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Eschyle
Traduction seule
Nouvelle traduction en vers
par
RÉSUMÉ DE LA PIÈCE
Devant le palais des Atrides à Argos
Scène 1 - vers 1 à 21 - Oreste, de retour d'exil, se recueille sur la tombe de son père. Il voit Électre s'approcher et se cache.
Scène 2 - vers 22 à 211 - Électre se recueille sur la tombe de son père et se trouble au regard des cheveux et des empreintes qu'elle y trouve.
Scène 3 - vers 212 à 649 - Oreste apparaît et jure de se venger.
Scène 4 - vers 650 à 718 - Oreste et Pylade, déguisés, annoncent la mort d'Oreste à Clytemnestre et à Électre.
Scène 5 - vers 719 à 782 - Les Choéphores mettent dans la confidence Kilissa, la nourrice d'Oreste, afin qu'elle fasse venir Égisthe, désarmé, devant les visiteurs.
Scène 6 - vers 783 à 837 - Les Choéphores veulent qu'Oreste soit déterminé.
Scène 7 - vers 838 à 854 - Les Choéphores invitent Égisthe à aller interroger l'étranger venu apporter la nouvelle de la mort d'Oreste.
Scène 8 - vers 855 à 874 - Le combat entre Égisthe et Oreste.
Scène 9 - vers 875 à 884 - Des cris dans la demeure.
Scène 10 - vers 885 à 930 - Oreste face à Clytemnestre.
Scène 11 - vers 931 à 972 - Les malheurs de la royale maison ont pris fin.
Scène 12 - vers 973 à 1076 - Oreste, persécuté par les Érinyes, doit aller se purifier.
traduction seule
Ô Hermès souterrain, ô vigilant gardien
De l'antre paternel, sauve-moi, je t'en prie !
Soutiens ma mission ! Je rentre en ce pays,
Je m'y installe enfin, après un long exil.
Au pied de ce tombeau j'implore mon cher père :
Je voudrais qu'il m'entende avec solennité.
La boucle de cheveux que voici, je la donne
À mon bon nourricier, l'Inachos ; celle-ci,
C'est le tribut offert au deuil qui me confond.
Hélas ! je ne fus pas près de toi, ô mon père,
Pour plaindre ton destin et saluer ton corps...
Mais que vois-je là-bas ? Ce cortège de femmes
Qui s'avance, paré de voiles longs et noirs.
Mais que s'est-il passé ? Quoi ! un désastre, encor,
A-t-il frappé ce lieu ? Ou est-ce pour mon père ?
Je ne me trompe pas, je pense, en affirmant
Que leurs mains vont verser l'offrande destinée
À calmer les défunts. La chose est évidente.
Mais... je l'ai bien reconnue : c'est Électre, ma sœur,
Elle est toute envahie de deuil et de douleur.
Ô Zeus ! je t'en supplie, viens armer ma vengeance,
Et que ta volonté soit mon plus sûr appui !
Pylade, écartons-nous : je veux avec respect
Suivre le cours pieux de ce cortège en deuil.
Strophe I
Sorti de ce palais, sur ordre,
Je marche pour offrir les tristes libations,
Frappant ma poitrine,
Avec une force accrue qui rythme le cortège.
Voyez mon visage sanglant
Où se voient les sillons fraîchement creusés
Par mes ongles. Car mon cœur palpite de douleur,
Et ne se repaît que de sanglots interminables ;
Étreinte par la souffrance, ma main vient déchirer
En lambeaux les étoffes de lin qui me couvrent.
Oui, ce noir péplos est lacéré
Sous les coups redoublés d'un sort funeste.
Antistrophe I
Dans cette nuit d'horreur,
Qui fait se dresser mes cheveux,
Un songe épouvantable fait souffler l'indicible,
Dans le sommeil, au plus trouble de la nuit.
Vociférant dans le royal gynécée,
Les devins,
Sous divine influence,
Ont proclamé dans leurs profondeurs terrestres,
Que les morts maudissent leurs meurtriers,
Et sont contre eux remplis d'une rage effroyable !
Strophe II
Ô terre-mère ! Cette femme impie
M'envoie, muni de cet hommage infâme,
Tant elle est désireuse d'écarter l'acte odieux.
Ah ! ces paroles, je les livre non sans peur.
Comment ôter le sang dont la terre s'est abreuvée ?
Ô palais qui s'effondre !
Ô Soleil invisible ! Voilà que les Ténèbres,
Insoutenables aux mortels,
Ont enseveli les murs de cette maisonnée,
La mort ayant frappé celui qui fut leur maître.
Antistrophe II
Le pieux respect qui, jadis, pénétrait
Et l'oreille et l'esprit,
Qui résistait, puissant, à tous les ravages,
Cette vénération a fait place à la crainte,
Car, de nos jours, le succès, est dieu,
Plus que dieu même !
Mais Justice finit toujours par éprouver chacun,
Vite pour les uns, dès le midi,
Lentement pour les autres,
À l'orée du soir,
Ou bien dans la plus sombre épaisseur de la nuit.
Strophe III
Le sang qui imbibe la terre,
Oui, ce sang renferme une souillure
Que nul ne saurait essuyer.
Oui, l'horreur implacable
À jamais poursuivra l'assassin.
Antistrophe III
Qui viole l'alcôve où dort une jeune vierge,
Ne doit s'attendre à nulle clémence ;
De même, pour purifier la main coupable,
On aurait beau la plonger
Dans tous les torrents du monde confondus,
Rien, non rien ne pourrait la nettoyer.
Épode
Moi qui suis par les dieux
Étouffée par l'amer destin de ma cité,
Moi qu'ils ont rejetée de la maison de mes pères
Pour vivre comme une esclave,
Je dois me plier à tout ordre émanant de mes maîtres,
Qu'il soit juste, qu'il soit injuste,
M'efforçant de réprimer la force de ma haine.
Mais, cachant mon malheur sous des voiles épais,
Je pleure secrètement sur les calamités
Qui se sont abattus sur ce malheureux prince.
ÉLECTRE
Femmes qui êtes les servantes du palais,
Ô vous qui escortez ma supplication,
Je veux votre conseil. Lorsque je verserai
Les funèbres tributs, quels mots devrais-je dire
Pour apaiser mon père ? Ah ! dirais-je ceci :
« Don d'une tendre épouse à son mari aimé ?
Oui, le don de ma mère. » Ô dieux, je n'oserai !
Bref je ne sais que dire en versant cette offrande
À mon père ? Ou alors, dirais-je la formule
Obligée : « Pour le prix de la libation,
Comme c'est la coutume, octroie ce qui découle
D'un acte criminel. » ? Ou, gardant le silence,
Dans une pose abjecte – après tout c'est ainsi
Que mon père mourut –, laisser couler l'offrande
Sur le sol, puis, soudain, en détournant les yeux,
Abandonner le vase ainsi qu'un vil objet.
Amies, conseillez-moi, car je suis hésitante,
Ne sommes-nous pas mues par une même haine ?
Sans crainte de quiconque, ouvrez grand votre cœur.
Confronté au destin, qu'on soit libre ou soumis
Au bon vouloir d'autrui, les lois sont similaires.
Parle, as-tu quelque avis à me soumettre enfin ?
LE CHŒUR
Avec tout le respect que je voue au tombeau
De ton père, je vais parler avec mon cœur.
ÉLECTRE
Sois sincère, toi qui vénères ce tombeau.
LE CHŒUR
Verse tes dons tout en bénissant ses amis.
ÉLECTRE
Mais qui puis-je appeler ses amis ?
LE CHŒUR
Toi d'abord,
Puis tout individu qui vomit sur Égisthe.
ÉLECTRE
Je dois prier pour moi ainsi que pour toi-même ?
LE CHŒUR
À toi de deviner, fie-toi à ta raison.
