Aristote : Premiers analytiques

ARISTOTE

 

PREMIERS ANALYTIQUES

LIVRE SECOND

SECTION TROISIÈME ANALYSE DES SYLLOGISMES EN FIGURES ET EN MODES

CHAPITRE XXVII

chapitre XXVI - Derniers analytiques : plan général 

 

 

PREMIERS ANALYTIQUES

 

 

 

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CHAPITRE XXVII.

De l'Enthymème.— Définitions et différences du Vraisemblable et du Signe. — Définition de l'Enthymème. — Première, troisième, seconde figures .— Différence du Signe et du Syllogisme. — Différences des Enthymèmes selon les figures. — Du Signe et de la Preuve.

Application de cette théorie à l'étude des qualités naturelles des êtres. — Du Syllogisme physiognomonique. 

1  Ἐνθύμημα δὲ ἐστὶ συλλογισμὸς ἐξ εἰκότων ἢ σημείων,〉 εἰκὸς δὲ καὶ σημεῖον οὐ ταὐτόν ἐστιν, ἀλλὰ τὸ μὲν εἰκός ἐστι πρότασις ἔνδοξος· ὃ γὰρ ὡς ἐπὶ τὸ πολὺ ἴσασιν οὕτω γινόμενον ἢ μὴ γινόμενον ἢ ὂν ἢ μὴ ὄν, τοῦτ´ ἐστὶν εἰκός, οἷον τὸ μισεῖν τοὺς φθονοῦντας ἢ τὸ φιλεῖν τοὺς ἐρωμένους. 2 Σημεῖον δὲ βούλεται εἶναι πρότασις ἀποδεικτικὴ ἢ ἀναγκαία ἢ ἔνδοξος· οὗ γὰρ ὄντος ἔστιν ἢ οὗ γενομένου πρότερον ἢ ὕστερον γέγονε τὸ πρᾶγμα, τοῦτο σημεῖόν ἐστι τοῦ γεγονέναι ἢ εἶναι.

3 [νθύμημα . . . σημείων] 4 λαμβάνεται δὲ τὸ σημεῖον τριχῶς, ὁσαχῶς καὶ τὸ μέσον ἐν τοῖς σχήμασιν· ἢ γὰρ ὡς ἐν τῷ πρώτῳ ἢ ὡς ἐν τῷ μέσῳ ἢ ὡς ἐν τῷ τρίτῳ, 5 οἷον τὸ μὲν δεῖξαι κύουσαν διὰ τὸ γάλα ἔχειν ἐκ τοῦ πρώτου σχήματος· μέσον γὰρ τὸ γάλα ἔχειν. φ´ ᾧ τὸ Α κύειν, τὸ Β γάλα ἔχειν, γυνὴ ἐφ´ ᾧ Γ. 6 Τὸ δ´ ὅτι οἱ σοφοὶ σπουδαῖοι, Πιττακὸς γὰρ σπουδαῖος, διὰ τοῦ ἐσχάτου. φ´ ᾧ Α τὸ σπουδαῖον, ἐφ´ ᾧ Β οἱ σοφοί, ἐφ´ ᾧ Γ Πιττακός. ληθὲς δὴ καὶ τὸ Α καὶ τὸ Β τοῦ Γ κατηγορῆσαι· πλὴν τὸ μὲν οὐ λέγουσι διὰ τὸ εἰδέναι, τὸ δὲ λαμβάνουσιν. 7 Τὸ δὲ κύειν, ὅτι ὠχρά, διὰ τοῦ μέσου σχήματος βούλεται εἶναι· ἐπεὶ γὰρ ἕπεται ταῖς κυούσαις τὸ ὠχρόν, ἀκολουθεῖ δὲ καὶ ταύτῃ, δεδεῖχθαι οἴονται ὅτι κύει. Τὸ ὠχρὸν ἐφ´ οὗ τὸ Α, τὸ κύειν ἐφ´ οὗ Β, γυνὴ ἐφ´ οὗ Γ.

