Aristote : Physique

ARISTOTE

PHYSIQUE.

TOME DEUX : LIVRE IV : DE L'ESPACE, DU VIDE ET DU TEMPS. CHAPITRE X
 

Traduction française : BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE.

chapitre IX - chapitre XI

paraphrase du livre IV

 

 

 

LEÇONS DE PHYSIQUE


LIVRE IV.


DE L'ESPACE, DU VIDE ET DU TEMPS.

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE X.

Essai de démonstration de l'existence du vide; l'idée du mouvement n'implique pas la nécessité du vide; les corps peuvent se mouvoir, et s'accroître sans qu'il y ait du vide, comme ils peuvent se condenser.
 

1πεὶ δὲ περὶ τόπου διώρισται, καὶ τὸ κενὸν ἀνάγκη τόπον εἶναι, εἰ ἔστιν, ἐστερημένον σώματος, τόπος δὲ καὶ πῶς ἔστι καὶ πῶς οὐκ ἔστιν εἴρηται, φανερὸν ὅτι οὕτω μὲν κενὸν οὐκ ἔστιν, οὔτε κεχωρισμένον οὔτε ἀχώριστον. Τὸ γὰρ κενὸν οὐ σῶμα ἀλλὰ σώματος διάστημα βούλεται εἶναι· διὸ καὶ τὸ κενὸν δοκεῖ τι εἶναι, ὅτι καὶ ὁ τόπος, καὶ διὰ ταὐτά. κει γὰρ δὴ ἡ κίνησις ἡ κατὰ τόπον καὶ τοῖς τὸν τόπον φάσκουσιν εἶναί τι παρὰ τὰ σώματα τὰ ἐμπίπτοντα καὶ τοῖς τὸ κενόν. Αἴτιον δὲ κινήσεως οἴονται εἶναι τὸ κενὸν οὕτως ὡς ἐν ᾧ κινεῖται· τοῦτο δ' ἂν εἴη οἷον τὸν τόπον φασί τινες εἶναι. 2 Οὐδεμία δ' ἀνάγκη, εἰ κίνησις ἔστιν, εἶναι κενόν. λως μὲν οὖν πάσης κινήσεως οὐδαμῶς, δι' ὃ καὶ Μέλισσον ἔλαθεν· ἀλλοιοῦσθαι γὰρ τὸ πλῆρες ἐνδέχεται. 3λλὰ δὴ οὐδὲ τὴν κατὰ τόπον κίνησιν· ἅμα γὰρ ἐνδέχεται ὑπεξιέναι ἀλλήλοις, οὐδενὸς ὄντος διαστήματος χωριστοῦ παρὰ τὰ σώματα τὰ κινούμενα. Καὶ τοῦτο δῆλον καὶ ἐν ταῖς τῶν συνεχῶν δίναις, ὥσπερ καὶ ἐν ταῖς τῶν ὑγρῶν. 4νδέχεται δὲ καὶ πυκνοῦσθαι μὴ εἰς τὸ κενὸν ἀλλὰ διὰ τὸ τὰ ἐνόντα ἐκπυρηνίζειν [214b]  (οἷον ὕδατος συνθλιβομένου τὸν ἐνόντα ἀέρα), 5 καὶ αὐξάνεσθαι οὐ μόνον εἰσιόντος τινὸς ἀλλὰ καὶ ἀλλοιώσει, οἷον εἰ ἐξ ὕδατος γίγνοιτο ἀήρ. 6λως δὲ ὅ τε περὶ τῆς αὐξήσεως λόγος καὶ τοῦ εἰς τὴν τέφραν ἐγχεομένου ὕδατος αὐτὸς αὑτὸν ἐμποδίζει. γὰρ οὐκ αὐξάνεται ὁτιοῦν, ἢ οὐ σώματι, ἢ ἐνδέχεται δύο σώματα ἐν ταὐτῷ εἶναι (ἀπορίαν οὖν κοινὴν ἀξιοῦσι λύειν, ἀλλ' οὐ κενὸν δεικνύουσιν ὡς ἔστιν), ἢ πᾶν εἶναι ἀναγκαῖον τὸ σῶμα κενόν, εἰ πάντῃ αὐξάνεται καὶ αὐξάνεται διὰ κενοῦ. δ' αὐτὸς λόγος καὶ ἐπὶ τῆς τέφρας.

