Nonnos

NONNOS

LES DIONYSIAQUES ou BACCHUS.

Chant onzième.

Traduction française : LE COMTE DE MARCELLUS.

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

chant X - chant XII

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DIONYSIAQUES.

 

CHANT ONZIÈME.


Voyez le onzième livre, et vous y remarquerez le charmant Ampélos emporté par un taureau ravisseur et homicide.


Après la lutte, l'aimable jeune homme, fier de sa joyeuse victoire, gambadait autour de son compagnon, sautait d'un pied sur l'autre, et appuyait sur lui une main éclatante de blancheur. En le voyant glorieux de son double triomphe et Bacchus lui adresse ces douces paroles :

 « Cher ami, après ces deux épreuves, d'une troisième. Vainqueur à la course, vient nager, vainqueur aussi, à côté de ton camarade Bacchus. Ampélos, puisque tu as triomphé sur le rivage, tu l'emporteras également sur moi dans la flots; laisse là les gambades et les jeux des satyres; viens, et tentons, seul à seul, cette troisième lutte. Si tu réussis dans les eaux comme sur la terre, je couronnerai tes beaux cheveux d'une double guirlande, signe de ta double victoire sur l'invincible Bacchus. Cet agréable courant t'invite, il sied même à ta beauté, il la réfléchira en la doublant; quand tes bras, aussi précieux que l'or, fendront son onde dorée, le Pactole entier prêtera sa parure à tes membres dépouillés pour la lutte. Ah I pourquoi, cher enfant, l'Éridan ne coule-t-il pas ici, enrichi des larmes des Héliades ? j'aimerais  à te laver à la fois dans l'ambre et dans l'or ; mais, puisque j'habite si loin de ce fleuve de l'Hespérie, j'irai dans la ville voisine d'Alybe qu'arrose le Geudis (01), blanchissant sous ses eaux précieuses, afin que, baigné déjà dans le fleuve Pactole, je t'embellisse encore dans des flots d'argent. L'Hermus au cours superbe est fait pour le reste des satyres, car il ne roule pas d'or. Mais ce qu'il te faut à toi seul, qui es tout or, ce sont des ondes dorées aussi. Accorde donc au fleuve ce même divin privilège que l'Océan obtient de Phaéton, quand il y plonge ses rayons vermeils; cède aussi ton éclat au Pactole, et qu'Ampélos semble y surgir tel que l'étoile du matin. Son cours ne brille-t-il pas sous son métal rougissant comme toi sous tes belles formes? Livre à ses gouffres riches et profonds des trésors semblables aux leurs : mêle ta beauté à leur beauté ; et je crierai aux satyres : Comment la rosé s'unit-elle à la rose ? « Comment ce corps vermeil et ce cours étincelant se confondent-ils en une seule splendeur ? »

 Il dit, et se plonge dans les flots. Ampélos s'élance des bords pour le rejoindre, et tous deux nagent et tournent ensemble dans l'agréable carrière que leur offre d'une rive à l'autre le fleuve opulent.

Dans ce défi de la vitesse, le Dieu court immobile sous les flots, et frappe le courant de sa poitrine nue ; aidé des rames de ses mains, et du mouvement de ses pieds, il glisse insensiblement à la surface de ces eaux paisibles et de leurs trésors : tantôt nageant côte à cote de son ami, tantôt le dépassant, mais toujours soigneux de ne laisser entre eux qu'un faible intervalle. Enfin ramassant ses bras, comme si les flots le fatiguaient, il ralentit sa marche, et cède volontairement la palme à son rival (02).

Ampélos, tout fier de sa victoire dans les eaux du fleuve, les quitte pour le fond des bois, et couronne ses cheveux d'une guirlande d'effrayantes vipères, pour imiter les serpents de la chevelure de Bacchus. Souvent, à la vue de la tunique variée du Dieu, il revêt aussi le manteau tigré, et s'enveloppe de ces replis étrangers à sa forme ; il chausse son pied léger du cothurne de pourpre; puis, quand il voit Bacchus diriger vers la montagne son char attelé de panthères, il lui indique les vertes retraites des hôtes des forêts ; enfin, tantôt sautant sur le cou d'un ours montagnard, il tire à lui, pendant sa course, la formidable crinière; tantôt il saisit l'encolure touffue des lions ; parfois, s'élançant sur les reins d'un tigre à la peau mouchetée, immobile sur son dos, il se plaît à le diriger sans frein. A cette vue, Bacchus, inquiet, lui adressait de douces menaces; puis, pour le consoler, il ajoutait aux reproches des paroles compatissantes et prophétiques :

«Cher enfant, où vas-tu? Pourquoi cet amour de la forêt? Quand Bacchus chasse, reste et chasse auprès de lui; quand Bacchus s'assied aux splendides festins, assieds-toi à ses côtés. Partage mes orgies quand je provoque les jeux bruyants des satyres. Ce n'est ni la panthère ni la gueule de l'ours chasseur qui m'importunent ; tu n'as pas à redouter les rudes atteintes de la lionne des montagnes; crains seulement les contes impitoyables des taureaux. »

C'est ainsi qu'il déplore la témérité d'Ampélos. L'enfant l'écoute de l'oreille, mais rit en lui-même de ces frayeurs.

Alors un terrible présage dévoile au tendre Bacchus la courte destinée de son ami. Sur un rocher apparaît un dragon armé de cornes et recouvert d'écailles. Il tient sur son dos un faon tout jeune; il le transporte en dessus des degrés sur l'autel, et de là le lance tournoyant et la tête en avant, tout meurtri de ses cornes épouvantables. Le doux hôte des bois fait entendre un cri plaintif, et son âme errante s'envole. Un jet de sang, avant-coureur des libations futures, vient rougir la pierre de l'autel et simuler la vin répandu. Cette vue du reptile cornu, ravivent du faon, apprend à Bacchus qu'un animal armé de cornes fera périr aussi son imprudent compagnon. Un double souci l'agite; son sourire se mêle à sa douleur (03), et son cœur se partage entre ses regrets de la fin prochaine d'Ampélos, et sa joie de voir naître le vin délicieux.

Dès ce moment, il ne quitte plus son charmant ami dans les forêts, sur la plage, et dans leurs chasses accoutumées. Plus ses yeux le considèrent, plus il veut jouir de sa vue : les amants se lassent-ils jamais regarder ce qu'ils aiment? Quelquefois, pendant les festins du dieu, le jeune satyre fait sortir de sa flûte des sons étranges, et brouille tous les tons de ses pipeaux. Alors, comme si cet air irrégulier était une musique harmonieuse, Bacchus se met à bondir sur le sol et applaudit vivement de ses deux mains. Puis, s'approchant de cette bouche qui chante encore, il y applique ses lèvres, fait de la mélodie le prétexte de ses tendres caresses, et jure par Jupiter que les chansons de Pan et les concerts d'Apollon ne se sont jamais élevés si haut.

