HISTOIRE DE L'ECOLE D'ALEXANDRIE
- Première Période. (332 —146 avant J.-C. ) (chapitre VII) - Deuxième période. De l'an 246 à l'an 146 avant Jésus-Christ.) - TROISIEME PERIODE. 146 à 48 avant Jésus-Christ, de Ptolémée VII à Cléopâtre.
HISTOIRE
DE
L'ECOLE D'ALEXANDRIE
COMPAREE
AUX PRINCIPALES ECOLES CONTEMPORAINES,
Ouvrage couronné par l'Institut.
PAR M. MATTER,
INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'UNIVERSITE.
2e édition, entièrement refondue.
TOME PREMIER
Topographie. Musées. Bibliothèques. Syssities. Didascaléee.
Plan d'Alexandrie ancienne et moderne.
PARIS.
CHEZ HACHETTE,
ANCIEN ÉLÈVE DE L'ECOLE NORMALE, LIBRAIRE DE L'UNIVERSITÉ DE FRANCE,
Rue Pierre-Sarrazin, 12. P.
BERTRAND, Libraire-Éditeur 4e Paris historique,
Rue Saint-André-des-Arcs, 38.
BROCKHAUS ET AVENARIUS,
RUE RICHELIEU, 60;
MÊME MAISON, A LEIPZIG
1840.
L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE.
TOPOGRAPHIE, MUSÉES, BIBLIOTHÈQUES, DIDASCALÉES, SYSSITIES,
Première Période. (332 —146 avant J.-C. )
(153) CHAPITRE VII.
MUSÉE. — JEUX POÉTIQUES. — PLÉIADES. — VOYAGES D'EXPLORATION.— COLLECTIONS D'HISTOIRE NATURELLE. — PARCS ROYAUX. — OBSERVATOIRES.
A. la mort de Ptolémée Ier, nous avons vu le Musée composé de douze à quatorze membres, dont plusieurs enseignaient, s'entouraient de nombreux disciples et élevaient la science grecque, si élémentaire encore, à un rang que les écoles d'Athènes avaient été aussi incapables de lui donner que celles de Memphis ou d'Héliopolis. Ptolémée II imprima à cette institution une marche plus brillante encore, et éclipsa, sous ce rapport, la renommée de son père, au point qu'il en fut considéré comme le véritable fondateur. L'un des princes les plus savants de son époque, il attira dans sa capitale des savants et des professeurs , prit une part active à leurs discussions, ainsi qu'avait fait son prédécesseur, et favorisa à tel point l'étude de la poésie, de la géographie, de la médecine et enfin des beaux-arts, qu'il tua celle de l'histoire et de la philosophie, et changea si complètement le caractère de l'institution, qu'il en fit, comme disait Timon le Phliasien dans sa célèbre épigramme , une sorte de volière savante. Voyons, d'abord, ce qu'il fit pour les divers genres d'études qui prévalurent sous son règne.
Sa prédilection pour les travaux poétiques, qu'au besoin attesterait aussi la tâche que, suivant les scoliastes, il aurait donnée à Zénodote, à Lycophron et à Alexandre, se comprend aisément, puisqu'il était élève de Philétas. Elle doit l'avoir conduit à prendre une mesure extraordinaire pour encourager la poésie. Mais quelques vers de Théocrite (154) sont la seule autorité qu'on ait à cet égard. Ce poète, qui visita l'Egypte sous Ptolémée II, dit que jamais homme ne récita de beaux vers aux combats sacrés de Bacchus ( Διωνύσου ἱεροὺς ἀγῶνας), qu'il ne reçût de ce prince une récompense digne de son art (1). Or, de cet éloge donné par un témoin oculaire, on peut conclure que le deuxième des Lagides ne se borna pas à faire réciter les poèmes d'Homère au théâtre, usage introduit par Démêtrius de Phalère, qu'il n'aimait pas ; mais que, renouvelant les anciens usages de la Grèce, il invita les poètes à dire en public des vers de leur composition ; que cet récitations eurent lieu aux Dionysiaques, et qu'on accordait des récompenses, soit à tous les lecteurs, soit du moins aux auteurs les plus distingués.
A cette indication de Théocrite on a rattaché un récit de Vitruve, qui devait prouver que Ptolémée II fit une institution permanente pour encourager la composition en vers; qu'il fonda des jeux poétiques ou des combats if Apollon. A la vérité, Vitruve rapporte qu'un des Ptolémées a institué une sorte de concours poétique, et l'on a généralement revendiqué ce fait aux fastes de Ptolémée II; mais, dans tout le récit de Vitruve, il n'est pas un seul trait qui s'applique au règne de ce prince; et il faut, en général, se défier beaucoup de tout ce que l'on a dit à cet égard. En effet, l'anecdote que rapporte cet auteur est aussi pleine d'erreurs que la scolie de Cœcius; et l'on ne saurait, d'après ce seul texte, faire honneur à Philadelphe d'une institution qu'a ignorée tout Je reste de l'antiquité. Voici ce que dit Vitruve : « Voyant que les Allâtes avaient établi à Pergame, pour le plaisir de tous — ad communem delectationem (2) — une bibliothèque distinguée, Ptolémée voulut en fonder une à Alexandrie. Quand il l'eut établie, il pensa qu'il fallait l'augmenter en provo- (155) quant à la composition littéraire (3). Il institua donc des jeux consacrés aux Muses et à Apollon, en établissant des prix pour les vainqueurs parmi les écrivains, comme on en donnait aux vainqueurs parmi les athlètes. Cette institution faite, et les jeux devant être célébrée, il fallut choisir des juges instruits pour décerner les récompenses, judices litterati qui ea probarent. Déjà le roi en avait désigné six dans la ville ; n'en trouvant pas de septième qui fût capable, il s'adressa à ceux qui présidaient à ta Bibliothèque, et leur demanda s'ils connaissaient quelqu'un qui fût propre à cette mission. Ils lui désignèrent un certain Aristophane, qui venait tous les jours pour lire, suivant un certain ordre régulier , tous les livres de la collection. Aristophane, amené à l'assemblée des jeux, où des places étaient réservées aux juges, prit celle qui lui restait. L'ordre des poètes fut appelé le premier au combat, et pendant leurs lectures, le peuple avertissait les juges de ce qu'il approuvait. Quand les suffrages furent demandés, six juges s'accordèrent à donner le premier prix à celui qui avait plu davantage à la multitude, le second, au suivant. Mais Aristophane, invité à voter, désigna celui qui avait le moins plu au public. Le roi et toute l'assemblée l'interpellèrent. Il répondit qu'un seul des lecteurs était auteur de ses vers (4); que le reste n'avait fait que réciter les écrits d'autrui, que les juges devaient couronner des compositions et non pas des vols, scripta, non furta. On lui demanda des preuves. Sûr de sa mémoire, il fit retirer des armoires de la Bibliothèque qui lui étaient connues (5), des volumes qui (156) forcèrent les auteurs eux-mêmes à convenir de leur plagiat. Le roi les punit, mais combla de présents et mit à la tête de la bibliothèque le savant qui les avait démasqués. »
Tel est le récit de Vitruve, et l'on voit qu'il n'y en aurait pas de plus important pour nous, s'il était exact ; mais il est plein d'erreurs et d'invraisemblances. D'abord, ce n'est pas à l'imitation des Attales qu'on a fondé la bibliothèque d'Alexandrie; puis, ce n'est pas dans cette cité que l'homme le plus savant eût été oublié par un prince désignant les juges d'un combat poétique, ni que le peuple eût prétendu décerner des récompenses : dans Alexandrie, et à la face du Musée où régnaient tant d'érudition et de science, tout cela était impossible. Mais voici une inadvertance bien plus grossière. Ce n'est pas au Musée que le prince choisit six juges, c'est dans la ville, ex civitate; et lorsqu'il en demande un septième, ce n'est pas encore aux savants de la Syssitie, arbitres naturels d'un concours poétique, qu'il s'adresse, c'est à ceux de la Bibliothèque, que leurs travaux rendaient si peu propres à ces fonctions ; le Musée n'est nommé ni comme institution ni comme édifice. S'il était possible qu'un architecte d'Italie eût inventé toute cette histoire, on la prendrait pour une fable. Elle a longtemps préoccupé les meilleurs critiques, elle court risque aujourd'hui de perdre toute espèce de valeur. Mais, de même qu'il se trouve un fait dans la fameuse lettre d'Aristée et qu'il s'en trouve d'autres dans la scolie de Caecius, il en est un dans le récit de Vitruve. Ce récit n'est pas d'invention romaine, le mot de poeta nous le dit; il n'est pas de la composition de Vitruve, qui, en sa qualité d'architecte, y eût glissé le Musée, le Sérapéum et le Sébastéum, qu'il connaissait incontestablement : il a été fait d'après les vers de Théocrite, ou d'après quelque tradition alexandrine, par quelque enthousiaste d'Aristophane, réfugié à Rome, et à qui Vitruve l'emprunte.
Pour moi je le prends donc pour le souvenir orné d'une cérémonie qui a, peut-être, été célébrée plus d'une fois dans (157) Alexandrie, soit sous le règne de Ptolémée II, qu'illustrèrent tant de poètes, soit sous celui de Ptolémée VII, qui est également fameux dans les lettres, et qu'honora ce même Aristophane, qui figure en première ligne dans tout ce récit. Ce qui est certain, c'est que l'un et l'autre de ces princes firent pour les études des efforts extraordinaires; que celui des deux qui nous occupe en ce moment aimait singulièrement les fêtes publiques, ainsi que le prouvent les Dionysiaques, ou la grande pompe par laquelle il célébra son association à l'empire, et les cérémonies qu'il ordonna pour son intronisation et pour l'apothéose de son père. Mais, si le texte de Théocrite est décidément en sa faveur, celui de Vitruve ne prouve pas le moins du monde que ce fût Ptolémée H qui fit une institution permanente pour l'encouragement de la poésie. Le texte de Théocrite, joint à la circonstance que les plus illustres poètes vécurent à la cour de ce prince, et à celle que des lectures instituées au théâtre par Démétrius de PhaIère étaient faites régulièrement à Alexandrie, autorise bien à conjecturer qu'on a pu célébrer dès cette époque des jeux littéraires, qui auront pu se répéter au temps d'Aristophane, sous Ptolémée VII, avec des résultats fort extraordinaires, quoique parfaitement expliqués par la différence des temps; mais le texte de Vitruve n'autorise pas même une induction à l'égard de Ptolémée II.
Il en est donc de cette création comme de celle de la première Bibliothèque, comme de celle de la seconde : le zèle de ce favori des traditions alexandrines est le seul fait incontestable ; tout le reste est douteux, et c'est en ce sens que je modifie ce que j'ai dit, il y a vingt ans (6), et ce que tant d'autres ont dit avant ou après moi sur les fameux combats d'Apollon.
Voyons maintenant comment Ptolémée II a protégé les études de géographie et de zoologie. Ici encore nous trouverons (158) les faits altérés par de singulières exagérations. En effet, on ne s'est pas contenté de ce qui a eu lieu, de ce que les anciens rapportent ; aux travaux entrepris, aux explorations faites par les ordres de ce prince, on a encore joint des créations, des établissements permanents. Les anciens parlent de parcs royaux: on en a fait des ménageries scientifiques ; d'objets précieux rapportés des régions méridionales ! on en a fait des musées d'histoire naturelle. A cet égard, Strabon, Diodore, Arrien, Athénée et Pline nous apprendront les faits. « La crue du Nil, par suite des pluies qui tombent dans la Haute-Egypte, dit le premier, a été connue par ceux qui ont exploré le golfe Arabique jusqu'à la région de la cannelle, et à ceux que les Ptolémées ont envoyés là, soit pour la chasse des éléphants, soit pour d'autres motifs; car ces princes s'occupaient de cela, surtout celui qu'on a surnommé Phïtadelphe, qui était curieux de s'instruire (φιλιστορῶν), et qui, à cause de la faiblesse de son corps, cherchait toujours de nouvelles distractions et de nouveaux sujets d'amusement (διαγωνὰς καὶ τέρψεις) ». « La station de Ptolémaïs, dit ailleurs le même écrivain, était le résultat d'une entreprise d'Eumède, que le prince avait envoyé à la chasse aux éléphants, et qui, pour s'assurer une position, entoura une presqu'île d'un fossé et d'un rempart ». A cela Diodore, confirmant les voyages de découvertes et les chasses, ajoute ces cinq faits ! 1° Que le roi y dépensa de fortes sommes; 2° qu'il réunit un certain nombre d'éléphants propres à la guerre ; 3° qu'il procura aux Grecs la connaissance d'autres espèces d'animaux encore inconnues; 4° qu'il montrait aux étrangers, comme la grande curiosité du pays, un serpent de trente coudées, que des chasseurs avaient pris avec des peines incroyables , et qu'on nourrissait avec le plus grand soin ; 5° qu'il envoya Dionysius explorer l'Inde, Satyrus, le pays des Troglodytes, Arisfon, l'Arabie et les régions de l'Océan ». Athénée fait une énumération fort curieuse d'animaux d'Éthiopie , d'Arabie et d'autres régions, qui traînèrent les chars (159) de la pompe dionysiaque, dont nous avons déjà parlé. Pline nous apprend que Ptolémée II envoya dans l'Inde Mégasthène et Dionysius, tandis qu'Artémidore nomme surtout l'amiral Timosthène, et qu'Arrien cite à chaque instant le voyage de Mégasthène, tout en déclarant que l'auteur ne lui parait pas avoir visité une partie bien considérable de l'Inde, et en le traitant d'amateur de fables, comme le fait Strabon (7).
Tels sont les faits connus aux anciens. On le voit, s'ils établissent d'une façon incontestable les voyages et les chasses ordonnés par Philadelphe, ainsi que les soins donnés par ce prince aux animaux rares qu'on lui apportait, ils ne parlent ni de ménageries scientifiques, ni de musées, ni d'aucun genre de collections d'histoire naturelle fondées dans l'intérêt des études. Que des animaux rares fussent entretenus au Musée ou dans le voisinage de cet asile, et que de cette mesure il soit sorti peu-à-peu une précieuse collection d'histoire naturelle (8), cela peut se soutenir comme hypothèse; mais ce qui vaut certainement mieux que de faire des romans de ce genre, c'est de se borner aux indications des anciens, qui ne parlent que d'explorations et de chasses exécutées par ordre de Philadelphe, ou de soins de conservation pris pour les animaux Tares que renfermaient ses parcs. Il est bien naturel de croire que les savants du Musée s'associèrent aux goûts du prince, et que tes deux médecins qui illustrèrent la science sous son règne, Hérophile et Érasistrate, profitèrent de ses parcs pour leurs études d'histoire naturelle, comme Ératosthène et Hipparque, de ses voyages d'exploration, pour leurs travaux de géographie et de cosmographie. Mais ni les travaux de ces savants, (160) ni le plaisir que prenait le prince à montrer aux étrangers des animaux curieux ne fondaient les institutions dont on parle; et je n'ai trouvé nulle trace ni d'un cabinet d'histoire naturelle établi au Musée même, ni d'une ménagerie placée dans son voisinage.
Quant aux études médicales, Ptolémée II les encouragea d'autant plus qu'il était plus souffrant et qu'il avait à sa cour des médecins plus distingués. Ce n'est pourtant pas lui qui appela dans Alexandrie les médecins que nous venons de nommer : il les avait trouvés à la cour de son père. Il y a plus : il ne sut pas les y retenir tous les deux. Erasistrate se retira d'Alexandrie dans l'Asie mineure, où il mourut. On ne trouve pas non plus mention chez les anciens de quelque établissement spécial qu'on eût fait à cette époque pour la science qu'Hérophile, Erasistrate et leurs nombreux disciples cultivaient avec tant de succès, l'anatomie, qui manquait à la Grèce et que l'Egypte pouvait lui enseigner, ne fût-ce que par les opérations auxquelles elle procédait dans les nécropoles.
Nous arrivons aux beaux-arts. Curieux de toute sorte d'instruction et avide de tous les genres de gloire, Ptolémée profita de la paix et des trésors amassés par son père pour prodiguer ses encouragements aux arts, comme aux sciences et aux lettres. On en a pour preuve : 1° la pompe déjà indiquée, où l'on vit figurer des objets d'art d'un grand prix, tableaux, statues, vases, trépieds et ouvrages ciselés; 2° les édifices qu'il fit bâtir dans Alexandrie, et dont la magnificence devint proverbiale, si nous en croyons Philon, qui ajoute qu'on les appelait Philadelphiques (9), adulation qui ne prévalut pas, mais qui explique le nom de Philadelphion, que nous verrons plus tard, donner par imitation au Musée de Constantinople; 3° l'acquisition qu'il fit, sous le généralat d'Ara tus, qui avait besoin de son assistance pour (161) soutenir les glorieuses luttes de la ligue achéenne, des tableaux de l'école de Sicyone (10), qu'avaient illustrée Eupompe, Pamphile et ce même Appelle, qu'on rencontre à la cour de son père.
On le voit, en analysant d'après les anciens ce qu'a fait Ptolémée II pour les études d'Alexandrie, on ne trouve pas toutes les institutions que lui attribuent les scoliastes des temps postérieurs et les écrivains modernes, mais on reconnaît dans la vie de ce prince une singulière générosité et une activité prodigieuse; et à la vue de ces nombreuses acquisitions de tableaux et de manuscrits, de ces récompenses offertes au talent, de ces conquêtes faites sur le génie de la Grèce par voie d'achats, sur celui de l'Asie et de l'Afrique par voie de traduction, de cette exploration systématique des plus curieuses régions de la terre, on comprend ces deux choses : l'enthousiasme que ces travaux excitèrent chez les savants d'Alexandrie , l'éclat qu'ils répandirent sur le Musée.
Quant à l'enthousiasme que donna au monde littéraire le règne de Philadelphe, il se réfléchit dans toutes les traditions alexandrines, au point de les fausser en faveur de ce prince, et de lui faire attribuer non-seulement les créations de son père, mais encore des institutions auxquelles il n'a jamais songé.
Quant à l'éclat que ce beau règne assura au Musée, il suffit de dire qu'à partir de cette époque l'institution de Ptolémée I entra dans le domaine de la renommée, et que de tous les points du monde grec, on vint à la cour de Philadelphe pour en contempler les merveilles.
En effet, si nous avons pu compter dans cette école à peine douze à quatorze membres, du vivant de Ptolémée I, nous trouvons à Alexandrie, sous le règne de son fils, des classes entières de poètes et de philologues, de (162) géographes et de médecins. Quels sont ceux de ces savants que peut revendiquer le Musée, et quelles directions ont-ils dû donner aux travaux de la belle institution du premier Lagide?
