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FLAVIUS JOSÈPHE
Guerre des juifs.
livre IV (suite)
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LIVRE 4 (suite du livre 4) III. Les zélateurs et Ananos 1. Réception de Jean à Jérusalem. - 2. Mouvements en Judée. - 3. Les zélateurs font irruption à Jérusalem. - 4-6. Excès des zélateurs. - 7-8. Insurrection d'Ananos ; les zélateurs occupent le Temple. - 9-10. Indignation populaire ; discours d' Ananos.- 11-12. Combat contre les zélateurs, qui sont bloqués dans le Temple. - 13. Trahison de Jean de Gischala. - 14. Jean conseille aux zélateurs de solliciter une aide étrangère. 1. [121] A l'entrée de Jean dans celte ville, tout le peuple se répandit au-devant de lui, et la multitude, groupée autour de chaque fugitif, le questionnait sur les malheurs survenus au dehors. La respiration brûlante et encore haletante de ces hommes témoignait de leur détresse ; mais ils montraient de la jactance dans l'infortune, déclarant qu'ils n'avaient pas fui devant les Romains, mais qu'ils venaient pour les combattre sur un terrain sûr. "Il eût été, disaient-ils, déraisonnable et inutile d'exposer témérairement nos vies pour Gischala et d'aussi faibles bourgades, alors qu'il faut réserver et employer nos armes et nos forces pour la défense de la métropole." Ils racontèrent ensuite la prise de Gischala, et la plupart des auditeurs comprirent que c'était bien une fuite qu'ils décoraient pompeusement du nom de retraite. Mais quand il apprit les nouvelles relatives aux prisonniers, le peuple fut extrêmement consterné et vit là une annonce du sort qui l'attendait si la ville était prise. Jean, sans rougir d'avoir abandonné ces malheureux, s'empressait auprès des groupes des citoyens et les exhortait à la guerre en exaltant leurs espérances. Les Romains, disait-il, étaient faibles ; ils disposaient eux-mêmes de grandes forces ; raillant l'ignorance du vulgaire, il prétendait que les Romains, eussent-ils des ailes, ne pourraient jamais franchir les murs de Jérusalem, après avoir éprouvé tant d'échecs autour des villages de Galilée et perdu tant de machines devant leurs remparts. 2. [128] Ces propos séduisirent la plupart des jeunes gens et les décidèrent à la guerre ; quant aux sages et aux vieillards, il n'y en avait pas un qui ne prévit les événements à venir et ne fût dans le deuil, comme si déjà la ville était perdue. Le peuple était donc en pleine confusion ; mais la multitude des campagnes avait précédé Jérusalem dans la voie de la sédition. Titus, passant de Gischala à Césarée et Vespasien de Césarée à Jamnia et Azot, soumirent ces villes et s'en retournèrent après y avoir établi des garnisons, emmenant avec eux un grand nombre de citoyens qui avaient engagé leur foi. Dans chaque cité s'élevaient des troubles et des luttes intestines : à peine les Juifs respiraient-ils, à l'abri de l'hostilité des Romains, qu'ils tournaient contre eux-mêmes leurs propres bras. Entre les partisans de la guerre et ceux qui souhaitaient la paix, la discorde était acharnée. D'abord ce fut dans les maisons que la querelle sépara des hommes longtemps unis : ensuite on vit des gens, liés d'une étroite amitié, s'élever les uns contre les autres, et, chacun s'attachant à ceux de son parti, ils se divisèrent en camps opposés. La sédition était partout : l'élément révolutionnaire et belliqueux triomphait par sa jeunesse et son audace des vieillards et des hommes prudents. Les deux partis commencèrent par piller leurs voisins : puis on vit paraître des bandes de brigands qui dévastaient la contrée. Par leurs cruautés et leurs vexations, ces Juifs, aux yeux de leurs victimes, ne se distinguaient en rien des Romains ; même les populations ravagées trouvaient moins dur le sort de ceux qui étaient captifs des étrangers. 