SCOLIES LIVRE II- CHANT III (744-fin)
ARGONAUTIQUES
CHANT III
SOMMAIRE
Invocation à Érato (1-5) — Héra et Athéné se concertent sur les moyens de venir en aide aux Argonautes (6-35) — Les deux déesses se rendent chez Cypris pour lui demander de faire intervenir Éros (36-110). — Cypris obtient de son fils qu'il aille frapper d'une flèche Mèdée, fille d'Aiétès (111-166). — Jason expose aux Argonautes son plan de conduite (167-209). — Arrivée de Jason et de quelques compagnons choisis au palais d'Aiétès (210-274). — Éros perce Médée d'une flèche (275-298). — Entrevue d'Aiétès et des héros; Jason s'engage à entreprendre le travail imposé par le roi (299-438). — Angoisses de Médée, occupée du souvenir de Jason (439-470). — Délibération des héros : sur les conseils d'Argos, on décide d'avoir recours à l'intervention de Chalciopé auprès de Médée (471-575) — Projets d'Aiétès contre les Argonautes (576-608). — Médée promet à Chalciopé de secourir ses fils et leurs compagnons (609-743). — Après de longues hésitations, Médée se dispose a porter à Jason les substances magiques (744-824). — Médée va avec ses suivantes au temple d'Hécate pour y rencontrer Jason (829-911). — Jason s'y rend de son côté; entrevue du héros avec la jeune fille (912-1145). — Retour de Médée dans sa. maison (1146-1162). — Aiétès remet les dents du dragon aux envoyés de Jason (1163-1190). — Jason offre un sacrifice nocturne a Hécate (1191-1224). — Aiètés se dispose à aller assister a la lutte de Jason contre les taureaux (1225-1245). — Jason se prépare à la bataille (1246-1277). — Jason met les taureaux sous le joug et force les géants à se tuer entre eux (1278-1407).
Εἰ δ' ἄγε νῦν, Ἐρατώ, παρά θ' ἵστασο, καί μοι ἔνισπε,
Ὧς οἱ μὲν πυκινοῖσιν ἀνωίστως δονάκεσσιν
Ὧς φάτο· τὴν δὲ παρᾶσσον Ἀθηναίη προσέειπεν·
Ἠ, καὶ ἐπ' οὔδεος αἵγε ποδῶν πάρος ὄμματ' ἔπηξαν,
30 Ὧς ἄρ' ἔφη· πυκινὴ δὲ συνεύαδε μῆτις Ἀθήνῃ, |
v. 1-5 LLONS, ô Érato, viens m'assister, et raconte-moi comment Jason put rapporter de Colchide la toison à lolcos, grâce à l'amour de Médée. Car tu partages la destinée de Cypris; les soucis qui viennent de toi charment les jeunes filles vierges: de là, le nom aimable qui t'a été donné. V. 6-35. C'est ainsi que, sans être vus des Colchiens, les héros restaient embusqués au milieu des roseaux épais. Mais Héra 92 et Athéné s'aperçurent de leur présence : loin de Zeus et des autres dieux immortels, elles délibéraient, étant allées dans une chambre. Et d'abord Héra sondait Athéné par ses questions : «Fille de Zeus, toi-même ouvre, la première, la discussion: que faut-il faire? Imagineras-tu quelque ruse qui leur permettra de prendre la toison d'or d'Aiétès et de l'amener en Hellade; ou veux-tu qu'usant auprès du roi de paroles douces comme le miel, ils obtiennent la toison par persuasion? Sans doute, son arrogance est intraitable : mais il me semble bon de ne négliger aucune tentative. » Elle dit, et aussitôt Athéné lui répondit : « C'est au moment où moi aussi, j'agite bien des projets semblables que tu m'interroges d'une manière si pressante, Héra. Je sens bien que je n'ai pas encore combiné cette ruse qui sera capable d'aider le courage des héros, et, cependant, j'ai examiné bien des projets. » Elle dit, et toutes deux tinrent leurs yeux fixés à terre devant leurs pieds, songeant, à part, à des desseins divers. Soudain Héra, prenant, la première, la parole, exposa en ces termes ce qu'elle méditait: «Allons! rendons-nous auprès de Cypris : arrivées chez elle, nous la prierons toutes deux de demander à son enfant s'il veut bien frapper de ses traits et concilier à Jason la fille d'Aiétès, elle qui est si habile dans la science des poisons. Car je pense que, grâce à ses conseils, il pourra rapporter la toison en Hellade. » Elle dit : cette sage résolution fut agréable à Athéné, qui répondit par ces douces paroles : « Héra, mon père m'a fait naître ignorante des traits d'Éros, et je ne connais aucune des choses nécessaires pour séduire à l'amour. Mais, si ce projet te plaît, certes je te suivrai : tu prendras la parole quand tu seras arrivée auprès de Cypris. |
Ἠ, καὶ ἀναΐξασαι ἐπὶ μέγα δῶμα νέοντο
Ὧς ηὔδα· Κύπριν δ' ἐνεοστασίη λάβε μύθων.
Ὧς ἔφαθ'· Ἥρη δ' αὖτις ἐπιφραδέως ἀγορευσεν·
90 Ὧς ἄρ' ἔφη· Κύπρις δὲ μετ' ἀμφοτέρῃσιν ἔειπεν·
[3,100] Ὧς φάτο· μείδησαν δὲ θεαί, καὶ ἐσέδρακον ἄντην
Ὧς φάτο· τὴν δ' Ἥρη ῥαδινῆς ἐπεμάσσατο χειρός, |
V. 36-110. Elle dit; et, s'étant aussitôt levées, elles se mettaient en marche vers la grande maison de Cypris, maison que son mari, boiteux des deux pieds, lui avait construite, alors qu'il venait de l'emmener avec lui, épouse reçue de la main de Zeus. Étant entrées dans l'enceinte de la demeure, elles 93 s'arrêtèrent sous le portique de la chambre où la déesse avait coutume de préparer le lit d'Héphaïstos. Celui-ci était parti dès le matin pour sa forge et ses enclumes, dans les vastes profondeurs de l'île errante, où il fabrique en airain toutes sortes d'ouvrages merveilleux, grâce à la puissance du feu. Elle était seule à la maison, assise vis-à-vis des portes sur un siège fait au tour; elle avait ses blanches épaules couvertes, des deux côtés, de sa chevelure déployée qu'elle ordonnait avec un peigne d'or, avant de tresser ses longues boucles. Quand elle les aperçut en face d'elle, elle s'arrêta, leur dit d'entrer, se leva de son siège et les fit asseoir sur des fauteuils à dossier; ensuite, elle s'assit elle-même, et ses mains liaient ses cheveux qui n'étaient pas encore peignés. Alors, elle leur adressa, en souriant, ces douces paroles: «Vénérables amies, quel dessein, quelle nécessité vous amène, vous si rares? Pourquoi donc venez- vous toutes deux, vous qui jusqu'à présent ne fréquentiez guère ici ? Car vous êtes au plus haut rang parmi les déesses. » Héra lui répondit en ces termes : « Tu railles; mais, toutes deux, notre âme est émue par la crainte d'un malheur. Car déjà, dans le fleuve du Phase, l'Aisonide arrête son navire, et avec lui, tous ceux qui le suivent pour conquérir la toison. C'est pour tous ces héros, puisqu'une terrible entreprise s'élève devant eux, que nous craignons beaucoup : c'est surtout pour l'Aisonide. Devrait-il naviguer jusque chez Adès pour délivrer aux enfers Ixion de ses liens d'airain, j'emploierais à le sauver toute la force qui est en moi, pour que Pélias ne puisse me railler, ayant évité son destin funeste, lui dont l'insolence m'a exclue de l'honneur de ses sacrifices. D'ailleurs, il y a longtemps que Jason m'est très cher: depuis que, sur les rives de l'Anauros débordé, un jour que j'éprouvais les bonnes dispositions des hommes, il s'est présenté à moi, revenant de la chasse : la neige blanchissait toutes les montagnes, tous les sommets élevés, d'où les