RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE - ESCHYLE, LE POÈTE SÉVÈRE - liste

 

 

 

 

 

 

Eschyle

 

 

 

ANTHOLOGIE TRAGIQUE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVERTISSEMENT

     Cette traduction d'Eschyle effectuée en 1999-2000, plus que celle que j'ai donnée de Sophocle, par exemple, se veut avant tout libre et poétique. On pourra la qualifier sans doute de « belle infidèle ». Il est indiscutable qu'aujourd'hui, la rigueur du traducteur prendrait le pas sur la fantaisie de l'artiste. En 1999, le poète et traducteur faisaient part égale : ce que le traducteur aimait, le poète parfois le rejetait, et vice-versa... Sans craindre de paraître excessif, je dirais qu'alors ma démarche était quasi schizophrénique et délicieusement tourmentée...

    Pris dans le tourbillon du verbe eschyléen, j'avais tenté de faire une adaptation tout à fait personnelle d'une poésie pleine de « bruits et de fureurs ». Pourtant il m'a paru bon de la livrer telle quelle au lecteur avec toutefois quelques corrections : libre ensuite à lui de relire une traduction plus exacte et peut-être moins dérangeante...

 

 

 

 

 

SOMMAIRE

 

 

 

Les Perses

 

- Notice

- Le songe de la reine

- Le désespoir des Perses

- L'ombre de Darius

- Les lamentations de Xerxès

 

Les Sept contre Thèbes

 

- Notice

- Appel aux Dieux

- Après la mort d'Étéocle et de Polynice

- La décision d’Antigone

 

L'Orestie

 

1. Agamemnon

- Notice

- Chœur des vieillards

- L’hypocrisie

- Les imprécations de Cassandre

- Après le meurtre d’Agamemnon

 

2. Les Choéphores

- Notice

- Chœur des lamentations

- Appel à la vengeance

- Les menaces de l'oracle

- La Vengeance

- Le meurtre de Clytemnestre

 

3. Les Euménides

- Notice

- Chant des Érinyes

- Craignons la Justice !

- La défense

- Athéna fonde l’Aréopage

- Les Érinyes affolées

 

Prométhée enchaîné

 

 - Notice

- Chœur des lamentations

- L'ami des hommes

- Le crépuscule des dieux

- Colère

 

Fragments de tragédies perdues

 

La Pesée des âmes

- Les plaintes de Thétis

 

Les Héliades

- Sur Zeus

 

L'Iliade tragique

 - Achille devant le corps de Patrocle

 

Tantale

- Le destin

 

Les Phrygiens

- Que tu veuilles...

 

Les Etnéennes

- La Justice

 

Niobé

- La Mort, dieu à part

- Des dieux rancuniers

 

Les Pêcheurs

- Silène à Persée

- Un joyeux mariage

 

 

Les Perses

(472)

 

À Suse, près du palais royal

 

Parodos : les fidèles du roi parlent de l’expédition de Xerxès et sa folie.

 

Épisode 1: la reine-mère Atossa confie ses craintes au chœur. Elle leur raconte un songe de mauvais augure. Les choreutes lui conseillent de prier les Dieux. Un messager survient et annonce la défaite de Salamine et l’arrivée du roi.

 

Stasimon 1 : Condamnation de la folie de Xerxès.

 

Épisode 2 : la reine revient ; le chœur évoque l’ombre de Darius qui se met à parler pour dénoncer la folie de son fils.

 

Stasimon 2 : éloge de Darius

 

Exodos : arrivée du roi et longue lamentation.

 

 

 

 

 

 

 

Le songe de la reine

(vers 177 - 187)

 

Depuis que mon enfant est parti pour l’Ionie,

Des rêves incessants perturbent mon sommeil.

Le dernier que je fis est fort évocateur.

Écoute ! Je voyais deux femmes bien vêtues :

L’une était habillée à la mode dorienne,

L’autre à la mode perse : on n'avait jamais vu

Des femmes d'une telle allure et si soignées.

Semblable était leur rang ; l’une vivait en Grèce ;

L’autre avait pour patrie les provinces barbares.

Soudain les sœurs se disputèrent et mon fils

Voulut intervenir. Ces femmes, sur son ordre,

Tirèrent son char. Si l’une était résistante,

L’autre, fatiguée, fit tomber le véhicule.

Mon fils tomba aussi. C'est alors que son père

Survint et le plaignit. Mon fils, pris de furie

À la vue de Darius, lacéra ses habits.

Voilà la vision que j’eus dans mon sommeil.

Une fois réveillée, je nettoyai mes mains

Dans l’eau purifiée, puis je sacrifiai

Aux dieux sur leur autel. Un aigle m’apparut

À côté du foyer : je fus terrifiée !

Un faucon arriva : il attaqua l’oiseau

Et dépluma sa tête ; l’aigle s'abandonna

À son rude attaquant, ô vision affreuse !

Mon histoire est à peine écoutable, il est vrai !

Allons ! Vous le savez, si mon fils réussit,

On le vénérera. S’il est vaincu, comment

Se justifiera-t-il ? Mais s’il sauve sa vie,

        Il gardera le sceptre.

 

 

 

Le désespoir des Perses

(vers 548 - 551, 558 - 575 et 584 - 594)

 

L’Asie, cette contrée dépeuplée, a gémi !

Ils sont venus pour lui et il les a perdus...

...Matelots et soldats, les lugubres vaisseaux

Les ont tous emmenés. Ces nefs les ont perdus

Et seul notre Grand Roi s’est enfui avec peine

Vers les plaines de Thrace. Et ces hommes restés

Là-bas, hélas ! hélas ! ils ont été happés

Par la fatalité. Souffrance, élève-toi

Au ciel et retentis de ta voix de douleur !

Fais entendre partout ton infini malheur...

...Les peuples de l’Asie ne se soumettent plus

À la loi de la Perse ; il n’envoient plus au roi

Leurs tributs foisonnants ; ils ne s’inclinent plus.

Le pouvoir est vacant, le joug s'est effondré,

Les langues se délient. Le peuple désormais

        Parlera librement.

 

 

 

L'ombre de Darius

(vers 739 - 785)

 

Darius

Ah ! qu'ils ont peu tardé à se réaliser,

Ces oracles ! Et c'est mon fils qui les subit.

Je croyais que les dieux retarderaient leurs actes.

Mais quand l'homme s'acharne à courir à sa perte,

Les dieux mettent la main. La source des soucis

Est venue jusqu'à vous à cause de mon fils,

Imprudente jeunesse. Ah ! dire qu'il a tenté

De faire prisonniers les flots de l'Hellespont,

D'arrêter dans son cours le Bosphore, ce dieu !

Oui, capturant ses eaux au moyen des entraves

Forgées par le marteau, mon fils a dégagé

Un immense chemin pour son immense armée.

Il croyait surpasser, lui, un simple mortel,

La puissance des dieux et de Poséidon.

Quel délire a vaincu mon pauvre rejeton ?

Dorénavant, j'ai peur pour toutes nos richesses :

Oui, le premier venu pourra les confisquer.

 

Atossa

L'impétueux Xerxès doit cette déraison

À ses vils conseillers. Sans cesse, ils lui disaient

Que tu avais conquis par la force du glaive

Une fortune immense : et lui, pendant ce temps

Végétait dans sa chambre, exempté du courage,

Sans se préoccuper d'accroître ses richesses.

Ces propos répétés comme autant de reproches

L'incitèrent bientôt à marcher sur la Grèce.

 

Darius

Ce sont eux les auteurs de cette catastrophe

Qui restera gravée au fond de nos mémoires.

Jamais un tel fléau n'avait dévasté Suse

Depuis le temps où Zeus désigna un seul homme

Pour gouverner l'Asie, nourrice de brebis,

Jetant entre ses mains le sceptre souverain.

Médos fut le premier à diriger l'Asie.

Son fils, avec sagesse, accomplit son dessein.

Son successeur, Kyros, béni par la Fortune,

Prit le pouvoir, donnant la paix à ses sujets.

Il conquit la Lydie, ensuite la Phrygie

Avant de déferler sur toute l'Ionie,

Toujours aidé des dieux parce que raisonnable.

Le fils de Kyros fut le quatrième roi.

Après lui vint Merdis, honte de sa patrie,

Honte d'un trône antique. Artophrénès, ce brave,

Aidé par ses amis, le tua, délivrance !