Pour ce qui est des poètes, on trouve à la cour de Ptolémée II, outre Philétas de Cos et Philiscus [qui avaient déjà illustré celle de son père, et qui y figurèrent, l'un comma instituteur des fils de Lagus, l'autre comme prêtre de Bacchus], Asclépiade, Sosiphane, Homère le tragique, Alexandre l'Élolien , Lycophron , Callimaque, Apollonius de Rhodes, Théocrite , Aratus, Timon et Solade.
Les trois premiers, Asclépiade, Sosiphane et Homère sont peu connus ; cependant l'un fut le maître de plusieurs poètes distingués d'Alexandrie, et les deux autres sont cités comme membres de la pléiade tragique. Dès-lors il est probable qu'ils turent du Musée tous les trois.
Quant à Alexandre, Lycophron, Callimaque et Apollonius, ils furent polygraphes autant que poètes, et tous les quatre membres de la Bibliothèque et des pléiades. On doit donc inscrire également leurs noms sur le tableau du Musée. Tons les quatre étaient d'ailleurs de véritables types du savant d'Alexandrie.
Alexandre, dont il ne reste plus que des fragments, était estimé comme poete tragique, élégiaque et épigrammatique.
Lycophron, qui possédait une immense érudition, mais dont l'Alexandra ne permet pas de regrets sur les soixante autres tragédies qu'il avait écrites, cultivait les genres les plus divers (11), écrivait des traités sur la comédie, des éloges satiriques et des épigrammes, comme tout le monde en faisait Sous Ptolémée II, et même des anagrammes, qui lui réussissaient mieux qu'à d'autres, si nous en jugeons par celle qu'il adressa à cette même Arsinoé qui avait des (163) goûts plus sérieux et dont nous avons déjà rappelé la correspondance avec le philosophe Straton (12).
Disons, en passant, que ces détails accusent des mœurs de courtisan peu convenables pour un poète du Musée.
On a conclu d'une allusion qui se trouve dans l'Ibis d'Ovide, imitée de Callimaque, que les membres de la Syssitie étaient aussi mauvais confrères qu'adroits courtisans. L'une de ces inductions vaut l'autre; et si l'on a eu tort de rattacher la première à un jeu d'esprit, il ne faut qu'un mol pour apprécier la seconde. Déjà nous avons parlé des Questions et des Solutions qu'on échangeait au palais des Muses. Ces exercices dégénérèrent quelquefois en disputes plus animées que fructueuses ; cela se conçoit, puisque cela se voit partout, mais si Lycophron, ce qu'un vers d'Ovide donne lieu de croire, périt réellement d'une flèche que lui lança un interlocuteur irrité, ce fut là certes une dérogation si violente aux habitudes de discussion établies dans la maison, qu'il n'en faut rien conclure du tout. La question n'avait effectivement rien de personnel, puisqu'il s'agissait de la supériorité des Anciens.sur les Modernes, question où Lycophron eût mieux fait de soutenir l'affirmative que la négative (13).
En général, ce n'est là qu'un de ces contes ornés que les Grecs aimaient à débiter sur leurs écoles ; contes qu'ils débitèrent aussi sur l'Académie, au sujet de la jalousie de Platon et d'Aristote, et qu'on répéta dans Alexandrie au sujet de Callimaque et d'Apollonius de Rhodes; contes qui n'étaient pas de pure invention et auxquels prêtait richement le caractère si connu des Grecs, mais contes où il est difficile de démêler le vrai du faux. Ajoutons don, pour vider (164) cet incident auquel a donné lieu le docte Lycophron , que la vie du troisième des poètes dont nous avons à parler, fournirait texte aux mêmes inductions sur la jalousie et les guerres intestines qui travaillaient le Musée, si des faits isolés prouvaient quelque chose.
En effet, appelé d'Eleusine où il professait avec éclat, Callimaque, qui continuait au Musée à former des disciples, tout en se livrant à des compositions variées et aux travaux de classement que lui attribue l'histoire de la Bibliothèque, paraîtrait avoir exercé dans Alexandrie une sorte d'empire mal accepté de ses confrères et môme de ses disciples; et, soit qu'il leur eût porté ombrage , soit qu'il eût mal vu leurs succès, il aurait éclaté parmi eux des divisions qui sembleraient justifier l'épigramme de Timon.
Ce qui est hors de doute, c'est que Callimaque, qui composait sur tout, hymne , tragédie , élégie , traité d'histoire, récit de choses merveilleuses (14), lança contre celui de ses disciples dont il avait le plus à se plaindre , Apollonius, une satire intitulée Ibis, qui obligea ce dernier à se retirer à Rhodes. Mais ce fait, si grave qu'il serait, s'il n'avait pas d'autres motifs que ceux qu'on lui prête, nous apparaîtrait peut-être sous un tout autre jour, si nous connaissions les offres que la ville de Rhodes, qui avait depuis longtemps une école célèbre et qui combla Apollonius de distinctions, pourrait lui avoir faites.
Quoiqu'il en soit, on ignore si Apollonius, qui était de Naucratis, suivant Athénée, et d'Alexandrie, suivant Strabon, mais qui prit par reconnaissance le surnom de Rhodien, ne fit pas une longue absence d'Alexandrie, et s'il est vrai qu'il a corrigé pendant son exil la première édition de ses Argonautiques, composés d'abord sous l'influence de la poésie (165) lâche et molle de Callimaque, on n'en comprendrait que mieux la retraite du jeune écrivain. On concevrait mieux aussi la pureté classique de son travail, et la faveur dont jouit l'auteur à son retour. En effet, il devint chef de la Bibliothèque, nous l'avons vu, et il fut membre du Musée sous Ptolémée II, car il est évidemment le même Apollonius qui fournit une syllabe de son nom à la plaisanterie dirigée par le prince contre Sosibius (voyez ci-dessus, pag. 94). La preuve qu'on s'est trop exagéré sa polémique avec Callimaque , c'est qu'à sa mort il désira partager la tombe de son maître. Ses disciples, Aristophane et Sophocléas, lui portèrent à leur tour un grand attachement, et le Musée commenta son poëme avant qu'il fût imité à Rome par Térence, Varron et Valérius Flaccus. D'autres savants d'Alexandrie, Théon et la célèbre Hypatie, commentèrent encore ses vers après les imitations dont ils avaient été jugés dignes.
Nous arrivons à la seconde série des poètes, ceux qui figurèrent à la cour de Ptolémée II, attirés par la renommée de ce prince et par celle des institutions d'Alexandrie, mais qui ne furent pas membres du Musée: Théocrite, Aratus, Timon et Sotade.
Théocrite, conduit à Alexandrie par la célébrité de cette capitale autant, peut-être, que par les violences qu'Agathocle exerçait à Syracuse, y fut accueilli avec une bienveillance à laquelle il répondit par de beaux vers; et un instant on pouvait croire qu'il se fixerait sur les bords du Nil puisqu'il y suivait les leçons de Philétas et d'Asclépiade, et se liait d'amitié avec Callimaque, Aratus et Apollonius de Rhodes ; mais rien ne put lui faire oublier sa patrie, où le rappelèrent d'ailleurs les vertus, sinon les faveurs d'Hiéron. On est allé jusqu'à nier son voyage en Egypte : la quinzième de ses idylles l'atteste; la dix-septième le prouverait également; et c'est en vain qu'on lui contesterait ce petit (166) poème (15) ! Cependant il paraît certain qu'il ne fat pas du Musée.
Aratus ne tient pas plus que lui à l'histoire de cette association. Si la renommée d'Alexandrie l'attira en Egypte ; s'il s'y occupa d'études avec Haletas, Callimaque, Théocrite et d'autres ; s'il y vit Timon et peut-être Ménédème, bientôt il quitta le Musée pour la cour de Macédoine. Toutefois, ses poésies portent le cachet du goût alexandrin , et l'école de cette ville tes revendiqua en les commentant pendant plusieurs siècles. (16)
Timon, que son génie laissait à une distance considérable d'Aratus et de Théocrite, refusa aussi de s'attacher au Musée. Elève de Stilpon et de Pyrrhon, ce poète sophiste, qui avait professé à Chalcedoine, convenait parfaitement aux vues de Ptolémée II, et rien ne prouve que ce prince, dont it visita les institutions, en quittant l'Asie-Mineure où il avait fait fortune, l'ait mal accueilli , quoiqu'on ait dit à ce sujet. Peut-être néanmoins sa visite coïncida-t-elle avec quelques-uns de ces débats d'intérieur dont nous avons parte, et soit que ce spectacle l'éloignât du Musée, soit qu'il y redoutât des concurrents, il partit bientôt d'Alexandrie pour s'attacher, comme Aratus, à la cour d'Antigone. Si son épigramme sur le Musée, pièce à laquelle eût répliqué, s'il l'avait voulu, le moindre des poètes d'Alexandrie, ne doit pas faire supposer qu'il a été repoussé de cette compagnie, elle fait croire an moins qu'il y a eu froideur entre lui et les Alexandrins, puisque, au lien de répondre en poètes, ils se vengèrent en critiques, en excluant de leur double pléiade l'auteur de tant de comédies, de tragédies et de silles.
Sotade ne fit non plus qu'une courte apparition dans les régions du Musée; et, si Athénée dit vrai, l'on ne comprend pas qu'il s'y soit montré. En effet, cet écrivain rapporté que Sotade, qui avait fait, sur l'union de Ptolémée II avec sa sœur, une épigramme infâme, se serait enfui d'Alexandrie, aurait été saisi dans l'île de Caunus par Patrocle, général égyptien, et jeté à la mer dans un vase de plomb; Maie il ajoute que le poète parlait mal de Lysimaque à Alexandrie, de Ptolémée auprès de Lysimaque, et d'autres rois dans d'autres villes. Or, si les faits s'étaient succédé dans cet ordre, Sotade aurait vu Lysimaque avant Ptolémée II ; et, dans ce cas, il y aurait une erreur grossière dans la relation de son supplice, car le poète n'aurait été pris qu'au retour dé son voyage auprès du roi de Thrace. Si, au contraire, Sotade était paru d'abord à la cour de Lysimaque, puis à celle de Ptolémée, comment ce prince aurait-il pu accueillir un homme qui le déchirait auprès de Lysimaque, et qui, en Egypte, calomniait un foi de sa famille? Ce récit est donc aussi un de ceux où la tradition à rendu méconnaissable le fait primitif. Mais, ce tait, l'expulsion du poète par le roi, paraît certain ; et l'on aimerait à croire qu'un prince aussi distingué n'a repoussé dans Sotade que l'esprit de licence qui défigurait sa poésie; que, s'il n'a pas voulu souffrir, au milieu d'une population si encline au vice, un auteur qui souillait ce qu'il touchait, c'est qu'il détestait le genre si réprouvé des poésies ioniques. Mais, dans ce cas, il suffisait de renvoyer l'écrivain, sans joindre au bannissement un supplice barbare (17). Ce supplice, en effet, était d'autant plus odieux, qu'à cette époque on tolérait plus imprudemment, dans Alexandrie, des poètes licencieux , que Rhinton et Alexandre l'Étolien, l'un et l'autre auteurs d'Ioniques, étaient tous deux membres du Musée, et qu'on songeait peu à la pureté des principes dans une capitale qui s'est toujours distinguée par la légèreté de ses mœurs. Dès-lors, c'est bien le (168) ressentiment d'une offense personnelle qui domina dans la conduite de Philadelphe à l'égard de Sotade ; et ce prince, donnant la mort à un poète pour une épigramme, se montre plus passionné que l'aréopage littéraire de sa cour, qui n'en venge une autre que par une exclusion des pléiades.
Cette exclusion, toutefois, si elle a réellement suivi la fameuse épigramme, a dû paraître sévère à Timon ; car faire partie d'une des pléiades, était une distinction plus flatteuse que d'être du Musée. Être l'hôte des Lagides, c'était jouir d'un bénéfice; c'était jouir de l'immortalité, que d'être d'une de ces deux constellations poétiques dont le rôle mérite ici une attention spéciale.
L'origine et toutes les destinées des deux pléiades, composées, l'une de poètes tragiques, l'autre de poètes en divers genres , sont inconnues (18). En effet, on ignore quelle est l'autorité qui les constitua ; on varie sur les membres dont elles étaient composées, et l'on manque de toute indication précise sur le rôle qu'elles ont joué. On croit naturellement que ce fut l'un des classificateurs de la Bibliothèque qui composa ces constellations poétiques dans une cité où l'on plaçait parmi les astres jusqu'à la chevelure d'une princesse (Voyez, ci-dessous, Conon) ; et l'on songerait tout d'abord à Callimaque, l'ami de Conon, pour lui attribuer une idée de ce genre ; mais comme ce poète fut de la pléiade générale, et qu'il ne s'était pas décerné cet honneur lui-même; que, de plus, le roi ne se fût pas arrogé le droit de les désigner, on pourrait croire que ce fut la Bibliothèque, ou le Musée, qui votèrent ces distinctions. Cependant, il y a trop de variation sur les noms dont se composaient les pléiades, pour qu'on puisse méconnaître la liberté des classificateurs. En effet, si la plupart des scoliastes mettent de (169) la pléiade générale, Aeantide, Apollonius, Aratus, Callimaque, Lycophron, Nicandre et Théocrite ; de la pléiade tragique, Alexandre, Philiscus, Sosithée, Homère le jeune, Aeantde ou Anantiade, Sosiphane et Lycophron, d'autres retranchent Callimaque de la première de ces deux listes, et remplacent, dans la seconde, le nom de Sosiphane par celui de Sosithée ou de Dionysiade (19). D'autres encore donnent d'autres variantes. Or, de ces canons et de ces variantes il résulte évidemment que la classification fut, non pas un acte officiel une fois consommé, mais une affaire de critique sujette à révision. En effet, si l'on associa aux pléiades les noms les plus illustres de l'époque, on ne voulut pas admettre tous les poètes de la cour, quels qu'ils fussent, et l'on ne s'attacha nullement à composer deux listes, chacune de noms différents, comme on aurait fait s'il eût été question d'une affaire d'amour-propre. Bien loin de là, on ne voulut pas même se borner au monde alexandrin, et si la plupart des poètes qu'on nomma avaient paru un instant en Egypte, plusieurs, et même les plus illustres d'entre eux, l'avaient quittée, les uns pour la Sicile, les autres pour la Macédoine. C'était donc, en résumé, d'une simple classification sans privilège, sans avantage positif qu'il s'agissait.
Cependant cette distinction était, nous l'avons dit, bien supérieure à l'admission au Musée; elle a dû être ambitionnée, puisqu'elle a vécu si longtemps dans la tradition des philologues , et que, quelques siècles après, on datait encore du temps de la Pléiade. (20)
Après les poètes, ce sont les philologues qui forment, sous le règne de Ptolémée II, la principale classe des savants d'Alexandrie ; et aux noms de Zénodote, de Sosibius, de (170) Duris et de Zoïle, qui cultivèrent là philologie, il faut joindre ceux de la plupart des poètes du temps, ainsi que ceux de leurs disciples. Tout favorisait leurs études, tout y aboutissait. On le comprend , sur cette terre étrangère, l'étude des modèles de l'antiquité était indispensable ; et cette étude, vu l'état des textes anciens et les besoins de la Bibliothèque, fut nécessairement critique. La philologie devint donc la science première des savants d'Alexandrie.
Celui d'entre eux qui ouvrit l'immense série de leurs travaux, ce fut Zénodote, qui illustra ses débuts et ceux du Musée par cette édition d'Homère qui fit comparer le règne de Philadelphie à celui de Pisistrate.
La ville d'Alexandrie était vouée au culte dHomère, comme Alexandre, son fondateur. On lisait Homère à la cour, on le récitait au théâtre, on l'expliquait an Musée; on y agitait mille questions sur Homère. Zénodote avait écrit des solutions sur ce poète, Λύσεις Ὁμηρικῶν ἀπορρημάτων. Sosibius son confrère, s'occupa comme lui du texte d'Homère et de la solution des difficultés qui s'y présentaient. Il savait les résoudre toutes ; c'était un explicateur admirable, θαυμάσιος λυτικός dit Athénée. Cependant, sa méthode était si arbitraire, que le roi lui-même la traita de jeu d'esprit. (Voy. ci-dessus, p. 94.)
A ces athlètes de la Lythique et de la Zélétique, sciences favorites des critiques du Musée, vint se joindre un athlète plus audacieux, un homme dont le génie, encouragé dans Alexandrie, eût peut-être préservé de fâcheux excès quelques-unes des meilleures tendances de l'école. Ce fut Zoîle. Mais, loin de l'encourager, on le repoussa. Aux yeux des Alexandrins, Zoïle s'émancipait outre mesure, en critiquant le plus grand des poètes. On ne voulut pas s'apercevoir des défauts de ces compositions dont on révisait et corrigeait les textes avec tant de dévouaient. Que Zoïle reprit le plus brillant des philosophes, Platon, et l'un des meilleurs orateurs, Isocrate, on le supportait: on s'irrita de ce qu'il blâ- (171) mait Homère. Selon Vitruve, Ptolémée-Philadelphe, dont il vint rechercher la bienveillance, aurait écouté la lecture de son ouvrage contre l'Iliade et l'Odyssée,, mais il aurait laissé sans réponse le lecteur. Zoïle aurait toutefois continué à demeurer en Egypte; et, tombé dans le besoin, inopia pressus, il aurait plus tard sollicité la générosité du prince. On lui aurait répondu alors, qu'Homère, depuis mille ans, nourrissait bien des hommes; qu'un écrivain aussi supérieur au poète que Zoïle à son tour devait être en état de se nourrir lui et beaucoup d'autres. Vitruve ajoute que Ptolémée II le fit pendre. II est peu probable qu'il lui ait fait une réponse aussi sophistique, et impossible qu'il ait fait attacher à la croix un Macédonien qui implorait sa munificence. (21) Ce qui est certain c'est que Zoïle en reçut un mauvais accueil, et ce fut un grand tort; mais ce tort se conçoit. Depuis l'exemple donné par Alexandre, l'admiration pour Homère était une sorte d'étiquette chez les princes ses successeurs. Cassandre, roi de Macédoine, savait par cœur l'Iliade et l'Odyssée, copiées de sa main. II les citait sans cesse. A la cour des Lagides l'étude d'Homère était une sorte de culte auquel ils associaient leur capitale. En effet, Démétrius de Phalère fut, selon Athénée, le premier qui produisit au théâtre des Homéristes, ou des gens qui récitaient les poésies d'Homère. A la vérité, Athénée ne dit pas que cette institution fût faite dans Alexandrie; mais quand même Démétrius l'aurait établie d'abord à Athènes pendant qu'il gouvernait cette ville, il serait certain qu'il aurait eu sous ce rapport, auprès de Ptolémée II, le même crédit qu'il avait eu en Grèce, et il est probable qu'il s'en serait servi de même dans Alexandrie (22). La critique de Zoïle y blessait donc les convenances de la cour. Mais Philadelphe devait-il renoncer aux services de ce savant par un motif de cette nature, et le vulgaire des (172) compilateurs faire une sorte de monstre d'un homme qui prenait quelque licence en critique ? L'antiquité elle-même l'a quelquefois traité avec plus de justice (23). En effet, si elle lui a donné le surnom d'Homeromastix (qui châtie Homère), Zénodote le portait aussi; et beaucoup de ces Diorthotes du prince des poètes qui ont si profondément altéré les textes homériques, depuis les grammairiens de Pisistrate jusqu'à Aristarque, eussent mérité cette épithète autant que Zoïle (24).
