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MATTER

 

HISTOIRE  DE L'ECOLE D'ALEXANDRIE

QUATRIÈME PERIODE. De l'an 47 avant J.-C., a l'an 138 après J.-C. — De César à Adrien. - CINQUIEME PERIODE. De l'an 138 à l'an 312 avant Jésus-Christ.

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HISTOIRE 

 

DE

 

L'ECOLE D'ALEXANDRIE

 

COMPAREE

 

AUX PRINCIPALES ECOLES CONTEMPORAINES,

Ouvrage couronné par l'Institut.

PAR M. MATTER,

INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'UNIVERSITE.

2e édition, entièrement refondue.

 

TOME PREMIER

Topographie. Musées. Bibliothèques. Syssities. Didascaléee.

Plan d'Alexandrie ancienne et moderne.

PARIS.

CHEZ HACHETTE,

ANCIEN ÉLÈVE DE L'ECOLE NORMALE, LIBRAIRE DE L'UNIVERSITÉ DE FRANCE,

Rue Pierre-Sarrazin, 12. P.

BERTRAND, Libraire-Éditeur 4e Paris historique,

Rue Saint-André-des-Arcs, 38.

BROCKHAUS ET AVENARIUS,

RUE RICHELIEU, 60;

MÊME MAISON, A LEIPZIG

1840.

 

 

QUATRIÈME PERIODE.

 

De l'an 47 avant J.-C., a l'an 138 après J.-C. — De César à Adrien.

 

Vue générale sur les trois dernières périodes.

Malgré les désordres qui suivirent le rétablissement de l'école d'Alexandrie par Ptolémée VII, et les troubles qui marquèrent la domination des derniers Lagides, les institutions littéraires de leur capitale s'étaient maintenues.

C'est une opinion reçue, que l'incendie de la grande Bibliothèque et l'établissement de la domination romaine par César ont ruiné les études d'Alexandrie; que depuis cette double catastrophe, les savants, privés d'une cour bienveillante et prodigue, manquèrent à-la-fois, au milieu de l'indifférence de la population, d'encouragements et de sympathies, tandis que ceux qui se rendaient à Rome y trouvaient des trésors et des honneurs. Avec l'incendie du Bruchium et le règne de Rome commencerait donc l'agonie du Musée.

Il y a dans cette opinion quelque vérité et une grande exagération. En effet, ce n'est ni l'incendie du Bruchium, ni l'empire des Césars qui a tué l'école d'Alexandrie. Quand Auguste fit de l'Égypte une province romaine, la perte de 500,000 volumes était presque réparée par le don d'Antoine de 200,000 autres, et, dans les premiers temps de la domination romaine, les chefs de l'empire firent, pour l'école d'Alexandrie, plus de dépenses que n'en avaient fait tous les Lagides ensemble depuis la mort de Ptolémée II. Ce n'est donc pas le renversement des rois grecs par Auguste qui (235) a tué l'école d'Alexandrie; ce qui l'a tuée, c'est la ruine du polythéisme. L'opinion que je combats s'appuie sur certains faits isolés ; celle que j'avance, sur ce puissant ensemble de nouveautés que le christianisme, introduit dans l'empire par les écoles juives, vint établir dans le monde, en attendant qu'un chef de Rome l'élevât sur le trône.

C'est là ce qui a tué le Musée et la Bibliothèque des Lagides, toutes les Syssities et toutes les Écoles grecques.

Ce point de vue doit dominer nécessairement l'histoire des trois dernières périodes de l'école d'Alexandrie, et loin de trouver les six siècles qu'elles embrassent moins curieux que les trois qui les précèdent, on doit les considérer comme beaucoup plus importants. En effet, il s'agit d'intérêts plus graves, puisque dans les écoles rivales qui se trouvent désormais en présence, on rencontre toutes les questions morales du temps, et tous les débats politiques de l'ancien monde attaqué par un monde nouveau. Nous n'avons pas, il est vrai, à faire ici l'histoire de ces débats; mais dans celle du Musée même éclatera partout la preuve que ce qui a mis fin à son existence, ce n'est ni l'incendie d'une bibliothèque, ni une domination étrangère, ce sont des causes morales.

Dans l'origine de la domination romaine, aucun genre d'encouragements ne manqua aux institutions littéraires des Lagides , et de nombreuses fondations furent faites pour les soutenir. Mais bientôt la politique des empereurs changea à cet égard. Adrien et ses successeurs encouragèrent les écoles de la Grèce ; Constantin et les siens, celles du christianisme. Les siècles que nous allons parcourir n'offrent donc pas le môme caractère. Je les distingue en trois périodes, dont la première commence avec César ou Cléopâtre réparant les ruines du fatal incendie; la seconde, avec Adrien qui rétablit les écoles de la Grèce; la troisième, avec Constantin qui assure le triomphe de celles du christianisme, en attendant qu'Amrou vienne faire triompher la cause du mahométisme.

(236) Ainsi, malgré tous les efforts de César et de ses successeurs, l'école d'Alexandrie dut succomber : 1° parce que l'empereur Adrien rétablit celles de la Grèce; 2° parce que l'empereur Constantin fit triompher celles du christianisme; 3° parce que la conquête musulmane vint achever la ruine de tout ce qui pouvait rester des créations littéraires des Lagides.

La première de ces trois périodes est un âge de faveurs et de prospérités pour ces établissements. Afin d'en faire ressortir les faits spéciaux , j'examinerai successivement : 1° la véritable portée de la catastrophe de l'an 47 avant J.-C. ; 2° les efforts de Cléopâtre, de César et d'Antoine, pour réparer ce désastre; 3° les encouragements accordés aux institutions littéraires d'Alexandrie et les créations faites en leur faveur par Auguste, Tibère et Claude; 4° l'état de ces établissements dans l'intervalle du règne de Claude à celui d'Adrien, ainsi que la situation des autres écoles grecques et celle des écoles judaïques, gnostiques et chrétiennes d'Alexandrie; 5° la composition du Musée pendant cette période.

 

(237) CHAPITRE PREMIER.

 

ÉTAT DU MUSÉE ET DES BIBLIOTHÈQUES APRÈS LA CATASTROPHE De l'an 47 Avant j.-c. — De La Protection Que Leur ACCORDA CLÉOPATRE, AIDÉE DE CÉSAR ET D'ANTOINE. — BIBLIOTHÈQUE DE PERGAME DÉPOSÉE DANS ALEXANDRIE. — CHIFFRE.

 

Pour apprécier exactement ce que Cléopâtre, César et Antoine ont pu faire sous ce rapport, j'examinerai avant tout la véritable portée de la catastrophe et l'état où se trouvaient les Bibliothèques et le Musée après l'incendie.

Quant à la bibliothèque du Bruchium, le désastre avait été complet; toute cette collection, que nous avons vue forte de 200,000 volumes à la mort de son fondateur, de 400,000 commixtes et d'environ 100,000 simples sous le règne de Ptolémée II, avait péri. Mais du moins on n'avait perdu que cela ; cette collection n'avait pas été augmentée , les nouvelles acquisitions ayant été déposées au Sérapéum. Il ne faut pas supposer non plus que tous les ouvrages qu'elle renfermait fussent détruits. La vraie perte ressortira d'une classification des volumes dont elle était composée. C'étaient : 1° tous les écrits classiques qui se trouvaient sur les Tableaux de Callimaque revus par ses continuateurs, car aucun de ces écrits n'a dû y manquer, vu la généreuse avidité des Lagides; 2° tous les ouvrages grecs qu'on avait pu se procurer; 3° les publications de tous les écrivains (238) d'Alexandrie ; 4° les éditions critiques soignées par ces écrivains, et particulièrement par Zénodote, Aristophane et Aristarque ; 5° les traductions faites de l'égyptien, de l'hébreu, du chaldéen, de l'éthiopien, etc. ; 6° un assez grand nombre d'autographes qu'on s'était procurés par divers moyens.

Cette belle collection avait donc deux sortes de prix fort différents : l'un déterminé par le nombre des volumes, et que j'appellerai la valeur numérique; l'autre, déterminé par la spécialité et la rareté de ces volumes, et que j'appellerai la valeur morale.

Quant à la première, on peut l'indiquer d'une manière assez précise, puisque le fragment grec et la scolie latine (p. 130) nous donnent le chiffre de 490,000 ou de 510,000 volumes, et qu'il est à croire qu'on joignit aux 42,800 du Sérapéum, les acquisitions faites postérieurement à Ptolémée II. Il n'y eut donc qu'une perte de 500,000 volumes.

Cependant la confiance que nous inspirent le fragment et la scolie n'est pas entière, et les auteurs qui parlent de l'incendie, Sénèque, Ammien Marcellin, Aulu-Gelle et Orose, pour ne point invoquer ceux qui les ont copiés ou altérés dans les âges suivants, sont loin d'être d'accord, soit entre eux, soit avec les deux témoignages que nous venons de nommer. Or, plusieurs de ces auteurs ont pu consulter des documents antérieurs au fragment et à la scolie ou des savants d'Alexandrie parfaitement instruits, et quoiqu'ils ne distinguent pas, tous, les deux Bibliothèques d'Alexandrie dont l'une fut brûlée, l'autre sauvée, on ne saurait rejeter entièrement leur témoignage pour suivre celui de la tradition byzantine, représentée par l'Inconnu.

Sénèque, qui distingue ces deux collections, dit qu'il périt dans l'incendie de César 400,000 volumes. (1)

Ce chiffre, Orose le donne aussi, en affirmant que ce furent là tous les livres qui existaient au temps de César, et (239) en ajoutant qu'on ne doit pas s'imaginer qu'il y eût alors une seconde collection située en dehors du Bruchium.

Aulu-Gelle et Ammien-Marcellin donnent aux deux Bibliothèques, pour l'époque de César, le chiffre de 700,000, et semblent livrer le tout à l'incendie qui dévora la flotte. (2)

Certes, voilà une grande divergence. Cependant ce n'est pas le chiffre de 700,000 , c'est celui de 400,000 qui s'explique mal. Le premier a deux explications. Ou bien Aulu-Gelle et Ammien ont donné le total des deux Bibliothèques d'Alexandrie, sans distinguer celle qui périt et qui était de 400,000 volumes, de celle qui ne périt pas et qui était de 300,000. Ou bien on avait ajouté aux 510,000 volumes déposés au Bruchium sous Ptolémée II, 190,000 autres dans l'intervalle de la mort de ce prince à l'incendie, qui aurait trouvé ainsi les 700,000 volumes qu'on a l'air de lui livrer: ce fait, je ne l'admets pas, mais il serait possible.

Quant au chiffre de 400,000 donné par Sénèque et Orose , il offre, au premier aspect, plus de difficultés que celui de 700,000. En effet, comment se fait-il qu'aucun de ces écrivains qui possèdent un chiffre exact, celui des 400,000 commixtes, ne mentionne les 90,000 ou 110,000 simples, et n'arrive ainsi au chiffre de 500,000 donné par Josèphe? Évidemment, par la raison que nous avons dite, c'est-à-dire, que si quelques auteurs ont eu le secret des relevés de Callimaque et d'Ératosthène, ce secret avait échappé aux autres.

A mon avis, la seule collection de 400,000 commixtes, plus 90 ou 100,000 simples a péri, et nous pouvons dire, je crois, à juste titre que nous connaissons d'une manière assez précise la valeur numérique de la perte.

Cependant, à cet égard, il me reste un adversaire à combattre et une question secondaire à vider. Un auteur moderne croit pouvoir réduire les 700,000 volumes des deux Bibliothèques, chiffre qu'il considère comme un maximum (240) exagéré, au chiffre de 100,000 (3). Il n'a pour cela, ce me semble, d'autres motifs que celui de 64,000 donné par S. Épiphane pour une toute autre époque, et une hypothèse qui lui est propre, celle que ce même César qui se mettait dans la foule à écouter les philosophes d'Alexandrie, quand il n'était pas occupé au palais de Cléopâtre, aurait mis toute la collection dans des cabanes ou des bâtiments à la destination de Rome. Mais, d'abord, cette hypothèse est jugée; ensuite le nombre de S. Épiphane expliqué; puis, le chiffre de 700,000 loin de présenter un maximum exagéré, se trouve encore au-dessous de la réalité, s'il doit représenter la Bibliothèque incendiée du Bruchium et celle du Sérapéum, comme cela me paraît être dans la pensée d'Aulu-Gelle et d'Ammien. En effet, voici la somme approximative des livres que reçut Alexandrie dans l'intervalle de Ptolémée I à César :

Bibliothèque du Bruchium, volumes commixtes. 400,000

— — volumes simples. . . 110,000

Bibliothèque du Sérapéum 42,800

Augmentation probable sous les successeurs de Ptoléméc II, par voie de copie ou d'achat. . . . 200,000

Total........................ 752,000

Je le sais, quand j'estime à 200,000 volumes l'augmentation faite pendant l'espace de deux cent quarante-six ans, je reste au-dessous de toutes les probabilités, aux yeux de ceux qui admettent que Ptolémée II en acquit 400,000 dans l'espace de trente-six ans, et aux yeux de ceux qui supposent que Ptolémée III en réunit un plus grand nombre que son père.

Vient maintenant la question secondaire. La Bibliothèque du Bruchium, que valait-elle en volumes modernes ? La condition extérieure des livres anciens, qui étaient des fascicules, c'est-à-dire, des assemblages de feuilles ou de (241) simples rouleaux, donnait aisément un chiffre élevé. Quand on n'avait, pour apprécier le contenu de ces livres par voie de comparaison, qu'une indication sur le nombre de volumes que formaient les Métamorphoses d'Ovide (4), je calculai que la Bibliothèque du Bruchium, incendiée par César, n'aurait pas répondu à une collection moderne de 150,000 volumes. On a querellé ce chiffre. On a dit, d'abord, que j'aurais dû indiquer quelle espèce de volumes j'entendais; mais je ferai remarquer à cet égard que, quand on parle d'une bibliothèque de 150,000 volumes, chacun sait combien il y entre de livres de divers formats et qu'il me paraissait inutile de dire que je n'entendais parler exclusivement ni d'in-folio, ni d'in-36. On a dit, ensuite, qu'en prenant pour base de calcul les papyrus récemment trouvés en Égypte, et en particulier celui de l'île d'Éléphantine, qui contient 677 hexamètres du 24e livre de l'Iliade, on arriverait à des chiffres moins élevés ; car il aurait fallu quarante de ces rouleaux pour la totalité de l'Iliade et de l'Odyssée (5), et comme ces ouvrages peuvent s'imprimer aujourd'hui très-convenablement en deux volumes, la bibliothèque du Bruchium, au lieu de répondre à 150,000 volumes, tels qu'il s'en fait en Allemagne, ne répondrait qu'à 20,000. Mais, si au lieu de mettre l'Iliade en deux volumes, vous n'en faites qu'une édition diamant, vous réduirez vous-même la bibliothèque dont il s'agit à 10,000 volumes in-36 ; tandis que si vous imprimez Homère en six beaux volumes , tels qu'il s'en fait en France et en Angleterre ; puis, si au lieu d'un papyrus de 8 pieds , vous m'accordez qu'il y en eut au Bruchium de 12 à 14, je crois que les 400,000 volumes ou rouleaux commixtes, et les 90,000 ou 110,000 volumes simples que fit brûler César approcheront singulièrement de l'évaluation que j'ai faite d'après un autre point de comparaison. Enfin, si au lieu d'un (242) rouleau de papyrus égyptien trouvé à Éléphantine, et qui ne fut pas nécessairement une copie d'un rouleau d'Alexandrie, quoiqu'on dise, nous prenons pour base de nos calculs des fascicules de feuilles ou des volumes véritables venus de la Grèce proprement dite ou des îles, les 510,000 volumes réduits en cendres par César, équivaudront, même matériellement , à une collection moderne de 150,000 volumes.

Mais ce sont là évidemment des évaluations qui ne comportent qu'une exactitude approximative; et tout ce que je veux conclure se borne à ceci, c'est qu'en ajoutant à toutes les richesses littéraires du monde grec au temps d'Alexandre toutes les productions publiées par la féconde école d'Alexandrie et ses rivales ainsi que les traductions faites de plusieurs langues , on avait possédé au Bruchium, valeur numérique , une Bibliothèque moderne d'un rang assez notable.

S'il s'agit maintenant de préciser la valeur morale de cette même collection, nous n'examinerons pas si Tite Live en parle avec une gravité convenable, lorsqu'il l'appelle un monument remarquable de la magnificence et de la sollicitude des Lagides (6); ni si Sénèque devait qualifier le goût de ces princes de « luxe littéraire (7), qui même n'avait rien de littéraire, vu que la Bibliothèque était un vain étalage plutôt qu'un moyen d'étude; » car ce n'est pas l'amour-propre des Ptolémées qui est en question, c'est l'intérêt de l'esprit humain, et pour apprécier cet intérêt, il faut demander ce qui a réellement disparu dans ce désastre.

Les 400,000 rouleaux de commixtes existaient aussi ailleurs, puisque c'étaient des doubles ou même des triples.

Sur les 90,000 ou 110,000 volumes simples, 10,000 au (243) moins se retrouvaient au Sérapéum, à Rome, à Athènes, à Pergame, dans d'autres Bibliothèques publiques ou privées.

Des autres on peut l'aire deux parts. Il y en avait d'inutiles, remplis de futilités, de jeux de mots, d'épigrammes , de mauvais vers, de questions de critique et de grammaire, de solutions oiseuses. Mais il y avait aussi, d'abord, des autographes, des exemplaires ou des éditions uniques débarrassées des pièces fausses par les Chorizontes , ou corrigées par les plus grands philologues ; il y avait, ensuite, toute cette foule de mémoires et de traités spéciaux que les membres du Musée avaient eu la patience d'élaborer durant près de trois siècles , et dans ce nombre étaient de solides travaux , non pas d'érudition littéraire seulement, mais de science et de médecine ; enfin il y avait des travaux discutés dans ces réunions dont l'Exèdre, la Promenade et la Table commune étaient le théâtre habituel, travaux pleins des meilleures traditions et marqués au coin de la plus profonde sagacité, puisqu'il n'y a qu'une voix sur le génie de la population alexandrine.

Mais la ruine de la grande Bibliothèque fut-elle complète ?

Les textes semblent le faire croire. Cependant on a dû en sauver des débris ; la flamme'a pas pu dévorer toutes les parties de l'édifice; le Musée, qui n'en fut pas même atteint, conserva au moins les volumes qu'on gardait dans les salles occupées par les savants, et ceux qui se trouvaient au palais de Cléopâtre étaient sauvés aussi.

En tirant parti de ces débris, ainsi que des dépôts du Sérapéum, de ceux des temples d'Eleusine et de Cyrène (8) ou des collections particulières (9), on composait au Bruchium ou ailleurs une bibliothèque assez notable encore.