ÉLECTRE
Un autre nom doit-il s'unir dans nos pensées ?
LE CHŒUR
D'Oreste souviens-toi, bien qu'il ne soit pas là.
ÉLECTRE
Ce conseil vivifie de nouveau ma mémoire.
LE CHŒUR
Les criminels aussi, n'oublie pas leur forfait.
ÉLECTRE
Comment agir, dis-moi, je veux que tu m'instruises.
LE CHŒUR
Espère en la venue d'une dieu ou bien d'un homme
Contre eux.
ÉLECTRE
Serait-ce un juge ou un vengeur, dis-moi ?
LE CHŒUR
Non, un tueur, c'est tout : à leur tour de périr !
ÉLECTRE
Ces vœux ne sont-ils pas aux dieux blasphématoires ?
LE CHŒUR
Pourquoi ? Rendre leur mal aux méchants est normal !
ÉLECTRE
Ô messager des dieux et de l'Hadès, Hermès
Dessous la Terre, aux dieux des sombres profondeurs
Porte ma voix, ainsi qu'aux dieux dont le regard
Scrute encor le palais du roi ; à toi la Terre,
Qui fais naître et reprends toute chose en ce monde,
Écoute cet appel que j'adresse à mon père,
Par l'hommage lustrale aux défunts consacré :
« Sois indulgent envers notre Oreste adoré,
Fais que notre foyer redevienne le nôtre :
Car aujourd'hui, vois-tu, notre vie n'est qu'errance ;
Oui, nous avons été trahis par notre mère
Qui a pris un autre homme, Égisthe, le complice
De ton égorgement. Quant à moi, que te dire ?
Bref, je suis devenue une sorte d'esclave.
Oreste, sans argent, végète en son exil.
Alors que ces deux-là, vautrés dans l'insolence,
Goûtent jusqu'à la lie les profits de leur crime.
Je t'exhorte, à mon père, à ramener vivant
Oreste près de nous, écoute ma prière !
Et puis, accorde-moi une âme plus aimable
Que celle de ma mère, et une main plus pure.
Ce sont mes vœux. Parlons enfin des scélérats :
Qu'un vengeur se profile et qu'ils soient massacrés
Pour prix de leur forfait ! Juste retour du Droit !
Je mêle ce désir implacable à mes vœux.
Fais jaillir tes bienfaits ; que les dieux et la Terre
Soient consentants afin que Justice triomphe. »
Voilà, tels sont les vœux que j'adresse en versant
Ces libations. Vous, jetez vos cris plaintifs,
Et que l'hymne funèbre exalte mes souhaits.
LE CHŒUR
Jetez bruyamment vos plaintes,
Versez vos larmes sur notre maître défunt
Devant ce tombeau,
Où s'acharnent à la fois le crime
Et l'amour le plus beau !
Purifiez tout et brisez le sacrilège
De ces libations infectes.
Ô saint roi, écoute nos prières
Du fond ténébreux où gît ton éclat d'âme !
Hélas ! hélas ! ô Dieux !
Qu'il vienne ce héros, cette lance brutale,
Qu'il délivre le palais,
Qu'il fasse vibrer dans sa main l'arc scythe,
Ou alors qu'il dresse dans le feu du combat
Le glaive agile, puis frappe sans relâche.
ÉLECTRE
C'est fait, mon père a bu cette libation.
Mais... quelle étrangeté ! Je dois vous la confier.
LE CHŒUR
Parle-nous sans délai. Mon cœur est en émoi !
ÉLECTRE
Sur le tombeau, voyez, cette mèche coupée.
LE CHŒUR
Vient-elle d'un jeune homme ou d'une tendre vierge
À la large ceinture.
ÉLECTRE
Aisé à deviner.
LE CHŒUR
De toi je vais apprendre, alors que je suis vieux ?
ÉLECTRE
Qui donc, autre que moi, eût pu laisser cela ?
LE CHŒUR
Ceux qui, normalement, devraient, de par ce deuil,
Offrir leur chevelure, ont le nom d'ennemis.
ÉLECTRE
Regarde, ces cheveux ressemblent, c'est bizarre...
LE CHŒUR
Ces cheveux sont à qui ? Je brûle de savoir.
ÉLECTRE
Ils ressemblent aux miens ! Oui, c'est la même teinte.
LE CHŒUR
Quoi ! les cheveux.... d'Oreste, une offrande secrète ?
ÉLECTRE
Assurément ils sont pareils à ceux d'Oreste !
LE CHŒUR
Par quelle folle audace est-il venu ici ?
ÉLECTRE
Après l'avoir coupée, il a fait déposer
Cette boucle, en hommage à son père défunt.
LE CHŒUR
Tes paroles font naître en moi d'autres chagrins :
Il ne foulerait plus le sol de sa patrie ?
ÉLECTRE
Moi aussi, une angoisse a saisi tout mon être ;
Pareille à une flèche, elle a percé mon cœur,
Au point que des sanglots de feu, tel un torrent,
Ont jailli de mes yeux ! Je suis bouleversée
En voyant ces cheveux... Voyons, je ne puis croire
Que ce soit une offrande émanant d'un Argien,
Et notre meurtrière, oui, en un mot, ma mère,
- Ce nom immérité, elle qui alimente
Contre nous tant de haine, ah ! vile créature ! -
Non, ce ne sont pas là des cheveux de sa tête.
Mais comment puis-je admettre, en toute certitude,
Que l'offrande provient du plus aimé des hommes.
Je me laisse bercer par la douce espérance...
Si cette tresse avait le don de s'exprimer
Comme un héraut, je ne serais plus oppressée
Par deux voix opposées, et tout serait limpide.
Je jetterais la chose au milieu des ordures,
Si c'était là le don prélevé sur la tête
D'un quelconque ennemi. Mais, dans le cas contraire,
Si cette boucle est bien l'hommage fraternel,
L'associant au deuil, j'en ornerai la tombe
Pour honorer mon père. Ö dieux, je vous invoque !
Vous les omniscients, vous savez mon tourment,
Je suis comme l'esquif ballotté par les flots
En furie. Si le sort, toutefois, est clément,
Que du germe esseulé naisse l'arbre robuste.
Tiens, des traces de pas ! Un tout nouvel indice !
Ces pas, à s'y méprendre, ont la même largeur
Que mes pieds. Regardez ! Il y a d'autres pas :
Il est accompagné. Mais ceux-là... les contours
Du talon, il suffit de mesurer un peu
Et de les comparer aux miens... Tout coïncide !
Un tumulte me gagne et mon esprit défaille...
ORESTE
Implore les dieux bons, afin qu'à l'avenir,
Ceux-ci te soient toujours tendres et bienveillants.
ÉLECTRE
Mais quelle est cette grâce octroyée par le Ciel ?
ORESTE
Il te permet de voir un ami qui t'est cher.
ÉLECTRE
Et qui est, selon toi, celui que je réclame ?
ORESTE
C'est Oreste, celui qui rayonne en tes yeux.
ÉLECTRE
En quoi mes vœux sont-ils désormais satisfaits ?
ORESTE
Car Oreste, c'est moi, l'ami que tu exaltes.
ÉLECTRE
C'est un piège, étranger, que tu voudrais me tendre...
ORESTE
Alors je tomberai dans mes propres embûches !
ÉLECTRE
Je sens bien ton désir de rire de mes maux.
ORESTE
Rire de ton malheur, c'est rire aussi du mien.
ÉLECTRE
Mais alors, c'est à toi, Oreste, que je parle ?
ORESTE
Tu me vois en personne et tu doutes encore.
Et pourtant, à la vue de cette pauvre mèche
Déposée sur la tombe, une béatitude
Envahissait ton cœur ; quand tu scrutais mes pas,
Emoustillée soudain, tu croyais bien me voir.
Regarde sur ma tête et tu discerneras
L'endroit où ces cheveux ont bien été coupés.
