Apollonius de Rhodes

APOLLONIUS DE RHODES

ARGONAUTIQUES.

CHANT DEUX.

Traduction française : J.-J.-A. CAUSSIN

 introduction   chant 1   chant 2    chant 3     chant 4

Autre traduction avec texte grec

 

 

 

 

 

APOLLONIUS

TRADUIT PAR J.-J.-A. CAUSSIN

L'EXPÉDITION DES ARGONAUTES

ou

LA CONQUÊTE DE LA TOISON D'OR

POÈME EN QUATRE CHANTS

CHANT SECOND

Les Argonautes abordent dans le pays des Bébryces. - Combat de Pollux et du roi Amycus ; défaite des Bébryces.- Entrée dans le Bosphore.- Histoire de Phinée, délivré des Harpies par les fils de Borée - Il donne des conseils aux Argonautes et leur prédit une partie de leurs aventures. - Histoire de Parébius. - Origine des vents étésiens.- Histoire de la Nymphe Cyrène et de son fils Aristée. - Les Argonautes traversent les rochers Cyanées et abordent à l'île Thymiade. - Apparition d'Apollon. - Description du fleuve Achéron et de l'antre de Pluton. - Ils sont bien reçus par Lycus, roi des Mariandyniens, qui leur donne son fils Dascylus pour les accompagner. - Mort du devin Idmon et du pilote Tiphys, Ancée prend soin du gouvernail. - Apparition de l'ombre de Sthénélus. - Heureuse rencontre des fils de Phrixus qui s'embarquent avec les Argonautes. - On aperçoit le sommet du Caucase et l'aigle qui dévorait le foie de Prométhée. -  Arrivée en Colchide.

Les Argonautes abordent dans le pays des Bébryces

Sur ce rivage était la demeure d'Amycus roi des Bébryces (1) et les étables qui renfermaient ses nombreux troupeaux. Fils de Neptune et de la Nymphe Mélia, Amycus était le plus féroce et le plus orgueilleux des mortels. Par une loi barbare, il obligeait les étrangers à se battre au pugilat contre lui et avait déjà fait périr ainsi plusieurs de ses voisins. Dès qu'il aperçut le vaisseau, il s'approcha du rivage, et sans daigner s'informer ni quels étaient les Argonautes ni quel était le sujet de leur voyage : 

« Vagabonds, leur dit-il fièrement, écoutez ce qu'il faut que vous sachiez. De tous ceux qui abordent chez les Bébryces, aucun ne s'en retourne sans avoir auparavant essayé ses bras contre les miens. Choisissez donc le plus habile d'entre vous au combat du ceste, afin qu'il se mesure à l'instant avec moi.  Telle est la loi que j'ai établie. Si vous refusiez de vous y soumettre, la force saurait bien vous y contraindre.  »  Ce discours remplit d'indignation les Argonautes. Pollux, plus vivement offensé du défi qu'aucun autre, s'empressa de l'accepter et répondit ainsi : « Arrête, qui que tu sois, et cesse de parler de violence. Nous obéirons volontiers à ta loi; tu vois ton adversaire et je suis prêt à combattre.  » Amycus, étonné de sa hardiesse, le regarda en roulant des yeux farouches, comme un lion environné par des chasseurs fixe ses yeux ardents sur celui qui lui a porté le premier coup. 

Combat de Pollux et du roi Amycus

Le fils de Tyndare dépose aussitôt son manteau dont le tissu délicat était l'ouvrage d'une Lemnienne qui le lui avait donné comme un gage de sa tendresse. Le roi des Bébryces détache en même temps le sien de couleur noire et d'une étoffe grossière, et le jette par terre avec le bâton noueux qu'il portait à la main. Près d'eux était un lieu commode pour le combat. Les Argonautes et les Bébryces se rangent à l'entour et s'asseyent séparément sur le sable. Les deux rivaux offraient aux yeux des spectacles bien différents. Amycus ressemblait à un fils de l'affreux Typhon (2) ou aux Géants que la terre irritée enfanta contre Jupiter (3). Pollux était aussi beau que l'étoile brillante du soir; un léger duvet ombrageait encore ses joues, la grâce de la jeunesse brillait dans ses yeux, mais il avait la force et le courage d'un lion. Tandis qu'il déployait ses bras (4) pour essayer si la fatigue et le poids de la rame ne leur avaient point ôté leur souplesse, Amycus, qui n'avait pas besoin d'une pareille épreuve, le regardait de loin en silence (5) et brûlait de verser son sang.  

Lycorée, l'un des serviteurs du roi, jeta devant eux des cestes d'une force et d'une dureté à toute épreuve : « Prends sans tirer au sort, dit fièrement Amycus, et choisis ceux que tu voudras, afin qu'après le combat tu n'aies aucun reproche à me faire. Arme tes mains et bientôt tu pourras dire si je sais former un gantelet de cuir et faire couler le sang des joues de mes adversaires. 

Pollux ne répondit qu'en souriant et ramassa les cestes qui étaient à ses pieds. Castor et Talaüs s'approchèrent pour les lui attacher et l'animèrent en même temps par leurs discours. Arétus et Ornytus attachèrent ceux du roi, bien éloignés de penser qu'ils rendaient pour la dernière fois ce service à leur maître.  
Bientôt les deux combattants s'avancent en tenant leurs mains pesantes élevées devant leurs visages. Le roi des Bébryces fond sur son adversaire comme un flot impétueux. Semblable à un pilote habile qui détourne adroitement son vaisseau pour éviter la vague qui se précipite et menace de le submerger, Pollux, par un mouvement léger, se dérobe aux coups d'Amycus qui le poursuit sans relâche. Ensuite ayant bien examiné les forces de son adversaire et connaissant sa manière de combattre, il fait ferme à son tour, déploie ses bras nerveux et cherche les endroits qu'Amycus sait le moins garantir. Comme on voit des ouvriers assembler à grands coups les pièces d'un navire et faire retentir l'air du bruit de leurs marteaux, ainsi les deux combattants se frappent avec furie les joues et les mâchoires et font sans cesse résonner leurs dents sous la pesanteur de leurs poings. La fatigue épuise enfin leurs forces, ils se séparent, et tout hors d'haleine essuient la sueur qui coule à grands flots de leurs fronts. Bientôt ils courent de nouveau l'un sur l'autre, semblables à des taureaux furieux qui se disputent une génisse (
6). Amycus, se dressant sur la pointe des pieds (7), comme un homme prêt à assommer une victime (8), lève avec fureur un bras redoutable. Pollux penche la tête, évite adroitement le coup qui ne fait qu'effleurer son épaule, et s'avançant aussitôt sur son adversaire, le frappe de toutes ses forces au-dessus de l'oreille. L'air retentit au loin, les os sont fracassés. Amycus, vaincu par l'excès de la douleur, tombe sur ses genoux et rend le dernier soupir.

Défaite des Bébryces

Tandis que les héros minyens poussent des cris de joie, les Bébryces, irrités de la mort de leur roi, s'avancent vers Pollux en levant leurs massues et brandissant leurs dards. Ses compagnons se précipitent à l'instant devant lui et lui font un rempart de leurs épées. Castor frappe d'abord un des ennemis qui s'élançait sur son frère, d'un seul coup lui fend la tête qui tombe ainsi partagée sur les deux épaules (9). Pollux lui-même renverse d'un coup de pied dans la poitrine le géant Itymon, et d'un de ses poings encore armés du ceste, il porte à Mimas, au-dessus du sourcil gauche, un coup qui lui emporte la paupière et laisse voir le globe de l'oeil à découvert. Le fier Oridès, l'un des gardes d'Amycus, atteignit d'un dard Tatlaüs dans le flanc, mais le coup ne fit qu'effleurer la peau sans blesser les entrailles. Arétus, de sa lourde massue, porte également au brave Iphitus un coup inutile et expire bientôt, lui-même sous le glaive de Clytius qui accourt au secours de son frère, levant d'une main sa hache redoutable et prèsentant de l'autre la dépouille d'un ours qui lui servait de bouclier. L'intrépide Ancée s'élance avec fureur au milieu des ennemis. Les deux fils d'Eacus fondent en même temps sur eux et Jason se précipite avec ardeur dans la mêlée.

Lorsqu'au milieu de l'hiver des loups affamés (10), trompant les chiens et les pasteurs, sont entrés dans une bergerie, et que, regardant avec avidité tout le troupeau, ils cherchent la proie qu'ils doivent d'abord dévorer, on voit les brebis effrayées se serrer, se presser et se renverser les unes sur les autres, telle est l'épouvante que les héros minyens répandent parmi les Bébryces. Comme des abeilles cachées dans le creux d'un rocher, où des pasteurs ont introduit une épaisse fumée, s'agitent d'abord en bourdonnant, et s'échappent ensuite en fuyant loin de leur retraite (11), ainsi ces perfides adversaires, après une courte résistance, prennent la fuite et vont porter la nouvelle de la mort du roi dans le fond de leur pays. Là pour comble de désastre, ils rencontrent Lycus à la tête des Mariandyniens leurs mortels ennemis, qui, profitant de l'absence d'Amycus, ravageait leurs campagnes et pillait leurs demeures. Les Argonautes de leur côté n'épargnaient rien de ce qui était près du rivage, et chassaient devant eux des troupeaux innombrables :   »Qu'auraient donc fait, disaient-ils alors entre eux, les faibles Bébryces, si le destin eût conduit Hercule en ces lieux ? Sans doute, il n'y aurait eu aucun combat; mais lorsque Amycus venait fièrement nous annoncer ses lois, la massue d'Hercule lui aurait fait oublier et ses lois et sa fierté. Mais hélas ? nous l'avons abandonné par mégarde, nous naviguons maintenant sans lui, et nous aurons plus d'une fois à gémir de son absence.  »

Ainsi les Argonautes se reprochaient sans cesse une séparation dont les décrets de Jupiter étaient seuls la cause. Ils passèrent la nuit sur le rivage, et s'occupèrent d'abord du soin des blessés. On offrit ensuite un sacrifice aux Immortels et on prépara le repas, après lequel, au lieu de se laisser aller au sommeil, chacun se couronna des branches d'un laurier auquel le vaisseau était attaché. Orphée prit en main sa lyre dorée, et tous mêlant leurs voix à ses divins accords, chantèrent ensemble les louanges du dieu qu'on révère à Thérapné (12).  Les vents retenaient leur haleine, le rivage était tranquille, la nature entière semblait sourire à leurs chants. 

