Apollonius de Rhodes

APOLLONIUS DE RHODES

ARGONAUTIQUES.

CHANT QUATRIÈME. (1 à 832)

Traduction française : H. De LA VILLE De MIRMONT

CHANT III (scolies) - CHANT IV (833 - fin)

 

 

 

 

ARGONAUTIQUES

 

CHANT IV

SOMMAIRE

Invocation à la Muse (1-5) — Projets d'Aiétès et angoisses de Médée (6-33). — Elle s'enfuit du palais pendant la nuit (34-65). — Elle va rejoindre les Argonautes (66-91). — Les héros conduisent le navire à la rive où se trouve la toison (92-108). — Avec l'aide de Médée, Jason s'empare de la toison d'or (109-183). — Départ des Argonautes (183-211). — Aiétés donne l'ordre de poursuivre les héros. (212-235). — Poursuivis par les Colchiens, les Argonautes débarquent en Paphlagonie (236-252). —Argos leur indique la route à suivre (253-293). — Les Argonautes pénètrent dans l'Ister (291-302). — Les Colchiens leur ferment le passage vers la mer (303 - 337). — Convention des Argonautes avec les Colchiens (338-349). — Reproches de Médée à Jason; le héros l'apaise et ils décident tous deux de tuer Apsyrtos par trahison (350-444). — Imprécation du poète contre Eros. (445- 451). — Apsyrtos est tué par Jason (452-481). — Les Argonautes s'embarquent, sur le conseil de Pélée, et les Colchiens renoncent à les poursuivre (482-521). — Les héros abordent chez les Hylléens (522-551). — Zeus ordonne à Jason et à Médée de se faire purifier par Circé du meurtre d'Apsyrtos (552-591). — Le navire Argo entre dans l'Eridan. (592-626). — II passe de ce fleuve dans le Rhodanos d'où il sort, en face des îles Stoichades (627-658). — Il arrive à l'île de Circé (659-684). — Jason et Médée se font purifier par Circé (685-717). — Circé, ayant appris qui est Médée, la chasse de sa demeure (718-752). — Héra ordonne à Thétis de secourir le navire Argo dans les difficiles parages de Charybde et de Scylla (753-832), — Thétis va annoncer à Pelée le secours que ses sœurs et elle porteront aux Argonautes d'après les ordres d'Héra (833-884). — Le navire Argo passe en vue de l'île des Sirènes ; les Néréides le sauvent des Roches-Errantes (885-981). — Arrivée des héros chez les Phaiaciens. Les Colchiens viennent réclamer Médée; supplications adressées par la jeune fille à la reine Arête et aux héros (982-1067). — Arête obtient d'Alcinoos que, si Médée est déjà la femme de Jason, il ne la rendra pas aux Colchiens (1068-1109). — Arêté prévient Jason de la décision d'Alcinoos; les héros se hâtent de célébrer le mariage (1110-1169). — Alcinoos rend son arrêt ; départ des Argonautes (1170-1227). — La tempête jette Argo dans la Syrte de Libye; désespoir des héros (1228-1304). — Les déesses tutélaires de la Libye apparaissent à Jason; prodige qu'elles montrent aux Argonautes (1305-1379). — Les héros portent le navire sur les épaules jusqu'au lac Triton; grâce aux Hespéridce, ils trouvent une source (1380-1460). Quelques héros vont à la recherche d'Héraclès (1461-1501). — Mort de Mopsos (1502-1536). —Le dieu Triton conduit le navire hors du lac et le fait pénétrer dans la mer (1537-1637). —Épisode du géant Talos (1638-1693). —Arrivée des héros à l'île Anaphé (1694-1730). — Le songe d'Euphémos ; Jason l'interprète (1731-1764). — Arrivée à l'île Aiginé (1765-1772), — Conclusion du poème (1773-1781).

 

 

 

Αὐτὴ νῦν κάματόν γε, θεά, καὶ δήνεα κούρης 1
Κολχίδος ἔννεπε, Μοῦσα, Διὸς τέκος. ἦ γὰρ ἔμοιγε
ἀμφασίῃ νόος ἔνδον ἑλίσσεται ὁρμαίνοντι,
ἢ ἔμεν ἄτης πῆμα δυσίμερον, ἦ τόγ' ἐνίσπω
φύζαν ἀεικελίην, ᾗ κάλλιπεν ἔθνεα Κόλχων.
5

 V. 1-5. AINTENANT. dis-moi toi-même, ô déesse, Muse, enfant de Zeus, la peine et les projets de la jeune fille Colchienne. Car mon esprit profondément troublé s'agite dans l'impossibilité de prononcer si je dois attribuer à la dure passion d'amour imposé par la fatalité, ou aux outrages dont on l'accablait, la fuite qui lui a fait quitter les nations de Colchide.

Ἤτοι ὁ μὲν δήμοιο μετ' ἀνδράσιν, ὅσσοι ἄριστοι,
παννύχιος δόλον αἰπὺν ἐπὶ σφίσι μητιάασκεν
οἷσιν ἐνὶ μεγάροις, στυγερῷ ἐπὶ θυμὸν ἀέθλῳ
Αἰήτης ἄμοτον κεχολωμένος· οὐδ' ὅγε πάμπαν
θυγατέρων τάδε νόσφιν ἑῶν τελέεσθαι ἐώλπει. 10
 

Τῇ δ' ἀλεγεινότατον κραδίῃ φόβον ἔμβαλεν Ἥρη·
τρέσσεν δ', ἠύτε τις κούφη κεμάς, ἥν τε βαθείης
τάρφεσιν ἐν ξυλόχοιο κυνῶν ἐφόβησεν ὁμοκλή.
Αὐτίκα γὰρ νημερτὲς ὀίσσατο, μή μιν ἀρωγὴν
ληθέμεν, αἶψα δὲ πᾶσαν ἀναπλήσειν κακότητα. 15
Τάρβει δ' ἀμφιπόλους ἐπιίστορας· ἐν δέ οἱ ὄσσε
πλῆτο πυρός, δεινὸν δὲ περιβρομέεσκον ἀκουαί.
Πυκνὰ δὲ λευκανίης ἐπεμάσσατο, πυκνὰ δὲ κουρὶξ
ἑλκομένη πλοκάμους γοερῇ βρυχήσατ' ἀνίῃ.
Καί νύ κεν αὐτοῦ τῆμος ὑπὲρ μόρον ὤλετο κούρη, 20
φάρμακα πασσαμένη, Ἥρης δ' ἁλίωσε μενοινάς,
εἰ μή μιν Φρίξοιο θεὰ σὺν παισὶ φέβεσθαι
ὦρσεν ἀτυζομένην· πτερόεις δέ οἱ ἐν φρεσὶ θυμὸς
ἰάνθη· μετὰ δ' ἥγε παλίσσυτος ἀθρόα κόλπων
φάρμακα πάντ' ἄμυδις κατεχεύατο φωριαμοῖο. 25
Κύσσε δ' ἑόν τε λέχος καὶ δικλίδας ἀμφοτέρωθεν
σταθμούς, καὶ τοίχων ἐπαφήσατο, χερσί τε μακρὸν
ῥηξαμένη πλόκαμον, θαλάμῳ μνημήια μητρὶ
κάλλιπε παρθενίης, ἀδινῇ δ' ὀλοφύρατο φωνῇ·
"Τόνδε τοι ἀντ' ἐμέθεν ταναὸν πλόκον εἶμι λιποῦσα, 30
μῆτερ ἐμή· χαίροις δὲ καὶ ἄνδιχα πολλὸν ἰούσῃ·
χαίροις Χαλκιόπη, καὶ πᾶς δόμος. Αἴθε σε πόντος,
ξεῖνε, διέρραισεν, πρὶν Κολχίδα γαῖαν ἱκέσθαι."

V. 6-33. En effet, au milieu des hommes les plus illustres de son peuple, Aiétès passa, dans son palais, toute la nuit à combiner des ruses profondes contre les héros. Ce combat odieux excitait dans son âme une colère sans bornes; et il soupçonnait bien que toutes ces choses ne s'étaient pas accomplies sans le concours de ses filles.

Cependant, Héra jeta dans le cœur de Médée une terreur pleine d'angoisses. La jeune fille se mit à trembler, comme une biche légère, effrayée au plus profond d'un taillis épais par les aboiements des chiens qui s'appellent. Aussitôt, elle se persuada, en toute sincérité, que l'assistance qu'elle avait donnée à Jason n'était pas ignorée de son père, et qu'il allait bientôt mettre le comble à sa misère. Elle redoute ses esclaves qui savent tout; et, aussitôt, ses yeux s'emplissent de flammes, et à ses oreilles retentissent des bruits effrayants; à plusieurs reprises, elle porta violemment les mains à sa gorge; à plusieurs reprises aussi, elle arracha les boucles de sa chevelure en gémissant, dans son chagrin lamentable. Et certes, à ce moment, la jeune fille serait morte, contrairement aux arrêts de la destinée, elle aurait pris du poison et rendu ainsi inutiles les desseins d'Héra, si la déesse ne lui avait inspiré, au milieu de son effroi, l'idée de fuir avec les fils de Phrixos. Et, dans sa poitrine, son cœur agité se calmait; ses projets étaient changés. Aussitôt, elle tira du pli de son vêtement toutes les substances vénéneuses, et les jeta ensemble dans le coffret d'où elle les avait tirées. Elle embrassa son lit et les montants qui, des deux côtés, entouraient la porte aux doubles battants, elle caressa les murs; 139 puis, elle arracha de ses mains une longue boucle de cheveux qu'elle laissa dans la chambre, souvenir de sa virginité destiné à sa mère, et, élevant la voix, elle se lamenta : « Je m'en vais, te laissant au lieu de moi cette longue boucle de cheveux, ô ma mère! Sois heureuse! c'est le souhait de celle qui s'en va au loin. Sois heureuse, ô Chalciopé! Que toute la maison soit heureuse!... Mais plût au ciel que la mer t'eût englouti, ô étranger, avant ton arrivée à la terre de Colchide! »

Ὧς ἄρ' ἔφη· βλεφάρων δὲ κατ' ἀθρόα δάκρυα χεῦεν.
Οἵη δ' ἀφνειοῖο διειλυσθεῖσα δόμοιο 35
ληιάς, ἥν τε νέον πάτρης ἀπενόσφισεν αἶσα,
οὐδέ νύ πω μογεροῖο πεπείρηται καμάτοιο,
ἀλλ' ἔτ' ἀηθέσσουσα δύης καὶ δούλια ἔργα
εἶσιν ἀτυζομενη χαλεπὰς ὑπὸ χεῖρας ἀνάσσης·
τοίη ἄρ' ἱμερόεσσα δόμων ἐξέσσυτο κούρη. 40
Τῇ δὲ καὶ αὐτόματοι θυρέων ἱπόειξαν ὀχῆες,
ὠκείαις ἄψορροι ἀναθρώσκοντες ἀοιδαῖς.
Γυμνοῖσιν δὲ πόδεσσιν ἀνὰ στεινὰς θέεν οἴμους,
λαιῇ μὲν χερὶ πέπλον ἐπ' ὀφρύσιν ἀμφὶ μέτωπα
στειλαμένη καὶ καλὰ παρήια, δεξιτερῇ δὲ 45
ἄκρην ὑψόθι πέζαν ἀερτάζουσα χιτῶνος.
Καρπαλίμως δ' ἀίδηλον ἀνὰ στίβον ἔκτοθι πύργων
ἄστεος εὐρυχόροιο φόβῳ ἵκετ'· οὐδέ τις ἔγνω
τήνγε φυλακτήρων, λάθε δέ σφεας ὁρμηθεῖσα.
 νθεν ἴμεν νηόνδε μάλ' ἐφράσατ'· οὐ γὰρ ἄιδρις 50
ἦεν ὁδῶν, θαμὰ καὶ πρὶν ἀλωμένη ἀμφί τε νεκρούς,
ἀμφί τε δυσπαλέας ῥίζας χθονός, οἷα γυναῖκες
φαρμακίδες· τρομερῷ δ' ὑπὸ δείματι πάλλετο θυμός.
Τὴν δὲ νέον Τιτηνὶς ἀνερχομένη περάτηθεν
φοιταλέην ἐσιδοῦσα θεὰ ἐπεχήρατο Μήνη 55
ἁρπαλέως, καὶ τοῖα μετὰ φρεσὶν ᾗσιν ἔειπεν·
"Οὐκ ἄρ' ἐγὼ μούνη μετὰ Λάτμιον ἄντρον ἀλύσκω,
οὐδ' οἴη καλῷ περιδαίομαι Ἐνδυμίωνι·
ἦ θαμὰ δὴ καὶ σεῖο κίον δολίῃσιν ἀοιδαῖς,
μνησαμένη φιλότητος, ἵνα σκοτίῃ ἐνὶ νυκτὶ 60
φαρμάσσῃς εὔκηλος, ἅ τοι φίλα ἔργα τέτυκται.
Νῦν δὲ καὶ αὐτὴ δῆθεν ὁμοίης ἔμμορες ἄτης·
δῶκε δ' ἀνιηρόν τοι Ἰήσονα πῆμα γενέσθαι
δαίμων ἀλγινόεις. λλ' ἔρχεο, τέτλαθι δ' ἔμπης,
65 καὶ πινυτή περ ἐοῦσα, πολύστονον ἄλγος ἀείρειν."
 

v. 34-65. Elle parla ainsi; et de ses paupières coulèrent des larmes abondantes. — Telle, d'une demeure opulente, s'échappe une jeune femme qui y a été amenée captive, enlevée naguère à sa patrie par la destinée : elle n'a jamais eu l'expérience des labeurs difficiles; elle n'est pas accoutumée à la misère; c'est avec un étonnement indigné qu'elle se voit soumise aux travaux de la servitude, entre les mains d'une maîtresse exigeante. — Semblable à cette femme, l'aimable jeune fille sortit du palais. Devant elle, les verrous des portes cédèrent d'eux-mêmes, se retirant en arrière sous l'influence rapide de ses incantations. Pieds nus, elle courait par les rues étroites, étendant de sa main gauche son long voile sur ses belles joues et sur son front, jusque par-dessus les sourcils, et, de sa main droite, relevant les bords de sa tunique, qui tombaient jusqu'à ses pieds. Rapidement, sa frayeur l'entraîna, par la route obscure, hors des murailles de la ville spacieuse; personne ne la reconnut parmi les gardiens, et elle put s'échapper à leur insu. De là, elle résolut de se diriger vers le temple; elle n'ignorait pas les routes, car elle avait souvent autrefois erré dans ces lieux à la recherche des cadavres et de ces racines cachées dans la terre, dont la puissance est irrésistible, comme ont coutume de le faire les femmes qui s'occupent de magie; et son cœur était secoué par une terreur qui la faisait trembler. Mais la déesse, fille du Titan, qui commençait à s'élever de l'extrémité de l'horizon, la Lune, en la voyant errer de la sorte, se réjouissait ardemment, et parlait ainsi en elle-même: «Je ne suis donc pas la seule à m'enfuir vers la caverne du Latmos; je 140 ne suis pas la seule à me consumer d'amour pour le bel Endymion. Oui, bien des fois, par tes habiles incantations tu m'as fait souvenir de ma passion, tu m'as fait descendre du ciel pour pouvoir, dans la nuit obscure, te livrer, sans être inquiétée, à ces opérations magiques qui te sont si chères. Mais voici sans doute que tu as en partage une semblable calamité. Un dieu cruel a voulu que Jason t'amenât cette peine affligeante : mais va! malgré toute ta sagesse, il te faut supporter une souffrance qui te fera pousser bien des gémissements! »

Ὠς ἄρ' ἔφη· τὴν δ' αἶψα πόδες φέρον ἐγκονέουσαν.
σπασίως δ' ὄχθῃσιν ἐπηέρθη ποταμοῖο,
ἀντιπέρην λεύσσουσα πυρὸς σέλας, ὅ ῥά τ' ἀέθλου
παννύχιοι ἥρωες ἐυφροσύνῃσιν ἔδαιον.
ξείῃ δἤπειτα διὰ κνέφας ὄρθια φωνῇ 70
ὁπλότατον Φρίξοιο περαιόθεν ἤπυε παίδων,
φρόντιν· ὁ δὲ ξὺν ἑοῖσι κασιγνήτοις ὄπα κούρης
αὐτῷ τ' Αἰσονίδῃ τεκμήρατο· σῖγα δ' ἑταῖροι
θάμβεον, εὖτ' ἐνόησαν ὃ δὴ καὶ ἐτήτυμον ἦεν.
Τρὶς μὲν ἀνήυσεν, τρὶς δ' ὀτρύνοντος ὁμίλου 75
Φρόντις ἀμοιβήδην ἀντίαχεν· οἱ δ' ἄρα τείως
ἥρωες μετὰ τήνγε θοοῖς ἐλάασκον ἐρετμοῖς.
Οὔπω πείσματα νηὸς ἐπ' ἠπείροιο περαίης
βάλλον, ὁ δὲ κραιπνοὺς χέρσῳ πόδας ἧκεν Ἰήσων
ὑψοῦ ἀπ' ἰκριόφιν· μετὰ δὲ Φρόντις τε καὶ Ἄργος, 80
υἷε δύω Φρίξου, χαμάδις θόρον· ἡ δ' ἄρα τούσγε
γούνων ἀμφοτέρῃσι περισχομένη προσέειπεν·
"Ἔκ με, φίλοι, ῥύσασθε δυσάμμορον, ὧς δὲ καὶ αὐτοὺς
ὑμέας Αἰήταο, πρὸ γάρ τ' ἀναφανδὰ τέτυκται
πάντα μάλ', οὐδέ τι μῆχος ἱκάνεται. λλ' ἐπὶ νηὶ 85
φεύγωμεν, πρὶν τόνδε θοῶν ἐπιβήμεναι ἵππων.
Δώσω δὲ χρύσειον ἐγὼ δέρος, εὐνήσασα
φρουρὸν ὄφιν· τύνη δὲ θεοὺς ἐνὶ σοῖσιν ἑταίροις,
ξεῖνε, τεῶν μύθων ἐπιίστορας, οὕς μοι ὑπέστης,
ποίησαι· μηδ' ἔνθεν ἑκαστέρω ὁρμηθεῖσαν 90
χήτει κηδεμόνων ὀνοτὴν καὶ ἀεικέα θείης."
 

v. 66-91. Ainsi parla la déesse; cependant la jeune fille se hâtait, et ses pieds la portaient rapidement. C'est avec bonheur qu'elle monta sur les rivages escarpés du fleuve, voyant sur l'autre bord l'éclat du feu que les héros faisaient briller toute la nuit, en signe de la joie que leur avait causée l'issue du combat. Alors, du milieu des ténèbres où elle se trouvait sur la rive opposée, elle appela bien haut — sa voix était perçante — le plus jeune des fils de Phrixos, Phrontis. Celui-ci, comme ses frères et comme Jason lui-même, devina que c'était la voix de Médée. Leurs compagnons demeuraient dans un silence fait d'étonnement, car ils avaient compris ce qui était vrai en effet. Trois fois, Médée répéta son cri; et, trois fois, sur les conseils de ceux qui l'entouraient, Phrontis lui répondit en criant de son côté; cependant les héros, avec leurs rames rapides, conduisaient le navire vers la jeune fille. Ils n'avaient pas encore lancé les amarres sur la rive opposée à celle d'où ils étaient partis, que Jason se hâta de sauter à terre du haut du tillac; et, après lui, Phrontis et Argos, tous deux fils de Phrixos, s'élancèrent sur le rivage. Mais elle, leur saisissant les genoux dans ses deux mains, parla ainsi: «Mes amis, arrachez-moi, malheureuse que je suis, et en même temps arrachez-vous vous-mêmes à Aiétès! Car tout est découvert, il n'y a plus de moyen de salut: fuyons sur le navire avant qu'il soit monté sur son char traîné par de rapides chevaux. Je vous donnerai la toison d'or, ayant endormi le dragon qui la 141 garde. Mais toi, étranger, prends d'abord, en présence de tes compagnons, les dieux à témoin des promesses que tu m'as faites, pour que tu ne me laisses pas m'éloigner d'ici, rendue méprisable et vile par l'absence de défenseurs qui me protègent! »

Ἴσκεν ἀκηχεμένη· μέγα δὲ φρένες Αἰσονίδαο
γήθεον· αἶψα δέ μιν περὶ γούνασι πεπτηυῖαν
ἦκ' ἀναειρόμενος προσπτύξατο, θάρσυνέν τε·
"Δαιμονίη, Ζεὺς αὐτὸς Ὀλύμπιος ὅρκιος ἔστω, 95
Ἥρη τε Ζυγίη, Διὸς εὐνέτις, ἦ μὲν ἐμοῖσιν
κουριδίην σε δόμοισιν ἐνιστήσεσθαι ἄκοιτιν,
εὖτ' ἂν ἐς Ἑλλάδα γαῖαν ἱκώμεθα νοστήσαντες."