Au fond de son palais. Enfin, moi, obtenant

Ce que je désirais, je reçus le pouvoir.

J'ai beaucoup guerroyé, il est vrai, mais jamais

Je n'ai conduit mon peuple à cette extrémité.

Or, Xerxès, voyez-vous, est encore immature

Et ses moindres pensées reflètent sa jeunesse.

Il n'est pas disposé à écouter ma voix.

Mes amis, disons-le, jamais à nos sujets

Les anciens rois n'avaient offert un tel désastre.

 

 

 

Les lamentations de Xerxès

 (vers 923 - 1076)

 

 Chœur

Comme ils crient ces humains nés des flancs de la terre,

Victimes de Xerxès, pourvoyeur des Enfers,

Où les morts, aujourd'hui, s'entassent lourdement !

Il faut nous lamenter sur cette armée de braves !

Quel échec pour l’Asie, puissance de la terre !

Quelle épreuve s’est abattue sur ses genoux !

 

Xerxès

C’est moi qui ai plongé mes gens dans le malheur.

Que vos paroles soient les plus sombres des plaintes

Car en ce jour le sort a joué contre moi !

 

Chœur

Des lamentations fusent pour déplorer

Ta défaite navale, ô roi ! Je plains ta race,

Ta cité, et dans mes pleurs je veux m’engloutir.

 

Xerxès

L'Ionie et ses nefs ont du côté du pire

Fait pencher la balance : ils ont semé la mort

Sur le sombre rivage et sur la sombre plaine.

 

Chœur

Va et informe-toi dans toute la contrée

Et dis-moi : où sont donc tes derniers compagnons,

Pharankadès, Pelasgon, Psammis, Dotamas,

Sousiskanès, Agabatas ? Où sont ces hommes

Qui un jour ont quitté la cité d'Ecbatane ?

 

Xerxès

Ils ne sont plus. Je les ai laissés à leur sort.

Ils ont heurté la falaise de Salamine

Quand ils furent tombés du navire tyrien.

 

Chœur

Que sont devenus Pharmoukos, Arionardos ?

Où est le prince Seuakès et Lilaios ?

Que sont devenus Masistras et Tharybis ?

Artembarès, Memphis ?

 

Xerxès

                                    Ô Destin malfaisant !

Dès qu’ils ont vu l’antique et terrible cité

D'Athènes, nos soldats se sont retrouvés là,

Palpitants sur la grève !

 

Chœur

                                      Et qu'est devenu l'homme

Qui comptait dans l'armée les Myriades, ton œil,

Ton loyal serviteur ? Horreur ! Pour la noblesse

Tout ce dénombrement est chose insupportable.

 

Xerxès

C'est une épreuve pour l'infâme que je suis,

Moi qui ai provoqué la mort de cette armée !

 

Chœur

Et que lui reste-t-il ?

 

Xerxès

                        Mon seul équipement.

 

Chœur

Oui, je vois.

 

Xerxès

    Ce petit étui.

 

Chœur

                        Répète-moi !

 

Xerxès

Ce carquois et ces traits.

 

Chœur

                                        Ah ! cela est bien peu !

 

Xerxès

Oui, nous avons perdu nos soldats valeureux.

 

Chœur

Toujours les Ioniens luttent avec vaillance.

 

Xerxès

Ils sont braves. J'ai vu un étrange spectacle.

 

Chœur

La déroute sans nom de la flotte de guerre.

 

Xerxès

Face à un tel fléau, je lacère l'habit

Que voilà ! Quels malheurs pour nous ! Mais que de joies

Données à l’ennemi !

 

Chœur

                                    Notre pouvoir s’effondre !

 

Xerxès

Par des cris, réplique à mes lamentations !

 

Chœur

Bien piètre réconfort pour notre pauvre armée.

 

Xerxès

Accompagne mon chant d’autres gémissements.

 

Chœur

Trois fois hélas ! C’est un malheur sans nom ! Je souffre.

 

Chœur

Frappe ! Frappe en cadence ! Oui, frappe ! Je le veux.

 

Chœur

Je pleure, je gémis. Hélas ! trois fois hélas !

Je veux mêler mes cris à de funèbres coups.

 

Xerxès

Déchire de ta main le voile qui te couvre.

Arrache tes cheveux pendant que tu gémis.

 

Chœur

J’arrache autant qu'il faut, j’arrache à pleines mains.

 

Xerxès

Que tes yeux soient remplis par des larmes amères.

 

Chœur

Des sanglots sur ma joue coulent en abondance.

 

Xerxès

Rentre en pleurs au palais, cortège languissant !

 

Chœur

Hélas ! Hélas ! Perse qui souffre sous nos pas.

 

Xerxès

Plaignons ceux qui sont morts au fond de leurs trirèmes.

 

Chœur

De mes lugubres cris tout le chœur t'accompagne.

 

 

Les sept contre Thèbes

(463)

 

Sur l'Agora de Thèbes

 

Prologue : Étéocle exhorte le peuple : il annonce que les Argiens assiégeant Thèbes vont attaquer dans la nuit. Un messager arrive pour annoncer que le sept chefs vont tirer au sort laquelle des sept portes sera attaquée.

 

Parodos : un chœur de femmes demande protections aux dieux.

 

Épisode 1 : Étéocle ordonne aux femmes de se taire.

 

Stasimon 1 : le chœur continue ses lamentations.

 

Épisode 2 : description par un messager des sept chefs. Étéocle dit qu'il affrontera lui-même à la septième porte son frère Polynice. Évocation par le Chœur de la malédiction des Labdacides.

 

Stasimon 2 : évocation de la faute de Laïos qui dure encore à la troisième génération.

 

Épisode 3 : le messager annonce la victoire de Thèbes mais aussi la mort d'E[É?]téocle et de Polynice.

 

Exodos : on amène le corps des deux frères : chant de deuil. Défense est faite de donner une sépulture à Polynice. Antigone annonce sa décision de passer outre.

 

 

 

 

Appel aux dieux

(vers 78 - 181)

 

Je crie ma terreur et je crie ma souffrance !

Le flot des cavaliers vient de quitter le camp,

Immense chevauchée. Voyez cette poussière

Qui s’élève, signal muet mais si réel.

Les plaines du pays sont remplies des rumeurs

Des coursiers qui s’approchent, pareil au torrent

Qui dévale du mont dans toute sa furie.

Ô grands dieux, écartez ce fléau qui nous brise  !

Les cris dépassent les murs de notre cité ;

Le peuple aux boucliers blancs est prêt à combattre.

Et c’est avec ardeur qu’il vient vers la cité.

Quelles divinités pourraient nous protéger ?

Dans vos temples si beaux, ô dieux puissants et sages,

Devant quelle statue dois-je me prosterner ?

Oui, le temps est venu d’adorer vos images.

Pourquoi gémissons-nous ? Entendez-vous le bruit

Que font les boucliers ? Ou n’entendez-vous pas ?

Moi, j’entends le fracas des lances. Que fais-tu,

Arès ? Vas-tu trahir la cité qui te fut

Longtemps hospitalière ? Ô dieu, jette ton casque !

Thèbes que tu aimais, va donc la contempler !

Dieux protecteurs, voyez ces vierges : sauvez-les

Du funeste esclavage : elles vous en supplient !

Plein de souffle guerrier s'approche l’ennemi,

Le visage cruel. Toi par qui tout s'achève,

Ô Zeus, épargne-nous ! La ville de Cadmos

Est le but des Argiens et les armes d’Arès

M'emplissent de frayeur. J'entends le bruit des freins

Sur les coursiers, j’entends sa funeste rumeur.

Les Sept présomptueux ont sorti leur épée :

Tous deux s'avancent vers l’une des sept entrées,

Celle que le destin vient de leur désigner.

Ô farouche Pallas, sauve notre patrie !

Et toi, Poséidon, oui, toi dont le trident

S'abat sur les poissons, sauve-nous du fléau !

Ô Arès, prouve-nous qu'à nous tu es lié

Par le sang. Ô Cypris, notre divine mère,

Nous venons t'implorer ! Ô roi tueur de loups,

Deviens loup à ton tour et fais payer nos plaintes

À l'ennemi ! Et toi, ô fille de Léto,

Que ton arc soit tendu ! Ah ! il me semble entendre

Le vacarme des chars. Ô vénérable Héra,

Entends-tu les essieux qui grincent ? Artémis,

Entends-tu l'air frémir sous la clameur des glaives.

