ALLER à LA TABLE DES MATIÈRES DE SIDOINE APOLLINAIRE
SIDOINE APOLLINAIRE NOTICE
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Étude
sur Sidoine Apollinaire et sur la société gallo-romaine au cinquième siècle.
l
NOTICESUR SIDONIUS.Caius Sollius Apollinaris Sidonius naquit à Lyon, le 5 novembre 430. Il comptait parmi ses ancêtres des préfets de Rome et du prétoire, des maîtres des offices et des généraux d'armée. Son aïeul Apollinaris, qui, le premier de sa famille, renonça à l'idolâtrie pour embrasser le christianisme, exerça la préfecture dans les Gaules sous le tyran Constantin ; son père fut tribun et secrétaire d'état sous l'empereur Honorius, puis préfet des Gaules sous Valentinien III ; sa mère, dont on ignore le nom, était de la famille des Avitus, la plus célèbre de l'Auvergne. Sidonius reçut une éducation digne de sa naissance : Hoénius l'initia au culte des Muses ; Eusèbe lui enseigna la philosophie ; il apprit les mathématiques, l'astronomie et la musique; enfin, il acquit une assez grande connaissance du grec, pour être en état de le traduire en latin. Quand il eut achevé ses études, il songea à s'avancer dans les dignités ; bientôt il suivit la carrière de l'éloquence et de la poésie, qui pouvaient conduire aux honneurs. Avant d'occuper aucune charge, il épousa Papianilla, fille d'Avitus qui fut depuis empereur; elle lui apporta en dot la terre d'Avitac en Auvergne, dont il nous a laissé une brillante description,[1] faite sans doute à l'exemple de Pline le Jeune qui, dans trois de ses lettres, a décrit de la manière la plus pittoresque les belles maisons de campagne qu'il possédait en Italie. Sidonius n'avait pas vingt ans, quand il s'unit à Papianilla ; il eut de ce mariage au moins trois enfants, un fils nommé Apollinaris, et deux filles, dont l’une s'appelait Sévériana et l'autre Roscia. Avitus ayant été déclaré Auguste le 10 juillet 455, Sidonius le suivit à Rome et y prononça son panégyrique le premier jour de l'année suivante, en présence du sénat et du peuple romain ; cette pièce qui renferme d'assez beaux détails, mais qui n'est pas exempte de défauts, valut à son auteur, âgé seulement de vingt-cinq ans, l'érection d'une statue d'airain que l'on plaça près de celle de Trajan, sous le portique qui conduisait aux deux bibliothèques grecque et latine. Le règne d'Avitus fut de courte durée ; ce prince, sur lequel Sidonius comptait pour parvenir aux emplois, fut bientôt détrôné par les intrigues du comte Ricimer, cet homme extraordinaire qui, suivant les expressions de Tiraboschi,[2] s'était fait, pour ainsi dire, l'arbitre du diadème impérial, sans jamais se soucier d'en orner son front, soit que la dignité du trône se trouvât alors si avilie qu'elle ne lui parût pas un objet désirable, soit qu'il lui semblât plus glorieux d'y faire monter ou d'en faire descendre qui bon lui plaisait, que d'y monter lui-même. Une partie de la Gaule s'étant armée pour venger Avitus, son gendre courut défendre Lugdunum qui avait reçu les Visigoths dans ses murs : cette ville fut assiégée par les Romains et forcée de se rendre; elle fut dépouillée de ses privilèges, accablée d'impôts et obligée de recevoir une garnison qui se livra aux plus grands excès. Sidonius, qui avait pris part à la capitulation, n’eut d'autre moyen, pour conserver sa vie, que de recourir à la clémence de Majorien que Ricimer avait fait proclamer empereur : ce prince lui accorda sa grâce par l'intercession de Pierre, son secrétaire, qui commandait l'armée romaine destinée à réduire les Gaules et à expulser les troupes que Théodoric II, roi des Visigoths, y avait envoyées pour favoriser l'insurrection. Majorien, auquel Sidonius avait déjà adressé une supplique en vers, en faveur de sa ville natale, s'étant rendu à Lugdunum en 458, le poète y prononça son panégyrique en vers. De puissantes raisons, sans doute, le portèrent à encenser le nouvel empereur ; mais on lui pardonnera difficilement d'avoir distribué une portion de ses éloges à l'infâme Ricimer, l'auteur de la chute d'Avitus, et d'avoir