Ὧς ηὔδα, καὶ χεῖρα παρασχεδὸν ἤραρε χειρὶ
δεξιτερήν· ἡ δέ σφιν ἐς ἱερὸν ἄλσος ἀνώγει 100
νῆα θοὴν ἐλάαν αὐτοσχεδόν, ὄφρ' ἔτι νύκτωρ
κῶας ἑλόντες ἄγοιντο παρὲκ νόον Αἰήταο.
νθ' ἔπος ἠδὲ καὶ ἔργον ὁμοῦ πέλεν ἐσσυμένοισιν.
Εἰς γάρ μιν βήσαντες, ἀπὸ χθονὸς αὐτίκ' ἔωσαν
νῆα· πολὺς δ' ὀρυμαγδὸς ἐπειγομένων ἐλάτῃσιν
105
ἦεν ἀριστήων· ἡ δ' ἔμπαλιν ἀίσσουσα
γαίῃ χεῖρας ἔτεινεν ἀμήχανος. Αὐτὰρ Ἰήσων
θάρσυνέν τ' ἐπέεσσι, καὶ ἴσχανεν ἀσχαλόωσαν.
 

V. 92-108. Elle parla ainsi, en proie à la douleur; mais le cœur de  l'Aisonide était plein de joie; aussitôt, il releva doucement en l'embrassant la jeune fille qui était tombée à ses genoux, et il lui adressa ces paroles encourageantes: «Chère amie, je prends à témoin de mon serment Zeus Olympien lui- même, et l'épouse de Zeus, Héra qui préside au mariage : oui, je t'établirai dans ma demeure à titre d'épouse légitime, dès que nous serons de retour dans le pays d'Hellade! »

II dit, et serra aussitôt de sa main droite la main de la jeune fille; et elle, cependant, les engagea à faire avancer en hâte le navire rapide vers le bois sacré, pour pouvoir, tant que la nuit durait encore, enlever la toison, contre la volonté d'Aiétès. Telle était leur hâte que l'action eut lieu presque en même temps que ses paroles. Car, ayant embarqué Médée, ils poussèrent bien vite le navire loin du rivage; et les héros faisaient grand bruit, courbés sur leurs rames. Mais, se retournant brusquement, elle étendait les mains vers la terre, profondément troublée; cependant, Jason l'encourageait par ses paroles, et la retenait dans sa douleur.

Ἠμος δ' ἀνέρες ὕπνον ἀπ' ὀφθαλμῶν ἐβάλοντο
ἀγρόται, οἵ τε κύνεσσι πεποιθότες οὔποτε νύκτα 110
ἄγχαυρον κνώσσουσιν, ἀλευάμενοι φάος ἠοῦς,
μὴ πρὶν ἀμαλδύνῃ θηρῶν στίβον ἠδὲ καὶ ὀδμὴν
θηρείην λευκῇσιν ἐνισκίμψασα βολῇσιν·
τῆμος ἄρ' Αἰσονίδης κούρη τ' ἀπὸ νηὸς ἔβησαν
ποιήεντ' ἀνὰ χῶρον, ἵνα κριοῦ καλέονται 115
εὐναί, ὅθι πρῶτον κεκμηότα γούνατ' ἔκαμψεν,
νώτοισιν φορέων Μινυήιον υἷ' Ἀθάμαντος.
γγύθι δ' αἰθαλόεντα πελεν βωμοῖο θέμεθλα,
ὅν ῥά ποτ' Αἰολίδης Διὶ Φυξίῳ εἵσατο Φρίξος,
ῥέζων κεῖνο τέρας παγχρύσεον, ὥς οἱ ἔειπεν 120
Ἑρμείας πρόφρων ξυμβλήμενος. νθ' ἄρα τούσγε
Ἄργου φραδμοσύνῃσιν ἀριστῆες μεθέηκαν.
Τὼ δὲ δι' ἀτραπιτοῖο μεθ' ἱερὸν ἄλσος ἵκοντο,
φηγὸν ἀπειρεσίην διζημένω, ᾗ ἔπι κῶας
βέβλητο, νεφέλῃ ἐναλίγκιον, ἥ τ' ἀνιόντος 125
ἠελίου φλογερῇσιν ἐρεύθεται ἀκτίνεσσιν.
 

Αὐτὰρ ὁ ἀντικρὺ περιμήκεα τείνετο δειρὴν
ὀξὺς ἀύπνοισιν προιδὼν ὄφις ὀφθαλμοῖσιν
νισσομένους, ῥοίζει δὲ πελώριον· ἀμφὶ δὲ μακραὶ
ἠιόνες ποταμοῖο καὶ ἄσπετον ἴαχεν ἄλσος.130
κλυον οἳ καὶ πολλὸν ἑκὰς Τιτηνίδος Αἴης
Κολχίδα γῆν ἐνέμοντο παρὰ προχοῇσι Αύκοιο,
ὅς τ' ἀποκιδνάμενος ποταμοῦ κελάδοντος Ἀράξεω
Φάσιδι συμφέρεται ἱερὸν ῥόον· οἱ δὲ συνάμφω
Καυκασίην ἅλαδ' εἰς ἓν ἐλαυνόμενοι προχέουσιν.135
Δείματι δ' ἐξέγροντο λεχωίδες, ἀμφὶ δὲ παισὶν
νηπιάχοις, οἵ τέ σφιν ὑπ' ἀγκαλίδεσσιν ἴαυον,
ῥοίζῳ παλλομένοις χεῖρας βάλον ἀσχαλόωσαι.
ς δ' ὅτε τυφομένης ὕλης ὕπερ αἰθαλόεσσαι
καπνοῖο στροφάλιγγες ἀπείριτοι εἱλίσσονται, 140
ἄλλη δ' αἶψ' ἑτέρῃ ἐπιτέλλεται αἰὲν ἐπιπρὸ
νειόθεν εἰλίγγοισιν ἐπήορος ἐξανιοῦσα·
ὧς τότε κεῖνο πέλωρον ἀπειρεσίας ἐλέλιξεν
ῥυμβόνας ἀζαλέῃσιν ἐπηρεφέας φολίδεσσιν.
Τοῖο δ' ἑλισσομένοιο κατ' ὄμματα νίσσετο κούρη, 145
Ὕπνον ἀοσσητῆρα, θεῶν ὕπατον, καλέουσα
ἡδείῃ ἐνοπῇ, θέλξαι τέρας· αὖε δ' ἄνασσαν
νυκτιπόλον, χθονίην, εὐαντέα δοῦναι ἐφορμήν.
Εἵπετο δ' Αἰσονίδης πεφοβημένος, αὐτὰρ ὅγ' ἤδη

οἴμῃ θελγόμενος δολιχὴν ἀνελύετ' ἄκανθαν 150
γηγενέος σπείρης, μήκυνε δὲ μυρία κύκλα,
οἷον ὅτε βληχροῖσι κυλινδόμενον πελάγεσσιν
κῦμα μέλαν κωφόν τε καὶ ἄβρομον· ἀλλὰ καὶ ἔμπης
ὑψοῦ σμερδαλέην κεφαλὴν μενέαινεν ἀείρας
ἀμφοτέρους ὀλοῇσι περιπτύξαι γενύεσσιν.
155
δέ μιν ἀρκεύθοιο νέον τετμηότι θαλλῷ
βάπτουσ' ἐκ κυκεῶνος ἀκήρατα φάρμακ' ἀοιδαῖς
ῥαῖνε κατ' ὀφθαλμῶν· περί τ' ἀμφί τε νήριτος ὀδμὴ
φαρμάκου ὕπνον ἔβαλλε· γένυν δ' αὐτῇ ἐνὶ χώρῃ
θῆκεν ἐρεισάμενος· τὰ δ' ἀπείρονα πολλὸν ὀπίσσω
160
κύκλα πολυπρέμνοιο διὲξ ὕλης τετάνυστο.

νθα δ' ὁ μὲν χρύσειον ἀπὸ δρυὸς αἴνυτο κῶας,
κούρης κεκλομένης· ἡ δ' ἔμπεδον ἑστηυῖα
φαρμάκῳ ἔψηχεν θηρὸς κάρη, εἰσόκε δή μιν
αὐτὸς ἑὴν ἐπὶ νῆα παλιντροπάασθαι Ἰήσων
165
ἤνωγεν, λεῖπεν δὲ πολύσκιον ἄλσος Ἄρηος.
ς δὲ σεληναίην διχομήνιδα παρθένος αἴγλην
ὑψόθεν ἐξανέχουσαν ὑπωροφίου θαλάμοιο
λεπταλέῳ ἑανῷ ὑποΐσχεται· ἐν δέ οἱ ἦτορ
χαίρει δερκομένης καλὸν σέλας· ὧς τότ' Ἰήσων
170
γηθόσυνος μέγα κῶας ἑαῖς ἐναείρατο χερσίν·
καί οἱ ἐπὶ ξανθῇσι παρηίσιν ἠδὲ μετώπῳ
μαρμαρυγῇ ληνέων φλογὶ εἴκελον ἷζεν ἔρευθος.
σση δὲ ῥινὸς βοὸς ἤνιος ἢ ἐλάφοιο
γίγνεται, ἥν τ' ἀγρῶσται ἀχαιινέην καλέουσιν,
175
τόσσον ἔην πάντῃ χρύσεον ἐφύπερθεν ἄωτον.
Βεβρίθει λήνεσσιν ἐπηρεφές· ἤλιθα δὲ χθὼν
αἰὲν ὑποπρὸ ποδῶν ἀμαρύσσετο νισσομένοιο.
ιε δ' ἄλλοτε μὲν λαιῷ ἐπιειμένος ὤμῳ
αὐχένος ἐξ ὑπάτοιο ποδηνεκές, ἄλλοτε δ' αὖτε
180
εἴλει ἀφασσόμενος· περὶ γὰρ δίεν, ὄφρα ἓ μή τις
ἀνδρῶν ἠὲ θεῶν νοσφίσσεται ἀντιβολήσας.
 

v. 109-182. Au moment où les chasseurs secouent le sommeil appesanti sur leurs yeux, — les chasseurs qui, malgré la confiance qu'ils ont dans leurs chiens, ne dorment jamais aux approches du matin, craignant que la lumière de l'aurore ne fasse disparaître la trace et l'odeur des bêtes sauvages, si elle a eu le temps d'accabler la terre de ses blancs rayons, — à ce moment, l'Aisonide et la jeune fille débarquèrent dans un endroit couvert d'herbes, qu'on appelle la couche du Bélier ; car c'est là que, pour la première fois, se plièrent les genoux fatigués de l'animal qui portait sur son dos le Minyen, fils d'Athamas. Aux environs se trouvaient, noircis par le feu, 142 les fondements de l'autel qu'autrefois l'Aiolide Phrixos avait élevé à Zeus protecteur des fugitifs, pour immoler le prodigieux animal tout en or, suivant les instructions qu'Hermès bienveillant était venu lui donner. C'est en cet endroit que, sur les conseils d'Argos, les héros firent descendre Jason et Médée. Par le sentier, ils arrivèrent tous deux au bois sacré, cherchant le chêne immense où était suspendue la toison, semblable à un nuage que rougissent les rayons enflammés du soleil levant.

Mais, précisément devant l'arbre, le dragon aux sens pénétrants tendait son cou très long en les voyant s'approcher, grâce à ses yeux toujours en éveil, et il faisait entendre un horrible sifflement; et, aux alentours, les vastes rivages du fleuve et l'immense étendue de la forêt retentissaient. Ils entendirent ce sifflement ceux qui, bien loin de la Titanienne Aia, habitaient la terre de Colchide, auprès des bouches du Lycos, fleuve qui, s'éloignant de l'Araxe sonore, porte au Phase son cours sacré; et tous deux, réunis en un seul, coulent vers la mer Caucasienne. La terreur réveilla les femmes nouvellement accouchées; et elles serrèrent dans leurs bras, pleines d'angoisse, les tout petits enfants qui reposaient sur leurs seins, et dont ce sifflement faisait palpiter le cœur. Comme, au-dessus d'une forêt embrasée, les tourbillons ardents de fumée s'enroulent immenses, se suivant sans interruption l'un après l'autre, s'élevant du fond de ce gouffre de feu : ainsi ce monstre enroulait les innombrables spirales de son corps couvert d'écaillés desséchées.

Pendant qu'il se roulait ainsi, la jeune fille s'avançait en face de lui, demandant d'une douce voix à Hypnos protecteur, le plus puissant des dieux, de fasciner le monstre; elle invoquait aussi la reine vagabonde des nuits, la déesse souterraine, en la priant de donner à l'entreprise une issue favorable. L'Aisonide suivait, plein de terreur; mais déjà le monstre, charmé par l'incantation, laissait fléchir la longue arête de son corps sinueux né de la terre, et il dénouait 143 ses nœuds innombrables. Tel, sur une mer languissante, se roule un flot noir, qui va sans force et sans bruit. Cependant, le dragon tenait encore haute son horrible tête, plein du désir de les saisir tous deux dans ses mâchoires funestes. Mais, au moyen d'une branche de genévrier récemment coupée, puisant les pures substances qui composaient la préparation magique, Médée lui en arrosait les yeux, en chantant; et l'odeur pénétrante de ces substances l'enveloppa d'un profond sommeil. Il laissa retomber sa mâchoire, et s'abattit à l'endroit même où il se tenait; et ses innombrables anneaux s'étendaient bien loin en arrière dans la forêt aux arbres abondants.

Alors Jason enleva du chêne la toison, sur l'ordre de la jeune fille; mais, se tenant toujours dans la même attitude, elle continua à enduire de la substance magique la tête du monstre, jusqu'au moment où Jason lui dit de retourner au navire; et elle quitta le bois obscur d'Ares. — Telle, au moment où la splendeur de la pleine lune brille au-dessus de l'étage supérieur de la maison, une jeune fille en recueille les rayons sur sa robe d'un fin tissu; et son cœur se réjouit profondément à la vue de la lueur éclatante : tel, à ce moment, Jason, plein de joie, élevait dans ses mains la grande toison; et, sur ses joues qui se doraient, sur son front, l'éclat de la laine mettait un rouge ardent semblable à celui du feu. — Aussi vaste est la peau d'une génisse d'une année, ou celle d'une de ces biches que les chasseurs appellent biches achaïnéennes, aussi grande était la surface de la toison d'or chargée de lourds flocons; et toujours le sol resplendissait bien loin devant les pieds de Jason. Il s'avançait, tantôt la portant sur son épaule gauche, — et alors depuis son cou, elle descendait jusqu'à ses pieds, — tantôt il la prenait dans ses mains et la roulait, car il avait grand' peur que quelque homme ou quelque dieu ne survînt pour la lui enlever.