Dans tous les cas, il est fâcheux qu'une sorte d'étiquette homérique ait privé le Musée, où se trouvaient tant d'enthousiastes, d'un contradicteur aussi courageux, et dont l'audace, si excessive et si injuste qu'elle fût, pouvait conduire, de la critique des syllabes et des mots, à celle des pensées et de la composition, science si peu connue des philologues de la syssitie royale.
Ce qui aurait dû donner à cette classe de savants, dont les travaux ont si malheureusement prévalu sous le règne de Ptolémée II, un peu plus d'élévation, c'est que la plupart des poètes de cette époque, et leurs disciples, partagèrent leurs travaux. En effet, les Callimachéens, et surtout Apollonius de Rhodes, Ératosthène et Philostéphanus de Cyrène, Aristophane de Byzance, Ister et Hermippe suivirent, sous ce rapport, l'exemple de leur maître commun, et joignirent à la poésie la philologie; seulement ils se divisèrent, pour les travaux d'érudition comme pour ceux d'imagination, en une infinité de coteries qui paralysèrent leurs succès.
Quelques-uns de ces disciples furent probablement les confrères du maître, tandis que d'autres firent partie du Musée sous les règnes suivants.
Les historiens, moins encouragés par Ptolémée II, ne se trouvèrent au Musée qu'en petit nombre, sous le règne de ce prince. Après Manéthon, qui fit d'utiles traductions (25), (173) on ne trouve plus que Duris de Samos (26), Antigone de Caryste et quelques autres compilateurs de l'école de Callimaque, tels qu'lster et Pbilostéphanus qu'on puisse considérer comme autant de membre du Musée. Manéthon lui-même, né à Diospolis, fut grand-prêtre à Héliopolis ; et s'il est probable qu'on l'attira dans les palais d'Alexandrie, il n'est pas certain qu'il s'y fixât. Dans tous les cas, je doute qu'on puisse inscrire un autre prêtre, Mélampus, au nombre des écrivains d'Alexandrie, qui auraient traduit de l'égyptien en grec sous le règne de Ptolémée II. (27)
Quant aux philosophes attirés par Ptolémée I, il paraît que son fils les négligea complètement. Quoiqu'il eût reçu des leçons de Straton, jamais il ne montra le moindre goût pour la philosophie, et l'unique démonstration qu'on trouve, sous son règne, en faveur de cette science, c'est le fait d'une lettre échangée entre Arsinoé et le disciple de Théophraste. (Voy. ci-dessus, p. 123.) En effet, sous ce long règne, je ne trouve pas un seul philosophe que je puisse rattacher au Musée avec quelque certitude; car, quand même le Ptolémée à qui l'épicurien Colotès adressa un ouvrage que réfute Plutarque (28), serait le deuxième de ce nom, rien ne prouverait que l'auteur serait allé résider près de lui en Égypte.
Ptolémée Soter avait encouragé la géométrie, et s'était mis au nombre des disciples d'Euclide, qui en eut beaucoup. Il paraît que le deuxième des Lagides ne protégea pas cette étude; car Euclide n'eut aucun élève remarquable sous ce règne.
Ptolémée II favorisa davantage l'astronomie et la cosmographie ; et toutefois nous ne trouvons auprès de lui, pour cultiver ces sciences, qu'Aristille et Timocharès; car Conon appartient à une époque un peu postérieure.
(174) L'étude, que Ptolémée, en raison de sa mauvaise santé , aimait le plus après celle des lettres c'était la médecine ; il protégea si puissamment les travaux d'Erasistrate et d'Hérophile, installés par son père, qu'ils créèrent pour lés Grecs la science de l'anatomie, que l'Egypte possédait depuis longtemps.
Hérophile, de la famille des Asclépiades, et élève de Proxagoras de Cos, avait illustré son nom par d'importants voyages. Erasistrate, petit-fils d'Aristote, élève de Théophraste et fondateur de l'école de Smyrnè, avait déjà un nom quand il vint en Egypte. Rapprochés par Une protection commune, ces deux hommes éminents fondèrent à Alexandrie deux écoles différentes, où ils attirèrent de nombreux disciples, et où la science fit d'autant plus de progrès que leur émulation mutuelle provoquait plus de travaux et plus de discussions.
Toutefois, Erasistrate ne voulut pas soutenir la lutte jusqu'au bout de sa carrière; il quitta le théâtre de sa plus grande illustration pour l'Asie mineure, où il mourut (29), et il n'est pas certain que les plus célèbres disciples de ces deux grands maîtres, Philinus de Cos, Sérapion d'Alexandrie, Straton de Béryte et Démétrius d'Apamée, se soient fixés à la cour des Lagides. Strabon parle, au contraire, d'un Didascalée d'Hérophiliens, qui florissait de son temps dans un temple de Phrygie (entre Laodicée et Carura), et d'une école d'Erasistratiens, fondée à Smyrne par Hicésius. (30)
Ptolémée II, qui présida aux études d'Alexandrie avec des tendances un peu exclusives, mourut la 3e année de la 133e olympiade (246 ans avant J.-C.), après un règne de 36 ou 38 ans, suivant que l'on compte ou rejette les deux années qui lui furent communes avec son père.
En résumé, la Bibliothèque et le Musée, ou l'école d'Alexandrie, offrent sous ce règne la situation suivante:
175 Bibliothèque du quartier du palais : 400,000 volumes commixtes; 90,000 ou 140,000 volumes simples.
Bibliothécaires en chef: Zénodote, aidé d'abord d'Alexandre l'Étolien et de Lycophron, puis de Callimaque; enfin Callilaque aidé dEratosthène.
Bibiiothèque du Sérapéum ; préparée par l'acquisition de 42,800 rouleaux à l'état de commixtes.
MUSÉE ET PERSONNAGES QUI S'Y RATTACHENT :
1° Philétas, Philiscus, Zénodote, Asclépiade, Euclide, Lycus, Aristille et Timocharès, Hérophile, Erasistrate, Entrés sous Ptolémée I
2° Callimaque, Lycophron, fils de Lycus,, Apollonius de Rhodes, Aptigone de Caryste, Conoo, Soter, * Sosibius, * Sosigène, *Entrés sous Ptolémée II * Ces quatre membres, peu connus, nous sont indiqués par l'anecdote d'Athénée, v. ci-dessus, p,
3° Manéthon. Membre douteux.
4° Théocrite, Aratus, Callixène**. ** Auteur de la description de la pompe qui fut célébrée pour la couronnement de Philadelphe.
5° Chrysippe, le médecin, à distinguer de Chrysippe de Cnide, maître d'Eristrate, et de Chrysippe, élève de dernier. Hôte accueilli avec distinction, mais dont l'intimité avec première Arsinoé fut cause de l'exil de cette princesse.
(176) 6° Timon, Sotades, Zoïle, Hôtels froidement accueillis ou durement repoussés.
7° Philostephanus, Ister, et autres Callimachéens, Démétrius d'Apamée, Straton de Béryte et autres médecins, Disciples de membres du Musée, et membres probables.
8° Timosthène, Mégasthène, Dionysius , Satyrus, Ariston, Eumède, Explorateurs dont les travaux se rattachent à ceux du Musée.
9· Archimède, auditeur de Conon. Les Septante. Colotès. Hôtes douteux
Ce tableau est plus considérable que celui de toute autre école grecque du temps, et que celui d'aucun autre règne de la dynastie. Sous ce rapport, l'époque de Ptolémée II est l'ère la plus glorieuse de la célèbre école. Mais si ce tableau atteste, par les noms qui y brillent, l'impulsion que le prince sut donner à certaines études, il prouve, par l'absence d'autres noms, qu'un changement profond a été apporté aux institutions de Ptolémée Ier. En effet, ce n'est plus ni d'une réunion de philosophes ou de moralistes, d'une institution intermédiaire entre l'école moitié philosophique, moitié littéraire d'Athènes, et le collège moitié religieux, moitié politique d'Héliopolis, qu'il s'agit désormais, c'est d'une école purement grecque, d'une école de littérature, de médecine et de cosmographie, d'une école qui chaque jour détient plus étrangère à ces études de religion, de morale, de politique, de philosophie et d'histoire qu'avaient protégées Démétrius de Phalère et son royal ami. Dès-lors aussi la nouvelle institution, quelque ardeur qu'elle puisse apporter, soit à ses jeux poétiques, soit à ses discussions de philologie, d'ana- (177) tomie, d'histoire naturelle et de géographie, deviendra chaque jour plus étrangère à l'Egypte, s'isolera davantage, et sera frappée d'une stérilité morale plus profonde.
En effet, ce curieux travail des Septante qu'avait préparé le roi précédent une fois achevé, il n'est plus question de ce qui avait préoccupé les deux créateurs des institutions littéraires d'Alexandrie. Tous les desseins politiques qu'ils y avaient rattachés sont abandonnés par leurs successeurs; ils sont oubliés eux-mêmes comme leurs desseins, et leurs noms disparaissent des traditions. Si celui de Démétrius y conserve un souvenir, c'est grâce à l'erreur qui le croyait conseiller de Philadelphe, et Plutarque, qui indique si bien le but qu'avait eu Ptolémée Ier, dépeint ce changement, lorsqu'il dit que Ptolémée II protégea les discussions de critique et de littérature (31). Cependant les philologues qui avaient joui de ses prédilections, loin de parler de son père et des vues qu'il avait poursuivies, ne songèrent qu'à payer les grâces que leur avait prodiguées le fils. Ils firent leur favori de leur élève et de leur confrère, le type du patron des lettres, du prince qui leur avait montré tant de prédilection. Ils en firent l'auteur de toutes les institutions littéraires d'Alexandrie, et le troupeau des scoliastes, plein de déférence pour ceux qui les nourrissaient en leur fournissant des mots à éplucher, ne sut que renchérir d'admiration pour le souverain qui raillait Sosibius, écartait Timon, repoussait Stilpon, assassinait Sotade, exilait Démétrius, mettait à mort le médecin Chrysippe (32), repoussait les historiens (33), abandonnait à sa femme le soin de correspondre avec les philosophes (35), dépensait des sommes immenses pour ses chasses sur les bords de la mer (178) Rouge, amassait un grand nombre d'éléphants, et montrait aux étrangers, comme le plus beau monument de ses explorations, l'énorme serpent qu'avaient attrapé ses émissaires.
En résumé, ce qui caractérise le mieux le règne de ce prince c'est cet esprit d'ostentation royale que révèle la pompe ou plutôt la parade moitié religieuse moitié profane, et par cela même dénuée de sens, par laquelle il débuta, parade où figurèrent celles des divinités grecques auxquelles il se plaisait à rendre hommage, les animaux rares qu'il faisait recherchera grands frais, tous les objets d'art et de luxe qu'il avait pu ramasser en Grèce et en Egypte, parade dont un écrivain distingué fait à tort, je crois, une cérémonie tout égyptienne, en substituant aux noms de Dacchus, de Sémélé et de Jupiter, que donne le texte d'Athénée, ceux d'Osiris, d'Isis et d'Amoun-Ré (34), qui sont ici d'autant plus déplacés que tout est grec dans les tendances et dans les travaux de Ptolémée II.
Quand le même écrivain dit que Ptolémée II employa Hégésias à lire Hérodote, et Hermophante à lire Homère, il oublie d'ajouter, que c'était au théâtre. (36)
Fêtes décrites par Athénée ou par Théocrite (37), travaux du Musée et de la Bibliothèque, collection d'objets d'art et de science, tout porte en effet le même cachet sous le règne de ce prince.
De l'an 246 à l'an 146 avant Jésus-Christ.
CHAPITRE PREMIER.
ÉTAT GÉNÉRAL DES INSTITUTIONS LITTÉRAIRES D'ALEXANDRIE DEPUIS LA MORT DE PTOLÉMÉE II PHILADELPHE , JUSQU'à CELLE DE PTOLÉMÉE VI PHILOMÉTOR.
On date ordinairement de la mort de Ptolémée II la décadence de l'école d'Alexandrie, et cette erreur tient aux exagérations que les poètes et les scoliastes débitent sur les travaux de son règne. Nous venons de voir à quoi se réduisent leurs exagérations. Toutefois, si ce prince n'a pas doté sa capitale de toutes les institutions qu'on lui attribue ; s'il a mis plus d'ostentation que de goût dans le puissant patronage qu'il a exercé sur la Bibliothèque et le Musée, sur les lettres et les arts; s'il a changé d'une manière fâcheuse la pensée primitive de son père, parla direction qu'il a imprimée aux travaux des savants; si, d'une sorte de sanctuaire et d'une école de civilisation générale, mixte, il a fait une école toute grecque; s'il a substitué aux études d'histoire et de philosophie protégées par son père, de simples investigations de géographie et d'histoire naturelle, ou même des chasses et des voyages vulgaires; si, au lieu de fortifier les croyances (180) religieuses de ses sujets, il leur a présenté de vaines pompes ou de folles parades ; enfin, si au lieu de respecter les mœurs, il les a scandalisées par sa conduite, il n'en est pas moins vrai que son rogne avait jeté de l'éclat et laissé de brillants exemples. Ptolémée II avait favorisé les travaux de l'esprit, augmenté la Bibliothèque, donné à cet établissement une organisation qui liait ses successeurs, et assuré à sa dynastie, dans le monde grec, une gloire qu'ils devaient chercher à maintenir. Son fils a-t-il marché sur ces traces ou préféré celles du chef de sa maison? Et les successeurs de Ptolémée III ont-ils, à leur tour, suivi ce système de protection adopté par le premier de leurs ancêtres, ou bien ont-ils livré l'école d'Alexandrie aux caprices de leurs goûts et aux inspirations des circonstances?
D'après l'opinion reçue, ces princes se seraient peu occupés de l'école d'Alexandrie, et, immédiatement après Ptolémée II, la Bibliothèque et le Musée auraient commencé leur carrière de décadence. Mais, s'il est vrai qu'on a parlé de Philadelphe plus que d'aucun autre membre de sa dynastie, nous allons voir néanmoins que l'opinion générale est fort inexacte à cet égard, que plusieurs autres Lagides ont fait, pour les institutions littéraires créées par Ptolémée Soter, les efforts les plus généreux, et que, dans des circonstances plus heureuses, ils auraient peut-être rendu à ces institutions des services plus importants que ceux de Philadelphe.
Quant au fils de ce prince, il comprit parfaitement la politique élevée de son aïeul, et, s'il n'eût dépendu que de lui, il aurait ramené à leur point de départ ces mêmes établissements qu'avait altérés l'esprit d'ostentation et de vaine curiosité de son père. A la vérité, il y eut de la mollesse dans les mœurs de Ptolémée III comme dans celles de Philadelphe ; mais si sa conduite privée n'est pas à l'abri de censures légitimes, dans son gouvernement et dans sa conduite publique il déploya néanmoins plus de fermeté et des vues plus éle- (181) vées. Son regard embrassa l'Orient et la Grèce, comme les contrées voisines de ses frontières, à l'est et au sud. Blessé dans ses affections de frère et dans ses droits de prince, il fit à Séleucus II la plus constante et la plus glorieuse des guerres qu'ait soutenues sa dynastie ; il envahit la majeure partie de l'immense empire des Séleucides, y laissa des garnisons, garda la Syrie et, comme pour consoler les Egyptiens des pompes toutes helléniques de son père, il ramena en triomphe les statues enlevées à l'Egypte par Cambyse.
Rome lui offrait des secours; il les déclina avec politesse.(38)
En Grèce, il soutint avec une grande générosité la ligue des Achéens, et dirigea en même temps de ses conseils le roi de Sparte, Cléomène, qui luttait contre le despotisme macédonien. Enfin, après la désastreuse bataille de Sellasie, il reçut ce prince dans son palais.
Dans les régions méridionales, il continua les explorations de géographie et d'histoire naturelle commencées par Philadelphe (39). Si l'on en croyait la partie du monument d'Adulis qui se rapporte à son règne, et qui fut peutêtre composée par Simmias, son envoyé, il aurait marché sur les traces de Sésostris. (40)
Il marcha sur celles d'Alexandre, en protégeant l'ancien culte du pays (41). Le premier de sa race il visita Thèbes, et plusieurs temples furent érigés par lui aux anciennes divinités de l'Egypte (42). Il prit l'épithète de Chéri de Phtha, le dieu de Memphis, qu'adoptèrent la plupart de ses successeurs dans les inscriptions hiéroglyphiques. (43)
(182) La veine sa femme, dont l'héroïque sacrifice, une boucle de cheveux offerte aux dieux, sacrifice amené par les guerres d'Assyrie, a été célébré par un astronome et deux poètes (Conon, Callimaque et Catulle), paraît s'être rattachée davantage aux institutions de la Grèce, à en juger par le sacerdoce qu'on fonda en l'honneur de Bérénice Athlophore, à l'imitation de celui d'Arsinoé Canéphore. Toutefois, c'est à peine si l'on peut prendre ces institutions au sérieux. C'était pour se conformer aux préjugés de l'Orient qu'Alexandre avait fait proclamer sa divinité ; c'était dans les mêmes vues politiques qu'agissaient les Lagides: pour les Grecs d'Alexandrie ces sacerdoces n'étaient guère que des jeux un peu graves.