Entrée dans le Bosphore

Le soleil recommençant sa carrière, éclairait le sommet des montagnes couvertes de rosée, et les bergers écartaient le doux sommeil de leurs paupières.  Les Argonautes, après avoir embarqué les troupeaux qui leur étaient nécessaires, détachèrent du pied du laurier le câble du vaisseau; et poussés par un vent favorable, entrèrent dans le rapide détroit du Bosphore. Là des flots semblables à des montagnes, s'élèvent jusqu'aux cieux, et sont toujours prêts à fondre sur les navigateurs, qui semblent ne pouvoir échapper à la mort suspendue comme un nuage sur leurs têtes. Cependant l'habile pilote sait se frayer une route au milieu du danger. Ainsi les Argonautes, par l'adresse de Tiphys, avançant toujours sans accident, mais non sans frayeur, abordèrent le lendemain vis-à-vis les côtes de la Bithynie.

Histoire de Phinée, délivré des Harpies par les fils de Borée

Un fils d'Agénor (13), Phinée, faisait sa demeure sur ce rivage. Apollon lui avait accordé depuis longtemps le don de prévoir l'avenir; faveur dangereuse qui devint la source de tous ses malheurs. Sans respect pour le maître des dieux, il découvrait hardiment aux mortels ses décrets sacrés. Jupiter irrité le condamna à une éternelle vieillesse, priva ses yeux de la douce lumière du jour, et voulut qu'il ne pût jamais se rassasier d'aucun mets. En vain ceux qui venaient consulter ses oracles, lui en apportaient sans cesse de nouveaux; les Harpies, fondant tout à coup du haut des cieux, les lui arrachaient de la bouche et des mains. Quelquefois pour prolonger ses tourments en soutenant sa misérable vie, elles lui abandonnaient de légers restes, sur lesquels elles répandaient une odeur si infecte que personne n'aurait eu le courage non seulement de s'en nourrir, mais même d'en supporter de loin la puanteur. Phinée n'eut pas plus tôt entendu la voix des Argonautes et le bruit de leur débarquement qu'il comprit aussitôt qu'ils étaient les étrangers dont l'arrivée, suivant les décrets de Jupiter, devait mettre fin au plus cruel de ses maux. Semblable à un fantôme, il sort de son lit, et s'appuyant sur un bâton, il traîne en tâtonnant le long des murs ses pieds chancelants. Tous ses membres, épuisés par la faim et la vieillesse, tremblent à chaque pas. Son corps est sale et hideux. Une peau desséchée recouvre à peine ses os. Il arrive au seuil de sa porte et s'y assied accablé de lassitude. Au même instant, un ténébreux vertige s'empare de ses sens, la terre lui semble tourner sous ses pieds, sa bouche est muette, il perd le sentiment et reste évanoui.

Les Argonautes l'ayant aperçu s'approchent de lui, l'environnent et sont saisis d'effroi. Tout à coup de longs soupirs sortent du fond de sa poitrine (14). Inspiré par un dieu, il fait entendre ces mots: «  Écoutez, ô les plus braves de tous les Grecs......  Si c'est vous que par l'ordre cruel de son roi, Jason conduit sur le navire Argo à la conquête de la Toison d'or. Mais je n'en puis douter, c'est vous-mêmes...   Fils de Latone, dieu puissant, je te rends grâces au milieu de mes maux, rien n'échappe encore à mon esprit pénétrant...   Je vous conjure donc par Jupiter qui protège les suppliants et punit sévèrement les coeurs impitoyables ; au nom d'Apollon et de Junon, qui vous favorisent plus que toutes les autres divinités, ayez pitié de moi, soulagez mes maux. Ne partez pas sans avoir compassion d'un infortuné dont vous ne connaissez pas encore toute la misère. Non seulement une impitoyable Furie m'a ravi les yeux, non seulement je traîne une vieillesse éternelle, un tourment cent fois plus horrible encore m'assiège sans cesse. Des Harpies cruelles m'arrachent ma nourriture. A peine j'essaie d'apaiser la faim qui me dévore qu'elles fondent tout à coup sur moi d'un repaire invisible, d'où elles m'observent avec tant de soin, qu'il m'est aussi impossible de me dérober à leurs regards que de me cacher à moi-même. Si par hasard elles laissent devant moi quelque chose, il s'en exhale une odeur si insupportable qu'avec un coeur d'airain on ne saurait en approcher. Cependant l'affreuse nécessité de la faim l'emporte, me retient et me force d'avaler le reste. Fils de Borée, c'est à vous qu'il est réservé de chasser d'auprès de moi ces monstres odieux. En me secourant, vous n'obligerez pas un étranger. Phinée, que ses richesses et sa science ont rendu autrefois célèbre parmi les mortels, est fils d'Agénor, et j'obtins pour épouse votre soeur Cléopâtre, lorsque je régnais sur les Thraces.  »

Phinée se tut, et les Argonautes restèrent pénétrés de la plus vive compassion. Les deux fils de Borée, encore plus touchés que les autres, s'approchèrent de lui en essuyant leurs larmes ; Zéthès lui prit la main, et lui dit: « ô le plus infortuné des mortels ! comment de si grands maux sont-ils venus fondre sur vous ? Sans doute vous avez excité la colère des dieux par des prédictions indiscrètes. Nous brûlons du désir de vous secourir, mais nous craignons leur vengeance, toujours si terrible pour les faibles humains, et nous n'oserons chasser les Harpies, qu'après que vous nous aurez juré que notre action ne déplaira point aux Immortels.

- Cesse, ô mon fils ! dit le vieillard entrouvrant ses yeux privés de lumière et les tournant vers Zéthès, cesse de me tenir de semblables discours. J'en jure par le fils de Latone, de qui j'ai reçu l'art de prévoir l'avenir, par le sort affreux qui me tourmente, par le nuage répandu sur mes yeux, par les divinités infernales (et puisse leur courroux, si je te trompe, me poursuivre encore après ma mort), non, vous n'offenserez pas les dieux en me secourant.  »
Rassurés par ce serment, Calaïs et Zéthès brûlent déjà d'impatience de se signaler. Un repas, dernière proie des Harpies, est bientôt préparé et servi devant le vieillard. Ils se placent à ses côtés, tenant en main leurs glaives, et attendent l'instant d'exécuter leur dessein. Phinée eut à peine touché un des mets, que ces monstres affamés, s'élançant avec un bruit affreux du sein des nues, fondirent tout à coup sur la table avec la rapidité des tourbillons ou des éclairs. Les Argonautes poussèrent en les voyant de grands cris. Tout fut dévoré en un instant, et elles s'envolèrent au-dessus des mers aussi rapidement qu'elles étaient venues, laissant après elles une odeur insupportable.

Les fils de Borée, que Jupiter remplit en ce moment d'une vigueur infatigable, les poursuivent avec une égale vitesse et les menacent sans cesse de leurs épées. Tels que des chiens bien dressés prêts d'atteindre à la course une biche légère, s'efforcent de la saisir en allongeant le cou, mais la proie leur échappe, et leurs dents résonnent inutilement (15), tels les fils de Borée touchent sans cesse les Harpies sans pouvoir les saisir. Enfin ils les atteignaient, et, contre la volonté des dieux, ils allaient les exterminer près des îles Plotées lorsque la légère Iris, traversant les airs, arrêta leurs bras par ce discours : « Fils de Borée, respectez les Harpies, ce sont les chiens de Jupiter. Je vous jure par le Styx, redouté des dieux mêmes, qu'elles n'approcheront plus à l'avenir de la demeure de Phinée.  » Calaïs et Zéthès ayant entendu ce serment, retournèrent vers le vaisseau, laissant le nom d'îles du Retour (16) à celles qu'on appelait auparavant Plotées. Iris regagna l'Olympe d'un vol rapide, et les Harpies se réfugièrent dans une caverne de l'île de Crète.

Il donne des conseils aux Argonautes et leur prédit une partie de leurs aventures 

Cependant les Argonautes, après avoir purifié le corps du malheureux vieillard, immolèrent aux dieux des brebis choisies parmi celles qu'ils avaient enlevées des étables d'Amycus, et préparèrent un grand festin dans le palais de Phinée qui était assis avec eux et mangeait avidement, ne sachant encore si son bonheur n'était pas un songe. Le repas achevé, ils veillèrent ensemble, en attendant le retour des fils de Borée. Phinée, placé au milieu d'eux près du foyer, leur annonçait la route qu'ils devaient suivre pour arriver au terme de leur navigation.