Ἠὼς μέν ῥ ἐπὶ γαῖαν ἐκίδνατο, τοὶ δ' ἐς ὅμιλον
ἷξον· θάμβησαν δὲ νέοι μέγα κῶας ἰδόντες
λαμπόμενον στεροπῇ ἴκελον Διός. ρτο δ' ἕκαστος
185
ψαῦσαι ἐελδόμενος δέχθαι τ' ἐνὶ χερσὶν ἑῇσιν.
Αἰσονίδης δ' ἄλλους μὲν ἐρήτυε, τῷ δ' ἐπὶ φᾶρος
κάββαλε νηγάτεον· πρύμνῃ δ' ἐνεείσατο κούρην
ἀνθέμενος, καὶ τοῖον ἔπος μετὰ πᾶσιν ἔειπεν·
"Μηκέτι νῦν χάζεσθε, φίλοι, πάτρηνδε νέεσθαι.
190
δη γὰρ χρειώ, τῆς εἵνεκα τήνδ' ἀλεγεινὴν
ναυτιλίην ἔτλημεν ὀιζύι μοχθίζοντες,
εὐπαλέως κούρης ὑπὸ δήνεσι κεκράανται.
Τὴν μὲν ἐγὼν ἐθέλουσαν ἀνάξομαι οἴκαδ' ἄκοιτιν
κουριδίην· ἀτὰρ ὔμμες Ἀχαιίδος οἷά τε πάσης
195
αὐτῶν θ' ὑμείων ἐσθλὴν ἐπαρωγὸν ἐοῦσαν
σώετε. Δὴ γάρ που, μάλ' ὀίομαι, εἶσιν ἐρύξων
Αἰήτης ὁμάδῳ πόντονδ' ἴμεν ἐκ ποταμοῖο.
λλ' οἱ μὲν διὰ νηός, ἀμοιβαδὶς ἀνέρος ἀνὴρ

ἑζόμενος, πηδοῖσιν ἐρέσσετε· τοὶ δὲ βοείας
200
ἀσπίδας ἡμίσεες, δῄων θοὸν ἔχμα βολάων,
προσχόμενοι νόστῳ ἐπαμύνετε. Νῦν δ' ἐνὶ χερσὶν
παῖδας ἑοὺς πάτρην τε φίλην, γεραρούς τε τοκῆας
ἴσχομεν· ἡμετέρῃ δ' ἐπερείδεται Ἑλλὰς ἐφορμῇ,
ἠὲ κατηφείην, ἢ καὶ μέγα κῦδος ἀρέσθαι."
205
Ὧς φάτο, δῦνε δὲ τεύχε' ἀρήια· τοὶ δ' ἰάχησαν
θεσπέσιον μεμαῶτες. δὲ ξίφος ἐκ κολεοῖο
σπασσάμενος πρυμναῖα νεὼς ἀπὸ πείσματ' ἔκοψεν.
γχι δὲ παρθενικῆς κεκορυθμένος ἰθυντῆρι
Ἀγκαίῳ παρέβασκεν· ἐπείγετο δ' εἰρεσίῃ νηῦς
210
σπερχομένων ἄμοτον ποταμοῦ ἄφαρ ἐκτὸς ἐλάσσαι.
 

v. 183-211. La lumière d'Èos se répandait déjà sur la terre quand ils rejoignirent l'assemblée des héros. Les jeunes gens furent 144 saisis d'étonnement à la vue de cette immense toison qui brillait, semblable à l'éclair de Zeus. Chacun s'élança avec le désir de la toucher et de la manier. Mais l'Aisonide les écarta, et, ayant jeté sur la toison un manteau nouvellement fait, il la déposa à la poupe et y fit asseoir la jeune fille. Puis il s'adressa en ces termes à tous ses compagnons : « Maintenant, amis, n'hésitez pas davantage à retourner vers la patrie. Car nous avons heureusement accompli, grâce aux conseils de cette jeune fille, ce qui avait rendu nécessaire cette navigation pénible que nous avons accomplie en faisant effort au milieu des difficultés. Cette jeune fille, je l'amènerai de son plein gré dans ma maison, comme mon épouse légitime. Vous, comme elle porte un courageux secours à l'Achaïe entière et à vous tous en particulier, veillez à son salut. Car, j'en suis bien sûr, Aiétès viendra avec une troupe nombreuse nous empêcher de passer du fleuve dans la mer. Aussi, que, sur le navire, les uns — chaque homme s'asseyant à son tour à la place d'un autre homme — manœuvrent les rames; que les autres — la moitié de notre troupe — tenant dressés devant eux les boucliers en peau de bœuf, rapide protection contre les traits ennemis, assurent notre retour. Car maintenant, mes amis, nos enfants, notre patrie, nos parents vénérables, nous les avons entre nos mains. L'Hellade a l'esprit fixé sur notre entreprise qui lui donnera ou la honte ou une grande gloire. »

II parla ainsi et revêtit ses armes de guerre; ses compagnons s'exclamèrent, pleins d'une ardeur qui venait des dieux. Mais Jason, ayant tiré son épée du fourreau, trancha les amarres qui retenaient le navire du côté de la poupe; puis il alla, tout armé, près de la jeune fille, se placer, pour l'aider, aux côtés du pilote Ancaios; et le navire était poussé à force de rames, car les héros se hâtaient de le faire sortir du fleuve le plus tôt possible.

Ἤδη δ' Αἰήτῃ ὑπερήνορι πᾶσί τε Κόλχοις
Μηδείης περίπυστος ἔρως καὶ ἔργ' ἐτέτυκτο.
ς δ' ἀγορὴν ἀγέροντ' ἐνὶ τεύχεσιν· ὅσσα δέ πόντου
κύματα χειμερίοιο κορύσσεται ἐξ ἀνέμοιο, 215
ἢ ὅσα φύλλα χαμᾶζε περικλαδέος πέσεν ὕλης
φυλλοχόῳ ἐνὶ μηνί - τίς ἂν τάδε τεκμήραιτο;
ὧς οἱ ἀπειρέσιοι ποταμοῦ παρεμέτρεον ὄχθας,
κλαγγῇ μαιμώοντες· ὁ δ' εὐτύκτῳ ἐνὶ δίφρῳ
Αἰήτης ἵπποισι μετέπρεπεν, οὕς οἱ ὄπασσεν 220
Ἠέλιος πνοιῇσιν ἐειδομένους ἀνέμοιο,
σκαιῇ μέν ῥ ἐνὶ χειρὶ σάκος δινωτὸν ἀείρων,
τῇ δ' ἑτέρῃ πεύκην περιμήκεα· πὰρ δέ οἱ ἔγχος
ἀντικρὺ τετάνυστο πελώριον. νία δ' ἵππων
γέντο χεροῖν Ἄψυρτος. πεκπρὸ δὲ πόντον ἔταμνεν 225
νηῦς ἤδη κρατεροῖσιν ἐπειγομένη ἐρέτῃσιν,
καὶ μεγάλου ποταμοῖο καταβλώσκοντι ῥεέθρῳ.
Αὐτὰρ ἄναξ ἄτῃ πολυπήμονι χεῖρας ἀείρας
Ἠέλιον καὶ Ζῆνα κακῶν ἐπιμάρτυρας ἔργων
κέκλετο· δεινὰ δὲ παντὶ παρασχεδὸν ἤπυε λαῷ 230
εἰ μή οἱ κούρην αὐτάγρετον, ἢ ἀνὰ γαῖαν,
ἢ πλωτῆς εὑρόντες ἔτ' εἰν ἁλὸς οἴδματι νῆα,
ἄξουσιν, καὶ θυμὸν ἐνιπλήσει μενεαίνων
τίσασθαι τάδε πάντα, δαήσονται κεφαλῇσιν
πάντα χόλον καὶ πᾶσαν ἑὴν ὑποδέγμενοι ἄτην. 235
 

212-235. Mais déjà le superbe Aiétès et tous les Colchiens connaissaient bien l'amour de Médée et tout ce qu'elle avait fait; 145 ils se rassemblaient en armes sur la place publique : aussi nombreux les flots de la mer se soulèvent sous l'action d'un vent de tempête, aussi nombreuses, d'une forêt que des branches ombragent de toutes parts, les feuilles tombent à terre dans un de ces mois qui dépouillent les arbres — et qui pourrait en apprécier le nombre? — Aussi nombreux les Colchiens arpentaient les rivages escarpés du fleuve, en poussant des cris de fureur; sur son char bien construit, Aiétès se distinguait entre tous, grâce à ses chevaux qu'Hélios lui avait donnés, rapides comme le souffle du vent. Il élevait de sa main gauche un bouclier arrondi, de l'autre, une immense branche de pin; à ses côtés se dressait sa lance énorme. Apsyrtos avait en mains les rênes des chevaux. Mais déjà, bien loin de la côte, le navire fendait les flots, poussé par de vigoureux rameurs et par le courant du grand fleuve qui se précipite dans la mer. Le roi, sous le coup d'un malheur qui lui causait une grande peine, leva les bras et invoqua Hélios et Zeus, témoins des mauvaises actions; il appela aussitôt des malédictions sur son peuple entier. Si on ne lui ramenait pas la jeune fille soumise à son pouvoir, qu'on la découvrît sur terre, ou dans le navire, au milieu des flots de la mer navigable, si Aiétès ne pouvait apaiser son cœur avide de se venger de tous ces forfaits, leurs têtes éprouveraient toute sa colère; ils supporteraient tout le poids de son propre malheur.

Ὧς ἔφατ' Αἰήτης· αὐτῷ δ' ἐνὶ ἤματι Κόλχοι
νῆάς τ' εἰρύσσαντο, καὶ ἄρμενα νηυσὶ βάλοντο,
αὐτῷ δ' ἤματι πόντον ἀνήιον· οὐδέ κε φαίης
τόσσον νηίτην στόλον ἔμμεναι, ἀλλ' οἰωνῶν
ἰλαδὸν ἄσπετον ἔθνος ἐπιβρομέειν πελάγεσσιν. 240

Οἱ δ' ἀνέμου λαιψηρὰ θεᾶς βουλῇσιν ἀέντος
Ἥρης, ὄφρ' ὤκιστα κακὸν Πελίαο δόμοισιν
Αἰαίη Μήδεια Πελασγίδα γαῖαν ἵκηται,
ἠοῖ ἐνὶ τριτάτῃ πρυμνήσια νηὸς ἔδησαν
Παφλαγόνων ἀκτῇσι, πάροιθ' Ἅλυος ποταμοῖο. 245
γάρ σφ' ἐξαποβάντας ἀρέσσασθαι θυέεσσιν
ἠνώγει Ἑκάτην. Καὶ δὴ τὰ μέν, ὅσσα θυηλὴν
κούρη πορσανέουσα τιτύσκετο, μήτε τις ἴστωρ
εἴη, μήτ' ἐμὲ θυμὸς ἐποτρύνειεν ἀείδειν.

ζομαι αὐδῆσαι· τό γε μὴν ἕδος ἐξέτι κείνου,
250
ὅ ῥα θεᾷ ἥρωες ἐπὶ ῥηγμῖσιν ἔδειμαν,
ἀνδράσιν ὀψιγόνοισι μένει καὶ τῆμος ἰδέσθαι.
 

v. 236-252 Ainsi parla Aiétès; et, dans ce même jour, les Colchiens tirèrent les vaisseaux dans les flots, les munirent de tous leurs agrès et prirent la mer : à leur vue, on n'aurait pas cru avoir devant les yeux une simple expédition navale, mais un peuple innombrable d'oiseaux réunis en troupe et frémissants sur la mer.

Cependant, d'après les desseins de la déesse Héra qui voulait que Médée, la jeune fille d'Aia, arrivât le plus tôt possible sur la terre Pélasgienne, comme un fléau pour la maison de Pélias, le souffle du vent entraînait rapidement les héros, et, à la troisième aurore, ils attachèrent les 146 amarres du navire sur les rivages des Paphlagoniens, en avant du fleuve Halys. Alors, descendus à terre, la jeune fille leur ordonnait d'apaiser Hécate par des sacrifices. Mais ce sacrifice, les préparatifs qu'elle fit pour l'accomplir, que personne n'en soit instruit; que mon cœur ne me pousse pas à en faire l'objet de mes chants! La crainte m'empêche de parler... Depuis ce temps, il est un monument que les héros élevèrent à la déesse sur la falaise; il subsiste toujours et peut aujourd'hui encore être vu de bien loin par les hommes nés longtemps après l'expédition.

Αὐτίκα δ' Αἰσονίδης ἐμνήσατο, σὺν δὲ καὶ ὧλλοι
ἥρωες, Φινῆος, ὃ δὴ πλόον ἄλλον ἔειπεν
ἐξ Αἴης ἔσσεσθαι· ἀνώιστος δ' ἐτέτυκτο 255
πᾶσιν ὁμῶς. Ἄργος δὲ λιλαιομένοις ἀγόρευσεν·
"Νισσόμεθ' Ὀρχομενὸν τὴν ἔχραεν ὔμμι περῆσαι
νημερτὴς ὅδε μάντις, ὅτῳ ξυνέβητε πάροιθεν.
στιν γὰρ πλόος ἄλλος, ὃν ἀθανάτων ἱερῆες
πέφραδον, οἳ Θήβης Τριτωνίδος ἐκγεγάασιν. 260
Οὔπω τείρεα πάντα, τά τ' οὐρανῷ εἱλίσσονται,
οὐδέ τί πω Δαναῶν ἱερὸν γένος ἦεν ἀκοῦσαι
πευθομένοις· οἶοι δ' ἔσαν Ἀρκάδες Ἀπιδανῆες,
Ἀρκάδες, οἳ καὶ πρόσθε σεληναίης ὑδέονται
ζώειν, φηγὸν ἔδοντες ἐν οὔρεσιν. Οὐδὲ Πελασγὶς 265
χθὼν τότε κυδαλίμοισιν ἀνάσσετο Δευκαλίδῃσιν,
ἦμος ὅτ' Ἠερίη πολυλήιος ἐκλήιστο,
μήτηρ Αἴγυπτος προτερηγενέων αἰζηῶν,
καὶ ποταμὸς Τρίτων ἠύρροος, ᾧ ὕπο πᾶσα
ἄρδεται Ἠερίη· Διόθεν δέ μιν οὔποτε δεύει 270
ὄμβρος· ἅλις προχοῇσι δ' ἀνασταχύουσιν ἄρουραι.
νθεν δή τινά φασι πέριξ διὰ πᾶσαν ὁδεῦσαι
Εὐρώπην Ἀσίην τε βίῃ καὶ κάρτει λαῶν
σφωιτέρων θάρσει τε πεποιθότα· μυρία δ' ἄστη
νάσσατ' ἐποιχόμενος, τὰ μὲν ἤ ποθι ναιετάουσιν, 275
ἠὲ καὶ οὔ· πουλὺς γὰρ ἄδην ἐπενήνοθεν αἰών.
Αἶά γε μὴν ἔτι νῦν μένει ἔμπεδον υἱωνοί τε
τῶνδ' ἀνδρῶν, οὓς ὅσγε καθίσσατο ναιέμεν Αἶαν,
οἳ δή τοι γραπτῦς πατέρων ἕθεν εἰρύονται,
κύρβιας, οἷς ἔνι πᾶσαι ὁδοὶ καὶ πείρατ' ἔασιν 280
ὑγρῆς τε τραφερῆς τε πέριξ ἐπινισσομένοισιν.
στι δέ τις ποταμός, ὕπατον κέρας Ὠκεανοῖο,
εὐρύς τε προβαθής τε καὶ ὁλκάδι νηὶ περῆσαι·
Ἴστρον μιν καλέοντες ἑκὰς διετεκμήραντο·
ὅς δή τοι τείως μὲν ἀπείρονα τέμνετ' ἄρουραν 285
εἷς οἶος· πηγαὶ γὰρ ὑπὲρ πνοιῆς βορέαο
Ῥιπαίοις ἐν ὄρεσσιν ἀπόπροθι μορμύρουσιν.
λλ' ὁπόταν Θρῃκῶν Σκυθέων τ' ἐπιβήσεται οὔρους,
ἔνθα διχῆ τὸ μὲν ἔνθα μετ' ἠῴην ἅλα βάλλει
τῇδ' ὕδωρ, τὸ δ' ὄπισθε βαθὺν διὰ κόλπον ἵησιν 290
σχιζόμενος πόντου Τρινακρίου εἰσανέχοντα,
γαίῃ ὃς ὑμετέρῃ παρακέκλιται, εἰ ἐτεὸν δὴ
ὑμετέρης γαίης Ἀχελώιος ἐξανίησιν."
 

V. 253-293. Aussitôt Jason se souvint, et les autres héros comme lui, des paroles de Phinée, qui avait dit qu'il fallait naviguer par une autre route pour revenir d'Aia; mais aucun d'eux ne savait rien de cette route. Comme ils avaient grand désir de savoir, Argos leur parla ainsi : « Nous nous en retournons vers Orchomène où vous a dit d'aller cet infaillible devin que vous avez rencontré naguère. Il y a pour la navigation une autre route qu'ont révélée ces prêtres des immortels qui sont originaires de Thèbes la Tritonienne. Alors que tous ces astres qui font leur révolution dans le ciel n'existaient pas encore, alors que ceux qui s'en seraient informés n'auraient pas entendu parler de la race sacrée des Danaens, alors que seuls existaient les Arcadiens Apidanéens, les Arcadiens qui, suivant ce que dit la renommée, existaient antérieurement à Séléné, se nourrissant de glands dans les montagnes; alors la terre Pélasgienne n'avait pas encore pour rois les illustres fils de Deucalion : déjà en ce temps l'Ééria, riche en moissons, était célèbre, l'Egypte, mère d'une jeune population, la première qui soit venue au monde; et le fleuve Triton au large cours était célèbre aussi, lui qui arrose toute l'Ééria. Car Zeus n'y fait jamais tomber la rosée de la pluie : les inondations du fleuve suffisent à faire monter les blés en épis. C'est de là, dit-on, qu'un homme partit pour faire le tour de toute l'Europe et de toute l'Asie, confiant dans la force et la vigueur de ses soldats et dans sa propre audace; sur sa route, il fonda 147 dix mille villes; il en est encore ça et là qui sont habitées aujourd'hui; les autres ne le sont plus: car il s'est écoulé depuis lors une bien longue suite d'années. Mais Aia subsiste encore aujourd'hui, ainsi que les descendants des hommes qu'il avait établis dans Aia pour y habiter. Ceux-ci conservent des colonnes qui ont été gravées par leurs pères, et ou se trouvent toutes les routes de la terre et de la mer, les termes de tous les voyages que l'on peut entreprendre. Or, il y a un fleuve — bras extrême de l'Océan — qui est large et très profond et qui peut être traversé par un navire de transport; ils le nomment l'Ister, et l'ont indiqué bien loin sur ces colonnes. En vérité, l'Ister est, pendant un long espace, le seul de tous les fleuves qui coule à travers la terre immense; car, au delà du pays où souffle le Borée, ses sources lointaines murmurent dans les monts Riphées. Mais, une fois entré sur le territoire des Thraces et des Scythes, alors il se divise en deux branches : l'une se jette directement dans la mer Orientale; l'autre rétrograde et se déverse dans un golfe profond qui s'étend au-dessus de la merdeTrinacrie, laquelle est située auprès de votre terre, s'il est vrai que l'Achéloos jaillisse du sol de votre patrie. »

Ὧς ἄρ' ἔφη· τοῖσιν δὲ θεὰ τέρας ἐγγυάλιξεν
αἴσιον, ᾧ καὶ πάντες ἐπευφήμησαν ἰδόντες 295
στέλλεσθαι τήνδ' οἶμον. ἐπιπρὸ γὰρ ὁλκὸς ἐτύχθη
οὐρανίης ἀκτῖνος, ὅπῃ καὶ ἀμεύσιμον ἦεν.
γηθόσυνοι δὲ Λύκοιο κατ' αὐτόθι παῖδα λιπόντες
λαίφεσι πεπταμένοισιν ὑπεὶρ ἅλα ναυτίλλοντο,

]οὔρεα Παφλαγόνων θηεύμενοι. οὐδὲ Κάραμβιν
300
γνάμψαν, ἐπεὶ πνοιαί τε καὶ οὐρανίου πυρὸς αἴγλη
μεῖνεν, ἕως Ἴστροιο μέγαν ῥόον εἰσαφίκοντο.