torrents, formés par les pluies d'hiver, s'élançaient, tourbillons retentissants. Je m'étais faite semblable à une 94 vieille femme : il eut pitié de moi, et, m'ayant enlevée sur ses épaules, il me porta à travers l'eau qui se précipitait. Aussi, depuis lors, est-il sans cesse l'objet de mes soins: et cependant, Pélias ne pourra subir sa peine, si tu ne donnes à Jason le moyen de revenir. » Elle dit, et Cypris fut saisie de stupeur, émue de respect en se voyant suppliée par Héra; mais, ensuite, elle lui adressa ces douces paroles : « Vénérable déesse, il n'y aurait certes rien de pire que Cypris, si, quand tu le désires, je négligeais de parler ou d'accomplir quelque œuvre dont mes mains sont capables, malgré leur faiblesse. Je ne demande même pas de reconnaissance en retour. » Elle parla ainsi, et Héra lui répondit pleine de prudence : « Nous ne venons pas désireuses de ta force et du secours de tes mains. Même, reste tranquille, et contente-toi de recommander à ton fils d'inspirer à la fille d'Aiétès une passion pour Jason. Car, s'ils sont d'accord, si elle est bien disposée pour lui, je pense qu'il deviendra facile au héros de rentrer à lolcos, en possession de la toison : car cette fille est habile. » Elle dit, et, s'adressant à toutes deux, Cypris répondit : « Héra et Athéné, mon fils obéirait plutôt à vous qu'à moi : car, malgré toute son impudence, votre vue lui inspirera quelque respect; de moi, il n'a aucun souci: au contraire, il me provoque, il se joue de moi sans cesse. Certes, toujours en proie à sa méchanceté, j'ai pris une fois la résolution de briser, en même temps que son arc, ses flèches au bruit odieux, et cela sans me cacher. Alors, plein de colère, il me dit avec menaces que, si je ne tenais les mains loin de lui pendant qu'il maîtrisait encore sa colère, j'aurais ensuite à m'adresser des reproches à moi-même. » Elle parla ainsi, et les deux déesses se regardèrent en souriant; mais Cypris, très triste, continua : « Pour les autres, mes peines sont un sujet de risée; et je ne devrais pas les dire à tout le monde : c'est assez que je les connaisse moi-même. Mais, puisque cela vous est agréable à toutes les 95 deux, je tenterai l'expérience : je vais l'apaiser, et il ne me sera pas indocile. » Elle parla ainsi; mais Héra prit sa main délicate, et lui répondit à son tour, avec un doux sourire: «C'est cela, Cythérée; cette affaire difficile, comme tu dis, termine-la bien vite: ne te montre pas exigeante; ne te querelle pas, t'irritant contre ton fils; car il finira par te céder. »
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Ἠ ῥα, καὶ ἔλλιπε θῶκον· ἐφωμάρτησε δ' Ἀθήνη·
145 Ὧς φάτο· τῷ δ' ἀσπαστὸν ἔπος γένετ' εἰσαΐοντι.
Φῆ· ὁ δ' ἄῤ ἀστραγάλους συναμήσατο, κὰδ δὲ φαεινῷ |
V. 111-166. A ces mots, elle quitta son siège et Athéné l'accompagna; elles sortirent toutes deux pour s'en revenir. Mais Cypris se mit en route vers les endroits retirés de l'Olympe, espérant y découvrir son fils. Elle le trouva, loin de Zeus, dans une plaine fleurie : il n'était pas seul; avec lui se trouvait Ganymède que Zeus autrefois établit dans le ciel, convive des immortels, car il était passionné pour sa beauté. Tous deux jouaient avec des osselets d'or, comme de jeunes amis: et l'insolent Éros cachait déjà contre sa poitrine le creux de sa main gauche plein d'osselets; il était debout, ses joues s'illuminaient d'une douce rougeur. A côté de lui, Ganymède était à genoux, silencieux et tète basse : il n'avait plus que deux osselets, ayant jeté en vain les autres tour à tour; il était furieux contre Éros qui riait aux éclats. Ayant aussi perdu ses derniers osselets, bientôt après les autres, il s'en alla les mains vides, ne sachant plus que faire; il ne s'aperçut pas de l'arrivée de Cypris. Celle-ci s'arrêta en face de son fils et, aussitôt, le prenant par le menton, elle lui dit: « Pourquoi donc souris-tu, affreuse peste? Tu l'as donc trompé ainsi; tu as injustement triomphé de sa simplicité? Mais, voyons, termine, plein de bonne volonté pour moi, l'affaire dont je vais te parler : et je te donnerai un très beau jouet de Zeus, celui que lui fit sa chère nourrice Adrestéia, alors que, dans l'antre Idaien, il s'amusait en enfant. C'est une boule qui roule si bien que tu ne pourrais obtenir des mains d'Héphaïstos un présent plus précieux : elle est formée de cercles d'or; autour de chacun d'eux s'enroulent de doubles anneaux qui l'enveloppent; on n'en voit pas les jointures: car, une spirale bleuâtre court à leur surface. Mais, si tu 96 prends cette boule dans tes mains pour la lancer, semblable à un astre, elle répand dans l'air une traînée brillante. C'est le cadeau que je te ferai : de ton côté, frappe d'une flèche la vierge, fille d'Aiétès, et séduis son âme en faveur de Jason. Qu'il n'y ait pas de retard, car alors on te saurait moins de gré de ce que tu feras. » Elle dit; et ce langage était agréable à celui qui l'écoutait. Aussi, il jeta tous ses jouets; et, des deux mains, il tenait ferme la tunique de sa mère qu'il avait saisie des deux côtés : il la suppliait de lui faire son cadeau tout de suite. Celle-ci, l'accueillant avec de douces paroles et le prenant par les joues, l'embrassa, le tenant serré contre elle, et lui répondit en souriant : «Que ta tête chérie, que la mienne elle-même en témoigne ! Certes, je te donnerai ce présent et je ne te tromperai pas, aussitôt que tu auras percé d'un trait la fille d'Aiétès ! » Elle dit : Éros rassembla ses osselets, et, après les avoir tous bien comptés, il les lança dans le pli éclatant que les vêtements de sa mère faisaient au-dessous du sein. Aussitôt, il fixa a un baudrier d'or son carquois, qui était appuyé au pied d'un arbre, et il saisit son arc recourbé. Il sortit des demeures de Zeus, en traversant une plaine abondante en fruits; et il franchit ensuite les portes éthérées de l'Olympe. De là descend une route céleste : deux pôles soutiennent les hauteurs des montagnes inaccessibles; ce sont les sommets de la terre, c'est là que le soleil, à son lever, lance avec force ses premiers rayons. Au-dessous apparaissaient et la terre, qui porte des moissons, et les villes des hommes, et les cours sacrés des fleuves; d'autre part, les crêtes des montagnes, et, tout autour, la mer. Éros voyait tout cela pendant qu'il s'avançait au milieu des airs. |
Ἥρωες δ' ἀπάνευθεν ἑῆς ἐπὶ σέλμασι νηὸς
Ὧς φάτ'· ἐπῄνησαν δὲ νέοι ἔπος Αἰσονίδαο |