Regarde cette étoffe : eh bien ! elle est ton œuvre,
Tu l'as tissée. Et puis, cette scène de fauves...
Mais garde ton sang-froid, ne montre pas ta joie !
La haine asservit ceux qui devraient nous aimer.
ÉLECTRE
Ô frère bien-aimé, espoir tant attendu
Du foyer paternel, ô graine du salut,
Par ton glaive vaillant, tu vas réinvestir
Le palais ancestral. Toi qui luis dans mes yeux,
Sais-tu, je t'ai voué un culte en quatre parts :
Je te vois comme un père – hélas, c'est le destin ! –
Et de plus, la tendresse accordée à ma mère,
Je te la gratifie, car elle, je la hais !
En toi, je vois encor ma sœur sacrifiée ;
Enfin, tu es mon frère, et je te porte aux nues.
Que la force et le droit, que Zeus, suprématie,
Que cette Trinité soient notre aide farouche !
ORESTE
Zeus ! Zeus ! sois le témoin de notre pauvre vie !
Vois ces tristes aiglons frustrés d'un noble père,
Cet homme qui périt dans l'enchevêtrement
Affreux d'une vipère ! Ah ces parents abjects !
Une obsédante faim les tenaille sans cesse,
Incapables qu'ils sont de rapporter au nid,
Comme l'aigle, leur proie ! Tel est le sort subi
Par Électre et par moi. Ainsi que tu nous vois,
Nous sommes orphelins, de chancelants bannis
De la sainte maison. En livrant au trépas
La couvée de celui qui jadis t'honora
Avec tant de ferveur, tu as perdu la main
D'un sacrificateur qui t'offrait des festins
Somptueux. En brisant cette race de l'aigle,
Tu condamnes chacun sur la terre à nier
Les signes jusque-là acceptés avec foi.
Si tu laisses pourrir cet arbre dynastique,
Tous tes autels seront privés des hécatombes.
Ô Zeus, veille sur nous ! Le palais se fissure :
Pourtant, quoique ébranlé, tu peux le redresser.
LE CHŒUR
Ô mes enfants, sauveurs futurs de la lignée,
Silence ! Car j'ai peur que quelqu'un vous entende
Et rapporte par jeu, par fantaisie verbale,
Le fond de nos propos aux gens qui nous dominent.
Ceux-là, que je voudrais voir leurs affreux cadavres
Griller sur un bûcher suintant de résine !
ORESTE
Non, non, la trahison ne saurait survenir
De l'oracle puissant de Loxias, qui m'enjoint,
Tu le sais, à franchir cette épreuve : « Debout ! »
Criait-il, de sa voix terrible, insoutenable,
Jurant que je serais maudit – j'étais alors
Pétrifié d'effroi – si je ne tuais point
Les meurtriers du roi, en me faisant cruel
Comme eux. Il m'ordonnait de tuer les tueurs,
Dans un talion farouche. Et si, par grand malheur,
Je n'agissais, alors je le paierai d'un prix
Effroyable au milieu de tourments innommables !
Déjà, le dieu avait dévoilé aux mortels
Les nocives fureurs qui fusent de l'Hadès,
Cette peste putride érodant toute chair,
Les lèpres à la dent féroce qui ravage
Les corps, tout en faisant lever, atrocement,
La blanche moisissure. Il annonçait encor
La prochaine venue des sombres Érinyes,
Qui naissent aussitôt qu'un père est foudroyé,
Et dont l'œil plein de feu, dans la nuit ténébreuse,
Galvanise le fils. Car le dard infernal,
Suscité par les morts de son sang qui l'implore,
Ce délire absolu issu des nuits fébriles,
Vient harceler le fils, au point de le chasser
De la cité, le corps maculé de blessures
Par l'aiguillon de bronze. Un homme ainsi vaincu,
N'a plus droit de saisir les cratères sacrés
Pour les libations, le courroux invisible
Du père lui défend d'approcher les autels.
Nul ne peut accueillir ce fils dans sa maison.
Il essuie le mépris de tous, privé d'amis,
Tant et si bien qu'il meurt aboli par un mal,
Une affreuse gangrène. À ces prédictions,
Il faut nous conformer. Même en les refusant,
Leur accomplissement est œuvre nécessaire.
Et j'ai au fond de moi une envie qui me pousse
À les réaliser. Certes, l'injonction
Du dieu m'a inspiré. Mais il y a le deuil
Atroce de mon père, et la rude indigence
Où je me trouve ; enfin je désire avant tout
Que mes concitoyens, les pourfendeurs de Troie,
Ne soient plus asservis à des esprits femelles :
Car lui, c'est une femme ! Il l'apprendra bientôt.
LE CHŒUR
Parques, faites que Zeus termine cette affaire
En vue de célébrer le saint nom de Justice !
« Qu'à la haine sans frein, une haine réponde ! »
Justice veut son dû, c'est son cri implacable.
« Au coup que l'on assène, un autre coup doit suivre ! »
Depuis la nuit des temps résonne cet adage.
ORESTE
Strophe I
Ô père, père de douleurs,
Quelles paroles dire, quel rite célébrer
Pour t'atteindre
Dans la geôle funèbre où tu gis désormais ?
Or ton nocturne repos et notre éclat doré
Équivalent ! Oui, pour tous les Atrides,
Rejetés de leur antique palais,
Une seule offrande convient,
Et ce sont les larmes.
LE CHŒUR
Strophe II
Enfant, la dent vorace du feu
Ne saurait maîtriser l'âme des défunts :
Leur rage, un jour, se dévoile, terrible !
Qu'une plainte se lève, aussitôt la vengeance
Surgit. Qu'un père trépasse,
Et sa progéniture, sans appel,
Se répand longuement en larmes frénétiques.
ÉLECTRE
Antistrophe I
Ô Père, écoute aussi les plaintes qui me transpercent !
Tes deux enfants t'offrent leur thrène déchirant ;
Ils sont là, ces suppliants,
Ils sont sur ta tombe, cet unique refuge.
Piètre réconfort, en vérité !
Car la souffrance nous submerge.
Ah ! comment faire obstacle au destin implacable ?
LE CHŒUR
Mais ces lamentations, un dieu peut les changer
En hurlements de liesse ! Au lieu du sombre thrène,
L'hymne victorieux peut, par des libations,
Redonner vie et joie au palais de nos princes.
ORESTE
Strophe III
Père, il eût mieux valu que dans Troie,
Tu fusses anéanti par la lance lycienne.
Notre lignage aurait hérité
D'une gloire lumineuse ;
Tes fils seraient auréolés
D'un incommensurable respect ;
Et, au-delà des mers, tu reposerais
Sur quelque majestueuse hauteur.
Oui, quel réconfort pour les tiens,
Que de pleurs évités !
LE CHŒUR
Antistrophe II
Aimé de ceux qui l'aimaient,
Ces vaillants
Qui, comme lui, moururent au combat,
Il régnerait dans les sombres profondeurs,
Chargés d'égards,
Prince parmi les princes infernaux.
Car roi il fut toute sa vie,
Le Destin ayant prescrit
Qu'il soit fort par le glaive et légitime par le sceptre.
ÉLECTRE
Antistrophe III
Père, si même, sans avoir péri
Sous les murailles d'Ilion,
Avec tes compagnons d'armes,
Eux aussi fauchés par le glaive,
Si, sans être inhumé aux rives de Scamandre,
Si c'étaient eux, ces misérables,
Qu'on eût meurtris !
On eût appris leur destin de là-bas,
À travers la rumeur,
Et jamais l'angoisse n'aurait étreint nos cœurs.
LE CHŒUR
Tu souhaites, mon enfant, plus qu'on a,
Un bonheur ineffable,
Celui des Hyperboréens.
Soit ! Mais une étrivière aux alentours résonne !