V. 294-302 II parla ainsi; et la déesse leur procura un présage favorable. A cette vue, ils l'interprétèrent tous en s'écriant qu'il fallait suivre la direction qui leur était indiquée : en effet, sur une longue étendue, apparaissait le sillon d'un rayon céleste qui traçait la route à prendre. Ils étaient pleins de joie; c'est en cet endroit qu'ils laissèrent le fils de Lycos. Ils naviguaient sur la mer, ayant la voile déployée. Ils passèrent en vue des monts de Paphlagonie, mais ils ne doublèrent pas le Carambis, car les vents et l'éclat de cette flamme céleste persistèrent jusqu'au moment où ils eurent pénétré dans le large courant de l'Ister.

Κόλχοι δ' αὖτ' ἄλλοι μέν, ἐτώσια μαστεύοντες,
Κυανέας Πόντοιο διὲκ πέτρας ἐπέρησαν·
ἄλλοι δ' αὖ ποταμὸν μετεκίαθον, οἷσιν ἄνασσεν 305
Ἄψυρτος, Καλὸν δὲ διὰ στόμα πεῖρε λιασθείς.
τῶ καὶ ὑπέφθη τούσγε βαλὼν ὕπερ αὐχένα γαίης
κόλπον ἔσω πόντοιο πανέσχατον Ἰονίοιο.
Ἴστρῳ γάρ τις νῆσος ἐέργεται οὔνομα Πεύκη,
τριγλώχιν, εὖρος μὲν ἐς αἰγιαλοὺς ἀνέχουσα, 310
στεινὸν δ' αὖτ' ἀγκῶνα ποτὶ ῥόον· ἀμφὶ δὲ δοιαὶ
σχίζονται προχοαί. τὴν μὲν καλέουσι Νάρηκος·
τὴν δ' ὑπὸ τῇ νεάτῃ, Καλὸν στόμα. τῇ δὲ διαπρὸ
Ἄψυρτος Κόλχοι τε θοώτερον ὡρμήθησαν·
οἱ δ' ὑψοῦ νήσοιο κατ' ἀκροτάτης ἐνέοντο 315
τηλόθεν. εἱαμενῇσι δ' ἐν ἄσπετα πώεα λεῖπον
ποιμένες ἄγραυλοι νηῶν φόβῳ, οἷά τε θῆρας
ὀσσόμενοι πόντου μεγακήτεος ἐξανιόντας.
οὐ γάρ πω ἁλίας γε πάρος ποθὶ νῆας ἴδοντο,
οὔτ' οὖν Θρήιξιν μιγάδες Σκύθαι, οὐδὲ Σίγυννοι, 320
οὔτ' οὖν Γραυκένιοι, οὔθ' οἱ περὶ Λαύριον ἤδη
Σίνδοι ἐρημαῖον πεδίον μέγα ναιετάοντες.
αὐτὰρ ἐπεί τ' Ἄγγουρον ὄρος, καὶ ἄπωθεν ἐόντα
Ἀγγούρου ὄρεος σκόπελον πάρα Καυλιακοῖο,
ᾧ πέρι δὴ σχίζων Ἴστρος ῥόον ἔνθα καὶ ἔνθα 325
βάλλει ἁλός, πεδίον τε τὸ Λαύριον ἠμείψαντο,
δή ῥα τότε Κρονίην Κόλχοι ἅλαδ' ἐκπρομολόντες
πάντῃ, μή σφε λάθοιεν, ὑπετμήξαντο κελεύθους.
οἱ δ' ὄπιθεν ποταμοῖο κατήλυθον, ἐκ δ' ἐπέρησαν
δοιὰς Ἀρτέμιδος Βρυγηίδας ἀγχόθι νήσους. 330
τῶν δ' ἤτοι ἑτέρῃ μὲν ἐν ἱερὸν ἔσκεν ἔδεθλον·
ἐν̣̣δ' ἑτέρῃ, πληθὺν πεφυλαγμένοι Ἀψύρτοιο,
βαῖνον· ἐπεὶ κείνας πολέων λίπον ἔνδοθι νήσους
αὔτως, ἁζόμενοι κούρην Διός· αἱ δὲ δὴ ἄλλαι
στεινόμεναι Κόλχοισι πόρους εἴρυντο θαλάσσης. 335
ὧς δὲ καὶ εἰς ἀκτὰς πληθὺν λίπεν ἀγχόθι νήσων
μέσφα Σαλαγγῶνος ποταμοῦ καὶ Νέστιδος αἴης.
 

V. 303-337. Cependant quelques-uns des Colchiens, dont la poursuite  devait être vaine, sortirent du Pont en passant entre les roches Cyanées; mais les autres se dirigèrent vers le fleuve : Apsyrtos les commandait. Celui-ci, s'étant détourné, pénétra 148 par la bouche de l'Ister que l'on nomme Galon : aussi, ayant traversé la langue de terre qui l'en séparait, il arriva avant les Argonautes au golfe le plus reculé de la mer Orientale. Car une île, nommée Peucé, est enfermée par l'Ister; elle est de forme triangulaire, et sa plus grande largeur s'étend dans le sens de la grève, tandis qu'elle dirige du côté du courant un angle aigu. Le fleuve se sépare en deux embouchures qui l'embrassent. On nomme la première Narécos, et Galon celle qui se trouve en face de l'extrémité de l'île. C'est par celle-là qu'Apsyrtos et les Colchiens, plus rapides que les Argonautes, se précipitèrent. Ceux-ci naviguaient loin d'eux et plus haut, vers la partie supérieure de l'île. Mais, dans les prairies basses, les sauvages bergers abandonnaient leurs innombrables troupeaux, aussi effrayés à l'aspect des navires que s'ils avaient aperçu des monstres sortant de la mer que peuplent les baleines. Car ils n'avaient jamais vu les navires qui parcourent les flots, ces peuples : Scythes mêlés aux Thraces, Siginniens, Graucéniens, Sindiens, qui habitaient déjà la vaste plaine déserte de Laurion. Ensuite, les Colchiens côtoyèrent le rribnt Angouros et le rocher Cauliacos, qui est bien loin du mont Angouros; c'est près de ce rocher que l'Ister partage son courant en deux fleuves qu'il déverse dans la mer à des endroits différents: ayant enfin dépassé la plaine de Laurion, ils pénétrèrent dans la mer de Cronos dont ils interceptèrent tous les passages, pour empêcher les Argonautes de leur échapper. Ceux-ci descendirent après eux le fleuve, et en sortirent auprès des deux îles Brygéiennes d'Artémis. Dans l'une était un lieu consacré; c'est dans l'autre que, se préservant de la troupe d'Apsyrtos, ils débarquèrent. Car, uu milieu de beaucoup d'autres îles qui sont dans cet endroit, les Colchiens avaient respecté ces deux-là par vénération pour la fille de Zeus; mais ils remplissaient les autres, qui fermaient ainsi tout passage vers la mer. C'est ainsi qu'ils avaient mis des troupes sur les rivages voisins des îles jusqu'au fleuve Salangon et jusqu'à la terre Nestienne.

Ἔνθα κε λευγαλέῃ Μινύαι τότε δηιοτῆτι
παυρότεροι πλεόνεσσιν ὑπείκαθον· ἀλλὰ πάροιθεν
συνθεσίην, μέγα νεῖκος ἀλευάμενοι, ἐτάμοντο, 340
κῶας μὲν χρύσειον, ἐπεί σφισιν αὐτὸς ὑπέστη
Αἰήτης, εἰ κεῖνοι ἀναπλήσειαν ἀέθλους,
ἔμπεδον εὐδικίῃ σφέας ἑξέμεν, εἴτε δόλοισιν,
εἴτε καὶ ἀμφαδίην αὔτως ἀέκοντος ἀπηύρων·
αὐτὰρ Μήδειάν γε - τὸ γὰρ πέλεν ἀμφήριστον - 345
παρθέσθαι κούρῃ Λητωίδι νόσφιν ὁμίλου,
εἰσόκε τις δικάσῃσι θεμιστούχων βασιλήων,
εἴτε μιν εἰς πατρὸς χρειὼ δόμον αὖτις ἱκάνειν,
εἴτε μεθ' Ἑλλάδα γαῖαν ἀριστήεσσιν ἕπεσθαι.

 V. 338-349. Là, les Minyens auraient alors succombé dans un funeste combat, vu leur petit nombre en face d'ennemis trop nombreux. Mais ils se hâtèrent, pour éviter une lutte terrible, de conclure une convention : puisque la toison d'or leur avait été promise par Aiétès lui-même, dans le cas où ils auraient accompli les travaux imposés, elle devait toujours rester de plein droit leur propriété, qu'ils l'eussent enlevée, malgré le roi, soit par des ruses, soit ouvertement. Quant à Médée — c'est elle qui faisait l'objet de la contestation — elle serait remise en dépôt à la vierge, fille de Lëtô, loin de la compagnie des héros, jusqu'à ce que quelqu'un des rois qui rendent la justice eût décidé s'il fallait qu'elle revînt dans la maison de son père où qu'elle allât à la suite des héros vers la terre d'Hellade.

Ἔνθα δ' ἐπεὶ τὰ ἕκαστα νόῳ πεμπάσσατο κούρη, 350
δή ῥά μιν ὀξεῖαι κραδίην ἐλέλιξαν ἀνῖαι
νωλεμές· αἶψα δὲ νόσφιν Ἰήσονα μοῦνον ἑταίρων
ἐκπροκαλεσσαμένη ἄγεν ἄλλυδις, ὄφρ' ἐλίασθεν
πολλὸν ἑκάς, στονόεντα δ' ἐνωπαδὶς ἔκφατο μῦθον·
"Αἰσονίδη, τίνα τήνδε συναρτύνασθε μενοινὴν
355
ἀμφ' ἐμοί; ἦέ σε πάγχυ λαθιφροσύναις ἐνέηκαν
ἀγλαΐαι, τῶν δ' οὔτι μετατρέπῃ, ὅσσ' ἀγόρευες
χρειοῖ ἐνισχόμενος; ποῦ τοι Διὸς Ἱκεσίοιο
ὅρκια, ποῦ δὲ μελιχραὶ ὑποσχεσίαι βεβάασιν;
ᾗς ἐγὼ οὐ κατὰ κόσμον ἀναιδήτῳ ἰότητι
360
πάτρην τε κλέα τε μεγάρων αὐτούς τε τοκῆας
νοσφισάμην, τά μοι ἦεν ὑπέρτατα· τηλόθι δ' οἴη
λυγρῇσιν κατὰ πόντον ἅμ' ἀλκυόνεσσι φορεῦμαι
σῶν ἕνεκεν καμάτων, ἵνα μοι σόος ἀμφί τε βουσὶν
ἀμφί τε γηγενέεσσιν ἀναπλήσειας ἀέθλους.
365
στατον αὖ καὶ κῶας, ἐπεί τ' ἐπαιστὸν ἐτύχθη,
εἷλες ἐμῇ ματίῃ· κατὰ δ' οὐλοὸν αἶσχος ἔχευα
θηλυτέραις. Τῶ φημὶ τεὴ κούρη τε δάμαρ τε
αὐτοκασιγνήτη τε μεθ' Ἑλλάδα γαῖαν ἕπεσθαι.
Πάντῃ νυν πρόφρων ὑπερίστασο, μηδέ με μούνην
370
σεῖο λίπῃς ἀπάνευθεν, ἐποιχόμενος βασιλῆας.
λλ' αὔτως εἴρυσο· δίκη δέ τοι ἔμπεδος ἔστω
καὶ θέμις, ἣν ἄμφω συναρέσσαμεν· ἢ σύγ' ἔπειτα
φασγάνῳ αὐτίκα τόνδε μέσον διὰ λαιμὸν ἀμῆσαι,
ὄφρ' ἐπίηρα φέρωμαι ἐοικότα μαργοσύνῃσιν.
375
Σχετλίη, εἴ κεν δή με κασιγνήτοιο δικάσσῃ
ἔμμεναι οὗτος ἄναξ, τῷ ἐπίσχετε τάσδ' ἀλεγεινὰς
ἄμφω συνθεσίας. Πῶς ἵξομαι ὄμματα πατρός;
ἦ μάλ' ἐυκλειής; τίνα δ' οὐ τίσιν, ἠὲ βαρεῖαν
ἄτην οὐ σμυγερῶς δεινῶν ὕπερ, οἷα ἔοργα,
380
ὀτλήσω; σὺ δέ κεν θυμηδέα νόστον ἕλοιο;
μὴ τόγε παμβασίλεια Διὸς τελέσειεν ἄκοιτις,
ᾗ ἐπικυδιάεις. Μνήσαιο δέ καί ποτ' ἐμεῖο,
στρευγόμενος καμάτοισι· δέρος δέ τοι ἶσον ὀνείροις
385 οἴχοιτ' εἰς ἔρεβος μεταμώνιον. κ δέ σε πάτρης
αὐτίκ' ἐμαί σ' ἐλάσειαν Ἐρινύες· οἷα καὶ αὐτὴ
σῇ πάθον ἀτροπίῃ. Τὰ μὲν οὐ θέμις ἀκράαντα
ἐν γαίῃ πεσέειν. Μάλα γὰρ μέγαν ἤλιτες ὅρκον,
νηλεές· ἀλλ' οὔ θήν μοι ἐπιλλίζοντες ὀπίσσω
δὴν ἔσσεσθ' εὔκηλοι ἕκητί γε συνθεσιάων."
390

Ὧς φάτ' ἀναζείουσα βαρὺν χόλον· ἵετο δ' ἥγε
νῆα καταφλέξαι, διά τ' ἔμπεδα πάντα κεάσσαι,
ἐν δὲ πεσεῖν αὐτὴ μαλερῷ πυρί. Τοῖα δ' Ἰήσων
μειλιχίοις ἐπέεσσιν ὑποδδείσας προσέειπεν·
"Ἴσχεο, δαιμονίη· τὰ μὲν ἁνδάνει οὐδ' ἐμοὶ αὐτῷ.
395
λλά τιν' ἀμβολίην διζήμεθα δηιοτῆτος,
ὅσσον δυσμενέων ἀνδρῶν νέφος ἀμφιδέδηεν
εἵνεκα σεῦ. Πάντες γάρ, ὅσοι χθόνα τήνδε νέμονται,
Ἀψύρτῳ μεμάαασιν ἀμυνέμεν, ὄφρα σε πατρί,
οἷά τε ληισθεῖσαν, ὑπότροπον οἴκαδ' ἄγοιντο. 400
Αὐτοὶ δὲ στυγερῷ κεν ὀλοίμεθα πάντες ὀλέθρῳ,
μίξαντες δαῒ χεῖρας· ὅ τοι καὶ ῥίγιον ἄλγος
ἔσσεται, εἴ σε θανόντες ἕλωρ κείνοισι λίποιμεν.
δε δὲ συνθεσίη κρανέει δόλον, ᾧ μιν ἐς ἄτην
βήσομεν. Οὐδ' ἂν ὁμῶς περιναιέται ἀντιόωσιν
405
Κόλχοις ἦρα φέροντες ὑπὲρ σέο νόσφιν ἄνακτος,
ὅς τοι ἀοσσητήρ τε κασίγνητός τε τέτυκται·
οὐδ' ἂν ἐγὼ Κόλχοισιν ὑπείξω μὴ πολεμίζειν
ἀντιβίην, ὅτε μή με διὲξ εἰῶσι νέεσθαι."

Ἴσκεν ὑποσσαίνων· ἡ δ' οὐλοὸν ἔκφατο μῦθον·
"Φράζεο νῦν. Χρειὼ γὰρ ἀεικελίοισιν ἐπ' ἔργοις
καὶ τόδε μητίσασθαι, ἐπεὶ τὸ πρῶτον ἀάσθην
ἀμπλακίῃ, θεόθεν δὲ κακὰς ἤνυσσα μενοινάς.
Τύνη μὲν κατὰ μῶλον ἀλέξεο δούρατα Κόλχων·
αὐτὰρ ἐγὼ κεῖνόν γε τεὰς ἐς χεῖρας ἱκέσθαι
415
μειλίξω· σὺ δέ μιν φαιδροῖς ἀγαπάζεο δώροις.
Εἴ κέν πως κήρυκας ἀπερχομένους πεπίθοιμι
οἰόθεν οἶον ἐμοῖσι συναρθμῆσαι ἐπέεσσιν,
ἔνθ' εἴ τοι τόδε ἔργον ἐφανδάνει, οὔτι μεγαίρω,
κτεῖνέ τε, καὶ Κόλχοισιν ἀείρεο δηιοτῆτα."
420

Ὧς τώγε ξυμβάντε μέγαν δόλον ἠρτύνοντο
Ἀψύρτῳ, καὶ πολλὰ πόρον ξεινήια δῶρα,
οἷς μέτα καὶ πέπλον δόσαν ἱερὸν Ὑψιπυλείης
πορφύρεον. Τὸν μέν ῥα Διωνύσῳ κάμον αὐταὶ
Δίῃ ἐν ἀμφιάλῳ Χάριτες θεαί· αὐτὰρ ὁ παιδὶ
425
δῶκε Θόαντι μεταῦτις· ὁ δ' αὖ λίπεν Ὑψιπυλείῃ·
ἡ δ' ἔπορ' Αἰσονίδῃ πολέσιν μετὰ καὶ τὸ φέρεσθαι
γλήνεσιν εὐεργὲς ξεινήιον. Οὔ μιν ἀφάσσων,
οὔτε κεν εἰσορόων γλυκὺν ἵμερον ἐμπλήσειας.
Τοῦ δὲ καὶ ἀμβροσίη ὀδμὴ πέλεν ἐξέτι κείνου,
430
ἐξ οὗ ἄναξ αὐτὸς Νυσήιος ἐγκατελεκτο
ἀκροχάλιξ οἴνῳ καὶ νέκταρι, καλὰ μεμαρπὼς
στήθεα παρθενικῆς Μινωίδος, ἥν ποτε Θησεὺς
Κνωσσόθεν ἑσπομένην Δίῃ ἔνι κάλλιπε νήσῳ.
δ' ὅτε κηρύκεσσιν ἐπεξυνώσατο μύθους,
435
θελγέμεν, εὖτ' ἂν πρῶτα θεᾶς περὶ νηὸν ἵκηται
συνθεσίῃ, νυκτός τε μέλαν κνέφας ἀμφιβάλῃσιν,
ἐλθέμεν, ὄφρα δόλον συμφράσσεται, ὥς κεν ἑλοῦσα
χρύσειον μέγα κῶας ὑπότροπος αὖτις ὀπίσσω
βαίη ἐς Αἰήταο δόμους· πέρι γάρ μιν ἀνάγκῃ
440
υἱῆες Φρίξοιο δόσαν ξείνοισιν ἄγεσθαι·
τοῖα παραιφαμένη θελκτήρια φάρμακ' ἔπασσεν
αἰθέρι καὶ πνοιῇσι, τά κεν καὶ ἄπωθεν ἐόντα
ἄγριον ἠλιβάτοιο κατ' οὔρεος ἤγαγε θῆρα.
 