8 Ἐὰν μὲν οὖν ἡ μία λεχθῇ πρότασις, σημεῖον γίνεται μόνον, ἐὰν δὲ καὶ ἡ ἑτέρα προσληφθῇ, συλλογισμός, οἷον ὅτι Πιττακὸς ἐλευθέριος· οἱ γὰρ φιλότιμοι ἐλευθέριοι, Πιττακὸς δὲ φιλότιμος. πάλιν ὅτι οἱ σοφοὶ ἀγαθοί· Πιττακὸς γὰρ ἀγαθός, ἀλλὰ καὶ σοφός. Οὕτω μὲν οὖν γίνονται συλλογισμοί, 9 πλὴν ὁ μὲν διὰ τοῦ πρώτου σχήματος ἄλυτος, ἂν ἀληθὴς ᾖ (καθόλου γάρ ἐστιν), ὁ δὲ διὰ τοῦ ἐσχάτου λύσιμος, κἂν ἀληθὲς ᾖ τὸ συμπέρασμα, διὰ τὸ μὴ εἶναι καθόλου μηδὲ πρὸς τὸ πρᾶγμα τὸν συλλογισμόν· οὐ γὰρ εἰ Πιττακὸς σπουδαῖος, διὰ τοῦτο καὶ τοὺς ἄλλους ἀνάγκη σοφούς. δὲ διὰ τοῦ μέσου σχήματος ἀεὶ καὶ πάντως λύσιμος· οὐδέποτε γὰρ γίνεται συλλογισμὸς οὕτως ἐχόντων τῶν ὅρων· οὐ γὰρ εἰ ἡ κύουσα ὠχρά, ὠχρὰ δὲ καὶ ἥδε, κύειν ἀνάγκη ταύτην.

10 ληθὲς μὲν οὖν ἐν ἅπασιν ὑπάρξει τοῖς σημείοις, διαφορὰς δ´ ἔχουσι τὰς εἰρημένας.