« Écoutez, mes amis, ce qu'il m'est permis de vous apprendre, car Jupiter, dont j'ai déjà trop mérité le courroux par mon imprudence, me défend de vous révéler entièrement tout ce qui doit vous arriver. Ainsi ce dieu veut que les prédictions soient toujours imparfaites, afin que les mortels ne cessent jamais d'implorer sa providence. En quittant ce rivage, vous verrez à l'extrémité du détroit, deux rochers, que jusqu'ici nul mortel n'a pu franchir. Ils sont mobiles, et se réunissent souvent pour n'en former qu'un seul. L'onde agitée s'élève alors en bouillonnant au-dessus de leurs cimes, et le rivage retentit au loin du bruit de leur choc. Suivez donc, si vous êtes sages et religieux, les conseils que je vais vous donner, et ne vous laissez point emporter à l'ardeur d'une folle jeunesse, en courant une mort certaine. Avant de tenter le passage, vous lâcherez dans les airs une colombe. Si elle traverse heureusement, faites force de rames, sans différer un instant. Votre salut dépendra plus alors de la vigueur de vos bras que des voeux que vous pourriez adresser au ciel. Je ne vous défends pas cependant de l'implorer, mais dans ce moment, ne comptez que sur vos efforts et sur votre intrépidité. Si la colombe périt au milieu du détroit, retournez en arrière. Céder aux dieux, c'est le parti le plus sage. Votre vaisseau fût-il de fer, ne pourrait manquer d'être brisé par le choc des rochers. Je vous le dis donc encore une fois, ne soyez pas assez imprudents pour négliger mes conseils, et quand vous me croiriez mille fois plus odieux aux Immortels que je ne suis, n'avancez pas sans lâcher auparavant une colombe.

L'événement sera tel qu'il plaira aux dieux; mais si ayant évité la rencontre de ces rochers, vous entrez heureusement dans le Pont-Euxin, naviguez à droite le long de la Bithynie, et gardez-vous d'approcher de terre, jusqu'à ce qu'ayant passé l'embouchure du Rhébas et doublé le cap Noir, vous soyez arrivés à l'île Thyniade. Peu loin de là, vous aborderez dans le pays des Mariandyniens. C'est là qu'on trouve un chemin qui descend aux Enfers, et qu'on voit s'élever le promontoire Achérusias, du haut duquel tombe l'Achéron en roulant ses flots impétueux à travers des précipices qu'ils ont creusés. Vous découvrirez ensuite les montagnes de la Paphlagonie, pays dont les habitants se vantent de descendre de Pélops, qui régna d'abord parmi eux. Sur le même rivage, un promontoire s'avance dans la mer, et son sommet se perd dans les cieux. Les vents du nord viennent s'y briser; il est connu sous le nom de Carambis. Assez loin de ce promontoire, et près d'un autre plus petit, le fleuve Halys vomit son onde avec fracas. L'Iris roule ensuite ses flots moins nombreux, et verse dans la mer ses eaux pures et limpides. Au-delà de son embouchure, la côte s'avance et forme un coude terminé par le cap Thémiscyre, près duquel se jette le Thermodon après avoir traversé d'immenses contrées. Là sont les champs de Doas et les trois villes habitées par les Amazones. Plus loin les Chalybes, les plus misérables des mortels, habitent une terre rude et sauvage, occupés sans cesse à retirer le fer de son sein. Près d'eux les Tibaréniens font paître leurs nombreux troupeaux au-delà d'un promontoire consacré à Jupiter hospitalier, et les Mossynoéciens, renfermés entre des montagnes couvertes de forts, se construisent avec art des tours de bois appelées mossynes, qui leur ont fait donner le nom qui les distingue. Ce trajet achevé, vous aborderez dans une île déserte, après avoir chassé par quelque artifice les oiseaux importuns dont elle est infestée depuis longtemps. Deux reines des Amazones, Otrère et Antiope, au milieu d'une expédition militaire, y firent autrefois construire un temple de pierre en l'honneur du dieu Mars. Une affreuse tempête doit être pour vous dans cette île la source d'un grand bonheur. C'est pourquoi mon amitié vous recommande de vous y arrêter... Mais que dis-je ? et pourquoi m'exposer encore à la colère des dieux en vous révélant tout ce qui doit vous arriver ? Au-delà de l'île, différents peuples habitent le continent. Vous trouverez successivement les Philyres, les Macrons, la nation nombreuse des Béchires, celle des Sapires, les Byzères ; enfin les belliqueux habitants de la Colchide. Naviguez toujours jusqu'à ce que vous soyez parvenus à l'extrémité la plus reculée de la mer. C'est là qu'au milieu de la Colchide, loin des campagnes de Circé et des monts Amarantes où il prend sa source, le Phase impétueux jette ses eaux dans le Pont-Euxin. C'est là qu'enfin vous découvrirez le palais d'Eétès et la forêt consacrée à Mars, dans laquelle la Toison d'Or est suspendue au haut d'un chêne. Un monstre horrible, un dragon furieux, veille sans cesse à sa garde; et jamais ses yeux ardents ne sont fermés par le doux sommeil.  »  

Le discours de Phinée remplit de terreur les Argonautes. Ils restèrent quelque temps muets et consternés. Jason rompit enfin le silence : 

«  Respectable vieillard, dit-il, tu viens de nous conduire à travers mille dangers jusqu'au terme de notre navigation. Tu nous as fait connaître à quel signe nous devons hardiment traverser ces rochers redoutables qui défendent l'entrée du Pont-Euxin. Mais pourrons-nous les éviter une seconde fois pour retourner dans la Grèce ? c'est ce que je désire ardemment de savoir. Mais que dis-je ? et comment traverser tant de mers inconnues ? comment parvenir aux rivages de la Colchide qui touche aux extrémités de la terre et des mers ?  - Mon fils, répondit le vieillard, dès que vous aurez heureusement passé les rochers redoutables, allez avec confiance. Un dieu vous ramènera par une autre route, et pour arriver en Colchide, vous ne manquerez pas de conducteurs. Surtout, ô mes amis, tâchez de vous rendre Vénus favorable. C'est de cette adroite déesse que dépend le succès de vos travaux. Mais j'en ai dit assez, ne me demandez rien de plus.  »  

Le fils d'Agénor achevait de parler, lorsque les enfants de Borée, descendant du haut des airs, posèrent leurs pieds légers sur le seuil de la porte. A leur aspect chacun se leva, impatient de savoir ce qu'étaient devenues les Harpies. Zéthès, encore tout hors d'haleine, raconta jusqu'où il les avait poursuivies, comment elles avaient été sauvées de leurs mains par Iris, et s'étaient réfugiées dans un antre du mont Dicté,  enfin le serment de la déesse. Ces nouvelles remplirent de joie Phinée et les Argonautes : « Fils d'Agénor, s'écria Jason pénétré de la plus vive tendresse, un dieu sans doute a eu pitié de ta misère. C'est lui qui nous a conduits sur ces bords éloignés, pour te faire trouver des vengeurs dans les fils de Borée. Si ce dieu pouvait encore te rendre la lumière, je serais aussi sensible à ce bonheur qu'à celui de revoir ma patrie. - Fils d'Éson, répondit Phinée, le mal est sans remède, mes yeux sont éteints pour jamais. Que les dieux m'accordent plutôt une mort prompte, et je me croirai parvenu au comble de toutes les félicités.  » 

Histoire de Parébius 

Tandis qu'ils s'entretenaient ainsi, l'Aurore parut (17). Les habitants du voisinage qui avaient coutume de rendre tous les jours visite à Phinée et de lui apporter une partie de leurs provisions, s'assemblèrent alors en foule autour de lui. Il les écoutait tous avec bonté, et répondait à leurs questions sans négliger les plus indigents. Ses prédictions en avaient retiré du malheur un grand nombre, et les soins qu'ils lui rendaient étaient l'effet de leur reconnaissance. L'un d'eux, nommé Parébius, lui était plus cher que les autres. Depuis longtemps il lui avait annoncé que les plus vaillants héros de la Grèce, faisant voile vers la ville d'Eétès, aborderaient. dans le pays des Thyniens, et chasseraient les Harpies; Parébius fut charmé de voir ces héros, et Phinée ayant congédié les autres habitants qu'il avait satisfaits par ses sages réponses, le retint avec eux. Peu après, il le pria d'aller chercher le plus beau de ses béliers, et lorsqu'il fut parti, il adressa ce discours à ses hôtes : « Mes amis, tous les hommes ne sont point encore injustes et ingrats. Celui que vous venez de voir vint autrefois me consulter. Il travaillait sans relâche, et sa pauvreté augmentait sans cesse. Un jour malheureux était suivi d'un autre plus malheureux encore. Cependant il était innocent, mais le sort qui l'affligeait était la punition d'un crime que son père avait commis. Celui-ci, coupant un jour des arbres sur une montagne, une Nymphe Hamadryade, faisant entendre une voix lugubre, le conjura en pleurant d'épargner un chêne avec lequel elle était née et où elle avait toujours fait sa demeure. Insensible à ses prières, et emporté par l'ardeur d'une jeunesse imprudente, il abattit l'arbre qu'il aurait dû respecter. La Nymphe irritée rendit inutiles et ses travaux et ceux de ses enfants. Parébius étant donc venu me trouver, je reconnus aussitôt le crime qui causait son malheur. Je lui ordonnai d'élever un autel à la Nymphe de Thynie et de lui offrir un sacrifice afin d'apaiser son courroux, et de détourner de lui la vengeance qu'avait méritée son père. Ses prières furent exaucées, il vit la fin de son infortune. Depuis ce temps, il n'a jamais oublié ce qu'il me doit, il est sans cesse à mes côtés, il compâtit à mes maux, les soulage et ne s'éloigne de moi qu'avec peine.  »

Parébius arriva dans ce moment, amenant avec lui deux béliers. Le jour venait de finir, Jason et les fils de Borée offrirent un sacrifice, par l'ordre de Phinée, à Apollon auteur des oracles. Les plus jeunes de la troupe apprêtèrent le repas, après lequel chacun se livra au sommeil, les uns sur le rivage et près du vaisseau, les autres dans la demeure de Phinée.