En voyant la reine offrir sa chevelure aux dieux, les astronomes mettre cette chevelure parmi les astres, les poètes chanter ce sacrifice succédant au sacrifice d'un taureau, les prêtres grecs instituer des sacerdoces en l'honneur de deux princesses, et le conquérant de la Syrie, de retour de son expédition, aligner des épigrammes, car Ptolémée III en composa , on se fait une idée de la frivolité qui dominait alors dans la nouvelle capitale de la vieille Egypte. Cependant Euergète fit pour la cause des lettres plus que des épigrammes. S'il n'est pas exact de dire, comme on l'a fait, qu'il se soit appliqué à réunir encore plus de livres que son père (44), il a du moins le mérite d'avoir mis à la tête de la grande Bibliothèque l'homme le plus éminent de l'époque, Eratosthène. Peut-être fonda-t-il la seconde. Dans l'incertitude où l'on demeure à cet égard, les probabilités sont en sa faveur. En effet, on peut lui attribuer aussi bien qu'à Euergète II ou Ptolémée Vil l'acquisition des autographes d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, que Galien attribue simplement à Euergète (45). Ce n'est pas certes par la raison, qu'il a dans l'histoire une réputation meilleure que son descendant, puis- (183) qu'au contraire cette acquisition, accompagnée d'une fraude, convient le mieux à un prince de mauvaise réputation, mais bien par cette raison, qu'Euergète Ie' aimait, comme «on père, les choses rares et précieuses. Au surplus, cette revendication , que je crois hasardée, serait incontestable, qu'elle n'établirait pas ce qu'on veut, la supériorité de ses acquisitions sur celles de Ptolémée II.
Ce qu'on peut admettre, quand on considère l'empressement de ce prince à honorer l'ancien culte du pays, c'est que ce fut lui qui fit déposer une collection de livres au Sérapéum, et qu'il devint ainsi l'un des créateurs de la seconde Bibliothèque d'Alexandrie. D'abord, il entrait dans ses vues plus que dans celles de Philadelphie, à qui les scoliastes attribuent cette création, de rallier aux intérêts de sa dynastie et aux travaux du Musée un sanctuaire qui prenait chaque jour plus d'importance, et qui devait bientôt représenter tout le polythéisme d'Alexandrie. Ensuite, c'est sous son règne qu'Eratosthène a dû faire ce relevé qui nous a donné le chiffre de la collection naissante.
A l'honneur d'avoir fondé cette collection, un moderne ajoute celui d'avoir institué les combats poétiques dont l'origine est laissée dans le doute par Vitruve. (46)
Toutefois, ce qui seul est certain, au milieu de ces probabilités, c'est le bibliothécariat d'Eratosthène. En effet, le plus érudit des disciples de Callimaque, le savant le plus universel d'Alexandrie, fut appelé à la tête de la grande Bibliothèque vers la 135e olympiade, et il demeura le gardien en chef de ces trésors jusqu'à la 146e olympiade. La simultanéité de plusieurs bibliothécaires était alors établie, et le prince qui avait nommé Eratosthène, ne tarda pas 5 lui adjoindre, d'abordApolloniusdeRhodesversIal44e olympiade, puis, à la mort de ce savant (olym. 145e ), Aristophane de Byzance, autre élève de Callimaque. De cette sorte, le célè- (184) bre vieillard put conserver son poste jusque dans ses derniers jours. (47)
Une époque où des hommes aussi éminents présidèrent aux deux Bibliothèques, pouvait être brillante encore; elle ne le fut qu'en partie. Le successeur d'Euergète Ier, Ptolémée IV, que ses courtisans surnommaient Philopator et Eupator (48), tandis que la voix publique lui jetait l'épithète de Gallus, protégea les lettres, ou du moins la poésie, et fit ériger à Homère une sorte de sanctuaire (voy. ci-dessus, p. 59), qui fut un hommage littéraire plutôt que religieux, mais qui dut émouvoir singulièrement la syssitie royale et la ville d'Alexandrie, l'une et l'autre consacrées au culte d'Homère, et dont l'une corrigeait sans cesse les vers du prince des poètes, tandis que l'autre les applaudissait tous les soirs au théâtre. L'histoire n'a pas conservé d'autre preuve du patronage que ce prince a pu exercer sur la littérature ; et à considérer cette vie si cruelle et si débauchée, ces supplices prononcés contre un frère, une mère, une sœur, la mère, la femme et les enfants du malheureux roi Cléomène, l'hôte de son père, on dirait d'un barbare qui n'a fait construire l'Homérion que par une sorte d'ostentation. Ce serait une erreur.
Si Philopator a été cruel envers ceux qui embarrassaient son gouvernement; s'il a persécuté les Juifs (49), qui professaient tant d'attachement pour sa dynastie, il n'a pas manqué d'honorer la religion et la philosophie. La mauvaise com- (185) pagnie dont il s'entourait (50), et la ferveur licencieuse avec laquelle, vêtu en Galle, il célébrait les orgies de Cybèle, ont été pour la malignité alexandrine l'occasion de ces sobriquets qu'elle prodiguait volontiers, et l'incurie avec laquelle il abandonnait les affaires à la mère et au frère de sa maîtresse, Agathoclée, méritait des qualifications plus sévères ; mais il protégea le culte du pays et appela le stoïcien Cléanthe au Musée. Deux historiens du temps, Ptolémée, fils d'Agésarchus, qui a fait sa biographie, et Timée, qui écrivit celle de cette époque, de manière toutefois à mécontenter Polybe (51), avaient sans doute recueilli d'autres traits de son amour pour les études.
Lorsqu'une mort prématurée eut livré son sceptre à Ptolémée Epiphane ou Euchariste, enfant de cinq ans, ce furent d'abord trois ministres, Agathoclès, Sosibius et Tlépolème, qui se disputèrent le gouvernement, associant à leurs fureurs la population si passionnée d'Alexandrie. Quand ils se furent égorgés ou renversés, ce furent deux autres ministres, Aristomène et Scopas, qui continuèrent leurs divisions, et quand Scopas eut été mis à mort, ce fut enfin, après cette intronisation que rappelle l'inscription de Rosette faite à Memphis et déposée à Londres, entre le jeune roi et Aristomène qu'éclata la division. Dirigé par Polycrate et Aristonicus, Epiphane fit mourir par le poison l'ambitieux ministre qui lui disputait le pouvoir (52), et tuer les chefs des rebelles qu'on soulevait contre lui, mais il mourut sans avoir terminé la guerre civile ni commencé celle qu'il projetait contre Séleucus IV, l'an 181 avant J.-C.
Il est à supposer que la Bibliothèque et le Musée furent également négligés pendant ces débats si longs et si violents. Cependant il n'est pas probable qu'un Lagide n'ait (186) rien fait pour les lettres, et Epiphane peut revendiquer sans doute quelques-unes des louanges que les historiens donnaient indistinctement aux Plolemées, embarrassés qu'ils étaient de ne pouvoir leur demander à eux-mêmes duquel d'entre eux il s'agissait, pour nous servir d'un mot piquant d'Elien. (53)
A partir de la mort d'Epiphane, il y eut plus de calme dans la ville d'Alexandrie, grâce à la régence de Cléopâtre, mère du jeune Ptolémée VI Philoméior, et à la tutelle que M.AemiliusLépidus vint exercer sur le roi d'Egypte, au nom du sénat de Rome (54). Mais lorsqu'à la mort de Cléopâtre, Lenaeus et l'eunuque Eulaeus se furent emparés du pouvoir, ils entraînèrent le jeune prince dans une guerre désastreuse contre le roi de Syrie. L'Egypte avait à revendiquer la possession exclusive do la Phénicie, mais une minorité et le règne d'Antiochus étaient peu favorables à cette entreprise. Antiochus, vainqueur d'une armée mal commandée, envahit le royaume, et s'en fit proclamer le chef à Memphis, sous prétexte de mieux conserver le trône à son neveu, tombé entre ses mains (170 ans av. J.-C). Quels que fussent ses desseins, ils furent déjoués par les Alexandrins, qui proclamèrent roi le frère de Philométor, Ptolémée VII, surnommé Euergète par la cour, et Physcon ou Kakergète par le peuple. La révolte des Juifs de Syrie, qui força le conquérant de rentrer dans ses états ; le parti que prirent les deux rois d'Egypte conseillés par leur mère, de repousser en commun l'invasion étrangère, et enfin le cercle magique que la baguette de Popilius traça autour des pas d'Antiochus, qui était revenu à la tête d'une armée jusque sous les portes d'Alexandrie, sauvèrent l'indépendance du pays ; mais la capitale fut deux fois assiégée pendant cette lutte, la Syrie perdue pour l'Egypte, et la guerre civile jetée jusque sur les marches du trône. En effet, elle y éclata entre (187) les deux princes dès l'an 464 ; et Ptolémée VIl, repoussé par la population alexandrine, fut si efficacement protégé par le sénat de Rome dont il alla solliciter l'assistance, qu'il eut d'abord la Cyrène et la Lybie, puis encore la Cypre, et enfin, à la mort de son frère, l'Egypte elle-même.
Dans des temps aussi agités, il ne resta aux Lagides que peu de loisir et de moyens pour l'encouragement des études. Quand ces princes manquaient d'argent au point de menacer quelquefois leurs meilleurs amis d'emprunts redoutés, ils négligeaient forcément les acquisitions que reclamait la nouvelle Bibliothèque, (car il parait que l'ancienne ne pouvait pas contenir au-delà des 500,000 volumes qu'elle reçut sous le règne de Philadelphe), et n'appelaient au Musée que le nombre d'hôtes qu'entretenait cette institution elle-même.
Cependant Philométor eut les moyens de bâtir des temples à Isis, à Sérapiset à Antée (55), et les deux Bibliothèques continuèrent à subsister sous la direction d'hommeséminents.Nous avons vu qu'elles furent présidées par des disciples de Callimaque, jusqu'à la 448* olympiade (186 ans avant J.-C). A cette époque, Aristophane eut pour collaborateur son futur successeur, Aristarque, qui garda ses fonctions jusque sous le règne de Ptolémée VII, un de ses élèves. C'étaient là les premiers savants du monde grec, et si faibles que fussent les ressources que l'état pouvait affecter au service des collections littéraires, il est impossible qu'elles n'aient pas été augmentées par leurs soins. Le travail des Chorizontes continuait et fournissait au Sérapéum des ouvrages examinés, complétés, débarrassés de toute addition frauduleuse. Moins on acquérait, et plus le travail des examinateurs était exact. L'activité des copistes ne fut pas suspendue non plus à une époque où Aristophane et Aristarque révisaient eux-mêmes les textes d'Homère et les Tableaux de Callimaque. Peut-être y eut-il aussi quelques traductions de faites à une époque où Eratosthène qu'on aimait à imiter traduisait de l'égyptien. On a (188) dû naturellement traduire, examiner et copier d'autant plus qu'on achetait moins ; et nous ne pouvons jamais perdre de vue qu'Alexandrie était essentiellement une fabrique de livres comme Aulu-Gelle le dit fort bien. (56)
La situation du Musée offre aussi quelques faits à remarquer plus particulièrement.
DU MUSÉE.
Les indications sur cet établissement sont rares pour cette époque, il est vrai, et l'on n'a pour en faire l'histoire, que quelques noms propres et quelques faits généraux. Toutefois ces notions suffisent pour établir que la situation de la syssitie fut aussi prospère que celle des Bibliothèques. En effet, grâce à l'indépendance qu'assuraient au Musée ses revenus, on y trouve, sous ces règnes si orageux, des études plus variées et plus fortes qu'en aucun autre temps. Si les poètes sont moins nombreux, les philologues (les grammairiens et les critiques prennent désormais ce nom à l'exemple d'Eratosthène) le sont davantage. Les historiens et les philosophes, dédaignés sous Philadelphe, reparaissent à la cour des Lagides, et se vengent par d'estimables travaux de l'indifférence qu'on leur avait montrée. Les médecins et les mathématiciens sont également nombreux.
Et d'abord, si l'on prenait pour des poètes tous ceux qui firent des vers à cette époque, on en trouverait une liste considérable, car la plupart des philologues y prendraient place. Mais après Callimaque dont les derniers chants dominèrent ces générations, Eratosthène, Apollonius de Rhodes, Aristonyme, Machonet Rhianus sont les seuls écrivains qu'on puisse considérer comme des poètes.
Eratosthène qu'on trouve dans toutes les catégories des savants, composa, sous le titre d'Arsinoé, un petit poème qui était en tout point au-dessus de toute critique (57).
Quant à Apollonius, il fit école, redressa les aberrations (190) de Callimaque, et rendit à la poésie quelque chose de son antique simplicité (V. ci-dessous, p. 164).
Aristonyme fut un des derniers poètes comiques, mais nous ignorons son mérite, n'ayant plus de lui qu'un vers et les titres de deux pièces, Thésée et te Soleil qui gèle. (58)
Rhianus fut plus tard, quand Rome imita Alexandrie, l'objet d'honneurs extraordinaires: L'empereur Tibère imita ses vers et flt placer son portrait ainsi que ses ouvrages dans les Bibliothèques publiques, avec ceux des hommes distingués.(59)
Machon vit ses comédies applaudies au théâtre.
Peu nombreux pour tout un siècle, ces poètes suffirent à l'entretien du feu sacré à une époque où tout le monde lisait, récitait, écoutait, éditait les vers d'Homère. Ce qui manquait le plus à leurs compositions c'était la variété. Aristonyme et Machon se bornèrent à la comédie , Rhianus ne se distingua que dans la poésie didactique , la seule que l'on pût cultiver encore avec quelque chance de succès.
Il paraît toutefois que le drame était fort encouragé à cette époque, puisque les pièces de Machon eurent l'honneur d'être représentées au théâtre d'Alexandrie et conservées avec un tel soin, qu'Athénée les retrouva encore. Pour nous, si nous devions les apprécier d'après une dixaine de vers qu'on en a sauvés, nous jugerions avec sévérité un poète qu'on mettait alors sans façon après les sept grands comiques. En effet, tout ce qui nous en reste roule sur la valeur d'un mets, appelé Mattya (60). Il en serait de même de Rhianus, dont il nous est resté aussi quelques fragments. (61)
A une époque où toute la ville d'Alexandrie était passionnée pour Homère, où elle s'occupait de l'Iliade et de l'O- (191) dyssée, au Musée, à ta Bibliothèque, au théâtre ; où l'on professait pour ta poésie épique et la poésie dramatique du passé un culte exclusif, il était difficile qu'il y eût beaucoup de poètes qui osassent hasarder des compositions auxquelles les circonstances étaient si peu favorables.
A cette époque tout invitait, au contraire, aux travaux plus modestes de l'érudition et de la critique. C'était là ce qui convenait au milieu de tant d'orages. Les savants paraissent l'avoir compris. Grâce aux célèbres bibliothécaires que nous avons nommés, et aux nombreux disciples qu'ils formèrent, la philologie prit dans ce siècle même son plus grand essor; non-seulement les études d'Eratosthène , d'Aristophane et d'Aristarque devinrent les études favorites d'Alexandrie, mais elles prirent sur celles de leurs prédécesseurs et de leurs émules de Pergame et d'Antioche, pour ne pas parler de ceux d'Athènes, un tel degré de supériorité, qu'elles les éclipsèrent complètement. Il paraît qu'il y eut alors au Musée des générations nombreuses de critiques et de philologues. En effet, aux travaux et aux théories d'Eratosthène se rattachèrent ceux de Ménandre , de Mnaséas, d'Aristès et d'Aristophane, à ceux d'Aristophane, ceux d'Agathias de Corcyre, de Diodore, de Callistrate et d'Aristarque ; à ceux d'Aristarque, ceux de quarante disciples qui eurent un nom dans la science.
Cependant si Aristarque eut ce nombre d'élèves célèbres, et si le chiffre de quarante ne doit pas s'entendre de ses simples auditeurs, il eut aussi dans Zénodote d'Alexandrie un rude adversaire.
Entraîné par le mouvement philologique, qui se rattachait toujours à ce culte d'Homère devenu une sorte d'étiquette de cour depuis Alexandre et qu'animait le sanctuaire érigé au poète dans Alexandrie, les princes eux-mêmes se passionnèrent pour les travaux de la critique. Celui qui régna plus tard sous le nom de Ptolémée VII, et qui avait pris des leçons d'Aristarque, se fit mettre par ses travaux sur Homère au nombre des Diorthotes de ce poète.
(192) Nous avons dit que plusieurs de ces philologues furent poètes ; d'autres se firent historiens. Ils s'occupèrent d'abord des destinées des lettres et revirent ou complétèrent le travail le plus important qu'ait exécuté dans ce genre la savante école d'Egypte, les Tableaux de Callimaque. Cette révision fut faite, en premier lieu, par Aristophane, en second lieu, par Aristarque, dont la critique plus sévère élagua des catalogues classiques tous les auteurs de son temps. (62)
D'autres philologues se livrèrent à des compositions de biographie et d'histoire générale. Hermippe de Smyrne, disciple de Callimaque, composa, peut-être d'après les Tableaux de son maître, sur les philosophes les plus célèbres, des notices dont profita plus tard Diogène de Laerte, circonstance qui explique les renseignements si étendus que cet écrivain donne sur les philosophes en général et en particulier sur les savants d'Alexandrie, leurs ouvrages, et même les épigrammes qu'ils provoquaient (63). Ptolémée de Mégalopolis eut le courage d'écrire la vie et le règne de Ptolémée Philopator, ouvrage souvent cité par Athénée (64). Timarque de Rhodes et Euphorion, contemporains d'Apollonius de Rhodes; Philarque de Naucratis, à qui d'autres donnent pour patrie Athènes ou Sicyone, Artémidore et Diodore, disciples d'Aristophane, se firent aussi remarquer comme historiens. Enfin, Nymphis d'Héraclée paraît avoir écrit après son histoire d'Alexandre, des successeurs de ce prince et des fils de ces successeurs, une histoire spéciale des Ptolémées (65).
Mais si l'on peut, à juste titre, revendiquer ces écrivains à l'école d'Alexandrie, il faut assurément retrancher de ce tableau Chrysippe de Soles qu'on y a porté par er- (193) reur (66), rien ne nous apprend que ce savant fût jamais du Musée. (67)
Il est douteux aussi que Piiilochore d'Athènes, que l'on compte au nombre des écrivains d'Alexandrie et qui fut quelque temps gouverneur de l'île de Chypre, ait été membre de la syssitie royale. Ce cumul qu'on voit sous la domination romaine , dans la vie du sophiste Polémon, qui fut gouverneur d'une province et membre du Musée, ne se rencontre pas sous la domination des Lagides. Il est donc probable que Philochore, qui visita sûrement Alexandrie, ne fut pas de la syssitie ; la tradition nous eût appris sur son compte une circonstance si curieuse. D'un autre côté il parait impossible qu'un Athénien aussi distingué dans les lettres que Philochore n'ait pas eu de relations avec l'école d'Alexandrie.