V. 350-444. Alors la jeune fille, ayant médité dans son esprit toutes ces conventions, sentit son cœur cruellement agité par des angoisses aiguës, incessantes. Aussitôt, elle appela Jason seul, loin de ses compagnons, l'emmena à l'écart, et quand ils se trouvèrent bien éloignés, elle lui adressa face à face ces paroles désolées : « Aisonide, quel arrangement avez-vous donc préparé ensemble à mon sujet? Est-ce que l'heureuse fortune t'a amené à une complète absence d'esprit? Est-ce que tu ne t'inquiètes plus en rien des paroles que tu m'adressais, alors que tu étais pressé par la nécessité? Où sont les serments par lesquels tu attestais Zeus, protecteur des suppliants? Que sont devenues ces promesses, douces comme le miel? C'est à cause d'elles que, contrairement à mon devoir, obéissant à de honteux sentiments, j'ai abandonné ma patrie, la gloire de ma maison, mes parents eux-mêmes, tout ce que j'avais de plus précieux; loin des miens, seule avec les tristes alcyons, je suis entraînée sur la mer; et cela, à cause de tes travaux, pour t'avoir fait achever sain et sauf tes combats contre les taureaux et contre les géants. En dernier lieu, la toison — le fait est avéré — c'est grâce à ma folie que tu as pu t'en saisir; et j'ai jeté sur les femmes un opprobre funeste. Aussi je prétends, comme ta fille, 150 comme ton épouse et comme ta sœur, te suivre vers la terre d'Hellade. Maintenant, défends-moi en toute chose avec bienveillance, au lieu de me laisser seule, loin de toi, pendant que tu iras chercher l'avis des rois. Voici comment tu dois me protéger : considère comme immuables la justice et la loi suivant lesquelles nous nous sommes engagés tous deux. Ou bien, de ton épée coupe-moi sur-le-champ le milieu de la gorge, que je reçoive un bonheur convenable à mes folies. Malheureuse! S'il juge que je dois appartenir à mon frère, ce roi auquel vous confiez tous deux le soin de régler ce triste pacte! Comment me présenter devant les yeux de mon père? C'est sans doute avec une glorieuse attitude? Quel châtiment, quelle terrible malédiction n'aurai-je pas à supporter, dans ma misère, pour les crimes que j'ai accomplis I Mais toi, auras-tu un retour capable de te réjouir le cœur? Ah! qu'elle ne le permette pas l'épouse de Zeus, la reine du monde, dont tu te glorifies d'être le protégé. Puisses-tu te souvenir de moi, un jour, quand tu seras lentement consumé par les peines! Puisse la toison s'évanouir comme un songe et disparaître dans les ténèbres infernales! Que loin de ta patrie, dès que tu y seras arrivé, mes Erinyes te chassent! C'est ce que moi-même j'ai souffert de ta perversité. La justice ne permet pas que ces malédictions que je lance tombent à terre sans accomplissement. Car c'est un bien grand serment que tu as violé, homme sans pitié! Mais certes vous ne continuerez pas à vous moquer de moi, vous ne resterez pas longtemps tranquilles, grâce à vos pactes. »

Elle parla ainsi; et dans son cœur bouillonnait une profonde colère: elle désirait mettre le feu au navire, en détruire toute la masse solide, et se jeter ensuite elle-même au milieu du violent incendie. Jason, qui n'était pas sans craintes, lui adressa alors ces paroles douces comme le miel : « Apaise-toi, mon amie. Ce pacte ne me plaît pas non plus à moi-même. Mais nous cherchons quelque moyen de retarder le combat: si grande est la nuée d'ennemis dont la colère s'allume 151 autour de nous, à cause de toi. Car tous, autant sont-ils qui habitent cette terre, brûlent de prêter leur aide à Apsyrtos, pour te conduire à ton père, pour te faire rentrer, comme une captive, dans ta maison. Quant à nous, nous mourrons tous d'une mort misérable, si nous en venons aux mains. Et notre douleur serait d'autant plus affreuse qu'en mourant nous te laisserions comme butin à ces hommes. Mais ce pacte a pour résultat une ruse par laquelle nous ferons aller Apsyrtos à sa perte. Et les habitants de ces contrées ne marcheront pas contre nous de concert avec les Colchiens; ils ne les aideront pas à te prendre, s'ils sont privés du chef qui est ton protecteur et ton frère. Quant aux Colchiens seuls, je ne leur céderai pas, je n'hésiterai point à les combattre en face, s'ils s'opposent à notre passage. »

II parla ainsi pour l'apaiser; Médée alors prononça ces terribles paroles: «Poursuis donc ton projet. Après mes actions indignes, je dois encore m'occuper de cette perfidie, puisque, du moment où j'ai commencé à me laisser aller à de coupables égarements, j'ai accompli tant de funestes desseins inspirés par les dieux. Quant à toi, évite la bataille et les lances des Colchiens; pour lui, il viendra entre tes mains : je l'y attirerai par mes séductions. A toi de lui témoigner ton amitié par des présents splendides; pourvu que je puisse persuader aux hérauts qui seront envoyés vers lui de le faire venir seul se mettre d'accord avec moi seule, grâce à mes paroles; alors, si cette action te plaît, je ne m'oppose à rien, tue-le et engage la bataille avec les Colchiens. »

C'est ainsi que, d'accord tous les deux, ils formèrent un terrible complot contre Apsyrtos; ils préparèrent beaucoup de présents d'hospitalité; ils donnèrent entre autres le péplos sacré d'Hypsipylé; ce péplos était couleur de pourpre, c'était l'œuvre des déesses Charités elles-mêmes qui l'avaient fait pour Dionysos à Dia, que la mer entoure de tous côtés. Puis, le dieu l'avait donné à son fils Thoas, qui l'avait laissé à son tour à sa fille Hypsipylé. Celle-ci remit à Jason ce chef-d'œuvre, comme cadeau d'hospitalité, à emporter 152 avec beaucoup d'autres riches ornements. A le manier, à le voir même, on ne pouvait rassasier la douce passion qu'il inspirait, car il s'en exhalait un parfum divin, depuis que le roi Nyséien lui-même s'y était endormi, ivre à demi de vin et de nectar, après avoir serré dans ses bras la belle poitrine de la vierge fille de Minos, par qui Thésée s'était autrefois fait suivre depuis Cnosse, et qu'il avait abandonnée dans l'île de Dia. — Cependant Médée communiqua aux hérauts ses avis mensongers : il s'agissait de lui persuader, aussitôt qu'il serait arrivé au temple de la déesse, suivant la convention, et dès que la nuit l'aurait entouré de son ombre obscure, de venir concerter ses ruses, afin qu'elle-même, s'étant emparée de la grande toison d'or, elle pût retourner dans la demeure d'Aiétès; car (il fallait le dire à Apsyrtos) c'était grâce à la violence que les fils de Phrixos l'avaient fait emmener par les étrangers. Après avoir dit ces mensonges, elle répandit dans l'air, au souffle des vents, des substances magiques dont le charme était capable de faire venir du haut des montagnes escarpées la bête sauvage, errant dans le lointain.

Σχέτλι' Ἔρως, μέγα πῆμα, μέγα στύγος ἀνθρώποισιν,
ἐκ σέθεν οὐλόμεναί τ' ἔριδες στοναχαί τε γόοι τε, 446
ἄλγεά τ' ἄλλ' ἐπὶ τοῖσιν ἀπείρονα τετρήχασιν.
Δυσμενέων ἐπὶ παισὶ κορύσσεο, δαῖμον, ἀερθείς,
οἷος Μηδείῃ στυγερὴν φρεσὶν ἔμβαλες ἄτην.
Πῶς γὰρ δὴ μετιόντα κακῷ ἐδάμασσεν ὀλέθρῳ
450
Ἄψυρτον; τὸ γὰρ ἧμιν ἐπισχερὼ ἦεν ἀοιδῆς.

V. 445-451. Misérable Éros, peine cruelle, grand objet de haine pour les mortels, de toi viennent les discordes funestes, les gémissements, les cris de deuil et, par surcroît, toutes les innombrables douleurs dont l'âme est troublée! Arme-toi contre les fils de mes ennemis, ô dieu, élève-toi contre eux, tel que tu t'es élevé contre Médée, quand tu as inspiré à son âme cet égarement odieux! Comment, en effet, a-t-elle dompté par une mort affreuse Apsyrtos qui s'avançait vers elle? C'est ce qui nous reste encore à chanter.

Ἠμος ὅτ' Ἀρτέμιδος νήσῳ ἔνι τήνγ' ἐλίποντο
συνθεσίῃ. Τοὶ μέν ῥα διάνδιχα νηυσὶν ἔκελσαν
σφωιτέραις κρινθέντες· ὁ δ' ἐς λόχον ᾖεν Ἰήσων
δέγμενος Ἄψυρτόν τε καὶ οὓς ἐξαῦτις ἑταίρους.
455
Αὐτὰρ ὅγ' αἰνοτάτῃσιν ὑποσχεσίῃσι δολωθεὶς
καρπαλίμως ᾗ νηὶ διὲξ ἁλὸς οἶδμα περήσας,
νύχθ' ὕπο λυγαίην ἱερῆς ἐπεβήσατο νήσου·
οἰόθι δ' ἀντικρὺ μετιὼν πειρήσατο μύθοις
εἷο κασιγνήτης, ἀταλὸς πάις οἷα χαράδρης
460
χειμερίης, ἣν οὐδὲ δι' αἰζηοὶ περόωσιν.
Εἴ κε δόλον ξείνοισιν ἐπ' ἀνδράσι τεχνήσαιτο.
Καὶ τὼ μὲν τὰ ἕκαστα συνῄνεον ἀλλήλοισιν·
αὐτίκα δ' Αἰσονίδης πυκινοῦ ἐξᾶλτο λόχοιο,
γυμνὸν ἀνασχόμενος παλάμῃ ξίφος· αἶψα δὲ κούρη
465
ἔμπαλιν ὄμματ' ἔνεικε, καλυψαμένη ὀθόνῃσιν,
μὴ φόνον ἀθρήσειε κασιγνήτοιο τυπέντος.
Τὸν δ' ὅγε, βουτύπος ὥστε μέγαν κερεαλκέα ταῦρον,
πλῆξεν ὀπιπεύσας νηοῦ σχεδόν, ὅν ποτ' ἔδειμαν
Ἀρτέμιδι Βρυγοὶ περιναιέται ἀντιπέρηθεν.
470
Τοῦ ὅγ' ἐνὶ προδόμῳ γνὺξ ἤριπε· λοίσθια δ' ἥρως
θυμὸν ἀναπνείων χερσὶν μέλαν ἀμφοτέρῃσιν
αἷμα κατ' ὠτειλὴν ὑποΐσχετο· τῆς δὲ καλύπτρην
ἀργυφέην καὶ πέπλον ἀλευομένης ἐρύθηνεν.
ξὺ δὲ πανδαμάτωρ λοξῷ ἴδεν οἷον ἔρεξαν
475
ὄμματι νηλειὴς ὀλοφώιον ἔργον Ἐρινύς.
ρως δ' Αἰσονίδης ἐξάργματα τάμνε θανόντος,
τρὶς δ' ἀπέλειξε φόνου, τρὶς δ' ἐξ ἄγος ἔπτυσ' ὀδόντων,
ἣ θέμις αὐθέντῃσι δολοκτασίας ἱλάεσθαι.
γρὸν δ' ἐν γαίῃ κρύψεν νέκυν, ἔνθ' ἔτι νῦν περ
480
κείαται ὀστέα κεῖνα μετ' ἀνδράσιν Ἀψυρτεῦσιν.

V. 453-481. Lorsque, suivant ce qui avait été convenu, les Argonautes eurent laissé Médée dans l'île d'Artémis, les Colchiens abordèrent en divers endroits, avec leurs vaisseaux, s'étant séparés les uns des autres. Mais Jason se plaçait en embuscade, pour recevoir Apsyrtos, et, ensuite, ses compagnons. Cependant, Apsyrtos, trompé par les promesses les plus cruelles, se hâta de traverser sur son navire les flots de la 153 mer, et, au milieu de la nuit noire, il aborda dans l'île sacrée. Se présentant seul en face de sa sœur, il essaya de la persuader par ses paroles; — tel un petit enfant, en face d'un torrent gonflé par les tempêtes, que les hommes, qui sont dans la force de l'âge, n'essaieraient pas eux-mêmes de traverser; — il voulait la persuader de préparer quelque piège aux hommes étrangers. Ils étaient d'accord sur toutes choses, quand l'Aisonide bondit de sa perfide embuscade, tenant dans la main son épée nue. Aussitôt, la jeune fille détourna les yeux et se couvrit de son voile, pour ne pas voir le meurtre de son frère qui allait être frappé. Jason, comme un tueur de bœufs qui s'attaque à un grand taureau dont la force réside dans les cornes, frappa Apsyrtos qu'il épiait. C'était près du temple qu'avaient élevé à Artémis les Brygiens qui demeurent sur le continent, en face de l'île. Le héros s'abattit à genoux dans le vestibule du temple, et enfin, exhalant son dernier souffle, il recueillit dans ses deux mains le sang de couleur foncée qui sortait de sa blessure ouverte, et en rougit le voile blanc et le péplos de sa sœur qui se détournait. Et cependant, celle qui dompte tout, l'impitoyable Érinys vit, aussitôt, de son œil au regard oblique, l'horrible forfait qu'ils venaient d'accomplir. Mais le héros Aisonide trancha les extrémités des membres du mort; trois fois, il essuya le sang en le léchant, et, trois fois, il cracha hors de ses dents ce sang expiatoire; car c'est ainsi qu'il est permis aux meurtriers d'expier le meurtre commis par trahison. Puis, il ensevelit dans la terre le cadavre humide de sang, à l'endroit où ses os gisent encore aujourd'hui, dans le pays des hommes Apsyrtiens.

Οἱ δ' ἄμυδις πυρσοῖο σέλας προπάροιθεν ἰδόντες,
τό σφιν παρθενικὴ τέκμαρ μετιοῦσιν ἄειρεν,
Κολχίδος ἀγχόθι νηὸς ἑὴν παρὰ νῆ' ἐβάλοντο
ἥρωες· Κόλχον δ' ὄλεκον στόλον, ἠύτε κίρκοι 485
φῦλα πελειάων, ἠὲ μέγα πῶυ λέοντες
ἀγρότεροι κλονέουσιν ἐνὶ σταθμοῖσι θορόντες.
Οὐδ' ἄρα τις κείνων θάνατον φύγε, πάντα δ' ὅμιλον
πῦρ ἅ τε δηιόωντες ἐπέδραμον· ὀψὲ δ' Ἰήσων
ἤντησεν, μεμαὼς ἐπαμυνέμεν οὐ μάλ' ἀρωγῆς 490
δευομένοις· ἤδη δὲ καὶ ἀμφ' αὐτοῖο μέλοντο.
νθα δὲ ναυτιλίης πυκινὴν περὶ μητιάασκον
ἑζόμενοι βουλήν· ἐπὶ δέ σφισιν ἤλυθε κούρη
φραζομένοις· Πηλεὺς δὲ παροίτατος ἔκφατο μῦθον·
"Ἤδη νῦν κέλομαι νύκτωρ ἔτι νῆ' ἐπιβάντας 495
εἰρεσίῃ περάαν πλόον ἀντίον, ᾧ ἐπέχουσιν
δήιοι· ἠῶθεν γὰρ ἐπαθρήσαντας ἕκαστα
ἔλπομαι οὐχ ἕνα μῦθον, ὅτις προτέρωσε δίεσθαι
ἡμέας ὀτρυνέει, τοὺς πεισέμεν· οἷα δ' ἄνακτος

εὔνιδες, ἀργαλέῃσι διχοστασίῃς κεδόωνται.
500
ηιδίη δέ κεν ἄμμι, κεδασθέντων δίχα λαῶν,
ἤ τ' εἴη μετέπειτα κατερχομένοισι κέλευθος."

Ὧς ἔφατ'· ᾔνησαν δὲ νέοι ἔπος Λἰακίδαο.
ίμφα δὲ νῆ' ἐπιβάντες ἐπερρώοντ' ἐλάτῃσιν
νωλεμές, ὄφρ' ἱερὴν Ἠλεκτρίδα νῆσον ἵκοντο,
505
ἀλλάων ὑπάτην, ποταμοῦ σχεδὸν Ἠριδανοῖο.

Κόλχοι δ' ὁππότ' ὄλεθρον ἐπεφράσθησαν ἄνακτος,
ἤτοι μὲν δίζεσθαι ἐπέχραον ἔνδοθι πάσης
Ἀργὼ καὶ Μινύας Κρονίης ἁλός. λλ' ἀπέρυκεν
Ἥρη σμερδαλέῃσι κατ' αἰθέρος ἀστεροπῇσιν.
510
στατον αὐτοὶ δ' αὖτε Κυταιίδος ἤθεα γαίης
στύξαν, ἀτυζόμενοι χόλον ἄγριον Αἰήταο,
ἔμπεδα δ' ἄλλυδις ἄλλοι ἐφορμηθέντες ἔνασθεν.
Οἱ μὲν ἐπ' αὐτάων νήσων ἔβαν, ᾗσιν ἐπέσχον
ἥρωες, ναίουσι δ' ἐπώνυμοι Ἀψύρτοιο·
515
οἱ δ' ἄρ' ἐπ' Ἰλλυρικοῖο μελαμβαθέος ποταμοῖο,
τύμβος ἵν' Ἁρμονίης Κάδμοιό τε, πύργον ἔδειμαν,
ἀνδράσιν Ἐγχελέεσσιν ἐφέστιοι· οἱ δ' ἐν ὄρεσσιν
ἐνναίουσιν, ἅπερ τε Κεραύνια κικλήσκονται,
ἐκ τόθεν, ἐξότε τούσγε Διὸς Κρονίδαο κεραυνοὶ
520
νῆσον ἐς ἀντιπέραιαν ἀπέτραπον ὁρμηθῆναι.
 