Vois : les partisans, ils sont déjà sous terre
Et le sceptre est tenu par des mains scélérates ;
Pour le mort c'est abject, pour les enfants c'est pire !
ORESTE
Strophe IV
Ce mot, comme une flèche,
Fuse vers mon oreille et la saigne.
Ô Zeus ! Zeus ! Toi qui suscites d'Hadès
L'Horreur qui doit châtier
Le bras qui fut infâme, qui fut perfide...
- Oui, bien sûr, c'est ma mère,
Mais elle rendra gorge !
LE CHŒUR
Strophe V
Ah ! qu'il me soit accordé
D'entendre des vocifératrices
Le hurlement rituel,
Celui qui fêtera l'égorgement de l'homme
Et le massacre de la femme !
Je ne puis jeter le voile
Sur ma pensée profonde,
Puisqu'elle plane dans les airs
Et que, telle un vent de furie,
Elle exhorte une rage sans nom,
Et une impitoyable haine,
Étouffée de rancunes.
ÉLECTRE
Antistrophe IV
Mais quand, oui, quand Zeus tout-puissant, vital,
Lèvera son bras vengeur ?
Ah ! s'il fracassait leurs têtes,
Soudain, dans sa dignité.
Argos ressusciterait.
Or Justice est bafouée, Justice doit agir !
Écoutez ma supplique, terre et domaine infernal !
LE CHŒUR
Non, non, la loi prescrit qu'à une pluie sanglante
Abreuvant le sol noir, une autre pluie fatale
Lui réponde ! Un carnage excite l'Érinye,
Si bien que pour le fait des premières victimes,
À la calamité succède le désastre.
ORESTE
Strophe VI
Ô mânes puissantes de l'Hadès,
Exécration suprême des morts,
Voyez ce qu'il reste des Atrides :
Leur malheur est indicible,
Ils ont été déshonorés
Et jetés dans l'exil !
Mais où porter nos yeux, ô grand Zeus ?
LE CHŒUR
Antistrophe V
Hélas ! hélas ! mon cœur tressaille
Lorsque j'entends cette plainte effarée !
L'espérance s'enfuit, c'est la nuit de mon âme...
Pourtant le mal s'estompe par tes mâles paroles,
Et, miraculeusement, tout l'avenir s'éclaire.
ÉLECTRE
Antistrophe VI
Quels mots faut-il trouver pour agir ?
Dois-je évoquer les humiliations d'une mère ?
Les dompter ? Non, à cette vilenie,
Point de remède !
Ma mère a fait de moi un loup féroce,
Une bête intraitable.
LE CHŒUR
Strophe VII
Moi, je me flagelle à la façon d'Arès,
Pareil à ces femmes kissiennes,
Les pleureuses barbares.
Voyez : mes mains, sans relâche,
Frappent de tos côtés ;
Redoublant de puissance,
Elles martèlent de coups douloureux
Cette tête sanglante.
ÉLECTRE
Ô femme monstrueuse,
Quelles monstrueuses funérailles
As-tu offertes à ton époux !
Nul sanglot de ta part, nul deuil dans la cité,
Tu as osé cela...
ORESTE
Strophe VIII
Tu as tout dit de ce crime effroyable,
Mais le crime infligé à mon père,
Elle le paiera,
Avec l'assentiment des dieux,
Avec la force de mon bras !
Je vais l'exterminer,
Et ensuite je mourrai.
LE CHŒUR
Antistrophe VII
Je dois te le révéler ceci :
Elle a morcelé son corps...
En le donnant ainsi à la terre,
Son dessein était de t'imposer
Une indéfectible honte !
Voilà, tu sais enfin les outrages commis.
ÉLECTRE
Antistrophe VIII
Tu m'as décrit le destin de mon père !
Sache que moi, je vivais en exclue,
Avilie, honnie, traitée comme rien,
Jetée à la rue comme un chien malfaisant,
Plus apte aux lamentations
Qu'aux sourires. Ah ! ces larmes innombrables
Que je versais loin des regards...
Grave dans ton esprit les mots que je te livre.
LE CHŒUR
Oui, ces mots tintent à tes oreilles,
Ils se glissent jusqu'au tréfonds de ta pensée
Calme et résolue.
Mais laissons-là le passé,
Et suivons désormais ce que dicte ton cœur :
À celui qui, à corps perdu, se jette dans l'action,
Il sied une volonté de fer.
ORESTE
Strophe IX
Ô père, je t'invoque ! Secoure tes enfants !
ÉLECTRE
Pour ma part, je supplie par mes larmes !
LE CHŒUR
Notre foule unanime se rallie à vos voix.
Ô lumière du jour, renais et participe
À la défection finale de nos ennemis.
ORESTE
Antistrophe IX
Le meurtre au meurtre va s'entrechoquer,
Le Droit au Droit !
ÉLECTRE
Dieux, donnez la victoire aux champions de la Justice !
LE CHŒUR
À ces imprécations je tremble !
Le Destin se fait attendre,
Mais sous nos exhortations,
Peut-être va-t-il satisfaire nos vœux ?
PREMIER DEMI-CHŒUR
Strophe X
Ô race moribonde !
Ô tempi lancinants de l'Horreur !
Hélas ! chagrins mugissants, effroyables !
Afflictions sempiternelles !
SECOND DEMI-CHŒUR
Antistrophe X
C'est du palais, non du dehors,
Que tout va se résorber
Par une implacable et féroce altercation.
C'est l'hymne entonné par les voix d'outre-tombe !
LE CORYPHÉE
Ô forces de l'Hadès, entendez la supplique,
Et dans votre bonté, permettez aux enfants
D'obtenir votre appui en vue la victoire.
ORESTE
Ô père, toi qui n'eus point la faveur d'une mort
Princière, je t'implore : oui, il faut que je règne.
ÉLECTRE
Moi, je désire tant que cesse mon supplice,
Et que, comme il se doit, Égisthe le subisse.
ORESTE
Dès lors, pour t'honorer, des festins rituels
Te seront consacrés. Sans cela, le mépris
Demeurera ton lot, quand de riches banquets
Aux autels enfumés orneront la cité.
ÉLECTRE
Et moi, récupérant enfin mon héritage,
Je t'offrirai ta part, le grand jour d'hyménée :
Oui, sache que j'irai tout d'abord honorer
Ta sépulture qui, pour moi, est chose sainte.
ORESTE
Terre, permets que mon père assiste au combat !
ÉLECTRE
Perséphone, offre-nous un triomphe éclatant !
ORESTE
Ô père, souviens-toi du bain de ton trépas !
ÉLECTRE
Souviens-toi du filet, perfidie sans pareille !
ORESTE
...Et des chaînes d'airain dont ton corps fut chargé.
ÉLECTRE
... Du voile où leur complot conduisit à ta perte !
ORESTE
Devant tant d'infamies, ne t'éveilles-tu point ?
ÉLECTRE
Ne soulèveras-tu pas ta tête qui m'est chère ?
ORESTE
Père, arme la Justice afin qu'elle combatte
Avec tes alliés. Ou alors, rends toi-même
La justice, toi qui naguère fus vaincu,
Si tu veux, à ton tour, savourer la victoire.
ÉLECTRE
Écoute mon ultime appel, ô père, et vois
Tes deux enfants chéris, blottis sur ton tombeau.
Regarde ce garçon, regarde cette fille !
Par pitié, la lignée issue des Pélopides
Ne doit en aucun cas s'évader de ce sol.
Pour nous, ta mort n'est point, pour nous, tu es vivant !
ORESTE
Les enfants du héros perpétuent son nom saint,
Tel un liège sauvant de l'abîme marin
Le lourd filet de lin. Entends-moi de nouveau :
Si sans cesse je geins, c'est par amour de toi.
En exauçant nos vœux, tu te sauves toi-même.