Un autre historien, mais plus éminent, Agatharchide, profita des travaux du Musée, des ressources de la Bibliothèque et des voyages ordonnés par les Ptolémées, pour répandre la lumière sur la géographie, les mœurs et la langue de l'Ethiopie. En effet, il composa dans Alexandrie ces savants volumes que Photius nous a peut-être fait perdre par ses extraits. (68)
Tous ces ouvrages offraient aux Grecs une singulière instruction. C'étaient, à la vérité, des compilations plutôt que des compositions du genre oratoire, mais on ne saurait en contester le mérite, puisqu'elles ont servi de matériaux à Strabon, à Athénée, à Plutarque, à Diogène de Laërte, c'est-à-dire, aux écrivains qui répandent le plus de jour sur l'histoire, les institutions, les mœurs, les études, toute la civilisation de la Grèce.
Quant aux philosophes, qui devaient un jour se montrer si nombreux et si éminents dans Alexandrie, ils y reparurent en assez grand nombre durant cette période. Attirés d'abord (194) par Ptolémée I, négligés bientôt par le fils de ce prince, ils s'empressèrent de se rendre aux invitations et aux encouragements de ses successeurs. Euergète I s'entoura d'un des disciples du chef de l'Académie, de Panarète, auquel, suivant Athénée, il aurait alloué douze talents, c'est-à-dire , 67,000 francs par an (69), fait qu'un auteur moderne revendique à tort au règne de Ptolémée VII (70). En effet, Panarète avait suivi les leçons d'Arcésilas, et ce philosophe avait cessé de professer la 4'année de la 134e olympiade, c'est-à-dire, l'an 241 avant notre ère, de sorte que s'il avait eu vingt ans à cette époque, il en aurait eu cent quinze à l'avènement d'Euergète II. Ce qui a trompé l'auteur que nous réfutons, ce sont les noms de Ptolémée Euergète qui peuvent convenir à deux princes différents; mais le nom d'Arcésilas pouvait l'avertir.
Le successeur d'Euergètel, Philopator, appela près de lui celui de tous les penseurs qui se distinguait le plus par la pureté de ses doctrines et la rigidité de ses mœurs, Cléanthe. Mais le chef du Portique fit ce qu'avait fait autrefois le chef du Lycée appelé par Ptolémée I : il envoya l'un de ses disciples, et Sphérus remplit cette mission en véritable savant d'Alexandrie, en composant des ouvrages et en discutant avec le prince jusque dans ses palais et à sa table.
On ignore si ses écrits furent publiés pendant son séjour en Egypte; mais si cela eut lieu, ils ont dû y produire quelque sensation. L'auteur y abordait, en fidèle stoïcien, tas plus graves questions de morale et de politique; il y traitait de Socrate, du Principe de la morale, de Lycurgue, de la Loi, des Institutions politiques de Sparte. Il serait possible toutefois qu'il eût composé ces livres avant de se rendre ea Egypte, dans le temps où il enseignait à Sparte, ayant pour auditeur le même prince qui devait périr plus tard en Egypte, Cléomène. Mais quelle que soit l'époque où parurent ces (195) compositions, on a nécessairement déposé dans la Bibliothèque d'Alexandrie les œuvres d'un homme qu'on appelait de si loin et que l'on distinguait au Musée comme à la cour.
On a même dû se montrer d'autant plus avide de ses écrits, que depuis ceux de Démétrius de Phalère, rien n'avait été publié sur la politique par les membres de cette institution.
Cependant, on invoque deux anecdotes rapportées par Diogène, pour prouver que Sphérus n'a pas exercé une influence digne d'un élève de Cléanthe; que, soit avec le prince, soit avec les philosophes, il débattait des questions oiseuses. C'est d'une thèse de métaphysique et d'une maxime d'école qu'il s'agit. Mais ces questions avaient l'une et l'autre leur importance. La première, celle de la certitude, qui demeurera éternellement le problème par excellence de la philosophie, avait pris à cette époque une phase nouvelle. Les Académiciens, infidèles au dogme de Platon, avaient abandonné non-seulement la certitude des notions ou des idées sensibles, mais encore celle des notions de l'intelligence. Les Stoïciens admettaient entre la science (ἐπιστήμη) et l'opinion (δόξα) un juste milieu, l'idée convaincante, φαντασία καταληπτική (71). C'est à cette théorie que se rapporte la première des deux anecdotes. Les Stoïciens, fort mécontents du probabilisme qui tuait la science au profit de l'opinion, combattaient l'Académie. Le roi la soutenait. Discutant avec Sphérus comme on discute à la cour, et voulant prouver à son adversaire que, dans certains cas, on n'a qu'une opinion, il lui fit servir un de ces fruits en cire qui trompent les yeux. Sphérus fut trompé. Mais pour cela, il ne s'avoua pas vaincu, et loin d'établir que ce philosophe jouit de peu de crédit en Egypte, cette anecdote atteste que le prince lui-même se faisait rendre compte des questions qu'agitaient alors les deux grandes écoles de phi- (196) losophie, et les débattait avec le chef des stoïciens comme il les entendait.
La seconde anecdote sur le séjour de Sphérus en Egypte n'est pas moins curieuse. Elle montre qu'on examinait soit au Musée, soit à la cour, non pas des questions générales seulement, mais encore des questions spéciales el même personnelles. Mnésistrate reprochait à Sphérus d'avoir dit que Ptolémée n'était pas roi; Sphérus répondit que Ptolémée étant tel qu'il était, était réellement roi.
Ce débat se rapportait, comme on voit, à une discussion antérieure, et cette discussion avait roulé sans nul doute sur ce principe souvent avancé dans l'école de Platon et ailleurs, que le sage est le seul roi véritable, puisque seul il est souverain, sachant seul commander à lui-même. Sphérus avait dû affirmer, que quiconque était l'esclave de ses passions, fût il roi, n'était qu'un esclave, et, de ce principe que Mnésistrate appliquait à Ptolémée, pour embarrasser son adversaire, il résultait que, dans la doctrine de Sphérus, le roi n'était pas roi. Mais on le voit, loin d'être petite, cette discussion était grande à tel point, que Sphérus fut obligé d'y mettre fin Par une de ces concessions qui ne trompent personne.
Euergète I, Philopator et Philométor paraissent avoir tous trois aimé les études ou du moins le commerce des philosophes. Outre Sphérus, qu'ils enlevèrent au Portique, ne pouvant lui enlever Cléanthe, et Mnésistrate, dont nous venons de parler, on trouve dans leurs palais ou dans Alexandrie, Sotion, Satyrus, Héraclide, fils de Sérapion (72) et Aristobule, sans compter Eratosthène, qui fut platonicien. Praxiphane, Hermippe et Agatharchide, qui furent péripatéticiens (73), et plusieurs autres savants qui cultivèrent eg lement la philosophie. Les travaux de quelques uns de penseurs méritent une attention spéciale.
En effet, Sotion profita des immenses ressources de la (197) bibliothèque pour composer, sur les successions des chefs dans les grandes écoles de philosophie, un ouvrage qu'abrégea d'abord Héraclide, en attendant que Diogène de Laërte vint composer d'après l'un et l'autre un troisième, que nous croyons digne d'une appréciation qui ne lui est pas échue jusqu'ici, et qui fit négliger ensemble Héraclide et Sotion (74).
Satyrus péripatéticien , continua ces travaux de biographie philosophique en s'attachant de préférence aux hommes du Lycée; mais ce qui le caractérise comme un écrivain original, c'est son travail sur les diverses populations (égyptienne, juive, grecque et macédonienne) d'Alexandrie. (75)
Celle de ces populations qui, s'il fallait en croire l'auteur de la lettre d'Aristée qu'on place sous les derniers Lagides, ou les écrits de Philon et de Josèphe, aurait toujours été un objet de prédilection pour ces princes, la population juive, n'avait encore fourni aux institutions littéraires d'Alexandrie qu'une partie de son code sacré, le Pentateuque; elle n'avait pas eu de philosophe digne de figurer dans les annales du Musée. Elle eut enfin Aristobule, qui fut non-seulement un péripatéticien distingué, mais qui doit avoir présenté à Ptolémée Philométor, l'un des favoris de la tradition juive, une interprétation de la loi mosaïque, et que la cour doit avoir chargé de donner des leçons à l'un des Ptolémées. Malheureusement les plus anciens écrivains qui nous parlent de ce personnage ont vécu quatre siècles après lui et sont en contradiction avec eux-mêmes de telle sorte, que S. Clément d'Alexandrie le met tantôt sous Ptolémée VI, tantôt sous Ptolémée II (76). On ne sait pas non plus, vu le silence de Josè- (198) phe et de Philon sur Aristobule, si c'est de lui que parle le second livre des Maccabées (c. 1, v. 10).
II est vrai qu'Eusèbe et S. Clément d'Alexandrie nous ont conservé des fragments d'Aristobule le philosophe (77), mais l'auteur de ces fragments prête aux anciens poètes de la Grèce des vers où les idées de Moïse et celles des Juifs sont à ce point dominantes, qu'on est réduit à prendre cet écrivain pour un imposteur ou ces fragments pour des pièces altérées, d'autant plus qu'il s'est conservé une autre leçon des mêmes vers (78). Réduits à des probabilités sur la vie et sur la pensée d'Aristobule, nous ne saurions toutefois révoquer en doute ni son existence ni son influence sur les doctrines des hommes instruits de sa nation; et l'on doit le regarder comme le plus illustre de tous ces Juifs qui, dans l'intervalle des interprètes du Pentateuque à Philon et Josèphe, ont poursuivi le dessein de faire accepter aux Grecs quelques opinions judaïques, en les mêlant soit aux fictions des poètes, soit aux systèmes des philosophes de la célèbre nation dont ils étudiaient avec tant de soin la littérature, et au sein de laquelle ils prétendent avoir joué un si grand rôle. En effet, peu après l'époque du grand-prêtre Onias, qui bâtit un temple juif auprès des ruines d'un sanctuaire égyptien, ce qui perce dans la conduite d'Aristée [qui inventa une sorte de congrès philosophique dans Alexandrie pour faire, des rois et des philosophes de cette ville, des disciples de la sagesse des Septante], et dans celle d'Aristobule [qui fait, des plus grands hommes de la Grèce ancienne, des élèves de Moïse ou de David], c'est le désir de faire croire qu'il n'y a jamais eu de philosophie véritable que chez les Juifs, qu'ils ont été les sages et les précepteurs du monde (199) dès les temps les plus reculés. C'est aussi là le système de Philon et de Josèphe, car suivant ces frauduleux interprètes des saints codes de leur nation, la Genèse et les Livres prophétiques bien entendus auraient contenu toute la doctrine de Pythagore, de Platon et d'Aristote, sans parler de celle d'Orphée, d'Homère et d'Onomacrite.
Quoi qu'il en soit d'ailleurs d'Aristobule, que ce philosophe ait allié le judaïsme au péripatétisme ou à un autre système; qu'il ait présenté son principal ouvrage, le Commentaire sur le code des Juifs, à Ptolémée Philométor ou à quelque autre Lagide, il est certain qu'il ne fut pas du Musée. S'il en eût été, les Juifs n'eussent pas négligé de nous l'apprendre. Mais il a été, sans nul doute, l'un des chefs de cette école judaïque qui a existé dans Alexandrie depuis l'établissement de la grande colonie transplantée de la Judée en Égypte sous Alexandre, de cette école qui a fourni les véritables interprètes du Pentateuque, qui a traduit successivement les autres écrits de l'Ancien Testament, et qui a dû grandir surtout à partir du moment où la politique des Lagides donnait au judaïsme égyptien un sanctuaire indépendant de celui de Jérusalem, car l'Oneion établissait dans la personne d'Onias un sacerdoce rival de celui qu'on exerçait ailleurs sous la prépondérance des Séleucides.
Toutefois cette école dont nous ne voyons apparaître les représentants qu'à de rares intervalles, mais dont nous retrouverons plus tard l'influence sur l'école chrétienne et sur l'école gnostique qui s'élevèrent comme elle en face du Musée, n'est pas nommée une seule fois dans l'histoire, ni par les écrivains grecs ni par ceux des Juifs.
Le savant M. Sharpe ajoute aux philosophes qui professèrent au Musée à cette époque, Lycon, successeur de Straton (79). Je crois que c'est une erreur; ce n'est pas au Musée des Lagides, ce me semble, c'est au Musée de Théophraste (200) qu'a eu lieu cette succession, ainsi que le prouve le testament de Lycon, qui laissait à ses disciples le soin de se choisir un chef. (80)
L'érudition médicale eut dans cette période quelques représentants distingués au Musée, puisque, suivant Athénée, ils ont ranimé les études dans les îles et dans les villes de la Grèce, après avoir quitté Alexandrie. Il en est un grand nombre que les historiens des études médicales revendiquent au Musée ; malheureusement les compilateurs et les scoliastes ne distinguent pas suffisamment ceux qui continuèrent à Alexandrie les travaux d'Érasistrate et d'Hérophile de ceux qui allèrent fonder des écoles ou pratiquer la médecine ailleurs. (81)
Ce qui préoccupait les esprits à cette époque, c'étaient les études positives, c'étaient les découvertes faites par les voyageurs dans les régions inconnues du globe, celles plus éclatantes encore que les astronomes faisaient dans des espaces moins accessibles, et les progrès dans la science d'Euclide.
Il y eut, en effet, dans cette période enclose par une sorte de compulsion de savants dans Alexandrie par Ptolémée II et une violente expulsion par Ptolémée VII, une singulière rivalité parmi les villes d'Alexandrie et de Pergame, les îles de Sicile, de Samos et de Rhodes. Cette rivalité enfanta pour l'ethnographie, la géographie et l'astronomie, ainsi que la géométrie, des travaux beaucoup plus importants que tous ceux qu'avaient produits jusque-là la Grèce, ou l'Égypte ou la Babylonie; mais il en résulta aussi que le Musée, où Euclide, Aristille et Timocharès avaient ouvert la voie de belles découvertes, fut plusieurs fois menacé d'être dépouillé du haut rang qu'il occupait. S'il conserva Eratosthène pour la géographie mathématique et la cosmographie; si Conon, qui avait entendu Archimède à Syracuse et visité d'autres pays du monde grec, préféra la cour d'Euer- (201) gète 1er son compatriote Aristarque aima mieux illustrer Samos ; et il n'est pas certain qu'Hipparque de Bithynie soit allé continuer en Egypte ses observations faites en Asie et dans l'île de Rhodes. Les leçons d'Eratosthène et de Couon attirèrent et fixèrent sans doute un certain nombre de disciples près du Musée; cependant Eratosthène cultivait trop de sciences pour exceller dans toutes, et Conon était trop courtisan, ce semble, pour être savant avant tout. Les Catastérismes et le Commentaire sur les Phénomènes qu'on attribue au premier lui sont peut-être contestas avec plus de piété pour sa mémoire que de raisons critiques (82). Quant à Conon, il est impossible aujourd'hui de déterminer quels services il a rendus à l'astronomie, mais on sait que l'opinion de l'antiquité ne lui était pas favorable.
Quoi qu'il en soit, les travaux astronomiques d'Eratosthène, de Conon et de leurs disciples furent éclipsés par ceux d'Aristarque, qui fit en cosmographie une réforme fondamentale, en affirmant le mouvement de la terre, et qui fut accusé d'impiété pour une opinion qu'avait déjà soupçonnée l'école de Pythagore. Cette opinion, inconnue à Conon et aux habitants du Musée, semble prouver que si Aristarque a salué l'Egypte, il n'y a pas mis en avant sa plus forte pensée. Il a d'ailleurs dû visiter un pays, où son compatriote jouait un rôle si considérable à la cour et dans la syssitie royale. D'après un fait rapporté par Pappus, il aurait pu y rencontrer Apollonius de Perge qui suivait dans cette ville les leçons des Euclidiens (83) ; mais peut-être fut-ce sa dissidence même avec les savants de cette compagnie qui l'empêcha de s'y attacher.
On m'accuse d'avoir pensé autrefois le contraire et (202) d'avoir agrégé cet astronome à l'école d'Alexandrie. J'ai parié dans l'histoire du cette écolo d'un savant que je ne pouvais passer sous silence, quand il s'agissait d'indiquer la succession des travaux de Conon à Claude Ptolémée; mais j'ai dit qu'Aristarque n'appartenait au Musée que de loin. Voici mes termes (Essai historique, t.1, p. 139) : Aristarque est celui des astronomes de cette époque qui a montré à l'école d'Alexandrie la vraie méthode pour marcher aux découvertes. Et par quoi étais-je autorisé à l'affirmer? Par la nature des choses. A. qui persuader, vraiment, que l'école d'Alexandrie, qui a tout connu, n'ait pas connu les travaux d'Aristarque?
Outre sa première méprise, l'auteur qui m'avait si mal lu, commet une autre faute, et celle-là est plus grave, car c'est une erreur à mon sujet et au sujet d'Aristarque. J'aurais tort, dit-il, de placer cet astronome après Aristille et Timocharès (84), tandis qu'il résulterait des observations de Vossius qu'il aurait vécu après ces observateurs (85). La seule chose qui résulte d'une manière certaine des observations de Vossius, qu'il faut prendre pour ce qu'elles sont, c'est que cet écrivain s'est trompé; et après M. Klippel, il n'est plus personne, je pense, qui voulût mettre Aristarque, contemporain d'Aratus et de Cléanthe, avant Aristille et Timocharès, contemporains de Ptolémée Soter. J'ai d'ailleurs donné, il y a vingt ans, les raisons qui motivaient cette opinion et qui se trouvent partout. (86)
Hipparque, qui vécut sous le règne de Philométor et mourut sous celui d'Euergète II, vers 125 avant notre ère, mais qui fit dans l'Ile de Rhodes la majeure partie de ses observations, ne fut pas non plus membre du Musée; cependant il n'est pas admissible qu'il n'ait pas visité l'école d'Alexan- (203) drie, et quand même il n'y aurait pas fait d'observations, il se serait rattaché aux astronomes d'Egypte, en commentant Aratus et Eratosthène, et en léguant sa succession, le système perfectionné d'Aristarque, à celui des savants du Musée qui a le plus illustré l'observatoire d'Alexandrie, Claude Ptolémée.