dit de lui : et il l'emporte sur Sylla en pénétration ; sur Fabius, en génie ; sur Métellus, en piété ; sur Appius, en éloquence ; sur Fulvius, en courage ; sur Camillus, en habileté (v. 555 et suiv.). » Les louanges de Sidonius, dictées par les circonstances, et qui étaient trop outrées pour être sincères, produisirent l'effet qu'il en attendait ; et Majorien, cédant aux instances de son panégyriste, retira la garnison qui avait été placée à Lugdunum ; il affranchit cette ville des contributions qu'elle avait promises pour l'exemption du pillage; il lui rendit ses privilèges, et donna des ordres pour qu'elle fût restaurée, et qu'il ne restât aucune trace des ravages et des incendies dont elle avait été plusieurs fois la victime, lors des différentes invasions que firent les nations barbares dans les Gaules, depuis la décadence de l'empire romain. Sidonius fut ensuite élevé à la dignité de comte, et exerça quelques autres emplois à la cour de Majorien. Il se trouvait à Arles pendant le séjour qu'y fit ce prince en 459 ; accusé d'avoir composé contre lui et contre les principaux dignitaires de l'état une satire remplie de traits mordants, il se justifia dans un souper où Majorien l'avait invité, et fit contre son délateur un distique, qu'il improvisa à la demande de l'empereur, et dont voici le sens :
Un lâche m'attribue un libelle exécrable, Majorien ayant été assassiné en 461 par Ricimer, qui mit ensuite le diadème sur la tête de Sévère, il paraît que Sidonius saisit le moment de cette révolution pour quitter la cour, et qu'il passa tout le temps du règne de Sévère dans la terre d'Avitac, uniquement occupé de l'étude des lettres et du soin de ses affaires domestiques, sans cesse visité par de nombreux amis. Sévère ayant été empoisonné par Ricimer, et Anthémius étant parvenu à l'empire en 467, ce prince ordonna à Sidonius, qui était à Lugdunum, de se rendre à Rome : Sidonius, qui avait d'importantes demandes à faire pour l'Auvergne, obéit avec empressement. Il nous a conservé dans une de ses lettres[5] une relation fort curieuse de ce voyage. A son arrivée à Rome, on célébrait les noces de Ricimer avec la fille d'Anthémius ; Sidonius y assista, et peu de temps après il fit encore en vers le panégyrique de l'empereur, en présence de qui il le prononça, le 1er janvier 468. Il obtint ensuite la charge de chef du sénat et celle de préfet de la ville, par l'entremise de Basilius, favori d'Anthémius, et l'un des hommes les plus vertueux de son siècle. Au bout de quelque temps, l'empereur le fit aussi patrice. Le désir de revoir sa patrie et de lui consacrer le reste de sa vie engagea Sidonius, vers la fin de 471, à passer de l'état séculier et des premières charges de la cour, dont il se démit en faveur de son fils, à l'humilité et à la sainteté de l'épiscopat. A peine eut-il manifesté ce désir, qu'il fut porté d'une voix unanime sur le siège, alors vacant, de l'église de Clermont, dont le diocèse comprenait toute l'Auvergne. Sidonius, ordonné évêque, devint un homme tout nouveau; il renonça aux lettres profanes, et, s'il fit encore des vers, ce ne fut que bien rarement et le plus souvent en l'honneur des martyrs et des saints. Il redoubla d'efforts pour que la réputation du poète ne portât aucune atteinte à la vie austère et pure du ministre du Seigneur.[6] Ce ne fut plus qu'un homme d'aumônes, de jeunes et de prières. Une étude approfondie à laquelle il se livra des mystères de l'Ecriture-Sainte, accrut encore sa réputation et le fit regarder comme l'oracle de l'Église gallicane. Les plus grands prélats que cette Église eût alors, S. Lupus de Troyes, S. Remigius de Reims, S. Patiens de Lyon, se firent un mérite d'avoir part à son amitié, et d'entretenir on commerce de lettres avec lui. Lupus, entre autres, lui écrivait un jour : « Je rends grâces, très cher frère, au Seigneur notre Dieu Jésus-Christ, par l'Esprit-Saint qui, dans cet ébranlement général et cette affliction de l'Église son épouse bien-aimée, vient de t'appeler au rang d'évêque, pour la soutenir et la