist. liv. III.

Civitati præsidere. — Les villes avaient alors des comtes particuliers, ce que je ne me souviens point d’avoir remarqué avant ce temps-ci. Tillemont, Mém. tom. XVI, pag. 206.

LETTRE XIX.

CETTE lettre est un document précieux sur la dépendance des colons et des esclaves, au Ve siècle.

LETTRE XX.

Arelatem. — Le préfet des Gaules faisait alors sa résidence dans cette ville.

LETTRE XXI.

Victorius. — Le P. Sirmond demande si ce Victorius n’est pas le Victorius d’Aquitaine, qui, la prière de l’archidiacre Hilaire, pontife romain, composa le Cycle Pascal, en 457, sous le consulat de Constantin et de Rufus? Il y a lieu de croire que c’est, en effet, le Victorius d’Aquitaine, car ceux-ci étaient contemporains de Sidonius. Ces deux frères, Sacerdos et Justinus, demeuraient dans le Gévaudan, et étaient célèbres par leur union. Voyez Sidonius, Carm. XXIV, 26-27.

 

 


 

[1] Ici est une longue citation latine extraite de Philand in Vitruvium, lib. V, cap. X.

[2] Il faut probablement lire la Meuse qui coule en effet entre Trèves et Reims.

[3] Cette phrase semble indiquer que Léon était nègre; on ne peut douter qu’il n’y est déjà sous les Romains des esclaves noirs dans la Gaule.