Origine des vents étésiens

Le lendemain matin, les vents qui commençaient à souffler les empêchèrent de se rembarquer; c'étaient les vents étésiens, dont le souffle se fait sentir sur toute la terre. Jupiter les envoya jadis aux mortels pour les soulager d'un terrible fléau.

Histoire de la Nymphe Cyrène et de son fils Aristée

La belle Cyrène, fuyant le commerce des hommes, et résolue de demeurer toujours vierge, faisait paître ses troupeaux sur les bords du fleuve Pénée. Apollon la vit et en devint amoureux, et, l'ayant enlevée, la transporta loin de la Thessalie pour la confier aux Nymphes qui habitent la Libye, près du mont Myrtose. Ce fut là qu'elle mit au jour Aristée, que les Thessaliens invoquent comme le dieu tutélaire des campagnes et des troupeaux. Apollon pour prix des faveurs de Cyrène, lui accorda l'immortalité et lui soumit les vastes campagnes de la Libye. Aristée fut transporté par son père dans l'antre de Chiron pour y être élevé. Lorsqu'il eut atteint l'adolescence, les Muses lui choisirent elles-mêmes une compagne. Elles lui apprirent l'art de guérir, celui de lire dans l'avenir, et lui confièrent le soin de leurs nombreux troupeaux, qui paissaient dans les champs de Phtie, près du mont Othrys et du fleuve Apidan. Aristée faisait son séjour dans ces contrées, lorsque les rayons brûlants de Sirius ayant desséché les îles autrefois gouvernées par Minos, les habitants, qui depuis longtemps ne connaissaient plus aucun remède à leurs maux, eurent recours à lui pour chasser la peste qui les tourmentait. Aristée obéit à son père, et passa dans l'île de Céos avec une colonie de Pharrasiens descendants de Lycaon. La sécheresse était l'origine du mal ; pour la faire cesser, il éleva un grand autel à Jupiter, principe de l'humidité des corps, et sacrifia sur les montagnes à Sirius et au fils de Saturne.

Depuis ce temps, les vents étésiens rafraîchissent la terre pendant quarante jours, et les prêtres de Céos offrent tous les ans des sacrifices avant le lever de la Canicule.
Les Argonautes, ainsi retenus parmi les Thyniens, reçoivent d'eux chaque jour de nouveaux présents pour le service qu'ils avaient rendu à Phinée. Les vents ayant cessé de souffler, ils construisirent sur le rivage un autel en l'honneur des douze dieux, y offrirent des sacrifices et se rembarquèrent sans oublier la colombe, qu'Euphémus tenait dans sa main.

Les Argonautes traversent les rochers Cyanées et abordent à l'île Thymiade

Leur départ n'échappa point à Minerve (18). Empressée de les secourir, elle monte sur un nuage léger qui la porte en un instant aux bords habités par les Thyniens. Ainsi lorsqu'un mortel errant loin de sa patrie, par un malheur trop commun, songe à la demeure chérie qu'il habitait, la distance disparaît tout â coup à ses yeux; il franchit dans sa pensée les terres et les mers, et porte en même temps ses regards avides sur tous les objets de sa tendresse.
Parvenus au détroit tortueux bordé d'écueils menaçants, les navigateurs s'avançaient en tremblant au milieu du courant qui les repoussait sans cesse et entendaient déjà le bruit des rochers qui se heurtaient. Euphémus tenant la colombe monte sur la proue, et chacun, excité par Tiphys, rame avec ardeur. Après avoir franchi le dernier détour, ils aperçurent ce qu'aucun mortel ne devait voir après eux. Les rochers Cyanées s'ouvrirent et demeurèrent écartés l'un de l'autre. A ce spectacle la frayeur redouble : Euphémus lâche la colombe; chacun lève la tête et la suit des yeux. Tout à coup les rochers se rapprochent et se joignent avec un bruit épouvantable : l'onde jaillit au loin, l'air frémit, la mer se précipite en mugissant dans le creux des rochers, le rivage est couvert d'écume et le vaisseau tourne plusieurs fois sur lui-même. Cependant la colombe échappe au péril, ayant seulement perdu, par la rencontre des rochers, l'extrémité de sa queue. Les Argonautes poussèrent aussitôt des cris de joie. Tiphys les excita de plus en plus à faire force de rames, afin de passer rapidement entre les rochers qui s'ouvraient de nouveau. Chacun obéit en tremblant, lorsque tout à coup les flots qui venaient se briser contre le rivage les poussèrent en refluant au milieu du passage fatal, où la mort, suspendue sur leurs têtes, et l'immensité de la mer qui s'offrait à leurs regards, glacèrent entièrement leurs coeurs d'effroi. Au même instant une montagne d'eau s'éleva devant eux : ils baissèrent la tête et se crurent engloutis. Tiphys, par une adroite manoeuvre, évita le péril, mais les vagues, retombant avec violence dans la mer, soulevèrent le vaisseau et le reportèrent bien loin en arrière. Euphémus courant çà et là exhorte ses compagnons (
19) qui redoublent en criant leurs efforts, mais le flot qui les entraîne les repousse deux fois plus que la vigueur de leurs bras ne les ferait avancer sans cet obstacle. Les rames ne peuvent résister à tant de violence et se courbent comme des arcs. Cependant un nouveau flot s'élève derrière eux, et le navire, glissant sur le dos de la montagne humide, est précipité pour la seconde fois au milieu des rochers où, pour comble d'horreur, un tourbillon le retient et semble l'enchaîner. Déjà ces masses énormes s'agitent des deux côtés avec un bruit horrible, mais Minerve, appuyant contre une d'elles sa main gauche, pousse en même temps le vaisseau de la droite (20). Aussi rapide qu'une flèche, il vole à travers les rochers qui brisèrent en se heurtant les extrémités de la poupe. La déesse le voyant hors de danger remonte vers l'Olympe, et les rochers devenus immobiles restèrent pour toujours voisins l'un de l'autre. Tel était l'ordre du Destin qui devait s'exécuter aussitôt qu'un mortel assez hardi pour soutenir leur aspect les aurait heureusement traversés.

Cependant les Argonautes, comme s'ils fussent échappés du royaume de Pluton, promenaient autour d'eux leurs regards et contemplaient alors sans frayeur 1a vaste étendue de la mer : « Nous sommes sauvés, s'écria Tiphys, et Minerve seule en est la cause. C'est elle qui a donné au vaisseau une force divine qui le rend supérieur aux dangers. Fils d'Éson, ne redoute plus, après un si grand bonheur, d'exécuter les ordres de Pélias. Phinée nous l'a prédit : le succès de nos travaux est maintenant assuré.  » En parlant ainsi, Tiphys dirigeait, en traversant la pleine mer, le vaisseau vers les côtes de la Bithynie. Jason qui voulait éprouver les dispositions de ses compagnons, lui répondit avec douceur : « Tiphys, c'est en vain que tu tâches de me consoler; j'ai commis, je le vois, une faute irréparable. Il fallait, lorsque Pélias m'ordonna d'entreprendre ce funeste voyage, refuser de lui obéir et m'exposer à périr par les plus affreux tourments, plutôt que de me voir toujours en proie à l'inquiétude, redouter tantôt les dangers de la mer et tantôt ceux qu'on court en abordant chez les barbares. La nuit même ne m'apporte aucun repos. Rempli des alarmes du jour, je la passe tout entière à gémir. Telle est ma situation depuis que vous vous êtes assemblés pour me secourir. Il est facile de parler à celui qui ne songe qu'à sa conservation. Ce n'est pas ce soin qui m'occupe, je fais peu de cas de ma vie, c'est la tienne, Tiphys, c'est celle de tous mes compagnons qui m'est chère ; et la crainte de ne pas vous ramener tous sains et saufs dans la Grèce fait seule mon tourment.  »

à ce discours, les compagnonsde Jason élevèrent tous ensemble la voix pour montrer leur courage et rassurer leur chef : « Mes amis, leur dit-il alors le coeur pénétré de joie et laissant éclater ses vrais sentiments, votre courage m'inspire la confiance. Oui, puisque telle est votre fermeté dans les plus grands dangers, je serai désormais inaccessible à la crainte, et je traverserai sans frayeur les gouffres du Tartare. Mais puisque nous avons franchi les rochers fatals, nous n'avons plus, je le crois, rien de semblable à redouter, pourvu que nous suivions exactement les conseils de Phinée.  » Il dit, et sans plus discourir, les infatigables héros ramèrent avec une nouvelle vigueur. Bientôt ils laissèrent derrière eux le fleuve Rhébas, le rocher de Colone, le cap Noir et l'embouchure du Phyllis, où Dipsacus, fils de ce fleuve et d'une Nymphe habitante des prairies qu'il arrose, avait autrefois reçu chez lui le fils d'Athamas, lorsque monté sur un bélier il fuyait loin de la ville d'Orchomène. Uniquement touché des charmes de la vie champêtre, Dipsacus demeura toujours près de sa mère et se plut à faire paître ses troupeaux sur les bords du fleuve auquel il devait le jour. Les Argonautes découvrirent en passant le temple consacré à ce héros, les rivages spacieux du fleuve et les champs arrosés par le Calpis. Il ne s'éleva point de vent pendant la nuit, et les héros continuèrent à ramer de toute leur force. Tels qu'on voit des boeufs vigoureux fendre le sein d'une terre grasse et humide, des ruisseaux de sueur coulent de leurs flancs et de leurs cous épuisés et hors d'haleine, ils baissent la tête en regardant obliquement le joug, et tracent pendant tout le jour de pénibles sillons.