consoler, afin que tu sois un flambeau en Israël, et qu'après avoir parcouru si glorieusement les hautes dignités de la milice du siècle, tu remplisses avec ardeur, appuyé sur le Christ, les pénibles fonctions et les humbles ministères de la céleste milice, sans porter les yeux en arrière, comme un laboureur paresseux, à présent que tu as mis la main à la charrue. « Des affinités glorieuses t'ont fait toucher de bien près à l'éclat impérial ; tu as revêtu avec honneur, et au milieu des applaudissements redoublés, la trabée sénatoriale ; tu as passé par les plus hautes préfectures, et par tout ce que peut imaginer de plus heureux dans le siècle la longue chaîne de nos désirs inquiets. La face des choses vient de changer, et tu as reçu dans la maison du Seigneur une dignité qui ne veut ni le faste, ni la splendeur du monde, mais qui exige un grand abaissement d'esprit, une profonde humilité de cœur. Tu t'efforçais autrefois d'ajouter à l'éclat de ta naissance par des honneurs plus éclatants encore ; tu croyais que ce n'est point assez d'égaler le reste des hommes, qu'il faut encore surpasser ses égaux ; te voilà dans un état où, quoique supérieur à tous, tu ne dois croire l'être à personne. En te plaçant au-dessous du plus petit de tes subordonnés, tu seras d'autant plus honorable que l'humilité du Christ te ceindra davantage, que tu baiseras les pieds de ces mêmes hommes sur la tête desquels tu dédaignais autrefois de poser les tiens. Ton grand œuvre à présent, c'est de te faire le serviteur de tous, toi qui paraissais le maître de tous ; de te courber devant les autres, toi qui foulais aux pieds le reste de ces hommes ; non certes que tu fusses orgueilleux, mais parce que la majesté, pour ne pas dire la vanité de tes honneurs passés, te forçait de devancer les autres, comme ton rang doit aujourd'hui te faire reculer devant tes semblables. « Fais donc en sorte de transporter maintenant aux actions divines cet esprit qui a si fort brillé dans les choses humaines. Que tes peuples recueillent de ta bouche les épines de la tête du Crucifié, comme ils recueillaient de tes paroles les roses d'une éloquence mondaine; qu'ils reçoivent de la voix d'un évêque les discours de la discipline céleste, comme ils recevaient de la voix du maître les règles de la discipline civile. Moi qui t'ai si fort aimé quand tu suivais l’aridité du siècle, quelle penses-tu que doive être la mesure de mon amour, maintenant que tu suis la fertilité du ciel ? Je suis proche de ma fin,[7] mais je ne croirai pas mourir, puisque, même après le trépas, je vivrai en toi, et te laisserai dans l'Église. Je me réjouis d'être dépouillé, depuis que tu t'es revêtu de l'Église, et que l'Église s'est revêtue de toi. Courage, mon vieil ami, mon jeune frère ! Ce dernier titre efface les premiers, et il n'est rien de notre antique union que je n'oublie volontiers, puisque les nouveaux liens de ta charge rendent notre amour et plus solide et plus fort. « Oh ! si Dieu voulait que je pusse t'embrasser ! mais je fais en esprit ce que je ne puis faire autrement, et, en présence du Christ, j'honore et j'embrasse, non plus un préfet de la république, mais un évêque de l'Église, qui est mon fils par son âge, mon frère par sa dignité, mon père par son mérite. Prie pour moi, afin qu'étant consommé dans le Seigneur, j'achève l'œuvre qu'il m'a imposée, et que je remplisse enfin en lui le reste de ma vie, moi qui, ô malheur ! en ai employé la plus grande partie à des objets profanes et étrangers ; mais il y a miséricorde chez le Seigneur. Souviens-toi de moi.[8] » L'épouse de Sidonius parait avoir vécu au moins jusqu'à la fin de 474 quoiqu'il soit certain qu'il existât entre eux la plus parfaite union, l'on ne peut douter, disent les Bénédictins de Saint-Maur, qu'elle ne fût devenue sa sœur, selon l'ordre des canons. Le siège de Bourges étant devenu vacant en 472, quelques débats s'élevèrent en cette ville sur le choix de l'évêque. Sidonius fut invité à s'y rendre, et tous les prélats qui y étaient assemblés s'en rapportèrent à lui sur l'élection. Sidonius nomma Simplicius, et le calme se rétablit ; nous avons encore le discours qu'il prononça à cette occasion.