Aristote : Physique

ARISTOTE

PHYSIQUE.

TOME DEUX : LIVRE IV : DE L'ESPACE, DU VIDE ET DU TEMPS. CHAPITRE IX
 

Traduction française : BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE.

chapitre VIII - chapitre X

paraphrase du livre IV

 

 

 

LEÇONS DE PHYSIQUE


LIVRE IV.


DE L'ESPACE, DU VIDE ET DU TEMPS.

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE IX.

Définition du mot de vide; double sens qu'on donne à ce mot; erreur de quelques philosophes qui ont confondu le vide et la matière.
 

1 Πρὸς δὲ τὸ ποτέρως ἔχει δεῖ λαβεῖν τί σημαίνει τοὔνομα. 2 Δοκεῖ δὴ τὸ κενὸν τόπος εἶναι ἐν ᾧ μηδέν ἐστι. 3.Τούτου δ' αἴτιον ὅτι τὸ ὂν σῶμα οἴονται εἶναι, πᾶν δὲ σῶμα ἐν τόπῳ, κενὸν δὲ ἐν ᾧ τόπῳ μηδέν ἐστι σῶμα, ὥστ' εἴ που μὴ ἔστι σῶμα, οὐδὲν εἶναι ἐνταῦθα. Σῶμα δὲ πάλιν ἅπαν [214a]  οἴονται εἶναι ἁπτόν· τοιοῦτο δὲ ὃ ἂν ἔχῃ βάρος ἢ κουφότητα. Συμβαίνει οὖν ἐκ συλλογισμοῦ τοῦτο εἶναι κενόν, ἐν ᾧ μηδέν ἐστι βαρὺ ἢ κοῦφον. Ταῦτα μὲν οὖν, ὥσπερ εἴπομεν καὶ πρότερον, ἐκ συλλογισμοῦ συμβαίνει. 4 Ἄτοπον δὲ εἰ ἡ στιγμὴ κενόν· δεῖ γὰρ τόπον εἶναι ἐν ᾧ σώματος ἔστι διάστημα ἁπτοῦ. 5 Ἀλλ' οὖν φαίνεται λέγεσθαι τὸ κενὸν ἕνα μὲν τρόπον τὸ μὴ πλῆρες αἰσθητοῦ σώματος κατὰ τὴν ἁφήν· αἰσθητὸν δ' ἐστὶ κατὰ τὴν ἁφὴν τὸ βάρος ἔχον ἢ κουφότητα 6 (διὸ κἂν ἀπορήσειέ τις, τί ἂν φαῖεν, εἰ ἔχοι τὸ διάστημα χρῶμα ἢ ψόφον, πότερον κενὸν ἢ οὔ; ἢ δῆλον ὅτι εἰ μὲν δέχοιτο σῶμα ἁπτόν, κενόν, εἰ δὲ μή, οὔ)· 7 ἄλλον δὲ τρόπον, ἐν ᾧ μὴ τόδε τι μηδ' οὐσία τις σωματική. 8 Διό φασίν τινες εἶναι τὸ κενὸν τὴν τοῦ σώματος ὕλην (οἵπερ καὶ τὸν τόπον τὸ αὐτὸ τοῦτο), λέγοντες οὐ καλῶς· ἡ μὲν γὰρ ὕλη οὐ χωριστὴ τῶν πραγμάτων, τὸ δὲ κενὸν ζητοῦσιν ὡς χωριστόν.

 

 § 1. Pour savoir entre ces deux opinions ce qu'il en est, il faut connaître d'abord ce que veut dire le mot lui-même. § 2. En général, on entend par le vide un espace dans lequel il n'y a rien. § 3. Cette idée vient de ce qu'on regarde toujours l'être comme un corps, et que tout corps est dans un lieu, dans un espace. Par conséquent, le vide est l'espace où il n'y a aucun corps ; et s'il est un espace où il n'y ait pas de corps, on dit que là il y a le vide. D'autre part, on suppose que tout corps, quel qu'il soit, [214a] est tangible, et que c'est là une propriété de tout ce qui a pesanteur ou légèreté. En continuant ce raisonnement on arrive donc à dire que le vide est ce dans quoi il n'y a rien, ni de pesant ni de léger. Telles sont les conséquences où le raisonnement conduit, ainsi que nous l'avons dit antérieurement. § 4. Mais il serait absurde de prétendre que le point est le vide, puisqu'il faut que le vide soit l'espace, où est l'étendue du corps tangible. § 5. Ainsi en un sens, vide semble vouloir dire ce qui n'est pas plein d'un corps sensible au toucher; et sensible au toucher, c'est tout ce qui a ou légèreté ou pesanteur. § 6. Aussi peut-on se demander ce qu'on penserait si l'étendue avait ou une couleur ou un son. Croirait-on alors que c'est du vide, ou que ce n'en est pas? On bien est-il clair qu'on dirait qu'il y a du vide, si l'étendue pouvait recevoir un corps tangible, et qu'on ne trouverait pas de vide, si elle ne le pouvait pas? § 7. En un autre sens, ou entend par vide l'espace où il n'y a pas de chose distincte ni aucune substance corporelle. § 8. C'est là ce qui a fait que des philosophes ont soutenu que le vide est la matière des corps, et ce sont ceux qui ont confondu aussi, bien à tort du reste, l'espace avec la matière; car la matière n'est pas séparable des corps, tandis qu'ils regardent toujours le vide qu'ils cherchent comme en étant séparé.
 