(244) D'ailleurs celle du Sérapéum eût suffi aux savants, car il est impossible d'admettre qu'il n'ait existé dans Alexandrie qu'un seul exemplaire des ouvrages les plus importants.

De plus, Cléopâtre s'empressa de réparer la perte causée par l'incendie. On eût dit qu'après avoir uni son sort à celui de César, c'était son devoir de faire oublier aux habitants d'Alexandrie le tort qu'il leur avait fait. Tant qu'il vécut, elle n'eut de dévouement que pour lui. Il est vrai qu'après la mort de son frère Ptolémée XII, qui avait régné avec elle, Cléopâtre, pour se conformer aux usages de la dynastie, s'associa, sous le titre d'époux, le jeune Ptolémée XIII; mais ce fut néanmoins elle seule qui régna.

César, avant de quitter l'Égypte pour combattre les ennemis de Rome en Asie, et les fils de Pompée en Espagne, s'appliqua sans doute lui-même à réparer des désastres sur lesquels il garde le silence dans ses écrits (10). Avant la guerre, il avait montré aux Alexandrins, et surtout aux savants , une bienveillance spéciale. Pendant ses jours de loisir, dit Appien, on le voyait admirer la beauté des édifices et écouter les philosophes au milieu de la foule, ce qui valut la confiance des habitants à un homme qui ne cherchait pas d'affaires, ὡς ἀπράγμνονι (11), épithète qu'il eût mal méritée, si, d'après l'hypothèse d'un écrivain moderne, il avait fait mettre en caisses, pour être transportés à Rome, les volumes de la grande Bibliothèque. Il n'eut pas le loisir d'aller encore écouter les philosophes au milieu de la foule, après le rétablissement de la paix; mais sa protégée, la savante Cléopâtre effaça, autant qu'elle le put, la trace des ravages causés par l'incendie et par les combats livrés dans le plus beau quartier de la ville. Les Alexandrins, pour se procurer le bois nécessaire à la confection des rames avaient dégarni les Portiques, les Gymnases et d'autres (245) édifices publics, et s'étaient servis des soliveaux pour la navigation (12); il est évident qu'elle rétablit ces bâtiments.

La jeune reine, passionnée pour les lettres et les arts, parlant l'éthiopien et le latin, outre le grec et l'égyptien, protégea sans nul doute les nouveaux travaux du Musée avec le même empressement qu'elle avait mis à rétablir les Gymnases et les Bibliothèques; mais cette princesse qui réunissait en elle seule toutes les qualités de sa dynastie, avait-elle les ressources nécessaires pour réaliser ses desseins? La profusion avec laquelle elle jeta ses trésors au successeur de César et à ses amis doit le faire croire.

Enfin, Marc-Antoine, qui remplaça le vainqueur d'Alexandrie dans le patronage de l'Egypte et dans les bonnes grâces de la reine, comme dans la dictature de la république, voyant l'ardeur de la princesse pour la cause des lettres, s'empressa de lui donner la bibliothèque des rois de Pergame léguée au sénat, (13) et cette collection était précieuse non-seulement en ce qu'elle contenait les travaux d'une école rivale du Musée, mais en ce qu'elle offrait 200,000 volumes simples et digestes, ἁπλόα, c'est-à-dire, à un seul exemplaire, et un exemplaire examiné de chaque ouvrage.

La perte qu'avait essuyée Alexandrie n'était pas réparable complètement, et elle ne fut pas réparée par tous ces moyens, les sciences n'ayant pas été cultivées à Pergame avec le même succès qu'en Egypte ; cependant la collection des Attales renfermait des ouvrages de prix; ces princes avaient fait d'immenses sacrifices pour leur bibliothèque, et les sar vants avaient exécuté pour eux d'importants travaux.

Désormais il y avait donc de nouveau dans Alexandrie, outre les débris sauvés de la Bibliothèque du Bruchium et les livres du palais, du Musée, du Gymnase, des temples et (246) des particuliers, deux collections considérables, celle du Sérapéum, qu'on doit évaluer de 200 à 300,000 volumes simples ou commixtes, et celle de Pergame, qui se composait de 200,000 volumes simples : ce qui fait qu'il y eut, après la catastrophe, autant de ressources véritables, autant d'ouvrages qu'auparavant, car on peut admettre sans hésiter qu'aux 90,000 ou 410,000 simples qui existaient au temps de Ptolémée II déposés au Bruchium on en avait ajouté autant d'autres déposés au Sérapéum.

Mais que fit-on de ces débris ou de ces trésors, et où fut placé la bibliothèque de Pergame ?

Au Musée, disent ceux qui confondent l'ancienne Bibliothèque avec le Musée. Dans le local réparé de l'ancienne collection et avec les volumes sauvés de la ruine, disent ceux qui distinguent ces institutions ou ces édifices, et qui pensent qu'on a pu sauver des volumes comme des pans de mur de la la grande Bibliothèque. Au Sérapéum, disent ceux qui considèrent que ce bâtiment était immense et qu'il recevait depuis longtemps ce que ne pouvait recevoir le Bruchium.

Quelques considérations générales me semblent dominer cette question, qu'on ne doit pas se flatter de résoudre.

Je dirai, d'abord, que si la collection de Pergame fut placée sous l'administration de Cléopâtre même, on a dû la mettre au Bruchium, par la raison qu'il manquait une bibliothèque dans ce quartier et que cette princesse devait y faire disparaître avec grand soin les vides occasionnés par les guerres d*un héros dont elle destinait le fils au trône. Je ferai remarquer ensuite, que si Cléopâtre avait fait construire un bâtiment pour cet effet, il en serait resté trace dans l'histoire d'Antoine ou dans la sienne. J'ajouterai enfin, qu'il n'est pas probable qu'une construction nouvelle ait été faite au Bruchium, quand d'autres parties des palais royaux, si considérables, au temps de Strabon, étaient prêtes à recevoir les volumes de Pergame et les débris de l'ancienne collection.

Si ces vues sont fondées, comme je le croîs, il n'y eut pour (247) le Musée, après le règne de Cléopâtre, entre sa situation ancienne et la nouvelle, que cette seule différence, qu'autrefois il avait à ses côtés une bibliothèque de 400,000 volumes commixtes et d'au moins 110,000 volumes simples, tandis qu'il en avait une de 200,000 volumes simples sans commixtes depuis l'époque de César et d'Antoine, sans parler des volumes du Sérapéum, ce qui nous permet de dire que, s'il y avait moins de volumes, il y avait plus d'ouvrages.

Cela nous explique parfaitement, je crois, le silence que, dans ses détails si précis sur le Musée, Strabon garde sur l'ancienne et la nouvelle collection ; c'est qu'il n'y avait presque rien de changé.

Il serait donc vrai que, grâce aux efforts réunis de Cléopâtre et d'Antoine, qui exécutèrent ensemble tant d'autres travaux (14), et qui avaient construit dans le voisinage des résidences royales, sur une jetée du grand port un palais remarquable, le Timonium, l'école d'Alexandrie était parfaitement rétablie, quand le neveu de César vint joindre l'Egypte à l'empire romain, à titre de province, et mettre un préfet à la place des Lagides.

 

CHAPITRE II.

 

L'École D'alexandrie sous La Protection D'auguste , De TIBÈRE, DE CALIGULA ET DE CLAUDE. — NOUVELLES INSTITUTIONS LITTÉRAIRES. — LE SÉBASTÉUM. — RÔLE DE PHILON ET DE JOSÈPHE. — LE CLAUDIUM.

 

Lorsqu'une domination nouvelle vint ainsi prendre possession de l'Égypte, il y avait lieu de croire qu'elle tenterait ce qu'avait fait la domination grecque qui l'avait précédée, qu'elle y ferait prévaloir sa langue et ses mœurs pour mieux y consolider son empire; que des écoles latines y seraient substituées aux écoles grecques, comme on avait substitué, trois siècles auparavant, des écoles grecques aux écoles égyptiennes. Il n'en fut rien. Des écoles latines furent instituées par les Romains dans d'autres contrées, à Carthage, à Hippone et à Madaure, mais Rome qui aimait à copier lu Grèce dans ses établissements littéraires, loin d'affaiblir ceux d'Alexandrie, s'empressa de les maintenir, de les étendre et d'exercer à leur égard tout le patronage de l'admiration.

La nouvelle ère où nous voyons entrer, sous Auguste, les institutions littéraires fondées par les Lagides, est donc une ère de faveurs et de prospérité; cependant elle amena la ruine de l'École d'Alexandrie et ce résultat se conçoit.

La conquête d'Auguste changea complètement la situation politique de l'Egypte, et Alexandrie subit encore plus de (249) changements que le reste du pays, car elle perdit le droit d'élire dans son sein des juges, des magistrats et un sénat (15). Un juridicus nommé par l'empereur administra la justice dans la capitale, tandis qu'un prœfectus augustalis dirigeait les intérêts généraux du pays (16). Ce n'était donc- plus à ses propres lois qu'obéissait désormais l'Égypte, et ce n'était plus à ses besoins qu'étaient affectés exclusivement ses revenus. Ceux qui la gouvernaient ne formaient plus une minorité heureuse de tous les rapprochements qui se faisaient entre elle et l'antique nation des Égyptiens, c'étaient des maîtres étrangers et puissants, qui dédaignaient jusqu'au devoir de se faire des partisans. Ces maîtres pouvaient être généreux, mais, avant tout, ils voulaient être absolus, et ils le furent. A la vérité, ils souffrirent dans Alexandrie, à côté du juridicus, quatre magistrats indigènes, un exégète chargé de l'approvisionnement, un hypomnématographe tenant les archives; un archidicaste ou grand juge, et un stratège de nuit, veillant à la police (17). Mais c'étaient là moins des magistrats que des agents ; et tant qu'on put croire à quelque velléité d'indépendance, le poste de préfet, le seul qui eût de l'importance, ne fut confié qu'à des Romains, qu'à des personnages assez secondaires pour n'être pas tentés de faire, de l'un des greniers de Rome, le théâtre d'une révolte ou un marchepied vers l'empire. Ce poste échut bientôt à des hommes du pays (18) ; mais si Néron le leur abandonna, c'est qu'il savait les contenir. Les mesures du gouvernement de Rome portaient, en général, un cachet de force et d'égoïsme qui pesait à la population d'Alexandrie plus que n'avait fait le despotisme plus oriental de ses rois. Placée sous l'égide de l'aigle romaine et délivrée de ces déchirements inté- (250) rieurs qui l'agitèrent autrefois sous une dynastie perdue de mœurs, et qui depuis un siècle avait l'ait d'Alexandrie un théâtre de guerres civiles et de massacres, cette population pouvait tirer de l'admirable position de la ville des avantages plus considérables que jamais. La sécurité dont elle jouissait désormais dans ses relations avec le monde connu, offrait donc à la perte de son indépendance une large compensation. Mais que pouvait-on lui donner en place de tout ce qu'elle chérissait le plus, cette liberté de parole et de pensée, ce droit d'intervenir, ne fût-ce que par la violence, dans les affaires de l'État, et cette nationalité macédonienne que les rois les plus absolus dans leurs doctrines lorsqu'il s'agissait de la vieille Égypte, ne manquaient pas de respecter dès qu'il était question d'Alexandrie? Quand la vie morale d'un peuple est lésée dans tous les battements de son cœur, il n'est pas de prospérité matérielle qui calme ses peines.

Six ans après la conquête, l'an 24 avant J.-C., la situation matérielle d'Alexandrie était, comme celle de l'Égypte entière, plus prospère qu'elle n'avait été depuis un siècle. Un témoin oculaire, Strabon, qui accompagna le préfet Aelius Gallus dans une de ses tournées, nous atteste ce fait (19); mais cet écrivain si réservé ne parle pas de la situation morale. A. voir les travaux de l'intelligence protégés par les chefs de l'empire comme ils l'avaient été par les Lagides, à voir dans l'intervalle du règne d'Auguste à celui de Caracalla, de nouvelles institutions fondées dans Alexandrie à l'instar de celles des Ptolémées, on s'attendrait naturellement à une nouvelle ère de progrès littéraire; mais quand on considère combien cette protection accordée par les Romains aux Grecs qu'ils avaient soumis à leurs armes et qu'ils ne cessaient de copier, était froide et fière, on comprend qu'elle soit demeurée stérile : c'était la protection d'un maître et d'un étranger. Il faut néanmoins rendre toute (251) justice à Auguste, à Tibère, à Caligula, à Claude, pour la bienveillance qu'ils s'efforcèrent de montrer à une ville conquise , quand Rome elle-même leur demandait des édifices et des institutions littéraires.

Auguste, en sa qualité d'héritier de César et de vainqueur d'Antoine, fut plus que généreux, il voulut être populaire, et plein de ces idées démocratiques, ou du moins démosthéniennes, qu'une éducation toute grecque donnait alors aux jeunes Romains, ce prince se plut à haranguer la population d'Alexandrie du haut d'une tribune, où le stoïcien Arius se tenait à ses côtés. Il dit à cette occasion, en assez mauvais grec, qu'il épargnait la ville pour trois raisons, à cause de sa grandeur et de sa beauté, à cause de l'amour qu'il portait à son fondateur Alexandre, et à cause de l'amitié qui l'unissait au philosophe qu'on voyait à ses côtés (20). C'étaient là de bizarres rapprochements, mais à ses yeux, Auguste n'était rien moins qu'Alexandre faisant respecter la maison de Pindare, et aux yeux des Alexandrins, ce discours était un engagement que prenait le nouveau maître.

Pour imiter glorieusement les Lagides, après avoir rivalisé avec Alexandre, Auguste fit construire, à l'orient et à trente stades de la ville, sur les bords de la mer, au nord d'Éleusine, un hippodrome, des temples et d'autres édifices, qui formèrent un faubourg, celui de Nicopolis, où l'on devait célébrer des jeux quinquennaux en commémoration de sa victoire sur Antoine, et qui eurent pour effet de faire déserter le quartier de Nécropolis ainsi que celui du Sérapéum, le centre de la population égyptienne. (21)

Ce dernier fait, constaté par Strabon, prouve qu'en dépit de tout ce que les Lagides avaient fait pour la partie grecque de la cité, les Égyptiens l'avaient abandonnée aux Macédoniens ou aux Juifs, et s'étaient groupés autour du sanctuaire (252) de leur grande divinité, dont nous verrons bientôt leurs descendants se rapprocher de nouveau, lorsque les successeurs d'Auguste viendront châtier les révoltes des Grecs, et faire du Bruchium et de Nicopolis une sorte de désert. Nous retrouverons d'ailleurs ces mouvements du quartier grec au quartier égyptien, ou du quartier juif et chrétien au quartier polythéiste, quand nous ferons plus tard l'histoire intérieure d'Alexandrie, celle de ses doctrines religieuses et philosophiques, celle de ses révolutions morales et politiques.

Strabon, qui esquisse à grands traits, a le tort de ne pas nommer les temples et les édifices construits par Auguste. Il en était un toutefois qui méritait une attention spéciale, s'il fut érigé par Auguste, et si ce prince en l'érigeant le fit tel que le décrit Philon, c'est-à-dire, offrant une sorte d'imitation du Musée et des Bibliothèques d'Alexandrie. Malheureusement le philosophe juif peint avec des couleurs tellement orientales, qu'on ne sait trop comment séparer dans son tableau la fiction et la réalité. « Le sanctuaire qu'on appelle Sébastéum, dit-il, est consacré à César Epibaterios (22). Il s'élève très haut, très splendide, et en face des ports les plus sûrs. Il est si magnifique qu'il n'existe rien de pareil au monde. Il est plein d'objets offerts en don, soit tableaux, soit statues. Il est revêtu d'or et d'argent en son pourtour. Il est immense par ses Portiques, ses Bibliothèques , Ses ApparteMents, ses bois, ses propylées, ses vastes espaces et ses lieux découverts. Orné de tout ce qu'il y a de plus riche, il est l'espoir de ceux qui abordent, et le salut de ceux qui s'embarquent. (23) »

Si l'on pouvait prendre au pied de la lettre les détails d'une description dont la fin n'est pas conforme aux pures doctrines du judaïsme, et qui est évidemment empreinte d'exagération, le fondateur de l'Augustéum aurait voulu imi - (253) ter au moins la Bibliothèque ei le Musée, sinon le Sérapéum, qui était un sanctuaire spécial; et il aurait créé non-seulement une collection de livres, mais des appartements, c'est-à-dire tout ce qui pouvait tenir lieu des deux célèbres institutions qu'il imitait. Pour faire tomber surtout le Musée , il ne fallait plus que le priver de la dotation des Lagides et en joindre une autre à son établissement ; par cette mesure il anéantissait l'ancienne syssitie, et rattachait à la sienne la Bibliothèque du Bruchium, où Cléopâtre avait mis les volumes de Pergame, et celle du Sérapéum, qui devait subsister pendant six siècles encore.

Point de doute, si telle eût été la pensée du fondateur de l'Augustéum, il y réussissait facilement. Mais, d'abord, il faut, rabattre beaucoup de la description si emphatique que Philon nous donne du Sébastéum; ensuite, il faut considérer qu'Auguste , ou celui de ses successeurs qui créa cette institution, a pu fonder dans Alexandrie un sanctuaire avec des portiques garnis de livres, sans avoir le dessein de ruiner les écoles anciennes. La continuation de ces dernières, l'invraisemblance d'une création nouvelle, enfin l'obscurité qui règne sur le Sébastéum et le silence que les écrivains profanes gardent jusque sur le nom de cet édifice, ont porté quelques critiques à rejeter le texte de Philon comme un récit fait à plaisir; mais il y a nécessairement un fait au fond de ces exagérations même, et cet écrivain s'adressant à un successeur d'Auguste, n'a pu lui débiter des inventions. Le Sébastéum a dû exister, et il a dû être digne d'Auguste ; mais on admettra sans hésitation que son fondateur n'a voulu ruiner ni la Bibliothèque, ni le Musée.

Le désir de réparer les pertes causées aux lettres par César et d'éclipser Marc-Antoine, paraît lui avoir suggéré l'idée d'une institution qui eût à-Ia-fois un sanctuaire, comme le Musée, et une Bibliothèque, comme le Sérapéum. Cependant quand on vient à demander en quel lieu fut érigé ce bâtiment, quelle bibliothèque on y mit, quels savants en occupèrent (254) les appartements, et quel rôle ils jouèrent dans les lettres , on ne rencontre de réponse qu'à une seule de ces questions.

D'abord le rôle qu'a joué le Sébastéum est inconnu; on ne cite aucun des savants qui ont pu en faire partie. Il serait naturel de croire que l'ami d'Auguste, le philosophe Arius, eût été placé à la tête de l'institution, si c'eût été un asile pour les savants; Arius, au contraire, quitta Alexandrie pour Rome , et dès lors il faut admettre, ce me semble, qu'il n'y a pas eu de Syssitie dans le sanctuaire d'Auguste, qui, en général, eut peu d'importance, soit que les chefs de l'empire l'aient abandonné après Caligula, soit qu'une autre fondation, le Claudium, par exemple, soit venue l'éclipser avant qu'il eût reçu tous ses développements.