[9] L'Auvergne, en 474, était menacée de l'invasion d'Euric, roi des Visigoths ; le saint évêque n'hésita point à engager son peuple à faire une vigoureuse résistance. Les habitants de Clermont soutinrent un siège, pendant lequel ils eurent à souffrir toutes les horreurs de la guerre. Ecdicius, beau-frère de Sidonius, étant parvenu à s'introduire dans la ville assiégée, se mit à la tête de ses concitoyens dont il forma une petite armée, et fit des prodiges de valeur. L'hiver força Euric de lever le siège de la ville que sa retraite laissa en proie à une division qui avait éclaté parmi les habitants, dont les uns voulaient abandonner la ville, tandis que les autres persistaient à vouloir se défendre. Sidonius fit venir de Lugdunum le prêtre Constantius, qui, par son éloquence, parvint à rétablir la concorde. Une affreuse disette désolait les contrées que les Visigoths avaient traversées ; plus de quatre mille Burgondes, mourant de faim, dénués de tout, étaient venus à Clermont ; Ecdicius et Sidonius pourvurent à leur subsistance. Le pieux prélat, dont la bourse était épuisée, fit vendre secrètement sa vaisselle d'argent pendant cette calamité ; mais Papianilla, qui en fut instruite, la fit racheter et remettre dans la maison de son mari. Ce fut alors encore que Sidonius, pour implorer la miséricorde divine, établit dans son diocèse la cérémonie des Rogations, que S. Mamert avait déjà instituée à Vienne.[10] Pendant l'hiver, Euric avait rassemblé de nouvelles forces; il s'était rendu si redoutable, que Népos, empereur d'Occident, crut devoir acheter la paix par la cession qu'il fit de l'Auvergne aux Visigoths. Ceux-ci ne tardèrent pas à se rendre maîtres de Clermont ; Sidonius, loin de se laisser abattre par ce funeste événement, montra le plus grand courage. Il se présenta devant le prince arien, et osa lui demander qu'il laissât aux catholiques qui tombaient sous sa domination, le droit d'ordonner les évêques. La fermeté qu'il déploya en cette circonstance, l'affection qu'il avait constamment montrée pour les Romains, enfin ses liaisons avec les personnes les plus considérées des Gaules, donnèrent de l'ombrage au monarque visigoth qui, sourd à ses demandes, l'envoya prisonnier au château de Livia, à quelques lieues de Carcassonne. Sidonius y resta renfermé jusqu'à ce que Léon, homme de lettres et ministre d'Euric, qui s'intéressait à son sort, et auquel il avait envoyé une copie qu'il avait faite, à sa prière, de la Vie d'Apollonius de Tyane,[11] eût mis fin à sa captivité qui dura une année ; mais il reçut en même temps l'ordre de se rendre à Bordeaux, pour régler avec lui, qui y tenait sa cour, les affaires de l'Auvergne. Ce n'était qu'un prétexte imaginé pour le retenir comme prisonnier d'état dans cette ville. Il est à présumer que ce fut un petit poème que Sidonius composa, pendant son exil, à la louange d'Euric, qui lui fit obtenir la permission de retourner dans sa patrie. Le roi des Visigoths fut sans doute sensible aux charmes de la poésie, et ne dut pas lire avec indifférence des vers où Sidonius avait représenté, avec non moins d'énergie que de vérité, tous les peuples de la terre prosternés aux pieds de leur vainqueur, et les Romains qui, attendant de lui seul leur salut, demandaient en suppliant, au nouveau favori de Mars, la protection de la Garonne pour le Tibre affaibli. Sidonius revint en Auvergne où il ne cessa point d'agir avec une vigueur toute chrétienne, pour adoucir le sort d'un peuple dont il fut constamment le véritable père. Quoique entièrement occupé du soin de son diocèse, il trouva cependant le loisir de revoir ses lettres et d'en publier le recueil à diverses reprises, pour satisfaire aux pressantes sollicitations du lyonnais Constantius et de plusieurs autres de ses amis ; mais il refusa de continuer l'histoire de la guerre d'Attila, qu'il avait commencée à la prière de Prosper, évêque d'Orléans;[12] il croyait