[71] 11 Ἢ δὴ οὕτω διαιρετέον τὸ σημεῖον, τούτων δὲ τὸ μέσον τεκμήριον ληπτέον (τὸ γὰρ τεκμήριον τὸ εἰδέναι ποιοῦν φασὶν εἶναι, τοιοῦτο δὲ μάλιστα τὸ μέσον), ἢ τὰ μὲν ἐκ τῶν ἄκρων σημεῖον λεκτέον, τὰ δ´ ἐκ τοῦ μέσου τεκμήριον· ἐνδοξότατον γὰρ καὶ μάλιστα ἀληθὲς τὸ διὰ τοῦ πρώτου σχήματος. 12 Τὸ δὲ φυσιογνωμονεῖν δυνατόν ἐστιν, εἴ τις δίδωσιν ἅμα μεταβάλλειν τὸ σῶμα καὶ τὴν ψυχὴν ὅσα φυσικά ἐστι παθήματα· μαθὼν γὰρ ἴσως μουσικὴν μεταβέβληκέ τι τὴν ψυχήν, ἀλλ´ οὐ τῶν φύσει ἡμῖν ἐστὶ τοῦτο τὸ πάθος, ἀλλ´ οἷον ὀργαὶ καὶ ἐπιθυμίαι τῶν φύσει κινήσεων. Εἰ δὴ τοῦτό τε δοθείη καὶ ἓν ἑνὸς σημεῖον εἶναι, καὶ δυναίμεθα λαμβάνειν τὸ ἴδιον ἑκάστου γένους πάθος καὶ σημεῖον, δυνησόμεθα φυσιογνωμονεῖν. Εἰ γάρ ἐστιν ἰδίᾳ τινὶ γένει ὑπάρχον ἀτόμῳ πάθος, οἷον τοῖς λέουσιν ἀνδρεία, ἀνάγκη καὶ σημεῖον εἶναί τι· συμπάσχειν γὰρ ἀλλήλοις ὑπόκειται. Καὶ ἔστω τοῦτο τὸ μεγάλα τὰ ἀκρωτήρια ἔχειν· ὃ καὶ ἄλλοις ὑπάρχειν γένεσι μὴ ὅλοις ἐνδέχεται. Τὸ γὰρ σημεῖον οὕτως ἴδιόν ἐστιν, ὅτι ὅλου γένους ἴδιόν ἐστι [πάθος], καὶ οὐ μόνου ἴδιον, ὥσπερ εἰώθαμεν λέγειν. πάρξει δὴ καὶ ἐν ἄλλῳ γένει τοῦτο, καὶ ἔσται ἀνδρεῖος [ὁ] ἄνθρωπος καὶ ἄλλο τι ζῷον. ξει ἄρα τὸ σημεῖον· ἓν γὰρ ἑνὸς ἦν. 13 Εἰ τοίνυν ταῦτ´ ἐστί, καὶ δυνησόμεθα τοιαῦτα σημεῖα συλλέξαι ἐπὶ τούτων τῶν ζῴων ἃ μόνον ἓν πάθος ἔχει τι ἴδιον, ἕκαστον δ´ ἔχει σημεῖον, ἐπείπερ ἓν ἔχειν ἀνάγκη, δυνησόμεθα φυσιογνωμονεῖν. 14 Εἰ δὲ δύο ἔχει ἴδια ὅλον τὸ γένος, οἷον ὁ λέων ἀνδρεῖον καὶ μεταδοτικόν, πῶς γνωσόμεθα πότερον ποτέρου σημεῖον τῶν ἰδίᾳ ἀκολουθούντων σημείων; ἢ εἰ ἄλλῳ τινὶ μὴ ὅλῳ ἄμφω, καὶ ἐν οἷς μὴ ὅλοις ἑκάτερον, ὅταν τὸ μὲν ἔχῃ τὸ δὲ μή· εἰ γὰρ ἀνδρεῖος μὲν ἐλευθέριος δὲ μή, ἔχει δὲ τῶν δύο τοδί, δῆλον ὅτι καὶ ἐπὶ τοῦ λέοντος τοῦτο σημεῖον τῆς ἀνδρείας. 15 Ἔστι δὴ τὸ φυσιογνωμονεῖν τῷ ἐν τῷ πρώτῳ σχήματι τὸ μέσον τῷ μὲν πρώτῳ ἄκρῳ ἀντιστρέφειν, τοῦ δὲ τρίτου ὑπερτείνειν καὶ μὴ ἀντιστρέφειν, οἷον ἀνδρεία τὸ Α, τὰ ἀκρωτήρια μεγάλα ἐφ´ οὗ Β, τὸ δὲ Γ λέων. δὴ τὸ Γ, τὸ Β παντί, ἀλλὰ καὶ ἄλλοις. δὲ τὸ Β, τὸ Α παντὶ καὶ οὐ πλείοσιν, ἀλλ´ ἀντιστρέφει· εἰ δὲ μή, οὐκ ἔσται ἓν ἑνὸς σημεῖον.  

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1 Il ne faut pas confondre le Vraisemblable et le Signe; le Vraisemblable n'est qu'une proposition probable ; et l'on entend par probable ce qui, dans la plupart des cas, arrive ou n'arrive point, est ou n'est point.; par exemple : Les hommes haïssent ceux qui les envient; ils aiment ceux qui les aiment. 2 Le Signe, au contraire, tend à être précisément la proposition démonstrative, soit nécessaire, soit probable. La chose dont l'existence ou la production entraîne l'existence d'une autre chose, soit antérieure, soit postérieure, c'est là ce qu'on appelle le Signe, indiquant que l'autre chose est arrivée ou qu'elle existe.

3 L'Enthymème est donc un syllogisme formé de propositions vraisemblables ou de Signes.  4 Le Signe, d'ailleurs, peut avoir trois fonctions diverses, autant que le moyen peut avoir de positions dans les figures, soit comme dans la première, soit comme dans la moyenne, soit comme dans la troisième. 5 Par exemple, c'est la première figure, quand on démontre qu'une femme est grosse parce qu'elle a du lait; car le moyen, c'est avoir du lait. A représente être grosse, B, avoir du lait, et C, la femme. 6 Mais, quand on prouve que les sages sont vertueux, parce que Pittacus est vertueux, c'est la dernière figure qu'on emploie ; A représente vertueux, Β, les sages, et C, Pittacus. Il est certainement vrai d'attribuer A et B.à C; seulement l'on supprime l'une des propositions, parce qu'on la connaît; et l'on ne conserve que l'autre. 7 Si l'on prouve qu'une  femme est grosse parce qu'elle est pâle, on emploie la figure moyenne. En effet, c'est parce que la pâleur vient à toutes les femmes grosses, et qu'elle vient aussi à cette femme, que l'on croit avoir démontré que cette femme est grosse ; la pâleur représentée par A, être grosse, par B, et femme, par C.