On ne saurait pas dire non plus où le fondateur de l'Augustéum aurait pris la bibliothèque dont parle Philon, car, quand mémo celle de Pergame n'eût pas encore été placée, ce qu'on ne peut admettre si le bâtiment fut érigé sous Auguste ou sous Tibère, il est à croire qu'Auguste n'eût pas construit un sanctuaire pour y mettre un présent offert à Cléopâtre par Antoine qu'il venait de combattre; dans le cas où les livres des Attales étaient encore disponibles, ils couraient risque, au contraire, d'aller à la destination que leur avait faite le dernier de ces princes. Enfin, si le Sébastéum eût renfermé cette collection, comment cette institution ne se trouverait-elle plus mentionnée après Philon ?

Les volumes des bibliothèques du Sébastéam provenaient donc d'un autre côté. On nous dit, à la vérité, qu'il n'est pas probable qu'après l'incendie de César il se sort trouvé dans Alexandrie d'autres collections que celle de Pergame ou celle du Sérapéum dont pût disposer Auguste; que J'il n'a pas pris la première, par le motif que nous venons d'indiquer, il n'a pas dû prendre la seconde, parce que c'eût été dépouiller un sanctuaire ; cependant, ces raisons ne sont pas péremptoires, et nous pouvons fort bien ignorer la source qui a fourni des livres au Sébastéum sans être autorisés à (255) démentir Philon qui affirme qu'il en possédait ; nous ne savons pas non plus où Auguste a pu prendre la bibliothèque qu'il mit dans l'Apollinéum de Rome, et cependant nous ne nions pas pour cela qu'il y eût des livres dans cette institution.

Le lieu ou s'élevait le Sébastéum, est le seul point qui permette des inductions un peu positives. Il est évident que ce fut près du quartier de Nicopolis qu'Auguste avait créé, et dans celui du Bruchium que son oncle avait ravagé.

Mais quand on dit que le Sébastéum ne fut autre chose que l'ancien Musée, ou bien cette Acropolis décrite au ive siècle par le rhéteur Aphthonius, ce sont là de simples assenions qu'on nous donne pour des faits. Le Sébastéum ayant eu plus d'analogie avec le Sema, l'Arsinoéum et le Mausolétim, qu'avec le Musée, essentiellement consacré aux études, ou avec le Sérapéum, essentiellement consacré au culte, il n'est ni probable qu'on l'ait transféré dans l'ancien Musée des Lagides, ni qu'on y ait mis ce Musée, ni enfin qu'on en ait fait une Acropolis.

Fondé par Auguste ou par Tibère, le Sébastéum était an édifice indépendant de tout autre > et c'est pour cela même qu'il se perdit dans l'histoire aussi rapidement que le Césaréum et le Timoniurn. C'est pour cela aussi que personne n'en parla plus après Philon.

Les trois édifices dénommés d'après les trois auteurs de la domination romaine en Égypte eurent le même sort, avec cette différence que celui d'Auguste ne se trouve pas même mentionné par un écrivain qui, sous Tibère, parle du Timonium et du Césaréum, ainsi que de tout ce que la ville d'Alexandrie offrait de plus curieux. En effet, ce qui semble prouver qu'à cette époque le Sébastéum n'était pas plus important comme institution littéraire qu'il ne l'était comme sanctuaire, c'est que Strabon, dans ses indications si positives sur le Musée et qui montrent que, sous le règne de Tibère, cet te belle institution suivait une marche (256) aussi régulière que sous les Lagides, et jouissait aussi doucement que jamais de ses revenus administrés sous la présidence d'un prêtre, ne parle d'aucun établissement rival.

Il est vrai, toutefois, que Tibère aurait pu ériger le sanctuaire d'Auguste après le voyage du géographe en Egypte; dans ce cas le silence de ce dernier serait expliqué. Or Tibère peut être fort bien considéré comme le fondateur du Sébasiéum ; quelque nom que ce prince ait dans les annales de l'empire, il aimait Auguste, recherchait les savants, et cultivait avec amour la science de prédilection des Alexandrins, la philologie (24). Déjà nous avons dit qu'il professait une grande admiration pour un écrivain du Musée, le poète Rhianus ; il était de plus en rapport avec le chef de la Bibliothèque d'Alexandrie, Chérémon, qu'il appela près de lui à Rome pour lui confier l'éducation de Néron (25) ; serait-il étonnant, d'après tout cela, que ce fût lui qui fonda dans Alexandrie le sanctuaire d'Auguste ?

Le successeur de Tibère, Caligula, à qui Philon doit avoir adressé le discours où il est question du Sébastéum, n'est pas cité dans les annales littéraires d'Alexandrie, et Philon, qui parle du Sébastéum avec tant d'emphase, ne donne pas lieu de croire que ce prince se soit occupé ni du Musée, ni de la Bibliothèque, établissements que l'auteur juif passe entièrement sous silence.

Josèphe garde le même silence dans son Traité contre Apion, où il parle d'un chef de la Bibliothèque d'Alexandrie (Chérémon) et de plusieurs membres du Musée (Manéthon, Posidonius, Molon et Apion), traité où il expose la polémique permanente qui régnait entre les Juifs, les Égyptiens et les Grecs ou les Macédoniens, mais où il ne nomme aucune des institutions littéraires de cette célèbre cité. Les écrivains juifs de ces siècles suivent en général la même marche. Préoccupés de leurs intérêts nationaux et de leurs doctrines (257) spéciales, ils ont pour point de vue dominant de faire voir qu'ils sont la plus ancienne et qu'ils ont toujours été la plus honorée des nations ; que tous les grands princes les ont comblés de faveurs ; que tous les écrivains illustres ont profité de leur sagesse, et que ceux qui les ont persécutés ou ont mal parlé d'eux étaient égarés par les plus mauvaises passions. C'est en ce sens qu'écrivirent le faux Aristée, Aristobule, Philon et Josèphe, qui, tous les quatre, connaissaient parfaitement Alexandrie, mais dont aucun ne mentionne le Musée, et qui ne parlent de la Bibliothèque que dans un seul intérêt, pour enregistrer l'hommage rendu à la sagesse de leur loi par Démétrius de Phalère, et par celui des Ptolémées qui appela les prétendus LXX interprètes.

Quant au premier siècle de l'ère chrétienne , le silence de Philon et de Josèphe est d'autant plus regrettable , que Suétone rapporte un fait plus surprenant. En effet, le Sébastéum était à peine achevé et ses portiques garnis de bibliothèques, suivant Philon, que l'empereur Claude fonda dans Alexandrie un nouveau Musée. Or s'il est un fait qui doive étonner au premier aspect, certes c'est celui-là. L'ancien Musée ne suffisait-il plus, pour qu'un autre devînt nécessaire? Ou bien aurait-on voulu une école rivale ?

La fondation de Claude n'eut pas ce dernier but, et Suétone s'explique trop clairement sur les vues du prince pour qu'on puisse s'y méprendre; il y avait cependant, au fond de cette création si rapprochée de celle du Sébastéum, le germe d'une grande innovation, le texte du biographe de Claude nous en avertit.

Voici ce texte : Denique et graecas scripsit historias, τυρρηνικῶν XX, καρχηδονιακῶν VIII, quorum causa veteri Alexandriœ museo alterum additum ex ipsius nomine, institutumque ut quotannis in altero τυρρηνικῶν libri, altero καρχηδονιακῶν, diebus statutis, velut in auditorio recitarentur, toti a singulis per vices. (26)

On le voit, Claude crée bien on Musée et prescrit aux (256) bénéficiers de son institut une lecture annuelle, mais ce travail ne leur sera pas spécial et ils ne seront, comme lecteurs, que les confrères des membres de l'ancien Musée. Ils liront chacun à son tour, une fois par an, à époque fixe, alternativement, en leur entier et à haute voix, comme on lit devant un auditoire, les 20 livres de l'histoire de l'Etrurie, et les 8 livres de l'histoire de Carthage, composés par le fondateur.

Tel est l'unique but de l'institution ; ce n'est pas un second Musée, une Académie embrassant tous les genres d'études, c'est un simple théâtre de lecture historique que fonde Claude, et la seule obligation qu'il impose aux membres de sa fondation, c'est qu'ils lisent ses ouvrages.

Cette institution était bizarre, un peu semblable à celle d'Épicure, qui voulait que les membres de son association gardassent toujours sa philosophie et son jardin, et célébrassent en commun sa mémoire dans des fêtes convenues. Il y avait cependant, dans cet établissement jeté par un prince de Rome au milieu des savants d'Alexandrie, le germe d'une grande innovation. Il y avait, d'abord, un nouveau Musée, une école rivale, puis, un travail commun aux deux associations, l'obligation de lire l'histoire de deux régions négligées parmi les membres de l'ancienne ; elles devaient même s'en occuper toutes deux d'une manière qui devait nécessairement faire prévaloir les études historiques.

De quelque manière qu'on envisage cette création, elle a de quoi surprendre. Elle est vraiment nouvelle. Tout y vise à un but très spécial ; la lecture y devient, une fois par an, pour chaque savant, une occupation principale. Des lectures, de tout temps, s'étaient jointes, dans les séances du Musée, aux entretiens et aux discussions des savants et des récitations plus solennelles avaient eu lieu en Grèce, au temps d'Hérodote et de Sophocle; elles s'étaient renouvelées à l'époque de Ptolémée II où les poésies d'Homère étaient lues devant le peuple d'Alexandrie. Des (259) usages semblables existaient à Rome (27); mais ces usages n'avaient pas la même portée que ceux qu'établit le savant empereur, en constituant les membres de deux compagnies rivales, une fois par an, lecteurs solennels de deux ouvrages d'histoire écrits à la gloire des Romains, les maîtres des deux Musées.

Ce fut donc réellement une institution nouvelle qu'établit Claude. Mais loin de vouloir mettre de côté l'ancien Musée, il créa, au contraire, une sorte de rivalité entre les membres des deux syssities en leur imposant alternativement la même tâche, et si l'on rencontre avant tout, dans sa création, le désir de perpétuer la mémoire de ses ouvrages, on y trouve néanmoins aussi le dessein plus généreux d'appeler l'attention des savants de l'Egypte sur des études sérieuses, et de les attacher en particulier à l'histoire si imposante des vainqueurs l'Etrurie et de Carthage. Or, il faut l'avouer, cette institution, si bizarre qu'en fût le motif, était propre à conduire l'école d'Alexandrie dans des voies plus larges; l'histoire de l'Etrurie expliquait l'origine des institutions primitives de Rome, celle d'une religion et d'une civilisation remarquable ; l'histoire de Carthage faisait connaître une colonie de Tyr devenue métropole et qui avait envoyé de nombreuses colonies dans l'Occident; ces colonies avaient formé elles-mêmes des établissements importants.

C'étaient donc à-la-fois tes plus glorieuses conquêtes <i« Rome, monarchie ou république, la religion, les lois et les destinées de deux nations dont le berceau remontait à la Grèce et à l'Orient, que rappelaient tes ouvrages de Claude; et si imparfaits qu'on veuille les supposer, ils étaient, par les investigations auxquelles ils conduisaient, de nature à faire des deux Musées, pour les études historiques, des institutions d'une importance spéciale. Prescrire cette tâche, c'était dans d'autres circonstances, revenir à la pensée primitive de Ptolémée Lagus et de Démétrius de Phalère.

(260) Mais sur quelles bases le fondateur jeta-t-il cet établissement, et comment en ménagea-t-il la durée? Cherchant une immortalité personnelle, Claude dota-t-il son Musée comme les Lagides avaient doté le leur, ou bien partagea-t-il l'ancienne dotation entre les deux établissements?

Sur ces deux grandes questions, le silence des anciens est absolu. Cependant , puisque le Musée de Claude conserva une existence distincte de l'ancien, et qu'on mentionne expressément un membre qui était de cet institut au me siècle de notre ère, il avait évidemment une dotation spéciale; il se fût éteint avec Claude, s'il n'avait pas eu cette condition de durée.

L'existence d'un bénéfice a dû assurer le maintien de la création; mais est-on demeuré fidèle au vœu que, tous les ans, à des jours fixes et à tour de rôle, les membres des deux Musées récitassent solennellement, dans l'un des édifices, l'histoire d'Étrurie, dans l'autre, l'histoire de Carthage? Ou bien les habitants du Claudium ont-ils, au bout de quelque temps, abandonné les compositions du prince, pour reprendre l'habitude de ne lire que les leurs? II est probable qu'après avoir lu pendant quelques années les vingt livres sur l'Étrurie et les huit livres sur Carthage, qui ont dû prendre un grand nombre de séances, on n'a pas continué cette espèce de corvée littéraire. Quand on considère le mépris où tomba Claude dès sa mort, et la difficulté qu'il y avait pour les membres de l'ancien Musée, la plupart grammairiens, philosophes, mathématiciens ou médecins, de lire ou même d'écouter avec quelque intérêt, tous les deux ans, des ouvrages d'histoire assez-étendus et fort médiocres, on se persuade que les savants n'ont pas tardé beaucoup à rentrer en jouissance de leur liberté et à négliger Carthage et l'Étrurie pour leurs études favorites. Il est certain que, s'ils avaient continué avec un dévouement surhumain la lecture d'ouvrages, qu'en critiques exercés ils devaient apprécier sans sympathie, ils se fussent au moins dédommagés de (261) leur ennui par des discussions sur le fond même des deux volumes. Mais, dans ce cas, ces volumes ne seraient pas tombés dans une obscurité si profonde; ils auraient acquis assez de célébrité pour que des compilateurs tels qu'Athénée les mentionnassent dans leurs ouvrages; ils eussent enfin provoqué d'autres compositions sur deux régions si célèbres: or, rien de cela n'étant arrivé, il est évident que les lectures prescrites par Claude furent suspendues peu de temps après sa mort.

 

(262) CHAPITRE III.

 

LES ÉTABLISSEMENTS LITTÉRAIRES D'ALEXANDRIE DEPUIS LE RÈGNE DE CLAUDE JUSQU'A CELUI D'ADRIEN.

 

Cependant le Musée de Claude se maintint ; et quoiqu'il ne parvînt jamais à la célébrité de l'ancien, ni même à la moindre illustration, il existait encore au temps d'Athénée, qui vécut jusque dans les premières années du me siècle. A cette époque, il comptait parmi ses membres des gens peu distingués, et une qualification dont Athénée se sert à leur égard, rapprochée d'une autre dont Apollonius de Tyane se sert à l'égard .des membres de l'ancien Musée, doit faire croire qu'ils étaient fort peu estimés. Athénée, en parlant de l'art du parasite et d'une.pièce du poète Antidote, intitulée Protochoros, dit qu'on y rencontrait un personnage semblable à ceux qui maintenant sophistiquent au Claudium, οἱ ἐν τῷ Κλαυδίῳ νῦν σοφιστεύουσι (28). Or, quoique le mot de σοφιστεύειν puisse, au besoin, désigner ces études mixtes de grammaire, de rhétorique et de philosophie, dont s'occupaient alors tant de Grecs, on est porté à le prendre dans un sens défavorable, à cause du terme plus flatteur dont se sert Apollonius de Tyane dans une lettre aux membres de l'ancien Musée, qu'il appelle οἱ ἐν μυσείῳ σοφοὶ (29). A la vérité, ce rapprochement entre les expressions de deux écrivains qui ont vécu à deux siècles de distance, si la lettre de Philostraite remonte à Apollonius, n'est pas un argument décisif; cependant l'assimi- (263) lation que fait Athénée entre un personnage méprisable et les membres d'une institution savante, rivale de celle dontïl était probablement membre lui-même, conduit à noire induction; et il paraît que le Claudium, soit par suite d'une organisation vicieuse, soit par l'absence de sympathie de la part du peuple et des savants d'Alexandrie pour les vues de Claude, tomba dans cette même nullité où tomba aussi le Sébastéum.

Il serait possible toutefois de tirer du mot dont se sert Athénée pour caractériser les travaux des membres du Clauclium, du mot σοφιστεύειν, une autre induction, celle, qu'ils professaient, comme ceux du grand Musée, ce qu'on appelait alors la science des sophistes, c'est-à-dire, les lettres et ta philosophie. Aux yeux des Romains si jaloux d'apprendre les lettres grecques et qui s'appliquèrent si peu aux sciences, le principal mérite des savants d'Alexandrie, c'était cet enseignement. Il paraît qu'ils ne les appréciaient guère sous d'autres points de vue, et une seule fois Rome les consulta sur une question de science ; ce fut quand Néron conçut le projet de percer l'isthme de Corinthe. En effet, Philostrate dit que ce prince prit l'avis des philosophes de l'Égypte (30), et ces philosophes étaient évidemment les savants du Musée, car ceux-là seuls étaient en état d'apprécier le travail en question. On trouve bien encore un autre savant qui éclaire Rome de ses lumières, c'est Sosigène d'Alexandrie aidait César dans la réforme du calendrier; mais ici c'est un fugitif, ce n'est pas un corps de savants qu'on consulte.

Toutefois, si Rome apprécia peu les travaux scientifiques, elle rechercha toujours l'enseignement littéraire.

Nous n'avons pas, il est vrai, d'indications spéciales sur les quatre règnes qui suivirent celui de Claude ; mais nous savons que Vespasien, qui fut élevé sur le trône par une révolte et proclamé par le gouverneur d'Alexandrie, nomma un grand nombre de professeurs d'éloquence, et leur assigna (264) des traitements élevés (31). Cette mesure ne fut pas spéciale à l'Egypte , mais elle fut sans doute inspirée au prince par l'école d'Alexandrie, dont il a dû rencontrer les membres à son entrée dans la capitale, si nous en croyons Philostrate, qui dit que les philosophes et toute la sagesse (σοφία πᾶσα) de la ville allèrent le recevoir aux portes (32). Un auteur moderne prétend que ce prince eut de fréquents entretiens avec les membres du Musée, dans le voisinage desquels il avait prit un logement commode (33); mais je ne sais où il a vu ces détails, qu'ignorent Tacite, Dio Cassius et Suétone. Ils ne sont pas même autorisés par Philostrate, qui donne, dans la vie fabuleuse d'Apollonius de Tyane, de longs entretiens entre l'empereur et trois philosophes qu'il doit avoir rencontrés à Alexandrie, mais dont aucun ne fut membre du Musée d'Egypte, dont Vespasien ne fut pas aussi enthousiaste que voudrait le faire croire le sophiste, et qu'il eût assurément mal accueillis, s'ils étaient venus lui démontrer, comme le dit Philostrate, que la démocratie était le seul gouvernement raisonnable, tandis que la monarchie était contraire aux lois divines et humaines.