Cependant Até (04), l'homicide déesse, apercevant l'audacieux chasseur errant loin de Bacchus dans les montagnes, prend la forme gracieuse d'un adolescent de son âge ; et, pour plaire à la marâtre du dieu de Phrygie, lui adresse ces paroles douces à la fois et perfides :

« Intrépide jeu ne homme, c'est en vain que ton ami s'appelle Bacchus : quel fruit recueilles-tu de sa faveur? Ce n'est pas toi qui conduis son char divin; ce n'est pas toi qui diriges sa panthère : ces soins sont départis à Maron (05) ; c'est lui qui tient dans ses mains le fouet directeur et les rênes brillantes. Quel présent le dieu du thyrse t'a-t-il fait! Les égipans ont sa musette et ses flûtes sonores; dans la répartition de ses attributs, c'est aux satyres qu'il a réservé les tambourins ; les Bassarides (06) des montagnes elles-mêmes s'asseyent sur le dos de ses lions. Que te revient-il donc de l'inutile affection que te témoigne le maître des panthères ? On a vu souvent, dans l'azur du ciel, Atymne (07) conduire le char de Phébus, assis et fendant l'espace auprès de lui ; on t'a parlé de cet Abaris (08) que ce même Phébus lança dans la carrière des airs sur une flèche ailée et voyageuse. Ganymède aussi n'a-t-il pas dirigé dans les routes des cieux le vol de Jupiter, l'aigle simulé et le père de ton Bacchus? Certes jamais Bacchus n'aurait su, oiseau des amours, enlever Ampélos et le ravir dans ses serres inoffensives ? L'échanson troyen l'emporte, car il a pour demeure la cour de Jupiter. Mais toi, enfant, à qui l'on refuse un char, ne va pas accepter un poulain impatient, qui, dans sa fougue capricieuse, t'entraîne sur ses pieds prompts comme l'orage, et renverse son écuyer. Des cavales furieuses ont foulé Glaucos (09) sur la terre; et le véloce Pégase, bien qu'il eût à ménager le sang de Neptune dont il sortait, a précipité du haut des cieux Bellérophon, le descendant de Neptune. Viens avec moi vers les troupeaux, où les bœufs apprivoisés obéissent à la flûte des bergers; je te ferai asseoir sur des taureaux, et t'apprendrai à devenir leur conducteur. Ton maître t'applaudira bien davantage quand il te verra affermi sur les reins d'un taureau, lui qui en a la nature; cette course d'ailleurs est sans danger; la jeune Europe n'est-elle pas montée sur le dos d'un taureau, se tenant de la main à ses cornes, et sans autre bride, toute femme qu'elle était ? »

Après ces paroles persuasives, la divinité s'envola. Tout à coup un taureau vagabond descend des hauts pâturages; son gosier entrouvert laisse pendre sa langue, en témoignage de sa soif; il boit et s'arrête auprès d'Ampélos comme auprès de son berger, ou comme s'il l'eut connu ; puis l'invincible animal détourne les cornes de son front, et, pendant qu'il se désaltère à larges gorgées, l'eau qui tombe goutte à goutte de ses lèvres vient mouiller Ampélos : véritable manifestation de l'avenir, puisque, dans leurs travaux, les bœufs de la terre ne cessent pas de tourner la roue qui amène les eaux au cep de la vigne (10). Le téméraire enfant, debout, caresse d'une main intrépide les cornes recourbées de ce front, et se sent dévoré d'un ardent désir de conduire à travers les forêts ce taureau des montagnes encore indompté. Il cueille les tiges d'une plante verte à longs filaments, et en tresse une sorte de fouet, comme pour hâter la marche des veaux paresseux. Il forme aussi une espèce de frein en allongeant et en tordant ensemble des rameaux entrelacés. Puis il pare le taureau d'un feuillage que la rosée humecte encore. Il attache tout autour de son dos des rosés vermeilles, suspend à son front le narcisse et le lis, à son cou la brillante anémone. Ensuite il puise dans le creux de la main, au fleuve rapproché, un limon jaune pour dorer les deux cotés des cornes. Enfin il jette sur les reins de l'animal une peau tachetée, y monte, et, le frappant aux flancs du fouet improvisé, il fustige comme un coursier à la longue crinière son assassin; alors, dans son imprudence, il crie à la déesse du croissant :

« Ô Lune cornue, qui diriges des taureaux, je l'emporte sur toi ; car je dirige aussi des taureaux, et suis né cornu moi-même. »

A ces paroles présomptueuses, dont il insulte son disque, la Lune jette au travers des airs un regard jaloux vers Ampélos qu'emportait l'animal ravisseur et homicide, et lui envoie un taon ennemi de boeufs. Harcelé par les piqûres sanglantes de ton constant persécuteur, le taureau se précipite comme un coursier dans des traverses inaccessibles. Et voyant sa monture indocile sous cet aiguillon furieux franchir les collines les plus escarpées, l'adolescent, s'alarme, supplie et déplore son destin. « Arrête-toi pour aujourd'hui, taureau; demain tu iras plus vite. Ne me fais pas mourir sur ces roches isolées, et que Bacchus n'apprenne pas de si loin ma funeste étourderie. T'offenserais-tu parce que j'ai doré tes cornes? ou serais-tu jaloux de mon amitié pour Bacchus? Si, sans égards pour lui, sans pitié pour ton guide infortuné, tu veux perdre en moi un si jeune homme et le favori d'un dieu, porte-moi chez les satyres. Là, tu prendras ma vie; mais ma cendre du moins sera mouillée de larmes. Je t'en conjure, cher taureau, j'aurai ainsi la consolation d'entendre Bacchus, qui n'a jamais pleure, gémir sur mon sort. Hélas ! si tu trahis ton malheureux conducteur, qui porte des signes semblables aux tiens et est orné de cornes pareilles, parle au moins, et annonce toi-même à mon ami mon malheur. Veux-tu donc déplaire à la fois à Cérès et à Bacchus? Tu le sais, quand Bacchus s'afflige, Cérès s'afflige avec lui. » Ainsi disait le charmant satyre près de mourir. L'animal en furie, franchissant, de l'élan de ses doubles jarrets, les plus impraticables montagnes, lance enfin loin de son dos le malheureux adolescent. Il tombe la tête en avant, replié sur lui-même. Les nerfs de son cou se brisent ; sa tête frissonne légèrement et se sépare du corps. Alors le taureau le foule étendu sur le sol, sous les pointes aiguës de ses cornes ; et le cadavre, privé de sa tête et de la sépulture, étale sur la poussière sa blancheur toute rougie de sang.

Un satyre qui a vu l'aimable Ampélos gisant sur la poudre, en porte à Bacchus la triste nouvelle. Le dieu s'élance aussitôt, rapide comme le souffle des vents. Hercule courut moins vite quand les nymphes recouvrirent sous leurs flots envieux le tendre Hylas (11), époux destiné de la fille des eaux qui l'entraîne. C'est ainsi que Bacchus traverse maintenant les montagnes ; il sanglote à la vue d'Ampélos renversé sur le sol comme s'il vivait encore ; il revêt alors de la nébride ces épaules insensibles et ces membres refroidis, chausse ces pieds inanimés de cothurnes, bien qu'il ne soit plus, répand sur son corps des rosés et des lis; et, autour des cheveux, en signe d'une si courte existence, il place la fleur de l'anémone qui meurt si vite. Puis il donne à la main un thyrse, l'enveloppe de son manteau de pourpre, et, détachant de son front une boucle de son intacte chevelure, il la dépose sur le cadavre comme un gage suprême; ensuite il verse sur les blessures l'ambroisie qu'il a prise chez Rhéa, sa mère ; et de là vient qu'en changeant de forme, l'adolescent a communiqué le parfum de l'ambroisie à son fruit.