Qu'allons-nous devenir ? On nous lance des pierres,

Un jet qui vient de loin ! J’entends près de nos portes

Le bruit du fer. Arès, toi qui conclus les guerres,

Ô Onka, célébrée devant notre muraille,

Délivrez Thèbes ! Ô déesses protectrices,

Ne nous livrez jamais à la lance guerrière

Qui parle une autre langue, exaucez la prière

De ces vengeurs tendant leurs bras vers vous !

Dieux amis, sauvez-nous ! Prouvez avec éclat

Que vous nous soutenez ! Songez aux sacrifices

Que nous avons offerts, souvenez-vous de ceux

Consentis pour louer le culte des mystères.

 

 

 

Après la mort d'Etéocle et Polynice

(vers 886 - 958)

 

Transpercés au flanc gauche, à terre vous voilà,

Malheureux. La raison d’un combat fraternel :

La malédiction ! Menés par la folie

Et l'imprécation paternelle, les coups

Ont massacré votre maison et votre corps.

De la cité j’entends mille gémissements ;

Nos murs pleurent aussi. Arès est inflexible !

Voyez dans quel état le fer les a rendus !

Oui, le fer aiguisé ne leur a concédé

Qu'une place modeste au tombeau de leur père.

La plainte les escorte, une plainte terrible

Et qui me fait pleurer sur ces deux souverains.

Rappelons cependant qu'il ont fait disparaître

Autant de citoyens que de vrais ennemis.

Quel malheur pour leur mère une fois qu’elle eut pris

Son enfant pour mari. Et les voilà tous deux morts

Par leurs bras fraternels, ô frères détestés

Et qui se sont battus jusqu'à la mort finale.

Or leur haine n'est plus, et dans ce sol trempé

De leur sang, leurs deux vies ne font qu'une. Leur sang

Est le même aujourd'hui. L'arbitre du conflit,

Cet étranger du Pont, ce fer dur et brûlant,

Comme il leur fut cruel ! Il fut cruel aussi,

Arès qui provoqua la malédiction

Paternelle. Ils ont eu, Ces malheureux, leur part

Du sinistre destin alloué par les dieux.

Leur corps ne côtoie plus  que le trésor sans fond

De la terre. Ah ! Hélas ! Vous vous êtes hissés

Au sommet le plus haut des affres familiales ;

On entend résonner le buccin triomphal,

Ce tintement surgi des imprécations,

Après avoir détruit cette race fatale,

Ô malédiction ! On a, près de la porte

Où le combat eut lieu, fait ce trophée d’Atée :

Devant leurs corps le ciel vainqueur s'est arrêté.

 

 

 

La décision d’Antigone

(vers 1026 - 1041)

 

Moi je déclare au chef des Cadméens ceci :

Si personne ne m’aide à donner à mon frère

Le repos de la terre, Oui, moi, je le ferai

Au risque de périr : C’est d’un cœur très léger

Que je vais par cet acte enfreindre nos coutumes.

Cette communauté où je naquis, enfant

D’un père et d’une mère abreuvés de tourments

Fait entendre sa voix. C’est volontairement

Que je partagerai le malheur qui s’abat,

Cruel, inattendu sur le sein de mon frère.

Moi vivante, je garde au mort mes sentiments.

Jamais ses pauvres chairs ne seront dévorées

Par les loups affamés. Non, ne le croyez point !

Bien que femme, je vais lui creuser une fosse

Avec mes propres mains : sa tombe sera digne

Et ma robe de lin renfermera la terre

Qui couvrira son corps. Bien sûr, je vais le faire !

Et d’ailleurs, j’userai de la ruse au besoin

Pour voir réaliser la force d’un dessein.

 

 

L'Orestie

(457)

 

I. Agamemnon

 

Devant le palais des Atrides à Argos

 

Prologue : à Argos, un veilleur évoque ses veilles. Signal de feu annonçant la victoire des Grecs.

Parodos : le Chœur des vieillards évoque le départ de l'armée et le sacrifice d'Iphigénie.

Épisode 1 : Clytemnestre annonce au Coryphée la victoire des Grecs et imagine la dernière nuit de Troie. Chœur des vieillards préconisant la sagesse dans les désirs et évoquant la puissance des Dieux.

Stasimon 1 : Zeus veut faire payer à Troie la faute de Pâris. Mais la violence de la guerre ne parvient à faire cesser les craintes.

Épisode 2 : un héraut décrit les souffrances du siège et la tempête qui a fait périr en plus tant de Grecs. Allégresse trouble de Clytemnestre.

Stasimon 2 : Hélène considérée comme l'arme de la vengeance contre les Troyens.

Épisode 3 : arrivée d'Agamemnon et dialogue avec Clytemnestre. Accueil hypocrite de cette dernière.

Stasimon 3 : le Chœur est terrifié.

Épisode 4 : Cassandre chante de terribles visions : annonce du double meurtre. Assassinat d'Agamemnon entendu de l'extérieur. Clytemnestre fait le récit du meurtre. Elle se présente comme la vengeresse des Atrides.

Exodos : Égisthe, amant de Clytemnestre, salue la justice. Le Coryphée veut s'attaquer à Égisthe. Mais Clytemnestre les sépare.

 

Collier : "Clytemnestre"

 

 

 

 

 

Chœur des vieillards

 (vers 367 - 474)

 

La seule destinée que nous concède Zeus

Naît de sa volonté ! Les dieux méprisent l'homme

Quand il n'a que dédain pour les saintes affaires,

Ô sombre impiété ! La ruine, conséquence

Des actes interdits, honteux et refusés

Par l'immortel, la ruine attend cet orgueilleux,

Dès lors que l’opulence a conquis sa demeure.

Préférons la mesure et gardons le meilleur.

On a déjà beaucoup quand on a la sagesse.

Celui qui n'a pour fin que les vaines richesses,

Oui, celui pour lequel les murailles se brisent,

Qui foule la Justice et son divin autel

Celui-là périra ! Bientôt sous la tutelle

De Persuasion, fille d’Égarement

Aux funestes conseils, l’homme devient brutal :

Tout remède est exclu, le mal devient visible,

Si bien qu'il est semblable la pièce d’argent,

Victime de l’usure et de maints frottements.

Tel le petit enfant, il sera châtié

Pour avoir poursuivi un oiseau qui volait

Et avoir maculé de honte sa cité.

Zeus ne porte plus sur lui nulle attention

Et l’homme criminel est désormais vaincu.

C’est ainsi que Pâris, accueilli chez l’Atride,

En ravissant Hélène est devenu indigne.

En quittant son pays, les armes se levèrent.

Et Troie reçut ce dot : la mort et la misère.

Alors on entendit ces plaintes de devins :

« Hélas ! Femme partant au bras de son amant !

L’époux est méprisé. Mais, malgré la douleur,

Il a sa dignité : assailli de regrets,

Il gît tel un fantôme au fond de son palais. »

Redoutons la clameur des hommes en colère.

À la haine du peuple, il faut rendre des comptes.

Je suis fort irrité à l‘idée des intrigues

Nées dans l’obscurité. Les meurtriers ne peuvent

Éviter le courroux de la divinité.

Toujours les Érinyes brisent les criminels :

Nul recours n'est permis ! Ah ! que la renommée

Est un don dangereux ! Aussi ce que je veux,

C’est un calme bonheur dont se rit l'envieux.

Non, je ne veux pas être un briseur de cités.

Non, je ne veux pas être esclave du vainqueur...

 

 

 

L’hypocrisie

 (vers 855 - 913)

 

Ô citoyens d’Argos, ô hommes estimés,

L’amour que j'ai pour lui, je veux vous l’exprimer

Sans fard. Avec le temps, la honte disparaît.

Et je vais vous conter, non quelque fiction,

Ma vie et ses tourments pendant qu’il combattait

Sous les remparts de Troie. D’abord, pour une femme,

Il est un grand malheur de vivre sans époux

Au fond de sa maison : il lui faut écouter

De sinistres rumeurs, ensuite voir venir

Le sombre messager de bien tristes nouvelles.

Souvent désespérée par des bruits mensongers,

J’ai désiré me pendre. Et c'est contre mes vœux

Que quelques étrangers ont détaché le nœud.