3. [135] Cependant les garnisons des villes, soit par crainte d'un échec, soit par haine de la nation juive, n'apportaient que peu ou point de secours à ceux qui étaient ainsi molestés. Enfin, rassasiés du pillage de la campagne, les chefs des bandes de brigands répandues partout se réunirent, et, formant une armée du mal, s'introduisirent) pour sa ruine, dans la ville de Jérusalem. Celle-ci n'avait pas de chef militaire et, suivant la coutume des ancêtres, accueillait tous les gens de même nation, en ce moment surtout où l'on croyait que tous les arrivants étaient animés de sentiments bienveillants et venaient en alliés. Ce fut là ce qui devait plus tard précipiter la ville dans l'abîme, en dehors même de la sédition ; car cette multitude inutile et oisive consomma les subsistances qui auraient suffi à l'entretien des combattants ; outre la guerre, les habitants attirèrent sur eux mêmes la discorde et la famine. 4. [138] D'autres brigands vinrent aussi de la campagne à la ville et, se joignant aux brigands encore pires qu'ils y trouvèrent, ne s'abstinrent plus d'aucun forfait. Ne se bornant pas à des pillages et à des vols de vêtements, leur audace s'emporta jusqu'à des assassinats, qu'ils ne se contentaient pas de commettre la nuit, ou en secret, ou sur le premier venu, mais ouvertement, en plein jour, en commençant par les plus illustres citoyens. D'abord ils saisirent et emprisonnèrent Antipas, homme de race royale, et l'un des plus importants citoyens, à qui même avait été confié le trésor public (01) ; après lui ce furent un certain Levias, un des notables, et Syphas, fils d'Arégétès, tous deux également de sang royal (02), et d'autres encore qui paraissaient occuper dans le pays un rang élevé. Alors une panique se déchaîna dans le peuple et, comme si la ville avait été prise d'un coup de force, chacun ne songea plus qu'à pourvoir à son salut. 5. [143] Cependant, il ne suffisait pas aux brigands de mettre en prison ceux qu'ils avaient saisis ; ils ne trouvaient pas prudent de garder ainsi des personnages si puissants, car leurs familles où les hommes ne manquaient pas, étaient capables de les venger ; ils craignaient aussi que le peuple ne se soulevât contre de pareilles illégalités. Ils résolurent donc de les tuer, et chargèrent de cette mission le plus sanguinaire d'entre eux, un certain Jean, qui dans le langage du pays s'appelait «fils de Dorcas » (03) ; dix compagnons se rendirent avec lui dans la prison, armés de glaives, et ils tuèrent les prisonniers. Ils colorèrent d'un grand mensonge cet affreux forfait, prétextant que ces citoyens étaient entrés en pourparlers avec les Romains pour leur livrer Jérusalem et qu'ils avaient été mis à mort comme traîtres à la cause commune de la liberté ; en un mot, ils se vantèrent de leurs crimes comme s'ils étaient les bienfaiteurs et les sauveurs de la cité. 6. [147] Enfin, le peuple se trouva réduit à un tel degré d'impuissance et de terreur, et les factieux s'emportèrent à un tel degré de folie qu'ils prirent en mains l'élection des grands prêtres. Sans tenir aucun compte des familles parmi lesquelles les grands prêtres étaient choisis alternativement (04), ils élevèrent à cette charge des hommes inconnus et de basse origine, pour trouver en eux des complices de leurs impiétés ; car ceux qui obtenaient, sans en être dignes, les plus grands honneurs, devaient être nécessairement soumis à ceux qui les leur avaient procurés. Quant aux prêtres qui étaient en charge, les factieux les mettaient aux prises par des machinations et des mensonges, cherchant leur propre avantage dans les querelles de ceux qui pouvaient leur faire obstacle : jusqu'au moment où, rassasiés de crimes commis envers les hommes, ils élevèrent leur insolence contre Dieu et portèrent leurs pieds souillés dans le sanctuaire. 