La pâleur n'altéra point les grâces et les roses de ce mort charmant qui languit sur la terre. L'élégante chevelure de cette tête délicieuse si promptement éteinte s'y agite encore aux caresses du vent. Il est ravissant même sur la poussière. Autour de lui les satyres gémissent, les bacchantes se désolent. Sa beauté lui survit; tout mort qu'il est, c'est encore un satyre : car il sourit, comme s'il laissait tomber toujours de ces lèvres aujourd'hui muettes la douce chanson.

A cette vue, l'insensible Bacchus, si attristé cette fois, fait entendre ces plaintifs regrets.

« Le fil des Parques envieuses est donc tranché. Eh quoi? les taureaux deviennent-ils, ainsi que les vents, jaloux de l'amitié des jeunes hommes? Le Zéphyre s'est-il donc attaqué a Bacchus, après ApolIon? Non, Apollon l'Atymnien a été moins malheureux, puisqu'il a gardé ce nom ; il s'est consolé en portant sur sa tête la fleur homonyme de son favori de Thérapné, et en inscrivant un cri douloureux sur l'hyacinthe. Mais moi! quelles couronnes dans mes cheveux, quelles fleurs plaintives peuvent amortir la douleur qu'Ampélos me cause? Infortuné ! je veux au moins venger ta mort, et immoler ce taureau vagabond sur la tombe prématurée. Non, je ne ferai pas rouler sous la massue ton assassin, il ne mérite pas la destinée des bœufs dont on brise le front pour les abattre. Je déchirerai, comme il a fait lui-même quand il t'a percé, ses entrailles inhumaines avec la pointe de mes cornes.

« Heureux Neptune! ce jeune Phrygien qu'il aima, le compatriote de mon ami, il a pu le transporter dans la demeure dorée de Jupiter, dans la citadelle de l'Olympe; et quand ce héros, dans la lutté de Vénus, a recherché l'hymen d'Hippodamie (12), Neptune a pu lui offrir, pour l'enlever, son char divin ! Seul je dois voir mon compagnon finir avant le temps; l'aimable Ampélos ne devait pas se perpétuer par un heureux mariage, ni se servir de mon char pour gagner l'asile nuptial; et en mourant il ne laisse à l'insouciant Bacchus que des soucis.

« Cher enfant, Pitho n'a pas quitté ta bouche; elle réside encore après toi sur tes lèvres immobiles ; tes joues inanimées brillent encore. Tes yeux sourient comme autrefois. Tes mains et tes bras ont toujours la blancheur de la neige. Toujours les vents murmurent en faisant onduler ta charmante chevelure. L'heure de la mort n'a pas effacé tes roses, et toute ta beauté le reste.

« Ô mes tristes amours, quel besoin avais-tu de monter ce barbare taureau? Si la passion des chevaux faisait tes délices, pourquoi ne pas me le dire ? J'aurais amené pour toi, des crèches antiques de l'Ida voisin (13), mon char et la race troyenne des coursiers célestes. J'aurais dépouillé en ta faveur la patrie de Ganymède que l'Ida vit naître, et que tu égalais en beauté. Ah ! le souverain des dieux a bien su, dans ses serres complaisantes, l'arracher aux taureaux homicides! Si tu souhaitais réellement poursuivre les hôtes des montagnes, pourquoi ne m'as-tu pas dit qu'il te fallait un char ? Tu aurais dirigé mes roues indestructibles, ou bien, prenant en main les rênes sacrées de Rhéa ma nourrice, tu aurais, sans danger, fouetté les flancs de ses lions apprivoisés.

« Tu ne chantes plus avec les satyres les chansons des festins (14). Tu n'ordonnes plus aux Bassarides d'agiter leurs cymbales ; tu ne chasses plus en compagnie de Bacchus. Ah ! pourquoi Pluton est-il inexorable? S'il agréait pour rançon des morts les plus nobles et les plus riches présents, je rappellerais Ampélos (15) à la vie ; mais, hélas il ne se laisse jamais fléchir ! Oui, je dépouillerais  pour les lui donner, tous les trésors qui brillent sur les arbres des rives de l'Éridan ; j'apporterais les plus éclatants rubis des Indes, tout l'argent des mines d'Alybe; enfin, pour racheter mon ami, j'offrirais tout l'or du Pactole. »

Il sanglotait en prononçant ces mots; et, à la vue de ces dépouilles chéries gisant sur la poussière, il ajouta d'une voix plaintive :

« Ô mon père, si vous me chérissez, et si vous avez souffert vous-même dans vos amours, rendez pour une heure seulement la parole à Ampélos, afin qu'il puisse me dire un seul et dernier adieu. — « Bacchus, pourquoi gémir sur celui que tes gémissements ne peuvent ranimer? J'ai des oreilles, mais je n'entends plus ta voix. J'ai des yeux, et je ne vois plus tes pleurs. Joyeux Bacchus, ne verse plus de larmes et cesse de t'affliger. Narcisse n'entend pas les naïades quand elles sanglotent auprès de la fontaine où il s'éteint ; et Phaéton n'a pas entendu les lamentations des héliades.— Hélas! « que ue suis-je né d'un père mortel ! j'aurais accompagné mon ami jusque chez les ombres, et je n'aurais pas laissé mon doux Ampélos tomber seul dans les flots du Léthé. Oui, Phébus a des amitiés plus fortunées que les miennes, puisqu'il conserve le surnom chéri de son ami, et plût au ciel que l'on m'appelât aussi Bacchus l'Ampélien, comme on le « nomme I'Hyacinthien Apollon. Dormirais-tu donc encore, enfant ? Et pourquoi ne danses-tu pas ? Pourquoi ne vas-tu pas aujourd'hui remplir ta large cruche aux eaux limpides du fleuve? Voici l'heure où, dans les bois profonds de la montagne, tu avais coutume de danser. Cher ami, si Bacchus te déplaît par ses tendres alarmes, parle au moins aux silènes, et que j'apprenne ainsi ton aventure. Si un lion t'a dompté, je les exterminerai tous, autant que la forêt du Tmole en contient : je n'épargnerai pas même les lions de Rhéa, notre commune nourrice, s'ils ont porté sur toi leurs dents cruelles. Si c'est une panthère qui a flétri ton corps, la fleur des  amours, je ne monterai plus jamais sur le corps tacheté des panthères. J'ai bien d'autres bêtes fauves à atteler : Diane, souveraine universelle de la chasse, ne dirige-t-elle pas un char que traînent les cerfs aux bois rameux ? Pourquoi donc, moi, dont la nébride est déjà le manteau, ne me ferais-je pas aussi conduire par des faons ? Si de barbares sangliers t'ont attaqué, je les anéantirai tous ensemble, et je n'en laisserai pas vivre un seul, même pour les plaisirs de Diane ; enfin, si c'est un taureau impie qui t'immola, je déracinerai la génération entière des taureaux avec le fer de mon thyrse. »

Pendant qu'il gémit ainsi, Éros s'approche sous la forme velue d'un silène au front cornu. Il porte le thyrse ; une fourrure mouchetée l'enveloppe ; il s'appuie sur le bâton de férule si secourable à la vieillesse, et cherche à apaiser ainsi les gémissements de Bacchus :