8 Si donc l'on n'exprime qu'une seule proposition, c'est seulement le Signe; et, si l'on ajoute la seconde, c'est un syllogisme. Par exemple, Pittacus est généreux ; car les ambitieux sont généreux; et Pittacus est ambitieux. Ou bien encore : Les sages sont bons; car Pittacus est bon ; et, de plus, il est sage. C'est donc ainsi que l'on forme tous ces syllogismes. 9 Seulement celui qui se produit par la première figure est irréprochable, s'il est vrai, parce qu'il est universel. Celui qui se forme par la dernière peut être attaqué, bien que la conclusion soit vraie; car ce syllogisme n'est pas universel, et il n'est pas directement relatif à la question. En effet, de ce que Pittacus est vertueux, il ne s'ensuit pas nécessairement que les autres sages soient vertueux comme lui. Quant au syllogisme qui se forme par la figure moyenne, il est toujours parfaitement attaquable; car il n'y a jamais de syllogisme possible quand les termes sont ainsi disposés. Par exemple, de ce que la femme grosse est pâle, et de ce que telle femme est pâle, il ne s'ensuit pas nécessairement que cette femme soit grosse.

10 Ainsi donc on pourra conclure le vrai dans toutes les figures ; mais ce sera avec les différences que je viens de dire.

11 Peut-être pourrait-on aussi établir la division suivante entre les Signes. Parmi eux, on appellerait Preuve celui qui est moyen ; car on dit que la Preuve est ce qui fait savoir; et c'est surtout le moyen qui a cette propriété. L'on réserverait alors le nom de Signe pour ceux qui occuperaient les positions extrêmes, tandis que la preuve serait le Signe même tiré de la position moyenne; car le plus probable et le plus vrai est celui qui prouve par la première figure. 12 Il serait donc possible de connaître la nature intime des êtres, si l'on accorde que les qualités naturelles modifient le corps et l'âme à la fois. On peut bien dire que celui qui apprend la musique a l'âme modifiée d'une certaine manière ; mais cette modification ne peut compter au nombre de nos qualités naturelles. Au contraire, les passions, les désirs, sont des mouvements tout à fait de nature. Si donc l'on accordait ce premier point; si, de plus, on accordait qu'il n'y a qu'un seul Signe pour une seule qualité ; et si, enfin, nous pouvions arriver à connaître la qualité et son Signe propre dans tous les genres d'êtres, nous serions alors capables de connaître la nature de ces êtres. En effet, si telle qualité est particulière à une certaine classe d'êtres, comme le courage au lion, il faut nécessairement que cette qualité se révèle par quelque Signe ; car on a supposé que l'âme et le corps sont affectés l'un avec l'autre. Admettons que le Signe, ici, soit d'avoir de fortes extrémités, qualité qui ne peut pas appartenir à d'autres genres tout entiers, puisque l'on dit que le Signe est propre, en ce sens qu'il appartient à tout le genre, mais non pas en ce sens qu'il n'appartient qu'à ce genre seulement, comme nous le disons habituellement. Ainsi donc, ce même Signe se représentera dans un autre genre ; et l'homme ou tel autre animal sera courageux ; par conséquent, il aura ce Signe spécial, puisque nous avons admis qu'il n'y en avait qu'un seul pour une seule qualité. 13 Si donc cela est vrai, et que nous puissions réunir des Signes analogues par l'étude des êtres qui n'ont qu'une seule qualité spéciale, en admettant toujours que chacune de ces qualités a son Signe, et que nécessairement elle n'en a qu'un seul, nous pourrons fort bien, à ces conditions, deviner la nature des êtres. 14 Mais, quand le genre tout entier a deux qualités qui lui sont propres, le lion, par exemple, qui a le courage à la fois et la générosité , comment reconnaîtrons-nous, parmi ces signes propres au genre, quel est le signe spécial de l'une ou l'autre qualité? Est-ce, en regardant si ces deux qualités sont à un autre genre, sa as être toutes deux à ce genre entier; tel individu, dans la totalité de ce genre, ayant l'une de ces qualités sans avoir la seconde? En voyant, par exemple, que tel individu est courageux sans être généreux, s'il a l'un des deux signes, il est évident que, dans le lion, c'est bien toujours le signe du courage. 15 Deviner ainsi la nature des êtres est possible par la première figure, quand le moyen est réciproque au premier extrême, et qu'il dépasse le troisième, auquel il n'est pas réciproque. Ainsi, soit le courage A, les fortes extrémités B, C le lion. Β est à tout ce à quoi est C ; mais il est aussi à d'autres êtres ; A est aussi à tout ce à quoi est B; mais, comme il n'est pas à d'autres choses, il lui est parfaitement réciproque. Autrement, il n'y aurait pas un signe unique pour une qualité unique.