Apparition d'Apollon

Dans le temps où la nuit n'étant plus le jour ne paraît pas encore, mais seulement une lueur incertaine qui se mêle aux ténèbres, les Argonautes furent contraints par la fatigue d'aborder dans l'île de Thyniade. A peine étaient-ils débarqués sur cette rive déserte, qu'Apollon lui-même s'offrit à leurs yeux. Il venait de quitter la Lycie et allait visiter au loin les nations nombreuses des Hyperboréens.   Sa marche rapide agitait ses cheveux dorés, dont les boucles voltigeaient sur ses joues; il tenait de la main gauche son arc, et son carquois était suspendu sur ses épaules. L'île entière tremblait sous ses pas, et les flots soulevés inondaient le rivage. A son aspect les héros, saisis de frayeur, demeurèrent immobiles, baissant la tête et n'osant porter leurs regards sur la face éclatante du dieu qui, déjà loin de l'île, traversait les airs au-dessus du Pont-Euxin : « Amis, s'écria Orphée après un long silence, consacrons promptement cette île au soleil du matin, puisque c'est dans ce temps qu'Apollon nous y est apparu. Élevons-lui un autel sur le rivage et offrons-lui un sacrifice tel que la circonstance le permet. Si quelque jour il nous ramène heureusement en Thessalie, la graisse des chèvres fumera sur ses autels. Roi puissant, que ton apparition soit pour nous le gage de ta faveur!   »
à ces mots, les uns ramassent des pierres pour former l'autel et les autres se répandent çà et là pour chercher des biches ou des chèvres sauvages échappées du fond des forêts. Apollon lui-même leur fournit bientôt une chasse abondante. Ils firent brûler, selon l'usage, les cuisses de tous ces animaux, et tandis que la flamme brillait dans les airs, ils dansèrent autour de l'autel en célébrant le beau Phébus, et répétant : « Io paean ! io paean !   » Orphée s'accompagnant de sa lyre chantait comment, sur le mont Parnasse, le serpent Python expira autrefois percé des flèches du dieu, qui était alors dans l'âge le plus tendre, et se plaisait encore à porter ses longs cheveux bouclés. Mais que dis-je ? pardonne dieu puissant, jamais le fer tranchant n'approchera de tes cheveux que l'ordre du Destin rend éternels. La fille de Coeus, Latone ta mère, ose seule les faucher; seule elle les arrange de ses mains. Orphée chantait aussi comment, attentives au combat, les Nymphes qui habitaient l'antre Corycium animaient le courage d'Apollon en criant: « Io, io,   » refrain qu'on répète encore, aujourd'hui dans les hymnes qui lui sont consacrés. Les Argonautes firent ensuite des libations et jurèrent sur l'offrande sacrée de se secourir mutuellement et de conserver parmi eux une concorde éternelle. En même temps ils élevèrent à la déesse de la Concorde un monument qu'on voit encore en ces lieux.

Description du fleuve Achéron et de l'antre de Pluton

L'Aurore brillante paraissait pour la troisième fois dans les cieux depuis qu'ils avaient quitté la cour de Phinée. Secondés d'un vent favorable, ils s'éloignèrent de l'île de Thyniade et découvrirent bientôt l'embouchure du Sangaris, les champs fertiles des Mariandyniens, le fleuve Lycus et le marais Amthémoïsis. Leur course rapide agitait les cordages et faisait retentir les agrès du vaisseau. Le vent tomba durant la nuit, et le matin ils abordèrent avec joie, au promontoire Achérusias, qui s'avance dans la mer de Bithynie. Son sommet couvert de platanes s'élève jusqu'au ciel, et sa base est environnée d'écueils contre lesquels les flots viennent se briser avec un bruit horrible. Au milieu d'une épaisse forêt qui s'étend du côté de la terre, est l'antre de Pluton, recouvert d'arbres et de rochers. Une vapeur froide s'en exhale sans cesse et forme tout autour une gelée blanche qui ne se fond qu'aux ardeurs du midi. Le doux silence ne règne jamais en ce lieu qui retentit sans cesse du bruit des vagues et de celui des arbres agités par le vent. A l'orient, le fleuve Achéron tombe du haut de la montagne et précipite ses flots dans la mer. Longtemps après le voyage des Argonautes, des Mégariens, qui venaient habiter la contrée, assaillis d'une violente tempête, se réfugièrent dans ce fleuve et lui donnèrent par reconnaissance le nom de Sauveur des vaisseaux.  

Ils sont bien reçus par Lycus, roi des Mariandyniens, qui leur donne son fils Dascylus pour les accompagner.

Ce fut sur ses bords que les Argonautes, voyant le vent qui leur manquait, mirent pied à terre après avoir doublé le promontoire Achérusias. La nouvelle de leur arrivée se répandit bientôt dans le pays; il était gouverné par Lycus, et les Mariandyniens qui l'habitaient avaient fait longtemps la guerre aux Bébryces. Instruits par la renommée de la mort d'Amycus, ils s'assemblèrent autour de Pollux, qu'ils regardèrent comme un dieu bienfaisant, et voulurent contracter alliance avec ses compagnons. Ils les reçurent donc dans la ville avec les témoignages de l'amitié la plus vive, et le jour même le roi leur donna un festin, pendant lequel l'on s'entretint avec une entière confiance. Jason racontait à Lycus les noms de tous ses compagnons, le sujet de leur voyage, l'accueil qu'ils avaient reçu des femmes de Lemnos, ce qui leur était arrivé à Cyzique, comment ils avaient laissé sans le savoir Hercule à Cius, l'oracle de Glaucus, la mort d'Amycus et la défaite des Bébryces, les malheurs de Phinée, ses prédictions, enfin le bonheur avec lequel ils avaient franchi les rochers Cyanées et l'apparition d'Apollon dans l'île de Thyniade.

Lycus écoutait avec plaisir ces récits et plaignit les Argonautes de n'avoir plus Hercule avec eux : « Mes amis, leur dit-il, quel mortel vous avez perdu et combien de chemin il vous reste à parcourir sans lui ! Je connais Hercule, je l'ai vu dans ce palais chez Dascylus mon père, lorsqu'il traversait à pied l'Asie, emportant avec lui le baudrier de cette reine des Amazones, la belliqueuse Hippolyte. A peine sorti de l'enfance, un léger duvet recouvrait mes joues (21). Priolas mon frère venait d'être tué en combattant contre les Alysiens, Priolas, que le peuple pleure encore et dont il répète sans cesse le nom dans ses lugubres chants. On célébrait en son honneur des jeux funèbres. Le jeune Titias effaçait tous les autres athlètes par sa force et par sa beauté. Hercule le vainquit au combat du ceste et joncha la terre de ses dents. Voulant ensuite signaler par un exploit éclatant son amitié pour nous, il soumit au pouvoir de mon père les Mysiens, les Phrygiens nos voisins et les Bithyniens qui habitent en deçà de l'embouchure du Rhébas et du rocher de Colone. Les Paphlagoniens, autrefois sujets de Pélops que le Billéus renferme dans son cours tortueux, cédèrent également à sa valeur. Tel était l'empire dont Hercule nous avait rendus maîtres. Mais après le départ du héros et depuis que je suis sur le trône, les Bébryces m'ont enlevé la plus grande partie de ces conquêtes et ont étendu leur injuste domination jusqu'aux rivages du fleuve Hypius. Enfin, vous m'avez vengé d'eux, et c'est, je l'ose dire, par une providence particulière des dieux (22) que le fils de Tyndare a étendu le superbe Amycus à ses pieds afin qu'on vit aussitôt s'élever ce combat si funeste à nos ennemis. Un tel bienfait mérite ma reconnaissance et je suis prêt à vous la témoigner de tout mon pouvoir. C'est l'obligation que contractent les hommes faibles lorsqu'ils sont soulagés par des mortels plus puissants. Je vous donne pour vous accompagner mon fils Dascylus. Avec lui vous serez reçus partout, selon les lois de l'hospitalité, jusqu'à l'embouchure du Thermodon. Quant aux fils de Tyndare, j'élèverai sur le sommet du promontoire Achérusias un temple en leur honneur. Les navigateurs le découvriront de loin et leur adresseront des voeux.  Je les honorerai moi-même comme des divinités et je leur consacrerai près de ces murs un champ vaste et fertile.  »

Le festin se passa dans ces discours et dura tout le jour. Le lendemain, au lever de l'aurore, les Argonautes se mirent en chemin pour retourner au vaisseau, accompagnés de Lycus, qui les combla de présents, et de son fils Dascylus qui devait s'embarquer avec eux. 

Mort du devin Idmon et du pilote Tiphys, Ancée prend soin du gouvernail.

Tandis qu'ils s'avançaient avec promptitude, un accident funeste termina les jours du devin Idmon. Au milieu d'un marais couvert de roseaux, un énorme sanglier, que les Nymphes mêmes ne pouvaient voir sans frayeur, reposait tranquillement, ignoré des habitants du voisinage, et baignait ses larges flancs dans un épais bourbier. Idmon, que son art ne put garantir de sa destinée, marchait le long du marais lorsque tout à coup l'animal s'élançant du milieu des roseaux se jeta sur lui et lui coupa la cuisse. L'infortuné pousse au loin des cris perçants. Ses compagnons y répondent en frémissant. Pélée lance au sanglier son dard et l'atteint. L'animal qui fuyait revient avec plus de furie. Idas se jette au-devant de lui, le perce de sa lance et le renverse à ses pieds. On le laisse étendu par terre et l'on s'empresse autour du malheureux Idmon, prêt à rendre le dernier soupir. On veut le transporter au vaisseau, mais il expire entre les bras de ses compagnons. Dès ce moment ils ne songèrent plus qu'à déplorer sa perte. Pendant trois jours, l'air retentit de leurs gémissements. Le quatrième, ils lui firent de magnifiques funérailles, auxquelles Lycus assista avec tout son peuple. On immola sur la fosse un nombre infini de victimes et on lui éleva un tombeau que la postérité voit encore. Il est situé au pied du promontoire Achéruslas et surmonté d'un olivier sauvage qui le recouvre de ses branches. C'est ce même Idmon, si j'ose révéler ce que m'ont appris les Muses, oui, c'est lui que l'oracle d'Apollon ordonnait aux fondateurs d'Héraclée d'invoquer comme le génie tutélaire de leur ville. C'est auprès de son tombeau qu'ils en jetèrent les fondements, mais au lieu d'Idmon, descendant d'Aeolus, ils invoquent encore Agamestor. Quel est donc l'autre héros qui périt en même temps sur ce rivage et dont la mort est attestée par un second monument ? Ce fut Tiphys à qui le destin ne permit pas de conduire plus loin le vaisseau. On était occupé des funérailles d'Idmon, lorsqu'un mal imprévu le plongea loin de sa patrie dans un sommeil éternel. Son corps fut enseveli dans le même lieu.