« Qu'un autre amour, lui dit-il, s'allume des étincelles de cet amour ! tourne tes affections vers un nouvel adolescent, et oublie celui que tu perds. L'amour qui vient a toujours été le remède de l'amour qui s'en va (16), et le temps, qui sait tout détruire, n'a pas encore su abolir l'amour. Si tu cherches un remède certain à ta souffrance, prends un meilleur ami. L'amour seul peut éteindre l'amour. Un jeune Lacédémonien (17) fit aussi le tourment de Zéphyre; mais, après sa mort, Zéphyre, toujours amoureux, vit le jeune Cyparisse et oublia Hyacinthe d'Amyclée. Consulte, si tu le veux, les cultivateurs : le jardinier te dira que, dès qu'une fleur se flétrit et tombe, il met à sa place une fleur nouvelle. Écoute, et je vais te raconter une fable des hommes nés bien avant nous :

— « Il y avait jadis sur les bords du Méandre, fleuve aux mille détours, un jeune homme plus grand que tous ceux de son âge, d'une taille élancée et mince, aux jambes allongées, portant droite sa chevelure; la grâce, aux regards timides, jouait d'elle-même sur ses joues et sur son front ; ses yeux dardaient toujours au loin le plus resplendissant éclat. Son corps entier égalait la blancheur du lait, et à cette blancheur la rosé mêlait l'empreinte gracieuse de sa double nuance. Son père, qui le chérissait, l'avait nommé Calamos (18); et ce père était le Méandre, qui d'abord voyage en rampant sous la terre, puis grossit inaperçu dans ses ténébreux abîmes son cours subitement tortueux, bouillonne quand il se produit brusquement au jour, et inonde alors la surface du sol de ses eaux souterraines. Tel était l'ardent et aimable Calamos.

« Il avait pour ami le charmant Carpos (19), du même âge, aussi beau que lui, doué de plus d'attraits que n'en eut jamais un mortel. Certes, s'il eut vécu dans les âges primitifs, Carpos eût été l'époux de l'Aurore à la riche chevelure; car, par ses formes et son éclat, il surpassait à la fois Orion et Céphale. La féconde Cérès n'eût jamais reçu dans ses bras Jasion son époux, et la Lune, Endymion; car bientôt, par l'excellence de sa beauté, Carpos serait devenu le seul mari des deux déesses; il eût partagé la couche si riche en gerbes de la blonde Cérès, et celle de l'envieuse Lune. Tel était de son coté, dans tout le charme de sa fleur le délicieux ami de Calamos.

« Tous les deux se livraient aux divertissement» de leur âge sur la plage voisine du fleuve sinueux. La rive était pour eux le stade arrondi qu'ils devaient franchir pour la course. Calamos désignait un orme pour barrière, pour but un olivier; puis il  s'élançait tel que les vents, et il aurait parcouru le rivage du fleuve d'un bout à l'autre, s'il ne s'était laissé tomber au plus fort de sa vitesse, et s'il n'eût ainsi cédé volontairement la victoire à son gracieux compagnon.

« Ensuite le jeune homme se baignait avec l'entant; et dans leurs jeux ils recommençaient une lutte toute pareille : Calamos alors ralentirait ses mouvements, et laissait Carpos s'avancer à la nage pour rester lui-même en arrière; puis, tandis qu'il fendait les flots, il arrivait après lui, et considérait les épaules nues de l'adolescent qui le précède. La course des eaux s'établissait ainsi au point de départ ; c'était à qui, après avoir en nageant touché la double borne des deux rives, reviendrait le plus tôt au bord opposé. Aussitôt il le devançait à travers les courants, ménageait la vigueur de ses bras pour se tenir sans cesse à côté de son ami, et observer, pendant qu'il nageait, ses doigts de rose. Bientôt Calamos, qui se trouve le premier, modère ses élans et se laisse dépasser. Alors celui-ci tend la tête sur les ondes ; aidé des rames de ses mains, il avance avec rapidité ; il va sortir des courants, atteindre le bord, et remporter la victoire des eaux après celle de la terre, lorsqu'un vent contraire le renverse, soulève contre sa gorge entr'ouverte une vague immense, et le submerge sans pitié, le doux adolescent.

« Calamos, échappé aux tourbillons de ce vent jaloux, gagne, sans son ami, la rive la plus proche. et, comme il ne le voit ni ne l'entend plus, il gémit tendrement, et s'écrie d'une voie plaintive :

« Ô naïades, dites-moi quel vent m'a ravi Carpos ? Ah ! je vous le demande comme une grâce suprême de mon père, et ne buvez plus une eau qui a fait périr Carpos. Mais non, ce n'est pas mon père qui l'a perdu, c'est Zéphyre, rival envieux de Calamos, comme il le fut d'Apollon. Dans sa passion il l'aura frappé d'une tempête jalouse, au lieu d'un disque, et il lui a opposé des souffles ennemis. Hélas! mon astre n'est pas sorti des flots où il 's'était plongé, et mon étoile du matin ne brille plus. Ah ! si Carpos est au fond des eaux, que m'importe la lumière du jour ? Ô naïades, dites-le-moi ; ce flambeau des amours, qui donc l'a éteint ? — Enfant, tu tardes encore ? D'où vient que l'eau te plait tant ? As-tu donc trouvé quelque ami que tu me préfères ? Pour rester près de lui, aurais-tu jeté au vent l'amitié de l'infortuné Calamos? Si une naïade, tristement éprise, t'a enlevé, dis-le-moi, je m'armerai contre leur tribu tout entière. Ah ! si tu désires l'hymen de ma sœur, tu n'as qu'à le dire, et je dresserai moi-même sur les flots votre couche nuptiale (20). Carpos, tu me dépasses maintenant dans les eaux, et tu as oublié la rive du fleuve. Je me lasse à t'appeler, et tu n'entends pas mes cris ; si le Notos, si l'audacieux Euros t'ont submergé, que ce barbare ennemi des Amours s'éloigne à jamais avec son insatiable cruauté. Si c'est Borée, je m'en vengerai sur son Orithyie. Enfin, si, sans égard pour ta beauté, les vagues de mon père t'ont englouti, et qu'il t'ait entraîné lui-même sous ses flots inhumains, qu'il reçoive son fils dans ses ondes homicides, et engloutisse aussi Calamos auprès de Carpos inanimé. Hélas ! ma tête tombe déjà dans les flots où il a disparu, et ce n'est qu'en buvant les eaux de l'Achéron que je pourrai amortir ma brûlante ardeur. »

« A ces mots, il verse des torrents de larmes, il tranche en l'honneur du mort sa brune chevelure, qu'il avait tant soignée et embellie ; puis, tendant à Méandre, son père, ce gage de deuil, il prononce ces dernières paroles : Ô mon père, après mes cheveux, recevez aussi mon corps ; loin de Carpos, je ne puis voir se lever une seule aurore : Calamos et Carpos n'avaient qu'une même existence. La « même tendresse les avait unis sur la terre : qu'une même destinée les unisse dans les flots ! Et vous, naïades, élevez sur les bords du fleuve un monument où nous serons confondus, et gravez sur le marbre cette douloureuse inscription : — Je suis la tombe de Carpos et de Calamos ; une onde impitoyable a fait périr jadis ces deux amis. — Alors, chères naïades, pour ce Calamos, votre frère aux tristes amours, vous offrirez, quand il expire, une faible boucle de votre chevelure, et pour Carpos, déjà mort, tous vos cheveux.— Il dit, et glissant de lui-même dans les eaux, il boit malgré son père l'onde qui prive le Méandre d'un fils. Calamos laissa aux roseaux sa forme élancée avec son nom, et le fruit de la terre s'appela Carpos. »

Ainsi disait l'impétueux Éros pour consoler Bacchus et pour calmer ses doux et cuisants regrets; mais ce trépas prématuré n'en renouvelait que mieux l'affliction du dieu et ses plaintes ; et cependant les Saisons au teint de rose, filles de l'année si rapide créatrice, se pressaient dans la maison du Soleil.