Vespasien disputant l'empire à Vitellius avait trop d'affaires pour s'entretenir ainsi avec des savants. Ce qu'il recherchait davantage, c'étaient des oracles et de l'argent. Suivant Dio Cassius (LXVI, c. 8), il se montra fort affable, mais ne songea qu'à battre monnaie, ce qu'il tit jusque dans les sanctuaires, et ce qui l'exposa bientôt aux railleries habituelles des Alexandrins, qui l'avaient cru plus religieux en le voyant consulter Sérapis (34). Appelé au trône par une révolte, il avait pu, au premier moment, accueillir les membres du Musée comme tout le monde; mais au fond il aimait si peu les philosophes, que bientôt il les expulsa tous de Rome, à l'ex- (265) ception du seul Musonius (35). Son fils, Titus, plus tolérant, rappela les stoïciens ; toutefois il protégea les études moins que son frère Domitien, qui bannit à la vérité les philosophes, et qui, pendant son séjour en Égypte, ne s'occupa non plus que d'affaires et de cérémonies religieuses (36), mais qui institua des combats de poètes et d'orateurs, ainsi que des prix de prose grecque et latine (37), et qui combla les lacunes que plusieurs incendies avaient mises dans les bibliothèques de Rome, en faisant copier à Alexandrie les ouvrages perdus (38). En général, de Claude à Adrien, le patronage des chefs de l'empire pour les institutions des Lagides est peu sensible; on dirait qu'à leurs yeux, tout ce que la politique des nouveaux maîtres demandait de respect pour l'antique Égypte était-offert; que désormais on pouvait traiter Alexandrie comme toute autre cité des provinces conquises. On voyait ses savants arriver à Rome; elle était donc subjuguée, et si on ne la dépouillait pas encore de ses institutions comme de ses obélisques; si, au lieu de lui enlever ses livres, on en faisait prendre des copies, c'est qu'on voulait lui laisser les morts en voyant accourir les vivants. Ils accouraient. C'était la marche naturelle des choses ; les chefs de l'empire pouvaient protéger Alexandrie, mais ils devaient favoriser Rome.

Nerva et Trajan, qui ne firent rien pour la première, songèrent peu aux études de la seconde ; mais Adrien s'en occupa beaucoup.

Ce fut pourtant ce prince si zélé pour les sciences et si célébré pour la protection qu'il leur accorda en Grèce, qui porta aux institutions d'Alexandrie les coups les plus sensibles : (266) mais l'on peut dire qu'il en hâta la chute sans le vouloir.

En effet, il se montra bienveillant pour les Alexandrins, il leur rendit les privilèges dont Auguste les avait dépouillés, et témoigna aux membres de leur Musée un intérêt qui pouvait leur rappeler l'empire des Lagides, car à l'instar de ces princes, il proposa aux professeurs, dit Spartien, des questions et les discuta avec eux (39) ; mais en décernant les honneurs et les avantages de l'institution à quatre littérateurs qu'il voulait distinguer, il fît les quatre nominations les plus funestes pour l'avenir de cette institution. Elles sont curieuses toutefois.

Voici en quels termes Philostrate rapporte celle de Dionysius de Milet, à qui l'on attribuait sur la mnémonique des secrets reçus des Chaldéens, et qui donnait à ses disciples une grande facilité pour les discours. «II fut honoré grandement par toutes les villes qui admiraient sa sagesse, mais plus grandement encore par l'empereur, car Adrien le nomma gouverneur d'une province considérable, σατράπην α῾ὐτὸν ἀπέφῃνεν οὐκ ἀφανῶν ἐθνῶν, le créa chevalier, κατέλεξε τοῖς δημοσίᾳ ἱππεύουσι, et l'associa à ceux qui étaient nourris au Musée, καὶ τοῖς ἐν τῷ μουσεῖῳ σιτουμένοις, table ouverte en Égypte en faveur des hommes éminents de tous les pays». (40)

A cette première nomination faite par Adrien, il faut ajouter celle du sophiste Polémon de Smyrne, rhéteur distingué, que saint Jérôme mettait au rang de Démosthène, de Cicéron et de Quiniilien (praef. Comment, in Gal. I. iii), et que saint Grégoire de Nazianze s'efforçait d'imiter (41). Trajan, dit Philostrate (42), avait accordé à Polémon de voyager aux frais de l'État, par terre et par mer; Adrien (267) étendit ce privilège à tous les siens et l'associa au cycle du Musée, pour lui donner part à la pension égyptienne, κατέλεξε δὲ αὐτὸν καὶ τῷ τοῦ Μυσείου κύκλῳ εἰς τὴν Αἰγυπτίαν σίτησιν.

Ce qui prouve combien cette distinction était flatteuse, c'est que, dans sa reconnaissance, le sophiste fit frapper une médaille en l'honneur du prince. (43)

Suivant Athénée le même honneur fut accordé au poète Pancrate, qui avait présenté à l'empereur un lotus rouge, en proposant de donner à cette fleur le nom d'Antinoé, pour perpétuer la mémoire du favori que le prince venait de perdre en Égypte, et en expliquant d'une manière fort bizarre l'origine de la couleur qu'elle présentait. (44)

Enfin, une inscription grecque nous apprend qu'Adrien nomma à la présidence du Musée son ancien précepteur, Lucius Julius Vestinus, qu'il avait fait successivement son secrétaire, garde des bibliothèques grecques et latines de Rome, et grand-prêtre d'Alexandrie et de toute l'Égypte (45).

Nous avons dit qu'il n'est rien de plus curieux que ces faits. En effet, ils établissent : 1° qu'au temps d'Adrien, vers le milieu du IIe siècle, le Musée jouissait encore de son ancienne dotation; 2° qu'il se trouvait, comme au temps des Lagides et des premiers empereurs, sous la présidence d'un prêtre; 3° qu'il n'était confondu ni avec le Sérapéum, dont Vestinus, Grec ou Romain, n'eût pas pu être le pontife, ni avec la bibliothèque du Sérapéum, ni avec celle du Bruchium, puisque l'inscription ne place pas ces établissements sons sa direction; 4° que, pour un savant, c'était une distinction tellement flatteuse d'y être admis, qu'un littérateur admiré de toutes les villes qu'il honorait de sa présence, fit frapper une médaille en l'honneur du prince qui l'en avait jugé digne ; 5° que l'entrée au Musée n'était pas incompatible avec (268) les honneurs du rang de chevalier (46), ni avec ceux de gouverneur de province, et qu'on pouvait y joindre l'avantage de voyager aux frais de l'État dans toute l'étendue de l'empire ; 6° que l'admission au Musée se faisait directement par le prince, quand il était question du président, et même quand il s'agissait de simples membres de l'association; 7° qu'à cette époque on agrégeait à la syssitie sans obligation de résidence, puisque Dionysius et Polémon quittèrent peu l'Asie mineure, et qu'ils jouirent néanmoins de ces indemnités du Musée dont on tenait un registre nominatif (v. ci-dessus, p. 94), car il est évident que l'intention de l'empereur n'était pas de décerner aux deux sophistes des honneurs stériles , et qu'il désirait, au contraire, leur procurer des avantages réels ; 8° enfin, qu'à cette époque, l'ancien Musée avait, sur celui de Claude et tous ceux qui pouvaient exister, soit dans Alexandrie, soit ailleurs, une telle supériorité de renommée, qu'en en parlant, on disait simplement le Musée.

Cet usage est attesté aussi par d'autres textes et d'autres circonstances (47). Quand le prince dont il est question alla visiter la syssitie des Lagides et rechercher les savants d'Alexandrie, il n'eut pas même la pensée d'aller au Claudium, ou, s'il l'eut, personne n'eut celle de mentionner sa visite dans cette maison, dont l'existence devait cependant se prolonger encore bien au delà de son règne.

Mais quelle a dû être l'influence des faits qui fournissent ces inductions? Ont-ils donné aux études du Musée quelque éclat, quelque impulsion nouvelle, comme on pourrait le croire au premier aspect ; ou bien, simples faveurs du prince, sont-ils demeurés stériles comme de vaines distinctions ?

Le fait est qu'Adrien a précipité la chute du Musée par ce qu'il a fait en Egypte et par ce qu'il a fait ailleurs.

(269) En effet, il a mis à la tête du Musée un chef qui avait rempli près de lui les fonctions de secrétaire, et à Rome celles de garde des bibliothèques, mais un chef dont l'instruction était médiocre, dont le nom était peu connu, qui appartenait à une de ces familles romaines où l'on apprenait assez de grec pour pouvoir aspirer à certaines places, et qui a pu être propre aux fonctions sacerdotales que lui confiait le prince, mais qui n'apportait aucune illustration littéraire à la maison qu'il venait diriger. Les autres nominations d'Adrien étaient plus fâcheuses encore pour la prospérité des lettres; elles établissaient des sinécures en faveur de Dionysius et de Polémon, et elles récompensaient, dans Pancrate, de plates adulations; il était impossible que de pareils choix, qui changeaient le caractère du Musée et présentaient aux successeurs d'Adrien les plus fâcheux exemples, n'y perdissent pas les études.

Cependant, ce prince acheva d'affaiblir celles d'Alexandrie en créant à Rome, un athénée; à Athènes, une bibliothèque; à Rome, à Athènes et dans les villes les plus importantes de la Grèce, des chaires de grammaire, d'éloquence et de littérature grecque en général.

L'effet de toutes ces mesures, funestes pour le Musée les unes et les autres, fut d'autant plus rapide que déjà de nombreuses émigrations avaient atteint l'école d'Alexandrie; que déjà une partie considérable de la population de cette ville, celle qui professait le christianisme, s'en éloignait avec une vive antipathie; que deux autres, celles qui professaient le judaïsme et l'ancien culte de l'Égypte, l'avaient toujours vue avec jalousie, et que les Grecs eux-mêmes, ou les Macédoniens, comme ils aimaient à s'appeler, de tout temps race frivole, semblaient regarder cet établissement avec une grande indifférence. Un fait autorise cette induction à leur égard.

Un rhéteur de ce siècle, Dion Chrysostome, qui se plut à leur adresser une de ses compositions oratoires, et qui commence par les qualifier de rieurs, n'a rien de plus sérieux (270) à leur dire sur ce Musée qu'un jeu de mot : il les invite à joindre les Grâces aux Muses, afin que leur temple des Muses (ijoiraov) ne soit pas un vain nom, comme il y en a tant d'autres auxquels ne répond aucune chose. (48)

Le règne d'Adrien, qui fut pour les écoles de la Grèce une ère de restauration et de prospérité, marque donc une époque de décadence pour celles d'Alexandrie; mais il est incontestable que, dans les premiers temps de la domination romaine, les chefs de l'empire n'avaient cessé de prodiguer aux établissements littéraires de l'Égypte tous les genres d'encouragements, et le tableau que nous allons présenter des membres du Musée pendant cette période va nous en fournir une preuve de plus.

 

(271) CHAPITRE IV.

 

COMPOSITION DU MUSÉE PENDANT CETTE PÉRIODE. — SITUATION DES AUTRES ÉCOLES GRECQUES. — APPARITION DES ÉCOLES JUDAÏQUE, GNOSTIQUE ET CHRÉTIENNE D'ALEXANDRIE.

 

La protection accordée aux établissements d'Alexandrie par César, Antoine, Auguste et Claude, porta ses fruits, et l'école des Lagides se maintint quelque temps prospère et active sous ses nouveaux maîtres. Un assez grand nombre de savants quittaient l'Égypte pour Rome, et néanmoins il en resta beaucoup dans Alexandrie, grâce à l'ancien Musée, à celui de Claude, au Sérapéum et au Sébastéum.

On y trouvait toujours les mêmes catégories d'auteurs : des grammairiens qui joignaient l'étude de la rhétorique i celle de la philologie et de la critique; des historiens qui étaient en même temps géographes et polygraphes; des philosophes qui professaient les uns l'éloquence, les autres la morale , la politique et la religion ; des mathématiciens qui réunissaient l'étude de l'astronomie et de la mécanique à celle de l'arithmétique et de la géométrie ; et enfin, des médecins qui joignaient l'histoire naturelle et la botanique à l'anatomie.

L'école d'Alexandrie apparaît même plus nombreuse dans cette période que dans celle de Ptolémée VII à Cléopâtre, et une plus grande affluence s'explique à la fois par l'incorporation de l'Égypte à l'empire et par l'enseignement plus régulier qu'on y offrait désormais, obligé qu'on était de songer à la jeunesse d'un plus grand nombre de cités.

Cette jeunesse venait apprendre avant tout, le grec, langue (272) savante et riche qu'avaient étudiée Cicéron, César, Auguste, les plus grands orateurs de Rome, et que désormais tout Romain qui aspirait aux dignités devait posséder à peu près comme la sienne. Ainsi le voulaient les mœurs et les nécessités d'un empire qui avait absorbé le monde grec, et qui était dominé par la puissance du génie qu'il avait soumis à ses lois. Aussi les grammairiens, les philologues et les critiques faisaient-ils la majorité des savants d'Alexandrie et du Musée.

Il paraît même qu'ils y formaient plusieurs écoles ; et que soit au Musée, soit dans la ville, on venait se grouper librement autour d'eux, suivant leur doctrine et leur célébrité.

Ainsi, nous trouvons au temps de Cléopâtre, d'Auguste et de ses premiers successeurs, toute une série de chefs : Archias, Epaphrodite, Philoxène, Xénarque, le maître de Strabon à Séleucie et à Alexandrie; Euphranor, Didymus, Apollonius et Théon, qui furent les maîtres d'Apion, que nous verrons lui-même devenir chef d'école.

Peu après ces savants professaient Apros ; Héraclide, disciple d'Apros et de Didyme ; Tryphon, fils d'Ammonius, petit-fils d'Ammonius, disciple d'Aristarque ; Démétrius d'Adramytte, qui s'attira le surnom d'Ixion, pour a voir volé les bracelets de Junon dans un temple d'Alexandrie ; le rhéteur Héliodore, que cite Horace ; son disciple Irénée, qui se fit appeler Pacatus à Rome ; Chérémon et son disciple Dionysius, fils de Glaucus, qui devint à Rome bibliothécaire et personnage politique. (49)

Plus tard encore, à partir du règne de Néron, et vers l'époque de Trajan et d'Adrien, c'est une autre génération non moins nombreuse de rhéteurs et de grammairiens que présente l'école d'Alexandrie ; ce sont Nicanor, Séleucus, Orion, qui fit en latin le panégyrique d'Adrien ; Sérapion, Pollion, son fils ; Diodore ou Théodore , Léonidas, Héphestion, d'Alexandrie, Ptolémée, fils d'Héphestion, et Harpocration.

Héphestion et Harpocration ne s'étaient rendus en Égypte que pour acquérir la science dont ils devaient si bien trafiquer à Rome.

Enfin Apollonius Dyscolus éclipsa tous ses rivaux par la multiplicité de ses travaux, et Julius Vestinus, le lexicographe, par la haute position qu'il acquit, la présidence du Musée. Un nombre aussi considérable de grammairiens s'explique à-la-fois par la nouvelle situation qu'avait faite au Musée la conquête romaine, et par l'existence simultanée de plusieurs écoles. Cette simultanéité se comprend à son tour, dès que la ville d'Alexandrie est envisag'ée comme l'école principale du monde gréco-romain. Or elle avait ce rang. En effet, on y venait se former pour les affaires, pour la rédaction, la correspondance ou l'enseignement. Dans ce dernier cas, on débutait en Égypte, puis on se rendait à Rome, où l'on était recherché et payé en, raison de la renommée qu'on venait d'acquérir sur le premier théâtre de l'érudition.

Le rang qu'Alexandrie occupa dans l'opinion des maîtres du monde n'est pas attestée seulement par cette affluence, il l'est par le don d'Antoine, la fondation de l'Augustéum, l'admiration de Tibère pour les poètes d'Alexandrie, l'institution du Claudium, la déférence de Néron pour les membres du Musée, les visites que firent à cette maison plusieurs empereurs, les nominations qu'y fit Adrien.

Les savants d'Alexandrie méritaient ces hommages. Ceux dont nous venons de réunir les noms dans le groupe des grammairiens et des philologues, embrassaient dans leurs travaux la critique littéraire, l'art oratoire, et, si nous en jugeons par l'exemple d'Apion et de Chérémon dont Josèphe réfute si vivement les ouvrages (50), toutes les questions d'histoire et de religion que présentait la situation de l'Égypte. II nous faut considérer d'ailleurs que les études de langue grecque acquéraient chaque jour plus d'importance. A me- (274) sure que les diverses parties de la population hellénique, jadis fractionnées et isolées les unes des autres par la diversité des mœurs et des institutions, se confondaient davantage en une sorte de nation idéale, désormais soumise aux mêmes maîtres, le langage aussi tendait à devenir partout le même (γλῶσσα κοινὴ), et les dialectes disparaissaient des livres comme de l'usage. La ville d'Alexandrie parlait elle-même un idiome où perçait le dialecte macédonien; cependant le Musée avait fait, pour la grammaire et la prosodie, plus de travaux qu'aucune autre école, et si celle d'Athènes lui contestait la supériorité du goût et ces grâces de la diction qui constituaient l'atticisme, elle ne songeait pas même à rivaliser avec lui sous le rapport de l'érudition et de la critique. Or, c'était cette science que cherchait Rome ; et l'art oratoire tel qu'elle le demandait, l'art raffiné et savant, Alexandrie l'offrait mieux qu'aucune autre cité du monde grec.

Plus cet art était utile et richement payé à Rome, plus il prédomina naturellement dans cette période.

La poésie était moins cultivée. A la vérité on l'aimait encore et quelques-uns des chefs de l'empire avaient institué des combats de poésie grecque ; mais Rome qui distribuait les prix, jugeait mal des vers et donnait mieux les récompenses dues à la prose; aussi la prose l'emporta partout. Quelques critiques étudièrent la vieille poésie de la Grèce et de l'Ionie ; ces derniers se firent remarquer par cette prédilection, et on les distingua parle surnom d'Homériques (51). D'autres essayèrent encore d'imiter cette poésie ou de faire des vers à leur façon, mais ils furent en petit nombre et n'ajoutèrent rien à l'art, le poème anthomérique de Ptolémée Chennus, en 24 livres, les 14 livres de rapsodie du même auteur, dont nous parlerons bientôt, nous donnera l'occasion de le répéter. L'épigramme est peut-être le seul genre (275) de poésie alexandrins qu'un puisse lire encore avec quelque plaisir, et les anthologies ont conservé de Léonidas des vers pleins de sel. Il suffisait du petit talent qu'exigé ce genre pour se placer parmi les poètes. Nous avons vu qu'Adrien reçut au Musée Panera te, qui ne se distingua que par une idée que l'empereur seul trouva poétique (52). (Voyez ci-dessus, page 267.)