V, 167-209. Cependant, les héros, embusqués à l'écart, au milieu des marais du fleuve, se tenaient assis sur les bancs de leur navire et ils avaient ouvert la discussion. Jason parlait, et ils l'écoutaient silencieux, assis en ordre, chacun à sa place : « Mes amis, ce qui me paraît bon à moi-même, je vais vous 97 le dire. C'est à vous qu'il appartient de décider et d'agir. Le péril est pour tous : à chacun aussi de parler. Que celui qui se tairait, cachant son dessein et sa pensée, sache qu'ainsi il peut, à lui seul, faire obstacle au retour de cette expédition. Demeurez donc tous tranquillement, en armes, sur le navire. Et j'irai au palais d'Aiétès, prenant avec moi les fils de Phrixos, et, en outre, deux autres compagnons. Je me rendrai compte, en commençant par les paroles, s'il veut nous céder amicalement la toison d'or, ou si, au contraire, confiant dans sa force, il ne fait aucun cas de notre démarche. Alors, instruits d'avance par lui-même de sa méchanceté, nous déciderons ou de recourir à Arès, ou de prendre une autre résolution utile, si nous nous abstenons de pousser le cri de guerre. Mais, avant d'avoir essayé le pouvoir des paroles, n'employons pas la force pour le priver de son bien. Il vaut mieux d'abord aller vers lui, nous le rendre favorable par nos discours. Car, souvent, ce que la force obtiendrait avec peine, la parole en vient à bout facilement, usant des ménagements nécessaires. C'est Aiétès qui autrefois a reçu Phrixos innocent, fuyant les perfidies de sa marâtre et les sacrifices auxquels son père le destinait: car, partout, tous les hommes, même les plus impudents, vénèrent les justes lois de Zeus hospitalier, et les observent. » II dit; et les jeunes gens approuvèrent en masse la parole de l'Aisonide; et il n'y avait pas de dissident qui proposât un autre plan de conduite. Alors, il se fit suivre des fils de Phrixos, de Télamon et d'Augéiès; il prit lui-même le sceptre d'Hermès. Et, aussitôt, conduits par le navire au-dessus des roseaux et de l'eau, ils abordèrent sur le rivage, à l'escarpement d'une plaine qui se nomme la plaine Circaienne. Une suite d'arbrisseaux aux branches flexibles et de saules s'y élevaient, portant à leurs sommets, attachés par des liens, des cadavres suspendus. Maintenant encore, c'est un sacrilège pour les Colchiens de brûler sur un bûcher les hommes morts; il n'est pas permis de les ensevelir en terre et d'élever au-dessus d'eux un monument. Mais on 98 les enferme dans des peaux de bœufs non travaillées, et on les suspend ainsi à des arbres, loin de la ville. La terre cependant obtient des droits égaux à ceux de l'air : car c'est en terre qu'on ensevelit les femmes, plus délicates que les hommes. Telle est la pratique de cet usage.
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210 Τοῖσι δὲ νισσομένοις Ἥρη φίλα μητιόωσα
235 Ἔνθα δὲ καὶ μέσσαυλος ἐλήλατο· τῇ δ' ἐπὶ πολλαὶ
Ὧς ἔφατ'· Αἰήτης δὲ πανύστατος ὦρτο θύραζε, |
v. 210-274. Pendant qu'ils s'avançaient, Héra, dans un dessein ami, répandit au travers de la ville un brouillard épais, pour cacher au peuple innombrable des Colchiens leur marche vers la maison d'Aiétès. Mais, lorsque ayant quitté la plaine, ils furent parvenus dans la ville et à la maison d'Aiétès, aussitôt Héra dissipa la nuée. Ils s'arrêtèrent à l'entrée, dans la contemplation de l'enclos royal, des larges portes, des colonnes dont la suite s'élevait, entourant les murs. Au-dessus de la demeure, un entablement de pierre était muni de triglyphes d'airain. Ensuite, ils franchirent le seuil, sans que rien les arrêtât; tout auprès, des vignes cultivées, couvertes de feuilles verdoyantes, s'élevaient dans toute leur vigueur. A leur pied coulaient quatre sources intarissables; Héphaïstos les avait creusées: de l'une, jaillissait du lait; de l'autre, du vin; la troisième ruisselait d'un liquide huileux et parfumé. La dernière lançait de l'eau chaude, dans la saison ou les Pléiades se couchent; mais cette eau sortait du roc creux, froide comme la glace, au moment où les Pléiades se lèvent. Telles étaient dans le palais du Cytaien Aiétès les œuvres divines que le forgeron Héphaïstos avait accomplies. Le dieu lui avait fait, en outre, des taureaux aux pieds d'airain; leurs mufles, d'airain eux aussi, exhalaient une flamme terrible. Il avait encore fabriqué une charrue toute d'une pièce et du métal le plus résistant : tous ces dons, en témoignage de sa reconnaissance pour Hélios qui l'avait recueilli sur son char, alors qu'il était épuisé par le combat de Phlégra. C'est là qu'on avait fait la cour intérieure sur laquelle s'ouvraient de nombreuses portes à deux battants, bien agencées; tout autour de la cour étaient les appartements. De part et d'autre était construit un portique artistement 99 travaillé; transversalement et des deux côtés, des bâtiments plus hauts s'élevaient. Dans l'un qui dominait, le roi Aiétès habitait avec sa femme; dans l'autre demeurait Apsyrtos, fils d'Aiétès, qu'avait enfanté Astérodéia, nymphe du Caucase, avant que le roi eût pris pour femme légitime Eidyia, la plus jeune des filles de Téthys et d'Océanos. — Les fils des Colchiens avaient donné à Apsyrtos le nom de Phaéthon, parce qu'il était remarquable entre tous les jeunes gens. — Les autres bâtiments étaient occupés par les servantes et les deux filles d'Aiétès, Chalciopé et Médée. Or, celle-ci fut aperçue des héros au moment où elle passait de son appartement à celui de sa sœur (car Médée avait été retenue par Héra à la maison : avant ce jour, elle n'avait pas coutume d'aller et de venir dans l'enceinte du palais, mais elle s'occupait toute la journée au temple d'Hécate, étant prêtresse de la déesse). Dès qu'elle les vit s'approcher, elle poussa un cri : Chalciopé l'entendit aussitôt. Les servantes, jetant à leurs pieds les tissus et les fuseaux, s'élancèrent, toutes en foule, au dehors. Mais Chalciopé, voyant ses fils avec les héros, éleva les bras en signe de joie. Et eux, de leur côté, ils touchaient de leurs mains les mains de leur mère et l'embrassaient, heureux de la voir; et elle leur adressa ces paroles en gémissant: «Vous ne deviez donc pas naviguer bien loin, vous qui m'abandonniez, indifférents : le destin vous a ramenés. Malheureuse que je suis! Quel regret de l'Hellade les recommandations de votre père ne vous ont-elles pas inspiré, par suite d'une erreur fatale! En mourant, il vous a donné des ordres qui sont pour notre cœur une douleur cruelle. Cette ville d'Orchomène — quel qu'ait été cet Orchomène, — pourquoi avez-vous voulu y aller à cause des trésors d'Athamas, abandonnant votre mère désolée? » Elle dit; cependant Aiétès sortit le dernier de sa demeure, et, en même temps que lui, sa femme Eidyia, qui entendait Chalciopé. Toute la cour extérieure s'était bien vite remplie d'une foule tumultueuse. Des esclaves s'occupaient, 100 en nombre, d'apprêter un grand taureau; d'autres fendaient le bois sec avec l'airain; d'autres encore chauffaient sur le feu l'eau du bain : personne qui s'abstînt de travail parmi les serviteurs du roi.