L'une porte sur son visage amaigri et ombragé par les frimas le reflet des sombres nuées, attache les talonnières de la grêle à ses pieds refroidis; puis, rassemblant ses boucles sur sa tète humide, elle affermit sur son front un voile pluvieux. La couronne de ici cheveux est gelée, et une blanche ceinture de neige serre son sein glace. L'autre amène avec elle les délicieuses haleines des vents chélidoniens (21); et sur sa tête aimée du Zéphyre, elle pare sa chevelure printanière d'un bandeau de rosée. Son sourire est plein de fleurs (22), son manteau déployé répand le parfum matinal et prolongé de la rosé épanouie, et elle donne le signal des jeux de Cythère et d'Adonis. La troisième, qui marche après ses soeurs, préside aux fêtes Thalysies. Elle porte dans sa main droite ni épi hérissé de grains barbus, et une faucille aiguë et recourbée, avant-courrière de la moisson. Sa taille est entourée des voiles qui blanchissent sur la mer; et ses beautés, parmi les rondes de la danse, se revêtait sous la transparence de ses vêtements. Le plus brûlant soleil sèche aussitôt les gouttes de sueur qui mouillent ses joues. La quatrième, enfin, conduit les choeurs d'une danse régulière, et cache son front presque chauve sous les rameaux des oliviers que baigne le Nil aux sept embouchures. Ses rares cheveux se flétrissent sur sa tête ; son corps se dessèche, car elle est l'Automne, et les vents, ennemis des feuilles des forêts, n'ont pas ménagé sa chevelure. La vigne n'avait pas encore embelli des guirlandes entrelacées de ses pampres et de ses raisins dorés le cou de la nymphe. Elle ne s'était pas encore enivrée, auprès du pressoir où l'on boit à longs traits, des flots pourprés de la liqueur de Maronie, et le lierre n'avait pas encore enroulé sur lui-même ses tiges vagabondes (23). Mais l'époque fixée par les destins approchait; et, pour la hâter, les Saisons accourent toutes ensemble dans la demeure du Soleil (24).


 

NOTES DU ONZIÈME CHANT.

(01) Alybe. — Il est évident que cette ville d'Alybe, voisine du Pactole où se baigne Bacchus, est la ville désignée par Homère comme le berceau de l'argent, .... Ἀλύβης, ὅθεν ἀργύρου ἐστὶ γενέθλη. (Iliade, II, 857.)

Ce qui est beaucoup moins déterminé, c'est la position géographique de cette cité. Enfin une chose reste tout à fait obscure, c'est le fleuve Geudis ou Eudis, comme il va être nommé plus tard, dont je n'ai pu trouver aucune trace dans mes voyages a travers la Mysie et la Phrygie, pas plus que dans Strabon, malgré sa longue dissertation sur cette contrée argentifère. J'avais été tenté de substituer au Geudis, dénomination fort étrangère à la langue grecque, et si neuve à l'oreille des archéologues, le fleuve Hyllos (Ὕλλος), dont l'introduction ne nuit en rien à la mesure du vers, et qui maintient, auprès de l'Hermos, cité par notre poète, l'Hyllos son frère, ainsi qu'Homère les a associés dans l'Iliade, tous les deux tributaires du Pactole :

Ὕλλῳ ἐπ' ἰχθυὲντι, καὶ Ἔρμῳ δινήεντι. (XX, 393.)

Car c'est un procédé familier à Nonnos, de ne point séparer les noms et les images, de pousser l'emprunt jusqu'à la dernière limite, et de ne pas s'arrêter dans l'imitation. Mais les licences du traducteur ne m'ont point paru pouvoir s'étendre jusqu'à une telle altération. II me semble néanmoins qu'il eût été mieux de voir ici le Gyndis d'Hérodote, dont le nom est presque identique avec celui du fleuve controversé : et Cyrus ayant traversé le Gyndis pour se rendre de Sardes à Ecbatane, Bacchus a pu le rencontrer sur sa route. Je laisse de côté la querelle établie, mais non vidée, sur ce point mythologique entre d'Anville et Larcher ; et je continue.

(02) La lutte nautique. — Ces exercices de la gymnastique des eaux, décrits par Nonnos avec tant d'amoureuse complaisance, me rappellent les beaux enfants que je vis se défier et nager au loin un soir sur la plage de Nsée. Mon hôte de Mégare m'avait conduit lui-même vers le bord de la mer : « Vous voyez là, me dit-il, nos apprentis marins : ils ne prennent encore que des poissons, peut-être un jour ils prendront des hommes. Qui sait? Ποῖος ἱξεύρει ; » Je crus reconnaître, à cette observation de mon hôte, une réminiscence de l'Évangile, et j'en fis honneur à sa piété : c'est plus tard que, pensant à la malice de son regard, je le soupçonnai d'être affilié à l'Hétairie, et d'avoir voulu me signaler par avance quelque brûlotier de Canaris.

(03) Le sourire mêlé à la douleur. —

Elle sourit, et pourtant elle pleure;
Le ciel présente un contraste pareil,
Lorsque, dans l'air, on volt à la même heure
Tomber la pluie et briller le soleil.
(Malfilâtre, Narcisse, ch. II.)

(04) Até. — Até, la déesse qui porte la mort (θανατηφόρος, v. 113), est une divinité homérique dominatrice du roi des dieux lui-même. (Iliade, XIX, 95.)

Fille de Jupiter, la redoutable Até.
De son pied délicat n'effleure pas la terre :
Sur nos fronts elle marche, et sème au loin la guerre.
(Aignan)

(05) Maron. Maron est ce prêtre d'Apollon signalé dans l'Odyssée par sa généreuse hospitalité. Il s'était, suivant Diodore de Sicile, rendu célèbre par son habileté à cultiver la vigne; et célèbre à bon droit, puisqu'il savait lui faire produire ce vin rouge dont une seule coupe, aidée à vingt mesures d'eau, répandait un parfum divin. (Homère, Odyss., IX, 210.)

(06) Les Bassarides. — Les Bassarides, nourrices de Bacchus, que Nonnos relève dans tout son poème au-dessus des vulgaires bacchantes, se confondent fréquemment avec la race tout entière. Elles n'en seraient cependant que la dernière classe, s'il fallait en croire leur étymologie, Bassara ; et cette épithète néanmoins, qui reçoit une mauvaise acception, Lycophron n'a pas craint de l'appliquer à la chaste Pénélope, dont Pausanias a endommagé la renommée (liv. VIII, ch. 12.) « Austère prostituée, » dit ce poète prophétique, « la folle courtisane videra le palais et dissipera dans les festins les richesses de son  malheureux époux. »

Ἡ δὲ Βασσάρα
Σεμνῶς κασωρεύουσα κοιλαινεῖ δόμους
Θοίναισιν ὄλβον ἐκχέασα τλήμονος.
(Lycophron, Alex., v.772.)