LE CHŒUR
Vos plaintes prolongées sont rites nécessaires :
Elles comblent l'oubli du deuil sur cette tombe
Privée de tout chagrin. Mais il est autre chose :
Puisque tu veux agir, saisis la destinée !
ORESTE
Je le ferai ! Pourtant il n'est pas superflu
De rechercher pourquoi, par quelle manigance,
Elle s'est résolue à porter ces hommages,
Tardive guérison d'une plaie incurable,
Vile libation pour un mort insensible.
Sans l'estimer, je sais – évidence absolue –
Que face à son forfait, l'offrande est inférieure.
Lorsque le sang s'écoule, on peut amonceler
Tous les trésors du monde : ils sont bien inutiles !
Mais je veux néanmoins qu'on m'explique son geste.
LE CHŒUR
J'en sais la raison, fils, puisque j'étais témoin.
C'est un songe effrayant qui perturbe ses nuits :
Aussi la créature impie, dès son réveil,
A-t-elle dépêchée ici de tels hommages.
ORESTE
Mais ce songe, peux-tu m'en dire la teneur ?
LE CHŒUR
Voilà, elle donnait le jour à un serpent.
ORESTE
Quel est le dénouement ? Qu'a-t-elle raconté ?
LE CHŒUR
Eh bien, comme un bambin, elle l'emmaillotait.
ORESTE
Que réclamaient les crocs du nourrisson immonde ?
LE CHŒUR
Dans ce rêve, son sein allaitait ce serpent.
ORESTE
Quoi ! le sein n'était pas déchiré par la bête ?
LE CHŒUR
De gros bouillons de sang se mélangeaient au lait.
ORESTE
Son rêve doit avoir un sens indiscutable.
LE CHŒUR
Elle se réveilla d'un cri épouvantable :
Soudain tous les flambeaux, dont les yeux étaient clos
Par les vœux de la nuit, scintillent de concert
Sur son ordre. Aussitôt, elle fait envoyer
Des offrandes de deuil pour calmer ses émois.
ORESTE
Ah ! je supplie la Terre et le tombeau du père
Pour que sa vision se réalise un jour.
Je vais l'interpréter avec lucidité.
Si ce serpent est né du même sein que moi,
S'il a été langé, pareil à un enfant,
S'il a tété le sein qui m'a nourri, jadis,
Si, au lait maternel s'est mélangé du sang,
Dans un cri de souffrance, il me paraît fatal,
Du fait qu'elle a nourri une bête féroce,
Que son sang me revienne. Oui, je suis le serpent
Et je l'égorgerai, ce rêve le confirme !
LE CHŒUR
Soit ! je me fie à ton interprétation
Maintenant, que dis-tu à tes amis ? Lesquels
Doivent agir ? Lesquels doivent se retenir ?
ORESTE
Simple est mon plan. Ma sœur doit rester confinée
Dans le palais. Surtout, qu'elle garde au secret
Ce que j'ai projeté. De perfide manière
Ces gens ont immolé ce héros glorieux ;
Soit ! Tous deux périront dans un piège pervers,
Ainsi que l'a prédit notre maître Apollon,
L'infaillible devin. J'endosserai l'habit
D'un parfait voyageur et, devant le portail,
Avec mon bon Pylade, hôte de vieille date,
Tous deux, nous userons de l'accent phocidien,
Celui que l'on entend auprès du mont Parnasse.
Je sais que les portiers feront mauvaise mine :
Ce lieu est si malsain ! Nous resterons postés
Devant cette demeure et ne bougerons pas,
Si bien que les passants en seront intrigués.
Ils finiront par dire : « Et alors, cet Égisthe,
Pourquoi ne donne-t-il pas l'hospitalité
À ces deux visiteurs ? Il est à l'intérieur,
On a dû l'avertir ! » Que je parvienne enfin
À franchir cet obstacle et que je le surprenne,
Lui, le roi, installé sur le trône royal,
Qu'il veuille m'accueillir et venir face à moi,
Je te le jure, avant qu'il n'ait pu prononcer
Ces mots : « D'où vient cet étranger ? » Il sera mort !
Je lui ferai goûter à mon épée agile.
L'Érinye, de carnage assouvie, boira, pur,
La troisième gorgée des offrandes sanglantes.
Électre, du palais, regarde bien partout !
Tout doit se dérouler en parfaite harmonie.
Et vous, que votre langue évite les impairs !
Soyez muets, ou bien parlez quand il le faut.
Quant au reste, c'est Lui qui se charge de tout :
Moi qui suis son champion, que triomphe mon glaive !
LE CHŒUR
Strophe I
Mille calamités, mille terreurs
Alimentent la terre ;
Ils sont légion les monstres abominables aux hommes
Dont regorgent les flots.
Et dans le ciel aussi fusent des nuées ardentes.
Oui, tout ce qui vole et tout ce qui marche
Attestent le passage des vents courroucés.
Antistrophe I
Mais qui donc décrira l'insondable folie
De L'homme ? Les amours abjectes
Où se vautrent des femmes perverses,
Causes des pires désastres ?
Le lien tendre du couple
Se rompt alors, quand cette créature enfiévrée
Par un instinct que rien ne freine
Ravale l'homme à l'état d'animal.
Strophe II
Je m'adresse à ceux
Dont la mémoire n'est point légère,
Qui se rappellent l'affreuse histoire de Thestios,
Femme criminelle s'il en fût,
Dont l'odieux dessein
Fut de rallumer le tison ardent,
Compagnon dévolu à son fils
Du jour de son premier cri
Jusqu'au terme fatal.
Antistrophe II
Q'on s'attache à l'histoire de Skylla la sanguinaire
Qui fit mourir son père :
Tentée par les bracelets d'or,
Des ouvrages crétois,
La scélérate arracha de Nisos,
Qui dormait, pauvre insouciant !
Le cheveu fatal de son immortalité.
Et Hermès la ravit...
Strophe III
J'ai chanté d'effroyables tueries.
Il est temps d'évoquer, pour la maudire,
L'horrible liaison qui souille le palais :
Cet esprit femelle n'a-t-il point médité
De lugubres projets
Contre un guerrier belliqueux dont le prestige
Intimidait jusqu'à ses ennemis ?
Ah ! je bénis ces unions sans heurt
Où la femme se fait modeste et humble.
Antistrophe III
Mais le plus repoussant de ces forfaits
Se portent vers Lemnos.
Pou ce récit,
L'opinion n'a que dégoût :
Car pour dire tous les fléaux du monde,
Ne dit-on pas "lemnien" ?
Pour avoir attisé la haine d'En-Haut,
Cette race périt dans une haine austère ;
Or nul ne loue ce qu'abhorrent les dieux.
Et c'est ma mission que de narrer ces faits.
Strophe IV
Le glaive pointu vise au cœur :
C'est la Justice, fière, omnipotente,
Qui terrasse tous ceux qui piétinent le Droit,
Et qui violent, ô sacrilège,
Zeus en sa splendeur majestueuse !
Antistrophe IV
Mais l'arbre de Justice est bien ancré au sol,
Or, déjà, on affûte le glaive du destin :
Oui, la voilà qui s'immisce en nos foyers,
Elle, la mystérieuse Érinye,
La fille des meurtres d'hier
Et la pourvoyeuse des châtiments d'aujourd'hui !
ORESTE
Esclave, entends-tu donc ! Je frappe à cette porte !
Y-a-t-il quelqu'un ici ? J'ai appelé trois fois !
Mais va-t-on me répondre enfin dans ce palais,
Si Égisthe se plie à l'hospitalité ?
LE PORTIER
Je suis tout ouï ! Voyons, ton pays, étranger !
ORESTE
Dis au maître, céans, que je suis le porteur
D'un message important ! Presse-toi, je te prie !
La nuit se presse aussi sur son char au galop,
Et pour le voyageur, il est temps de s'ancrer
Dans un calme logis propice à l'étranger.