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275 Τόφρα δ' Ἔρως πολιοῖο δι' ἠέρος ἷξεν ἄφαντος, |
V. 275-298. Cependant, à travers l'air transparent, Eros arriva invisible, portant avec lui le trouble de la passion : tel au milieu des jeunes génisses le taon s'élance, lui que les gardiens des bœufs appellent myops. Aussitôt, s'arrêtant dans le passage qui mène de la cour à la maison, contre le montant de la porte, le dieu bande son arc et tire de son carquois une flèche qui n'a pas encore servi, une flèche qui doit causer bien des gémissements. Toujours invisible, il franchit le seuil de ses pieds rapides: ses yeux perçants regardent de tous côtés. Le petit dieu se blottit aux pieds mêmes de Jason, fixe la coche de la flèche au centre de la corde, tend l'arc des deux mains, bien droit, et tire sur Médée: une stupeur envahit l'âme de la jeune fille. Et lui, il s'élança du palais au toit élevé, en riant aux éclats. Mais le trait brûlait au fond du cœur de la jeune fille, tel qu'une flamme : en face de l'Aisonide, elle jetait sans cesse sur lui le regard de ses yeux brillants; son cœur angoissé battait à coups redoublés dans sa poitrine, elle n'avait pas d'autre pensée et son âme était consumée par cette charmante douleur. — Telle une femme qui vit du travail de ses mains, occupée à faire de la laine, jette des brindilles de bois sur un tison ardent, afin que, pendant qu'il fait nuit, elle puisse se procurer dans sa demeure un feu brillant, elle qui s'éveille de bien bonne heure; du petit tison s'élève une flamme prodigieuse qui réduit en cendres tous les brins de bois. Tel, blotti au fond du cœur de Médée, il brûlait en secret, le cruel amour : les tendres joues de la jeune fille pâlissaient et rougissaient tour à tour, car son âme était troublée.
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Δμῶες δ' ὁππότε δή σφιν ἐπαρτέα θῆκαν ἐδωδήν,
Τοῖά μιν ἐξερέοντα κασιγνήτων προπάροιθεν
Τοῖα παρέννεπεν Ἄργος· ἄναξ δ' ἐπεχώσατο μύθοις
Φῆ ῥα χαλεψάμενος· μέγα δὲ φρένες Αἰακίδαο
Ἴσκεν ὑποσσαίνων ἀγανῇ ὀπί· τοῖο δὲ θυμὸς
Ὧς ἄρ' ἔφη· ὁ δὲ σῖγα ποδῶν πάρος ὄμματα πήξας
Ὧς φάτ' ἀμηχανίῃ βεβολημένος· αὐτὰρ ὁ τόνγε |
V. 299-438. Quand les esclaves eurent placé devant les héros la nourriture préparée pour eux, après qu'ils étaient sortis bien nettoyés des bains tièdes, leur âme se trouva agréablement 101 charmée par les aliments et la boisson. Alors Aiétès interrogea les fils de sa fille, en leur adressant ces paroles d'encouragement : « Fils de mon enfant et de ce Phrixos que j'ai honoré plus que tous les étrangers dans ce palais, comment êtes-vous de retour dans Aia? Quelque accident vous a-t-il arrêtés au milieu de votre route? Vous n'avez pas cru à ma parole, quand, je vous annonçais la longueur infinie de votre voyage. Je savais bien ce que je disais, moi qui ai fait autrefois une course immense sur le char de mon père Hélios, quand il amena ma sœur Circé au milieu des régions occidentales, quand nous pénétrâmes jusqu'au rivage du continent Tyrrhénien, où elle habite encore maintenant, bien loin de la terre de Colchide. Mais à quoi bon ces paroles? Quels obstacles se sont dressés devant vous: dites-le-moi exactement; dites-moi aussi quels sont les hommes qui vous accompagnent et en quel lieu vous êtes sortis du navire profond?» A ces questions, ayant conçu quelques craintes pour l'expédition de l'Aisonide, Argos prit la parole avant ses frères, et répondit en termes conciliants, car il était l'aîné : « O Aiétès, notre navire a été bien vite brisé par les tempêtes violentes; quant à nous, qui nous étions blottis sur des poutres, la vague nous a jetés au rivage de l'île d'Ényalios, dans la nuit noire : un dieu nous sauva. Car, ces oiseaux d'Arès, qui jusqu'alors étaient à demeure dans l'île déserte, nous ne les y avons plus trouvés. Ces hommes, qui étaient sortis de leur navire depuis la veille, les avaient chassés : ils avaient été retenus là par la pitié de Zeus pour nous, ou par quelque hasard. En effet, ils s'empressèrent de nous donner de la nourriture et des vêtements en quantité suffisante, aussitôt qu'ils nous eurent entendu prononcer le nom illustre de Phrixos et le tien : car ta ville est le but de leur voyage. Si tu veux savoir pour quel motif, je ne te le cacherai pas. Ce héros, un roi violemment désireux de le chasser bien loin de sa patrie et de ses possessions, parce qu'il l'emporte en mérite sur tous les Aiolides, — un roi 102 le force à venir ici, malgré lui. Il prétend en effet que la race des Aiolides ne pourra pas éviter la colère funeste de l'implacable Zeus, ni la souillure insupportable, ni l'expiation qu'il faut offrir à Phrixos, avant d'avoir fait revenir la toison en Hellade. Le navire a été construit par Pallas Athéné : il ne ressemble pas à ceux que l'on trouve chez les hommes Colchiens, à ces navires dont nous avons eu le plus mauvais; car l'impétuosité des eaux et le vent l'ont facilement brisé. Mais celui-ci, maintenu par des chevilles, est capable de résister au choc de toutes les tempêtes. Il va aussi bien quand le vent le pousse, ou quand les hommes eux-mêmes entretiennent à force de bras le mouvement des rames. Ce navire où s'est rassemblé tout ce que l'Achaïe entière a de meilleur en fait de héros, après avoir erré par bien des mers aux vagues effrayantes et abordé à bien des cités, est arrivé vers ta ville, dans l'espoir que tu céderas la toison. Mais il adviendra ce que tu voudras : car ce héros ne vient pas pour s'en emparer de vive force. Loin de là, il a résolu de te rendre des services dignes de ce don, en apprenant de moi que les Sauromates sont tes ennemis acharnés : il les soumettra à ton sceptre. Que si tu veux savoir le nom et la naissance de ceux qui sont devant toi, je vais te dire tout cela. Celui à cause de qui tous les autres sont venus de l'Hellade se rassembler pour l'expédition, ils l'appellent Jason, fils du Créthéide Aison. Mais, s'il descend réellement de Crétheus, il est notre parent du côté paternel. Car, tous deux, Crétheus et Athamas, étaient fils d'Aiolos; or, Phrixos était fils de l'Aiolide Athamas. Si tu veux que l'on te cite quelque fils d'Hélios, voici Augéiès; cet autre, c'est Télamon, qui est né du très illustre Aiacos : Zeus lui-même engendra Aiacos. De même tous les autres, autant sont-ils qui accompagnent Jason, sont des fils ou des petits-fils de dieux. » Ainsi parla Argos: en entendant ce discours, le roi s'irritait; et une profonde rage transportait son cœur: il dit plein d'indignation — il était surtout furieux contre les fils 103 de Chalciopé; car, pensait-il, c'était à cause d'eux que les autres héros étaient venus; ses yeux brillaient sous ses sourcils, il était