V. 482-521. Mais, ayant aperçu en face d'eux l'éclat d'une torche,  signal que la jeune fille avait élevé pour les faire venir, les héros lancèrent leur navire contre le navire colchien. Ils massacrèrent l'équipage des Colchiens, comme des éperviers font d'une troupe de colombes, ou comme des lions féroces qui portent la dévastation au milieu d'un grand troupeau, quand ils se précipitent dans une bergerie. Aucun des 154 Colchiens n'évita la mort; semblables à un incendie, les héros parcoururent toute leur troupe en l'exterminant. Jason n'arriva que plus tard, avec l'envie de leur porter secours, mais ils n'avaient pas besoin d'aide, et ils étaient même déjà inquiets à propos de lui. Alors ils s'assirent et commencèrent à délibérer avec sagesse au sujet de leur navigation. Pendant qu'ils réfléchissaient, la jeune fille vint vers eux; mais Pelée prit la parole le premier : « Tout d'abord, je vous exhorte à monter en navire, pendant qu'il fait encore nuit, et à naviguer à la rame dans la direction opposée à celle que les ennemis surveillent. A l'aurore, quand ils se rendront compte de tout ce qui s'est passé, j'espère qu'ils n'auront pas tous un avis unanime, qu'ils ne seront pas tous convaincus qu'il faut nous poursuivre plus avant. Privés de leur chef, ils se disperseront, à la suite de pénibles discussions; et plus tard, quand nous reviendrons, comme ces gens se seront séparés, la route nous sera facile. »

II parla ainsi, et les jeunes gens approuvèrent le discours de l'Aiacide. Montés aussitôt en navire, ils se courbèrent sur les rames, sans relâche, jusqu'au moment ou ils furent arrivés à l'île sacrée Électris, la dernière de toutes les îles Électrides, celle qui est voisine du fleuve Éridan.

Lorsqu'ils se furent aperçus du meurtre de leur roi, les Colchiens entreprenaient déjà de rechercher dans toute la mer de Cronos le navire Argo et les Minyens. Mais Héra les en détournait en faisant briller dans l'air des éclairs effrayants. Enfin — le séjour de la terre Cytaienne leur devenait odieux, car ils redoutaient la sauvage colère d'Aiétès — ils se dirigèrent les uns d'un côté, les autres de l'autre, et s'établirent dans le pays d'une manière stable. Les uns débarquèrent dans les îles mêmes que les Argonautes avaient occupées, et ils y habitent encore, conservant, comme nom de nation, celui d'Apsyrtos. D'autres, auprès du profond et sombre fleuve d'Illyrie, à l'endroit ou se trouve le tombeau d'Harmonia et de Cadmos, bâtirent une forteresse et s'établirent ainsi dans le pays des hommes 155 Enchéliens; d'autres, enfin, habitent dans les montagnes qui ont reçu le nom de monts Cërauniens, du jour où le tonnerre du Cronide Zeus les a détournés de passer dans l'île qui est située en face.

Ἥρωες δ', ὅτε δή σφιν ἐείσατο νόστος ἀπήμων,
δή ῥα τότε προμολόντες ἐπὶ χθονὶ πείσματ' ἔδησαν
Ὑλλήων. Νῆσοι γὰρ ἐπιπρούχοντο θαμειαὶ
ἀργαλέην πλώουσιν ὁδὸν μεσσηγὺς ἔχουσαι 525
οὐδέ σφιν, ὡς καὶ πρίν, ἀνάρσια μητιάασκον
Ὑλλῆες· πρὸς δ' αὐτοὶ ἐμηχανόωντο κέλευθον,
μισθὸν ἀειρόμενοι τρίποδα μέγαν Ἀπόλλωνος.
Δοιοὺς γὰρ τρίποδας τηλοῦ πόρε Φοῖβος ἄγεσθαι
Αἰσονίδῃ περόωντι κατὰ χρέος, ὁππότε Πυθὼ 530
ἱρὴν πευσόμενος μετεκίαθε τῆσδ' ὑπὲρ αὐτῆς
ναυτιλίης· πέπρωτο δ', ὅπῃ χθονὸς ἱδρυνθεῖεν,
μήποτε τὴν δῄοισιν ἀναστήσεσθαι ἰοῦσιν.
Τούνεκεν εἰσέτι νῦν κείνῃ ὅδε κεύθεται αἴῃ
ἀμφὶ πόλιν ἀγανὴν Ὑλληίδα, πολλὸν ἔνερθεν 535
οὔδεος, ὥς κεν ἄφαντος ἀεὶ μερόπεσσι πέλοιτο.
Οὐ μὲν ἔτι ζώοντα καταυτόθι τέτμον ἄνακτα
Ὕλλον, ὃν εὐειδὴς Μελίτη τέκεν Ἡρακλῆι
δήμῳ Φαιήκων. γὰρ οἰκία Ναυσιθόοιο
Μάκριν τ' εἰσαφίκανε, Διωνύσοιο τιθήνην, 540
νιψόμενος παίδων ὀλοὸν φόνον· ἔνθ' ὅγε κούρην
Αἰγαίου ἐδάμασσεν ἐρασσάμενος ποταμοῖο,
νηιάδα Μελίτην· ἡ δὲ σθεναρὸν τέκεν Ὕλλον. 543
Οὐδ' ἄρ' ὅγ' ἡβήσας αὐτῇ ἐνὶ ἔλδετο νήσῳ 546
ναίειν, κοιρανέοντος ὑπ' ὀφρύσι Ναυσιθόοιο·
βῆ δ' ἅλαδε Κρονίην, αὐτόχθονα λαὸν ἀγείρας
Φαιήκων· σὺν γάρ οἱ ἄναξ πόρσυνε κέλευθον

ἥρως Ναυσίθοος· τόθι δ' εἵσατο, καί μιν ἔπεφνον
550
Μέντορες, ἀγραύλοισιν ἀλεξόμενον περὶ βουσίν.
 

 V. 522-551 Quand les héros pensèrent pouvoir revenir en sûreté, ils s'avancèrent vers la terre des Hylléens, et y attachèrent les amarres. Car des îles s'avançaient en saillie, nombreuses, qui ne laissaient entre elles que des passages difficiles pour les navigateurs. Mais les Hylléens n'avaient plus, comme auparavant, de projets hostiles contre les héros. Au contraire, ils combinaient avec eux la route à suivre, ayant reçu comme récompense un des grands trépieds d'Apollon. Car Phoibos avait donné deux trépieds à l'Aisonide, pour qu'il les emportât au loin dans le voyage qu'il était forcé d'entreprendre; il les lui avait donnés quand le héros était venu, dans la ville sacrée de Pytho, consulter l'oracle, au sujet de cette expédition même. Or, il était dans les destinées que là où ces trépieds seraient établis, là les ennemis ne pourraient faire d'invasion. Aussi, ce trépied est-il aujourd'hui encore près de la ville Aganc des Hylléens; on l'a profondément enfoui dans le sol, pour qu'il reste à jamais invisible aux yeux des mortels. Les héros ne trouvèrent plus vivant dans cet endroit le roi Hyllos, que la belle Mélité avait enfanté à Héraclès dans le pays des Phaiaciens. Car Héraclès s'était rendu vers les demeures de Nausithoos et vers l'île Macris, nourricière de Dionysos, pour se purifier du meurtre funeste de ses enfants; là, il soumit à l'amour dont il était possédé la fille du fleuve Aigaios, la naïade Mélité, qui enfanta le courageux Hyllos. Or, quand celui-ci fut devenu grand, il ne voulut plus demeurer dans cette île, soumis à l'orgueil du roi Nausithoos. Mais il s'embarqua sur la mer de Cronos, ayant assemblé le peuple indigène des Phaiaciens; le roi lui-même, le héros Nausithoos, lui facilita son voyage, et il s'établit dans cet endroit où les Mentores le tuèrent, alors qu'il défendait contre eux ses bœufs parqués dans la campagne.

Ἀλλά, θεαί, πῶς τῆσδε παρὲξ ἁλός, ἀμφί τε γαῖαν
Αὐσονίην νήσους τε Λιγυστίδας, αἳ καλέονται
Στοιχάδες, Ἀργῴης περιώσια σήματα νηὸς
νημερτὲς πέφαται; τίς ἀπόπροθι τόσσον ἀνάγκη 555
καὶ χρειώ σφ' ἐκόμισσε; τίνες σφέας ἤγαγον αὖραι;

Αὐτόν που μεγαλωστὶ δεδουπότος Ἀψύρτοιο
Ζῆνα, θεῶν βασιλῆα, χόλος λάβεν, οἷον ἔρεξαν.
Αἰαίης δ' ὀλοὸν τεκμήρατο δήνεσι Κίρκης
αἷμ' ἀπονιψαμένους, πρό τε μυρία πημανθέντας, 560
νοστήσειν. Τὸ μὲν οὔτις ἀριστήων ἐνόησεν·
ἀλλ' ἔθεον γαίης Ὑλληίδος ἐξανιόντες
τηλόθι· τὰς δ' ἀπέλειπον, ὅσαι Κόλχοισι πάροιθεν
ἑξείης πλήθοντο Λιβυρνίδες εἰν ἁλὶ νῆσοι,
Ἴσσα τε Δυσκέλαδός τε καὶ ἱμερτὴ Πιτύεια. 565
Αὐτὰρ ἔπειτ' ἐπὶ τῇσι παραὶ Κέρκυραν ἵκοντο,
ἔνθα Ποσειδάων Ἀσωπίδα νάσσατο κούρην,
ἠύκομον Κέρκυραν, ἑκὰς Φλιουντίδος αἴης,
ἁρπάξας ὑπ' ἔρωτι· μελαινομένην δέ μιν ἄνδρες
ναυτίλοι ἐκ πόντοιο κελαινῇ πάντοθεν ὕλῃ 570
δερκόμενοι Κέρκυραν ἐπικλείουσι Μέλαιναν.
Τῇ δ' ἐπὶ καὶ Μελίτην, λιαρῷ περιγηθέες οὔρῳ,
αἰπεινήν τε Κερωσσόν, ὕπερθε δὲ πολλὸν ἐοῦσαν
Νυμφαίην παράμειβον, ἵνα κρείουσα Καλυψὼ
Ἀτλαντὶς ναίεσκε· τὰ δ' ἠεροειδέα λεύσσειν 575
οὔρεα δοιάζοντο Κεραύνια. Καὶ τότε βουλὰς
ἀμφ' αὐτοῖς Ζηνός τε μέγαν χόλον ἐφράσαθ' Ἥρη.
Μηδομένη δ' ἄνυσιν τοῖο πλόου, ὦρσεν ἀέλλας
ἀντικρύ, ταῖς αὖτις ἀναρπάγδην φορέοντο
νήσου ἔπι κραναῆς Ἠλεκτρίδος. Αὐτίκα δ' ἄφνω 580
ἴαχεν ἀνδρομέῃ ἐνοπῇ μεσσηγὺ θεόντων
αὐδῆεν γλαφυρῆς νηὸς δόρυ, τό ῥ' ἀνὰ μέσσην
στεῖραν Ἀθηναίη Δωδωνίδος ἥρμοσε φηγοῦ.
Τοὺς δ' ὀλοὸν μεσσηγὺ δέος λάβεν εἰσαΐοντας
φθογγήν τε Ζηνός τε βαρὺν χόλον. Οὐ γὰρ ἀλύξειν 585
ἔννεπεν οὔτε πόρους δολιχῆς ἁλός, οὔτε θυέλλας
ἀργαλέας, ὅτε μὴ Κίρκη φόνον Ἀψύρτοιο
νηλέα νίψειεν· Πολυδεύκεα δ' εὐχετάασθαι
Κάστορά τ' ἀθανάτοισι θεοῖς ἤνωγε κελεύθους
Αὐσονίης ἔμπροσθε πορεῖν ἁλός, ᾗ ἔνι Κίρκην 590
δήουσιν, Πέρσης τε καὶ Ἠελίοιο θύγατρα.
 

V. 552-591. Mais, ô déesses, comment se fait-il que, hors de cette mer et sur la terre Ausonienne et dans les îles Liguriennes, que l'on nomme Stoichades, des marques éclatantes du passage du navire Argo aient pu réellement se manifester? Quelle fatalité, quelle nécessité a entraîné les héros aussi loin? Quels vents les ont conduits?

C'est apparemment Zeus lui-même, roi des dieux, saisi d'une violente colère à cause de la mort d'Apsyrtos qu'ils avaient tué. Il arrêta qu'ils devaient se purifier par les soins de Circë, déesse d'Aia, du sang qu'ils avaient versé d'une manière impie, et subir bien des peines, avant de retourner dans leur patrie. Aucun des" héros ne devina les ordres de Zeus; mais ils voyageaient, s'éloignant de la terre des Hylléens. Ils laissaient en arrière toutes les îles Libur- niennes, qui, naguère, avaient été successivement occupées par les Colchiens, Issa et Dyscélados, et l'aimable Pityéia. Ensuite, ils passèrent le long de Cercyra, où Poséidon établit la jeune Asopide à la belle chevelure, Cercyra, qu'il avait enlevée par amour bien loin de la terre de Phlionte: les matelots, qui, depuis la haute mer, voient cette île obscurcie par de sombres forêts qui la couvrent de toutes parts, les matelots donnent à Cercyra le surnom de Mélaina. Après cette île, ils dépassèrent, secondés par une brise tiède, Mélité et Cérossos aux rivages escarpés, et Nymphaié, qui se trouve bien au delà; c'est dans cette île qu'habitait la reine Atlantide, Calypso. Il leur semblait déjà apercevoir les nébuleux monts Cérauniens : mais alors Héra pénétra les desseins que Zeus avait sur eux, et devina la grande colère du dieu. Soucieuse de leur faire accomplir la navigation qui leur était fixée, elle excita en face d'eux des vents impétueux, qui les ramenaient violemment en arrière vers les côtes d'Electris, l'île rocailleuse. Et voici que, tout à coup, au milieu des héros dont le vent précipitait la course, une voix humaine retentit, la voix de la poutre douée de la parole, qui faisait partie du navire creux; car Athéné avait adapté dans le milieu de la carène cette poutre tirée 157 d'un chêne de Dodone. Et, cependant, une affreuse terreur les saisit, en entendant cette voix et l'annonce de la pénible colère de Zeus. Car cette voix leur disait qu'ils ne sortiraient sains et saufs ni des routes de la mer immense ni des tempêtes cruelles, à moins que Circé ne les purifiât du meurtre atroce d'Apsyrtos; elle ordonnait à Pollux et à Castor de supplier les dieux immortels d'ouvrir devant eux les routes de la mer d'Ausonie où ils trouveraient Circé, fille de Perse et d'Hélios.

Ὧς Ἀργὼ ἰάχησεν ὑπὸ κνέφας· οἱ δ' ἀνόρουσαν
Τυνδαρίδαι, καὶ χεῖρας ἀνέσχεθον ἀθανάτοισιν
εὐχόμενοι τὰ ἕκαστα· κατηφείη δ' ἔχεν ἄλλους
ἥρωας Μινύας. δ' ἔσσυτο πολλὸν ἐπιπρὸ 595
λαίφεσιν, ἐς δ' ἔβαλον μύχατον ῥόον Ἠριδανοῖο·
ἔνθα ποτ' αἰθαλόεντι τυπεὶς πρὸς στέρνα κεραυνῷ
ἡμιδαὴς Φαέθων πέσεν ἅρματος Ἠελίοιο
λίμνης ἐς προχοὰς πολυβενθέος· ἡ δ' ἔτι νῦν περ

τραύματος αἰθομένοιο βαρὺν ἀνακηκίει ἀτμόν.
600
Οὐδέ τις ὕδωρ κεῖνο διὰ πτερὰ κοῦφα τανύσσας
οἰωνὸς δύναται βαλέειν ὕπερ· ἀλλὰ μεσηγὺς
φλογμῷ ἐπιθρώσκει πεποτημένος. μφὶ δὲ κοῦραι
Ἡλιάδες ταναῇσιν ἐελμέναι αἰγείροισιν,
μύρονται κινυρὸν μέλεαι γόον· ἐκ δὲ φαεινὰς
605
ἠλέκτρου λιβάδας βλεφάρων προχέουσιν ἔραζε,
αἱ μέν τ' ἠελίῳ ψαμάθοις ἔπι τερσαίνονται·
εὖτ' ἂν δὲ κλύζῃσι κελαινῆς ὕδατα λίμνης
ἠιόνας πνοιῇ πολυηχέος ἐξ ἀνέμοιο,
δὴ τότ' ἐς Ἠριδανὸν προκυλίνδεται ἀθρόα πάντα
610
κυμαίνοντι ῥόῳ. Κελτοὶ δ' ἐπὶ βάξιν ἔθεντο,
ὡς ἄρ' Ἀπόλλωνος τάδε δάκρυα Λητοΐδαο
ἐμφέρεται δίναις, ἅ τε μυρία χεῦε πάροιθεν,
ἦμος Ὑπερβορέων ἱερὸν γένος εἰσαφίκανεν,
οὐρανὸν αἰγλήεντα λιπὼν ἐκ πατρὸς ἐνιπῆς,
615
χωόμενος περὶ παιδί, τὸν ἐν λιπαρῇ Λακερείῃ
δῖα Κορωνὶς ἔτικτεν ἐπὶ προχοῇς Ἀμύροιο.
Καὶ τὰ μὲν ὧς κείνοισι μετ' ἀνδράσι κεκλήισται.
Τοὺς δ' οὔτε βρώμης ᾕρει πόθος, οὐδὲ ποτοῖο,
οὔτ' ἐπὶ γηθοσύνας τράπετο νόος. λλ' ἄρα τοίγε
620
ἤματα μὲν στρεύγοντο περιβληχρὸν βαρύθοντες
ὀδμῇ λευγαλέῃ, τήν ῥ' ἄσχετον ἐξανίεσκον
τυφομένου Φαέθοντος ἐπιρροαὶ Ἠριδανοῖο·
νύκτας δ' αὖ γόον ὀξὺν ὀδυρομένων ἐσάκουον
Ἡλιάδων λιγέως· τὰ δὲ δάκρυα μυρομένῃσιν
625
οἷον ἐλαιηραὶ στάγες ὕδασιν ἐμφορέοντο.
 

V. 592-626. Ainsi parla Argo au moment du crépuscule; mais lesTyndarides se levèrent et, tendant les mains vers les immortels, ils firent toutes les prières qui avaient été indiquées; et une morne tristesse possédait les autres héros Minyens. Mais le navire était entraîné bien en avant par sa voile, et ils se jetèrent jusqu'au fond du cours de l'Éridan : c'est là qu'autrefois, frappé au cœur par la foudre ardente, Phaéthon tomba à demi consumé du char d'Hélios dans l'estuaire, vaste comme un étang, du fleuve profond; et, maintenant encore, le fleuve exhale une lourde fumée qui provient de la blessure enflammée. Au-dessus de ces eaux, aucun oiseau ne peut étendre ses ailes légères et planer : mais son vol le précipite au milieu de l'abîme incandescent. Aux alentours, les jeunes Héliades, enfermées dans de hauts peupliers noirs, gémissent, les misérables! Plaintives sont les lamentations de leur deuil; de leurs paupières se répandent et coulent vers la terre des gouttes transparentes d'ambre, qui sont séchées par le soleil sur le sable. Mais, quand l'abîme noir se gonfle et inonde le rivage, sous l'action du vent retentissant, alors tout ce qui se trouve sur le rivage est roulé dans l'Éridan par les eaux en fureur. — Les Celtes, cependant, ont attribué à ce fait une autre origine : ce sont, disent-ils, les larmes du Létoïde Apollon qui sont emportées dans ces tourbillons, les larmes sans nombre qu'il versa autrefois, alors qu'il se dirigeait vers le peuple sacré des Hyperboréens, chassé du ciel éclatant par les reproches de son père; car il s'était irrité au sujet de son fils, celui que, dans la riche Lacéréia, 158 la divine Coronis lui avait enfanté, près de l'embouchure de l'Amyros. Telle est la tradition répandue parmi ces hommes. — Cependant, les héros n'éprouvaient aucun désir de boire ni de manger, et leur esprit n'était pas tourné vers la joie; pendant le jour, ils s'épuisaient dans l'angoisse, supportant avec peine, et fort incommodés, la lourde odeur, l'odeur intolérable du corps fumant de Phaéthon qui s'exhalait des eaux de l'Éridan; pendant la nuit, ils entendaient les cruelles lamentations, les cris perçants des Héliades; et, comme elles pleuraient, leurs larmes étaient portées sur les eaux, semblables à des gouttes d'huile.