Les historiens, les géographes et les polygraphes furent plus nombreux que les poètes, et quelques-uns d'entre eux firent d'estimables travaux. Chérémon, qui rappelait à-la-fois l'érudition de Manéthon et celle d'Ératosthène, fut grammairien, philosophe, astronome et historien. Appartenant par sa naissance et son éducation à l'Egypte ancienne, il composa des Aegyptiaca et des Hieroglyphica, qui lui valurent le titre d'écrivain sacré, ἱερογραμμάτευς (53), et que nous estimerions d'autant plus, qu'à en juger par un fragment qui se trouve dans un traité de Porphyre (54), leur auteur était moins grécisé. Suivant Josèphe, il y aurait abordé des questions de polémique nationale et religieuse du plus haut intérêt; car c'est dansées deux ouvrages, sans doute, qu'il avait émis les opinions que l'adversaire d'Apion réfute avec tant de chaleur. La description d'Alexandrie, faite à cette époque par Nicanor, ne serait pas moins précieuse (55); et les recherches d'Apion sur Diverses nations nous offriraient d'autant plus d'intérêt que, dans la polémique dont nous venons de parler, ce savant paraît avoir été, du temps de Philon, à la tête du parti gréco-égyptien. Josèphe lui conteste cette supériorité et nie l'alliance des Grecs avec les Égyptiens; ce sont ces derniers seuls qui auraient été, suivant lui, les auteurs de la division ; tant que les Juifs et les Macédoniens se seraient trouvés seuls à Alexandrie, ils auraient été d'ac- (276) cord, et ce serait l'introduction des Égyptiens dans Alexandrin qui aurait rompu la paix; mais Josèphe est évidemment dans l'erreur sur l'origine de cette polémique, et nous croyons qu'il l'est aussi sur le mérite de son adversaire.

Ariston et Eudore, qui soutenaient une autre polémique, qui s'accusaient mutuellement de plagiat au sujet de leurs Traités sur le Nil, sont d'autant moins regrettés, qu'un géographe qui n'était pas d'Alexandrie, sut mieux profiter des travaux amassés dans cette ville pour la magnifique composition qu'il nous a laissée : je parle de Strabon.

Il en fut des immenses matériaux qu'on avait réunis dans Alexandrie pour l'histoire générale ou particulière, comme de ceux qu'on avait recueillis pour la géographie politique ou physique. Ce fut un écrivain élevé dans Alexandrie qui les exploita le mieux dans cette période, ce fut Appien, né en Égypte, mais qu'on ne saurait considérer comme membre du Musée puisqu'il vécut à Rome.

Sur la fin de la période précédente, nous avons remarqué dans Alexandrie une singulière réunion de philosophes, les uns purement sophistes, les autres courtisans et hommes politiques, d'autres encore hommes d'études graves et sérieusement occupés d'une restauration de cette science si dégénérée alors, si absorbée dans la commune décadence de toutes choses en Grèce. Cette renaissance se développe dans les premiers siècles de notre ère ; et à mesure que dans cette ère grandit la sérieuse doctrine que S. Marc avait fait connaître dans Alexandrie, ce ne sont plus des cyrénaïciens, des épicuriens ou de frivoles sophistes qu'on rencontre au Musée, ce sont des stoïciens, des péripatéticiens ou des platoniciens, qui recherchent des doctrines plus positives et surtout plus religieuses que celles de leurs prédécesseurs. Leur nombre est assez considérable. Auguste enlève au Musée son ami le stoïcien Arius; mais un autre stoïcien lui succède aussitôt dans l'enseignement des doctrines du Portique : c'est Théon, qui écrit à-la-fois sur la rhétorique et la physiologie. En même (277) temps il s'en rencontre un autre qui donne à ses leçons un plus haut degré de gravité : c'est Sotion d'Alexandrie, le maître de Sénèque, qui associe aux principes des stoïciens ceux de Pythagore. Chéréraon, qu'on fit venir de l'Égypte à Rome pour l'éducation du futur chef de l'empire, professait également le stoïcisme. Le péripatétisme était représenté par Boéthus, le maître de Strabon ; Ariston et Eudore, les géographes, et Alexandre d'Égée; mais l'ancien système du Lycée ne suffisait pas non plus à ceux qui le professaient à cette époque. Ammonius, que Néron enleva au Musée pour l'envoyer à Athènes, comme Tibère lui avait enlevé Chérémon au profit de Rome, joignit au péripatétisme la doctrine de Platon; et l'on voit par son disciple Plutarque combien la tendance morale et religieuse était forte dans son enseignement.

Au milieu de ces graves éléments de méditation, l'un des plus beaux mais des plus mystiques génies de l'époque, Philon, vint jeter ceux du mosaïsme, déguisés autant que possible sous un vernis platonicien, comme Aristobule les avait déguisés une première fois sous les dehors du péripatétisme. Un débat très varié, très sérieux, rattaché aux intérêts de plusieurs écoles profanes et de plusieurs sanctuaires, était ainsi établi sur le même théâtre, et sinon sous les portiques du Musée, où certainement Philon n'eût pas été accueilli avec une grande courtoisie, du moins dans l'enceinte de la même cité. Pour qu'Alexandrie devînt le foyer d'un puissant mouvement de philosophie, il ne fallait qu'un penseur qui vînt rendre au dogmatisme toute sa nouveauté, en le faisant passer, sous toutes ses formes, par l'épreuve du doute ou du scepticisme.

C'est là précisément ce que fit Énésidème, dont on ne peut fixer l'époque précise, mais qui parut dans l'intervalle de Cicéron à Sexte l'Empirique, et qui franchit avec hardiesse les écoles moyennes d'Arcésilas et de Carnéade, pour reprendre avec Pyrrhon l'examen du principe même de la con- (278) naissance. En l'attaquant plus spécialement dans ses éléments sensibles, dans les sciences d'observation et dans les études médicales (56), il l'atteignait précisément dans tout ce qui mettait l'école d'Alexandrie le plus directement en jeu ; et nous verrons comment elle répliqua.

Aux méditations sérieuses de la philosophie se joint toujours un mouvement sérieux dans les sciences exactes et dans les sciences naturelles.

Les premières eurent dans cette période Sosigène, qui réforma le calendrier pour Jules César; et Claude Ptolémée, qui observa le ciel mieux qu'on n'avait fait avant lui, et qui, tout en revenant à quelques erreurs rejetées par ses prédécesseurs, eut le mérite de résumer pour une longue postérité, comme pour ses contemporains, la science cosmographique de l'école de Canobus comme de celle d'Alexandrie.

Ménélas, qui seconda ces travaux, ne les avança peut-être pas, mais il maintint la supériorité de l'école d'Égypte sur les institutions rivales.

Les sciences naturelles, et surtout les sciences médicales, n'étaient plus cultivées par des hommes aussi éminents qu'Hérophile et Érasistrato ; mais Alexandrie était encore l'école de médecine la plus célèbre ; et pour un praticien c'était à Rome, comme ailleurs, un grand titre à la confiance que d'en avoir été l'élève (57). Nous avons vu qu'Asclépiade de Pruse, formé par les leçons de Cléophante, quitta Alexandrie au moment où allait s'établir la domination romaine. Soranus, élevé à la même école, lui fit la même infidélité à l'époque de Trajan et d'Adrien (58), quand les honneurs de l'archiatrat établi depuis Domitien étaient si séduisants pour un Grec ; mais d'autres s'attachèrent au théâtre même de la science, et plusieurs professeurs, parmi lesquels on (279) distinguait Héraclien, l'enseignaient avec succès, quand Julien et son condisciple Galien, qui devait la réformer un jour, vinrent l'étudier dans cette célèbre cité. (59)

D'après ce qui précède, le tableau de l'école d'Alexandrie, des membres, des hôtes, des disciples ou des émules du Musée et des chefs de la Bibliothèque, pendant cette période, serait à faire ainsi qu'il suit:

1. Bibliothécaire Chérémon, le seul qui soit cité dans cette période.

2. Président du Musée.Vestinus, le seul de tous les présidents dont le noms soit parvenu jusqu'à nous.

3. Ptolémée? Aristonicus? Xénarque, Epaphrodite, Philoxène, Euphranor, Didyme, Apros? Apollonius, fils d'Archibius, Apion Pleistonikès ou Mochthos, Tryphon, Archibius? Dionysius, Séleucus, l'Homérique, Orion, Sérapion, Nicanor, Démétrius d'Adramytte, Habron, Apollonius Dyskolos, Pollion, Diodore ou Théodore, disciple de Téléclès, Harpocration ? Héphestion? Grammairiens et rhéteurs, membres certains ou probables du Musée.

4. Héliodore, le rhéteur. Membre probable du Musée, qui devint préfet de la province.

5. Léonidas, Pancrate, Arius, à distinguer du philosophe du même nom. Poètes, membres probables.

6. Apion, Chérémon, Ariston. Eudore, Nicanor, fils d'Hermias. Historiens, géographes, polygraphes, membres probables.

7. Aréios ou Arius, Boéthus, Sosigène, Ariston, Eudore, Chérémon, Théon, Sotion, Héraclide ; Sarpédon, disciple de Ptolémée, Ammonius, plus tard à Athènes ; Euphrate ; Enésidème, disciple d'Héraclide (60). Sophistes et philosophes, membres probables ou certains.

8. Dionysius, Polémon. Philosophes , membres non-résidents du Musée.

9. Sosigène, Ménélas, Claude Ptolémée. Mathématiciens, cosmographes, astronomes, membres probables.

10. Cléophante, Soranus, Héraclien, Julien. Médecins, membres probables.

11. Ptolémée, maître du philosophe Héraclide, Héraclide, maître d'Enésidème. Membres douteux.

(281) 12. Didymus, aux entrailles de fer (61), Apros (62), Héraclide du Pont, Asclépiade de Myrlée, à distinguer du médecin ; Archibius, Tyrannion l'ancien, Tryphon, Habron, disciple de Tryphon, Tyrannion le jeune, Démétrius d'Adramytte, Apion, le dernier Aristarchéen, Chérémon, précepteur de Néron ; Dionysius, son disciple ; Pollion, Xénarque de Séleucie, Epaphrodite, Irénée ou Pacatus, Ammonius, le philosophe, Soranus. Savants qui ont quitté Alexandrie pour Rome, Athènes ou Pergame.

13. Héraclide du Pont, disciple de Didymus à Alexandrie, (63) Strabon, Appien , Apollonius de Tyane, Asclépiade de Pruse, Dion, stoïcien et rhéteur, et son ami Euphrate d'Alexandrie, Stoïcien, qui se trouvèrent à Alexandrie avec Vespasien et Apollonius.(64) Hôtes ou membres du Musée.

(282) Un nombre aussi considérable de savants, et en particulier de grammairiens, de rhéteurs ou de sophistes, qui se rattachent tous à l'École d'Alexandrie, est un fait d'autant plus frappant, qu'il y avait plus d'écoles sur les divers points de l'empire et dans des villes plus propres à attirer la jeunesse, telles que Rome, Athènes, Pergame, Smyrne et Antioche, sans parler de Tarse ou de Rhodes, qui continuèrent à jouir d'un enseignement assez notable.

Le nombre des philosophes qui se retrouvent au Musée est d'autant plus remarquable aussi, que les écoles de la Grèce maintenaient leur enseignement, et que quelques-unes d'entre elles avaient encore une sorte de célébrité. L'Académie subsistait. Son siège fut ravagé, il est vrai, parSylla, qui enleva ensemble la bibliothèque d'Apellicon et ce grammairien (65) ; mais depuis longtemps le platonisme n'était plus attaché exclusivement au Gymnase où il était né, et les platoniciens se maintinrent après comme avant les guerres du dictateur.

En général, la philosophie était enseignée partout où il y avait une école de rhétorique; et l'île de Rhodes, par exemple, où l'on n'avait cultivé d'abord que l'éloquence, eut, sous la direction de Posidonius, premier magistrat ou Prytane de la cité, des leçons de métaphysique qui attirèrent Cicéron et Pompée. D'autres villes qui n'avaient jamais eu d'écoles eurent des cours de philosophie à cette époque; il est vrai, toutefois, que plusieurs d'entre elles eurent aussi peu de durée que celle de Nicopolis en Épire, qui naquit et mourut avec Épictète, son fondateur; et que beaucoup de philosophes préférèrent, comme Arrien, les faveurs de Rome à l'indépendance des provinces. En général Rome, en créant des bibliothèques, des musées (66), des chaires, des combats d'éloquence et de poésie, attirait trop puissam- (283) ment des gens qui ne demandaient pas mieux que de venir, et qui semblaient tous partager l'opinion de Démétrius de Phalère, le fondateur de la bibliothèque d'Alexandrie, sur la nécessité d'entourer les princes d'autres conseils que ceux de leurs amis.

Cependant, ce ne furent pas les établissements de Rome, ce furent ceux d'Athènes qui affaiblirent le plus l'École d'Alexandrie. Plutôt que de s'expatrier et, pour ainsi dire, se faire Romain, en allant suivre les écoles instituées à Rome, la jeunesse grecque préférait la cité des Lagides. Ce ne fut plus la même chose quand Adrien rétablit l'enseignement d'Athènes. Dès ce moment, ce fut Athènes qui redevint la capitale des lettres grecques ; et dès lors, la décadence du Musée fut d'autant plus rapide, que, d'un côté, il subit de violentes catastrophes, et que, d'un autre côté, il s'éleva tout-à-coup en face de lui deux écoles nouvelles, l'une chrétienne, l'autre gnostique, et qui, nous allons le voir, firent l'une et l'autre leur apparition dans Alexandrie avec un grand éclat.

 

(284) CINQUIEME PERIODE.

 

De l'an 138 à l'an 312 avant Jésus-Christ.

 

D'ADRIEN A CONSTANTIN.

 

CHAPITRE PREMIER.

 

DÉCADENCE DES INSTITUTIONS LITTÉRAIRES D'ALEXANDRIE SOUS LES ANTONINS. — RÉTABLISSEMENT DES CHAIRES D'ATHÈNES. — ORIGINE ET PROGRÈS DU DIDASCALÉI0N OU DE L'ÉCOLE CHRÉTIENNE. — ÉCOLES GNOSTIQUES D'ALEXANDRIE. — SUPPRESSION DE SYSSITIES PAR CARACALLA. — RUINE DU BRUCHIUM PAR AURÉLIEN. — FIN PROBABLE DES MUSÉES ET DES BIBLIOHTÈQUES DE CE QUARTIER. — RAVAGES EXERCÉS DANS ALEXANDRIE PAR DIOCLÉTIEN. — NOUVEAU RÔLE DU SÉRAPÉUM.

 

Adrien prépara la ruine des établissements d'Alexandrie, non-seulement par les funestes nominations qu'il fit au Musée, mais surtout par la puissante rivalité qu'il lui donna en rétablissant les écoles de la Grèce et de l'Asie-Mineure.

Trois autres causes vinrent hâter la décadence des institutions que les Lagides et les premiers Césars avaient faites (285) pour les lettres; ce furent d'abord les progrès du christianisme, qui détachèrent des écoles païennes une partie considérable de la population; ce fut ensuite l'indifférence de Rome pour les études d'Alexandrie; ce furent enfin les violences que plusieurs chefs de l'empire exerceront dans cette splendide cité.

I. Déjà, avant le règne d'Adrien, Athènes reprenait quelque chose de son ancienne célébrité. Quoique Sylla eût ravagé l'Académie et enlevé ce qui restait de la bibliothèque du Lycée; que, dans l'intervalle du dictateur au règne de Trajan, on fût réduit aux leçons de rhéteurs ou de sophistes payés par leurs élèves, il s'était maintenu des débris d'études dans Athènes. Quand Adrien y rétablit des bibliothèques et des chaires (θρόνοι) richement dotées (67), principalement pour l'éloquence et la philosophie, ces institutions répondirent si bien à l'esprit du pays, et attirèrent des diverses parties du monde grec et romain une jeunesse si nombreuse, que la cité de Platon et de Démosthène parut entrer un instant dans une ère nouvelle. Citoyens, élèves, professeurs, tous se prirent d'enthousiasme pour l'éloquence et la philosophie. Ce fut une véritable exaltation. Ceux qui occupaient les trônes de la science parèrent leurs discours (ἐπιδείξεις, διαλέξεις, λαλίαι) avec un luxe singulier, et firent de leurs salles de cours, qui prenaient le nom de théâtres, une sorte de spectacle public; et plus la foule des auditeurs les couvrait de ses fanatiques applaudissements, plus ils renchérissaient les uns sur les autres pour attirer encore plus d'élèves et provoquer des démonstrations plus véhémentes. Bientôt, Antonin In Pieux ayant joint aux dotations de ces chaires, des immunités, et surtout la dispense, pour les professeurs, des fonctions municipales; puis, Marc-Aurèle ayant donné au cours de philosophie une organisation (286) plus complète, il y eut de nouveau, dans Athènes, des professeurs de platonisme, de stoïcisme, d'épicuréisme et de péripatétisme (68). Les diadochies se rétablirent alors avec âne régularité qui n'avait pas lieu même au Musée, et, dans une sage prévision, l'on forma des caisses pour suppléer aux intermittences possibles de la faveur impériale. (69)

Les écoles de Pergame, d'Éphèse, de Tarse, de Smyrne et d'Antioche reçurent quelques développements aussi ; et il est probable que, partout, la question religieuse qui avait surgi aux portes d'Antioche et qui dès son origine y avait trouvé des partisans, fournit aux débats du monde grec un élément nouveau. Déjà Athènes, Éphèse et Rome comptaient dans leur sein, comme Antioche, des chrétiens qui ne se bornaient plus à professer la nouvelle religion à l'intérieur , qui la prêchaient au dehors. Déjà les docteurs du christianisme affluaient à Rome, où s'étaient rendus leurs maîtres, les chefs des apôtres; déjà des philosophes d'Athènes embrassaient leurs principes, et ces principes, introduits dans les provinces les plus reculées de l'empire, sous la bannière du judaïsme, attaquaient trop profondément les mœurs par les croyances et les institutions par les mœurs, pour que les professeurs du polythéisme n'y vissent pas un péril imminent.