Le nom et les travaux d'Apollonius de Perge sont contestés aussi à l'école d'Alexandrie en faveur de celle de Pergame. C'est à tort. Sa lettre à Eudème (p. 7. Ed. Oxon,) atteste qu'il ne fut à Pergame que peu de temps, et qu'Alexandrie était sa résidence habituelle. Selon Pappus, il y donnait des leçons aux Euclidiens, mais il est cité aussi parmi les élèves d'Euclide. Ce savant qui avait illustré le règne de Ptolémée, aurait-il vécu assez longtemps sous le règne de Ptolémée II, pour diriger les études d'Apollonius et même celle d'Aristarque, c'est-à-dire vers l'an 260 avant notre ère? Il me paraît impossible qu'Euclide ait atteint cet âge.
Quoi qu'il en soit, Apollonius, l'un de ces grands hommes dont la nature est avare (Vitruve, I, 4), reprit la géométrie où l'avait laissée le fondateur de cette science, la rétablit dans ses honneurs au Musée, et fournit aux générations qui devaient s'y succéder de riches matières d'études et de commentaires.
Plusieurs savants du Musée virent, soit à Syracuse, soit à Alexandrie, l'un des hommes éminents de cette période, Archimède. Ctésibius et son disciple Héron rivalisèrent avec lui dans ses découvertes. Joignant à la théorie les applications les plus heureuses, inventant et décrivant l'orgue hydraulique et plusieurs autres machines, fondant en un mot la mécanique comme science par un traité spécial, ils assurèrent à l'école d'Alexandrie une de ses supériorités les plus incontestables.
Ces hommes si laborieux et dont les services furent si supérieurs aux travaux des philologues et aux vers des poètes, même aux yeux d'une cour passionnée pour Homère, doivent avoir appartenu au Musée et concouru à accroître cette célébrité qui devenait de jour en jour plus universelle.
Il faut le dire, les beaux progrès que le Musée fit faire aux sciences physiques et mathématiques, y compris la médecine, progrès qui caractérisent cette période, sont ses titres les plus impérissables, et ces titres éclipsent tout ce que les Diorthotes d'Homère (204) ou les membres des Pléiades, favorisés par Ptolémée II, ont pu offrir de plus subtil à leurs contemporains.
En effet, si l'École d'Alexandrie demeura toujours, dans les lettres, au-dessous des écrivains dont elle corrigea les textes et classa les mérites divers, elle fit dans les sciences, durant la période que nous parcourons, des progrès qui laissèrent loin derrière elle les plus fameuses Académies de l'antiquité, celles de la Grèce propre, comme celles de la Grande-Grèce, de l'Égypte et de la Babylonie.
En essayant de refaire la statistique des savants d'Alexandrie d'après ce qui précède, nous trouvons pour la période de 246à 146 avant J.-C. ces douze catégories:
1° Euergète I, auteur d'épigrammes (Jacobs, XIII,p. 944); Philopator, auteur d'une tragédie, (ScoI. Arist. Thesm.1059); Epiphane, Philométor. Protecteurs des lettres.
2°Callimaque, Eratosthène, Apollonius, Aristophane, Aristarque.Bibliothécaires du Bruchium.
3°CaIlimaque, Praxiphane, Eratosthène, Apollonius, Aristophane, Aristarque, Zénodo le jeune. Philologues, membres certains ou probables du Musée.
(205) 4° Callimaque, Apollonius, Eratosthène, Aristonyme? Machon, Rhianus, Euergète I, Philopator, Philométor. Poètes, princes ou membres du Musée.
5° Eratosthène, Sphérus, Sotion, Héraclide, Satyrus, Panarète, Agatharchide, Praxiphane, Hermippe, Mnésistrate. Courtisans ou philosophes, membres probales du Musée.
6° Cléanthe. Appelé sans succès.
7° Aristobule, Le Siracide. Philosophes Juifs indépendants du Musée.
8° Praxiphane, Hermippe, Chrysippe, Phylarque, Héraclide. Historiens, membres probables du Musée.
9° Callimaque, Callianax, Chryserme, André de Caryste, Cydias de Mylasa. Médecins d'Alexandrie. V. Sprengel, p. 594
10° Apollonius de Perge, Eratosthène, Ménélas. Cosmographes et mathématiciens, membres du Musée.
11° Aristarque de Samos, Hipparque, Philochore Timarque de Rhodes. Hôtes probables du Musée.
(206) 12° Callistrate d'Athènes, disciple d'Aristophane; Apollodore, disciple d'Aristarque ; Callimachéens, Aristophaniens et Aristarchéens inconnus. Disciples des grammairiens du Musée.
On le voit, ce tableau est beaucoup plus imposant et plus significatif que les deux précédents. Il indique des travaux plus sérieux, plus étendus. Cela se comprend, plus les écoles de la Grèce étaient tombées, plus celle d'Alexandrie s'élevait par la célébrité des écrivains qui affluèrent au Mosée et le nombre des disciples qui tenaient chercher leurs leçons.
Elle ne jetait plus à la vérité ce genre d'éclat que les poètes de la cour de Philadelphe avaient un instant répandu sur l'Égypte; mais elle exécutait des ouvrages plus importants , et donnait par de brillantes découvertes un démenti formel à la fameuse épigramme de Timon, épigramme qu'elle avait peut-être méritée quand on la lançait contre elle, mais qui n'avait plus aucun sens quand le Musée, au lieu d'être une simple école de grammairiens et de sophiste» grecs, se présentait comme la plus florissante des institutions littéraires du temps.
146 à 48 avant Jésus-Christ, de Ptolémée VII à Cléopâtre.
CHAPITRE Ier.
DISPERSION DES SAVANTS DE L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE. — INFLUENCE EXERCÉE PAR CETTE DISPERSION SUR LES AUTRES ÉCOLES GRECQUES. — ÉTAT GÉNÉRAL DES INSTITUTIONS LITTÉRAIRES DU MONDE GREC A CETTE ÉPOQUE. — ÉCOLES D'ATHÈNES, DE RHODES, DE TARSE, D'ANTIOCHE, DE PERGAME. — LE NICÉPHORE — LE LACYDIUM — LE MUSÉE DE PHÉNIX.
En voyant des études aussi sérieuses et aussi
étendues se développer au Musée immédiatement après une ère si frivole, il y
avait lieu de croire que les destinées de cette école allaient devenir plus
importantes encore, qu'elle abandonnerait en partie la littérature, la poésie,
la grammaire et la critique, pour s'occuper à peu près exclusivement, de
science, avec Apollonius de Perge et Hipparque ; de morale et de philosophie,
avec Sphérus et Aristobule; d'histoire, de géographie et de cosmographie, avec
Eratosthène, Agatharchide et Polybe, qui devaient venir animer ses travaux.
Telles étaient les illusions auxquelles on pouvait se livrer, quand un élève
d'Aristarque, Ptolémée VIl, vint suspendre tous ces travaux. Nous avons vu
comment ce prince s'y (208) éleva. Sa barbare conduite à l'égard de sa famille
ne fut que son début dans la carrière du crime. Né avec des passions violentes
et devenu plus odieux encore par sa servile soumission au sénat de Rome, qui
protégeait en lui un instrument de divisions et de troubles, il était repoussé
par les partisans de sa sœur, la régente, dont il avait fait sa femme, par ceux
de son neveu, le jeune roi, qu'il avait immolé à sa fureur, en un mot par toute
cette population d'Alexandrie si ardente, si passionnée, que son frère avait su
s'attacher par la douceur de ses mœurs et par quelques entreprises qui avaient
séduit ces faciles esprits. Ptolémée VII, pour se venger d'une réprobation aussi
unanime, fit mettre à mort tous ceux qui avaient été élevés avec Philométor et
les principaux habitants de la ville. Au moyen de ses mercenaires, il fit
d'Alexandrie un désert, dit Justin (87). Il en fit égorger ou livrer au feu la
jeunesse réunie au [Gymnase, dit Valère Maxime (88). Polybe qui visita le théâtre
de ces massacres, après avoir vu les ruines de Corinthe et de Carthage, confirme
par ses assertions celles de ces deux historiens. (89)
Il paraît que les savants du Musée, les artistes, et même les médecins de la ville, indignés de ces horreurs ou redoutant les vengeances d'un prince qui ne savait rien respecter, abandonnèrent Alexandrie. Ils ne furent l'objet d'aucune persécution, l'histoire des lettres eût gardé souvenir d'une telle violence; mais ils craignirent sans doute les réactions et les fureurs par lesquelles le peuple devait venger les massacres commis au Gymnase. Deux écrivains qui virent le théâtre du crime, comme Polybe, Ménéclès de Barca et Andron d'Alexandrie, racontaient, dit Athénée, que les Alexandrins avaient le mérite d'avoir instruit tous les Grecs et tous les (209) barbares; que toute instruction complète ou générale (ἐγκύκλιος παιδεία) ayant cessé à la suite des troubles qui avaient eu lieu dans le temps des successeurs d'Alexandre ; mais qu'il y eut une restauration de toutes les études sous le septième Ptolémée qui régna en Egypte, celui que les Alexandrins ont si justement surnommé Kakergète. En effet, disaient ces deux écrivains, ce prince ayant mis à mort beaucoup d'Alexandrins et exilé un grand nombre de ceux qui avaient grandi avec son frère, remplit les îles et les villes de grammairiens, de philosophes, de géomètres, de musiciens, de peintres, de pédotribes, de médecins et d'autres artistes, qui, obligés par la nécessité d'enseigner ce qu'ils savaient, formèrent beaucoup d'hommes célèbres. (90)
On ne dit pas que les émigrants fussent du Musée, et une partie d'entr'eux, les pédotribes par exemple, sortaient du Gymnase, dont nous revoyons en cette occasion l'importance déjà signalée ailleurs et qui sera plus d'une fois encore le théâtre de vengeances politiques ; d'autres exilés, les peintres et les artistes, appartenaient à la population grecque indépendante, car les Egyptiens et les Juifs ne figurèrent pas dans ces sanglantes réactions : il est pourtant hors de doute que le Musée et la Bibliothèque, qu'Athénée oublie de mentionner, fournirent également leur contingent à l'exil, puisque, s'il n'y a pas trop d'exagération de la part des deux historiens,^les émigrations furent tellement nombreuses, qu'elles remplirent les îles et les cités de la Grèce de savants et d'artistes qui y restaurèrent les études et les firent connaître même aux barbares.
A la suite de cette révolution il serait donc arrivé deux choses : l'école d'Alexandrie, qui venait de s'élever à son apogée et de se placer à la tête de toutes les autres, aurait tout-à-coup perdu ce rang ; et dans les îles et les cités de la Grèce, les études générales, tombées par les guerres d'Alexandre (210) et les divisions de ses successeurs, se seraient ranimées.
Nous no parlons pas de la propagation des lettres parmi les barbares, attachant peu d'importance à une phrase aussi banale; on peut considérer toutefois qu'au milieu des populations orientales ou septentrionales soumises aux Séleucides et aux rois de Thrace, il y avait des écoles grecques prêtes à recevoir les exilés ; mais nous laissons cette partie des assertions d'Athénée pour examiner jusqu'à quel point les deux faits principaux qu'il allègue sont exacts, c'est-à-dire, la restauration des études en Grèce par suite de l'émigration alexandrine et la décadence de celles du Musée.
Et d'abord y a-t-il eu restauration dans les écoles des îles et des cités grecques à cette époque?
Les plus célèbres de ces écoles, celles d'Athènes, avaient grandement besoin d'être relevées , car elles étaient faibles à cette époque; néanmoins elles étaient plus fortes dans leur spécialité que celle d'Alexandrie, qui ne devint école spéciale de philosophie que plus tard, quand elle eut à défendre ensemble la religion, la philosophie et toute la Grèce ancienne. En effet, si l'Académie était tombée successivement des mains de Speusippe dans celles de Polémon, de Cratès, de Sosicratès, d'Arcésilas, elle se trouvait alors sons l'habile Carnéade , qui la dirigeait de 156 à 129 avant Jésus-Christ, dans une sorte de prospérité. Son chef, estimé de la république, venait d'être chargé d'une honorable ambassade à Rome; et quoique le dogmatique Platon eût désavoué une science qui scandalisa quelques membres du sénat de Rome, il eût vu avec joie un philosophe plaidant la cause de l'indépendance grecque devant tes maîtres du monde et se faisant applaudir par la jeunesse de l'Italie comme par celle de la Grèce. La succession du Lycée de Théophraste, car il ne doit plus être question de l'ancien , était échue , après Straton et Lycon, à des hommes plus médiocres encore que la plupart des chefs de l'Académie; car il était difficile d'être en philosophie au-dessous de Hiéronyme (211) de Rhodes et d'Ariston de Jules : mais au temps de Ptolémée VII, le Lycée aussi s'était relevé, et son chef, Critolaüs, avait été jugé digne d'accompagner Carnéade à Rome. L'ancienne école du Portique, qui ne tenait plus ce local depuis longtemps et qui n'en eut pas d'autre, à ce qu'il paraît, n'avait cessé de grandir depuis que son fondateur avait entrepris d'épurer les principes du Cynosarge, et surtout depuis que l'Académie s'était perdue dans le scepticisme, le Lycée dans une sorte de nullité, et l'école d'Épicure dans cette absence de moralité qui s'accordait sans doute avec les mœurs générales de la Grèce, mais qui lui présageait la ruine prochaine de ses institutions et de sa liberté. Cléanthe, dont un disciple ranima les études philosophiques au Musée d'Alexandrie (91), Chrysippe, Zénon de Tarse et Diogène de Séleucie avaient donné au stoïcisme une telle importance que le dernier fut adjoint, dans l'ambassade de Rome, aux chefs des deux vieilles écoles d'Athènes, et qu'il fut invité en Italie d'y exposer ses doctrines. Si l'école d'Épicure ne fut pas représentée dans cette mission athénienne, où il s'agissait bien plus de parler à la générosité qu'à la politique de Rome, ce n'est pas qu'elle eût perdu de son importance, c'est plutôt que les Athéniens auraient voulu cacher ses progrès et ses principes. Comme elle avait toujours marqué par l'union plutôt que par la doctrine de ses partisans, elle n'avait rien perdu sous le gouvernement de Polystrate, de Bionysius, de Basilides; médiocres successeurs du médiocre Hermachus, ils avaient conservé l'institution, le jardin et le Musée du maître, ce qu'atteste l'épithète de κηποτύραννος, le maître ou le chef du jardin, que les historiens donnent encore à Apollodore.
Si faibles que fussent les écoles philosophiques d'Athènes, elles surpassaient donc celle d'Alexandrie; et la dispersion des savants de cette ville n'a pas dû y restaurer les études.
(212) Mais ce fait admis n'infirme en rien ce que disaient Andron et Ménéclès, qui ne parlaient pas d'études spéciales; qui faisaient remarquer, au contraire, que la dispersion de l'école d'Alexandrie ranima ailleurs les études générales.
Or, on cite plusieurs savants qui sont allés à cette époque porter leur science ailleurs, et il est très vrai que les écoles de la Grèce proprement dite et celles des régions barbares où il s'en trouvait, avaient besoin d'une instruction générale. Outre les guerres des successeurs d'Alexandre, c'était encore la dispersion des Grecs en Afrique et en Asie amenée par la conquête macédonienne et surtout par les institutions de ces princes, qui avait tué les études en Grèce. En effet, dans les régions les plus reculées de l'empire des Séleucides on trouvait, depuis cette époque, des colonies qui s'occupaient des lettres grecques et qui accueillaient avec empressement les hommes instruits qui leur parlaient du théâtre d'Athènes. Plusieurs princes attiraient des artistes grecs dans leurs palais (92). La moitié de l'Asie et les côtes de l'Afrique, Carthage elle-même hellénisaient (93), comme faisait le peuple jadis le plus exclusif du monde, le peuple juif; et parmi les rois qui résidaient dans les régions limitrophes de la Méditerranée, c'était à qui s'attacherait le plus grand nombre de savants. A leurs yeux, on ne ressemblait à Alexandre et l'on n'avait le droit de s'en donner l'air sur les monnaies royales, qu'à la condition d'être entouré d'Aristotes. On s'en entourait, et on prenait dans les lettres, dans les sciences, dans les arts de la Grèce, ce qui convenait le mieux au goût de chaque pays, la poésie didactique, en Macédoine; la rhétorique, la fable, la poésie érotique et la musique, dans (213) l'Asie Mineure ; les jeux du cirque et du théâtre, le luxe de la rhétorique et une sorte de crédule philosophie, dans la Syrie; les études laborieuses, la grammaire, la critique, les sciences exactes et les sciences naturelles, dans l'Egypte.
Cependant l'école de ce pays fut la reine des autres.
En effet, si les rois de Macédoine attirèrent Aratus, Timon et quelques autres encore (94), ce ne furent que des poètes alexandrins ou des philosophes d'Athènes qu'ils eurent à leur cour.
S'il se forma des écoles de rhétorique et de philosophie à Antioche, à Sidon , à Tarse et à Ephèse; si les Séleucides appelèrent à leur cour des savants et fondèrent des bibliothèques publiques (95); s'ils firent célébrer leurs exploits par quelques poètes, ils furent loin d'établir dans leur capitale un enseignement un peu complet ou de fonder pour les lettres quelques institutions permanentes ; au contraire, tout ce que firent ces princes paraît s'être borné à des encouragements personnels (96), et l'école d'Antioche fut moins la création de la cour que celle du public ou des familles.
Les rois de Pergame rivalisèrent avec les Lagides d'une manière plus sérieuse et fondèrent des institutions analogues à celles d'Alexandrie. Non contents d'ériger de beaux temples et de former de grandes collections d'art, ils créèrent une bibliothèque où ils déposèrent tout ce qu'ils pouvaient se procurer de manuscrits, et attirèrent à leur cour des savants qu'ils excitèrent à faire des travaux semblables à ceux des Alexandrins. On y rédigea, par exemple, des Tableaux qui rivalisaient avec ceux de Callimaque. (97)
Attale 1er qui régna de l'an 241 à l'an 197, favorisa surtout (214) les philosophes. Il professa une grande estime non-seulement pour Arcésilas, chef de l'Académie, mais encore pour Lycon, chef du Lycée; protégea l'étude du platonisme au point de fonder dans Athènes en faveur de Lacyde, une espèce de Musée, qu'on appela Lacydium, fait qui semble indiquer que les Platoniciens avaient perdu l'Académie (ci-dessus p. 32) comme les péripatéticiens avaient perdu le Lycée de la république. Eumène II, qui régna de l'an 197 à l'an 159 avant J.-C, fut encore plus zélé pour les lettres. Ce fut sous son règne qu'éclata entre Pergame et Alexandrie cette émulation si fameuse dans l'antiquité qui donna lieu à-la-fois à l'invention du parchemin et aux fabrications de tant de faussaires littéraires. Bientôt Pergame eut une école aussi célèbre que sa bibliothèque, et tandis que Néanthes, Musée, NiGandre, Apollodore, Leschides, Cratès de Malles, Hérodicus Téléphus et tant d'autres, illustraient la première, Athénodore donna ses soins à la seconde. Seulement il retranchait des volumes qu'il gardait ce qui choquait les Stoïciens, et il fallut arrêter ce zèle un peu barbare. (98)
Cependant, si Pergame eut une bibliothèque, elle n'eut pas de musée; car le Nicéphore qu'on a quelquefois considéré comme tel avait une autre destination (99), et les institutions de cette ville célèbre ne furent en somme qu'une pâle imitation de celles d'Alexandrie, qui finirent par les absorber, après les avoir appelées à la vie. Plus complètes que d'autres, elles n'offrirent à aucune époque cet enseignement général, dont Athénée déplorait la chute depuis l'époque d'Alexandre.