Bon, qu'une autorité s'avance vers la porte,
Ou la femme des lieux ; mais je préfère un homme :
Avec lui on a point à parler avec gêne :
L'entretien n'en sera que plus direct et franc.
CLYTEMNESTRE
Mais que désirez vous, étrangers ? Sous ce toit,
Des bains chauds et des lits vous sont offerts d'emblée
Pour le délassement ; ici, on est affable.
Mais si l'affaire est grave, on appelle les hommes.
ORESTE
Je suis un étranger et je viens de Daulis,
La cité de Phocide. Avec tout ce bagage,
Je volais vers Argos ; quand j'y suis parvenu,
Un homme, un inconnu m'apostropha soudain :
Il m'indiqua ma route et me questionna :
Et tout en conversant, j'appris qu'il se nommait
Strophios le Phocidien ; voici ce qu'il me dit :
« Bon, puisque tu te rends à Argos, n'oublie pas,
C'est urgent : annonce à ses parents la mort
D'Oreste. Ceci fait, tu me rapporteras
Ce qu'ils ont décidé : soit recueillir ses restes
Soit les garder chez nous ! Or, pour l'heure, qu'ils sachent
Que l'on a déposé sa cendre dans une urne
D'airain, et que le deuil a été respecté. »
Voilà qu'il m'a dit. Mais parlé-je à des gens
Qui sont de sa lignée ? Je ne sais. Mais celui
Qui lui donna le jour doit en être informé.
CLYTEMNESTRE
Je suis anéantie ! Tes mots sont comme un gouffre !
Ô Malédiction, nul ne peut te contrer !
Ton œil glacé me scrute, et ce que je croyais
Protéger de ta vue, ta flèche a réussi
De si loin à l'atteindre ! Ah ! tu m'as dépouillé
De mes biens, et je suis accablée de tourments !
C'est Oreste aujourd'hui : il s'était abstenu
Pourtant de s'enfoncer dans cette fange immonde.
Ah ! dire qu'il était le seul homme capable
De restaurer la paix en ce cloaque immense,
Il était le salut... hélas, pulvérisé !
ORESTE
À des hôtes nantis d'attentions si nobles,
J'aurais voulu donner de meilleures nouvelles,
En témoignage de leur accueil si charmant.
Car l'étranger se doit d'être doux à ses hôtes.
Après réflexion, j'ai pensé toutefois
Qu'il eût été impie de renier la promesse
Que je fis, et souiller votre l'hospitalité.
CLYTEMNESTRE
Tu n'en seras pas moins reçu dans ce palais
Avec éclat, comme il se doit, comme un ami.
Et de toutes façons, un autre aurait porté
Cette nouvelle. Allons, il est temps pour des hôtes,
Exténués par leur voyage, de pouvoir
Se reposer chez nous. Eh toi ! conduis nos gens
Dans les appartements qui leur sont réservés,
Avec leurs serviteurs et leur suite d'amis.
Il faut que ce logis leur convienne en tous points.
Active-toi ! J'attends ensuite ton rapport.
Pour ma part, je m'en vais informer notre prince.
Comme nous ne sommes guère en manque d'amis sûrs :
Nous allons les mander, puis tout leur raconter.
LE CHŒUR
Servantes du palais, qu'est-ce qui nous empêche
D'élever notre voix pour la gloire d'Oreste ?
Ô toi, terre sacrée, colline vénérable
Recouvrant aujourd'hui la dépouille royale
Du maître des vaisseaux, il est l'heure, sais-tu !
Il est l'heure, aide-nous ! La Persuasion,
Sournoise et sans pitié, va rejoindre l'arène,
En compagnie d'Hermès, le terrible chtonien,
Le prince ténébreux : elle veille au duel
Qui verra s'affronter des glaives si mortels.
LE PORTIER
Cet étranger fomente un complot, il me semble,
La nourrice d'Oreste est là, baignée de larmes.
Où vas-tu, Kilissa ? Tu quittes le palais,
Assaillie par la peine : oui, ce vil compagnon,
Tu n as pas demandée à ce qu'il te poursuive.
LA NOURRICE KILISSA
« Ces étrangers, il faut qu'Égisthe les reçoive ! »
Ma maîtresse le dit. « Il se doit en personne
De discuter le fond du message adressé. »
Devant les serviteurs, elle a fait la grimace,
Montré son grand air triste. Peuh ! en réalité,
Elle est folle de joie. Ouais, cette fin l'arrange.
Hélas ! pour le palais, ce qui ait annoncé
Par ces messagers-là, c'est une catastrophe.
Ah ! l'autre, cet Égisthe, il sera bien aux anges
En apprenant cela ! Mais moi... Ah ! pauvre vieille !
Pour sûr, j'en ai subi des souffrances, oh ! oui !
Elles se sont ruées dans ce corps exténué.
Pourtant je vous avoue qu'une telle nouvelle
Me déchire le cœur bien plus que tout le reste.
Les précédents soucis, bah ! je les supportais !
Mais mon petit Oreste... Ah ! dire que pour lui
Je me suis dévouée jusqu'à épuisement !
Je l'ai nourri sans cesse au jour de sa naissance.
Comme il braillait, la nuit, le petiot, il fallait
Que je me décarcasse. Hélas, tout ça pour rien ?
Un bébé, ça n'a pas une grande jugeote,
Il faut toujours savoir ses besoins du moment :
Car ça ne parle pas : il a faim, il a soif,
Ca veut faire pipi, ça veut faire caca !
Les marmots, ça n'attend personne pour agir...
Je devais deviner mais n'ai pas tout compris,
Parfois ! Et c'est pourquoi, pour nettoyer les langes,
Je m'y connais ! J'étais blanchisseuse et nourrice.
Mais je me suis soumise à ces deux fonctions
Avec joie, car c'était pour offrir à son père
Un parfait héritier ! Mais il est mort, hélas !
Pauvre petite vieille ! Allons je vais chercher
L'homme qui a ruiné, pourri notre maison,
Ah ! celui-là, pour sûr, il va s'en contenter.
LE CORYPHÉE
Comment la reine veut-elle venir ici ?
LA NOURRICE KILISSA
Comment quoi ? Comprends pas ! Répète un peu pour voir !
LE CORYPHÉE
Va-t-elle venir seule ou bien avec sa garde ?
LA NOURRICE KILISSA
Elle veut amener toute la garnison !
LE CORYPHÉE
Ne dis rien de cela à l'homme qui t'écœure :
Il doit venir seul, pour ne pas montrer sa peur.
Quand tu lui apprendras la fatale nouvelle,
Simule la gaieté, autant que tu le peux :
Du messager dépend le succès d'un projet.
LA NOURRICE KILISSA
Tu es émoustillé par de telles nouvelles ?
LE CORYPHÉE
Quand Zeus survient, le mal peut devenir un bien.
LA NOURRICE KILISSA
Impossible ! L'espoir résidait en Oreste,
Il n'est plus...
LE CORYPHÉE
Pas encore ! Il est piètre devin
Celui qui prédit ça.
LA NOURRICE KILISSA
Quoi ! tu sais autre chose ?
LE CORYPHÉE
Apporte ton message, et fais ce qu'on t'ordonne !
Ensuite, c'est aux dieux d'accomplir leurs desseins.
LA NOURRICE KILISSA
Alors, je t'obéis et ne tarde pas plus :
Que nos dieux bienveillants fassent du bon boulot !
LE CHŒUR
Ô Zeus, géniteur des dieux de l'Olympe,
Je te prie... [...]
Justice parle en ma voix,
Ô Zeus, daigne la satisfaire !
Strophe II
À celui qui entre au palais,
Octroie la victoire
Contre nos ennemis !
Si tu le favorises,
Il t'en sera gré et t'offrira dès lors
Des offrandes multipliées.