7τι μὲν οὖν ἐξ ὧν δεικνύουσιν εἶναι τὸ κενὸν λύειν ῥᾴδιον, φανερόν.

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§ 1. Après avoir étudié l'espace et démontré que le vide ne peut être que l'espace, s'il est ce qui est privé de corps; et après avoir expliqué également comment l'espace est et n'est pas, il doit être évident que dans ce sens le vide n'existe pas non plus davantage, ni inséparable ni séparable des corps; puisque le vide n'est pas un corps, et qu'il est bien plutôt l'intervalle du corps. Aussi le vide ne semble-t-il être quelque chose de réel, que parce que l'espace l'est aussi, et par les mêmes motifs; car le mouvement dans l'espace est admis également, et par ceux qui soutiennent que l'espace est quelque chose de distinct des corps qui s'y meuvent, et par ceux qui soutiennent que le vide existe. On pense que le vide est la cause du mouvement, en tant qu'il est l'endroit où le mouvement se passe; et c'est là précisément le rôle que d'autres philosophes prêtent à l'espace. § 2. Mais il n'est pas du tout nécessaire, parce que le mouvement existe, qu'il y ait aussi du vide; et le vide ne peut pas du tout être pris pour la cause de toute espèce de mouvement quel qu'il soit, observation qui a échappé à Mélissus; car le plein lui-même peut parfaitement changer par une simple altération. § 3. Mais il n'est pas même besoin de vide pour le mouvement dans l'espace; car il se peut fort bien aussi que les corps se remplacent réciproquement les uns les autres, sans qu'il y ait un intervalle séparable et distinct des corps qui se meuvent. C'est ce qu'on peut très aisément voir dans les relations des corps solides et continus, aussi bien que dans celles des corps liquides. § 4. Les corps peuvent même aussi se condenser sans que ce soit dans le vide, mais par cela seul que certaines parties qu'ils contiennent en sont expulsées, [214b] comme l'air s'échappe de l'eau quand on la presse. § 5. De plus, les corps peuvent s'accroître non pas seulement par l'introduction de quelque chose d'étranger, mais aussi par une simple modification, comme par exemple, l'eau devenant air. § 6. Mais absolument parlant, cette explication du vide, tirée de l'accroissement des corps et de l'eau versée dans la cendre, est contradictoire. En effet, l'on arrive à dire ou que toute partie du corps ne s'accroît pas ou que rien ne s'accroît matériellement; ou que deux corps peuvent être dans le même lieu ; et alors on peut bien croire qu'on a résolu une objection vulgaire. et commune, mais on n'a point pour cela démontré l'existence du vide; ou bien enfin, on arrive à dire que le corps est tout entier nécessairement vide, si l'on admet qu'il s'accroît de toutes parts, et qu'il s'accroît grâce au vide. Le même raisonnement s'appliquerait au phénomène de la cendre.

§ 7. On voit donc qu'il est assez facile de réfuter les explications qu'on a données pour démontrer l'existence du vide.

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Ch. X, § 1. Après avoir étudié l'espace, dans les sept premiers chapitres de ce livre.

- Et démontré que le vide, voir plus haut, ch. 8, § 1.

- Comment l'espace est et n'est pas, voir plus haut, ch. 7. - Dans ce sens, c'est-à-dire dans le sens où ceci a été soutenu de l'espace.

- L'intervalle du corps, soit que l'on considère l'intérieur du corps ou l'on suppose le vide entre les diverses parties, soit que l'on considère le rapport des différents corps entr'eux. L'expression du texte est indéterminée comme ma traduction.

- Le mouvement dans l'espace, le déplacement, qui semble plus spécialement un mouvement que toutes les autres espères de mouvement.