Ἐκ δὲ τόθεν Ῥοδανοῖο βαθὺν ῥόον εἰσαπέβησαν,
ὅς τ' εἰς Ἠριδανὸν μετανίσσεται· ἄμμιγα δ' ὕδωρ
ἐν ξυνοχῇ βέβρυκε κυκώμενον. Αὐτὰρ ὁ γαίης
ἐκ μυχάτης, ἵνα τ' εἰσὶ πύλαι καὶ ἐδέθλια Νυκτός, 630
ἔνθεν ἀπορνύμενος τῇ μέν τ' ἐπερεύγεται ἀκτὰς
Ὠκεανοῦ, τῇ δ' αὖτε μετ' Ἰονίην ἅλα βάλλει,
τῇ δ' ἐπὶ Σαρδόνιον πέλαγος καὶ ἀπείρονα κόλπον
ἑπτὰ διὰ στομάτων ἵει ῥόον. κ δ' ἄρα τοῖο
λίμνας εἰσέλασαν δυσχείμονας, αἵ τ' ἀνὰ Κελτῶν 635
ἤπειρον πέπτανται ἀθέσφατον· ἔνθα κεν οἵγε
ἄτῃ ἀεικελίῃ πέλασαν. Φέρε γάρ τις ἀπορρὼξ
κόλπον ἐς Ὠκεανοῖο, τὸν οὐ προδαέντες ἔμελλον
εἰσβαλέειν, τόθεν οὔ κεν ὑπότροποι ἐξεσάωθεν.
λλ' Ἥρη σκοπέλοιο καθ' Ἑρκυνίου ἰάχησεν 640
οὐρανόθεν προθοροῦσα· φόβῳ δ' ἐτίναχθεν ἀυτῆς
πάντες ὁμῶς· δεινὸν γὰρ ἐπὶ μέγας ἔβραχεν αἰθήρ.
ψ δὲ παλιντροπόωντο θεᾶς ὕπο, καί ῥ' ἐνόησαν
τὴν οἶμον, τῇπέρ τε καὶ ἔπλετο νόστος ἰοῦσιν.
Δηναιοὶ δ' ἀκτὰς ἁλιμυρέας εἰσαφίκοντο 645
Ἥρης ἐννεσίῃσι, δι' ἔθνεα μυρία Κελτῶν
καὶ Λιγύων περόωντες ἀδήιοι. μφὶ γὰρ αἰνὴν
ἠέρα χεῦε θεὰ πάντ' ἤματα νισσομένοισιν.
Μεσσότατον δ' ἄρα τοίγε διὰ στόμα νηὶ βαλόντες

Στοιχάδας εἰσαπέβαν νήσους σόοι εἵνεκα κούρων
650
Ζηνός· ὃ δὴ βωμοί τε καὶ ἱερὰ τοῖσι τέτυκται
ἔμπεδον· οὐδ' οἶον κείνης ἐπίκουροι ἕποντο
ναυτιλίης· Ζεὺς δέ σφι καὶ ὀψιγόνων πόρε νῆας.
Στοιχάδας αὖτε λιπόντες ἐς Αἰθαλίην ἐπέρησαν
νῆσον, ἵνα ψηφῖσιν ἀπωμόρξαντο καμόντες
655
ἱδρῶ ἅλις· χροιῇ δὲ κατ' αἰγιαλοῖο κέχυνται
εἴκελαι· ἐν δὲ σόλοι καὶ τεύχεα θέσκελα κείνων·
ἐν δὲ λιμὴν Ἀργῷος ἐπωνυμίην πεφάτισται.
 

 V. 627-658. Sortis de ce fleuve, ils pénétrèrent dans le cours profond du Rhodanos qui se jette dans l'Eridan; en se mêlant, leurs eaux retentissent et se soulèvent à leur confluent. Ce fleuve vient des terres les plus reculées, où sont les portes et le domaine de la Nuit; c'est de là qu'il s'élance: il précipite une partie de ses eaux sur les rivages de l'Océan, et il jette les autres soit dans la mer Ionienne, soit dans la mer Sardonienne, golfe immense où son cours se déverse par sept embouchures. De ce fleuve, ils passèrent dans les lacs aux rudes tempêtes, qui s'étendent à l'infini sur le territoire des Celtes. Et là, assurément, ils auraient trouvé une destinée indigne; car un courant les portait aux golles de l'Océan, où ils allaient entrer sans l'avoir prévu, et d'où ils n'auraient pu revenir sains et saufs. Mais, du haut des monts Hercyniens, Héra poussa un cri : elle s'était élancée du ciel; en entendant ce cri, ils furent, tous à la fois, saisis de terreur, car l'air immense le répercutait d'une manière terrible. Ils étaient donc ramenés en arrière par la déesse, et ils comprirent alors quelle était la route par laquelle leur retour devait s'accomplir. Longtemps après, ils arrivèrent aux rivages de la mer, suivant les desseins d'Héra, s'avançant invisibles au milieu des peuples innombrables des Celtes et des Ligyens. Car, autour d'eux, la déesse avait répandu une nuée obscure qui les enveloppa tout le temps qu'ils traversèrent ces pays. Lors donc que le navire eut 159 franchi l'embouchure du milieu, ils arrivèrent aux îles Stoichades, sains et saufs, grâce aux fils de Zeus : c'est pourquoi des autels ont été élevés et des cérémonies sacrées instituées en leur honneur d'une manière stable; ce n'est pas seulement cette expédition qu'ils devaient accompagner pour lui porter secours, mais Zeus leur confia aussi les navires des hommes qui sont nés dans la suite. — Ayant laissé les Stoichades, ils passèrent dans l'île Aithalia où, épuisés de fatigue, ils essuyèrent avec des galets leur abondante sueur; depuis lors, les galets répandus sur la grève sont d'une couleur semblable à celle de la sueur des héros. On voit encore dans l'île leurs disques de fer et leurs armes merveilleuses, et un port d'Aithalia a été surnommé Argoos.

Καρπαλίμως δ' ἐνθένδε διὲξ ἁλὸς οἶδμα νέοντο
Αὐσονίης ἀκτὰς Τυρσηνίδας εἰσορόωντες· 660
ἷξον δ' Αἰαίης λιμένα κλυτόν· ἐκ δ' ἄρα νηὸς
πείσματ' ἐπ' ἠιόνων σχεδόθεν βάλον. νθα δὲ Κίρκην
εὗρον ἁλὸς νοτίδεσσι κάρη ἐπιφαιδρύνουσαν·
τοῖον γὰρ νυχίοισιν ὀνείρασιν ἐπτοίητο.
Αἵματί οἱ θάλαμοί τε καὶ ἕρκεα πάντα δόμοιο 665
μύρεσθαι δόκεον· φλὸξ δ' ἀθρόα φάρμακ' ἔδαπτεν,
οἷσι πάρος ξείνους θέλγ' ἀνέρας, ὅστις ἵκοιτο·
τὴν δ' αὐτὴ φονίῳ σβέσεν αἵματι πορφύρουσαν,
χερσὶν ἀφυσσαμένη· λῆξεν δ' ὀλοοῖο φόβοιο.
Τῶ καὶ ἐπιπλομένης ἠοῦς νοτίδεσσι θαλάσσης 670
ἐγρομένη πλοκάμους τε καὶ εἵματα φαιδρύνεσκεν.
Θῆρες δ' οὐ θήρεσσιν ἐοικότες ὠμηστῇσιν,
οὐδὲ μὲν οὐδ' ἄνδρεσσιν ὁμὸν δέμας, ἄλλο δ' ἀπ' ἄλλων
συμμιγέες μελέων, κίον ἀθρόοι, ἠύτε μῆλα
ἐκ σταθμῶν ἅλις εἶσιν ὀπηδεύοντα νομῆι. 675
Τοίους καὶ προτέρης ἐξ ἰλύος ἐβλάστησε
χθὼν αὐτὴ μικτοῖσιν ἀρηρεμένους μελέεσσιν,
οὔπω διψαλέῳ μάλ' ὑπ' ἠέρι πιληθεῖσα,
οὐδέ πω ἀζαλέοιο βολαῖς τόσον ἠελίοιο
ἰκμάδας αἰνυμένη· τὰ δ' ἐπὶ στίχας ἤγαγεν αἰὼν 680
συγκρίνας· τὼς οἵγε φυὴν ἀίδηλοι ἕποντο.
ρωας δ' ἕλε θάμβος ἀπείριτον· αἶψα δ' ἕκαστος
Κίρκης εἴς τε φυήν, εἴς τ' ὄμματα παπταίνοντες
ῥεῖα κασιγνήτην φάσαν ἔμμεναι Αἰήταο.
 

V. 659-684. De là, ils naviguaient rapidement au milieu des flots  gonflés de la mer Ausonienne; les rivages Tyrrhéniens passaient devant leurs yeux. Ils arrivèrent au port célèbre d'Aia; et, du navire, ils jetèrent les amarres sur le rivage, qui était proche. Ils y trouvèrent Circé qui purifiait sa tête dans les flots de la mer, tant elle avait été effrayée par des songes nocturnes. Elle avait cru voir les chambres et toute l'enceinte de sa demeure dégouttant de sang; le feu consumait les nombreux charmes magiques qui lui avaient jusqu'alors servi à enchanter les hommes étrangers, quel que fût celui qui arrivât dans son île; ce feu éclatant, elle l'éteignait avec le sang d'un meurtre qu'elle puisait à pleines mains; et, agissant ainsi, elle cessait d'éprouver cet effroi funeste. C'est pourquoi, au retour de l'aurore, à peine éveillée, elle lavait dans les eaux de la mer ses cheveux et ses vêtements. Et des bêtes sauvages, qui ne ressemblaient pas aux animaux carnassiers, et qui n'avaient pas non plus un corps pareil à celui des hommes, mais dont les membres étaient un mélange emprunté aux uns et aux autres, s'avançaient nombreuses, comme des brebis qui sortent en foule des étables à la suite du berger. — Tels, du limon primitif, la terre elle-même enfanta des monstres aux membres hétérogènes, alors que l'air sec ne l'avait pas encore condensée, 160 et qu'elle n'avait pas encore suffisamment absorbé les vapeurs humides, grâce aux rayons brûlants du soleil : mais la suite des temps combina les diverses parties de ces 'monstres et les classa pour en former des espèces. De même des êtres de genre incertain suivaient Circé. — Les héros furent saisis d'une immense stupeur; mais ayant considéré l'aspect et les yeux de Circé, chacun d'eux conjectura sans peine que la sœur d'Aiétès était devant eux.

Ἡ δ' ὅτε δὴ νυχίων ἀπὸ δείματα πέμψεν ὀνείρων, 685
αὐτίκ' ἔπειτ' ἄψορρον ἀπέστιχε· τοὺς δ' ἅμ' ἕπεσθαι,
χειρὶ καταρρέξασα, δολοφροσύνῃσιν ἄνωγεν.
νθ' ἤτοι πληθὺς μὲν ἐφετμαῖς Αἰσονίδαο
μίμνεν ἀπηλεγέως· ὁ δ' ἐρύσσατο Κολχίδα κούρην.
μφω δ' ἑσπέσθην αὐτὴν ὁδόν, ἔστ' ἀφίκοντο 690
Κίρκης ἐς μέγαρον· τοὺς δ' ἐν λιπαροῖσι κέλευεν
ἥγε θρόνοις ἕζεσθαι, ἀμηχανέουσα κιόντων.
Τὼ δ' ἄνεῳ καὶ ἄναυδοι ἐφ' ἑστίῃ ἀίξαντε
ἵζανον, ἥ τε δίκη λυγροῖς ἱκέτῃσι τέτυκται,
695 ἡ μὲν ἐπ' ἀμφοτέραις θεμένη χείρεσσι μέτωπα,
αὐτὰρ ὁ κωπῆεν μέγα φάσγανον ἐν χθονὶ πήξας,
ᾧπέρ τ' Αἰήταο πάιν κτάνεν· οὐδέ ποτ' ὄσσε
ἰθὺς ἐνὶ βλεφάροισιν ἀνέσχεθον. Αὐτίκα δ' ἔγνω
Κίρκη φύξιον οἶτον ἀλιτροσύνας τε φόνοιο.

Τῶ καὶ ὀπιζομένη Ζηνὸς θέμιν Ἱκεσίοιο,
700
ὃς μέγα μὲν κοτέει, μέγα δ' ἀνδροφόνοισιν ἀρήγει,
ῥέζε θυηπολίην, οἵῃ τ' ἀπολυμαίνονται
νηλειεῖς ἱκέται, ὅτ' ἐφέστιοι ἀντιόωσιν.
Πρῶτα μὲν ἀτρέπτοιο λυτήριον ἥγε φόνοιο
τειναμένη καθύπερθε συὸς τέκος, ἧς ἔτι μαζοὶ
705
πλήμμυρον λοχίης ἐκ νηδύος, αἵματι χεῖρας
τέγγεν, ἐπιτμήγουσα δέρην· αὖτις δὲ καὶ ἄλλοις
μείλισσεν χύτλοισι, καθάρσιον ἀγκαλέουσα
Ζῆνα, παλαμναίων τιμήορον ἱκεσιάων.
Καὶ τὰ μὲν ἀθρόα πάντα δόμων ἐκ λύματ' ἔνεικαν
710
νηιάδες πρόπολοι, ταί οἱ πόρσυνον ἕκαστα.
δ' εἴσω πελάνους μείλικτρά τε νηφαλίῃσιν
καῖεν ἐπ' εὐχωλῇσι παρέστιος, ὄφρα χόλοιο
σμερδαλέας παύσειεν Ἐρινύας, ἠδὲ καὶ αὐτὸς
εὐμειδής τε πέλοιτο καὶ ἤπιος ἀμφοτέροισιν,
715
εἴτ' οὖν ὀθνείῳ μεμιασμένοι αἵματι χεῖρας,
εἴτε καὶ ἐμφύλῳ προσκηδέες ἀντιόωσιν.
 

v. 685-717. Après s'être délivrée ainsi des terreurs causées par les songes de la nuit, elle se retira aussitôt vers sa demeure, et, les flattant de la main, elle voulut, par ses ruses, les contraindre de la suivre. Mais, sur l'ordre de l'Aisonide, la foule des héros resta où elle était, sans s'inquiéter de Circé; quant à Jason, il entraîna avec lui la vierge Colchienne. Tous deux, ils suivirent la même route que Circé, jusqu'au moment où ils furent parvenus à sa demeure: elle leur dit de s'asseoir sur des sièges splendides, très embarrassée de leur venue. Tous deux, silencieux, sans dire un mot, ils s'élancèrent vers le foyer et s'y assirent, car telle est la coutume des tristes suppliants. Médée mit son visage dans ses mains, et Jason enfonça dans le sol sa grande épée munie d'une poignée, qui lui avait servi à tuer le fils d'Aiétès; et ils gardaient tous deux les yeux baissés sous les paupières. Circé comprit, aussitôt, qu'un malheur les exilait et qu'ils avaient commis un meurtre horrible. Aussi, ayant adoré la justice de Zeus, dieu des suppliants, qui s'irrite beaucoup, mais qui porte aussi un grand secours aux meurtriers, elle accomplit les sacrifices qui purifient, lorsqu'ils se sont approchés du foyer, les suppliants dont l'âme a été sans pitié. Et d'abord, pour expier le meurtre irréparable, elle tint étendu au-dessus d'eux le petit d'une truie (sa mère venait de mettre bas, et ses mamelles débordaient encore du premier lait) ; elle arrosait leurs mains de son sang, lui ayant tranché le cou par devant; puis elle expiait le crime par d'autres libations, en invoquant Zeus purificateur, protecteur des suppliants dont les mains sont ensanglantées. Et toutes les eaux 161 impures que l'on rejette après les purifications furent portées hors de la demeure par les Naïades servantes, qui lui préparaient toute chose. Mais, se tenant à son foyer, elle consumait elle-même dans sa maison les gâteaux de fleur de farine et les offrandes expiatoires, en prononçant les prières qui accompagnent les sacrifices où les libations se font sans vin; elle se proposait d'apaiser ainsi la colère des redoutables Érinyes et de rendre Zeus lui-même doux et propice aux deux criminels, quelle que fût l'angoisse qui les amenât, souillés soit d'un sang étranger, soit même du meurtre d'un parent.