Cependant les Argonautes ne pouvaient soutenir la perte de leur pilote. Assis sur le rivage, enveloppés dans leurs manteaux, ne songeant plus à prendre de nourriture, ils étaient plongés dans la plus amère douleur et désespéraient de revoir jamais leur patrie. Ils seraient restés longtemps dans cet abattement si Junon n'eût fait renaître la confiance dans le coeur d'Ancée. Fils de Neptune et de la Nymphe Astypalée qui lui donna le jour sur les bords de l'Imbrasius, il excellait dans l'art de manier un gouvernail. « Comment, dit-il vivement en s'adressant à Pélée, comment pouvons-nous sans honte renoncer aux travaux que nous avons entrepris et demeurer si longtemps dans une terre étrangère ? En quittant l'île de Parthénie pour accompagner Jason, je me suis flatté de lui être également utile par mon habileté dans l'art de la navigation et par ma bravoure dans les combats. Qu'on cesse donc de rien craindre pour le navire. Mais que dis-je ? il est encore parmi nous d'autres pilotes auxquels on peut sans péril confier le gouvernail. Va donc, sans perdre de temps, avertir nos compagnons et les exciter à poursuivre hardiment notre entreprise.  » Ce discours remplit de joie le fils d'Éacus. Il assembla ses compagnons et leur parla ainsi : « Amis, pourquoi nous abandonner sans cesse à une douleur inutile ? Ceux que nous regrettons ont subi leur destinée; nous avons parmi nous plusieurs pilotes expérimentés. Que rien ne nous retienne donc plus. Faites trêve à votre chagrin et ranimez votre courage.  »  Jason, toujours consterné d'un malheur qui lui paraissait sans remède, lui répondit : « Fils d'Eacus, où sont donc ces pilotes dont vous parlez ? Ceux que nous nous glorifions d'avoir sont maintenant plus accablés que moi par la tristesse. Je le vois trop, hélas ! notre sort ne sera pas moins malheureux que celui de Tiphys et d'Idmon. Réduits à ne pouvoir ni gagner la Colchide ni retourner en Grèce, nous allons languir ici tristement et terminer par une mort honteuse une vieillesse inutile.  » a peine eut-il achevé ces mots, qu'Ancée, poussé par l'inspiration de Junon, s'offrit pour conduire le vaisseau. Erginus, Nauplius et Euphémus se levèrent aussitôt pour lui disputer cet honneur. On les retint, et les suffrages furent pour Ancée.

Onze jours s'étaient écoulés depuis l'arrivée des Argonautes dans le pays de Mariandyniens, lorsqu'ils profitèrent d'un vent favorable et se rembarquèrent au lever de l'aurore. Ils descendirent en ramant le fleuve Achéron, déployèrent en mer leur voile et voguèrent au gré du vent. Bientôt ils arrivèrent à l'embouchure du fleuve Callichorus où le dieu de Nysa célébra, dit-on, ses orgies, lorsque ayant quitté les peuples de l'Inde, il allait habiter la ville de Thèbes. Un autre voisin, devant lequel dansaient les Bacchantes, lui servait de retraite pendant les nuits consacrées à ses mystères.

Apparition de l'ombre de Sthénélus

Les Argonautes aperçurent ensuite le tombeau de Sthénélus, fils d'Actor, qui, ayant accompagné Hercule dans la guerre contre les Amazones, en revint blessé d'une flèche et mourut sur ce rivage. Sachant que les Argonautes approchaient, Sthénélus conjura Proserpine de lui laisser revoir un instant des guerriers, autrefois ses amis et ses compagnons. La déesse, touchée de sa prière, permit à son ombre de sortir des Enfers. Du haut de son tombeau, il contemplait avec avidité le navire et paraissait tel qu'il était au jour de son départ pour cette guerre, portant sur sa tête un casque éclatant, orné d'un panache couleur de pourpre. Il disparut bientôt et rentra dans la nuit profonde. Les Argonautes, saisis d'étonnement et d'effroi, résolurent par le conseil du devin Mopsus de prendre terre afin d'apaiser l'ombre de Sthénélus. On baissa la voile, on s'approcha du rivage, et lorsqu'on y eut attaché le navire, on se rendit près du tombeau sur lequel on fit des libations et on brûla des victimes stériles en l'honneur du héros (23). Ensuite on éleva un autel à Apollon, protecteur des vaisseaux. Orphée lui consacra sa lyre, et le nom de cet instrument est devenu celui du lieu même.

Le vent qui soufflait engagea les Argonautes à se rembarquer promptement. On déploya de nouveau la voile et le vaisseau volait sur les flots comme un épervier qui plane au haut des airs sans agiter ses ailes, et s'abandonne au gré du vent (24). Bientôt ils aperçurent un fleuve dont le cours paraissait doux et paisible. C'était le Parthénius. Dans ses aimables eaux, la fille de Latone rafraîchit ses membres fatigués, lorsqu'au retour de la chasse elle se dispose à remonter dans l'Olympe. Pendant la nuit, ils laissèrent derrière eux la ville de Sésame, les rochers Erythines, Crobialé, Cromna et Cytore entourée de forêts. Le soleil lançait ses premiers rayons, lorsqu'ils doublèrent le promontoire Carambis. Obligés alors de reprendre la rame, ils avancèrent tout ce jour et la nuit suivante, le long d'une côte immense, après laquelle est le pays des Assyriens (25), où ils abordèrent. La belle Sinope, fille du fleuve Asopus, y fut autrefois transportée par Jupiter qui, pour gagner son amour, promit de lui accorder ce qui lui plairait davantage. La Nymphe, trompant les espérances du dieu, lui demanda de conserver sa virginité. Par un semblable artifice, elle éluda les poursuites d'Apollon et du fleuve Halys, et jamais aucun mortel ne put jouir de ses faveurs. Près de ce rivage habitaient les fils de l'illustre Déimachus, que le hasard avait séparé d'Hercule, lorsqu'il allait porter la guerre dans le pays des Amazones. Dès qu'ils aperçurent les Argonautes. ils allèrent à leur rencontre, et ayant fait connaître leurs noms et leur origine, et le désir qu'ils avaient de quitter cette terre étrangère, ils obtinrent la permission de s'embarquer avec eux. Le vent qui recommença à souffler, porta rapidement les Argonautes au- delà du fleuve Halys, de l'Iris, qui lui succède, et des atterrages du pays des Assyriens. Le même jour, ils doublèrent le promontoire des Amazones, où la belliqueuse Mélanippe, emportée par son ardeur loin de ses compagnes, fut surprise par Hercule, qui obtint pour sa rançon le baudrier de sa soeur Hippolyte.

Cependant la mer commençait à soulever ses flots. Les Argonautes furent obligés de relâcher dans le golfe au-delà du promontoire, et s'arrêtèrent près de l'endroit où le Thermodon, d'un cours majestueux, porte au Pont-Euxin le tribut de ses eaux. Une seule source, située dans les monts Amazoniens, voit sortir de son sein le roi des fleuves, qui se divise en cent fleuves différents, dont les uns se perdent çà et là, d'autres vont eux-mêmes se rendre à la mer. C'est là qu'on découvre les champs de Doïas, habités par les Amazones. Filles de Mars et de la Nymphe Harmonie, qui se rendit aux désirs du dieu dans les sombres retraites de la forêt d'Alcmon, elles sont fières, ne connaissent point de lois, et ne respirent que guerre et que carnage. Les Argonautes auraient eu à soutenir un sanglant combat contre elles s'ils fussent restés quelque temps sur ce rivage. Mais le calme ayant succédé à la tempête, et le vent favorable s'étant élevé, ils sortirent du golfe, sur les bords duquel on voyait déjà s'assembler en armes les Amazones de Thémiscyre, à la tête desquelles était la reine Hippolyte. Les autres Amazones habitaient les villes de Lycaste et de Chalésie. Toute la nation était ainsi divisée en trois tribus.

Le lendemain et la nuit suivante, les Argonautes côtoyèrent le pays des Chalybes, dont le soin n'est ni de labourer la terre, ni de faire éclore des fruits de son sein, ni de faire paître des troupeaux dans de gras pâturages, mais seulement de tirer d'un sol âpre et sauvage le fer qu'ils échangent contre des aliments. Toujours couverts de suie et de fumée, l'aurore, en se levant, les voit sans cesse occupés des mêmes travaux. Le cap Génète, consacré à Jupiter, les sépare des Tibaréniens. Ceux-ci, si l'on en croit la renommée, poussent, après la naissance de leurs enfants, des cris aigus, se mettent au lit, s'enveloppent la tête et se font nourrir délicatement et préparer des bains par leurs femmes. Les Argonautes ayant ensuite doublé le promontoire sacré, arrivèrent à la vue du pays habité par les Mosynoeques. Leurs lois et leurs coutumes sont contraires à celles de toutes les autres nations. Ce qu'on fait ailleurs en public, ils le font dans les maisons, et ne rougissent pas de se livrer en public à des plaisirs qu'on voile ailleurs des ombres du mystère. Leur roi, assis au milieu d'une tour élevée, juge les différends de ses nombreux sujets avec la plus sévère équité. S'il s'en écarte, on le tient enfermé tout le jour sans lui donner de nourriture, et on lui fait ainsi expier sa faute par la faim.