Protège cet enfant,
Cet orphelin d'un héros
Par toi vénéré,
Vois comme il est attelé
Sur le char rapide des douleurs [...]
Calme son élan
Pour que sa course arrive jusqu'au but.
Strophe III
Et vous qui séjournez dans le palais
Éclatant d'or et de trésors,
Vous les dieux secourables,
Soyez nos plus fervents alliés,
Écoutez-nous !
Effacez par une franche Justice
Le sang des crimes antiques !
Que jamais ne revienne
L'horreur du crime ancestral !
Antistrophe I
Et toi qui résides dans le sublime enclos,
Près de la Bouche béante,
Fais que le palais de notre homme
S'ouvre à lui de nouveau,
Fais que son œil revoit la clarté lumineuse
De sa libération,
En soulevant le rideau ténébreux qui le couvre.
Antistrophe II
Que le fils de Maia, Hermès,
Lui prête main forte, s'il le désire,
Car lui seul donne un vent bienfaisant
À toute action qui se prépare. [...]
D'une parole obscure,
Il assombrit la nuit de brumes opaques
Que même le jour ne saurait dissiper.
Strophe IV
Alors, nous entonnerons
À la gloire du palais délivré,
L'hymne, et la cité entière
Par la voix confondue des chœurs de femmes,
Bénira le vent pur qui se lève.
[...]
Ah ! bonheur, bonheur ineffable,
Quand, de l'âme de nos proches,
Le malheur a été évincé !
Antistrophe III
Toi, tout gonflé de vaillance,
Quand tu devras agir,
Si elle te crie : « Ô fils ! »
Ne prononce qu'un mot : « "Ô père ! »
Fais ton devoir fermement,
Sans crainte,
Accomplis la rude besogne.
Antistrophe IV
Insuffle dans ta poitrine
L'invincible énergie
De Persée : tu combleras les tiens,
Qu'ils soient dessous la terre,
Qu'ils soient dessous le ciel !
[...]
Et même s'il faut une sanglante épreuve,
Extermine celui qui perpétra le crime !
ÉGISTHE
Je reviens au palais, non par ma volonté,
Mais du fait d'un message. On m'a dit, en effet,
Que quelques étrangers m'apportent une nouvelle
Bien sinistre, à vrai dire : il s'agit de la mort
D'Oreste. Ce fardeau est lourd pour ce palais
Encore épouvanté et maculé du sang
De la première mort. Mais cet évènement
Est-il bien véridique ou n'est-ce que délires
De femmes en émoi, des rumeurs qui voltigent
Et s'éteignent bien vite en leur stupidité ?
Dis-moi ce qui pourrait éclaircir mon esprit.
LE CHŒUR
Nous savons la nouvelle. Il vaut mieux cependant
Questionner ces gens : entre dans le palais.
Si tu veux tout savoir, interroge toi-même !
ÉGISTHE
Je veux absolument voir ce messager afin
Qu'il me parle. Était-il aux côtés du mourant ?
Ou ne rapporte-t-il qu'un rumeur confuse ?
Je ne serai pas dupe : oui, je suis perspicace !
LE CHŒUR
Zeus, Zeus ! Que dois-je dire et par où commencer
La prière à nos dieux ? Que faire pour unir
La parole à ma foi ? C'est l'instant où les glaives
À l'élan meurtrier vont se souiller de sang,
Soit pour qu'Agamemnon voie sa race mourir,
Soit pour que, lumineuse, on rallume la flamme
De la liberté, et qu'Oreste accède au trône
Ancestral, restaurant un fastueux lignage.
Tel est l'enjeu terrible où le fougueux Oreste
Va, pareil à l'athlète, affronter l'adversaire :
Il est seul contre deux. Qu'il soit le fier vainqueur !
ÉGISTHE
Ah ! Ah !
LE CHŒUR
Qu'arrive-t-il au palais ? Tout va bien ?
Est-ce le dénouement ? Si l'acte est accompli,
Retirons-nous : il ne faut pas qu'on nous accuse
D'avoir été mêlés à de telles horreurs.
Car l'issue du combat est une chose acquise.
LE PORTIER
Hélas, trois fois hélas ! On a assassiné
Mon maître. Quel malheur ! Égisthe a rendu l'âme !
Vite, vite, tirez les barres de la porte,
Ouvrez le gynécée ! Il faut un homme fort !
Non point pour les secours, car la mort a vaincu.
Sont-ils sourds, tous nos gens ? Je crie comme un dément,
Mais ça ne sert à rien ! Tout paraît en sommeil.
Où est donc Clytemnestre ? Hélas ! je crains pour elle
Qu'une lame, à son tour, ne lui tranche la gorge,
Et que, au nom du Droit, son chef ne roule à terre.
CLYTEMNESTRE
Ah ! que se passe-t-il ? Et pourquoi tant de cris ?
LE PORTIER
Les morts peuvent tuer des gens encore en vie !
Clytemnestre
Malheur ! Je ne comprends que trop bien cette énigme.
Par ruse, nous allons connaître le trépas.
Qu’on me donne une hache ! Il faut que je me batte !
Aurai-je la victoire ou serai-je vaincue ?
Ah ! je suis arrivée à la phase finale !
Oreste
Je te veux, toi ! Quant à lui, c’est déjà fini !
Clytemnestre
Quel malheur ! Tu es mort, ô Égisthe chéri !
Oreste
Tu l’aimais ? Couche alors avec lui dans sa tombe !
Comme il est mort, tu ne pourras plus le trahir.
Clytemnestre
Mon fils, respecte un sein qui jadis te nourrit.
Oreste
Pylade, que dois-je faire ? Éliminer ma mère ?
Pylade
Mais que fais-tu alors des oracles rendus
À Pytho ? Des serments ? Soyons les ennemis
Des hommes plutôt que les ennemis des dieux.
Oreste
Tu as raison, Pylade, et ton conseil est bon.
Mère, suis-moi ! Je vais t’égorger près de lui,
Lui que tu as aimé lorsqu'il était vivant,
Et que tu préféras à ton époux de droit.
Clytemnestre
T'ayant nourri, je dois vieillir auprès de toi.
Oreste
Quoi ! Vivre avec moi, toi qui égorgeas mon père ?
Clytemnestre
C’est la faute au destin !
Oreste
C’est aussi le destin
Qui te livre au trépas !
Clytemnestre
Ne crains-tu l'Érinye ?
Oreste
Non, car c’est toi qui me plongeas dans le malheur.
Clytemnestre
Tu as longtemps vécu dans un douillet logis.
Oreste
Être vendu deux fois, moi né d’un père libre.
Clytemnestre
En échange, dis-moi ce que j'ai obtenu !
Oreste
Non, je ne puis répondre à une telle insulte.
Clytemnestre
Mon enfant, pas de honte ! Oui, ton père était fou.
Oreste
N’accuse pas un homme épuisé à la tâche,
Toi qui restas prostrée dans un mol intérieur.
Clytemnestre
Délaissée par l'époux, la femme dépérit.
Oreste
L’homme par son travail fait vivre son épouse.
Clytemnestre
Mon fils, tu vas tuer celle qui t'enfanta.
Oreste
C’est toi qui te tueras.
Clytemnestre
Enfant, ne crains-tu pas
Que viennent par ma mort les chiennes de vengeance !
Oreste
Pour fuir celles de mon père, il faut te tuer !
Clytemnestre
Je parle à une tombe et je supplie en vain.
Oreste
Ton destin est figé par tant de forfaiture.
Clytemnestre
Pauvre de moi ! C'est le serpent que j’ai nourri !
Oreste
Les rêves de tes nuits étaient des prophéties.
Tu as tué celui qui n’eût pas dû mourir.
Tu vas souffrir ce que tu n’eus pas dû souffrir !
LE CHŒUR
Même ce couple-là, sa destinée m'émeut !