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Aristote ne donne point au mot Enthymème le sens qu'on lui a donné plus tard en rhétorique, et que nous lui donnons habituellement encore. Dans le langage ordinaire, Enthymème signifie un syllogisme qui n'a qu'une prémisse, la mineure le plus souvent, avec la conclusion ; la majeure étant sous-entendue comme parfaitement évidente. Pour Aristote, ce n'est pas là le caractère distinctif de l'Enthymème ; car ce caractère est plus général, et il appartient aussi bien à l'Induction, à l'Exemple. Pour lui, l'Enthymème est un syllogisme qui a, soit ses deux propositions, soit une seule, mais dont les prémisses, ou la seule prémisse exprimée, sont des propositions tirées du vraisemblable, et non pas du vrai. Ainsi, Aristote s'attache ici, comme pour les autres espèces de raisonnement, au fond, et non point à la forme. Que les prémisses soient ou ne soient pas expressément posées, peu importe. La conclusion n'en est pas moins nécessaire ; et la nécessité de la conclusion ne peut jamais venir que de trois termes et de deux propositions, énoncées ou sous-entendues. Dans le syllogisme proprement dit, dans le syllogisme démonstratif, les propositions sont vraies; dans le syllogisme entbymématique elles sont vraisemblables seulement. La conclusion est syllogistiquement nécessaire ; mais elle n'est pas vraie nécessairement, parce que les prémisses dont on la tire ne reposent elles-mêmes que sur le probable. Telle chose est le signe habituel de telle autre ; on conclut, dès que la première apparaît, que la seconde existe; cette conclusion peut être probable; mais elle n'est pas certaine. Ainsi, dans tous les syllogismes où l'une des propositions énoncera le signe qui, d'ordinaire, indique la chose même mise en conclusion, on fera un Enthymème. Les exemples qui suivent un peu plus bas rendront ceci plus clair.

§ 1. L'Enthymème étant formé da propositions qui expriment le vraisemblable et le signe, il faut définir le vraisemblable et le signe avant de définir l'Enthymème. Voir plus bas, §§ 2 et 3.

Par exemple, les hommes détestent..., ce sont là deux propositions probables; car ordinairement on rend haine pour haine, affection pour affection. La phrase grecque peut prêter ici à une amphibologie. J'ai choisi le sens qui m'a paru le plus naturel. L'autre sens serait : Les envieux baissent ceux qu'ils envient : les amants chérissent l'objet de leur passion. Peu importe du reste celui des deux sens qu'on choisit ; de part et d'autre, on obtient des propositions probables.

§ 2. Le Signe peut être nécessaire, et la proposition qu'il forme est alors nécessaire; ce qui ne peut arriver avec le vraisemblable. Parfois le signe ne donne aussi qu'une simple probabilité. Le vraisemblable peut être posé d'une manière absolue : le signe a toujours rapport à la chose même dont il est le signe. Le signe du reste peut être antérieur ou postérieur. Une chose est arrivée : un signe qui reste après elle, annonce qu'elle a été. Quand elle n'est pas encore arrivée, un signe qui la précède peut annoncer qu'elle arrivera ; et le signe est alors antérieur à la chose qu'il indique. Le signe et la chose peuvent être contemporains. La chose est : elle se révèle par un signe qui existe en même temps qu'elle, et qui peut d'ailleurs disparaître avec elle ou lui survivre.