C’est une des raisons pour laquelle mon fils

A quitté le palais. Strophios le Phocéen,

Ton ami dévoué, celui qui a la charge

De son instruction, m’a fait envisager

Deux périls immédiats : d'abord la guerre à Troie,

Ensuite une révolte écrasant le sénat,

Sachant qu’il est inné chez les êtres humains

De fouler lâchement celui qui est à terre.

Voilà donc mon excuse : elle est franche et sincère.

La source de mes pleurs, vois-tu, s’est asséchée.

À force de veiller, mes yeux ont trop souffert,

J’ai versé des sanglots, attendant vainement

Ton retour imminent... Après mille tourments,

En ce jour, je le dis : je suis comblée de joie !

Selon moi, un époux est le chien de l’étable,

Un câble retenant le navire, la pesante

Colonne soutenant une haute toiture,

Le seul enfant d’un père, une île apparaissant

Aux marins épuisés, une aube belle et pure

Après une tempête, une source d’eau claire

Abreuvant le passant. Ah ! quel doux réconfort

De me voir sans péril. Comme il a mérité

Ces noms. C’est mon droit car j’ai trop enduré

De malheurs. Maintenant, ô mon prince adoré,

Descends du char mais sans poser le pied à terre,

Ce pied qui renversa la puissante Ilion.

Esclaves, allons donc ! Vous ne savez que faire !

N’ai-je point ordonné de joncher de tapis

Le sol qu’il doit fouler. Oui, que la pourpre suive

Ses pas. Qu’il soit conduit jusque dans son palais ;

Le reste, laisse-le tout entier à mes soins.

Avec l’aide des dieux, bientôt j’accomplirai

Les décrets du destin...

 

 

 

Les imprécations de Cassandre

 (vers 1100 - 1173)

 

Cassandre

Dieux, quel est le malheur qu'on fomente au palais,

Malheur que les parents ne peuvent supporter,

Oui, ce mal impossible, impossible à guérir ?

 

Coryphée

Ces prédictions sont obscures mais le reste

M’est connu : la cité le répète sans cesse.

 

Cassandre

Que fais-tu, malheureuse ? Après avoir baigné

Celui qui couche avec toi, tout s'accomplira.

 

Coryphée

Non, je ne comprends pas. Aux énigmes succèdent

Des oracles obscurs qui me rendent perplexe.

 

Cassandre

Que vois-je ? Un filet maudit, compagne du lit,

Ce complice du meurtre. Insatiable de sang,

La meute se soumet à l’affreux sacrifice

De son cri triomphal !

 

Coryphée

                            Quelle est cette Érinye

Que tu appelles tant ? Quels propos déplaisants !

 

Chœur

Un fluide jaunâtre a coulé dans mon cœur,

Un fluide pareil à celui qui pénètre

Le soldat transpercé par la lance ennemie,

Lui dont la vie s’éteint, lui dont la mort s’avance.

 

Cassandre

Garde-toi de la vache et dirige tes yeux !

Elle a pris dans son piège un bœuf aux cornes noires,

Elle frappe à grands coups, il croule dans la cuve.

C'est un flot de sang, de ruse que je prédis.

 

Coryphée

Je ne suis pas devin mais pourtant je devine

Dans ta prédiction un malheur indicible.

 

Chœur

L'oracle est un porteur de mauvaises nouvelles.

Cet art dispensateur de funestes tourments

N’inspire que frayeur à celui qui l'entend.

 

Cassandre

Je dis et je déverse au fond de ce cratère

Mon sinistre destin et tout mon désespoir.

Tu m’as conduite ici afin que je périsse

Sinon, pourquoi vomir de telles prophéties ?

 

Chœur

Une fureur sacrée te domine et te livre

Son âpre chant. Tu es ce rossignol plaintif

Qui crie très fort « Itys » en déplorant sa vie.

 

Cassandre

Pourquoi évoques-tu cet oiseau enchanteur ?

Sa vie n’est que repos, bonheur, et sur son corps

Les dieux ont déposé un splendide plumage.

Quant à moi, je n'attends que la funeste hache,

Celle à double tranchant qui brisera ma tête.

 

Chœur

D’où tiens-tu les malheurs qui déferlent sur toi ?

Pourquoi déclames-tu autant de prophéties

Avec ces cris puissants, sinistres et aiguës ?

Qui t’enseigna l'art de la divination

Avec tout ce fardeau d'âpres conclusions ?

 

Cassandre

Malheurs de ma cité à tout jamais perdue !

Et ces troupeaux de bœufs que mon père immolait

Pour défendre nos murs, sacrifice inutile !

Rien n’a sauvé du désastre notre cité.

Et moi, la prophétesse inspirée, je m'effondre..

 

 

 

Après le meurtre d’Agamemnon

(vers 1372 - 1398)

 

Tout à l’heure mes mots suivaient les circonstances.

C’était nécessité. Désormais je n’ai point

De honte à démentir ce que j’ai déclaré.

Comment sans le secours du verbe mensonger

Préparer la vengeance ? Oui, comment le vêtir

D’un terrible réseau qu'on ne saurait briser ?

Sur ce nouveau combat, je me suis tant rongée.

La revanche est venue ! Je suis restée debout,

Là où je l’ai vaincu. J’ai tout fait, je conviens,

Pour qu’il ne pû ni fuir ni défendre sa vie.

Comme pour des poissons, je jette près de lui

Un filet sans issue, un voile somptueux,

Mais riche en perfidie. Et je frappe deux fois,

Oui, deux fois d’un coup vif ! Il pousse un cri plaintif.

Sa force l’abandonne, il tombe et je lui donne

Un dernier coup, offrande au souverain des morts,

Hadès. Puis il rend l’âme ; et le sang qu’il rejette

M’inonde de ses flots aussi doux à mon cœur

Que la fraîche rosée déposée sur les fleurs.

Voilà les faits, vieillards de le cité d’Argos.

Qu’importe de savoir votre avis sur mon acte !

Moi, voyez-vous, je suis en exaltation !

Si l’on pouvait verser quelques libations

Sur un cadavre, ce serait justifié :

Dans ce cas-ci les dieux sont à remercier :

Cet homme avait rempli de tant d’affreux forfaits

La coupe de Pélops qu’au retour il a dû

        La vider d’un seul trait !

 

 

 

 

 

II. Les Choéphores

 

Devant le palais des Atrides à Argos

 

Prologue : Oreste revenu d’exil se recueille sur le tombeau de son père.

Parodos : les jeunes filles apportent des libations sur l’ordre de Clytemnestre qui vient de faire un rêve affreux : chœur des lamentations.

Épisode 1 : Électre accomplit avec les Choéphores (porteuses d'offrandes) les rites permettant que la vengeance se fasse. Elle découvre sur le tombeau les traces d’Oreste. Reconnaissance du frère et de la sœur. Celui-ci annonce l’ordre de vengeance reçu d’Apollon.

Kommos : chant de deuil et de vengeance.

Épisode 2 : récit du songe de la reine et plan d’Oreste.

Stasimon 2 : Clytemnestre se trouve en la compagnie d’autres meurtrières, les femmes de Lemnos. Célébration de la justice divine.

Épisode 3 : Oreste se présente à sa mère comme un étranger venant dire la mort d’Oreste ; lamentations de la nourrice.

Stasimon 3 : arrivée d’Égisthe : on entend son meurtre. Meurtre ensuite de Clytemnestre.

Stasimon 4 : Hymne à la Justice.

Exodos : Oreste apparaît entre les deux corps. Justification, puis arrivée des Érinyes.

 

 

 

 

 

 

Chœur des lamentations

 (vers 24 - 72)

 

Ah ! voyez sur ma joue les traits qui la sillonnent !

Voyez ce vêtement tout entier lacéré !

Toute joie m'a quitté, le malheur me rend fou,

Oui, le malheur qui fait se dresser mes cheveux,

Malheur qui me prédit un avenir affreux.

La peur a retenti ici dans ce palais

Au plus fort de la nuit, épouvantable cri,

Épouvantable drame qui s'est abattu

Au fond du gynécée. Les devins nous ont dit

Que tous les morts, dans leurs funestes profondeurs,

Contre les assassins bouillonnent de fureur.