Pour varier mes traductions et me délasser un moment des antithèses et des répétitions de Nonnos, je place ici, tel qu'Euripide l'a tracé, le portrait des Bassarides, Ménades, Thyades et Mimallones primitives, comprises sous le nom génitifs de Bacchantes :

« Je dirigeais déjà mes troupeaux de boeufs dans les hauts pâturages de la montagne, quand le soleil a montré ses premiers rayons pour réchauffer la terre. J'aperçois aussitôt trois choeurs de bacchantes commandés par Autonoé, par Agavé votre mère, et le troisième par Ino. Toutes dormaient sur le sol; les unes appuyées contre les tiges des sapins, les autres à l'ombre des chênes, la tête près de leurs pieds dans une attitude décente, et non, comme vous dites, ennivrées de vin et de musique, cherchant la solitude des forêts pour y poursuivre Cypris. En entendant les mugissements des taureaux au front cornu, votre mère crie aux bacchantes qui l'entourent de se réveiller; elles chassent le doux sommeil de leurs yeux, et se lèvent avec une merveilleuse modestie, toutes ensemble, les jeunes, les vieilles, et les vierges aussi. Elles dénouent d'abord leur chevelure sur leurs épaules, revêtent les nébrides dont elles fixent autour d'elles la peau mouchetée, par une ceinture de serpents armés de leurs dards. Celles dont le lait abondant nourrit les enfants nouveau-nés qu'elles viennent de quitter, présentent le sein aux chevreuils ou aux louveteaux sauvages suspendus dans leurs bras. Elles se parent de guirlandes d'un lierre entrelacé au chêne et aux a fleurs du liseron. L'une d'elles frappe de son thyrse une roche, et tout à coup l'eau d'une source en sort. Une autre enfonce son bâton de férule dans la terre, et un dieu en fait jaillir une fontaine de vie. Si, dans leur soif d'une onde limpide, elles creusent le sol du bout de leurs doigts, elles y trouvent des ruisseaux de lait; et des flots d'un miel délicieux découlent du lierre de leurs thyrses. Que n'avez-vous vu ces prodiges vous-même? Cette divinité que vous condamnez, vous lui auriez dressé des autels. » (Euripide, Bacch., v. 578.)

(07) Atymne. — Parmi les différents Atymnes qui s'égarent dans les ténèbres mythologiques, celui que Nonnos érige ici en favori d'Apollon doit être ce même Atymne dont la ville de Gortyne avait fait un dieu ; car notre poète dit plus bas (ch. XIX, v. 182) qu'Apollon pleura sa mort chez les Crétois.

(08) Abaris. — Le Scythe Abaris, sans être fort connu, est cependant moins ignoré qu'Atymne, grâce à Hérodote, qui, en cette occasion et contre son habitude, ne fait pas grand cas de la merveilleuse légende. « Je ne m'arrête pas, » dit-il, « à ce qu'on raconte de cet Abaris, qui était, assure-t-on, hyperboréen, et qui, sans rien manger, voyagea par toute la terre, porté sur une flèche. » C'est pourtant cette chronique, dédaignée par le père de l'histoire, que Nonnos reproduit ici. La septième des narrations mythologiques d'un autre Nonnos, qui commenta le panégyrique de saint Basile écrit par saint Grégoire de Nazianze, se rapporte à la flèche d'Abaris, et en raconte ainsi la légende :

« Abaris était hyperboréen ; cette nation vit à l'extrémité de la Scythie, la plus rapprochée du pôle. Abaris, devenu un être surnaturel, fit tout le tour de la Grèce sur une flèche ; et, en cette qualité, il y fit entendre des oracles et des prophéties. Le rhéteur Lycurgue en parle, et dit que pendant la peste qui régna chez les Hyperboréens, Abaris vint en Grèce, se mit à la solde d'Apollon, apprit de lui l'art de la divination, et garda ensuite la flèche, qui est le symbole de ce dieu. »

— N'y a-t il pas là un avant-goût de nos armes parlantes ? Au reste, l'impératrice Eudocie, dans son Violier, a fait l'éloge du sage Abaris et de Lycurgue, qui en a réhabilité la mémoire.

(09) Glaucos. — Ce Glaucos n'est pas le dieu marin dont parle Ino dans le neuvième chant. Ce n'est pas non plus le Glaucos de l'Iliade, le chef des Lyciens : c'est le Glaucos, argonaute, à qui certains mythologues font honneur de la construction du navire Argo; il était fils de Sisyphe, roi de Corinthe, et de l'Atlantide Mérope. Il fut foulé aux pieds par ses cavales furieuses.

Et mentem Venus ipso dedit, quo tempore Glauci
Potniades malis membra absumpsere quadrigae.
(Virg.. Géorg. liv. III, v. 267.)

(10) Les roues tournantes des puits d'Égypte. — Voici les sakkié modernes avec leur origine mythologique. J'ai vu ces roues hydrauliques établies sur les bords du Nil pour y arroser les champs, et même les vignobles de Schoubra, la merveilleuse villa de Méhémet-Ali ; mais je ne crois pas que ce procédé viticole ait jamais été en vigueur en Europe. Nos vignes à nous, cultivateurs de l'Ouest, souffrent bien rarement de la sécheresse; et, quand le cas arrive, ce n'est pas l'eau de nos fleuves, taris en même temps, qui suffirait, pour les abreuver.

(11) Hylas. — Notre langue ne permet pas de montrer la Nymphe, future épouse d'Hylas, sous les traits masculins que lui donne l'énergique épithète de Nonnos. ἅρπαγι, ravisseur. Valérius Flaccus la nomme Dryope (liv. III, v. 529). Les deux vers grecs, loin d'être une paraphrase, suivant la coutume de notre auteur, sont bien, au contraire, un résumé de l'épisode entier d'Apollonius de Rhodes, ou de l'admirable Idylle de Théocrite. Et si je ne puis y reconnaître également un souvenir de Properce, du moins y trouverai-je un prétexte pour étendre la témérité de mes corrections jusqu'au poète latin. Il a dit, dans sa délicieuse Élégie d'Hylas, dont il veut faire une consolation aux chagrins de Gallus (liv. I. El. XX, v. 47) :

Prolapsum leviter facili traxere liquore.

C'est texere que je voudrais lire, l'ὑπερκρύψατο de Nonnos; et je propose d'autant plus hardiment cette version, que je retrouve, trois vers plus haut, le même participe trahens :

lnnixus dextro plena trahens humero.

Or, l'élégant Properce est encore moins sujet  aux répétitions inutiles que le poète de Panopolis.