Quant aux îles et aux cités de la Grèce proprement dite, où jamais les gouvernements n'avaient fondé d'écoles consacrées aux hautes études, on y trouvait bien moins de science encore. Nous l'avons vu, le seul enseignement qu'y proté- (215) geât l'état, c'était celui des gymnases, y compris les leçons de rhétorique qui embrassaient les éléments de la philosophie, de la morale et de la politique. L'île de Rhodes, dont la célébrité littéraire remontait plus haut qu'Eschine et Apollonius de Rhodes, se distinguait sous ce rapport, rivalisant avec les villes de Tarse (100), d'Éphèse, de Sidon, de Gaza. A entendre quelques-unes des exagérations si familières aux Grecs quand il s'agit de littérature, plusieurs des institutions que possédaient ces villes, et notamment celles de Tarse et de Rhodes, auraient rivalisé avec les écoles d'Athènes ou même d'Alexandrie; mais on sait ce que valent ces rapprochements, et le fait est qu'il n'y avait pas plus de science véritable à Tarse qu'à Rhodes, dont les écoles n'étaient guère suivies que par les jeunes gens du pays et ceux d'Asie. (101)
On a voulu assimiler aussi au Musée d'Alexandrie ou au Musée de Théophraste, le Musée de Phénix, sur lequel il nous reste un monument si complet et si curieux; on a pris ce Musée pour une institution littéraire (102), et l'on a demandé si l'on ne pourrait pas appliquer à l'organisation de la Syssitie d'Alexandrie les détails relatifs à son organisation; mais je ne vois pas comment on a pu mettre cette fondation à sacrifices et repas funèbres au nombre des écoles ou des institutions littéraires de la Grèce. (103)
Les écoles spéciales elles-mêmes, et celles de médecine en particulier, étaient toutes inférieures à celle d'Alexandrie, et pouvaient s'enrichir à la suite de la dispersion rapportée par Athénée, quoiqu'il ne soit pas question de celles-là, puisqu'elles n'offraient pas d'instruction générale.
Le fait affirmé par les deux écrivains que cite Athénée, est (216) peut-être exagéré, mais il est probable; et quoiqu'on n'ait pas conservé les noms de tous ceux qui allèrent répandre la science du Musée ; quoique l'histoire littéraire du temps , si triste et surtout si imparfaitement sue jusqu'ici, ne nous apprenne pas les résultats du mouvement qui doit avoir suivi la fameuse émigration , cette émigration ne fut que trop réelle. La dépopulation d'Alexandrie frappa les ambassadeurs de Home, ainsi que le philosophe Posidonius qui les accompagnait et qui a tracé de l'auteur de ces excès un portrait si grotesque (104).
Dans le silence des monuments, personne ne saurait donc contester les résultats qu'on attribuait à la dispersion. Que ces résultats n'aient pas été bien extraordinaires, on le conçoit, précisément parce qu'il y eut dissémination et que ceux qui avaient fait faisceau dans Alexandrie, ne furent que des maîtres isolés dans les villes où ils se réfugièrent.
Il en fut de même sans doute de ceux qui, pleins de confiance dans le génie d'Alexandrie, ne s'expatrièrent pas et de ceux qui vinrent les joindre sur les instances de Ptolémée VII: il y eut donc décadence véritable dans les études du Musée.
Cependant, Euergète II passionné dans ses vengeances politiques, était passionné aussi dans ses goûts littéraires, et véritable Lagide, il ne tarda pas à travailler au rétablissement des études dans sa capitale.
RÉTABLISSEMENT DE L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE PAR PTOLÉMÉE VII. SITUATION DU MUSÉE ET DES BIBLIOTHÈQUES SOUS LES DERNIERS LACIDES. -- INCENDIE DE LA BIBLIOTHÈQUE DU BRUCHIUM.
Élève d'Aristarque et plus savant qu'aucun de ses prédécesseurs, à l'exception du chef de sa dynastie, Ptolémée VII ramena les études dans sa capitale, et rendit aux institutions littéraires des services qui ne firent point pardonner ses fureurs, mais que célébra l'histoire. Son règne offre donc deux phases bien diverses, l'une de persécution, l'autre de restauration. On ignore l'époque précise où commence cette dernière, mais l'on sait que deux fois le prince se livra contre les Alexandrins aux vengeances les plus cruelles, la première fois, lors de son avènement, qui date, suivant la coutume égyptienne, du mois de septembre de l'an 146 avant notre ère, mais qui n'eut lieu réellement que l'an 145; la seconde fois, l'an 130, lors de sa rentrée dans Alexandrie, d'où une révolte l'avait expulsé un instant.
La dispersion des savants appartient-elle à la première ou à la seconde de ces époques de réaction ? Aucun historien ne ledit, et la même incertitude règne sur l'époque de leur rétablissement, mais ce qui peut faire croire que c'est aux premières réactions que se rapporte l'exil des savants, c'est que les secondes n'eurent lieu qu'au bout de quinze ans de règne, et que les membres du Musée ne se seraient probablement pas exilés après avoir remarqué, pendant tout cet espace de temps, l'attachement d'Euergète pour les lettres. Ce n'est pas du moins quinze ans après son avènement qu'il aurait trouvé le parti de Philométor assez puissant, pour or- (218) donner qu'on mît à mort les anciens compagnons de ce prince. C'est donc à son avènement que je place la dispersion des savants; et comme je ne pense pas qu'il ait tardé beaucoup à les rappeler, je n'établis aucune division à cet égard.
Dans les efforts qu'il fit pour rétablir les études, je trouve une sorte d'imitation de ce qu'avait fait le plus illustre de ses prédécesseurs, et je distingue dans ces efforts, sa bienveillance pour les savants, sa participation à leurs travaux, la composition d'un ouvrage, l'augmentation des bibliothèques et la reprise, sinon des combats poétiques, au moins de l'ancienne exploration des régions méridionales, exploration si importante pour la science du Musée et le commerce de l'Égypte.
Après avoir rappelé dans sa capitale des savants, comme il y rappela d'autres habitants (105), Euergète prit une part active à la restauration des études. Cela était d'usage dans Alexandrie; on avait toujours vu les Lagides entourés d'hommes instruits; ils aimaient à les interroger, à discuter avec eux, ou à leur donner des avis ; quelquefois même ils leur proposaient des questions plus embarrassantes qu'utiles; d'autres fois, mieux inspirés, ils s'essayaient eux-mêmes à la composition littéraire. Ptolémée VI I fit tout cela et, passionné pour la discussion, il poussa souvent ses doctes querelles jusque fort avant dans la nuit. (106)
C'était la philologie, l'histoire naturelle, et ce qu'on appelle la polygraphie qu'il aimait de préférence, en cela d'accord avec Ptolémée II, dont l'influence sur les travaux du Musée avait été fortement modifiée par Euergète I, Philopator et Philométor. Ptolémée VIl ramena l'École d'Alexandrie vers les travaux qu'il affectionnait, et donna l'exemple de ces études plus variées et plus frivoles que profondes, en composant sous le titre de Commentaires (Ὑπομνήματα), un (219) ouvrage étendu, en vingt-quatre livres, et qui, si je ne me trompe, appartenait moins à l'histoire proprement dite, qu'à la polygraphie et à l'histoire naturelle (107). Les anciens citaient Euergète parmi les philologues, et notamment parmi les Diorthotes d'Homère (108); mais quand on a supposé qu'il avait fait une édition de quelque chant du poète, on a confondu, ce semble, avec un ouvrage écrit, les corrections qu'il demandait dans la discussion verbale ; et Athénée nuit singulièrement à sa réputation de critique, en mentionnant une correction fort malheureuse qu'il proposait. (109)
11 était plus facile d'augmenter la collection des manuscrits que de corriger de vieux textes, et Ptolémée VII doit en avoir joint quelques-uns à la bibliothèque de ses prédécesseurs. C'est à son règne qu'appartient, suivant moi, un fait attribué par Galien à Ptolémée Euergète, sans autre désignation : je veux dire l'achat fait aux Athéniens des autographes d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, en échange desquels on fit remettre des copies (110), troc que d'autres revendiquent avec moins de raison, au règne d'Euergète I. Un écrivain moderne affirme que ce fut, sant aucun doute (111), le savant Euergète II qui ordonna aux navigateurs et aux marchands d'acheter des livres à tout prix, et de les apporter à Alexandrie, mais ce fait est simplement attribué, par Galien à un Ptolémée quelconque (112); et c'est à tort qu'on appliquait jusqu'ici, à Euergète II, avec Heyne, ce que Galien et Pline rapportent de la jalousie qui éclata entre Eumène et (220) Ptolémée, au sujet des Bibliothèques d'Alexandrie et de Pergame; car Eumène II étant le seul des Anales dont il puisse être question dans ce passage, les seuls Ptolémées dont il puisse s'agir sont ceux qui ont régné de l'an 197 à 159, ce qui exclut Ptolémée VII.
Enfin, on a revendiqué au règne de ce prince l'institution des jeux poétiques, dont nous avons déjà parlé (p. 54); mais lors même que cette institution aurait eu lieu, comme ledit Vitruve, au temps d'Aristophane et pendant la rivalité qui s'éleva entre les Attales et les Lagides, ce ne serait pas sous le règne de Ptolémée VII, ce serait sous celui de Ptolémée V ou de Ptolémée VI qu'il faudrait en mettre l'origine.
Ce qui seul est incontestable, c'est qu'Euergète II fit reprendre, dans l'intérêt du commerce et de la science, cette exploration des régions méridionales, qu'avait commencée Ptolémée II. A cet égard, le témoignage de Strabon, qui copiait Posidonius, est formel. Eudoxe deCyzique, dit-il, vint en Egypte sous Euergète II, s'entretint avec ce roi et ceux qui l'entouraient (les savants, sans doute), surtout de la navigation du Nil, car ce prince aimait les curiosités étrangères et ne manquait pas d'instruction. Favorisé par une circonstance particulière, celle qu'il se trouvait en Egypte un prisonnier indien qui savait le grec, Eudoxe fit un voyage fructueux. Il en rapporta des épices et des pierres précieuses qu'il avait recueillies pour son compto, mais dont Ptolémée Vil le dépouilla. (113)
On le voit, ce fut là un véritable voyage d'exploration. On a inféré du texte de Strabon joint à un passage d'Athénée sur les Commentaires de Ptolémée Vil, que ce prince a fondé des collections scientifiques, ou du moins enrichi celles qu'avaient pu former ses prédécesseurs. Mais ce n'est là qu'une hypothèse. J'ai dit ce qu'il en était des collections de Ptolémée II (voy. p. 158). Je pense qu'il en a été de même (221) de celles de Ptolémée VII. Tout ce que dit Strabon, c'est que cet avide collecteur dépouilla un savant; et tout ce que disait le roi lui-même dans son livre, suivant le passage qu'en donne Athénée, c'est qu'il se gardait de manger les faisans qu'on élevait dans ses jardins (114). Cela prouve que Ptolémée VII mettait, comme Ptolémée II, une sorte d'ostentation à entretenir des animaux rares, mais cela ne prouve pas qu'il forma des cabinets d'histoire naturelle ou des collections scientifiques. Ce que les deux Lagides, le second et le septième, entreprenaient, soit pour satisfaire leur curiosité propre, soit pour complaire à celle des savants, était précisément ce qu'Alexandre qu'ils imitaient, avait fait pour Aristote. Or, ce philosophe et son successeur Théophraste avaient composé, sur l'histoire naturelle, des ouvrages que les membres du Musée ne songèrent pas même à imiter, encore moins à dépasser, et cependant les deux fondateurs du Lycée n'avaient jamais eu près d'eux de cabinet; rien n'oblige donc d'en admettre un au Musée.
Malgré tout le zèle que Ptolémée Vil a pu déployer en faveur des études, il ne se concilia pas les esprits, et, dans les traditions qui le concernent, on ne trouve nulle trace de bienveillance. L'opinion pardonne rarement aux princes qu'elle a deux fois repoussés et qui l'ont deux fois vaincue. Cependant, il paraît qu'à la mort de Ptolémée VII, qui arriva l'an 117 ou 116 avant J.-C., Alexandrie et l'Égypte jouissaient de nouveau d'une grande prospérité (115). Cléopâtre, veuve du dernier roi, occupa le trône avec son fils aîné, Ptolémée VIII, surnommé Soter II, Philadelphe II, Potheinos et Lathyre. On ignore ce que cette princesse a pu faire pour les lettres, mais on sait qu'elle encouragea un nouveau voyage d'Eudoxe dans les régions méridionales; et l'on voit, par les inductions que le voyageur rattachait aux objets (222) trouvés dans cotte excursion (116), ainsi que par d'autres circonstances, combien s'était développé en lui le génie de l'observation et de l'induction, et combien la science pouvait gagner à ses travaux, s'ils étaient protégés par la cour ou secondés par le Musée. Les membres de cette syssitie profiteront sans doute des notes et des récits du célèbre voyagent, ainsi que Pline le fil longtemps après eux (117), mais la cour le dépouilla une seconde l'ois de ses trésors les plus précieux. (118) Cléopâtre n'occupait plus le trône. Cette reine ambitieuse avait d'abord expulsé son fils aîné, pour s'associer son autre fils, Ptolémée IX, surnommé Alexandre 1, à la place de qui elle avait régné jusque vers l'an 88 avant notre ère. A cette époque, Alexandre l'avait fait mettre à mort. Ce fut ce prince, ou Antiochus Grypus, qui remplaça lé cercueil d'or d'Alexandre par un autre en verre, et qui fut chassé peu de temps après et remplacé par son frère aîné. Ce fut aussi l'un des deux qui dépouilla Eudoxe. L'histoire littéraire ne mentionne d'ailleurs ni l'un ni l'autre.
Leur successeur, Ptolémée X (Alexandre M, fil» d'Alexandre I), élevé sur le trône par la protection de Sylla, ne ligure que dans celle du Gymnase, qui fut si souvent le théâtre de mouvements politiques. A peine régnait-il depuis dix-neuf jours, que la populace soulevée par la nouvelle du meurtre commis par lui sur sa belle-mère Cléopâtre qu'il était venu épouser, alla l'arracher de son palais et l'entraîner au Gymnase, où elle l'égorgea.
A cette époque s'éclipsèrent ensemble l'honneur de» Lagides et la gloire de leurs institutions littéraires. Déjà l'indépendance de l'Egypte avait cessé. A la mort de Ptolémée X, Rome, l'arbitre de ses destinées, se prétendit légataire d'un roi qu'elle avait fait. Les trésors de Ptolémée XI, surnommé (223) Philopator II, Philadelphe II, Néo-Dionysus ou Aulète, et l'éloquence de Cicéron l'emportèrent sur l'avidité du sénat, ainsi que sur celle de Crassus et de César, qui désiraient se faire envoyer dans cette province. Grâce au secours de Pompée, dont la générosité se joignit au talent de Cicéron et à l'or que prodiguaient au sénat Sérapion et Dioscorides, émissaires de Ptolémée, ce prince fut enfin reconnu par la République, l'an 59 avant J.-C. Mais, dès cette époque, Rome, qui tenait depuis longtemps Carthage et la Grèce et qui venait de s'établir sur les côtes de l'Asie, prenait aussi l'Égypte, n'était la guerre de Mithridate. En attendant, et pour indiquer sa pensée, elle détacha l'île de Chypre d'un royaume amoindri de tous les côtés. Le peuple d'Alexandrie comprit cette spoliation, et s'emportant contre Ptolémée XI qui s'amusait au milieu de ces périls à disputer des prix à la flûte, quand il ne se livrait pas à ses orgies bachiques, il s'insurgea et le chassa de sa capitale. Le fugitif courut à Rome, comme pour justifier les soupçons de ceux qui l'accusaient de complicité avec le sénat ; et pendant que ses filles élevées sur le trône appelèrent de tous côtés des princes qui voulussent partager avec elles les soins du gouvernement , les habitants d'Alexandrie envoyèrent à Rome une députation chargée de combattre le retour du roi. La crainte qu'inspirait ce prince empêcha ces mandataires dirigés par Dion l'académicien de remplir leur mission, et l'assassinat de ce chef justifiait peut-être leurs craintes, cependant Rome était accessible à leurs vœux, et les divisions du sénat, à défaut de leur influence, empêchèrent quelque temps Ptolémée Aulète de rentrer dans son royaume. Enfin, l'an 55 avant notre ère, Pompée arrivé au consulat chargea son lieutenant Gabinius de l'y ramener, et le docile Romain aida le prince jusque dans les plus rapaces exactions que lui dictait sa reconnaissance pour ses patrons. Il lui laissa même, pour sa sûreté, une garde de Gaulois et de Germains.
(224) Trois ans après, Ptolémée XI mourut en mettant sous le patronage du sénat, son fils, Ptolémée XII âgé de 13 ans, et sa fille Cléopâtre âgée de 17.