menaçant : « Insolents, ne vous en irez-vous pas à l'instant loin de mes regards, loin de ce pays, avec toutes vos ruses, avant qu'un seul de vous ait vu la fatale toison de Phrixos? Vous qui vous êtes empressés de partir de l'Hellade, et de venir ici, non pas pour la toison, mais pour ravir mon sceptre et mon autorité royale! Si vous n'aviez déjà touché à ma table, je vous ferais arracher la langue, couper les deux mains, et je vous renverrais, n'ayant plus d'intacts que les pieds, rendus de la sorte incapables de faire ici une nouvelle invasion. Car ils sont grands les mensonges que vous avez proférés à la face des dieux bienheureux!» Il dit, plein de fureur; l'Aiacide était outré jusqu'au fond du cœur, et sa colère le poussait à répondre par de funestes paroles. L'Aisonide l'arrêta et répondit lui-même avec douceur : « Aiétès, je te prie de contenir ta colère au sujet de cette expédition; car ce n'est pas avec les dispositions que tu crois que nous venons dans ta ville et dans ton palais : aucune cupidité ne nous amène. Qui donc oserait traverser volontairement une si grande étendue de flots en courroux, pour aller prendre le bien d'autrui? Loin de là: c'est un dieu, c'est l'ordre effrayant d'un roi injuste qui m'a envoyé ici. Accomplis le vœu de ceux qui t'implorent; et, par toute l'Hellade, je porterai ta renommée divine. Nous sommes déjà prêts à te payer immédiatement de retour dans les luttes d'Arès, si tu désires soumettre à ton sceptre, soit les Sauromates, soit tout autre peuple. » II dit, essayant de l'apaiser par ces douces paroles. Mais la passion du roi agitait dans son cœur une double pensée : se jetterait-il sur eux pour les tuer tout de suite, ou ne mettrait-il pas leur force à l'épreuve? Après avoir réfléchi, c'est ce parti qui lui sembla le meilleur. Aussi adressa-t-il de nouveau la parole à Jason : « Étranger, pourquoi passer ainsi en revue toutes choses? Si vous êtes la vraie race des 104 dieux, ou si d'autre part vous êtes venus, avec des forces qui ne le cèdent pas aux miennes, conquérir ce qui ne vous appartient pas, je te donnerai la toison d'or à emporter, si tu la veux, mais quand tu auras été mis à l'épreuve. Car je ne porte pas envie aux hommes braves, comme fait, dites-vous, ce souverain de l'Hellade. Mais l'épreuve que je ferai de ta force et de ton courage, c'est un travail dont mes bras viennent à bout, malgré tous ses dangers. J'ai deux taureaux aux pieds d'airain; de leur mufle s'exhalent des flammes: ils paissent dans la plaine d'Arès. Je les mets sous le joug et je les fais avancer dans cette âpre jachère d'Arès, vaste de quatre arpents; elle est vite fendue jusqu'au bout par la charrue : alors, ce n'est pas la semence de Déméter, la graine, que je jette dans les sillons. Mais j'y lance les dents d'un terrible serpent, qui croissent sous la forme nouvelle d'hommes armés : ces ennemis qui m'entourent, je les taille en pièces, je les tue avec ma lance. C'est au matin que je mets les bœufs sous le joug, et c'est au moment où le soir arrive que je termine la moisson. Quant à toi, si tu accomplis semblable travail, ce jour-là même, tu pourras emporter la toison chez ton roi : auparavant, je ne te la donnerai pas, n'en aie point l'espoir. Car il serait indigne qu'un homme, né courageux, cédât à un homme qui ne le vaut pas. » II dit, et Jason, silencieux, les yeux fixés à ses pieds, demeura ainsi, sans voix, très embarrassé de sa mauvaise situation. Il resta longtemps à agiter dans son esprit quel parti il prendrait, n'osant rien promettre avec assurance, car ce travail lui paraissait bien grand. Enfin, il répondit par ces paroles habiles : « Aiétès, c'est avec une rigoureuse justice que tu m'enfermes dans cette dure condition. Aussi, quoique ce travail dépasse mes forces, je l'accomplirai, quand même il devrait amener ma mort fatalement. Car aucun mal ne peut être imposé aux hommes, plus dur que la nécessité ennemie, et c'est elle qui, par l'ordre du roi, m'a fait partir pour ce pays. » 105 II parla ainsi, angoissé par les difficultés qui le frappaient; au milieu de sa tristesse, Aiétès lui répliqua par ces dures paroles: «Va, maintenant, vers tes amis, puisque tu oses affronter cette épreuve. Mais, si tu as peur de mettre le joug sur les bœufs, ou si cette moisson funeste t'effraie, je saurai m'arranger pour tout cela de façon qu'à l'avenir on craigne de s'attaquer à plus fort que soi. »
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Ἴσκεν ἀπηλεγέως· ὁ δ' ἀπὸ θρόνου ὤρνυτ' Ἰήσων, |
v. 439-470. II avait parlé sans ménagements. Jason se leva de son siège, et, aussitôt après, Augéiés et Télamon; Argos suivait, seul : car, avant de partir, il avait fait signe à ses frères de rester. Quant à eux, ils sortirent du palais. Le fils d'Aison brillait divinement entre tous par sa beauté et sa grâce. Tenant les yeux tournés vers lui, la jeune fille le contemplait, au travers de son voile resplendissant : son cœur se consumait dans l'angoisse, et son âme, comme un songe, voltigeait, se glissant sur les traces de celui qui partait. Et ils sortirent de la maison, attristés. Quant à Chalciopé, se tenant en garde contre la colère d'Aiétès, elle marcha en hâte avec ses fils vers son appartement. De son côté, Médée se retira aussi : bien des pensées s'agitaient dans son cœur, toutes ces pensées dont les Eros forcent à se préoccuper : devant ses yeux, tout ce qui s'était passé revenait; elle le voyait lui-même, tel qu'il était; elle se rappelait quels vêtements il portait, quelles paroles il avait dites, comment il s'était assis sur son siège, comment il était sorti. Elle ne pouvait, dans son trouble, s'imaginer qu'il existât un autre homme tel que lui. A ses oreilles résonnaient toujours les accents de sa voix et les paroles douces au cœur qu'il avait prononcées. Elle craignait pour lui : les taureaux, Aiétès lui-même, ne seraient-ils pas cause de sa perte? Elle le pleurait, comme s'il était déjà tout à fait mort, et, sur ses joues, des larmes coulaient doucement, signe de sa profonde pitié; car elle était angoissée. Au milieu de ses larmes muettes, elle dit de sa voix harmonieuse: «Infortunée, pourquoi suis-je en proie à cette douleur? S'il doit mourir, soit en se montrant le plus brave des héros, soit le plus 106 lâche, qu'il périsse! Mais s'il plaisait aux dieux qu'il sortît du danger sain et sauf!... O vénérable déesse, fille de Perses, qu'il en soit ainsi! Qu'il retourne dans sa maison, ayant échappé à la mort! Au contraire, si le destin est qu'il soit tué par les taureaux, qu'il le sache du moins, avant de mourir, son malheur n'est pas pour moi un sujet de joie! » |
Ἡ μὲν ἄρ' ὧς ἐόλητο νόον μελεδήμασι κούρη.