Pour détourner ces maux, une femme coupable

(Et je tremble à ces mots) me fait don d'un présent,

D'un présent qui m'effraie, car comment racheter

Tout ce sang que l'on a répandu sur le sol ?

Ô Foyer chavirant ! Ô maisons détestées,

Sinistres aux  vivants ! Loin des traits du soleil,

Voyez l’obscurité qui gagne nos demeures !

Le respect de jadis n'est plus et c’est la peur.

Le seul dieu aujourd’hui aimé, c’est le succès.

Mais la Justice veille et frappe en plein midi,

Parfois au crépuscule ou parfois dans la nuit !

Quand le sol boit le sang il ne s’écoule pas ;

Certes, le châtiment peut être retardé

Jusqu'au jour où l'on voit expier le meurtrier.

À celui qui salit la chambre d’une vierge

Il n’est point de secours à des mains sacrilèges :

Tous les fleuves du monde unis dans un seul flot

Jamais ne rendront pure une sanglante épreuve.

 

  

 

Appel à la vengeance

(vers 123 - 147)

 

Ô Hermès, dieu des morts, va, porte mon message

À Hadès qui épie les meurtriers d'un père ;

Que ces divinités écoutent ma prière

De même que la Terre, ô mère des vivants,

Notre nourrice à tous mais qui reprend bientôt

Notre germe fécond. Avec cette eau lustrale,

Moi, je verse à nos morts quelques libations.

Ô père, prends pitié de moi comme d’Oreste.

Fais-nous récupérer l’héritage royal.

Nous ne cessons d’errer tristement en ce monde,

Vendus, je te le dis, par notre génitrice

Qui, pour te remplacer, a épousé Égisthe,

Complice de ton meurtre. Et moi, je suis servante !

Oreste est en exil. Pendant ce temps, tous deux

Ne savent que jouir du fruit laborieux

De ton œuvre, et cela, de manière insolente.

Fais qu’Oreste, ton fils, revienne en son pays.

Exauce ma prière, ô père, je t’en prie !

Accorde-moi un cœur plus noble que celui

De ma mère, et des mains pures. Écoute-moi !

Pour nos deux ennemis, je ne veux qu’un vengeur

De ta mort. Que par un juste retour des choses,

Ils périssent bientôt. Que vienne la Justice !

 

 

 

Les menaces de l'oracle

 (vers 269 - 305)

 

L’oracle d’Apollon, Loxias, qui m’ordonne

D’affronter ce danger, ne me trahira point.

Je l’entends de sa voix si puissante enflammer

Mon cœur et m’annoncer l’assaut d’un mal sans fin.

Si donc je ne cours pas après les assassins

De mon père, en les frappant comme ils ont frappé,

En me vengeant sur eux de mon dépouillement,

Alors, je paierai par d’ineffables tourments

Les malheurs du défunt. Révélant le courroux

Des morts dessous la terre, il m’a prédit des maux

Qui corrompraient ma chair, une lèpre à la dent

Sauvage qui mordrait un corps jusque-là pur

Et blanchirait mon poil. Il annonçait encore

L’assaut des Érinyes, un assaut ordonné

Par le sang de mon père et la venue d’un œil

Brillant dans les Enfers. Car la flèche invisible,

celle issue de l’Hadès par les hommes tombés

Sous de méchantes mains, le cri sempiternel

Et les vaines frayeurs enfantées par la nuit,

Affectent le lépreux et frappent ce maudit

Avec un fouet d’airain, avant de le chasser

Hors de sa patrie. Cet homme-là ne boit plus

Dans les festins, n'offrant plus de libations ;

Le courroux paternel l’écarte des autels.

Nul ne veut accueillir un tel homme chez lui ;

On le méprise, il meurt par sa lèpre, détruit

Inexorablement. À ces prédictions

Il faut croire vraiment ; si je n’y croyais pas,

La vengeance aurait lieu malgré tout. Les motifs

Pour elle sont nombreux : outre l’ordre du dieu,

La mort de notre père, un profond dénuement

Et le désir aussi que le vainqueur de Troie

Ne reste plus soumis à la funeste loi

De deux femmes : mais oui, cet homme est une femme !

Et s’il ne le sait pas, il l’apprendra bientôt !

 

 

 

La vengeance

 (vers 394 - 475)

 

Électre

Quand viendra le moment pour Zeus de nous venger ?

Et de notre cité, quand sera rétabli

L'antique confiance ? Et quand tranchera-t-on

Ces têtes ! Écoutez-moi, ô Dieux infernaux !

 

Coryphée

La loi prescrit qu’au sang jeté sur notre sol

Il doit couler un autre sang ! Car l’Érynie

Arrive par le crime, et c'est par les tourments

Qu'on venge la victime.

 

Oreste

                                Ô toi maître infernal,

Ô imprécations, ah ! voyez ce qu'il reste

Des Atrides. Voyez ces lugubres visages

Chassés de leur demeure.

 

Chœur

                                    J'ai entendu vos cris

Et les battements de mon cœur. Je vous écoute

Et mon espoir s'enfuit. Mon âme est dans le doute.

À force de courage, en refoulant ta peine

Il se peut malgré tout que le bonheur revienne.

 

Électre

Que dire pour agir ? Dirai-je les malheurs

Que nous avons subis de la part de ma mère.

Certes, nous pouvons les flatter mais les calmer,

Cela, jamais ! Ma mère a fait de moi un loup

Et personne ici-bas ne me fera plier.

Ô toi, mère sans foi, tu as enseveli

Un monarque en privant la cité toute entière

De ce deuil souverain. Oui, tu as mis en terre

Ton époux sans jamais déplorer son départ.

 

Oreste

Tu viens nous rappeler que ma mère a commis

Le pire des forfaits. Mais ce crime, vois-tu,

Les dieux le vengeront ainsi que notre bras.

Que je la tue d’abord ; ensuite je mourrai.

 

Chœur

Ton père fut aussi mutilé : par cet acte,

Ta mère t'infligeait le sort le plus infâme.

Voilà tous les desseins cruels de cette femme.

 

Électre

Certes, il y eut le sort paternel. Mais moi, moi,

Vois donc ce que je suis devenue ! Sans égards,

Rejetée de chez moi comme un chien enragé,

Je ris fort rarement, pleurant plutôt sans cesse,

Je ne fais que gémir, très souvent en cachette.

Grave dans ton esprit les faits que je t'apprends.

 

Chœur

Ô père, c'est à toi que je dis ces paroles :

Viens au secours de ceux qui te vénèrent tant.

 

Électre

Moi, je t’appelle aussi de mes larmes amères.

 

Chœur

Nous, d'une seule voix nous t’appelons de même.

Reviens et aide-nous face à nos ennemis !

 

Oreste

Il faut que la Force lutte contre la Force.

Il faut que le Droit lutte aussi contre le Droit.

 

Électre

Ô Dieux faites que le Droit puisse l’emporter !

 

Chœur

Ah ! je me sens frémir en entendant ces vœux.

Je sais que le destin se fait parfois attendre,

Mais grâce à la prière il revient nous surprendre.

Dans le palais se trouve un remède à ce mal.

Ce n’est pas du dehors que la solution

Naît, c’est par un combat éprouvant et brutal.

 

 

 

Le meurtre de Clytemnestre

 (vers 885 - 930)

 

Clytemnestre

Ah ! que se passe-t-il et pourquoi tant de cris ?

 

Oreste

Les morts peuvent tuer des gens encore en vie.

 

Clytemnestre

Malheur ! Je ne comprends que trop bien cette énigme.

Par ruse, nous allons connaître le trépas.

Qu’on me donne une hache afin de me défendre !

Aurai-je la victoire ou serai-je vaincue ?

Me voici parvenue à cette phase extrême !

 

Oreste

Je te veux, toi ! Quant à lui, c’est déjà fini !

 

Clytemnestre

Quel malheur ! Tu es mort, ô Égisthe chéri !

 

Oreste

Tu l’aimais ? Vous aurez un semblable destin.

Comme il n'est plus, tu ne pourras pas le trahir.

 

Clytemnestre

Mon fils, respecte un sein qui jadis te nourrit.

 

Oreste

Ami, que dois-je faire ? Éliminer ma mère ?

 

Pylade

Mais que fais-tu alors des oracles rendus

À Pytho ? Il vaut mieux devenir l’ennemi

D'un homme bien plutôt que l'ennemi des dieux.