Αὐτὰρ ἐπεὶ μάλα πάντα πονήσατο, δή τότ' ἔπειτα
εἷσεν ἐπὶ ξεστοῖσιν ἀναστήσασα θρόνοισιν,
καὶ δ' αὐτὴ πέλας ἷζεν ἐνωπαδίς. Αἶψα δὲ μύθῳ 720
χρειὼ ναυτιλίην τε διακριδὸν ἐξερέεινεν.
δ' ὁπόθεν μετὰ γαῖαν ἑὴν καὶ δώματ' ἰόντες
αὔτως ἱδρύνθησαν ἐφέστιοι. γὰρ ὀνείρων
μνῆστις ἀεικελίη δῦνεν φρένας ὁρμαίνουσαν·
ἵετο δ' αὖ κούρης ἐμφύλιον ἴδμεναι ὀμφήν, 725
αὐτίχ' ὅπως ἐνόησεν ἀπ' οὔδεος ὄσσε βαλοῦσαν.
Πᾶσα γὰρ Ἠελίου γενεὴ ἀρίδηλος ἰδέσθαι
ἦεν, ἐπεὶ βλεφάρων ἀποτηλόθι μαρμαρυγῇσιν
οἷόν τέ χρυσέην ἀντώπιον ἵεσαν αἴγλην.
δ' ἄρα τῇ τὰ ἕκαστα διειρομένῃ κατελεξεν, 730
Κολχίδα γῆρυν ἱεῖσα, βαρύφρονος Αἰήταο
κούρη μειλιχίως, ἠμὲν στόλον ἠδὲ κελεύθους
ἡρώων, ὅσα τ' ἀμφὶ θοοῖς ἐμόγησαν ἀέθλοις,
ὥς τε κασιγνήτης πολυκηδέος ἤλιτε βουλαῖς,
ὥς τ' ἀπονόσφιν ἄλυξεν ὑπέρβια δείματα πατρὸς 735
σὺν παισὶν Φρίξοιο· φόνον δ' ἀλέεινεν ἐνισπεῖν
Ἀψύρτου. Τὴν δ' οὔτι νόῳ λάθεν· ἀλλὰ καὶ ἔμπης
μυρομένην ἐλέαιρεν, ἔπος δ' ἐπὶ τοῖον ἔειπεν·
"Σχετλίη, ἦ ῥα κακὸν καὶ ἀεικέα μήσαο νόστον.
λπομαι οὐκ ἐπὶ δήν σε βαρὺν χόλον Αἰήταο 740
ἐκφυγέειν· τάχα δ' εἶσι καὶ Ἑλλάδος ἤθεα γαίης
τισόμενος φόνον υἷος, ὅτ' ἄσχετα ἔργ' ἐτέλεσσας.
λλ' ἐπεὶ οὖν ἱκέτις καὶ ὁμόγνιος ἔπλευ ἐμεῖο,
ἄλλο μὲν οὔτι κακὸν μητίσομαι ἐνθάδ' ἰούσῃ·
ἔρχεο δ' ἐκ μεγάρων ξείνῳ συνοπηδὸς ἐοῦσα, 745
ὅντινα τοῦτον ἄιστον ἀείραο πατρὸς ἄνευθεν·
μηδέ με γουνάσσηαι ἐφέστιος, οὐ γὰρ ἔγωγε
αἰνήσω βουλάς τε σέθεν καὶ ἀεικέα φύξιν."

Ὧς φάτο· τὴν δ' ἀμέγαρτον ἄχος λάβεν· ἀμφὶ δὲ πέπλον
ὀφθαλμοῖσι βαλοῦσα γόον χέεν, ὄφρα μιν ἥρως 750
χειρὸς ἐπισχόμενος μεγάρων ἐξῆγε θύραζε
δείματι παλλομένην· λεῖπον δ' ἀπὸ δώματα Κίρκης.
 

v. 718-752. Quand elle eut accompli toutes ces cérémonies, elle leur ordonna de se relever, et les fit asseoir sur des sièges bien polis, et elle s'assit elle-même tout près, en face d'eux. Aussitôt, elle prit la parole et les interrogea en détail sur la nécessité qui les pressait et sur leur navigation; elle leur demanda d'où ils étaient partis .pour venir ainsi, dans son pays et dans sa maison, s'asseoir à son foyer; car le souvenir affreux de ses songes pénétrait son âme, et son cœur s'agitait. Elle désira connaître la langue nationale de la jeune fille, aussitôt qu'elle lui vit lever les yeux du sol. Car tous ceux qui descendaient d'Hélios étaient faciles à reconnaître: l'éclat brillant de leurs yeux jetait au loin, en face d'eux, une splendeur semblable à celle de l'or. Elle répondit à toutes les interrogations, en s'exprimant dans la langue des Colchiens, avec douceur, la fille d'Aiétès aux sombres pensées; elle dit l'expédition et les routes suivies par les héros; elle raconta tout ce qu'ils avaient souffert dans les combats impétueux, comment elle avait elle-même péché, par les conseils de sa sœur affligée; comment elle avait fui au loin les menaces terribles de son père, avec les fils de Phrixos; mais elle recula devant le récit du meurtre d'Apsyrtos. Mais rienine resta caché à l'esprit de Circé; apitoyée, cependant, par les lamentations de la jeune fille, elle lui adressa la parole en ces termes : « Malheureuse, certes, tu as résolu un voyage funeste et déshonorant. Je 162 pense que tu ne pourras pas longtemps éviter la terrible colère d'Aiétès. Bientôt, il viendra même dans les demeures de la terre d'Hellade, pour venger le meurtre de son fils, car tu as accompli des crimes qu'on ne peut supporter. Toutefois, puisque tu es venue en suppliante et que tu es de ma race, je ne méditerai aucun malheur nouveau contre toi qui t'es rendue ici. Mais sors de cette demeure, toi qui es la compagne d'un étranger, quel qu'il soit, cet inconnu que tu as choisi, sans l'aveu de ton père. Ne reste pas à mon foyer, me suppliant à genoux. Car je n'approuverai pas tes desseins et ta faute honteuse. »

Elle parla ainsi; une douleur insupportable s'empara de Médée; ayant jeté son voile sur ses yeux, elle pleura en gémissant, jusqu'au moment où le héros, l'ayant prise par la main, l'emmena, tremblante d'effroi, hors des portes; ils quittèrent ainsi la demeure de Circé.

Οὐδ' ἄλοχον Κρονίδαο Διὸς λάθον· ἀλλά οἱ Ἰρις
πέφραδεν, εὖτ' ἐνόησεν ἀπὸ μεγάροιο κιόντας.
Αὐτὴ γάρ μιν ἄνωγε δοκευέμεν, ὁππότε νῆα 755
στείχοιεν· τὸ καὶ αὖτις ἐποτρύνουσ' ἀγόρευεν·
"Ἰρι φίλη, νῦν, εἴ ποτ' ἐμὰς ἐτέλεσσας ἐφετμάς,
εἰ δ' ἄγε λαιψηρῇσι μετοιχομένη πτερύγεσσιν,
δεῦρο Θέτιν μοι ἄνωχθι μολεῖν ἁλὸς ἐξανιοῦσαν.
Κείνης γὰρ χρειώ με κιχάνεται. Αὐτὰρ ἔπειτα 760
ἐλθεῖν εἰς ἀκτάς, ὅθι τ' ἄκμονες Ἡφαίστοιο
χάλκειοι στιβαρῇσιν ἀράσσονται τυπίδεσσιν·
εἰπὲ δὲ κοιμῆσαι φύσας πυρός, εἰσόκεν Ἀργὼ
τάσγε παρεξελάσῃσιν. τὰρ καὶ ἐς Αἴολον ἐλθεῖν,
Αἴολον, ὅς τ' ἀνέμοις αἰθρηγενέεσσιν ἀνάσσει· 765
καὶ δὲ τῷ εἰπέμεναι τὸν ἐμὸν νόον, ὥς κεν ἀήτας
πάντας ἀπολλήξειεν ὑπ' ἠέρι, μηδέ τις αὔρη
τρηχύνοι πέλαγος· Ζεφύρου γε μὲν οὖρος ἀήτω,
ὄφρ' οἵγ' Ἀλκινόου Φαιηκίδα νῆσον ἵκωνται."

Ὧς ἔφατ'· αὐτίκα δ' Ἰρις ἀπ' Οὐλύμποιο θοροῦσα 770
τέμνε, τανυσσαμένη κοῦφα πτερά. Δῦ δ' ἐνὶ πόντῳ
Αἰγαίῳ, τόθι πέρ τε δόμοι Νηρῆος ἔασιν.
Πρώτην δ' εἰσαφίκανε Θέτιν, καὶ ἐπέφραδε μῦθον
Ἥρης ἐννεσίῃς, ὦρσέν τέ μιν εἰς ἓ νέεσθαι.
Δεύτερα δ' εἰς Ἥφαιστον ἐβήσατο· παῦσε δὲ τόνγε 775
ῥίμφα σιδηρείων τυπίδων· ἔσχοντο δ' ἀυτμῆς
αἰθαλέοι πρηστῆρες. τὰρ τρίτον εἰσαφίκανεν
Αἴολον Ἱππότεω παῖδα κλυτόν. φρα δὲ καὶ τῷ
ἀγγελίην φαμένη θοὰ γούνατα παῦσεν ὁδοῖο,
τόφρα Θέτις Νηρῆα κασιγνήτας τε λιποῦσα 780
ἐξ ἁλὸς Οὔλυμπόνδε θεὰν μετεκίαθεν Ἥρην·
ἡ δέ μιν ἆσσον ἑοῖο παρεῖσέ τε, φαῖνέ τε μῦθον·
"Κέκλυθι νῦν, Θέτι δῖα, τά τοι ἐπιέλδομ' ἐνισπεῖν.
Οἶσθα μέν, ὅσσον ἐμῇσιν ἐνὶ φρεσὶ τίεται ἥρως
Αἰσονίδης, οἱ δ' ἄλλοι ἀοσσητῆρες ἀέθλου, 785
οἵως τέ σφ' ἐσάωσα διὰ πλαγκτὰς περόωντας
πέτρας, ἔνθα πάρος δειναὶ βρομέουσι θύελλαι,
κύματά τε σκληρῇσι περιβλύει σπιλάδεσσιν.
Νῦν δὲ παρὰ Σκύλλης σκόπελον μέγαν ἠδὲ Χάρυβδιν
δεινὸν ἐρευγομένην δέχεται ὁδός. λλά σε γὰρ δὴ 790
ἐξέτι νηπυτίης αὐτὴ τρέφον ἠδ' ἀγάπησα
ἔξοχον ἀλλάων, αἵ τ' εἰν ἁλὶ ναιετάουσιν,
οὕνεκεν οὐκ ἔτλης εὐνῇ Διὸς ἱεμένοιο
λέξασθαι. Κείνῳ γὰρ ἀεὶ τάδε ἔργα μέμηλεν,
ἠὲ σὺν ἀθανάταις ἠὲ θνητῇσιν ἰαύειν. 795
λλ' ἐμὲ αἰδομένη καὶ ἐνὶ φρεσὶ δειμαίνουσα,
ἠλεύω· ὁ δ' ἔπειτα πελώριον ὅρκον ὄμοσσεν,
μήποτέ σ' ἀθανάτοιο θεοῦ καλέεσθαι ἄκοιτιν.
μπης δ' οὐ μεθίεσκεν ὀπιπεύων ἀέκουσαν,

εἰσότε οἱ πρέσβειρα Θέμις κατέλεξεν ἅπαντα,
800
ὡς δή τοι πέπρωται ἀμείνονα πατρὸς ἑοῖο
παῖδα τεκεῖν· τῶ καί σε λιλαιόμενος μεθέηκεν,
δείματι, μή τις ἑοῦ ἀντάξιος ἄλλος ἀνάσσοι
ἀθανάτων, ἀλλ' αἰὲν ἑὸν κράτος εἰρύοιτο.
Αὐτὰρ ἐγὼ τὸν ἄριστον ἐπιχθονίων πόσιν εἶναι
805
δῶκά τοι, ὄφρα γάμου θυμηδέος ἀντιάσειας,
τέκνα τε φιτύσαιο· θεοὺς δ' ἐς δαῖτ' ἐκάλεσσα
πάντας ὁμῶς· αὐτὴ δὲ σέλας χείρεσσιν ἀνέσχον
νυμφίδιον, κείνης ἀγανόφρονος εἵνεκα τιμῆς.
λλ' ἄγε καί τινά τοι νημερτέα μῦθον ἐνίψω.
810
Εὖτ' ἂν ἐς Ἠλύσιον πεδίον τεὸς υἱὸς ἵκηται,
ὃν δὴ νῦν Χείρωνος ἐν ἤθεσι Κενταύροιο
νηιάδες κομέουσι τεοῦ λίπτοντα γάλακτος,
χρειώ μιν κούρης πόσιν ἔμμεναι Αἰήταο
Μηδείης· σὺ δ' ἄρηγε νυῷ ἑκυρή περ ἐοῦσα,
815
ἠδ' αὐτῷ Πηλῆι. Τί τοι χόλος ἐστήρικται;
ἀάσθη. Καὶ γάρ τε θεοὺς ἐπινίσσεται ἄτη.
Ναὶ μὲν ἐφημοσύνῃσιν ἐμαῖς Ἥφαιστον ὀίω
λωφήσειν πρήσοντα πυρὸς μένος, Ἱπποτάδην δὲ
Αἴολον ὠκείας ἀνέμων ἄικας ἐρύξειν,
820
νόσφιν ἐυσταθέος ζεφύρου, τείως κεν ἵκωνται
Φαιήκων λιμένας· σὺ δ' ἀκηδέα μήδεο νόστον.
Δεῖμα δέ τοι πέτραι καὶ ὑπέρβια κύματ' ἔασιν
μοῦνον, ἅ κεν τρέψαιο κασιγνήτῃσι σὺν ἄλλαις.
Μηδὲ σύγ' ἠὲ Χάρυβδιν ἀμηχανέοντας ἐάσῃς
825
ἐσβαλέειν, μὴ πάντας ἀναβρόξασα φέρῃσιν,
ἠὲ παρὰ Σκύλλης στυγερὸν κευθμῶνα νέεσθαι,
Σκύλλης Αὐσονίης ὀλοόφρονος, ἣν τέκε Φόρκυι
νυκτιπόλος Ἑκάτη, τήν τε κλείουσι Κράταιιν,
μή πως σμερδαλέῃσιν ἐπαΐξασα γένυσσιν
830
λεκτοὺς ἡρώων δηλήσεται. λλ' ἔχε νῆα
κεῖσ', ὅθι περ τυτθή γε παραίβασις ἔσσετ' ὀλέθρου."

suite
 

v. 753-832.  Mais ils ne restèrent pas cachés à l'épouse du Cronide Zeus; car Iris les lui fit voir, quand elle les aperçut sortant de la demeure. Héra lui avait, en effet, ordonné d'épier le moment où ils iraient vers le navire. Aussi, elle lui adressa ces paroles pour l'exhorter : « Chère Iris, si jamais tu as exécuté mes ordres, va maintenant, t'élançant sur tes ailes rapides; ordonne à Thétis de sortir de la mer et de venir me trouver ici : car j'ai besoin d'elle. Ensuite, tu iras vers les rivages où les enclumes d'airain d'Héphaistos sont heurtées par les durs marteaux; dis-lui de tenir en repos les soufflets qui excitent le feu, jusqu'à ce qu'Argo ait dépassé ces rivages. Puis, tu iras encore vers Aiolos, Aiolos qui commande aux vents nés de la région supérieure de l'air. Dis-lui ma volonté : qu'il arrête tous les souffles dans l'espace, qu'aucun vent ne hérisse la mer. Seule, la brise du Zéphyre doit souffler jusqu'à ce que ceux-ci soient arrivés dans l'île Phaiacienne d'Alcinoos. »

Elle parla ainsi : aussitôt, s'élançant de l'Olympe, Iris fendait l'air, ayant déployé ses ailes légères. Elle pénétra sous la mer Egée, là où sont les demeures de Nérée. Tout 163 d'abord, elle alla trouver Thétis ; elle lui parla suivant les instructions d'Héra, et lui commanda de se rendre auprès de la déesse. En second lieu, elle se dirigea vers Héphaistos et lui fit arrêter aussitôt le mouvement de ses marteaux de fer : déjà les soufflets noircis par le feu retenaient leur haleine. En troisième lieu, elle se rendit auprès d'Aiolos, l'illustre fils d'Hippotas. En même temps que, lui rapportant son message, elle faisait terminer leur course à ses rapides genoux, Thétis, ayant quitté Nérée et ses propres sœurs, allait de la mer au ciel, vers la déesse Héra. Celle-ci la fit asseoir auprès d'elle et lui déclara ses intentions: « Écoute maintenant, ô divine Thétis, ce que je désire te dire. Tu sais, certes, combien est cher à mon cœur le héros Aisonide, ainsi que les autres héros qui l'aident dans son entreprise; tu sais comment je les ai sauvés alors qu'ils pénétraient au travers des roches mobiles, dans ce passage où de terribles tempêtes accueillent en grondant les navigateurs, où les flots jaillissent de tous côtés sur les durs rochers. Maintenant, le grand roc de Scylla et Charybde, qui rejette les flots d'une manière horrible, se trouvent sur leur route. Or, je t'ai nourrie moi-même depuis ton enfance, et chérie par-dessus toutes les déesses qui demeurent dans la mer : à cause de cela, tu as craint d'entrer dans le lit de Zeus qui le désirait. Certes, il a toujours à cœur de pareilles entreprises, qu'il s'agisse de coucher soit avec des immortelles, soit avec des mortelles. Mais, pleine de respect pour moi, effrayée dans ton cœur, tu l'as fui; et ensuite il a juré, en s'engageant par un serment terrible, que tu ne serais jamais appelée la compagne d'un dieu immortel. Cependant il n'a pas cessé de tourner vers toi et malgré toi ses regards, jusqu'au jour où la vénérable Thémis lui a fait connaître toutes choses: la fatalité avait ordonné que tu enfanterais un fils supérieur à son père. Aussi, quoique enflammé de désirs, il a renoncé à toi, dans la crainte que quelque dieu égal à lui ne régnât sur les immortels; car il voulait garder pour lui-même sa puissance a jamais. Mais, moi, je t'ai 164 donné pour époux le meilleur de ceux qui habitent la terre, afin qu'il te fût possible d'obtenir un mariage agréable à ton cœur, et d'avoir des enfants; j'ai appelé aux festins des noces l'assemblée de tous les dieux; moi-même, j'ai tenu dans mes mains la torche nuptiale, en témoignage de l'honneur flatteur que je te faisais. Or, écoute, je vais te dire une parole infaillible : quand ton fils sera arrivé à la plaine Elyséenne, ton fils, enfant privé du lait de sa mère, que les Naïades élèvent maintenant dans les demeures du centaure Chiron, il doit être l'époux de la fille d'Aiétès, de Médée; toi donc, belle-mère future, viens au secours de ta bru et de Pelée lui-même. Pourquoi cet inflexible courroux contre lui? Il a commis une faute; mais les fautes fatales atteignent les dieux mêmes. Certes, je pense que, sur mon ordre, Héphaistos va s'arrêter de faire jaillir la violence du feu; et l'Hippotade Aiolos apaisera l'élan rapide des vents, excepté le souffle calme du Zéphyre, jusqu'au moment où ils seront arrivés dans les ports des Phaiaciens. Mais toi, prépare-leur un retour sûr. Ils n'ont à craindre que les rochers et les vagues irrésistibles : détourne-les d'eux avec l'aide de tes sœurs. Ne les laisse pas donner dans leur impuissance sur Charybde, de peur qu'elle ne les emporte en les engloutissant tous. Ne les laisse pas arriver au gouffre haïssable de Scylla, de cette Scylla, monstre malfaisant d'Ausonie, que la déesse vagabonde des nuits, Hécate, enfanta à Phorcos, et qu'on appelle Crataïs : car, se précipitant, armée de ses horribles mâchoires, elle détruirait cette élite de héros. Mais dirige le navire du côté ou un passage, bien étroit, sans doute, leur permettra d'échapper à la mort. »