Heureuse rencontre des fils de Phrixus qui s'embarquent avec les Argonautes

Le vent étant tombé pendant la nuit, les Argonautes voguèrent à l'aide des rames, et se trouvèrent en plein jour vis-a-vis de l'île de Mars. Tout à coup ils aperçurent un des oiseaux dont elle était infectée, qui fendait les airs et volait vers eux. Lorsqu'il fut au-dessus du vaisseau, il battit des ailes, et en fit partir une plume meurtrière qui vint percer l'épaule gauche du brave Oïlée. L e héros pressé par la douleur, laisse échapper la rame de ses mains, et chacun est saisi d'épouvante à la vue du trait emplumé. Eribotès, qui était assis près d'Oïlée, le retira doucement et banda la plaie avec l'écharpe qui soutenait son épée. Bientôt on vit paraître de loin un autre oiseau. Clytius, qui venait de bander son arc, lui décoche une flèche et l'atteint. L'oiseau tombe en tournoyant près du vaisseau. Amphidamas, fils d'Aléus, prit alors la parole : « Nous voilà, dit-il, près de l'île de Mars. Vous n'en pouvez douter en voyant ces oiseaux. Si vous voulez y aborder en suivant l'ordre de Phinée, nos flèches ne suffiront pas pour nous garantir du danger, et je crois qu'il faut avoir recours à un autre expédient. Lorsque Hercule vint en Acardie pour chasser les oiseaux du lac Stymphale, je fus moi-même témoin de sa victoire. Après avoir épuisé vainement contre eux son carquois, il prit un tambour d'airain, et s'étant placé sur une colline voisine, il fit un si grand bruit que les oiseaux effrayés s'enfuirent en jetant des cris affreux. Nous pouvons faire usage d'un semblable expédient. Voici celui que j'ai imaginé. Que chacun se couvre la tête de son casque, surmonté de hautes aigrettes. Nous ramerons alternativement, et tandis que les uns feront avancer le vaisseau, les autres le couvriront de leurs boucliers et de leurs lances. En même temps nous pousserons tous ensemble de grands cris, qui, joints au spectacle de nos casques agités et de nos lances menaçantes, jetteront l'épouvante parmi les oiseaux. Au moment d'aborder, nous frapperons sur les boucliers en redoublant nos cris.  » Il dit, et chacun approuva le stratagème. Aussitôt les casques, brillants, sur la tête des guerriers, portent au loin la terreur, et les panaches éclatants flottent dans les airs. Les uns font mouvoir les rames, et les autres travaillent à couvrir le vaisseau, en arrangeant leurs lances et leurs boucliers comme un homme qui joint ensemble des tuiles pour embellir tout à la fois une maison et la défendre contre la pluie. En même temps l'air retentit de cris semblables à ceux de deux armées qui s'avancent pour combattre. Les oiseaux ont disparu, mais lorsque sur le point d'aborder on eut fait retentir l'air du bruit des boucliers et des épées, aussitôt sortant de leurs retraites, ils obscurcissent le ciel de leur troupe innombrable et lancent en fuyant leurs traits emplumés qui ne peuvent blesser les Argonautes. Ainsi, lorsque le fils de Saturne lance du haut des airs une gale épaisse sur une vaste cité, les habitants retirés dans leurs maisons, qu'ils ont mises d'avance à l'abri des orages, entendent tranquillement le bruit des toits frappés par la grêle. Cependant les oiseaux traversent les mers, et s'envolent vers des montagnes éloignées.

Quel fut donc le dessein de Phinée lorsqu'il conseilla aux Argonautes d'aborder dans cette île et qu'allaient-ils y chercher avec tant d'empressement  ?

Les enfants de Phrixus étaient partis de Colchide avec la permission du roi Eétès, pour aller recueillir à Orchomène 1e riche héritage de leur père, qui avait ordonné en mourant ce voyage. Tandis que les Argonautes abordaient dans l'île de Mars, ils en étaient eux-mêmes peu éloignés et voguaient tranquillement au gré d'un vent favorable lorsque Jupiter, voulant signaler par des tempêtes le lever de l'astre pluvieux du Bouvier, commande à Borée d'exercer sur les eaux sa fureur. Son souffle rapide, se jouant pendant le jour sur les montagnes, agitait légèrement la cime des arbres et préludait ainsi à l'orage. Au milieu de la nuit, il déchaîne tout à coup sa rage contre les flots et les soulève avec d'horribles sifflements. L'air mugit, le ciel est couvert d'un voile affreux, les astres de la nuit ont disparu, d'épaisses ténèbres sont répandues de tous cotés. Les malheureux navigateurs, devenus le jouet des flots qui font jaillir sur eux l'onde amère, tremblent à la vue de la mort qui les environne. Soudain un coup de vent emporte leur mât et pousse avec furie les flots contre le vaisseau qui ne peut résister à leurs efforts et nage en débris sur les eaux. Les enfants de Phrixus, qui étaient au nombre de quatre, saisissent alors, par la faveur des dieux, une longue poutre sur laquelle éperdus et demi-morts, ils s'abandonnent à la merci des vents et des flots. Cependant les nuées crèvent, le ciel se fond en eau, des torrents de pluie inondent à la fois et semblent confondre la mer, l'île et le continent voisin. La poutre est jetée par les vagues sur le rivage de l'île où ils abordent au milieu des ténèbres. Le soleil ayant ramené le lendemain le calme et la clarté, l'on ne tarda point à se rencontrer. Argus, l'aîné des enfants de Phrixus, adressa ainsi la parole aux Argonautes : « Qui que vous soyez, nous vous conjurons au nom de Jupiter, témoin de tout ce qui se passe ici-bas, d'avoir pitié de notre misère. La tempête qui vient d'éclater a brisé le frêle vaisseau sur lequel la nécessité nous avait forcés de nous embarquer; nous vous en supplions, donnez-nous quelques vêtements. Soulagez des malheureux qui sont à peu près de votre âge. Nous sommes tout ensemble étrangers et suppliants, ne nous rejetez donc pas, si vous craignez Jupiter, protecteur des suppliants et des étrangers, Jupiter dont les yeux sont maintenant ouverts sur nous.  »  Jason, soupçonnant que cette rencontre serait l'accomplissement des prédictions de Phinée, leur répondit : « Nous sommes prêts à vous donner de bon coeur tous les secours dont vous avez besoin, mais apprenez-nous votre nom, votre origine, en quel lieu de la terre est votre demeure, quelle nécessité vous a fait braver les dangers de la mer.  »  Argus reprit aussitôt : « Vous avez sans doute entendu parler de Phrixus (26), qui quitta la Grèce pour se réfugier en Colchide, Phrixus, qui parvint jusqu'à la ville d'Eétès, monté sur un bélier, dont la Toison d'or, ouvrage de Mercure, fut suspendue au haut d'un chêne où elle se voit encore, après que l'animal, suivant l'ordre qu'il fit entendre lui-même, eût été immolé à Jupiter, protecteur de ceux qui sont contraints de prendre la fuite. Phrixus, arrivé dans la ville d'Aea, fut reçu dans le palais d'Eétès, qui l'accueillit avec bonté, et pour gage de son amitié, lui donna sa fille Chalciope, sans exiger de lui aucuns présents. Nous sommes les fruits de cet hymen. Phrixus, courbé sous le faix des ans, vient de terminer ses jours dans le palais d'Eétès. C'est pour obéir à sa dernière volonté que nous allions à Orchomène prendre possession des richesses de notre aïeul Athamas. Puisque vous désirez savoir nos noms. Cytisore est le nom de mon frère que voici. Celui-là s'appelle Phrontis. Cet autre Mélas, et je me nomme Argus.  »  Il dit. Les Argonautes, surpris et charmés de cette heureuse rencontre, s'empressèrent autour d'eux et Jason reprit ainsi la parole

« Comment pourrais-je vous refuser le secours dont vous avez besoin, puisque les liens du sang nous unissent ensemble. Créthéus, mon aïeul, était frère d'Athamas. J'ai quitté moi-même la Grèce et je vais à la ville d'Eétès, accompagné des braves guerriers que vous voyez, mais suspendons maintenant ces discours et couvrez vous de vêtements. Je n'en doute point, c'est la providence des dieux qui vous a conduits entre nos bras.  »   Il leur fit apporter des habits du vaisseau et ils marchèrent tous ensemble vers le temple de Mars pour y offrir un sacrifice. Hors de l'enceinte était un autel formé de quelques cailloux sur lequel ils immolèrent les victimes. Dans l'intérieur, qui était découvert, s'élevait une pierre noire regardée comme sacrée et à laquelle les Amazones adressaient leurs prières lorsque, passant du continent dans cette île, elles immolaient sur l'autel, non des boeufs ni des brebis, mais seulement des coursiers qu'elles engraissaient avec soin pour cet usage. Le sacrifice fut suivi d'un repas au milieu duquel Jason parla ainsi : « Jupiter embrasse d'un regard tout ce qui se passe ici bas. Jamais il n'oublie l'homme juste et religieux. Comme il a sauvé votre père des mains d'une marâtre homicide et lui a fait trouver au loin de grands avantages, de même il vous a sauvés de la fureur des flots et vous a fait rencontrer un vaisseau qui peut, sans rien redouter, voguer également ou vers la ville d'Aea ou vers celle de l'illustre Orchomène. Il est l'ouvrage de Minerve qui en a elle-même coupé les bois sur le sommet du mont Pélion. Argus, que vous voyez ici, l'a construit avec elle. Le vôtre au contraire était trop frêle pour résister aux fatigues d'un long voyage, puisqu'il a été brisé par les flots avant même d'être parvenu au détroit redoutable où deux rochers s'entre-choquent sans cesse. Maintenant croyez-moi, joignez-vous à nous pour emporter en Grèce la Toison d'or, et servez-nous de guides dans une navigation entreprise pour expier l'attentat commis contre votre père et apaiser la colère de Jupiter, irrité depuis ce temps contre la race des Eolides.  »