 

Oreste

Tu as raison, Pylade, et ton conseil est bon.

Mère, suis-moi ! Je vais t’égorger près de lui,

Lui que tu as aimé quand il était en vie.

Oui, rejoins-le, toi qui détestas ton mari.

 

Clytemnestre

T'ayant nourri, je dois vieillir auprès de toi.

 

Oreste

Quoi ! Vivre avec moi, toi qui égorgeas mon père ?

 

Clytemnestre

C’est la faute au destin !

 

Oreste

                                    C’est aussi le destin

Qui te livre au trépas !

 

Clytemnestre

                                Ne crains-tu l'Érinye ?

 

Oreste

Non, car c’est toi qui me plongeas dans le malheur.

 

Clytemnestre

Tu as longtemps vécu dans un douillet logis.

 

Oreste

Être vendu deux fois, moi né d’un père libre.

 

Clytemnestre

En échange, dis-moi ce que j'ai obtenu !

 

Oreste

Non, je ne puis répondre à une telle insulte.

 

Clytemnestre

Mon enfant, pas de honte ! Oui, ton père était fou.

 

Oreste

N’accuse pas un homme épuisé à la tâche,

Toi qui restas prostrée dans un mol intérieur.

 

Clytemnestre

Délaissée par l'époux, la femme dépérit.

 

Oreste

L’homme par son travail fait vivre son épouse.

 

Clytemnestre

Mon fils, tu vas tuer celle qui t'enfanta.

 

Oreste

C’est toi qui te tueras.

 

Clytemnestre

                                Enfant, ne crains-tu pas

Que viennent par ma mort les chiennes de vengeance !

 

Oreste

Mais pour venger mon père, il me faut te tuer !

 

Clytemnestre

Je parle à une tombe et je supplie en vain.

 

Oreste

Ton destin est figé par tant de forfaiture.

 

Clytemnestre

Pauvre de moi ! C'est le serpent que j’ai nourri !

 

Oreste

Les rêves de tes nuits étaient des prophéties.

Tu as tué celui qui n’eût pas dû mourir.

Tu vas souffrir ce que tu n’eus pas dû souffrir.

 

 

 

 

 

III. Les Euménides

 

Au temple d'Apollon, puis à l'Acropole d'Athènes

 

Prologue : prière de la Pythie. Épouvantée, elle sort du temple : on voit apparaître la scène qu'elle vient de décrire : Oreste suppliant et Apollon qui ordonne à ce dernier de se rendre à Athènes pour « étreindre l'antique image de Pallas ». Réveil des Érinyes par l'ombre de Clytemnestre.

Parodos : réveil des Érinyes.

Épisode 1 : à Delphes, Apollon chasse les Erinyes du sanctuaire et dit vouloir sauver Oreste. À Athènes, Oreste prie Athéna. Les Érinyes le menacent.

Stasimon 1 : chant terrible des Érinyes.

Épisode 2 : Athéna apparaît : Oreste et les Érinyes plaident leur cause.

Stasimon 2 : le chœur devine la création d'une nouvelle justice.

Épisode 3 : procès d'Oreste devant Athéna. Apollon parle en sa faveur. Athéna fonde l'Aréopage afin de protéger la cité. Le vote a lieu. Athéna proclame bientôt l'acquittement d'Oreste.

Exodos : long kommos. Athéna persuade les Érinyes affolées de renoncer à leur vengeance et de s'installer à Athènes où elles deviendront les Bienveillantes, « Euménides ». Chant de paix.

 

 

Bouguereau : "Oreste poursuivi par les Érinyes"

 

 

 

 

 

Chant des Érinyes

 (vers 299 - 398)

 

Le Coryphée

Amies, formons nos chœurs,

Puis entourons l’auteur

D’un funeste homicide :

Il connaîtra le dessein qui nous guide,

Nous, les dispensatrices du destin.

 

Nous vénérons la Justice ;

Quant à ceux des humains

Qui gardent les mains pures

Ils savent qui nous sommes,

Ils demeurent sereins.

 

Mais ces êtres perdus d’iniquité,

Qui cachent comme lui des mains ensanglantées,

Ô misérables feintes,

Nous verront, nous qui sommes redoutées,

Interpeller les morts pour venger l’innocent.

 

Chœur

Ô Nuit, ô notre mère qui nous engendra ;

Pour châtier ceux qui voient ou qui ne voient pas,

Apprends qu’Apollon nous désespère

En protégeant un fils qui a tué sa mère.

 

Aussi, hymnes de sang et cris d’horreur,

Chant de folie et de rage indicible,

Ô Hymnes sans lyre qui assèchent le cœur,

Éclatez dans les cieux et semez la terreur !

 

Car l’instant est venu où le destin se venge.

Voilà se profiler l’implacable sentence

Pour l’ignoble assassin !

Nous le précéderons jusqu’au fond du tombeau,

Puis dans la fosse, s’écroulant enfin,

Il fixera notre ombre de nouveau !

 

Aussi, hymnes de sang et cris d’horreur,

Chant de folie et de rage indicible,

Ô Hymnes sans lyre qui assèchent le cœur,

Éclatez dans les cieux et semez la terreur !

 

C’est l’éternel labeur

Que nous assigne le destin.

Aux dieux mêmes nous faisons peur !

Aussi, nul ne nous voit à leurs festins.

Revêtus de sombres habits,

Nous nous montrons au criminel

Qui frappe son ami,

Et pareil au tonnerre nous brisons

La maison de l’homme indigne.

Ils ont beau être des puissants :

Ils expient leurs ignobles forfaits de leur sang !

 

Parfois, on nous oublie, on nous croit loin !

Le criminel exulte ! Mais soudain,

Nous nous jetons sur lui,

Il tombe, il s’enfuit

Et son combat est vain.

 

Notre route est certaine

Et nous mène toujours vers notre cible.

On peut bien supplier,

Nous n’avons point pitié du criminel.

Nous savons le passé et nous n’oublions rien !

Nous n’avons ni temples ni autels ;

On ne nous fait nul sacrifice.

Nous sommes les Vénérables.

Notre labeur est sombre et sans honneur ;

Nous sommes loin des dieux ;

Nous sommes loin de la lumière.

Pour châtier les mortels

Un noir abîme nous retient

Sur des rochers inabordables.

 

Cet horrible pouvoir

Que le ciel vengeur décrète

Pour briser les méchants

N’est-il point remarquable ?

Et dans notre domaine noir

Hors de toutes lueurs,

Nous qui accomplissons une œuvre si sacrée,

De la clarté du jour nous n’avons nul regret !

 

 

Craignons la Justice !

 (vers 517 - 565)

 

La crainte est salutaire et doit nous surveiller :

Douleur donne vertu. Si l’homme et la cité

Ne l’avaient obtenue, comment donc la Justice

Pourrait-elle régner ? Refuse l'anarchie

Comme le despotisme ! Apprends que la Mesure

Est un présent des dieux qui tend à limiter

La vie désordonnée. Je le répète encore,

- Ai-je tort ? -, Hybris est née de l'Impiété,

Et le bonheur dépend de la santé de l'âme.

Je le répète : loue l’autel de la Justice

Et ne te laisse pas attirer par le gain :

Tu le renverserais d'un geste sacrilège ;

Tu connaîtrais alors un juste châtiment.

Vénère tes parents et respecte les gens.

Le vertueux connaît la joie à tous moments

Et ne meurt jamais tout à fait. Quant au gredin,

Celui qui s'enrichit au mépris de la loi,

Celui-là, un beau jour, amènera sa voile,

Terrifié soudain par l’antenne brisée.

Pris dans le tourbillon, malgré ses cris plaintifs,

Le Ciel le narguera. Lui qui ne croyait pas

Vivre de tels instants tentera, mais en vain,

De remonter les flots, et contre le récif

De Diké, le bonheur de jadis s'échouera,

Mourant de désespoir, regretté de personne.

 

 

 

La défense

 (vers 625 - 673)

 

Apollon

Ainsi donc, vous osez comparer cette mort,

Celle de Clytemnestre, au meurtre d’un héros

Dont le sceptre est issu d'une faveur divine.

Était-elle une noble ennemie qui des cieux

Lança des traits au loin. Non point, ô Athéna,

Non point, hommes choisis pour mener les débats.