cette entreprise au-dessus de ses forces. Le traité qu'il avait composé, pendant son épiscopat, sur les Offices de l'Église, et qui est cité par Grégoire de Tours, qui y avait ajouté une préface, n'est pas parvenu jusqu'à nous, non plus que cette préface que l'on doit d'autant plus regretter, qu'il est certain qu'elle contenait des particularités sur la vie de Sidonius. Tout ce qu'on sait des dernières années du vénérable prélat, c'est qu'il eut à éprouver quelques tracasseries de la part de deux prêtres factieux et corrompus, qui avaient résolu de le chasser de son église pour s'emparer de son siège, mais qui ne purent réussir. Il mourut un samedi, 21 août, jour auquel l'Église de Clermont, qui l'a placé au nombre de ses saints, célèbre encore sa fête. L'Église de Lyon la célèbre aussi le même jour. L'époque la plus certaine de sa mort doit être placée, suivant les Bénédictins de Saint-Maur, sous l'empire de Zénon, vers l'année 488, la 58e année de son âge et la 18e de son épiscopat, la 7e ou la 8e du règne de Khlowig. Son corps, d'abord enterré dans l'église de St-Saturnin, fut depuis transporté dans celle de St-Genès. Voici son épitaphe :
Sanctis contiguus sacroque patri, La maison de Polignac, dont l'antiquité se perd dans la nuit des temps, croit être issue du frère de ce prélat, et veut que du nom d'Apollinaris se soit insensiblement formé celui de Polignac. Il nous reste de Sidonius : — Neuf livres de Lettres qu'il paraît avoir composées à plaisir, et dans lesquelles il semble avoir voulu lutter avec Pline le Jeune et Symmaque ; mais il faut avouer que s'il s'est rapproché du dernier de ces épistolographes, il est resté fort au-dessous du favori de Trajan. — Vingt-quatre pièces de vers sur différents sujets, auxquelles il faut joindre des épitaphes, des inscriptions et quelques autres morceaux de poésie insérés dans ses Lettres. On y remarque un homme de talent, qui a de l'imagination, de la verve, et qui, par un style vif, serré et énergique, semé de pensées ingénieuses et brillantes, sait intéresser et plaire. Quoiqu'on lui reproche avec justice de l'affectation, de l'enflure et quelquefois de l'obscurité, défauts qui signalent les productions du siècle de décadence et de barbarie où il florissait, il n'en doit pas moins être regardé comme le meilleur poète que cette époque ait produit. Nous croyons devoir observer que presque toutes les pièces de Sidonius paraissent avoir été improvisées. La vie de ce grand homme fut si active et mêlée de tant de traverses, qu'il n'eut pas assez de loisir pour retoucher ses vers. Lorsqu'il en fit un recueil, à la prière du consul Magnus Félix, son ancien condisciple, il lui témoigna, dans sa Dédicace,[13] combien il redoutait que le public ne jugeât sévèrement des poésies qu'il avait composées dans sa première jeunesse, et auxquelles il n'avait pas mis la dernière main. Il brisa plus d'une fois sa lyre à l'aspect des Burgondes et des autres peuples barbares que les Romains avaient pris pour auxiliaires, et qui envahissaient toute la Gaule. Les ouvrages qui nous restent de Sidonius, et qui font vivement regretter ceux que la piété et la modestie du saint Evêque firent anéantir à leur auteur, ainsi que ceux que le temps nous a enviés ont le précieux avantage de nous avoir conservé des faits qu'on chercherait vainement ailleurs. Gibbon et Le Beau, en traçant l'histoire du Ve siècle, citent à chaque page les écrits de Sidonius. Ils n'ont pas moins été utiles au P. de Colonia et aux autres historiens de Lyon, pour répandre quelques lumières sur les principaux événements qui ont eu lieu dans cette ville pendant ces temps de déplorable mémoire. Ses Lettres surtout et celles d'Alcimus Avitus, son contemporain, qui était aussi poète, sont, au jugement du P. de Colonia., la clef générale de l'histoire littéraire de ce siècle. I.ÉDITIONS DE SIDONIUS.Caii Solii Apollinaris Sidonu Arvernorum episcopi Opera. 