II. Ce péril était plus grand pour Alexandrie que pour toute autre cité de l'empire. En effet, depuis longtemps le judaïsme, qui préparait au christianisme, avait en Égypte un grand centre d'activité ; il y avait donné une version de son Code; fondé, ce qu'il ne possédait nulle part ailleurs, un sanctuaire indépendant de Jérusalem, celui d'Héliopolis, et créé des synagogues où s'étaient formés deux hommes éminents, Aristobule et Philon. Seuls parmi les savants de leur religion, ces deux écrivains avaient acquis de la célébrité, (287) mais d'autres avaient secondé assurément leurs travaux, tous empreints d'un singulier prosélytisme (70). Si ces travaux avaient obtenu peu de succès au Musée, du moins les savants s'en étaient émus, depuis Manéthon jusqu'à Apion. On avait repoussé avec dédain ces doctrines qui venaient revendiquer la paternité de toutes les idées élevées qu'avait enfantées la Grèce, depuis Orphée jusqu'à Platon, et qui ne se cachait sous le manteau de ce philosophe ou sous celui d'Aristote, que pour mieux régner; mais ce que le judaïsme n'avait pas fait par lui-même, il devait le faire par ses disciples. Il en avait formé. Philon était devenu le commun précepteur de tous ceux, parmi les docteurs chrétiens, qui voulaient s'instruire de la philosophie ou du polythéisme, sans étudier les écrits des païens où tout blessait leur foi. Cette étude de Philon, jointe à celle d'Aristobule, d'un côté, d'un autre, à celle des apôtres dont le langage était si semblable, fittoutà-coup, des simples leçons données par les chrétiens à leurs catéchumènes, des écoles de philosophie, de dialectique et de polémique, qui combattirent les doctrines des philosophes, pendant que les prédications ordinaires convertissaient la foule du peuple et révélaient aux penseurs une crise profonde dans la société.

La plus célèbre de ces écoles s'établit en face du Musée d'Alexandrie, et puisa dans ce voisinage sa science et sa supériorité. Fondée par S. Marc, comme l'insinue S. Jérôme. (71), ou par un de ses successeurs, comme on a lieu de croire, elle était encore consacrée aux catéchumènes quand la direction en fut confiée, soit à un ancien stoïcien, soit à un ancien platonicien, car les témoignages d'Eusèbe, de S. Jérôme, de Philippe Sidète et de Rufin se divisent entre Athénagore et S. Pantène. Dirigée, depuis les An- (288) tonins, par un philosophe, l'école jusque-là destinée à la jeunesse devint un centre d'études philosophiques et philologiques pour les prêtres et les chefs des établissements chrétiens. Quelques modernes pensent qu'elle aurait eu la prétention d'imiter le Musée (72). Loin de là, elle conserva son nom modeste de Διδασκαλεῖον ou de Παιδευτήριον qu'on donnait en Grèce aux écoles de l'enfance (73). Ses chefs prenaient celui de διδάσκαλοι κατηχήσεων (74) et ils caractérisaient fort bien cet établissement en l'appelant διδασκαλεῖον ἱερῶν λόγων ou ἱερὰ διατρινὴ.

Tandis que le Musée embrassait toute la littérature et toute la science connue, y compris la médecine, le Didascalée se consacrait essentiellement aux études religieuses. Mais ces études, d'abord bornées aux Saintes lettres, à Philon et à Josèphe, comprirent bientôt la philosophie, l'histoire, et jusqu'à un certain point la mythologie et la cosmographie de la Grèce. Elles formaient donc un puissant ensemble, dominé par un seul principe, la foi, et elles avaient tout l'attrait de la science, attrait que les chrétiens ne redoutaient pas. Ils remarquaient même avec une sorte de satisfaction qu'Athénagore devenu docteur de catéchèses continuait de porter le pallium des philosophes (ἀνὴρ ἐν αὐτῷ χριστιανίσας τῷ τρίβωνι), comme il continuait à professer avec la précision et la rigueur des méthodes de l'école. Athénagore avait enseigné la philosophie; il avait dirigé, dans Alexandrie même, une école platonicienne (ἀκαδημαικῆς σχολῆς προιστάμενος), et avec son manteau, il gardait la science et l'autorité du professorat. On doit penser de même de S. Pantène, qui vé- (289) cut, suivant S. Jérôme, sous Septime-Sévère et Caracalla, mais qui fut peut-être quelque temps le contemporain d'Athénamgore, sinon son collaborateur au Didascalée, et qui, dans tous les cas, fut le maître de S. Clément d'Alexandrie. Ce dernier, qui le nomme le père de ses ouvrages, avait reçu de lui la succession du Didascalée (75), comme Théophraste avait reçu autrefois, d'Aristote, celle du Lycée, et Speusippe, de Platon, celle de l'Académie. A partir de cette époque, les auteurs chrétiens emploient même les termes de ἡγεῖσθαι, διαδέχεσθαι et de διαδόχος, ces locutions habituelles des écrivains et des écoles profanes.

L'enseignement de philosophie donné au Didascalée fut d'autant plus dangereux pour le polythéisme, qu'il fut plus éclectique, et que ceux qui le faisaient avaient renoncé plus complètement aux principes exclusifs des sectes de philosophie qu'ils avaient quittées. L'éclectisme, nous le voyons par une foule d'exemples et celui de Plutarque surtout, était la tendance de l'époque. Beaucoup de philosophes passaient pour appartenir à des écoles différentes. S. Pantène, qui était stoïcien suivant Eusèbe, était pythagoricien suivant Philippe Sidète. S. Clément d'Alexandrie, formé à la meilleure des écoles chrétiennes de son temps, nourri de toute la science sacrée et profane qu'offrait Alexandrie, professa hautement l'éclectisme. « Ce que j'appelle philosophie, dit-il, ce n'est pas celle des Stoïciens, ni celle des Platoniciens, ni celle des Épicuriens, ni celle des Péripatéticiens; mais tout ce que chacune de ces sectes a dit de bon, ce qui enseigne le juste avec science, tout cela réuni, c'est là ce que je nomme philosophie. » (76)

S. Clément prit la direction du Didascalée vers la fin du iie siècle. A cette époque, la doctrine qu'il venait profes- (290)  ser était celle des meilleurs esprits. Exposée comme elle l'est dans ses Stromates, dans son Exhortation aux Grecs, dans son Pédagogue, écrits où il pressait si vivement ses adversaires de s'élever au-dessus des vieilles fables et des stériles mystères du polythéisme, elle était belle. Elle eut l'attention du Musée. Les chrétiens ne formaient encore qu'une faible minorité ; mais déjà leurs progrès alarmaient les chefs de l'empire; déjà les prêtres et les philosophes les attaquaient.

Cependant, quand le savant Origène, à peine âgé de dix-huit ans, reçut le Didascalée des mains de S. Clément (77), la polémique était beaucoup plus ardente encore. Nous le voyons par l'ouvrage que ce docteur oppose à Celse, l'un des plus véhéments adversaires du christianisme, et l'un des écrivains du temps qui connaissait le mieux Alexandrie, à en juger par l'écrit même que réfute Origène (78).

La preuve que l'enseignement chrétien devenait redoutable , c'est que les philosophes le calomniaient avec violence, et que plusieurs chefs de l'empire, excités par eux et par les pontifes du polythéisme, prenaient pour l'anéantir des mesures plus sévères. Cependant, si ces mesures purent suspendre les progrès du Didascalée, en forçant Origène à la retraite, elles ne purent arrêter les docteurs de J.-C. Comment atteindre des hommes qui enseignaient, comme eux , les lettres profanes pour quatre oboles par jour, et les lettres sacrées gratuitement, allant nu-pieds, jeûnant beaucoup ou prenant une nourriture grossière (79)?

Le Didascalée se maintint donc debout, à travers toutes les rigueurs, sous la succession à peu près régulière d'Héraclas, de Dionysius, de Piérius, de Théognoste, de Sérapion, de Rhodon. Distingué depuis Origène en deux classes, il n'a- (291) vait sans doute point d'autre édifice que la maison de ses chefs, point d'autres revenus que la charité des fidèles jointe nu faible salaire des élèves; point d'autre organisation que le saint dévouement de ses docteurs : il enseignait toute» fois les lettres profanes et sacrées, et le mouvement dé* idées étant de son côté, il devait entraîner les esprits sérieux.

D'autres se détachèrent du polythéisme pour aller ailleurs.

En effet, à côté de cet éclectisme chrétien si bien défini par S. Clément d'Alexandrie, il s'en était placé un autre qui prétendait offrir plus de séduction aux polythéistes du Musée, et qui excita de la pari du pouvoir les mêmes rigueurs, de la part des philosophes les mêmes haines, on le voit encore dans les fragments que cite Origène de l'ouvrage perdu de Celse : c'était le gnosticisme qui joignait aux éléments purement grecs et purement chrétiens deux autres encore, la théogonie de l'Égypte et l'astrolâtrie de l'Orient.

II paraît même que les écoles gnostiques, dont la première fut fondée dans Alexandrie par Basilide sous le règne de Marc-Aurèle, la seconde, par Valentin, quelques années après, la troisième, par les Ophites, on peu plus tard encore se firent attaquer des polythéistes avant le Didascalée, et que dans Alexandrie on confondit les chrétienté avec les gnostiques, comme dans Athènes et à Rome on les confondit avec les Juifs. Celse reprochait aux chrétiens les doctrines des Basilidiens, des Valentiniens et des Ophites (80), et si nous en croyions une source qui paraît un peu suspecte quand il s'agit du savant Adrien, ce prince lui-même aurait confondu les chrétiens avec les adorateurs dé Sérapis (81), er-(292) reur à laquelle le syncrétisme de l'école gnostique pouvait seul donner lieu.

Le Musée, sanctuaire hellénique que les prêtres du Sérapéum attachés à l'ancien culte de l'Égypte et les prêtres du judaïsme, ainsi que les philosophes de cette religion, avaient toujours vu avec antipathie, et que les institutions d'Auguste et de Claude étaient venues affaiblir, au moment même où les désertions pour Rome devenaient si fréquentes, se trouva donc tout-à-coup entre deux institutions nouvelles, l'une et l'autre également hostiles, l'école chrétienne, distinguée en deux classes, et l'école gnostique, divisée en trois grandes sections. Or ces écoles s'adressaient précisément, en philosophie, à ce penchant pour l'éclectisme, en religion, à ce besoin de foi, qui constituent les caractères et les passions de l'époque; et ces puissantes rivalités s'élevaient au moment même où la libéralité des chefs de l'empire rétablissait les écoles de la Grèce et de l'Asie.

La position du Musée était embarrassante. S'il continuait ses études profanes sans faire attention aux nouveautés du siècle, il était abandonné de ce siècle ; s'il les combattait, il se rendait sur un terrain nouveau, et laissait là les lettres et les sciences pour les doctrines morales ; s'il les embrassait, il se tuait. Aucun membre de la syssitie n'embrassa donc l'éclectisme, que présentait d'un côté un docteur du christianisme, S. Clément d'Alexandrie, ni celui que présentaient , d'un autre côté, les chefs du gnosticisme, Basilide et Valentin; mais les philosophes du Musée en conçurent un autre, celui d'Ammonius Saccas, qu'ils s'opposèrent aux deux écoles rivales. Quant à leurs collègues les grammairiens, les mathématiciens et les médecins, ils poursuivirent leurs anciens travaux, comme si rien n'était changé dans ce monde grec et romain, où deux religions en présence engageaient toutes les institutions de l'empire.

Ainsi, quand S. Pantène quittait le Portique, et Athénagore l'Académie, pour enseigner au Didascalée ; quand S. (293) Clément d'Alexandrie proclamait son admirable éclectisme; quand Héraclas, le disciple d'Origène, abjurait le polythéisme sous les yeux du Musée ; quand de jour en jour on annonçait des conversions nouvelles, cette vieille école, présidée par un prêtre que le chef de l'empire choisissait parmi ses anciens secrétaires ou bien dans quelque sanctuaire d'Alexandrie , se reposait sur ce patronage impérial ou sur ces mesures de rigueur qu'il provoquait contre les novateurs et s'en rapportait à ses philosophes pour arrêter le torrent qui débordait sur le monde. Les vieux corps se livrent aux illusions de l'enfance.

D'autres causes de ruine pour le Musée vinrent bientôt se joindre à celles que nous venons d'indiquer. D'abord le cours de ces faveurs sur lesquelles il vivait fut remplacé par l'indifférence; puis il fut frappé par une série de catastrophes. En effet, en attendant que le christianisme démolit le Sérapéum, et que le mahométisme brûlât la dernière des bibliothèques, ce fut le polythéisme qui porta les coups les plus violents à ces institutions.

III. Après Adrien, qui assimilait les gens de lettres aux chevaliers et aux gouverneurs de provinces, qui mit à la tête du Musée son ancien secrétaire, et qui associa à la syssitie égyptienne un vil adulateur et deux sophistes, cette belle école fut traitée avec indifférence. Le rhéteur Héliodore qui était parvenu au gouvernement de l'Égypte sous Adrien même, et qui garda ce poste sous les règnes suivants, ne paraît pas avoir porté le moindre intérêt aux travaux de la science qui l'avaient élevé, ni aux collègues dont il avait partagé la demeure. Antonin-le-Pieux et Marc-Aurèle aimaient les études ; mais le dernier, qui professait pour la Grèce une si grande déférence et se faisait initier à ses mystères avec tant de ferveur, ne prit soin que de l'enseignement d'Athènes, pour lequel il créa des chaires. Auteur distingué, et cherchant partout les orateurs comme les philosophes , il a dû voir, pendant son voyage en Égypte, les membres du Musée ; mais (294) il ne s'est conservé aucune trace ni de sa présence dans ce palais, ni de sa bienveillance pour l'école d'Alexandrie, tandis que sa visite à Éleusis et sa prédilection pour les écoles d'Athènes ont été célébrées par tous ses biographes. (82)

Son fils Commode, qui fut aussi en Égypte, répéta peut-être la visite de son père; mais, si cela est, elle fut complètement stérile. Septime Sévère s'occupa d'Alexandrie, mais assurément il ne consulta ni les intérêts du Musée, ai ceux de la Bibliothèque, quand, pour assurer la conservation des documents qui se trouvaient encore dans les anciens sanctuaires, il les fit enfermer dans le tombeau d'Alexandre, qui avait échappé, comme le Musée, à l'incendie de César (83). Un prince savant et libéral comme Claude eût fondé un établissement spécial pour l'étude de ces écrits, ou ordonné au Musée de les comprendre dans ses études. Les savants ne fussent peut-être pas entrés dans cette voie plus que les protégés de Ptolémée II n'étaient entrés dans celle des études orientales, ni les membres du Claudium dans celle des études occidentales; mais du moins Sévère agissait avec l'intelligence de son devoir. Ce qu'il fit pour cacher les anciens écrits de l'Égypte eût dû également réveiller la curiosité des savants; mais à ce qu'il paraît, ils furent insensibles au prix de ces trésors.

Cependant Septime-Séyère donna aux Alexandrins le droit de délibération (jus buleutarum), dont ils étaient privés jusque-là, n'ayant depuis Auguste, comme sous leurs rois, qu'un seul juge (84). On a supposé que la ville érigea, en l'honneur du prince, une colonne que l'on admire encore et que, par erreur, on appela longtemps la colonne de Pompée (85); Dans tous les cas, l'attention du chef de l'empire (295) ne se fixa point sur ces établissements littéraires, qui seuls la distinguaient de tant d'autres cités conquises.

IV. Vinrent les catastrophes. Et d'abord l'arrivée de Caracalla en Égypte devint funeste à la ville d'Alexandrie, dont la population avait lancé contre ce prince quelques-unes de ces épigrammes que prodiguaient ses habitudes railleuses et ses vieilles hostilités contre le pouvoir. Caracalla s'en vengea par un massacre épouvantable. Dissimulant sa colère quand il entra dans la ville à la tête d'un nombreux corps. de troupes, il se logea dans le Sérapéum, temple des Égyptiens, et lança de là ses soldats, pendant la nuit, dans les maisons, pour en faire égorger les habitants. Le lendemain il fit renouveler le carnage pour en avoir le spectacle, et manda au sénat qu'il s'était vengé, mais qu'il serait inutile de parler du nombre des victimes. Encore n'était-ce là que le début de ses fureurs. Caracalla avait à exercer d'autres vengeances; il en voulait aux savants comme au peuple, et aux institutions comme aux magistrats. Afin d'accomplir tous ses desseins sans rencontrer d'obstacles, il expulsa de la ville les étrangers, et fit entrecouper les rues de murailles gardées par des soldats qui empêchaient toute communication entre les habitants. Puis, il priva la cité des privilèges qu'elle tenait d'Adrien, et les savants ou du moins les péripatéticiens, des bénéfices qu'ils possédaient.

D'après une vieille tradition, Alexandre était mort d'un poison qu'Aristote, irrité de la fin de son disciple Callisthène, avait transmis à Antipater (86). Caracalla, pour venger sur les Aristotéliciens le héros de Macédoine, son modèle, ordonna que leurs livres fussent brûlés, et leur ôta les Syssities dont ils jouissaient, ainsi que les autres avantages, Dio-Cassius, qui rapporte ces faits (87), dit dans un (296) autre endroit (c. 22), qu'il supprima aussi les spectacles et les syssities des Alexandrins, et qu'il empêcha ceux-ci de communiquer les uns avec les autres. Doit-on conclure de ce passage que le prince irrité supprima, non pas toutes les réunions qui avaient pour but des repas ou des festins et tous les spectacles publics — ce qui constituait une mesure de police qu'on comprendrait fort bien, puisqu'il fallait enlever aux Alexandrins les occasions de s'entendre — mais toute la syssitie du Musée, de telle sorte que ses rigueurs ne seraient plus tombées sur les péripatéticiens seulement, mais sur tous les savants, ce qui ne serait plus d'accord avec les sentiments qu'on lui prête pour les partisans d'Aristote? Ou doit-on admettre qu'il commença par priver de la syssitie et des autres avantages les seuls péripatéticiens, et qu'ensuite, par un de ces progrès dans le mal si naturels aux despotes, il a étendu ses rigueurs à toutes les syssities, celle de l'ancien Musée, comme celle du Claudium, à toutes le institutions analogues et à tous les spectacles de la ville? Il y a doute, mais, dans le dernier cas, il aurait fermé bien des établissements et confisqué bien des dotations.

L'extravagance de cette mesure ne nous inspirerait pas beaucoup d'incertitude sur les résolutions d'un prince que les Alexandrins appelaient la bête d'Ausonie, mais, en vérité, les textes de Dio-Cassius ne les justifient pas. Us portent, sans doute, que les péripatéticiens furent dépossédés des avantages dont ils jouissaient au Musée, qui pourtant n'est pas nommé, ou dans une syssitie spéciale, qui n'est pas connue non plus, ce qui n'empêche pas de croire qu'il y en eût une; mais Dio-Cassius ne dit pas qu'après avoir sévi contre une classe de philosophes, Caracalla a supprimé le Musée des Lagides ou le Musée de Claude. Heyne n'a pas craint de lui faire dire cela, et d'autres ont émis la même hypothèse (88); voici toutefois comment il faut entendre Dio-Cassius.