Il revenait heureux après de longs combats,

D’âpres dangers, de gloire. Une voix doucereuse

L’accueille et puis le baigne. Il sort. Elle, mielleuse,

Couvre son pauvre corps d'une voile qui le serre

En ses mille replis. Et soudain elle frappe !

Sans se défendre, il meurt, ce prince, ce meneur

De soldats, commandant d’une flotte sans nombre.

Aussi, je t’interpelle, ô peuple qui m’entend :

Que l’indignation influe sur la sentence.

 

Le chœur

Tu crois défendre Oreste : or le sang maternel,

Ce sang qui est le sien, peut-il donc l’abolir ?

Peut-il donc dans le palais d’Argos revenir ?

Quel dieu le laissera s’approcher de l’autel ?

Quel frère lavera ses mains dans l’eau lustrale ?

 

Apollon

La part est inégale entre les deux parents :

Dans son corps une mère a simplement un germe ;

Apprends que seul le père est vraiment créateur.

Si les divinités sont pour elle clémentes,

Elle le protège en gardienne vigilante.

Une preuve à cela ? Un exemple, veux-tu ?

Sans besoin d’une mère il peut s’épanouir

Un germe merveilleux. Ô fille née de Zeus,

Toi, toute de vertu, nul ventre maternel

Ne t’a jamais conçue. Quelle déesse aux cieux

Eût pu se vanter d’un enfant si glorieux.

J’aime Athènes très fort et j’ai la volonté

De donner à son peuple la prospérité.

 

 

 

Athéna fonde l’Aréopage

(vers 681 - 710)

 

Athéniens, écoutez la loi que j’établis :

C’est la première fois que pour le sang versé,

Vous allez en ce lieu pouvoir vous prononcer.

Désormais, pour toujours, les citoyens d’Égée

Se feront un devoir de respecter ces juges.

C’est sur ce mont d’Arès qu'on vit les Amazones

Planter leurs tentes quand, luttant contre Thésée,

Ces femmes assiégeaient la nouvelle cité.

C’est là qu’au dieu Arès elles sacrifièrent

D’où le nom du rocher. Ici donc le respect

Et la crainte, sa sœur, retiendront jour et nuit

Le peuple citoyen loin des actes proscrits ;

À moins que, par malheur, ils n’altèrent leurs lois.

Quand on trouble une eau pure, eh bien, on le la boit !

Je donne aux citoyens une règle à la fois

Contre le despotisme et contre l’anarchie.

Pour autant la rigueur n’est point chose bannie

Car sans sévérité quel mortel reste droit ?

Si donc vous respectez cet auguste conseil

Vous aurez pour la ville une muraille épaisse :

Aucun peuple ici-bas n’en a de plus solide,

Ni en Scythie, ni sur le sol des Pélopides.

D'une rigueur sans nom, telle est cette assemblée

Qu’en ce lieu j’établis, un antre incorruptible,

Gardant les yeux ouverts quand tout semble endormi.

  

 

Les Érinyes affolées

 (vers 808 - 823)

 

Nouveaux esprits divins,

Ô destructeurs de l’ordre ancien,

Vous arrachez nos vies

De vos terribles mains.

Il ne reste aux Érinyes,

Nous, la race maudite,

Que colère, douleur et fuite.

Mais sur la terre que nous haïssons,

Déversons sur le champ nos poisons,

Et que ce sol ami du crime

Subisse la famine !

Écoulez-vous, poisons,

Et que la mort pénètre en tes sillons.

Honteuse terre,

Pourquoi me lamenter ? Que faire ?

Nous qui sommes les Filles de la Nuit,

Oui, nous qu’on désespère,

Une malédiction nous poursuit.

 

 

 

 

 

 

Prométhée enchaîné

(date inconnue)

 

Sur une montagne

 

Prologue : Héphaïstos, accompagné de Kratos, doit clouer sur un rocher Prométhée. Malgré quelques hésitations, Héphaïstos s’exécute. Le char ailé des Océanides survient pour consoler Prométhée.

Kommos qui évoque le pouvoir tyrannique de Zeus.

Épisode 1 : Prométhée explique aux Océanides les causes de la colère divine.

Stasimon 1 : lamentations sur le sort du Titan.

Épisode 2 : Prométhée dit ce qu’il a donné aux mortels.

Stasimon 2 : le chœur craint le pouvoir de Zeus.

Épisode 3 : Io arrive poursuivie par le taon. Elle se plaint et raconte son histoire. Prométhée la rassure et prédit la fin de son malheur. Io s’enfuit toujours taraudée par le taon.

Stasimon 3 : lamentations sur Io.

Exodos : Prométhée annonce la fin des dieux. Hermès survient pour contraindre le Titan à se soumettre, lui annonçant le supplice à venir. Défi de Promé thée. La tempête fait rage. Conflit annoncé entre Zeus et Prométhée.

 

 

Moreau : "Prométhée"

 

 

 

 

 

Chœur des lamentations

(vers 397 - 435)

 

Je te plains Prométhée et mes yeux sont humides.

En édictant ces lois selon son bon plaisir,

Zeus vient nous rappeler sa puissance divine.

Le pays tout entier plonge dans le malheur ;

On regrette qu'à toi, mais aussi à tes frères,

Le dieu ait dérobé tant d'honneurs. Dans l'Asie,

Chaque mortel s’afflige avec toi et gémit ;

Sont aussi en émoi les vierges de Colchide, Farouches fantassins, les hordes de Scythie

Au marais Méotis, aux confins de ce monde,

Les troupes d’Arabie et les Caucasiens.

Un seul Titan avait subi pareils tourments :

C'était Atlas, le dieu à la force mythique

Qui portait sur son dos et la terre et le ciel. Pleins de rumeurs les flots se fracassent entre eux ;

L'abîme se plaignant, Hadès hurle sur lui,

Puis les sources sacrées, tant de magnificence,

Se mettent à gémir leur piteuse souffrance.

 

 

 

L'ami des hommes

 (vers 442 - 471 et 476 - 516)

 

Écoutez le destin effroyable des hommes !

Et apprenez comment je pus par la raison

Les instruire. Je vais tout vous dire, non pas

Pour les critiquer, mais afin de vous montrer

L’ampleur de ma bonté. Jadis, ils écoutaient

Mais il n'entendaient rien ; ils regardaient sans voir ;

Et comme dans un rêve ils vivaient sans comprendre.

Tout pour eux n'était que flou et confusion.

Pour bâtir leur maison, point de briques luisantes,

Mais seulement le bois ; et, telles des fourmis,

Ils s'entassaient au fond de grottes sans soleil.

Pour distinguer l’hiver, le printemps florissant

Et l'été fructueux, rien pour les repérer.

Ils faisaient tout sans réfléchir. Or j'inculquai

Ma façon d'observer les astres dans la nue.

Je leur appris aussi la science du nombre

Pour que dure à jamais le souvenir du monde,

Pour que les arts, enfin, puissent s'épanouir.

De même j’enseignai l’assemblage des lettres,

Et je fis accoupler des animaux afin

Qu'ils usent de leur force. Ainsi donc, j’allégeai

Le travail des humains. J’inventai ces vaisseaux

À la voile de lin pour voguer sur les mers.

En faveur des mortels que n’ai-je imaginé !

Mais je ne puis m'ôter cette honte, ô malheur !

Écoute ! Je vais te surprendre en t'apprenant

Ce que je fis encor ; vois pour la maladie :

Quand un homme souffrait, bref rien ne l'épargnait,

Ni breuvage, ni rien ; sans remède il mourait.

Or, je lui ai donné les moyens de guérir

En mêlant des onguents avec le plus grand soin.

Enfin, s'agissant de la divination,

Je distinguai les rêves faux des rêves vrais.

Je leur appris aussi comment interpréter

Les bruits et les rumeurs. Dans le vol des oiseaux,

J'ai désigné les bons et les mauvais présages.

Pour chaque peuple, apprends que j’ai défini ses mœurs,

Ses affinités et ses associations.

Dans les viscères j'ai montré les bonnes teintes.

J’ai montré ce qui dans le foie est favorable ;

J'ai fait brûler autant de chairs que de beaux reins.

Je voulais révéler un art mystérieux,

Éclaircir à leurs yeux des rayons ténébreux.