1473, In fol. de 151 f. Première édition des Œuvres de Sidonius, exécutée à longues lignes, au nombre de 32 à la page, sans chiffres, signatures, ni réclames ; on la croit sortie des presses de Nic. Ketclaer et Ger. de Leempt, à Utrecht, vers 1473. « On avait cru longtemps que l'édition de Milan, 1498, était la première ; mais celle-ci a tous les caractères d'une antiquité plus reculée, et nos bibliographes avaient lu sur un exemplaire cette note décisive : Emptus liber hic, et ligatus, 1477. » Charles Nodier, Bibliothèque sacrée, page 253. — Laire, Index librorum ab inventa typographia, tom. I, p. 184. Sidonii Apollinaris Poema aureum ejusdemqne Epistole. 1498 — Impressum Mediolani per magistrnm Vldericum Scinzenzeler. Impensis uenerabilium dominornm Presbyteri Hyeronimi de Asula necnon Ioannis de abbatibus Placentini. Sub anno Domini M. CCCC. LXXXXVIII. Quarto nonas maias. in-fol. — Première édition avec date; elle contient 142 feuillets non chiffrés ; dans les marges se trouve le commentaire de J.-B. Pius. C Sollii Sidonii Apollinaris Arvernorum Episcopi, uiri ob elegantiarum litterarum studium et humanarum divinarumque rerum scientiam, primo inter summos autores loco a doctissimis merito iudicati, lucubrationes, liberalium literarum studiosis cognoscendae et iterum atque iterum repetendae ; linguam enim, mentem et ingenium locupletabunt, ornabunt et acuent. — Item Ioannis Baptistae Pii Commentaria quae impedita expediunt, et obscura reconditaque in lucem proferunt Basileae excudebat Henricus Petrus, Mense Martio, Anno M. D. XLII. in-4° Les Commentaires de Pius n'ont pas grand mérite et sont d'ailleurs bien courts. Caii Solii Apollinaris Sidonii Arvernorum episcopi, Opera castigata et restituta. Lugduni, apud Joann. Tornaesium, 1552, in 8° de 360 pages. — Précédé d'un avis au lecteur par Elie Vinet, daté de Bordeaux, le 13 février 1551 et de la notice de Pierre Crinitus sur Sidonius. C. Solii Sidonii Apollinaris Arvernorum episcopi, viri, ob elegantiorum Literarum studium, et humanarum, divinarumq. ; rerum scientiam, primo inter summos authores loco a doctissimis merito judicati, Lucubrationes, etc., cum Joannis Baptistae Pii Commentariis, etc. Basileae, per Sebastianum Henricpetri. 1597 in-8°. C. SoliI SidonI Apollinaris Arvernorum Episcopi Opera, ex veteribus librus aucta et emendata. Ad reverendiss. et amplissimum virum Gvitardum Rataeum Episcopum Mons-peliensem et Sanctioris Consistorii Consiliarium. Lugduni, apud Joannera Pillehotte, 1598, petit in-8°. — Cette édition est accompagnée des notes de l'éditeur, Jean de Woweren, et de celles de Pierre Colvius, de Bruges. C. ÇollI SidonI Apollinaris Arvernorum Episcopi Opera, ex veteribus libris aucta et emendata, Notisque Petri ColvI Brugensis illustrata. Lugduni, apud Joannem Pillehotte, 1598, petit in-8°. Caii Solii Apollinaris Sidonii Arvernorum episcopi Opera. Jo. Sararonis studio et diligentia castigatius recognita. Parisiis, in officina Plantiniana, apud Hadrianum Perrier, via Jacobaea. 1598, in-8°. — Le privilège porte la date du 11 féburier 1598. — C'est la première édition donnée par Savaron ; elle est sans notes. — « Savaron s'est principalement servi pour cette édition d'un précieux exemplaire de l'édition de Lyon, 1552, qui avait été collationné avec les meilleurs manuscrits, et chargé de nombreuses leçons et de notes excellentes par André Scholt, Josias Mercier et Carreon. Cet inestimable volume fait partie de ma bibliothèque particulière. » Charles Nodier, Bibliothèque sacrée, p. 253. — C'est au président Achille de Harlay que Savaron dédia cette édition qui est sans notes, mais qui est précédée d'une Vie de Sidonius assez étendue et chargée dans les marges d'un grand nombre d'autorités. Caii Sollii Apollinaris Sidonii Arvemorum Episcopi Opera. Jo. Savaro Claromontensis, multo quam antea castigatius recognovit, et librum commentarium adjecit. II editio multis partibus auctior et emendatior. Parisiis, ex officina Planli-uiana, apud Hadrianum Perrier, 1609, in-4°. C. Solii Apollinaris Sidonii Arvernorum episcopi Opera, Jac. Sirmondi soc. Jesu presb. cura et studio recognita, notisque illustrata. Parisiis, ex officina Nivelliana. Sumptibus Sebastiani Cramoisy. 