(12) Hippodamie. — Voici le portrait d'une autre Hippodamie que Tzetzès a improvisée, et dont il a fait la fille de Briséis captive auprès d'Achille, le tout en vers politiques, variété de poésie traînante qui n'a plus le dactyle et qui n'a pas encore la rime ; on y reconnaîtra à plus d'un trait ces portraits de femme à la plume si communs dans les écrits de nos jours :

« Hippodamie avait l'âge de vingt et un ans; elle était femme de Mynès, roi des Lélèges ; grande, blanche, la gorge superbe, les cheveux crépus et noirs, bien mise, les joues belles, amie des rires, le nez magnifique, les paupières noires, les sourcils se touchant l'un l'autre. »

C'est ainsi que Tzetzès, dans ses Allégories, commente et embellit Homère. Genre puéril et fade ! dont il se glorifie d'être l'auteur : y a-t-il donc de quoi se vanter? Travestir dans la même langue, et en vers bâtards et dégénérés qu'il appelle techniques, les beaux vers d'Homère, afin d'y trouver je ne sais quelles absurdes allégories, comme fit le Tasse quatre siècles plus tard pour la Jérusalem; c'était se livrer à un travail plat et inutile pour plaire à l'impératrice Irène; ou plutôt pour en obtenir les largesses bien mieux que les bonnes grâces. Tzetzès s'arrêtait, nous dit-il, dans son labeur commandé quand l'argent venait à lui faire défaut ; et il laisse regretter que sa souveraine (ἡ ἄνασσα) ait été si généreuse. (Allég. de l'Iliade, livre XV, v. 255.)

(13) Les Écuries de l'ida. — J'aurais trop à faire si je relevais l'un après l'autre tous les emprunts d'images, d'idées, de moyens épiques, ou même d'expressions que Nonnos a faits à Homère. Mais ici c'est Pindare qui vient donner des crèches primitives à cette race divine des chevaux troyens, si célèbres dans l'Iliade, ἀρχαῖα φάνται. Et ce passage du poème n'en est pas pour cela plus aisé à traduire. Car je me refuse à prononcer le mot étable, adopté par plusieurs interprètes du lyrique thébain. L'écurie, qui est le mot technique, me paraît n'avoir pas atteint la hauteur du style des sublimes olympiques, et le mot crèche, dont je me sers faute de mieux, ne rend pas lui-même assez noblement les φάνται. Serions-nous donc encore, à l'égard des chevaux, en arrière de l'antiquité, malgré tous les efforts de nos sociétés hippiques pour rivaliser avec la race des coursiers demi-dieux qui honorent la tombe de Patrocle ?

(14) Les chansons des festins. — Mot à mot, les hymnes du vin, ἐποίνιον ὕμνον, ou les chansons à boire. Je n'ai pu me déterminer à reproduire un tel anachronisme : puisque, comme on va le voir à la fin du chant, il n'y avait encore ni pampres ni raisins pour parer la tête de l'Automne, réduite aux feuilles des oliviers du Nil; or, comme le vin n'existait pas avant la mort d'Ampélos, qui devint la vigne, on ne pouvait avoir encore inventé la chanson à boire, bien que son institution se perde dans la nuit des temps.

(15) Ampélos. - Au sujet d'Ampélos, j'aurais à relever quelques erreurs dans lesquelles l'auteur de la Symbolique me semble être tombé.

D'abord, sur l'autorité d'Athénée, ou du poète Phérénice, il nous dit qu'Ampélos est né d'Ozyle et d'une Hamadryade; mais il confond évidement ici le satyre Ampélos « avec tous les fruits ou les arbustes nés de cette union, la noix, le gland, la faîne, le sorbier, la figue, etc., qu'on nomme aussi hamadryades. » (Athénée, liv. III, ch. 5.) Ensuite il prétend (Symbol., IV, p. 191 ) que, dans les Dionysiaques, Até, par l'ordre de Rhéa, excite Ampélos à la poursuite des bêtes fauves, et encourage sa fatale passion pour la chasse, quand il n'est nullement question ici de Rhéa. Enfin la conclusion de ces raisonnements est plus étrange encore. -

« Cette création, » dit M. Creuzer, « est évidemment une contrefaçon du mythe de Phaéton et des Héliades ; car, dans la série des lamentations de Bacchus, les loups, les panthères et les taureaux se trouvent désignés : précisément les animaux sauvages que ce dieu apprivoise; et Ampélos est précipité du dos d'un taureau, comme Phaéton, du haut du char du Soleil. L'imagination du poste a beau s'égarer, on reconnait toujours dans ses fictions les symboles de l'astronomie orientale. »

Ici, je l'avoue, M. Creuzer me paraît atteint de la manie contemplative de Dupuis ; et il m'est totalement impossible de retrouver la moindre influence des astres et une légende sidérale dans cette simple histoire d'Ampélos : Diodore de Sicile nous y a préparés, quand il nous fait voir Bacchus, « dans son enfance passée au milieu des nymphes, découvrant le vin, et enseignant aux hommes à cultiver la vigne. Τραφέντα δὲ τὸν Διόνυσον ὑπὸ τῶν νυμφῶν, φασὶν εὑρετὴν τοῦ οἴνου γένεσθαι, καὶ τὴν φυτείαν διδάξαι τῆς ἀμπέλου τοὺς ἀνθρώπους. (Diod., liv. IV, ch. II.)
Je veux conclure, à mon tour, de tout ceci, que, si M. Creuzer avait lu les Dionysiaques avec une attention qu'on leur a rarement prisée jusqu'ici, ou, pour mieux dire, dans une édition plus correcte, le savant archéologue eût très certainement évité les écueils où son érudition a fait naufrage.

(16) Les sentences de Nonnos. — Ces mots :

Παλαιοτέροιο γὰρ αἰεὶ
Φάρμακόν ἐστιν ἔρωτος ἔρως νεός,

que j'ai vus à Leyde, notés de la main d'Heinsius, à la fin de son exemplaire de Nonnos, parmi les sentences dignes de mémoire (γνωμαὶ), fait souvenir du dieu Pan dans la dixième églogue de Virgile, chef-d'oeuvre de sentiment et de mélancolie.

Ecquis erit modus? inquit; Amor non talia curat.

(17) Le jeune Lacédémonien. — Le jeune Lacédémonien, ainsi que le favori de la ville de Thérapné, que nous avons vu plus haut, ne sont l'un et l'autre que des synonymes d'Hyacinthe d'Amyclée. Thérapné et Amyclée, voisines de Sparte, sont prises en poésie pour Sparte elle-même, et quelquefois pour toute la Laconie, à laquelle elles appartiennent. Ovide a dit, de ce même Hyacinthe, reproduit à satiété par Nonnos dans ces derniers chants :

Prima Therapnaeo feci de sanguine florem,
Et manet in folio scripta querela suo.
(Ovide, Fastes, liv. V, v. 224.)

Et le sang d'Adonis, et la blanche Hyacinthe,
Dont la feuille respire une amoureuse plainte.
(A. Chénier, Poèmes inachevés.)

(18) Calamos. - Cet épisode de Carpos et de Calamos a mérité les éloges de Politien. Voici comment il le résume dans un de ces petits traités didactiques ou descriptifs, dignes d'être placés à côté de la poétique de Vida, de la même époque, tant on y trouve de goût et de saine critique :

Ripa sub utraque suos Maeander misit olores.
Maeander sibi nos minuit saepe obvius undis,
Maeander sub humum pudibundo flumine labens.
Quin puerum ignarus Carpon, dum ludit in unda.
Delicias nati, mox natum merserat alveo
Infelix genitor. Sed venti id crimen amantis.
(Polit. Misc., Ambr., t. II.)