Les enfants de Phrixus, qui connaissaient le caractère d'Eétès, furent effrayés du dessein des Argonautes : « Nous ne refuserons jamais, répondit Argus, de vous secourir de tout notre pouvoir, mais la cruauté d'Eétès me fait frissonner au récit seul de ce projet. Eétès se vante d'être fils du Soleil. Un peuple innombrable obéit à ses lois. Sa voix terrible ressemble à celle de Mars et sa force égale celle de ce dieu, et ne croyez pas qu'il soit plus facile de lui dérober la Toison d'or que de la lui enlever. Autour d'elle veille sans cesse un dragon immortel, sorti du sein de la terre et formé du sang du géant Typhon. Ce fut sur le mont Caucase, près du rocher qui porte son nom, que Typhon, levant contre le ciel ses bras redoutables, fut frappé de ta foudre et souilla ta terre du sang qui coulait en bouillonnant de sa tête. Cherchant en vain son salut dans la fuite, il parvint juqu'aux champs de Nysa (27), près desquels il est enseveli sous les eaux du lac Serbonis.  » A ce discours qui fit pâlir d'effroi plusieurs des Argonautes, Pélée répondit aussitôt avec hardiesse : « Cessez, Argus, de montrer tant de crainte et croyez que nous pouvons nous mesurer avec Eétès. Et nous aussi, nous savons nous battre, et nous sommes issus du sang des dieux, et s'il refuse de nous livrer la Toison, tous ses peuples de la Colchide lui seront d'un vain secours.  »

On s'entretenait ainsi pendant le repas. Lorsqu'il fut achevé, chacun se livra au sommeil et le lendemain on mit à la voile à la faveur d'un vent frais qui leur fit bientôt perdre de vue l'île de Mars. Pendant la nuit, ils côtoyèrent le pays qui porte le nom de Phylire, où Saturne, trompant les regards de Rhée son épouse, obtint les faveurs de cette Nymphe. Jupiter était alors élevé dans un antre de l'île de Crète, au milieu des Curètes du mont Ida et Saturne donnait encore dans l'Olympe des lois aux Titans. La jalouse Rhée, cherchant à découvrir ses amours, allait le surprendre entre les bras de son amante. Aussitôt il s'élance de sa couche sous la forme d'un coursier fougueux qui faisait flotter dans l'air une épaisse crinière. Phylire, honteuse et confuse, abandonna le séjour de cette contrée et se retira dans les hautes montagnes des Pélasges, où elle mit au monde le centaure Chiron.

On aperçoit le sommet du Caucase et l'aigle qui dévorait le foie de Prométhée

Les Argonautes laissèrent ensuite derrière eux le pays des Macrons, celui des Béchires, qui s'étend au loin, les fiers Sapires et les Byzères.  Le vent, qui soufflait, toujours, leur fit enfin découvrir l'extrémité du Pont-Euxin et les sommets du mont Caucase. C'est là que Prométhée est attaché par des chaînes de fer à des rochers escarpés, tandis que son foie, toujours renaissant, sert de pâture à un aigle qui vient sans cesse renouveler son supplice. Ce monstre avide parut vers le soir au-dessus du vaisseau. Sa grosseur surpassait de beaucoup celle des oiseaux de son espèce. Ses ailes, semblables aux rames d'un navire, frappaient l'air avec un bruit affreux, et quoique son vol se perdît dans les nues, leur battement agitait la voile du vaisseau. Bientôt on entendit le malheureux Prométhée faire retentir l'air de ses gémissements, jusqu'à ce qu'ayant dévoré sa proie, l'aigle cruel traversât de nouveau les airs et reprît la route qu'il avait d'abord suivie.

Les Argonautes, conduits par Argus, qui connaissait ces parages, arrivèrent enfin à l'extrémité la plus reculée du Pont-Euxin et à l'embouchure du Phase. On plia la voile, on descendit l'antenne, on abattit le mât, et l'on serra le tout dans l'intérieur du vaisseau. Ensuite on entra dans le canal du fleuve, dont les eaux écumantes cédaient en murmurant aux coups redoublés des avirons. On voyait s'élever à gauche le mont Caucase et la ville Aea. A droite était le champ consacré à Mars et la forêt du même dieu, où la Toison, suspendue au haut d'un chêne, était gardée par un dragon qui veillait sans cesse. Jason, prenant alors une coupe d'or remplie de vin pur, versa des libations dans le fleuve, en priant la Terre, les dieux tutélaires du pays de lui être favorables et de le laisser aborder sous d'heureux auspices

« Compagnons, dit aussitôt Ancée, nous naviguons sur le Phase, et nous voici arrivés en Colchide. Que chacun de nous réfléchisse à présent si nous devons tenter auprès d'Eétès la voie de la persuasion ou s'il est quelque autre moyen d'obtenir l'objet de nos voeux.  » Tandis qu'il parlait, Jason, par le conseil d'Argus, commanda qu'on fît avancer le navire dans un marais voisin recouvert de joncs épais.  On y jeta l'ancre et les héros passèrent la nuit dans le vaisseau, attendant avec impatience le lever de l'aurore qui ne tarda point à paraître.

1 Peuple de Bythinie. 

2. Monstre moitié homme et moitié bête, suivant la fable.  

3. Illam terra parens ira irritata deorum  
    .   .   .   .   .   .   .   .  
    Pogenuit
Virgil
., Aen. IV, 178.

4.   .   .   Alternaque jactat
    Bracchia protendens.
Virgil., Aen., V. 376. 

5.   .   .  Totumque pererrat
     Luminibus tacitis.
Virgil.,  Aen., IV, 363. 

6. Digredimur paulum : rursumque ad bella coimus... 
   Nox aliter vidi fortes concurrere tauros 
   Cum pretium pugnae, toto nitidissima saltu, 
   Expetitur conjunx.
 
Ovid., Métam., IX, 42. 

7 In digitos extemplo arrectus.
Virgil, Aen., V, 428.       

8. Elatumque alte, veluti qui candida tauri 
    Rumpere sacrifica molitur colla securi, 
    Illisit fronti Lapithae.

Ovid., Métam., IX, 248. 

9Atque illi partibus aequis 
     Huc caput atque illuc humero ex utroque pependit. 
Virgil., Aen., IX, 754 

10 . . .  . Lupi ceu 
     Raptores atra in nebula.
Virgil., Aen., Il, 355.

11 Inclusas ut cura latebroso in pumice pastor 
      Vestigavit apes, fumoque implevit amaro; 
      Illae intus trepidae rerum per cerea castra 
      Discurrunt, magnisque acuunt stridoribus iras,
etc.
Virgil., En., XII, 587. 

12.  Lieu voisin de Lacédémone, consacré à Apollon. 

13.  Roi de Phénicie 

14Suspirans, imoque trahens a pectore vocem.
Virgil, Aen., I, 371.
Sed graviter gemitus imo de pectore ducens.
Id
. II, 283. 

15 .... At vividus Umber
      Haeret hians, jam jamque tenet, similisque tenenti
      Increpuit malis, morsuque elusus inani est.
Virgil., Aen., XII, 753. 
      Ut canis in vacuo leporem cum gallicus arvo 
      Vidit ; et hic praedam pedibus petit, ille salutem. 
      Alter inhaesuro similis, jam jamque tenere 
      Sperat, et extenso stringit vestigia rostro; 
      Alter in ambiguo est, an sit deprensus, et ipsis 
      Morsibus eripitur, tangentiaque ora relinquit.
Ovid., Metam., I, 533. 

16.  En grec Strophades. 

17Hac vice sermonum roseis aurora quadrigis, etc.
Virgil., Aen., VI, 533. 

18. Nec latuere doli fratrem Junonis, et irae.
Virgil., Aen. I. 130. 

19.  At media socios incedens nave per ipsos
       Hortatur Mnesteus : nunc, nunc insurgite remis.
Virgil., Aen., V, 188. 

20 Et pater ipso manu magna Portunus euntern
     Impulit. Illa not
o citius volucrique sagitta
    Ad terram fugit.
Virgil., Aen., V, 241
. . et dextra discedens impulit altam, 
Haud ignara modi, puppim. Fugit illa per undas 
Ocior et iaculo et ventos aequante sagitta.
Id
. X, 246.

21. Tum mihi prima genas vestibat flore juventa.
Virgil., Aen., VIII, 160. 

22. ... Non haec sine numine Divum
     Eveniunt
.
Virgil., Aen., II, 177. 

23.  On n'offrait aux morts que des animaux stériles, et on brûlait entièrement les victimes.

24.. . . .Mox aere lapsa quieto 
      Radit iter liquidum, celeres nec commovet alas.
Virgil., Aen., V. 216. 

25. Contrée de l'Asie Mineure, appelée plus communément Leuco-Syrie, ou Syrie Blanche, à cause de la couleur de ses habitants. Elle comprenait la Cappadocie et une partie de la Paphlagonie. 

26. Fando aliquid si forte tuas pervenit ad aures, etc.
Virgil., Aen., II, 81. 

27.Ville et montagne de Syrie sur les confins de l'Égypte.