- Quelque chose de distinct des corps, voir plus haut, ch. 4, § 1.

- Et par ceux qui soutiennent, voir plus haut, ch. 8, §§ 6 et suiv.

- Est la cause du mouvement, cette expression serait très inexacte sans la restriction qui la suit.

§ 2. Parce que le mouvement existe, ce sera l'opinion d'Aristote, que le mouvement peut avoir lieu sans le vide.

- Pour la cause de toute espèce de mouvement, dans le sens où l'on vient de dire au § précédent que l'espace est cause du mouvement.

- Qui a échappé à Mélissus, voir plus haut, ch. 8, § 5. Mélissus prétendait que l'univers est immobile parce qu'il n'y a pas de vide, et que sans le vide le mouvement n'est pas possible. Il semble donc que Mélissus ne comprend le mouvement que par le déplacement dans l'espace; mais ce n'est pus là la seule espèce de mouvement ; et si Mélissus eût remarqué qu'il y a cette autre espèce de mouvement qu'on appelle l'altération et qui est le mouvement dans la qualité, il n'aurait pas soutenu qu'il n'y a pas de mouvement parce qu'il n'y a point de vide.

- Changer par une simple altération, c'est la force de l'expression grecque. Voir pour le mouvement d'altération dans la qualité, les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction.

§ 3. Se remplacent les uns les autres, en se succédant sans qu'il y ait de vide entr'eux.

- Un intervalle, qui serait le vide.

- Solides et continus, le texte dit seulement : Continus; le second mot m'a paru nécessaire comme étant mieux opposé à celui de liquides.

- Dans celles des corps liquides, en supposant, par exemple, que dans un vase on agite et l'on fasse tourner l'eau qu'il contient. Cette théorie, d'ailleurs est très contestable.

§ 4. Sans que ce soit aussi dans le vide, voir plus haut, ch. 8, § 6.

- Certaines parties qu'ils contiennent, le texte dit seulement : « qu'ils contiennent. »

- S'échappe de l'eau quand on la presse, ceci doit s'entendre sans doute des outres que l'on comprime; voir plus haut, ch. 8, § 3.

§ 5. Les corps peuvent s'accroître, voir plus haut, ch, 8, § 7, l'argument pour l'existence du vide tiré de la croissance des corps animés.

- L'eau devenant air, il s'agit sans doute ici de la vaporisation de l'eau, qui, sous su forme nouvelle, tient plus de place que sous l'ancienne.

§ 6. L'eau versée dans la cendre, voir plus haut, ch. 8, § 8.

- L'on arrive à dire, quand on soutient que l'accroissement des corps par la nutrition ne peut avoir lieu qu'il la condition du vide.

- Que toute partie du corps ne s'accroît pas, parce que certaines parties du corps sont nécessairement pleines, et que si l'accroissement ne se fait qu'à la condition du vide, celles-là ne peuvent pas s'accroître; or, il est certain que l'alimentation accroît le corps tout entier, et non pus seulement certaines parties du corps.

- Ou que rien ne s'accroît matériellement, ou comme le dit le texte : par un corps: ce qui ne serait pus moins absurde que de dire que toutes les parties du corps qui s'accroît sont vides.

- Ou que deux corps peuvent être dans le même lieu, si l'on admet que certaines parties du corps sont pleines, et qu'elles ne s'en accroissent pas moins.

- Une objection vulgaire et commune, il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

 - Est tout entier nécessairement vide, impossibilité plus évidente encore que les autres; il faudrait que le corps tout entier fût vide, puisqu'il s'accroît tout entier, et qu'on suppose qu'il n'y a d'accroissement possible qu'à la condition du vide.

 - Le même raisonnement, c'est-à-dire que les impossibilités qui viennent d'être énumérées relativement à l'accroissement des corps, seraient également opposées à l'explication par le vide du phénomène de la cendre; voir plus haut, ch. 8, § 8.

§ 7. Les explications qu'on a données, voir plus haut tout le ch. 8.

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