1614, in-8°. — Le privilège est du 7 février 1614. « Le P. Sirmond, avant que d'aller à Rome, confia ses remarques sur Sidonius à Savaron, qui les fit imprimer sous son propre nom; ce savant jésuite les ayant vues à son retour, reconnut le larcin, et ne dit autre chose, sinon : « Eh ! bien les Muses sont sœurs, tout est commun entre elles. » Michault, Mélanges hist. et philol. tom. II, p. 65. Cette anecdote est dénuée de preuves, comme le remarque M. Weiss dans la Biographie universelle (1), et ne peut faire aucun tort à la réputation de Savaron. Il faut, en général, se tenir en garde contre les Ana et les colporteurs d'historiettes. Ce n'est point à Savaron, soit dit en passant, mais à P. Pithou que Sirmond confia ses notes, lors de son départ pour l'Italie. Lui-même nous instruit de ce fait dans un Avis au lecteur, qui précède son Commentaire, et, à propos de ses notes qui ressembleront quelquefois, dit-il, à celles de Savaron, il ajoute deux lignes que l'on pourrait bien regarder comme la source première de l'anecdote de Michault : « Sorores Musae finguntur, et difficile est trita ab aliis via sic ingredi ut in eorum vestigia nunquam incurras. » Il y a, du reste, une différence totale entre le travail des deux Commentateurs ; les notes de J. Savaron sont moins lumineuses que savantes ; il s'applique beaucoup plus à étaler une érudition souvent inutile et fastidieuse, qu'à éclaircir le texte de son auteur. Le P. Sirmond, au contraire, sobre et réservé, ne se jette pas dans un vain fatras de science pour ne rien conclure ; ses remarques, trop peu nombreuses malheureusement, sont d'un grand secours sous tous les rapports. En définitive, quand on étudie Sidonius, il faut avoir les Notes de ces deux savants ; pour notre part, nous leur devons un égal tribut de reconnaissance. Caii Sollii Apollinaris Sidonii Arvernorum Episcopi Opera, ex postrema recognitione Joannis Wowerii V. C. et quondam illustrissimi Principis Holsatiae Consiliarii. Geverhartus Elmenhorstius edidit ex vet. cod. textum emendavit et indicem copiosum adjecit. Hanoviae, typis Wechelianis apud haeredes Johan. Aubrii, 1617, in-8°. L'exemplaire de cette édition, qui se trouve à la Bibliothèque de notre ville, avait appartenu à Brossette, comme le prouve cette note écrite de sa main : Donum Petri Aubert causidici celeberrimi, mihi Claudio Brossette, 1727. C. Sol. Apollin. Sidonii Arvernorum episcopi Opera, Jac. Sirmondi societ. Jesu presb. cura et studio recognita, notisque illustrata, editio secunda, ad ejusdem Autographum praelo jampridem paratum diligenter exacta. Parisiis, suroptibus Sebastiani Cramoisy, et Gabrielis Cramoisy. 1652, in-4°. — Le privilège est daté de St-Germain-en-Laye, le 5 mai 1652. — Edition réimprimée par les soins de Ph. Labbe. Voyez la Biogr. univ. Les notes ont un peu plus d'étendue que dans l’in-8°. Les éditeurs de la Bibliothèque des Pères de l'Eglise, imprimée à Lyon en 1677, ne jugèrent pas à propos de reproduire les remarques de Sirmond, quoiqu'ils suivissent son texte. C. Sollii Apollinaris Sidonii Arvernorum episcopi Opera, Recognita et Notis illustrata a Jacobo Sirmondo societatis Jesu Presbytero : edita anno M. DC. XIV. — Dans les Opera varia de Sirmond, tom. I ; Paris, Imprim. Royale, 1696, in-folio. Cette édition de Sidonius est incontestablement la meilleure ; néanmoins, comme le prouveront nos Variantes, elle offre quelques défauts assez graves. Ce fut le P. La Baune[14] qui la dirigea. Caii Sollii Apollinaris Sidonii Arvernorum Episcopi Opera. Io. Savaronis studio et diligentia castigatius recognita. Parisus, in officina Plantiniana, apud Hadrianum Perrier, 1698, in-8°. M. Brunet, dans le Supplément de son Manuel du libraire, tom. II, p. 198, donne l'indication suivante: « Pars sexta operum Horatii, ipsi et Sidonio Apollinari laudes Phœbi et Dianae dicta, ex antiquiss. recensione Sidonii nunc primum edita, argumentis et nova paraphrasi collustrata, auctore J. Petr. Anchersen. Havniae, 1753, in-8°. » — Nous ignorons ce que c'est que l'éloge