7. [151] La multitude commençait d'ailleurs à se soulever contre eux, à la voix du plus âgé des grands prêtres, Ananos, homme d'une parfaite modération et qui peut-être eût sauvé la ville, s'il avait échappé aux mains des conjurés. Mais ceux-ci firent du Temple de Dieu leur citadelle et leur refuge contre les troubles civils ; le Saint des Saints devint l'asile de leur tyrannie. A tout cela s'ajouta de la bouffonnerie, plus pénible encore que les forfaits ; car pour éprouver l'abattement du peuple et mesurer leur propre puissance, ils entreprirent de tirer au sort les grands prêtres, alors qu'ils se succédaient, comme nous l'avons dit, au sein des mêmes familles. Ils donnaient pour prétexte de cette innovation un ancien usage, prétendant que le tirage au sort avait aussi, dans l'antiquité la fonction sacerdotale : mais en fait, il y avait là une violation d'une loi solidement établie, et un moyen pour eux d'acquérir de l'autorité en s'attribuant à eux-mêmes le droit de conférer de hautes fonctions. 8. [155] En conséquence, ils mandèrent une des tribus pontificales, la tribu Eniachim (05) et procédèrent au choix par le sort d'un grand prêtre : le hasard désigna un homme dont la personne témoignait trop bien de leur infamie. C'était un nommé Phanni, fils de Samuel, du bourg d'Aphthia (06). Non seulement il n'appartenait pas à une famille de grands prêtres, mais il était ignorant au point de ne pas savoir ce qu'étaient les fonctions sacerdotales. Ils l'arrachèrent donc malgré lui à la campagne et, comme un acteur en scène, le parèrent d'un masque étranger ; ils lui firent revêtir les vêtements sacrés et l'instruisirent de ce qu'il avait à faire. Pour ces gens, une si grande impiété n'était qu'un sujet de moquerie et de badinage ; mais les autres prêtres, contemplant de loin cette dérision de la loi, ne pouvaient retenir leurs larmes et pleuraient sur cette dégradation des honneurs sacrés. 9. [158] Ce dernier trait d'audace parut insupportable au peuple qui se souleva en masse comme pour abolir la tyrannie. Ceux qui passaient pour les chefs du peuple, Gorion, fils de Joseph (07), et Siméon, fils de Gamaliel (08), encouragèrent dans les assemblées un grand nombre de Juifs, qu'ils visitaient d'ailleurs chacun en particulier, à punir sans tarder les violateurs de la liberté, à purifier le sanctuaire de ces meurtriers. Quant aux grands prêtres, les plus illustres d'entre eux, Jésus, fils de Gamalas (09) et Ananos, fils d'Ananos, reprochaient au peuple, dans des réunions, son indolence, et l'excitaient contre les zélateurs ; car ils s'étaient donné ce nom à eux-mêmes, comme si des actions vertueuses, et non les entreprises les plus criminelles, étaient l'objet véritable de leurs efforts (10).
10.
[162] La multitude se réunit donc en
assemblée. Tous étaient irrités de l'usurpation des lieux saints, des
pillages et des meurtres. Mais on n'essayait pas encore d'opposer de la
résistance, par peur des difficultés, assurément réelles, qu'on voyait à se
délivrer des zélateurs. Ananos, debout au milieu de cette foule, après avoir
plusieurs fois jeté sur le Temple ses yeux remplis de pleurs, s'exprima ainsi :
" Certes, il eût été beau pour moi de mourir avant de voir la maison de
Dieu pleine de si affreux sacrilèges, et les lieux sacrés devenus
inaccessibles, pouvant à peine offrir assez de place aux meurtriers qui s'y
pressent. Mais revêtu du vêtement de grand prêtre, et portant le plus
honorable des noms qui inspirent le respect, je vis, j'aime cette lumière du
jour, sans que ma vieillesse même me réserve une mort glorieuse : mais je suis
seul, et c'est dans la solitude, pour ainsi dire, que je donnerai ma vie seule
pour la cause de Dieu (11). Car pourquoi
vivre au milieu d'un peuple insensible à ses malheurs, qui a perdu la faculté
de réagir contre les misères qui pèsent sur lui ? Aux pillages vous opposez
la résignation, aux coups le silence : vous ne gémissez même pas ouvertement
sur les victimes ! O l'amère tyrannie ! Mais pourquoi blâmer les tyrans ?