(19) Carpos. - Nonnos, par la bouche de l'Amour, attribue à Carpos le sexe masculin, sans doute par suite de la première fiction d'Ampélos, et pour mieux se conformer aux moeurs infimes de l'Orient antique et moderne. Il se serait épargné cette seconde allusion, et à nous ses traducteurs une rougeur de plus, s'il s'était souvenu de Pausanias. « Carpo, dit celui-ci, n'est pas le nom d'une Grâce, mais d'une Saison (Saison des fruits) ; l'autre, les Athéniens l'honoraient sous  le nom de déesse Thallotie (Saison des fleurs.» a (Paus., liv. IX, ch. 35.)
Du reste, il faut remarquer d'un bout à l'autre de cette légende, créée en entier par notre poète, les expressions et les images soutenues qui rapprochent allégoriquement le roseau de son homonyme Calân)os. Or cette page, suivie de la description remarquable des saisons de l'année, est sans aucun doute l'une des plus gracieuses du poème ; et je ne crois pas la déprécier en ajoutant qu'elle rappelle en plus d'une rencontre le sentiment et l'élégance de Théocrite.

(20) La soeur de Calamos. — La soeur de Calamos, c'est Cyanée; non point cette nymphe de Diane, ou plutôt cette fontaine de Sicile, dont j'ai vu couler les eaux si abondantes et si limpides, au milieu des marais du golfe de Syracuse. Celle-ci est fille du Méandre. Elle épousa un fils d'Apollon, Milet, fondateur de la ville de ce nom : elle fut mère de Biblis et de Caunos :

Filia Maeandri toties redeuntis eodem
Cyane.
(Ovide, Métam., liv. IX, v. 450.)

(21) Les vents chélidoniens. — Les vents chélidoniens, qui soufflaient pendant neuf jours au commencement du mois de mars, avaient reçu ce nom de l'hirondelle (χελιδὼν) qu'ils ramenaient avec eux. « L'hirondelle, » dit Élien, « annonce l'arrivée de la plus belle des saisons. Elle aime l'homme parmi toutes les créatures, vit sous ses voûtes, et y arrive d'elle-même sans y être invitée. Puis elle en repart, quand cela lui plaῖt et qu'elle s'en trouve bien. Les hommes l'accueillent sous leur toit, suivant les règles de l'hospitalité posées par Homère. Le poète veut, en effet, qu'on reçoive de son mieux un hôte quand il arrive, mais qu'on ne le retienne pas quand il veut s'éloigner. » (Élien, Hist., liv. I, ch. 52.)

(22) Le sourire du Printemps. - Flagrante imitation de l'Iliade; mais, si les larmes d'Andromaque mêlées de sourires rendent l'image d'Homère sublime, δακρυόεν γελάσασα, les sourires mêlés de fleurs de la saison printanière, ἀνθεμοὲν γελάσασα, ne sont pas, chez Nonnos, dépourvus de toute grâce, et me paraissent fort supérieurs au νεκτάρεον μείδησ' d'Apollonius de Rhodes (Arg., liv. III, v. 1009), bien plus recherché et prétentieux.

En résumé, les adieux à Carpos, répétition plus mélancolique et plus touchante des adieux de Bacchus à Ampélos, et tout l'épisode de Calamos, où Nonnos s'est copié et épuré lui-même, constituent une véritable idylle, et ressemblent, malheureusement pour notre interprétation, à la seconde églogue du poète latin, si difficile à rendre convenablement en français. On dirait qu'en se rapprochant des temps antiques par sa fiction, Nonnos a pris aussi quelque chose de la naïveté et de la noble pureté du langage primitif.

(23) Les quatre saisons. —

« Nonnus, en ses Dionysiaques, » dit Vigénère, « met quatre saisons de l'année qu'il descript d'une fort plaisante manière, et très convenable pour les peintures;  ce que nous nous sommes parforcés de rendre ici, de mot à mot, bien qu'assez difficile et qui peut-être semblera trop affecté, voire comme intolérable aux lecteurs, qui excuseront néanmoins la liberté du langage, car nous l'avons tout exprez formé tel, pour tant mieux exprimer cet autheur, et donner quelque cognoissance à ceux qui n'entendent la langue grecque, de son stille, qui est fort exquisement recherché et poétique. »

Voici, à la suite de cette précaution oratoire, comment Vigénère nous retrace l'hiver. « L'une, jetant un foible rayon de lumière sombre autour de sa rugueuse face, accommoda de glacez peunaches ses gresleux escarpins. La perruque troussée en son chef humide d'une pluvieuse coiffure, recueillie à l'endroit du front, et coronnée d'une verde guirlande, et sa poitrine couverte d'un blanc bruineux corset. » (Vigenère, Philost., les Heures, p. 995.). Verde, traduction exacte du χλοερόν, que j'ai remplacé par κρυερὸν,  glacée ; et pourtant on pourrait voir ici la pâle couronne que les poètes placent, il est vrai, sur la tête de l'Automne, et non sur celle de l'Hiver : car je retrouve la même épithète au vers 666 de la Cosmographie de Jean de Gaza :

Καὶ χλοεροῖς πέπλοισι δέμας φρίσσουσα καλύπτει.

On aura remarqué peut-être, dans la brillante description de Nonnos, la richesse des épithètes que le pote multiplie. Elles sont toutes pittoresques. Je n'ai pu m'arrêter à en relever jusqu'ici le néologisme ; c'eût été trop de besogne : mais je l'ai regretté quelquefois, entre autres pour cette eau du Styx, châtiment suprême, ὑστερόποινον (ch. IX, v. 135), terme qui me semble merveilIeusement adapté aux idées nouvelles, emprunté à Eschyle sans doute, mais appartenant tout entier à la religion chrétienne.

(24) Réflexions sur ce chant. — Voici les éloges que M. Ouvaroff donne une seconde fois à la fin de cet épisode d'Ampélos, après en avoir, dans le chant qui précède, admiré le début. Je les traduis sans m'en rendre garant ; car le docte critique me paraît, en cette circonstance, avoir emprunté à Nonnos lui-même sa teinte habituelle d'exagération :
« Non-seulement Nonnos s'est fait de l'épopée une idée qui lui est propre; mais encore il a inventé un style à son usage et complet en expressions, tournures et parallèles. Lorsque, soutenu par son meilleur génie, il s'engage dans la bonne voie, il est incomparable (Unrergleichlich.) Il faut être familier avec les poètes grecs, pour reconnaître dans les parties heureuses de cette épopée toutes les traces de la poésie antique. Les plus brillantes fleurs de l'anthologie y sont mêlées à la composition avec un art et un soin particuliers. - Il est évident que tout l'épisode d'Ampélos, en y comprenant son dernier récit, est un charmant oasis dans le champ large et trop souvent désert des Dionysiaques. L'Amour, sans doute, y parle partout; mais ici le poste ne tombe pas dans la monotonie. Le jeu infini des couleurs avec lesquelles il rajeunit sans cesse de telles peintures, signale les merveilleuses ressources de son talent ( Den wunderbaren anlagen seines talents ). On peut y remarquer avec quelle riche et brillante imagination il a tracé et exécuté deux tableaux exactement pareils; et combien la complainte de Bacchus contraste admirablement avec la complainte d'Ampélos. On y verra aussi que, dans la première, le caractère du dieu et observé et soutenu avec autant de sévérité que d'artifice. »