Voilà ce que je fis ! Tous les trésors du monde

Je les ai confiés aux mortels : argent, or,

Airain. Qui, avant moi les avait signalés,

Si ce n'est l'étourdi ? Un dernier mot enfin

Qui puisse résumer la grandeur de ma tâche :

Tous les arts des mortels sont nés de Prométhée.

 

 

 

Le crépuscule des Dieux

 (vers 907 - 927)

 

Après ce mariage, oui, je vous le répète,

Un jour viendra où Zeus se cachera dans l’ombre :

Il perdra son pouvoir, il quittera le monde.

La malédiction lancée contre son fils

Par Kronos, quand lui-même eut perdu sa grandeur,

La malédiction viendra quand il faudra.

Aucun dieu ne pourra le sauver, sauf moi-même !

Oui, c'est grâce à moi qu'il retrouvera son trône

Et qu'il pourra tonner de nouveau dans les airs.

Or le dieu tombera d'une chute implacable !

Il fixera un feu plus ardent que la foudre ;

Ce sera un fracas sauvage et plus puissant

Que le bruit du tonnerre, un fracas abattant

Le terrible trident, ce fléau de la mer.

Quand le Destin fera de lui une victime,

Il comprendra soudain le contraste existant

Entre l’obéissance et le commandement.

 

 

 

Colère

 (vers 1000 - 1035, 1040 - 1062 et 1080 - 1093)

 

Hermès

 

À quoi bon discourir, tu ne fléchiras pas.

Mes prières, hélas ! ne sauraient te calmer.

Tel le poulain hargneux, tu voudrais arracher

Le frein qui te retient, ô rebelle indomptable !

Mais ton entêtement n'a pas de raison d'être,

Ta colère est bien vaine : allons, sois raisonnable !

Songe un peu à l'orage, à cette houle immense

Qui vont sur toi vomir leur labeur de souffrance.

Tu n’auras nul secours. Mon père détruira

La montagne ; ton corps restera suspendu

Aux bras noirs du rocher. Des années passeront

Avant de contempler le jour et ses rayons.

Et même à ce moment-là, le chien ailé de Zeus,

L'aigle, se repaîtra d’un corps humilié.

Ce lugubre invité dévorera ton foie

Chaque jour sans pitié. Ton infinie souffrance

Ne prendra fin que lorsqu'un dieu terrifié,

Succédant à ta peine, échouera aux Enfers,

Dans le profond Tartare. Allons, que je te dise :

La parole de Zeus est entrée dans les actes.

Regarde autour de toi : face à tant de colère

Il vaut mieux réfléchir...

 

Prométhée

                                ... Je connais ce discours :

Il fut souvent tenu. Non, non, entre ennemis,

Il n'y pas de honte à être maltraité.

Que la foudre m'effleure et que mille tempêtes

S'acharnent dans les cieux et détruise le monde ;

Que l’océan fougueux confonde dans le ciel

Les astres nébuleux et jette mon cadavre

Dans l'âpre tourbillon au tréfonds du Tartare !

Mais je ne mourrai pas : ne suis-je pas un dieu ?

 

Hermès

Ces propos sont tenus par un être dément.

Pareille volonté révèle la folie.

Vous qui voyez ses maux, quittez vite ces lieux !

N’écoutez pas la foudre : elle sera terrible.

Pensez à mon discours quand vous serez touché

Par la Fatalité ; surtout, ne dites pas

« Je n'ai pu le prévoir ! » N'accusez pas les dieux

Mais vous tout simplement. Livrés à la souffrance,

Ne parlez surtout pas de l'effet du hasard,

Puisque l'insouciance est seule responsable...

 

Prométhée

... Enfin, les actes vont succéder aux paroles.

La terre est ébranlée, le tonnerre résonne.

Voyez tous ces éclairs, leurs lances enflammées !

Un cyclone surgit dans un vent de poussière ;

Dans la sombre mêlée, les vents luttent entre eux,

L'Éther se mêle aux flots ; Zeus lève une tempête

Pour me terroriser. Ô Terre, mère affable,

Ô Éther, découvrez la douleur qui m'accable !

 

 

 

 

 

Fragments de

 tragédies perdues

 

 

Hamilton : "Achille pleurant sur le corps de Patrocle"

 

 

 

 

 

La Pesée des âmes

 

 

Les plaintes de Thétis, mère d'Achille

 

Phébos semblait heureux que j'eusse un tel enfant :

Il disait qu'il vivrait dans la félicité,

Sans souffrir, glorieux, dans une paix profonde.

Sans hésiter, je crus notre divinité.

Mentir n'est point son lot ! On ne peut accuser

Un dieu d'être cruel, d'avoir l'esprit rusé.

Hélas ! lui qui prétend tout comprendre et tout voir,

Lui qui participa à la fête nuptiale,

Qui m'a dit la venue d'un enfant plein d'espoir,

Il l'a assassiné ! Ô volonté fatale !

 

Cité par Platon, La République, II, 383

 

 

 

Les Héliades

 

 

Sur Zeus

 

Zeus est tout l'univers, et la terre et l'espace ;

En fait, il est le Tout et même le dépasse...

 

Cité par Clément d'Alexandrie

Mélanges, XIV, 718

 

 

 

L'Iliade tragique

 

 

Les plaintes d'Achille devant le corps de Patrocle

 

Ton corps que j'aimais tant, témoin de ces baisers

Que tu as oubliés, le voilà sur la terre,

Traîné pas l'ennemi, mêlé à la poussière...

Certes, je vis mais c'est moi seul qui suis à plaindre :

J'ai perdu mon ami... Oui, ce corps est affreux

Mais pourquoi avoir peur ? Je l'aimais comme un fou !

 

Cités par Athénée, Lucien et Suidas

 

 

 

Tantale

 

 

Le destin...

Mon destin qui touchait le ciel est retombé

Sur terre. Et il me crie : « Ne révère jamais

        Les choses de ce monde. »

Cité par Plutarque

 

 

 

Les Phrygiens

 

 

Que tu veuilles...

 

Que tu veuilles aux morts faire du bien, du mal,

Cela ne sert à rien, car les morts ne ressentent

Ni le malheur ni le bonheur ni l'amertume.

Non, seule Némésis est plus forte que nous.

La rage du défunt, c'est Diké qui l'assume.

               

 Cité par Stobée

 

 

 

Les Etnéennes

 

 

La Justice

 

J'aime cette déesse : elle est l'honneur

D'une cité aimant les œuvres de la paix.

Par elle, les maisons prospèrent en beauté...

... La trompette guerrière s'est tue, et les veillées

D'armes, tout de mystère, ont cessé d'exister.

 

Ni peuple ni cité n'existent sans moi-même,

Moi qui ai tant reçu de la divinité...

 

Papyrus Oxyrhynchos, n° 2256, 9a

 

 

 

Niobé

 

 

La Mort, dieu à part

 

Lui seul parmi les dieux, Thanatos n'aime pas

Recevoir de présents. Il n'aime pas non plus

Les sacrifices, les libations, les chants.

La Persuasion est toujours loin de lui.

 

Cité par Stobée, IV, 51

 

 

 

Des dieux rancuniers

 

Quand un dieu veut anéantir une famille,

Il pousse chaque membre à commettre le crime.

C'est pourquoi observons la mesure et cessons

De jacter. Quand on est riche, on ne prévoit pas

Que le bonheur qu'on a souvent ne dure pas.

Ainsi, sur sa beauté, sur la foule d'enfants

Qu'elle avait engendrés, Niobé s'exaltait...

 

Papyrus de la Société italienne, XI, 1208

 

 

 

Les Pêcheurs

 

 

Silène à Persée

Il rit en me voyant, ô le charmant enfant.

Voyez comme il sourit devant le beau poli

De cette calvitie. Allons, avec papa,

Fais ton gentil...

 Papyrus Oxyrhynchos, 2161

 

 

Un joyeux mariage

 

Mes amis, marchons ! Profitons de l'occasion !

Cela faisait longtemps qu'elle était privée d'hommes,

Elle qui sous les flots naviguait, moribonde.

Mais elle veut jouir de nos tendres caresses.

Elle exulte devant notre belle jeunesse.

Mais c'est par son coquin qu'elle est toute séduite.

Aussi attendez-vous à voir étinceler

            Le flambeau d'Aphrodite.

 

Papyrus Oxyrhynchos, 2161