n'ont-ils pas été encouragés par vous et votre résignation ? N'est-ce pas
vous qui, dédaignant les premiers auteurs de troubles, encore peu nombreux,
avez grossi leurs rangs par votre silence, qui êtes demeurés inactifs tandis
qu'ils s'armaient ? N'avez-vous pas tourné ces armes contre vous-mêmes quand
il fallait briser leurs premières attaques, au moment où leurs outrages
s'adressaient à vos compatriotes ? Par votre négligence, vous avez excité au
pillage ces scélérats ; vous ne teniez aucun compte des maisons saccagées ;
aussi s'en prirent-ils bientôt à leurs possesseurs, et quand ceux-ci étaient
entraînés à travers la ville, nul ne les défendait. Ils ont chargé de
honteuses chaînes ceux que vous avez trahis. Je n'ai pas besoin de dire leur
nombre et leur condition ; mais ces prisonniers, qui n'avaient été ni accusés
ni jugés, nul ne leur porta secours. Le résultat fut que vous les vîtes
encore massacrer. Ce spectacle, nous l'avons contemplé, avec la même
indifférence que celui d'un troupeau de bêtes dénuées de raison, où l'on
choisit successivement, pour les traîner à la mort, les plus belles victimes ;
nul n'a haussé la voix, bien loin de lever la main. Supportez donc, supportez
la vue des lieux saints foulés aux pieds de ces hommes, et, quand vous aurez
vous-mêmes dressé sous les pas de ces sacrilèges tous les échelons de
l'audace, ne vous montrez point impatients qu'ils soient au sommet ! Car ils
auraient risqué quelque entreprise plus monstrueuse encore : s’'ils en
connaissaient une plus abominable que la destruction des lieux saints.
11.
[193] Telles sont les paroles par lesquelles
Ananos excitait la multitude contre les zélateurs. Il n'ignorait pas que leur
nombre, leur jeunesse, leur ferme courage et surtout la conscience de leurs
forfaits les rendaient difficiles à renverser ; ils ne se livreraient pas, dans
l'espoir d'avoir la vie sauve après ce qu'ils avaient perpétré.
12.
[196] Mais tandis qu'Ananos recrutait et
organisait ceux qui pouvaient combattre, les zélateurs, informés par ceux qui
leur apprenaient tous les événements de la cité, s'irritent, s'élancent
impétueusement hors du Temple, en masse ou par petites troupes, sans épargner
aucun de ceux qu'ils rencontrent. De son côté, Ananos réunit en hâte les
citoyens, supérieurs en nombre, mais inférieurs par l'armement et l'habitude
de combattre. Au reste, dans les deux partis, l'ardeur suppléait à ce qui
manquait, car les citoyens étaient animés d'une fureur plus puissante que les
armes et la garnison du Temple d'une audace plus efficace que le nombre. Les uns
jugeaient qu'ils ne pourraient plus habiter cette ville s'ils n'en exterminaient
les brigands ; les zélateurs comprenaient que, à moins d'une victoire, ils
auraient à subir tous les supplices. Ainsi poussés par leurs passions, ils
s'entrechoquèrent. Ce fut d'abord, dans la ville et dans le voisinage du Temple
une lutte à distance, à coup de pierres et de javelots ; puis, quand une
troupe lâchait pied, l'autre l'attaquait à l'épée. Il y eut grand massacre
des uns et des autres, et une multitude de blessés. Ces derniers étaient
transportés dans leurs maisons par leurs parents, tandis qu'un zélateur
blessé rentrait dans le Temple ensanglantant le sol sacré ; on a même pu dire
que seul le sang des zélateurs souilla le sanctuaire.
13. [208] Celui qui causa la perte de tous ces
hommes fut Jean, le fuyard de Gischala, dont nous avons parlé : c'était un
homme plein de ruse, nourrissant dans son cœur un violent amour de la tyrannie
: depuis longtemps, il conspirait contre l'État. A ce moment, feignant d'être
du parti du peuple, il accompagnait Ananos dans ses délibérations quotidiennes
avec les principaux citoyens et dans ses visites nocturnes aux postes : puis il
rapportait les secrets aux zélateurs, de sorte que les ennemis connurent par
lui tous les projets du peuple, avant même que celui-ci les eût bien
examinés. S'ingéniant d'ailleurs à ne pas éveiller de soupçons, il
témoignait à Ananos et aux chefs du peuple un empressement immodéré. Mais ce
zèle tourna contre lui, car ses extravagantes flatteries le rendirent suspect :
sa présence en tous lieux, sans qu'on l'appelât, le fit soupçonner de