Cet écrivain parle deux fois de la suppression de syssities. La première fois, il borne cette mesure aux disciples d'Aristote, et il est précis, par la raison que le souvenir d'Alexandre et d'Aristote le force de l'être. La seconde fois, où il parle de la séquestration des Alexandrins, il dit, sans rien préciser—parce que rien n'est pi us spécialement en cause, ni le Musée, ni le Claudium — que l'empereur supprima les spectacles et les institutions à repas communs des citoyens. Dio ne détermine pas les personnes que frappa cette mesure, mais, pour bien l'entendre, il faut se poser ce dilemme: ou il rappelle un fait déjà mentionné, la persécution des péripatéticiens, ou il donne un fait nouveau, la suppression de toutes les institutions à repas communs. Dans le premier cas, rien n'indique l'anéantissement d'une section du Musée, où il n'y avait pas de sections (v. p. 90); dans le second cas, le Musée était atteint, mais il ne l'était pas plus que les autres syssities. Le fait est que l'historien ne veut parler ni du Musée de Claude, ni du Musée des Lagides ; car si telle eût été sa pensée, il l'aurait exprimée tout autrement, et d'autres écrivains seraient venus la confirmer; mais tout ce qu'il dit, c'est que les péripatéticiens furent privés de leur syssitie, y compris les autres avantages, et que les Alexandrins en général furent privés de toutes leurs syssities et de leurs spectacles. Cela fait quatre choses distinctes : syssitie des péripatéticiens, leurs autres avantages, syssities Alexandrines en général et spectacles , mais cela n'implique pas la ruine du Musée.

On dit, pour prouver la suppression du Musée, qui ne fut pas supprimé, que, dans sa fureur, Caracalla eut l'idée de mettre le feu à la Bibliothèque (89). Mais, d'abord, ce n'est d'aucune des bibliothèques publiques qu'il s'agissait, c'était (298) simplement des livres d'Aristote; ensuite, puisque cette petite collection expressément désignée ne fut pas brûlée le moins du monde, pourquoi veut-on faire croire que le Musée, qui n'est pas nommé, a été anéanti comme par un coup de foudre?

Autre erreur: Pour rendre pi us probable cette destruction qui est devenue une sorte de fait, on dit que l'empereur s'était retiré au quartier de Rhakotis (90) afin de sévir de là, comme d'une retraite assurée, contre le reste de la ville; mais Dio-Cassius qui parle de la résidence du prince au Sérapéum, ajoute, qu'il demeurait dans le sanctuaire, ἐν τεμένει, et l'on pouvait s'y établir par ostentation de piété sans avoir pour cela le dessein de détruire le Bruchium.

S'il était besoin d'une hypothèse pour faire comprendre le silence de Dio-Cassius sur le Musée et le Claudium, je dirais qu'il a pu exister dans Alexandrie beaucoup d'autres syssities; que cet usage emprunté par la ville de Sparte à l'île de Crète, était ancien; que, dans une cité où il y avait tant de savants qui ne pouvaient pas être des syssities royales, il avait dû s'en former nécessairement d'autres, et qu'à l'exemple des philosophes d'Athènes qui avaient une caisse et des associations spéciales, des syssities pour les partisans de Diogène, et d'autres pour ceux de Panétius (91), les philosophes d'Alexandrie avaient dû former plus d'une association. On ne m'objectera pas le silence de l'histoire; c'est à peine si les écrivains de cette époque mentionnent quelquefois les établissements publics; il n'est donc pas étonnant qu'ils passent sans les citer ceux qui étaient moins célèbres; et en considérant que, même chez les auteurs chrétiens si jaloux des succès de leur enseignement et si nombreux dans ces (299) siècles, on n'a qu'un mot sur deux écoles de philosophie fondées dans Alexandrie, l'une par Athénagore, l'autre, par Anatolius, qu'un autre mot sur l'école exégétique fondée par Panétius le Chrétien et qui a dû posséder une assez notable collection de livres, on conçoit l'existence de bien des syssities païennes, qui ont disparu de l'histoire.

Les ravages de Caracalla dans Alexandrie ne sont d'ailleurs que trop certains ; mais ou ils n'atteignirent pas les établissements littéraires, ou ils y firent si peu de mal, qu'aucun écrivain n'eut l'idée de nommer à ce sujet ni le Musée, ni le Claudium, ni aucune des bibliothèques publiques.

Et, en effet, les fureurs de ce prince contre les péripatéticiens furent aussi passagères que d'autres actes de violence. On sait qu'avec la vie de l'empereur qui proscrivait, cessait l'effet de la proscription. Or, Caracalla fut assassiné peu de temps après sa sortie de l'Égypte, et, depuis cette époque, on ne trouve plus vestige de la disgrâce dont il avait frappé, soit les syssities d'Alexandrie en général, soit celles des partisans d'Aristote en particulier; les péripatéticiens ne furent pas plus exclus du Musée qu'auparavant; au contraire, on les y rencontre en plus grand nombre à partir de cette époque.

Enfin, la preuve que les Musées d'Alexandrie ne furent pas anéantis par Caracalla, c'est qu'après lui Athénée les trouva debout ; [il fut apparemment de l'un et connut les membres de l'autre ; ] et la preuve qu'on ne ruina pas non plus le Bruchium, c'est qu'Aurélien le trouva debout aussi et y exerça des ravages dont tout-à-l'heure il sera question.

Mais il est hors de doute que les institutions d'Alexandrie languirent depuis Adrien, et que parmi les premiers successeurs de Caracalla, les uns, tels que Macrin et Héliogabale, négligèrent les lettres, tandis que les autres, Alexandre-Sévère , par exemple, qui assigna aux professeurs des salaires et donna des secours aux disciples pauvres mais d'honnête naissance, continuèrent ce système de protection générale qu'avait commencé Adrien et qui ruinait le (300) monopole littéraire dont Alexandrie avait joui si longtemps.

Après ce prince, une rapide succession de chefs, les uns faibles, les autres cruels, tous impuissants, jetèrent l'Égypte, comme le reste de l'empire, dans une série de troubles et de guerres civiles qui, sous le règne de Galien, désolèrent Alexandrie pendant l'espace de douze ans. La peste s'étant jointe à la guerre, tous ces maux paralysèrent naturellement les institutions littéraires du Bruchium ; cependant, ils ne les ruinèrent pas et ne dépeuplèrent pas trop ce quartier, qui demeura le plus beau de la ville jusqu'au temps d'Aurélien.

A cette époque, une catastrophe décisive vint frapper Alexandrie, où Firmus s'était fait proclamer empereur et s'était fait l'allié de la reine de Palmyre.

Aurélien avait à peine vaincu la longue résistance de Zénobie, qu'il se porta en Égypte. Firmus et la population d'Alexandrie, avertis par l'exemple de Palmyre, se défendirent avec opiniâtreté. Mais Aurélien ayant pénétré dans la ville, il se livra contre le Bruchium, qui, par la solidité de ses murailles , lui avait opposé de grands d'obstacles, aux mêmes fureurs qui venaient d'épouvanter Palmyre (92). Alexandrie, dit Ammien Marcellin, fut privée de son plus beau quartier, du Bruchium qui avait été longtemps la résidence d'hommes éminents, et dont les murailles furent renversées (93). Eusèbe, encore plus positif, dit que ce quartier longtemps assiégé fut enfin détruit (94). En quel sens faut-il prendre ces termes absolus trop prodigués par les historiens? Je l'ignore, mais ce qui est hors de doute, c'est que le Bruchium où s'élevaient autrefois tant de palais, le Musée, la Bibliothèque, le théâtre et d'autres édifices somptueux, fut abandonnés (301) et se trouva bientôt en dehors de l'enceinte d'Alexandrie. C'est dans cet état que le vit, un siècle plus lard, S. Jérôme (95), dont les biographes de S. Hilarion et du grammairien Apollonius, qui l'habitait, confirment le témoignage (96).

Ce qui le confirme plus explicitement encore, c'est qu'à cette époque, vers l'an 390, aucun des anciens établissements du Bruchium n'est plus nommé et que c'est le Sérapéum qui est le foyer du polythéisme.

La destruction a-t-elle été lente ou instantanée? La seconde bibliothèque du Bruchium , celle qui avait été rétablie par Cléopâtre avec le don d'Antoine, et les deux Musées, celui des Lagides et celui de Claude, périrent-ils dans les flammes, ou put-on en sauver quelque chose? Je ne sais. Mais puisqu'Ammien le dit, il est hors de doute qu'à cette époque, l'an 272 de notre ère, toutes les institutions littéraires du Bruchium éprouvèrent de grandes pertes, si même elles ne succombèrent entièrement.

Cependant, un musée, des bibliothèques et quelques syssities se conservèrent encore ou furent rétablis, puisque nous en retrouvons même après cette catastrophe. Ces institutions se maintinrent-elles dans l'ancien quartier des palais, ou bien les savants furent-ils obligés de quitter le Bruchium et de se réfugier dans le quartier de Bhakotis, comme autrefois on s'était retiré de ce quartier pour aller peupler le Bruchium et Nicopolis ? On l'ignore. Mais il est certain que, dans l'intervalle de 272 à 390 après J.-C., le quartier du Sérapéum devint le foyer du polythéisme (97); et le Bruchium ravagé, on fut heureux, après la ruine de tant d'autres bibliothèques et tant d'autres sanctuaires, de retrouver Rhakotis avec ses sanctuaires et ses bibliothèques. Il (302) n'est pas à croire pour cela que te Bruchium abandonné se trouva désormais anéanti; au contraire il conservait son nom; on le distinguait de la ville , on le visitait, on y rencontrait des savants, nous venons de le voir; mais les voyageurs du xiie siècle qui trouvèrent de si beaux restes de construction dans le quartier de Rhakotis n'en virent point du Bruchium.

Avec les débris du Bruchium et les établissements de Rhakotis, Alexandrie demeura ou redevint dé nouveau la principale école de l'empire; et ses institutions conservées Ou rétablies, résistèrent pendant plus d'un siècle encore à toutes les causes de ruine. Alexandrie avait tant de livres que rien ne semblait pouvoir en épuiser le riche approvisionnement, et qu'un instant de calme ou quelques signes de faveur impériale rendaient la vie sinon la prospérité à ces restes de musées ou de syssities qui se rattachaient avec orgueil à l'époque d'Alexandre-le-Grand, et qui devenaient désormais une sorte de sanctuaires pour le polythéisme si vivement attaqué.

La politique de Dioclétien, de Galère et de Maximien, qui prétendaient extirper le christianisme, rendit à la vieille école d'Alexandrie toute la faveur du pouvoir. A la vérité, Dioclétien exerça de grandes rigueurs dans cette ville, qu'un rebelle, Achilleus, avait soulevée et défendue contre lui pendant huit mois, et la colonne qui lui fut érigée par le gouverneur ne doit nullement être prise pour un monument de la reconnaissance publique (98); cependant, malgré ses colères, il y protégea les institutions du polythéisme. Il est vrai que, dans des vues purement politiques et pour ôter an* habitants d'une cité trop opulente à ses yeux les moyens de se créer des ressources périlleuses, il doit avoir fait brûler les livres qui traitaient de l'art de faire de l'or et de l'argent (99); mais, si ce fait est exact, il prouve que Dioclétien ne combattait pas les études, puisque, dans ce cas, il eût fait (303) joindre les livres de philosophie et de littérature aux autres.

Loin de craindre les lettres profanes , ce prince devait compter sur leur secours pour vaincre l'ennemi commun.

Leur assistance manqua si peu aux chefs de l'empire de la part d'Alexandrie, qu'au contraire cette cité joua un grand rôle dans la lutte des deux religions, et que bientôt, de tous les fonctionnaires, ce fut gouverneur de l'Égypte, Hiéroclès, qui réclama le plus hautement l'oppression du christianisme. Il en attaqua la doctrine comme un péril pour l'é* tat; il en combattit le fondement historique en y opposant la vie et les miracles d'Apollonius de Tyane ; il fit valoir, pour le rendre ou suspect ou odieux, des considérations de morale et de politique, de philosophie et de religion.

Cette dernière circonstance me paraît indiquer le concours de quelques membres du Musée à une publication dont l'effet fut si terrible. Ce qui indique peut-être encore mieux ce concours, c'est la persécution qui fut spécialement dirigée contre l'école rivale du Musée, contre ce puissant Didascalée, dont le chef, Piérius (100), devint encore une fois le point de mire des violences administratives, comme l'avaient été ses prédécesseurs ; car il est à remarquer que ce fut toujours le chef du Didascalée qu'on persécuta d'abord, lorsque dans Alexandrie on. attaqua le christianisme (101). Cela se comprend, d'ailleurs, puisque ce poste conduisait ordinairement au siège épiscopal, et, mieux encore, quand on sait que plusieurs fois il fut occupé par des philosophes sortis du polythéisme, tels que S. Pantène, Athénagore et Héraclas.

Alexandrie était alors l'un des principaux théâtres de la lutte des deux religions, et cette lutte était la grande af- (304) faire des deux institutions rivales, le Musée et le Didascalée.

La situation des deux établissements fut bien différente. Tant que le polythéisme demeura sur le trône, le Musée fut l'objet de toutes les prédilections impériales, et le Didascalée disgracié dans l'opinion de la majorité, celui de toutes les violences.

Lorsque, l'an 312, Constantin publia son fameux décret de Milan, ce fut le contraire; alors les institutions polythéistes entrèrent dans une voie qui marque dans l'histoire de l'École d'Alexandrie une ère nouvelle, et qui sera l'objet de la dernière partie de nos recherches.

Mais nous devrons d'abord donner la composition des Écoles ou des Musées de la grande cité littéraire pendant la présente période.

 

(305) CHAPITRE II.

 

ÉTAT DES MUSÉES , DES BIBLIOTHÈQUES , DES ÉCOLES ET DES SYSSITIES POLYTHÉISTES D'ALEXANDRIE. — ÉCOLES CHRÉTIENNES ET GNOSTIQUES.

 

L'enseignement rétabli en Grèce par Adrien et complété par ses successeurs avait donné à l'école d'Alexandrie de puissantes émules dans Athènes, dans Rome, et dans d'autres cités importantes de l'Occident et de l'Orient. Mais si c'étaient là pour l'école d'Alexandrie autant de rivales, ce n'étaient que des rivales éloignées. Le voisinage des écoles chrétiennes et gnostiques établies dans Alexandrie même, avec le dessein de renverser jusqu'aux principes du polythéisme, fut plus périlleux; et cette position, si nouvelle pour les savants d'Alexandrie, modifia sensiblement leurs tendances et leurs travaux. De la sphère où ils s'étaient renfermés avec trop de prédilection, de cette philologie un peu étroite qui étouffait même les sciences et la médecine, ils furent obligés de passer aux études morales et philosophiques. Aussi trouve-t-on désormais parmi eux peu de médecins, de grammairiens, de mathématiciens, d'historiens et de poètes; ce sont, au contraire, les philosophes qu'on y voit en majorité, si l'on peut appeler philosophes des savants qui s'occupent de préférence des questions religieuses, et qui mettent au service des sanctuaires toutes leurs études, toutes leurs facultés.

Pour ce qui est, d'abord, des études médicales, c'est à peine si l'on trouve, après Galien, Soranus et Julien, un (306) autre médecin encore qui se fasse remarquer. En effet, Léonidas n'a pas laissé de trace dans la science.

Dans les études mathématiques, Claude Ptolémée, Isidore, son disciple Hypsiclès, et Diophante seuls se distinguent.

Il n'y a pas non pas non plus de poètes qu'on puisse nommer; car quand même Ptolémée Chennus et Tryphiodore, deux de ces incorrigibles idolâtres du divin Homère qui se perpétuaient dans Alexandrie depuis tant de générations, auraient composé à cette époque leurs Poèmes anthomérique ou leurs Poèmes sur Marathon et Troie, et l'Odyssée lipogrammatique (102), ce ne serait pas une raison de dire qu'il y eût des poètes au Musée.

Quant aux philologues, ils ne renoncèrent pas aisément à leurs faciles habitudes, pour s'élever aux travaux plus graves que leur demandait ce monde nouveau qui débattait de si hautes questions ; la tâche qu'ils s'étaient imposée leur semblait d'autant plus importante, que chaque jour l'antiquité disparaissait davantage. Cependant ils furent peu nombreux et ils sentirent aussi la nécessité de varier leurs travaux. Leur premier chef dans cette période, Hérodien, fils d'Apollonius Dyskolos, leur donna de bons exemples, en joignant, à ses Traités de prosodie et à ses Explications des dictions d'Hippocrate, un ouvrage de mœurs, le Banquet de Pouzzoles, et des compositions sur la commensalité et le mariage. Héphestion, qui composa un Traité du métrique, comme pour continuer les travaux d'Hérodien, suivit encore ses directions en rédigeant quelques traités sur d'autres sujets, par exemple, la Poésie dramatique.

Cependant, ces deux maîtres virent bien qu'autour d'eux on demeurait froid pour leurs travaux, et ils quittèrent Alexandrie pour Rome, où l'empereur Vérus fut leur élève.

Didyme jeune, Didyme Aréios et plusieurs des cinquante grammairiens du nom de Démétrius, ont peut-être appar-



tenu aussi au Musée; mais, dans ce cas, effrayés de la situa lion nouvelle que le christianisme faisait à cet institut, plusieurs d'entre eux l'auraient quitté également pour l'Italie.

Rome, qui cachait la nouvelle religion au sein d'une majorité païenne et qui payait largement les maîtres de langue grecque, les attirait de tous les côtés. S'il est probable que Phrynichus, originaire de Bithynie, et Julius Pollux, qui était de Naucratis, profitèrent des travaux d'Alexandrie pour la composition de leurs lexiques, 11 est certain que le premier professa à Rome sous MareAurèle, et que le second y prononça l'éloge de Commodei

Les historiens avaient toujours fait défaut au Musée. Pen-< dant toute cette période qui est de cent soixante-quatorzeans^ on n'en voit pas un seul dans Alexandrie; mais on y rencontre le plus illustre des compilateurs d'anecdotes, Aihénéo de Naucratis, qui fut sans doute membre de la grande syssitie, et qui ne laissa pas que de montrer tout son dédain pour la petite (v. ci-dessus p. 262).

Cet écrivain, dont l'ouvrage, si caractéristique poar I*3 mœurs de l'époque, fut fait d'après les travaux les plus spéciaux qu'on eût sur la ville d'Alexandrie et sur ses institutions (1), et qui parle des écoles rivales que peuplèrent les cruautés de Ptolémée VII, quatre siècles avant lui, ne parle pas de celles que les chrétiens et les gnostiques venaient de fonder près du Musée. Cela se conçoit. Religieuses avant tout, elles avaient peu d'importance anx yeux d'un conteur de propos de table, qui déserta l'Egypte comme tant d'autres, pour aller prendre sa part aux largesses de Rome avide de savoir, et qui cite parmi ses commensaux t Ipien et Galien, dont ni l'un ni l'autre n'accorda la moindre attention au christianisme. (2)

Cependant, ces écoles préoccupaient depuis longtemps los

(1) Athénée cite ou copie plus de cinq cents écrivains et en nomme plu» de sept cents.