§ 3. Définition de l'Enthymème, qui, pour être bien comprise, avait besoin des définitions antérieures du vraisemblable et du signe.

Est un syllogisme. Après ce mot de syllogisme, la plupart des éditions ajoutent : incomplet. Pacius repousse avec toute raison cette variante. L'Enthymème n'est pas du tout un syllogisme incomplet ; car dans les exemples mêmes que cite Aristote, §§ 4,5, 6, les Enthymèmes ont leurs deux prémisses. De plus, cette épithète d'incomplet a été réservée par Aristote pour les syllogismes de la seconde et de la troisième figures qui ont besoin de la conversion pour que la conclusion soit de toute évidence. Voir liv. I, ch. 1, §§ 3 et v. Albert-le-Grand parait n'avoir point eu cette leçon d'incomplet, qui est fautive, et que d'ailleurs plusieurs manuscrits ne donnent pas. L'édition de Berlin ne l'a pas conservée.

§ 4. Aristote, en admettant ici que le signe peut former un syllogisme de la seconde figure, semble contredire ce qu'il a établi dans le chapitre précédent, § 9. Il y a dit que le signe ne pouvait jamais donner un syllogisme de la seconde figure : c'est qu'en effet le signe, quand il est ainsi obtenu, n'est pas régulier. Voir plus bas, § 7 et §  9. Le signe peut donc avoir les trois positions du moyen : sujet et attribut, comme le moyen dans la première figure : attribut des deux extrêmes, comme dans la seconde : sujet des deux extrêmes, comme dans la troisième.

§ 5. Première position du signe : sujet du majeur, attribut du mineur, comme le moyen dans la première figure : Toute femme qui a du lait est grosse : or, cette femme a du lait ; Donc cette femme est grosse ; avoir du lait étant le signe de la grossesse, et servant de moyen terme. Le syllogisme est en Darii.

§ 6. Seconde position du signe : sujet des deux extrêmes, comme le moyen dans la troisième figure : Pittacus est vertueux : Pittacus est sage ; Donc les sages sont vertueux. Pittacus et sa conduite vertueuse sont pris ici comme le signe de la vertu des sages. Le syllogisme n'est pas régulier, et ne peut se ramener à aucun des modes de la troisième figure. La conclusion est même tirée de deux particulières ; ce qui contredit la règle générale de tous les syllogismes, exigeant de l'universel dans les prémisses. Liv. I, cb. 24, § 1. Voir plus bas, § 9.

— Aristote a placé l'Enthymème de la troisième figure avant celui de la seconde, parce qu'il est encore moins imparfait.

Mais quand on prouve que les sages sont vertueux, voilà l'Enthymème sous la forme vulgaire, c'est-à-dire, avec une seule proposition et la conclusion. Pittacus est vertueux ; Donc les sages sont vertueux, parce qu'on connaît évidemment que Pittacus est sage, mineure que l'on supprime.

L'une des propositions , la mineure.

On ne conserve que l'autre, la majeure.

§ 7. Troisième position du signe, attribut des deux extrêmes, comme le moyen dans la seconde figure: Toute femme grosse est pâle : cette femme est pâle ; Donc elle est grosse. On sait que la forme de ce syllogisme est irrégulière, puisqu'il conclut par le mode AI, qui est inutile dans la seconde figure. Voir liv. I, ch. 5, § 22.

Si l'on prouve qu'une femme est grosse parce qu'elle est pâle, forme vulgaire de l'Enthymème où la mineure seule est exprimée. Celte femme est pâle ; Donc elle est grosse.

§ 8. Quand on n'exprime qu'une seule des prémisses, on garde celle où est le signe; quand on les exprime toutes les deux, c'est un syllogisme complet, et enlhymémalique puisqu'il procède encore par le signe. L'ambition est le signe de la générosité ; et voici avec ce signe un syllogisme entier : Les ambitieux sont généreux : or, Pittacus est ambitieux; Donc Pittacus est généreux. Si l'on disait sous forme vulgaire : Pittacus est ambitieux; donc Pittacus est généreux, on ne conserverait que le signe dans la mineure où il est attribut.