révéler ce qu'on tenait caché. 14. [216] Jean, comme s'il avait juré aux zélateurs de leur être dévoué, et non prêté serment contre eux, entra dans le Temple et admis au sein de l'assemblée, s'exprima ainsi: " Souvent, dans votre intérêt, je me suis exposé à des périls, pour ne pas vous laisser dans l'ignorance des secrets desseins qu'Ananos et ses amis avaient formés contre votre parti; maintenant, je cours avec vous tous le plus grand danger, à moins qu'une aide divine n’intervienne pour vous sauver. Car Ananos, impatient de tout délai, a persuadé au peuple d'envoyer à Vespasien des députés, pour que celui-ci accoure en diligence et s'empare de la ville. Bien plus, il a prescrit des purifications pour le lendemain: il veut que ses gens s'introduisent dans le Temple en prétextant le service divin, ou y pénètrent de force, pour ensuite tomber sur vous. Je ne vois pas jusqu'à quand vous pourrez supporter le siège actuel ou soutenir le choc d'un si grand nombre d'hommes". Il ajouta qu'un dessein providentiel l'avait fait choisir comme député pour négocier la paix; car Ananos ne prétexte des négociations que pour attaquer des ennemis sans méfiance. Ils doivent donc, s'ils ont souci de leur vie, ou bien supplier les assiégeants, de se procurer quelque secours du dehors; ceux qui entretiennent l'espoir du pardon, en cas de défaite, oublient leurs propres violences, à moins qu'ils ne pensent qu'à la faveur de leur repentir une réconciliation doive promptement rapprocher les criminels et les victimes. Mais le repentir même des hommes injustes est souvent un objet de haine, et les ressentiments de ceux qui ont subi l'injustice deviennent plus cruels quand ils sont les maîtres. Les zélateurs sont surveillés par les amis et les parents des morts, et par le grand nombre des citoyens qu'exaspère la destruction des lois et des tribunaux. Si même une partie du peuple est accessible à la pitié, ce sentiment serait étouffé par la colère de la majorité. IV. Intervention des Iduméens 1-2. Les zélateurs demandent secours aux Iduméems qui marchent sur Jérusalem. - 3-4. Discours du grand-prêtre aux Iduméens et réponse de Simon. - 5-6. Les Iduméens campent sous les murs de la ville. - 7. Les zélateurs ouvrent les portes aux Uduméens. 1. [224] Par ces propos habilement variés il répandait la crainte dans tous les esprits. Et s'il n'osait pas désigner ouvertement l'alliance étrangère dont il parlait, il laissait entendre qu'il s'agissait des Iduméens. Pour toucher en particulier les chefs des zélateurs, il accusait Ananos de cruauté, assurant que celui-ci les menaçait plus que tous les autres. Ces chefs étaient Eléazar, fils de Gion (13) et un certain Zacharie, fils d'Amphicallès (14). Tous deux de famille sacerdotale, qui, dans ce parti, semblaient avoir le plus de crédit lorsqu'il s'agissait de proposer d'utiles mesures ou de les exécuter. Quand ils eurent appris, outre les dangers qui menaçaient toute la faction, ceux qui les visaient personnellement, quand ils surent que le parti d'Ananos, se réservant de garder le pouvoir, appelait les Romains (c'était là un nouveau mensonge de Jean), ils restèrent longtemps indécis, se demandant ce qu'ils devaient faire dans la situation si pressante où ils étaient réduits ; le peuple était prêt à les attaquer avant peu, et la soudaineté de ce dessein interdisait l'espoir des secours qu'ils pourraient demander au dehors ; ils subiraient tous les malheurs bien avant que la nouvelle en fût parvenue à aucun de leurs alliés. Cependant ils décidèrent d'appeler les Iduméens, à qui ils adressèrent une courte lettre, annonçant qu'Ananos avait trompé le peuple et livrait la métropole aux Romains, qu'eux-mêmes avaient fait sécession dans l'intérêt de la liberté, qu'ils étaient assiégés dans le Temple. Leur salut dépend de courts instants, et si les Iduméens ne leur portent secours en toute hâte, ils seront bientôt eux-mêmes aux mains d’Ananos et de leurs ennemis, et la ville sera au pouvoir des Romains. Ils confièrent aussi aux messagers un grand nombre de renseignements que ceux-ci devaient transmettre oralement aux chefs des Iduméens. Pour cette mission il choisirent deux des hommes les plus actifs, habiles à exposer une affaire et à persuader, et, qualité plus utile encore, d'une agilité remarquable à la course. Ils ne doutaient pas que les Iduméens seraient aussitôt persuadés : c'est une nation turbulente et indisciplinée, portée aux séditions, éprise de changements : à la moindre flatterie de ceux qui l'implorent, elle prend les armes et s'élance au combat comme à une fête. La célérité était essentielle à cette mission ; ceux qui en étaient chargés ne manquaient pas de zèle. Tous deux (ils se nommaient l'un et l'autre Ananias) furent bientôt en présence des chefs Iduméens. 2. [233] Ceux-ci, frappés de stupeur en lisant la lettre et en entendant les paroles des messagers, coururent comme des furieux, à travers le peuple et firent proclamer l'expédition guerrière par un héraut. La multitude, par sa rapidité à s'émouvoir, devança l'appel, et tous ramassèrent leurs armes, comme pour défendre la liberté de la capitale. Réunis au nombre de vingt mille, ils marchent sur Jérusalem, sous la conduite de quatre chefs : Jean, Jacob, fils de Sosas, Simon fils de Thacéas et Phinéas, fils de Clouzoth (15).