Ἴσκεν ἐυφρονέων· ὁ δ' ἀμείβετο τοῖσδ' ἐπέεσσιν·
Ὡς ἔφατ'· ὦκα δ' ἕλος μετεκίαθον. Αὐτὰρ ἑταῖροι
Ὧς ἄρ' ἔφη· πάντεσσι δ' ἀνήνυτος εἴσατ' ἄεθλος,
515 Ὧς ἔφατ' Αἰακίδης· Τελαμῶνι δὲ θυμὸς ὀρίνθη·
Ὧς φάτο· τοῖσι δὲ σῆμα θεοὶ δόσαν εὐμενέοντες.
555 Ἴσκεν· ἐπῄνησαν δὲ νέοι, Φινῆος ἐφετμὰς
Ὧς ηὔδα μεμαώς· πολέες δ' ὁμάδησαν ἑταῖροι
Ὧς ἄρ' ἔφη· καὶ τὸν μὲν ἄφαρ προΐαλλε νέεσθαι |
v. 471-575. C'est ainsi que, dans son cœur, la jeune fille était remuée par les soucis. Cependant, quand les héros furent sortis du milieu du peuple et de la ville, en suivant la même route par où ils étaient venus auparavant de la plaine, alors Argos interpella Jason en ces termes: « Aisonide, tu blâmeras le dessein que je vais exposer. Mais il me semble que, dans notre situation difficile, on ne doit négliger de rien tenter. Tu as déjà appris de moi qu'ici une jeune fille s'occupe de l'art des poisons, d'après les idées que lui a inspirées Hécate, fille de Persès. Si nous pouvons nous la concilier, je pense que tu n'auras plus à craindre de périr dans la lutte; mais j'ai terriblement peur que ma mère ne veuille pas me promettre d'intervenir : j'irai cependant de nouveau à la ville pour me rencontrer avec elle, car c'est une perte commune qui nous menace tous. » II parla ainsi, plein de bonnes intentions, et Jason lui répondit par ces mots : « Mon ami, si tel est ton avis, je ne m'y oppose en rien. Va donc: que tes sages paroles fléchissent ta mère et l'excitent à intervenir! Mais, bien faible est notre espérance, si nous confions à des femmes le soin de notre retour. » II dit; ils furent bientôt arrivés au marais. Dès qu'ils les virent devant eux, leurs compagnons, pleins de joie, les interrogèrent. Mais l'Aisonide, affligé, leur adressa ce discours : « O mes amis, le cœur du cruel Aiétès est manifestement irrité contre nous. Certes, s'il fallait tout vous raconter en détail, je n'en finirais pas de parler, ni vous d'interroger. Il m'a dit, en somme, que dans la plaine d'Arès paissent deux taureaux aux pieds d'airain, qui exhalent des flammes de leur mufle. Il m'a ordonné de leur faire labourer une jachère 107 de quatre arpents; il me donnera, pour les y semer, des dents de serpent, d'où doivent naître des hommes qui sortiront de la terre, couverts d'armes d'airain. Dans ce jour-là même il faut les tuer. Eh bien! — comme je ne voyais rien de mieux à imaginer, — j'ai promis intrépidement de faire ce qu'il ordonnait. » II parla ainsi, et l'entreprise leur semblait à tous impossible à accomplir; silencieux, ne trouvant rien à dire, ils se regardaient les uns les autres, abattus par le malheur et la difficulté de la situation. Enfin, Pelée osa prendre la parole au milieu de tous les héros : « C'est le moment de délibérer sur ce que nous ferons. Ce n'est pas que je compte trouver dans la délibération autant d'utilité que dans la force des bras. Si, dès maintenant, tu penses mettre les bœufs d'Aiétès sous le joug, ô héros Aisonide, si tu te portes avec ardeur à cette lutte, fidèle à tes engagements, prépare-toi à agir. Mais si tu n'as pas entière confiance en ton courage, ne t'empresse pas; ne reste pas non plus assis dans cette assemblée à jeter les yeux sur l'un ou l'autre de ces hommes : car, moi, je ne demeurerai pas inactif; la mort, en effet, sera le pire des maux que cette lutte peut causer. » Ainsi parla l'Aiacide; mais le cœur de Télamon s'émut : impétueux, il se leva en hâte. Idas se leva le troisième, plein de hardiesse; et, après lui, les deux fils de Tyndare; puis le fils d'Oineus se mit au nombre de ces jeunes hommes dans la force de l'âge, et cependant la floraison des premiers poils ne s'élevait pas encore sur ses joues : si grande était l'audace qui excitait son cœur. Les autres, s'effaçant derrière eux, restaient silencieux. Alors Argos adressa ces paroles à ceux qui aspiraient au combat: « Mes amis, c'est un parti extrême; mais je pense que l'aide de ma mère pourra vous être de quelque utilité. Aussi, malgré votre ardeur, restez encore un peu de temps enfermés dans le navire, comme vous l'avez fait jusqu'à présent; car il vaut certes mieux nous contenir que de nous perdre par dédain du péril. Une jeune fille a été nourrie dans le palais d'Aiétès, instruite, entre toutes les 108 femmes, par la déesse Hécate à préparer tous les poisons que produisent la terre et la mer aux vastes flots. Grâce à eux s'adoucit la flamme du feu indomptable; elle arrête à l'instant les fleuves qui coulent avec bruit, elle enchaîne les astres et le cours de la lune sacrée. Quand nous revenions du palais ici, chemin faisant, nous nous sommes souvenus d'elle: peut-être notre mère, qui est sa sœur, pourrait la persuader de nous aider dans ce combat. Si ce que je dis vous plaît, je vais revenir, aujourd'hui même, à la maison d'Aiétès pour faire la tentative; et je pourrais la faire avec l'aide d'un dieu.» Il dit; mais les dieux bienveillants leur donnèrent un présage. Car une timide colombe, fuyant l'attaque d'un faucon, vint, du haut du ciel, tomber tout effrayée dans le sein de Jason, et le faucon s'abattit lui-même sur le haut de la poupe. Aussitôt Mopsos, interprète des dieux, prononça ces paroles au milieu de tous les héros : « C'est pour vous, ô mes amis, que ce présage a été produit par la volonté des dieux. Il n'y a pas de meilleure manière de l'interpréter que d'aller à la jeune fille et de la supplier par tous les moyens possibles. Je pense qu'elle ne repoussera pas notre demande, si toutefois Phinée s'est montré véridique en prédisant que notre retour aurait lieu grâce à la déesse Cypris. Or, ce doux oiseau, qui lui est consacré, a échappé à la mort; puisse donc arriver ce que, dans ma poitrine, mon cœur pressent, d'après ce présage! Ainsi, mes amis, implorez Cythérée à votre aide et hâtez-vous de suivre les conseils d'Argos. » II dit, et les jeunes gens approuvèrent, se souvenant des recommandations de Phinée; seul, Idas, fils d'Aphareus, se leva d'un bond, profondément indigné, et il s'écria très haut: « Malheur à nous! Nous sommes donc venus ici pour faire campagne avec des femmes, puisqu'on invoque pour nous le secours de Cypris et qu'il n'est plus question de la grande force d'Ényalios! Est-ce la vue des colombes et des faucons qui vous écarte des combats? Allez-vous-en, ne vous occupez plus des choses de la guerre, mais des faibles jeunes filles qu'on séduit avec des prières. 109 Telles furent ses paroles irritées; beaucoup parmi les héros frémirent, mais sans faire d'éclat. Personne n'éleva la parole contre lui; quand il se fut assis, bouillonnant de colère, Jason dit aux héros, pour affermir leur résolution : « Qu'Argos quitte le navire et soit envoyé à la ville, puisque tel est votre désir à tous. Quant à nous, du fleuve ou est le navire, nous irons, dès à présent, attacher, sans nous dissimuler, les amarres au rivage. Car il ne convient pas de nous cacher plus longtemps, comme si nous redoutions le combat. » II parla ainsi, et fit repartir rapidement Argos vers la ville; quant aux autres, ayant retiré les pierres de fond dans le navire, sur l'ordre de l'Aisonide, ils avancèrent un peu à la rame hors du marais, et abordèrent la terre ferme.