— C'est un syllogisme, entier et enthymématique.

§ 9. De ces trois formes de l'Enthymème , celle qui a lieu dans la première figure est parfaitement régulière.

Parce qu'il est universel , c'est-à-dire, parce que la majeure est universelle, et que le moyen comme le mineur sont contenus dans sa totalité.

— Celui de la troisième figure n'est pas régulier, car il a une conclusion universelle ; mais cette conclusion ne se rapporte pas directement à la question ; car de ce que Pittacus est vertueux et sage, on ne peut conclure que tous les sages sont vertueux : la conclusion régulière serait que quelque sage est vertueux; et ce sage en particulier ne serait autre que Pittacus lui-même.

Ce syllogisme n'est pas universel, c'est-à-dire qu'aucune des prémisses n'est universelle ; ce qui est contre les règles générales du syllogisme.

— Enfin celui de la seconde figure est contre toutes les règles de cette figure, puisque les deux prémisses en sont affirmatives, tandis qu'il faudrait que l'une de deux fût négative.

§ 10. On pourra conclure le vrai, quand les propositions sont vraies.

§ 11. Celui qui est moyen, c'est-à-dire , qui est intermédiaire entre les deux termes, sujet du majeur, attribut du mineur ; c'est le signe de la première figure. On appellerait ce signe preuve ou indice. Les signes qui occupent les positions extrêmes, soit attributs des deux termes, soit sujets des deux termes, conserveraient le nom spécial de signes.

§ 12. Comme nous le disons habituellement. Voir la définition ordinaire du Propre, Topiques, liv. 1, ch. 5, § 5 où cette définition est développée.

§ 13. Cette étude des signes serait facile sur des êtres qui n'auraient qu'une seule qualité, laquelle se manifesterait à l'observation par un signe unique.

§ 14. Mais quand le genre a plusieurs qualités, et par suite plusieurs signes, à laquelle des qualités faudra-t-il attribuer tel signe? Pour le savoir, il faudra recourir a un genre différent qui aura les deux qualités ; mais sans que cependant ce genre tout entier les possède, c'est-à-dire, sans qu'elles appartiennent à tous les individus que ce genre renferme. Il arrivera que dans ce nouveau genre, tel individu aura l'une des qualités et le signe qui l'accompagne, tel aura l'autre des qualités avec son signe; alors on reconnaîtra la qualité spéciale qu'on cherche avec le signe qui lui appartient, et on pourra transporter cette observation au genre dont on désire connaître la nature. Ainsi, le lion est à la fois courageux et généreux, il a de fortes extrémités et un front large ; Est-ce le front large ou les fortes extrémités qui indiquent chez lui le courage? On observe, pour résoudre cette question, une autre espèce d'animaux ou ces qualités peuvent être aussi réunies, sans que cependant tous les individus de ce genre sans exception les possèdent. On y trouve un individu qui est courageux et qui en même temps a de fortes extrémités; donc les fortes extrémités seront en lui le signe du courage ; donc elles le seront également dans le lion. Or c'est précisément ce qu'on veut savoir.

§ 15. Quand le signe est spécial à la qualité, la qualité et le signe sont de même étendue > et sont par conséquent réciproques l'un à l'autre. Quand de plus le signe est plus étendu que le troisième terme, on peut construire un syllogisme où le signe joue le rôle du moyen dans la première figure. Soit A le courage, Β les fortes extrémités, C le lion; on a pour majeure AB, tous les animaux qui ont de fortes extrémités, et pour conclusion AC : Donc le lion est courageux.

Autrement il n'y aurait pas un signe unique, ce qui serait contre la dernière des trois hypothèses du § 12.

Il n'est pas besoin de faire remarquer tout ce que cette théorie a d'ingénieux et de profond. Aristote en a fait lui-même une superbe application dans son traité de Physiognomonie, science que d'ailleurs il a fondée.

FIN DES PREMIERS ANALYTIQUES.

 

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