3. [236] Ananos, pas plus que les sentinelles, ne
s'aperçut de la sortie des messagers ; mais il n'en fut pas de même lors de
l'approche des Iduméens. Dès qu'il en fut avisé, Ananos fit fermer les portes
devant eux et garnit les murailles de défenseurs. Toutefois, il ne voulut pas
d'abord leur opposer la violence, préférant essayer de les persuader par des
discours avant de recourir aux armes. Alors se dressa sur la tour, située en
face des Iduméens, Jésus, le plus âgé des grands prêtres après Ananos, et
il s'exprima ainsi : "Au milieu des désordres nombreux et divers auxquels
la ville est en proie, la Fortune n'a rien fait de plus étonnant à mes yeux
que de fournir une aide inopinée aux méchants. Vous arrivez donc au secours
des hommes les plus scélérats pour lutter contre nous, avec un zèle que l'on
attendrait à peine alors même que la métropole invoquerait votre aide contre
des Barbares. Si je voyais votre troupe composée d'hommes semblables à ceux
qui vous ont appelés, je ne trouverais rien de déraisonnable dans votre
ardeur, car il n'est pas de lien plus solide que la ressemblance des mœurs pour
nouer des sympathies : mais, en réalité, si l'on passait en revue un à un les
hommes de ce parti, on les trouverait tous dignes de mille morts. Écume et
souillure du pays tout entier, ces misérables, après avoir dissipé dans la
débauche leurs propres patrimoines, après avoir exercé leurs rapines dans les
bourgades et les villes du voisinage, ont, à l'insu de tous, envahi la Ville
sainte ; dans l'excès de leur impiété, ces brigands outragent même
l'inviolable parvis ; on peut les voir s'enivrer sans scrupule dans l'enceinte
sacrée, et consumer, pour la satisfaction de leurs insatiables appétits, le
fruit qu'ils tirent des dépouilles de leurs victimes. Mais vous, à la fois
nombreux et brillants de l'éclat de vos armes, vous êtes tels qu'on le
souhaiterait si la capitale vous appelait, par une décision commune, pour la
secourir contre l'assaut d'étrangers. N'est-ce pas là vraiment un méchant
caprice de la Fortune, qu'une nation entière armée pour porter aide à une
association de misérables ?
4.
[270] Telles furent les paroles de Jésus.