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Αὐτίκα δ' Αἰήτης ἀγορὴν ποιήσατο Κόλχων |
V. 576-608. Mais Aiétès réunit l'assemblée des Colchiens hors de sa maison, où l'on avait dès longtemps coutume de s'asseoir pour le conseil; il préparait contre les Minyens des ruses qui devaient les faire succomber et d'inquiétantes machinations. Il assurait qu'aussitôt que les taureaux auraient mis en pièces cet homme qui s'était engagé à accomplir un si terrible travail, il ferait déraciner la forêt de chênes qui couvrait de sa masse le sommet de la colline, et brûler avec le bois du navire tous les hommes qui le montaient : ainsi s'évanouirait la misérable insolence de ces gens aux orgueilleuses entreprises. En effet, jadis il n'aurait jamais consenti à recevoir comme hôte, dans son palais, malgré tout le désir qu'il en montrait; l'Aiolide Phrixos, recommandable entre tous les étrangers par sa douceur et sa piété, — il ne l'aurait jamais reçu, si Zeus lui-même n'avait envoyé du ciel le messager Hermès, pour lui ordonner que Phrixos trouvât en lui un hôte bienveillant. A plus forte raison, ces brigands, qui avaient pénétré sur le sol de son pays, ne pouvaient échapper longtemps au châtiment, eux qui n'avaient d'autre but que de mettre la main sur le bien d'autrui, de préparer des embûches dans l'ombre, et de dévaster les parcs des bergers dans de tumultueuses incursions. Cependant, il se dit à part 110 lui que les fils de Phrixos subiraient pour leur part un châtiment expiatoire bien mérité, eux qui étaient revenus, en compagnie de ces hommes pleins de mauvaises intentions, pour lui arracher ses honneurs royaux, et son sceptre, les impudents! C'était l'accomplissement du terrible oracle qu'il avait jadis entendu de son père Hélios, lui annonçant qu'il fallait déjouer les ruses habiles et les projets de sa race, et éviter ainsi de nombreuses calamités. Aussi, quand les fils de Phrixos avaient manifesté le désir d'aller en Achaïe, d'entreprendre ce long voyage, d'après les recommandations de leur père, il les avait envoyés. Car, du côté de ses filles, il n'avait pas la moindre crainte de leur voir méditer quelque dessein funeste; pas davantage du côté de son fils Apsyrtos. Mais ces machinations perfides devaient venir des enfants de Chalciopé. Et ces crimes, il ne les tolérerait pas : c'est ce que, plein de fureur, il déclara aux hommes de son peuple; il ordonna, avec grandes menaces, de surveiller le navire et les héros, pour qu'aucun d'eux n'échappât à la mort. |
Τόφρα δὲ μητέρ' ἑήν, μετιὼν δόμον Αἰήταο,
Κούρην δ' ἐξ ἀχέων ἀδινὸς κατελώφεεν ὕπνος
645 Ἠ ῥα, καὶ ὀρθωθεῖσα θύρας ὤιξε δόμοιο,
Ὧς φάτο· τῆς δ' ἐρύθηνε παρήια· δὴν δέ μιν αἰδὼς
Φῆ ῥα, κασιγνήτης πειρωμένη, εἴ κέ μιν αὐτὴ
705 Ὧς ἄρ' ἔφη, τὸ δὲ πολλὸν ὑπεξέχυτ' αὐτίκα
δάκρυ·
Φῆ ἄρα· Χαλκιόπη δ' ἠμείβετο τοῖσδ' ἐπέεσσιν·
Ὧς φάτο· τῇ δ' ἔντοσθεν ἀνέπτατο χάρματι θυμός,
740 Ὧς ἥγ' ἐκ θαλάμοιο πάλιν κίε, παισί τ' ἀρωγὴν
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V. 609-743. Cependant, de retour dans la maison d'Aiétès, Argos exhortait sa mère avec toute sorte de prières à supplier Médée de venir à leur secours. Chalciopé elle-même y pensait déjà; mais une crainte arrêtait son esprit: c'était, ou de chercher, hors de propos et inutilement, à se concilier une fille effrayée du terrible courroux de son père, ou, si Médée cédait à ses demandes, que ce qu'elle ferait ne fût trop visible, trop manifeste. La jeune fille se reposait de ses douleurs dans un profond sommeil, étendue sur son lit. Mais, tout à coup, des songes vains l'agitèrent, effrayants, comme il en arrive à une personne maîtrisée par la douleur. Il lui sembla que l'étranger avait entrepris la lutte; ce n'était pas qu'il désirât ardemment emporter la toison du bélier, ni qu'il fût venu dans ce but vers la ville d'Aiétès : non, il était venu pour l'emmener elle-même dans sa maison, comme sa jeune épouse. Il lui semblait qu'elle combattait elle-même les taureaux, et que le combat lui était aisé. Mais ses parents ne restaient pas 111 fidèles à leur promesse : car, ce n'était pas à la jeune fille, mais à lui-même qu'ils avaient ordonné de mettre les bœufs sous le joug; de là un débat, une contestation, entre sort père et les étrangers. Quant à elle, des deux parts, on la laissait libre de se conduire suivant l'impulsion de son. cœur: et aussitôt, c'est l'étranger, oublieuse de ses parents, qu'elle se choisit. Ceux-ci furent saisis d'une insupportable douleur et ils poussèrent des cris d'indignation. En même temps qu'elle entendait ces cris, le sommeil l'abandonna. Le cœur palpitant, la crainte la fit sauter à bas de son lit; jetant autour d'elle des regards effrayés, ses yeux parcoururent successivement les murs de la chambre. C'est avec peine qu'elle rassembla ses esprits et qu'elle fit reprendre à son cœur le calme qu'il avait auparavant dans sa poitrine; alors, elle prononça ces paroles plaintives: «Malheureuse que je suis! Quels songes pénibles m'ont épouvantée ! Je crains qu'elle ne soit cause d'un grand malheur, cette expédition des héros. Autour de l'étranger, mon âme voltige. Qu'il recherche en mariage dans son peuple, bien loin d'ici, une jeune fille d'Achaïe! Nous, que notre virginité, que la maison paternelle nous intéressent seules; en tous cas, laissant de côté toute intention cruelle, je ne tenterai rien sans ma sœur: je verrai si elle me demande d'intervenir dans le combat, inquiète pour ses enfants. Car ainsi la cruelle souffrance de mon âme s'apaiserait I » Elle dit, et, s'étant levée, elle ouvrit les portes de la chambre, pieds nus, revêtue seulement d'une robe; elle désirait aller chez sa sœur et elle franchit le seuil. Cependant, elle s'attardait là, dans le vestibule de son appartement, retenue par la pudeur; puis elle retourna sur ses pas et rentra dans sa chambre; elle en sortit une seconde fois pour s'y réfugier encore. L'inutile mouvement de ses pieds l'amenait et la ramenait. Quand elle s'élançait