d'Apollon et de Diane par Sidonius ; peut-être Anchersen a-t-il simplement emprunté quelques vers a ce poète, pour les joindre au Carmen seculare d'Horace. Il existe dans la Bibliothèque de Clermont un manuscrit des Lettres de Sidonius. Des connaisseurs ont assuré que l'écriture est du XIe siècle ou du commencement du XIIe. — M. Gonod, bibliothécaire de Clermont, a eu l'obligeance de nous envoyer un fac-simile de l'écriture. II.TRADUCTIONS DE SIDONIUS.La seule traduction que nous ayons en français des Œuvres de Sidonius a été faite par Billardon de Sauvigny; elle forme les tomes VII et VIII des Essais historiques sur les mœurs des Français qu'a publiés cet infatigable écrivain ; Paris, 1785-1791, 13 vol. in-8°. On tira à part un certain nombre d'exemplaires de cette traduction ; ils furent mis en vente avec deux frontispices différents : le premier, sous la date de 1787 ; le second, sous celle de 1793. A cette dernière époque, Sauvigny, pour donner un air de nouveauté à sa traduction, y ajouta une Vie de Sidonius, que l'on intercala dans le Ier volume, après la Notice sur les dignités tant civiles que militaires établies dans l'étendue des Gaules, sous l'empire des Romains. Cette Vie semble n'avoir été écrite que pour rendre odieux celui qui en est le sujet, et pour fournir à son auteur l'occasion d'émettre des idées qu'il partageait avec les novateurs de ce temps-là. Quant à la traduction, elle est très incomplète et manque de fidélité comme de correction ; le plus souvent elle n'offre qu'une courte analyse d'un grand nombre de pièces que Sauvigny regardait comme peu importantes, ou, si l'on veut, comme trop difficiles à traduire. Ce qu'il y a d'étonnant chez lui, c'est la facilité avec laquelle il tombe, en certains endroits très simples et très clairs, dans d'ineffables balourdises, tandis qu'il saisit et rend quelquefois à merveille des passages fort obscurs. Les Poésies sont, en général, beaucoup mieux traduites que les Lettres, et, malgré les défauts que nous indiquons, Sauvigny nous a été grandement utile. Dans un chemin non encore frayé, c'est beaucoup, sans doute, que les traces d'un premier voyageur, si faibles soient-elles. Lettres de saint Loup, évêque de Troyes, et de St. Sidonius, évêque de Clermont, avec un Abrégé de la Vie de St. Loup, par Remy Breyer, chanoine de Troyes. Troyes, de Barry, 1766, in-12. — Nous empruntons ce titre à la Bibliothèque historique de la France, tom. I, p. 653, N° 10095 ; car il nous a été impossible de trouver ce livre ; il n'en existe d'exemplaire ni dans la Bibliothèque publique de Paris, ni dans celles de Troyes, Bordeaux, Aix, etc. — Voyez dans la Biogr. univ. l'article Breyer. « Les Catalogues du Musée Britannique de Cambridge et d'Oxford ne mentionnent aucune translation de Sidonius, non plus que The general biographical Dictionary d'Alexander Chalmers, tom. XVII, p. 513. J'ai consulté aussi A concise view of the succession of sacred literature, by J. B. B. Clarke ; London, 1822, in-8°, tom. II, p. 256; et je n'ai trouvé aucune mention de traduction anglaise des Œuvres de Sidonius dans ce livre qui ne manque jamais de les faire remarquer, lorsqu'il en existe. » Extrait d'une lettre de M. Francisque Michel (de Lyon), datée de Londres, 3 mai 1834. Argelati, dans la Bibliotheca de' Volgarizzatori, indique deux traductions italiennes des Poésies de Sidonius ; l'une par Michel Angelo Torcigliani ; l'autre, par Francesco-Antonio Capponi, et ne donne point de détails. Nos recherches particulières et nos questions à des savants ne nous ont point appris qu'il existe en Allemagne et en Espagne aucune édition ou traduction de Sidonius. [1] Epist. , II, 2. [2] Storia della letter. ital., IV, 1. [3] Traduction de Servan de Sugny. [4] Epist., I, 11. [5] Epist., I, 5. [6] Epist., IX, 16. [7] II, Tim., IV, 6. [8] Traduction de J.-F. Grégoire et F.-Z. Collombet. [9] Epist., VII, 9. [10] Epist., VII, 1. [11] Epist., VIII, 3. [12] Epist., VIII, 15. [13] Carm., IX. [14] Et non La Baume, comme dit par erreur la Biogr. Univ., art. Sirmond.
|