Mais la masse des Iduméens n'y prêta pas l'oreille, curieux qu'ils étaient de
ne pas trouver l'entrée libre. Leurs chefs s'indignaient à la pensée de
déposer les armes, assimilant à la condition de captifs l'obligation d'agir
ainsi sur l'ordre de quelques-uns. L’un de leurs chefs était Simon, fils de
Caatha. Après avoir, non sans peine, calmé le tumulte de ses compagnons, il se
plaça dans un endroit d'où il pouvait être entendu des grands prêtres et
prit la parole : 5. [283] La multitude des Iduméens accueillit ce discours par des cris favorables, et Jésus se retira découragé ; il voyait que les Iduméens étaient sourds aux conseils de la raison et que, dans la ville, deux partis se faisaient la guerre. Les Iduméens eux-mêmes n'étaient pas sans inquiétude : irrités de l'outrage qu’on leur avait infligé en les repoussant de la ville, et croyant les forces des zélaleurs considérables, ils éprouvaient de l'embarras à ne pas les voir accourir à leur aide et beaucoup regrettaient déjà d'être venus, Mais la honte de retourner sur leurs pas sans avoir rien fait l'emporta sur leurs regrets, en sorte qu'ils restèrent sur place, misérablement campés devant les murs ; car un orage affreux éclata pendant la nuit, accompagné de violents coups de vent, de très fortes averses, d'éclairs fréquents, de coups de tonnerre effroyables et de prodigieux grondements du sol ébranlé. C'était manifestement pour la perte des hommes que l'harmonie des éléments était ainsi troublée ; on pouvait conjecturer que ce tumulte présageait de terribles événements. 6. [288] Les Iduméens et les Juifs de la ville pensaient de même à ce sujet. Les uns estimaient que Dieu était irrité de leur expédition et qu'ils n'échapperaient pas à ses coups, pour avoir porté les armes contre la capitale ; les autres, Ananos et ses compagnons, se croyaient vainqueurs sans combat et que Dieu combattait pour eux. Ils étaient donc de mauvais juges de l'avenir, en présageant à leurs ennemis des malheurs qui allaient fondre sur leur propre parti. Car les Iduméens, se serrant les uns contre les autres, se préservèrent du froid et, en réunissant leurs longs boucliers au-dessus de leurs têtes, subirent moins fortement les atteintes de la pluie. Quant aux zélateurs, moins inquiets du péril qu'ils couraient que du sort de leurs alliés, ils s'assemblèrent pour rechercher s'ils trouveraient quelque moyen de les secourir. Les plus ardents étaient d'avis que l'on forçât en armes le passage à travers les postes de surveillance, pour se précipiter ensuite au milieu de la ville et ouvrir, devant tous, les portes aux alliés ; car les gardes, déconcertés par une attaque imprévue, céderaient le terrain, d'autant plus que la plupart étaient sans armes, sans expérience de la guerre, et que la multitude des gens de la ville, enfermés dans leurs maisons pour échapper à l'orage, seraient difficiles à rassembler. Si ce parti comportait quelque péril, c'était un devoir pour eux de tout supporter plutôt que de voir avec indifférence une si grande multitude honteusement détruite pour leur cause. Les plus prudents désapprouvaient cette tentative, parce que non seulement les troupes de garde qui les entouraient étaient en force, mais que l'arrivée des Iduméens avait rendu plus vigilante la garde des remparts. Ils croyaient aussi qu'Ananos était partout présent, inspectant les postes à toute heure. Telle, en effet, avait été sa conduite les nuits précédentes, mais cette fois il s'était abstenu, non certes par nonchalance, mais par suite de l'ordre du Destin, le condamnant à mourir avec tous ses gardes. La même fatalité voulut qu'au moment où la nuit s'avançait, où l'orage était dans toute sa force, les gardes du portique s'endormirent ; les Zélateurs eurent alors l'idée de saisir les scies des sacrifices et de couper les barreaux des portes. Ce qui leur facilita cette tâche et empêcha leurs ennemis d'entendre le bruit, fut le fracas du vent et la succession ininterrompue des coups de tonnerre. 7. [300] Sortis donc du Temple sans éveiller l'attention, ils courent à la muraille et se servent des mêmes scies pour ouvrir la porte du côté des Iduméens. Ceux-ci, d'abord, croyant à une attaque d'Ananos et des siens, furent saisis de crainte ; chacun mit la main à son épée pour se défendre ; mais bientôt, reconnaissant ceux qui venaient à eux, ils entrèrent dans la ville. S'ils s'étaient alors répandus partout, rien n'aurait pu empêcher le massacre de tout le peuple, tant était violente leur colère ; mais ils commencèrent par libérer les zélotes du blocus, exhortés à cela par ceux qui les avaient introduits. "N'abandonnez pas aux dangers, disaient-ils, ceux dont l'intérêt vous a conduits ici ; ne vous exposez pas à un péril plus grand encore. Les gardes une fois pris, il sera facile de marcher contre la ville ; mais si vous lui donnez l'alarme, vous ne pourrez plus résister aux citoyens, qui, avisés de votre présence, vont se rassembler en nombre et, bloquant les rues, s'opposer à votre marche vers les hauts quartiers."
(01) Josèphe
(Bell.. II. 418) nomme Saül, Antipas et Costobaros parmi les membres de la
famille d'Hérode qui prièrent vainement les Romains d'étouffer l'insurrection
juive à ses débuts. |