Ch. IX, § 1. Ce que veut dire mot lui-même, il semble que ceci répond aux « opinions communément répandues sur le vide », dont Aristote a parlé plus haut, ch. 8, § 2, et sur lesquelles il se proposait de revenir, après avoir exposé les systèmes divers pour ou contre l'existence du vide.

§ 2. En général, on entend par vide, voir plus haut, ch. 8, § 3.

§ 3. On regarde toujours l'être, on croit que tout ce qui est doit avoir un corps; et ce qui n'a pas de corps paraît ne pas pouvoir exister.

- Que tout corps... est tangible, plus haut ch. 8, § 3, il a été dit d'une manière plus générale, non pas tangible, mais perceptible aux sens. Cette dernière expression est plus exacte.

- Pesanteur ou légèreté, l'expérience citée plus haut, de l'air sortant des outres ou des clepsydres, ch. 8. § 3, aurait dû montrer qu'il y a des choses qui ont une certaine légèreté, et qui cependant ne soit pas sensibles au toucher.

- Nous l'avons déjà dit antérieurement, plus haut ch. 8, § 3.

§ 4. Que le point est le vide, attendu que le point n'ayant aucune dimension, longueur, largeur ni profondeur, on peut dire qu'il n'y a rien dans le point pas plus que dans le vide.

 - L'étendue, le texte dit : « l'intervalle. ».

§ 5. Semble vouloir dire, cette tournure dubitative veut exprimer sans doute qu'Aristote ne partage pas cette opinion.

 - Et sensible au toucher, c'est la répétition de ce qui vient d'être dit au § 3.

§ 6. Si l'étendue avait une couleur ou un son, c'est-à-dire si le corps, au lieu d'être perceptible au toucher, l'était seulement à la vue ou à l'ouïe. La pensée n'est pas d'ailleurs aussi nette qu'on pourrait le désirer; et il est difficile de comprendre qu'une surface colorée pût exister sans un corps perceptible au toucher, ou qu'un son pût se produire sans un corps matériel qui en :serait la première cause.

- Croirait-on alors que c'est du vide, c'est-à-dire parce que l'étendue serait pleine de couleur et de son, selon l'hypothèse qu'on fait ici, doit-on dire qu'elle est pleine ou qu'elle est vide?

- Ou bien est-il clair, c'est la formule habituelle qu'Aristote adopte quand il présente les réponses aux objections qu'il fait lui-même; mais cette formule n'est pas sans quelqu'obscurité.

- Si l'étendue, qu'on supposait tout à l'heure pleine de couleur et de son. On dirait que cette étendue est du vide, si elle pouvait recevoir un corps matériel et tangible, selon le système qui vient d'être exposé; ou bien on dirait que ce n'est pas du vide, si elle ne pouvait recevoir aucun corps.

§ 7. En un autre sens, cette seconde acception est légèrement différente de la première; mais la différence pouvait être plus fortement marquée.

- Aucune substance corporelle, ceci semble se rapprocher beaucoup du corps tangible dont il vient d'être question. Mais sans doute il faut comprendre par Substance corporelle la substance qui a reçu la forme d'un corps déterminé; et alors le vide serait l'espace où il n'y a pas encore de substance à forme distincte et précise. Cette explication fait mieux comprendre ce qui suit.

§ 8. Des philosophes, il est possible qu'il y ait ici une allusion cachée à quelques passages du Timée de Platon. Les commentateurs grecs ne disent pas quels sont les philosophes que critique Aristote.

- L'espace avec la matière, voir plus haut, ch. 4, § 6, et ch. 6, § 21 .

- N'est pas séparable des corps, c'est un des arguments qui ont été donnés plus haut pour démontrer que l'espace ne peut être la matière des corps.