Mais depuis que le pauvre Oreste a couronné
Cette liste sanglante, il ne me déplaît pas
De voir l'Œil du palais ouvert à tout jamais.
Strophe I
Après une attente si longue,
Justice s'est abattue
Sur la race des Priamides,
Et l'a châtiée !
Dans le palais d'Agamemnon,
Il s'est glissé,
Le double lion,
Il a commis la double tuerie.
Jusqu'au terme du chemin,
Il est allé, lui l'Exilé,
Obéissant à l'oracle
De Pytho, le dieu qui le fit plein de zèle.
Ah ! qu'une clameur joyeuse retentisse
Dans la demeure royale,
Délivrée de ses tourments,
Délivrée des deux âmes sacrilèges,
Qui, pour la déposséder,
L'avaient précipité sur une route affreuse.
Antistrophe I
La vengeance, proclamée de l'antre obscur
Par l'oracle loxien, a surgi par la ruse,
Faisant expier le crime commis lui-même par la ruse.
Oui, elle est enfin venue
La vraie fille de Zeus dont le nom est sublime :
Justice !
De tout son souffle immense,
De tout son courroux,
Elle a brisé ses ennemis.
Toujours la loi des dieux écrase l'acte inique,
Et il faut révérer la puissance céleste.
Strophe II
La lumière rejaillit !
La maisonnée s'est délivrée du suffocant bâillon.
Relève-toi, palais, qui penchas trop longtemps vers le gouffre !
Bientôt l'heure fatidique
Sonnera, dès que sera lavée l'antique souillure.
Et un saint exorcisme balaiera les antiques horreurs.
Antistrophe II
La lumière rejaillit !
La maisonnée s'est délivrée du suffocant bâillon.
Relève-toi, palais, qui penchas trop longtemps vers le gouffre !
ORESTE
Voyez ces deux tyrans, meurtriers de mon père,
Suborneurs de mes biens. Naguère ils arboraient
Une belle chamarre assis sur leur beau trône !
Ils sont encore unis dans leur assassinat,
Et leur serment perdure ! Oui, ils avaient jadis
Juré de massacrer mon père, ô malheureux,
Et de mourir ensemble : ils ont tenu parole !
Vois, ô peuple, qui en sais trop peu sur le crime,
Vois l'affreux traquenard où tomba notre roi,
Qui eut les pieds liés et les mains entravées.
Découvre ces objets, approche-toi, fais cercle
Autour de ce filet : il faut qu'il soit visible
Au Père, non celui qui me donna le jour,
Mais Hélios, l'œil suprême ! Ô dieu, vois l'indicible
Besogne de ma mère, et témoigne à Justice
Que j'étais dans mon droit en la mettant à mort.
Je ne m'inquiète point du meurtre de l'Egisthe :
Ce ladre n'a subi que ce qu'il méritait.
Mais celle qui mûri cet acte inexpiable
Contre l'homme dont elle a porté les enfants,
- Fardeau fait pour l'amour, aujourd'hui pour la haine –,
Qu'en penses-tu ? Murène ou serpent, dis-le moi !
En vérité, c'était une âme vicieuse,
Capable d'infecter sans morsure apparente,
Tout ce qu'elle frôlait, par sa folle arrogance
Et sa férocité [...] Comment nommer cela
Sans craindre le blasphème ? Un piège pour les bêtes ?
Un linceul pour couvrir le défunt jusqu'aux pieds ?
Une nasse, plutôt, pour coincer les chevilles !
Voilà un bel engin que tous les malandrins
Rêveraient d'obtenir pour détrousser leurs hôtes,
Perfidement. Jamais ne doit entrer ici
Un tel démon : plutôt mourir seul, sans enfants !
LE CHŒUR
Hélas ! hélas ! Horreur ! Ton cadavre nous dit
Que tu as succombé à une mort atroce.
Hélas ! Hélas ! bien que le châtiment fût long,
Sa fleur s'épanouit en un jour effroyable.
ORESTE
A-t-elle ou non frappé ? J'ai pour témoin l'étoffe
Maculée qui avoue le passage du glaive
Du misérable Égisthe. Et dessus, voyez vous
Le sang ? Comme la rouille, il ronge ses couleurs !
En cette heure, je peux à la fois acclamer
Mon exploit et pleurer... Alors que je révèle
Cette étoffe morbide où mon père mourut,
Je gémis sur ce meurtre et crains mon châtiment.
Je frémis sur ma race... En fait, cette victoire
Éclabousse mes mains d'une souillure infecte.
LE CHŒUR
Nul mortel ne s'arroge une vie de plaisirs :
On doit payer son dû. Hélas ! hélas, on souffre
Aujourd'hui, mais demain un autre souffrira !
ORESTE
Malgré tout, je ne sais la fin de cette histoire.
Je suis sur une piste avec un attelage
Fougueux et qui s'emballe... Je ne contrôle plus
Mon esprit turbulent et l'Épouvante arrive,
Brutalisant mon cœur. Mais je raisonne encor :
Aussi écoutez-moi. J'ai bien tué ma mère,
Mais ce meurtre était juste, car elle était souillée
Par un tâche horrible, et, qui plus est, maudite
Par les dieux pour son crime ! Et je fus stimulé
Par l'oracle Loxias, qui me dit que jamais,
Je ne serais puni pour ce meurtre ; au contraire,
Si je ne l'avais point commis, quels châtiments
Atroces m'attendaient ! Et, maintenant, voyez !
Muni de ce rameau de laine, je me rends
Chez Loxias, en ce temple érigé au nombril
Du monde, illuminé d'un feu inextinguible.
En effet, je veux fuir ce sang, le mien aussi !
C'est dans ce pays que je dois trouver refuge :
C'est l'ordre de Loxias. Et quand il sera temps,
J'adjure les Argiens, quand viendra Ménélas,
De dire les raisons de nos calamités.
Quant à moi, le banni, que je sois mort
Ou vivant, j'ai légué ce renom effroyable.
LE CHŒUR
Ton geste fut heureux : ne mets pas dans ta bouche
De lugubres propos, ne te harcèle point
De la sorte le jour où Argos ressuscite,
Toi qui décapitas deux serpents monstrueux.
ORESTE
Mais qui va là ? Horreur ! Des femmes noir-vêtues...
Et ces serpents grouillant autour d'elles... Fuyons !
LE CHŒUR
Mais non, c'est ton esprit qui croit voir des fantômes !
Ressaisis-toi ! Que peut redouter ce vainqueur ?
ORESTE
Ces spectres ne sont point l'œuvre de mon cerveau.
Non, je le sais, ce sont les Chiennes de ma mère !
LE CHŒUR
Un sang tiède s'écoule encore de tes mains :
C'est pourquoi ton esprit se gonfle de terreur.
ORESTE
Ô seigneur Apollon ! Vois comme elles fourmillent !
Et je vois de leurs yeux un sang noir s'égoutter !
LE CHŒUR
Pour te purifier, cours vite chez Loxias,
Lui et lui seul pourra te guérir de ton mal.
ORESTE
Vous ne les voyez pas ! Moi, si, elles sont là,
Cherchant à me traquer ! Je n'en puis plus, je fuis...
LE CHŒUR
Sois heureux ! Et qu'un dieu bienfaisant te concède
Un regard dévoué pour des jours favorables.
Ainsi donc, l'ouragan, pour la troisième fois,
A ravagé soudain le palais de nos rois.
En prélude, il y eut les enfants dont la chair
Fut dévorée – horreur ! - par l'ignoble Thyeste.
Puis ce fut le destin funeste d'un grand roi :
Oui, un chef courageux fut tué dans son bain,
Égorgé ! Maintenant, pour la troisième fois,
On a frappé encor... Que dire à ce propos ?
Est-ce là le salut ? Avons-nous tout perdu ?
Mais quand s'achèvera la route maléfique ?
Quand donc s'endormira cette rage d'Até ?