pour sortir, la pudeur la faisait rentrer; et, retenue par la pudeur, l'audacieux amour la poussait en avant. Trois fois elle essaya de sortir, trois fois elle fut retenue; à la quatrième 112 tentative, elle se jeta en avant sur son lit, et s'y roula. — Telle une jeune mariée pleure dans sa chambre nuptiale l'époux florissant de jeunesse auquel ses frères ou ses parents l'ont unie. Sa pudeur et sa sage réserve l'empêchent de se mêler à la foule des servantes; dans son affliction, elle s'assied à l'écart. Lui, un destin funeste l'a enlevé avant qu'ils aient pu jouir de leur mutuelle affection; et elle, déchirée par une douleur intime, elle pleure en silence à la vue de son lit désert; elle craint que les femmes moqueuses ne l'accablent de leurs railleries : telle Médée se lamentait. — Au milieu de ses gémissements, elle fut tout à coup surprise par une esclave, une jeune fille qui était sa suivante. Cette fille alla aussitôt avertir Chalciopé, qui était assise entre ses fils, cherchant les moyens de se concilier l'aide de sa sœur. Elle ne resta pas incrédule, en entendant ces paroles inattendues de la servante : pleine de trouble, elle se précipita en hâte de sa chambre à la chambre où la jeune fille était couchée, en proie à la douleur, et déchirait ses joues de ses deux mains. Voyant ses yeux baignés de larmes, elle l'interpella ainsi: «Malheur à moi! Médée, pourquoi verses-tu ces larmes? Que t'est-il arrivé? Quelle douleur terrible s'est glissée dans ton cœur? Un mal envoyé par les dieux parcourt-il tes membres, ou bien as-tu entendu de mon père quelque parole terrible sur moi et sur mes fils? Plût aux dieux qu'il me fût permis de ne plus voir ni la maison de mes parents, ni cette ville, mais d'habiter aux confins de la terre, là où l'on ne connaît pas même le nom des Colchiens! » Elle parla ainsi; les joues de la jeune fille rougirent, et longtemps sa pudeur virginale la retint, quoiqu'elle fût impatiente de répondre. Tantôt les paroles lui venaient au bout de la langue, tantôt elles s'envolaient jusqu'au fond de sa poitrine. Bien des fois, elle désirait tout dire de sa bouche aimable; mais sa parole ne pouvait aller plus avant. Enfin, elle s'exprima de cette manière artificieuse, car elle était poussée par les Éros audacieux : « Chalciopé, c'est au 113 sujet de tes fils que mon cœur est agité; je crains que mon père ne les fasse bientôt périr avec ces hommes étrangers. Assoupie tout à l'heure, dans un court sommeil, tels sont les songes terribles que j'ai encore devant les yeux! Puisse un dieu faire qu'ils ne s'accomplissent pas! Puisses-tu ne pas éprouver à cause de tes fils une affliction pénible! » Elle parla ainsi, pour éprouver sa sœur : Chalciopé allait- elle s'adresser à elle, la première, pour lui demander son secours en faveur de ses fils? Mais le cœur de Chalciopé était accablé d'une angoisse insupportable : car ce qu'elle avait entendu l'effrayait. Elle répondit par ces paroles : « Et moi aussi, c'est agitée par toutes ces pensées que je suis venue à toi, voir si tu pourrais te concerter avec moi et imaginer quelque moyen de salut. Mais jure par Gaia et par Oura- nos que tu garderas mes paroles dans ton cœur et que tu seras mon aide. Je te conjure par les dieux, par toi-même, par nos parents : ces enfants, que je ne les voie pas, victimes d'un destin funeste, périr misérablement. Autrement je serais pour toi, moi morte avec mes fils chéris, une terrible Erinys qui te poursuivrait depuis la maison d'Adèsl » Elle dit, et versa aussitôt d'abondantes larmes; tombée aux pieds de Médée, elle entourait ses genoux de ses deux mains et jetait sa tête dans le sein de la jeune fille. Toutes les deux se lamentèrent l'une sur l'autre d'une manière pitoyable. Des cris aigus s'élevèrent dans la maison : telle était la douleur des deux affligées! Mais, la première, Médée prit la parole et dit à sa sœur avec tristesse : « Malheureuse! quel remède trouver, alors que tu parles d'imprécations et d'Érinyes terribles! Plût au ciel qu'il fût sûrement en notre pouvoir de sauver tes fils! Qu'il sache — c'est le serment inviolable des Colchiens par lequel tu me forces de jurer, — qu'il le sache, le grand Ouranos, qu'elle le sache aussi celle qui est au-dessous de lui, Gaia, la mère des dieux : elle ne te fera jamais défaut, toute la force qui peut être en moi, si tu me supplies de faire ce qui est possible. » Elle dit; et Chalciopé lui répondit par ces mots : «N'ose- 114 rais-tu pas, quand cet étranger le désire lui-même, imaginer quelque ruse, quelque artifice pour le combat, à cause de mes fils? De sa part, en effet, Argos est venu me pousser à solliciter ton secours. Et je l'ai laissé à la maison pour me rendre ici. » Elle dit; le cœur de Médée bondit de joie; son beau visage rougit et, dans l'excès de son bonheur, elle eut comme un éblouissement; alors, elle prononça ces paroles : Chalciopé, ce qui vous est utile et agréable, je le ferai. Qu'à mes yeux ne brille plus l'aurore, que toi-même tu ne me revoies plus vivante, s'il est quelque chose au monde que je fasse passer avant ta vie et avant tes fils, qui sont pour moi des frères, des parents bien-aimés et de mon âge. Et toi, ne puis-je pas me dire à la fois ta sœur et ta fille, puisque, comme eux, ton sein m'a nourrie, alors que j'étais une petite enfant : je l'ai toujours entendu raconter par ma mère. Mais, va; ne dis pas ce que je veux faire pour toi, que je puisse, à l'insu de mes parents, accomplir ce que j'ai promis. Au matin, je porterai dans le temple d'Hécate les substances magiques qui charmeront les taureaux. [Je les porterai à l'étranger qui cause ces difficultés.] » Chalciopé quitta la chambre et alla annoncer à ses fils le secours que sa sœur leur donnerait. Mais elle, la pudeur et la. crainte terrible la saisirent de nouveau quand elle se trouva seule. Car, à cause de cet homme, elle méditait bien des projets contre son père.
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