(2) Vers l'an 238 ap. J.-C.
générations successives du Musée, et elles jetèrent dans les études philosophiques tous les esprits supérieurs de l'époque. En effet, depuis le commencement de cette période, toutautre débat était dominé dans Alexandrie par le débat religieux; et cette ville nous montre continuellement en présence, et quelquefois dans la même enceinte, les philosophes du Musée, les docteurs de l'Église et les chefs des gnostiques.

Dès-lors, c'est une philosophie nouvelle qui doit régner sur ce théâtre; ce n'est plus de doutes et de probabilités qu'il peut y être question, c'est de croyances et de dogmes. Aussi, la doctrine qui a le plus de partisans au Musée, c'est celle qui s'annonce comme la plus positive, qui se rattache le plus étroitement aux mystères de la religion, et qui entre le mieux dans la voie qu'a tracée aux philosophes du paganisme le thaumaturge Apollonius de Tyane.

C'est donc en vain que Sexte l'empirique, et Lucien de Samosate, gouverneur d'une partie de l'Égypte sous MarcAurèle, viennent combattre cette tendance; c'est en vain que l'un reprend les armes du pyrrhonisme, que l'autre choisit celles de la satire, et joint le sel d'Aristophane à la critique d'Euhémère ; si éloquentes que soient les attaques du sophiste, et si profond que soit l'examen du philosophe, leur opposition n'est pas acceptée et ne se fait pas plus de partisans au Musée que dans les autres écoles de la Grèce, qui ont le même besoin d'opposer un dogme à un autre dogme.

Potamon, au contraire, qui continue au commencement du nie siècle l'œuvre de Dion et d'Arius, et qui professe dans Alexandrie, sous une forme polythéiste, l'éclectisme qu'y professe le savant et pieux Clément sous une forme chrétienne, trouve aussitôt des disciples qui entrent avec lui dans une voie si nécessaire. L'un d'eux, Ammonius Sakkas, paraît même avoir la prétention d'unir étroitement l'éclectisme chrétien et l'éclectisme polythéiste, et il réussit au point d'attirer dans une sorte de syncrétisme dela Grèce et et de l'Orient les esprits les plus distingués, surtout Plotin, Origène zélé polythéiste et Origène zélé chrétien.

Ammonius, qui fut à tel point familier avec le christianisme et avec le polythéisme qu'on ne sait auquel des deux le rattacher, avait conçu, à ce qu'il paraît, comme certains chefs du gnosticisme, le dessein de faire prévaloir l'éclectisme en religion, ainsi qu'en philosophie. Les chrétiens et les païens le crurent également des leurs ; et tout comme il n'est pas probable qu'Origène l'eût entendu, s'il ne l'avait cru chrétien, il n'est pas probable que la plupart de ses disciples eussent professé le polythéisme, s'ils ne l'avaient cru de cette religion. Comment Ammonius conciliaitil ensemble des doctrines si contraires? On l'ignore; mais si peu compréhensible que soit ce fait, il jette un grand jour sur l'état des esprits dans ce siècle de syncrétisme et de transformation.

Il est un autre point qui mérite attention. Puisqu'Ammonius n'a pu professer ni au Musée, où il devenait ouvertement païen, ni au Didascalée, où il devenait ouvertement chrétien, où professait-il? On l'ignore encore; mais ce fut nécessairement dans quelque autre local. Le fait qu'il y en avait d'autres encore dans Alexandrie, est donc confirmé par un exemple de plus. En examinant le récit de Dio-Cassius sur les syssities supprimées par Caracalla, nous avons été amenés à admettre que certains philosophes, et en particulier les péripatéticiens, avaient une association ou une syssitie plus spéciale que celle du grand Musée. D'un autre côté nous savons que les chrétiens eux-mêmes avaient, dans Alexandrie, d'autres écoles de philosophie que le Didascalée; qu'un docteur, devenu célèbre comme évêque d'Antioche, y fonda une Académie péripatéticienne (1). C'est sans doute dans une école du même genre, dans une école particulière, qu'Ammonius fit ses leçons.

Les disciples de ce chef de secte, éclectique en religion

(1) Anatolius. V. Niceph. H. E. VI, c. 36.

comme en philosophie, mais dont l'histoire n'est pas nette et qu'on paraît avoir souvent confondu avec d'autres personnages du même nom, païens ou chrétiens, ne continuèrent pas à professer un syncrétisme impossible- Ils se partagèrent en deux camps ennemis, Origène le chrétien à la lètede l'un, Plotin à la tête de l'autre. Origène fut philosophe éminent, mais chrétien scrupuleux, sauf l'erreur que censura l'Église; Plotin, penseur profond, fut polythéiste exalté, partisan des doctrines orientales , des mystères de la Grèce et de l'Égypte. Le premier soutint, dans Alexandrie même, avec autant de persévérance que d'éclat, la lutte qui s'était engagée , et ne quitta l'Egypte qu'au milieu des plus grandes persécutions -, lesecond enseigna avec l'enthousiasme .d'un mystique, et fonda une puissante école, mais il demeura peu lui-même sur le théâtre de ce débat. On sait qu'il n'avait commencé l'étude de la philosophie qu'à l'âge de 28 ans, qu'il était resté onze ans auditeur d'Ammonius, que dès l'âge de 40 ans il se trouvait à Rome, et que de plus il avait fait, sous le règne de Galien, un voyage en Orient. C'est donc à peine pendant dix-huit mois ou deux ans qu'il aurait pu compter parmi les membres du Musée et les maîtres d'Alexandrie.

Son principal disciple, Porphyre, qui avait entendu en même temps l'un des Origène—on ignore si ce fut le païen ouïe chrétien, si ce fut à Césarée ou dans Alexandrie—n'enseigna pas non plus dans cette ville, aimant mieux se mêler aux grands de Rome et intervenir auprès d'eux pour faire marcher de front, contre les doctrines et les institutions chrétiennes, les violences de Galère et de Dioclétien avec les accusations des philosophes. (1)

Ammonius avait laissé d'autres disciples que Plotin, surtout Origène le païen et Hérennius ; et Plotin en avait laissé d'autres que Porphyre, surtout Eutochius; on ignore com

(I ) Matter, Histoire du christianisme et de la Société chrétienne, t. I, p. 103

ment ils tinrent la place de leurs maîtres au Musée, et s'ils s'y attachèrent avec plus de constance. La peste et les guerres civiles, suivies des vengeances impériales qui désolèrent, à cette époque, Alexandrie et surtout le Bruchium, ainsi que nous l'avons dit, en auraient-elles banni les philosophes, et leurs disciples auraient-ils préféré, à leur tour, le séjour de Rome à celui d'une ville aussi agitée ?

Quant aux chefs du Didascalée, n'ayant rien à demander aux maîtres du monde, ne cherchant ni ne fuyant le martyre, ils gardèrent leur poste; et, s'il n'est pas certain, il est au moins probable que Piénus, Achillas, Théognoste, Sérapion et Pierre Martyr, dirigèrent successivement ou simultanément cette école, de l'an 265 à 312 de notre ère. A cette époque, les philosophes revinrent dans Alexandrie, et sans doute pour y reprendre le débat. C'était trop tard. Cette ère de ruine du Musée cl du polythéisme, la dernière que nous ayons à retracer, avait commencé avec le décret de Milan.

Le tableau des membres des différents établissements d'Alexandrie pendant la période qui nous occupe est important, on le conçoit d'après ce qui précède.

1° Présidents du Musée et chefs)

des Bibliothèques. * taconnus,

2° Hérodien et Héphestion, illustres dès la période précéd.

... , . Philologues, membres probables

Didvme jeune, , , ,.

* * ' ou certains de l ancien Musée.

Didyme, auteur de Géorgiques; Démétrius? j

3° Ptolémée Chennus. p0eie, membre probable.

4" Athénée I Sophiste ou polygraphe, membre

\ probable du Musée.

5° Isidore, HypsiclèS, e Mathématicien,membre probable

Claude Ptolémée, Diophan te. ( du Musée.

6° Léonidas. Médecin, membre probable.

Philosophes, membres douteux.

Seul membre connu du Musé* de
Claude.

Chefs certains ou probables du
Didascalée.

7° Sexte. \

Didyme Ateios, Polamon
Ammonius Saccas,
Plotin,
Hérennius,
Origène le païen.
8° Pan.
9° S. Pantène.

S. Clément d'Alexandrie,
Origène,
Héraclas,
Dionysius,
Piérius,
Théognoste,
Pierre Martyr.
10° Athéuagore,
Achillas,
Sérapion.

11° Athénagore. Fondai, d'une école platonicienne

12" Anatolius (plus tard évêque) Fondateur d'une école péripaté

de Laodicée). ' ticienne.

13° Panétius. Fondât, d'une école catéchétique.

14° Membres inconnus de la syssitie (libre ou rattachée au

Musée) des péripatéticiens. 15°Héliodore, le grammairien,

gouverneur de l'Egypte.
Lucien, le sophiste, gou-
verneur d'une province
d'Egypte.

Hiéroclès, gouverneur d'A-
lexandrie ,
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Hâtes et patrons du Musée.
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(1De tranquill. animi, c. 9. Cf. Oros. VI. 15.

(2) Aul. Gell, noct. VI, c. 17. — Am. Marcell. XXII, c. 16.

(3) M. Parthey. p. 81.

(4 Essai hist. I. 196.

(5) 27.810 vers.

(6) Elegantiae regum curaque egregium opus. Senec. de Tranq. c. 9.

(7)  Studiosa luxuria , immo ne studiosa quidem, quoniam non in studium, sed in spectaculum comparaverunt. ib.

(8) Orose, VI, 15, nous apprend après beaucoup d'autres, qu'il y avait des livres dans les temples.

(9) Aristobule avait possédé incontestablement des volumes qui n'appartenaient pas a la Bibliothèque; la même chose a du avoir lieu pour d'autres.

(10)  Bell, civil. III, c. 111.

(11) Bell. civil. II, 89.

(12) Deerant remi; portlcus, gymnasia, aedificia publica detegebant; assores rcmorum usum obtinebant. Bell. Alexndr. c. 13.

(13) Ptutarch in Anton, c. 58. — Voir Essai historique, etc. I, 206.

(14) Plut. Vita Ant., c. 69.

(15)  Heyne, Op. acad. VI, p. 439.

(16) Strabo, XVII, c. 1.

(17) Ibidem.

(18) Tacit. Hist. I, c. 11.

(19)  Lib. XVII, c.

(20) Plut. Apopht. rom. — Seneca, consol. ad Martiam , 6. 4.

(21) Strabo, XVII, c. 1.

(22) Qui fait son entrée dans la ville.

(23) Ad Caj. p. 697. édit, Turneb. Paris, 1552.

(24) Sueton. Tiber. c. 70.

(25) Suidas s. v. Dionysius et V. Alexandre d'Egée.

(26) In Claudio, 42.

(27) Val. Maxim. III, c. 7,10. — Horat, 73. — Sat, 1,4, 73.

(28) Athénée dit même qu'on est honteux de les nommer. Lib. VI, 421.

(29) Epist. divers, philos. Venet. 1499, t. II. E. 34, p. 12.

(30) Vita Apoll. IV, c. 14.

(31) 20,000 fr. (cent grands sesterces). Suet. in Vespas, c. 30.

(32) Vita Apoll. V, c. 27.

(33) M. Klippel, p. 321.

(34) Suet. Vespas. 7. — Tacit. Hist., IV, c. 81. .

(35)  Dio Cass., LXVI., c. 13.

(36) Les historiens qui rapportent qu'il consacra dans Memphis le bœuf Apis, ne disent pas qu'il ait donné le moindre témoignage d'intérêt aux savants du Musée.

(37) Xiphil. in Domit. — Suet. in Domit., c. 4.

(38) Suet. in Domit., c. 20. — Plin., Hist. nat. Prœf. — Quinct. X, 1. — Valer. Flaccc. II, v. 12. — Lactant. I, c. 22.

(39) Vita Hadriani, c. 30.

(40) Vita Dionys. Milesii. éd. Oleario, p. 52i; éd. Kayser, p. 38. — Cf. Dio Cassius LXIX, p. 789, éd. Reim.

(41) Suidas s. v. Gregorius. — Hieronym. Catal. Eccles., c. 117.

(42)  Vita Polamonis, éd. Kayser, p. 44. V. sur Pollemo, Phrynich. s. v. κατ' ὄναρ. Cf. Lobeck, p. 421.

(43) Nicasii Dissert, de Numo Pantheo Hadriani, p, 23.

(44) Deipnos. XV, p. 677.

(45) Fabretti, III, 479. — Letronne, Recherches sur l'Égypte, p, 151.

(46) V. sur cette dignité, Salmasius in Spartiani Hadrian., c. 7, et Jul. Capitol, ad Marc. Ant., c. 4.

(47) Arius ἐν μουσείου, V. Letronne, Statue vocale de Memnon, p. 217. — Suidas, s. v. Theon.

(48)  Orat. XXXII.

(49)  Suidas. s. hh. vv.

(50) Contra Apionem.

(51) Arius, poète homérique du Musée. V. ci-dessus, p. 268. — Le grammairien Séleucus portait aussi l'épithète d'Homérique,

(52) Contemporain d'Athénée (Deipnos. XV, c. 6 ).

(53) Eus. Prœp. Ev. XI, 57, T. 10, éd. Vales.

(54) De Abstinent. IV, p. 360.

(55) Steph. Byzant. V. Alexanrdria.

(56) Diog. Laert. IX, 116. - Eus. praep. evang. XIV, 7, 18.

(57) Sprengel, Gesch. der Artzneik. II, p. 132.

(58) Suidas, s. lo. v.

(59) Comment. 2. in lib.. de natur. hum. p. 93.

(60) L'école sceptique remontait à limon, par Ptolémée, disciple d'Eubule, et Eubule, disciple d'Euphranor.

(61) II écrivit contre Cicéron et n'appartient qu'au début de cette période.

(62) Fut-il en Egypte? Héraclide du Pont l'entendit à Rome, après avoir entendu Didyme à Alexandrie. Suidas, s. v. Heraclid. Pont.

(63) II ouvrit une école et donna des leçons à Rome sous Claude et Néron. Suidas, s. v. Heraclid.

(64) Phil. Vita Apollonii, II.

(65) Suidas, v. Sylla. - Lucian., adv. indoct.

(66)  L'Apollinéum d'Auguste, l'Athénée, etc.

(67)  Pausan. I, 18, 6, cf. 5. - Hieron., Chronic., olymp. 227. - Philost. I, 24.

(68)  Philost. Vit. Soph. Il, 2.

(69) Photh Bibl. , p. 346.— Eunapius, éd. Wyttenb., p. 45.

(70)  Matter, Histoire du christianisme et de la Société chrétienne, 2e édition, v. I, p. 39.

(71) Catal. c. 36. p. 107.

(72) « Quia Alexandrie jamdudum Museum illud celeberrimum floruerat, similis scholae christianae instituendae facile capere potuerunt consiliam ». Guericke, de schola quœ Alexandrie floruit catechetica, p. 20.

(73) Euseb. Hist. ecc., V. 10. —Photii Bibl. c.118.—Niceph. Hist.eccles., IV, 32. — Philipp. Sid., p. 488.

(74) Hieronym. cat. c. 38. 

(75) Euseb., Hist. eccles. VI, 6. - Hieronym. Catal. c. 28 - Photius, Bibl., cod. 118. - Cf. Routh. Reliq. sacr. III, 262.

(76) Strom.  I, p. 338. ed. Oxon.

(77) Euseb. h. e. VI, 3. — Hierony., Cat. 54. — Phot., Cod. 118. — Niceph., Hist. eccles. IV, 33.

(78) Contra Celsum. C'est dans cet ouvrage qu'il donnait sur les mystères des écoles gnostiques d'Alexandrie, des détails si curieux.

(79) Euseb. VI, 3. — Niceph, V. 4, 5.

(80)  Matter, Histoire du gnosticisme, t. II, p. 81 et suiv.

(81) llli qui Serapin colunt Christiani sunt, et devoti sunt Sarapi qui se Christi episcopos dicunt. Nemo illic Archisynagogus Judœorum, nemo Samarites, nemo Christianorum presbyter non mathematicus, non haruspex, non aliptes. Ipse ille patriarcha cum Aeyptum venerit, ab aliis Serapidem adorare, ab aliis cogitur Christum.... Unus illis Deus nullus est. Hunc Chiistiani, hunc Judœi, hunce omnes venerantur, etc. VOPISC. Vita Saturnini.

(82) Julius Capitolinus se borne à dire de lui ; Fuit Alexandriae clementer eum iis agens.

(83) Dio-Cassius II, p. 1266, éd. Reimaro.

(84 Spart. Severus, c. 17,

(85) V. ci-dessus, p. 52.

(86) Arrian. VII, p. 309.

(87) Caracalla, c. 7. - 23. cf. Spartian. Caracalla, c. 5. - Herodian, l. IV.  c. 7. - 10.

(88) M. Klippel dit sans façon, er hob zuletzt die ganse Anttalt auf. p. 228.

(89) M. Klippel, p. 297. Er gieng mit dem Gedanken um die treffliche Bibliothek tu verbrennen.— Dio Cassius dit, au contraire, τὰ βιβλία αὐτοῦ c'est-à-dire, les livres d'Aristote, ce qui est différent. LXXVII, c. 7.

(90) M. Parthey dit, au Sérapéum, dans l'Acropolis (p. 96); mais il n'y avait d'Acropolis ni au Sérapeium, ni dans toute Alexandrie. V. ci-dessous.

(91) Le Stoïcien, v, Atthen., Deipn. V. 133. - Cf. Meursius, Creta, X. 178. - Stuckius, Antiq. Conviv. I, 31.

(92)  Vopisc. Vita Aurelian.

(93) L. XXII, 16.

(94) Euseb. Chronic., p. 176, ed. Scalig. - Euseb., Hist. eccles. VII, c. 18 - c. 21.

(95) In vita S Antonii.

(96Εἰς τὶ χωρίον πλησίον Ἀλεξανδρείας μεταφοιτᾷ. Κρουίχον (βρουχεῖον) ὄνομα αὐτῷ, dit le premier; ᾤκει ἐν τῷ πυροχείῳ οὕτω καλουμένῳ τόπῳ περὶ Ἀλεξανδρείας, dit l'autre.

(97) V. Scaliger, ad Eusebii chronic. p. 176.

(98)  La colonne dite de Pompée.

(99) Jean d'Antioche, Excerpt, Val. 8. 834. —Suidas v. Dioclet.

(100) Hieron. cat. c. 76.

(101) Origène exilé par le proconsul d'Alexandrie, sous le règne de Décius, n'avait pu reprendre sa place que sous le règne de Galien, l'an 260 de notre ère. — Euseb. Hist. eccles. VI, 40, — Niceph. V, 28.

(102) Essai historique, t. I, p. 286. V. ci-dessus, p. 274.

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