Cléopâtre était seule en âge de régner; son frère reçut trois tuteurs, Pothinus, le philosophe Théodote et le général Achillas. Les troubles qui naquirent de ce bizarre gouvernement , furent augmentés encore par les querelles de César et de Pompée, dont l'un était le patron de la famille royale et dont l'autre aspirait à le devenir. Après la bataille de Pharsale, ils parurent en Egypte tous deux, Pompée, pour demander un asile, César, pour l'empêcher d'y lever des troupes. On ne pouvait prévoir que les Lagides répondraient aux bienfaits du premier par l'assassinat, ni qu'ils recevraient le second comme un maître. César enivré de ses succès s'arrogea avec orgueil le rôle d'arbitre entre Ptolémée et Cléopâtre, et exigea avec rigueur le remboursement des sommes qu'il avait prêtées au dernier roi. Mais le faible corps de 4000 hommes qu'il avait amené, ne suffisait pas pour lui assurer la soumission des esprits , et tout le monde, le roi, les ministres, l'armée, les habitants d'Alexandrie, se révoltèrent contre lui. Cléopâtre, qui attendait l'événement, restait à Péluse. Bientôt Achillas porta l'armée égyptienne contre Alexandrie, et César assiégé dans le quartier des palais qu'il tenait avec le port, se voyant réduit à se défendre par tous les moyens fit mettre le feu aux galères égyptiennes qui l'embarrassaient. Les ordres qu'il avait donnés à cet égard dans une position désespérée, furent accomplis avec tant de précipitation, que l'incendie de la flotte se communiqua aux édifices voisins du port, et dévora, suivant l'expression de Dio Cassius, la grande et la meilleure Bibliothèque. (119)
Cette catastrophe, une des plus déplorables qui se rencontrent dans l'histoire des lettres, fut suivie d'une foule de (225) combats livrés dans les rues du Bruchium, clans le port et dans l'île de Pharos. Des secours amenés à César par Euphranor le Rhodien , par Mithridate de Pergame et par Antipater, général des Juifs, lui assurèrent enfin un triomphe qui fut d'abord celui de Cléopâtre, mais qui finit par n'être plus que celui de Rome, et qui livra des institutions déjà tombées en ruine à des maîtres étrangers que rien ne semblait intéresser en leur faveur (47 avant J.-C).
Ces faits expliquent l'état où doivent s'être trouvées les institutions littéraires d'Alexandrie, depuis leur rétablissement par Ptolémée VII jusqu'à l'incendie qui dévora la plus importante de toutes. Il est hors de doute que, pendant ce siècle de querelles, de révoltes , de massacres commis à l'envi par les princes ou les populations d'Alexandrie, les lettres, si prospère qu'on en suppose la situation à la mort de Ptolémée VII, ne furent plus que rarement l'objet de travaux ou de dépenses un peu remarquables de la part des Lagides. Dans des temps de pénurie, où ces princes étaient réduits, pour se procurer l'or que leur demandait Rome, à violer les sanctuaires ou à décimer leurs sujets, leurs soins pour les établissements littéraires ont dû se borner à conserver; et c'est une preuve de leur singulier respect pour les œuvres de leurs pères, qu'ils n'aient pas aliéné les Bibliothèques et enlevé au Musée les revenus qu'y avait attachés la prévoyance de son fondateur. A voir les folles prodigalités de Cléopâtre pour Marc-Antoine, à compter cette immense quantité d'or qu'elle jette au vainqueur el à ses généraux, on ne croirait pas à l'épuisement de l'Egypte à cette époque ; il n'en est pas moins vrai que ce royaume qui avait eu six millions d'habitants au temps de Ptolémée I, n'en avait plus que trois et ne payait plus que 12,500 talents d'impôts sous le règne de Ptolémée Néo-Dionysus. (120)
La réserve que montrèrent les Lagides à l'égard des biens (226) du Musée atteste qu'ils ont maintenu les institutions littéraires. Il est vrai qu'il reste peu de renseignements à cet égard, et que les chefs de la Bibliothèque, personnages autrefois si célèbres, sont inconnus à partir d'Aristophane; mais le silence gardé à ce sujet tient sans doute au peu d'illustration personnelle que ces dignitaires ont obtenue dans les lettres, et le texte de Strabon sur le Musée prouvant que les Lagides continuèrent à désigner les présidents de cette maison, il n'y a pas de motif pour croire qu'ils aient négligé les chefs de la Bibliothèque.
Les annalistes de cette époque n'ont pas donné une grande attention au mouvement de la science; ils ont cependant conservé les noms de beaucoup de savants. Ce sont des grammairiens, des philologues et des médecins qu'on trouve principalement dans cet âge de décadence, tandis que le» historiens et les philosophes, dont les travaux demandent une autre situation d'esprit, sont peu nombreux au Musée.
Les philologues et les critiques ont dû se rapprocher les premiers de Ptolémée VII rétablissant l'école, ce prince étant un critique et un philologue passionné. Il est vrai que son maître Aristarque ne quitta plus l'île de Rhodes où il avait trouvé un asile, mais plusieurs de ses disciples furent ses successeurs au Musée et à la Bibliothèque.
Le plus illustre d'entre eux, Apollodore, auteur d'une Bibliothèque mythologique et d'une Chronographie, avait peut-être recueilli au Musée les matériaux de ces compositions, et l'on doit en quelque sorte le rattacher à l'école d'Alexandrie; cependant il a préféré lui-même la cour des Attales à celle des Lagides et publié ses travaux en Asie. Un savant dont j'aime à parler avec égard me fait à ce sujet un reproche que je n'ai pas mérité. C'est sans façon (ohne weiters), dit-il, que j'ai nommé Apollodore comme membre du Musée (121). Déjà il m'a fallu repousser deux accusations de ce genre éle- (227) vées au sujet d'un philosophe et d'un astronome ; voyons si celle-ci est mieux fondée. Après avoir mentionné (Essai hist. sur l'école d'Alexandrie, t.I, p. 280) le savant élève d'Aristarque, j'ajoutais: « Cependant, si Apollodore a dû sa science an plus célèbre critique d'Alexandrie, il n'est pas certain qu'il appartienne au Musée. Vossius a tort d'affirmer qu'il vécut sous Euergète II, s'il entend par là que ce fut en Egypte. Ce qui rend la chose douteuse, c'est qu'il a pu prendre les leçons d'Aristarque à Rhodes, dans les dernières années de ce philologue. Ce fut là qu'il suivit celles de Panétius, stoïcien à qui les Offices de Cicéron doivent une partie de leur prix. Apollodore a pu demeurer en Egypte sous Euergète II, mais ses ouvrages ont été composés eh Asie. Sa Bibliothèque, ainsi que sa Chronographie, est dédiée à Attale Philadelphe, l'un des plus zélés émules des Lagides ». Cela était clair.
Quoique les Aristarchéens d'Alexandrie fussent privés de ce chef plus capable que nul autre de remplacer le maître, ils paraissent avoir pris une certaine importance à Alexandrie, où l'on distinguait depuis longtemps des Callimachéens, des Aristophanéens, des Aristarchéens. Pendant toute cette période ce furent ceux-ci qui régnèrent, et il me semble qu'ils formaient une école analogue à celles des philosophes d'Athènes, où les maîtres désignaient leurs successeurs. En effet, Aristarque avait nommé, pour le remplacer, un certain Ammonius; et le fils de ce savant, appelé Ammonius aussi, fut à son tour chef de l'école au temps de Cléopâtre.
Autour de ces chefs se groupaient d'autres philologues, leurs partisans ou leurs émules ; et en face de leur camp se dressaient ceux de leurs rivaux, qui s'occupaient, comme eux, de la révision des textes d'Homère, de Pindare, d'Aristophane, qu'ils publiaient avec des commentaires et des signes critiques, et qui formaient le sujet de leurs discussions, de leurs lectures au Musée, ou de leurs traités sur les divers genres de poésie.
Il n'est aucun philologue de cette époque qui ait acquis (228) une célébrité majeure, y compris Apollodore lui-même; et il en est plusieurs qui se sont fait si mal connaître qu'on ne sait plus à quelle école ils appartenaient; mais ceux d'entre eux que l'on peut, d'après les scoliastes, revendiquer au Musée, paraissent avoir été fort laborieux. En effet, Ptolémée Pindarion s'occupa d'Homère, Antiochus, des auteurs de la moyenne comédie, Parmeniscus et Dionysius, des Tragiques. Aristonicus composa une histoire du Musée. Son père Ptolémée n'est guère connu que par lui. Dionysodore recueillit les Lettres de Ptolémée Soter (122). Arcbibius, fils d'Apollonius, commenta les épigrammes de Callimaque, l'un des anciens chefs de l'école. Enfin, Pamphile et le laborieux Didyme écrivirent sur une multitude de choses. (123)
De tous les temps les savants du Musée logés dans les palais des Ptolémées imitaient les mœurs de ces princes. Quand ils les virent tourner les regards vers Rome, ils y dirigèrent les leurs. Une foule de grammairiens, formés par ceux que nous venons de nommer ou même par leurs maîtres communs, allèrent à Rome ou à Pergame chercher ce calme et ces faveurs qui vont si bien aux travaux de l'intelligence et que n'offrait plus la ville des Lagides. Dionysius d'Alexandrie, fils de Téros de Thrace et disciple d'Aristarque, fut à Rome au temps de Pompée. Un de ses disciples, Tyrannion l'ancien, fut l'ami de Lucullus, qu'il accompagna de l'Asie Mineure à Rome, où il donna des leçons à Parthénius (124). Ce maître de Virgile passe aussi pour un fugitif d'Alexandrie: le fait est qu'il avait entendu Dionysius à Rhodes, ce qui au surplus n'empêche pas d'admettre que, de là, il se soit rendu en Egypte. Asclépiade, fils de Diotime, qui s'était fait un nom à Alexandrie en corrigeant les textes des philosophes, fut à Rome à la même époque (125). (229) Didyme Chalkenteros lui-même ne résista pas aux séductions de la capitale de l'empire. (126)
Les historiens, nous l'avons dit, furent peu nombreux à cotte époque, et ceux dont il est fait mention ne méritent guère que le nom de narrateurs ou de compilateurs. Polybe et Diodore de Sicile visitèrent Alexandrie dans cette période ; et quoique le sort de l'Achaïe fût de nature à en éloigner le premier, et que le second eût besoin de consulter les bibliothèques d'Alexandrie pour la composition de son grand ouvrage, ils ne se fixèrent ni l'un ni l'autre dans un pays dont la condition était trop peu favorable pour retenir des hommes aussi éminents. On venait encore sur les bords du Nil pour y faire des études et recueillir les matériaux des compositions qu'on méditait; mais on se retirait aussitôt qu'on le pouvait. Et quels travaux d'histoire pouvait-on y exécuter dans des temps si désastreux? Un instant, les explorations de Ptolémée VII et les observations recueillies par Eudoxe avaient ramené quelque mouvement dans les études historiques du Musée; l'injuste cupidité des princes avait découragé ces généreux efforts, en dépouillant celui qui les dirigeait, du fruit de ses périlleuses entreprises. D'ailleurs Eudoxe lui-même s'était attaché aux questions d'histoire naturelle de géographie, de navigation et de philologie plus qu'à celles de l'histoire politique.
Artémidore traita de préférence la géographie (127).
Alexandrie eut à cette époque quelques philosophes distingués; mais d'autres figurèrent mieux dans les affaires publiques que dans les travaux de la science. On les trouve à la cour, dans les ambassades, dans les intrigues, et jusque dans les assassinats qui défigurent les annales des derniers Lagides; on les rencontre à peine dans l'histoire de la philosophie. L'académicien Dion périt dans une mission qu'il n'eut pas le courage d'accomplir (128). Un autre académicien , Démé- (230) trius, dont la vie honnête passait pour la satire des mœurs de la cour, et qui avait commis aux yeux de Ptolémée XI Néo-Dionysus, l'inconvenance de garder ses habits d'homme dans une fête où tout le monde s'était vêtu en bacchante, alla, pour sauver sa vie, s'enivrer à la vue de tous les courtisans et danser dans une robe de gaze de Tarente (129). Théodote de Chios, le précepteur de Ptolémée Xll, conseilla le meurtre de Pompée, et osa présentera César la tête de la victime. II devait expier un jour un crime si odieux de la part d'un philosophe (130). Enfin, le sophiste Philostrate ne se rencontre guère que dans le palais de Cléopâtre.
On ignore si ces parasites de cour, serviles agents d'une dynastie dégénérée, furent membres du Musée. Il en est de même pour Héraclite et Antiochus, deux autres platoniciens amis de Dion. Ce qui a plus d'importance que cette question, c'est un fait de mouvement intérieur, celui qu'Alexandrie commence à cette époque à devenir l'un des principaux foyers de ce platonisme dont elle devait bientôt professer les principes avec éclat, mais avec infidélité. En effet, outre les platoniciens que nous venons de nommer, nous y trouvons Ariste d'Athènes, Ariston de Cos, deux Sélius, un Tétrilius; et si nous les y voyons en conférence avec Lucullus, dont le seul nom fait sourciller l'historien de la philosophie, c'est au moins de science qu'ils s'occupent avec lui en Egypte. On avait apporté à Alexandrie deux livres de Philon, qui étonnaient singulièrement son élève Antiochus et qui fâchaient même ce philosophe, le plus doux des hommes, parce qu'il y trouvait une doctrine qu'il n'avait jamais entendu professer à son maître. Héraclite, interpellé à cet égard, affirmait la même chose. Il fallut cependant admettre l'authenticité de l'ouvrage. Il se trouvait auprès de Lucullus trois autres auditeurs de Philon, Publius Sélius, Caius Sélius et Tétrilius (231) Rogus, qui l'avaient entendu professer les mêmes principes à Rome, et qui reconnaissaient son écriture. Si nous en croyons le récit que Cicéron met, à ce sujet, dans la bouche de Lucullus (131), on discuta sérieusement ces questions d'apostasie.
Ces questions en valaient la peine, nous le verrons en son temps. Ici nous nous bornerons à dire que Philon, chef de la quatrième Académie, affectait encore le vieux scepticisme de la deuxième et de la troisième, et qu'il combattait le dogmatisme du Portique qu'Antiochus cherchait à rendre aux platoniciens.
Deux stoïciens secondèrent alors au Musée la révolution qu'Antiochus y préparait en philosophie; c'étaient Arius et son fils Dionysius, dont les mœurs paraissent avoir offert un contraste remarquable avec la conduite des sophistes de la cour, puisqu'Auguste, arrivé dans Alexandrie, n'hésita pas à se dire publiquement leur ami. Ce fait peut attester en même temps que les philosophes pratiques jouissaient alors dans Alexandrie d'une considération d'autant plus haute qu'ils étaient plus rares. En effet, Arius paraît avoir exercé en Egypte une sorte d'ascendant dû à son caractère encore plus qu'à son génie, et le Musée n'a pu sans regret le voir partir pour Rome, où l'attendait le patronage du Mécène (132).
La syssitie royale n'a pas dû éprouver les mêmes sentiments lors que le sophiste Philostrate alla chercher en Sicile un asile conforme à ses habitudes de mollisse. (133)
J'arrive aux poètes. On met sous ce règne deux membres de la pléiade tragique, Dosithée et Homère jeune. Il est très vrai que l'art des vers ne s'éteignit jamais au Musée, mais il est douteux qu'on eût élevé aux honneurs de la pléiade deux écrivains de cette époque.
Les médecins furent nombreux. Mais ils partagèrent le (232) goût des philosophes pour les affaires, plutôt que celui des autres savants pour les travaux de leurs prédécesseurs. Dioscorides et Sérapion furent les envoyés de Ptolémée l'Ancien à Rome; ils furent plus tard dépêchés par César auprès d'Achillas, qui commandait les troupes soulevées de l'Egypte. On est fort étonné de voir des médecins remplir cette mission. Il paraît toutefois qu'il se faisait encore dans Alexandrie des études sérieuses de médecine. Zopyre y dirigeait, sous Ptolémée XI, une école que suivit Apollonius de Cittium, qui de retour en Cypre dédia à ce prince un ouvrage d'anatomie qui nous reste. (134)
Cette école continuait encore sous Cléopâtre , époque où le médecin Philotas y fit ses études, recueillant en Egypte des anecdotes qu'il alla conter au grand-père de Plutarque.
Les mathématiciens restèrent fidèles à la science; mais il n'y en eut qu'un petit nombreàcette époque, et le plus célèbre d'entre eux, le péripatéticien Sosigène, qui bientôt devait aussi quitter Alexandrie pour Rome, marcha mieux sur les traces de Conon que sur celles d'Eratosthène et d'Hipparque.
D'après les indications que nous venons de réunir, le tableau du Musée se réduit, pour la période qui précéda l'incendie de la grande Bibliothèque, aux noms suivants:
1° Bibliothécaires. Inconnus.
2°Alexandre, Ammonius, le père, Ammonius, le fils, Ptolémée Pindarion, Parmeniscus, Ptolémée, Aristonicus, fils de Ptolémée ,Dionysodore, Pamphile, Dionysius, fils de Téros, Archias, Archibius, fils d'Apollonius, Asclépiade, fils de Diotime. Didymus Chalkenteros, Grammairiens ou philologues , membres probables ou certains du Musée.
(233) 3° Tyrannion l'Ancien. Grammairien, membre douteux du Musée.
4° Dion, Démétrius, Théodote, Philostrate, Arius, Dionysius. Philosophes, membres probables ou certains du Musée.
5° Héraclite, Antiochus, Clitomaque, Philon l'académicien. Philosophes , membres douteux du Musée.
6° Timagène. Historien, membre probable du Musée.
7° Zopyre, Dioscorides, Sérapion. Médecins, membres probables du Musée.
8°Polybe, Philotas, Apollonius de Cittium, Diodore de Sicile, Publius Sélius, Caïus Sélius, Tétrilius, Posidonius, Apollodore. Hôtes du Musée.
9° Archias, Dionysius, Antiochus, Tyrannion, Timagène. Savants qui ont quitté Alexandrie ou le Musée avant l'incendie de la Bibliothèque.
10° Aristée ou le faux Aristée. Ecrivain juif indépendant du Musée.
On voit par ce tableau que l'école d'Alexandrie était encore la plus nombreuse des écoles grecques et la seule encyclopédique, comme aurait dit Athénée.
L'émigration forcée lui avait néanmoins porté, sous Ptolémée VII, un coup que l'émigration volontaire sous les Romains devait rendre mortel.
(1) Idyll. XVII, v. 112,
(2) Cette assertion, que la Bibliothèque de Pergame fut fondée dans un intérêt public est curieuse ; nous la rapprocherons d'une assertion d'Aphthonius, relative à la Bibliothèque de l'Acropolis d'Alexandrie.
(3) Non putavit id satis esse nisi propagationibus in seminando curaret augendam.
(4) Esse poetam. Ce mot ne doit pas être traduit ici par poète, mais par auteur de ce qui a été lu, c'est le sens primitif de ποιητής, qui fait, qui crée.
(5) Les écrivains latins, Vitruve et Orose, sont les seuls qui parlent de ces armoires auxquelles on fait jouer un rôle dans les Bibliothèque d'Alexandrie; Aphtbonius, qu'on citait à ce sujet; parle d'autre chose. V. ci-dessous, 6e période, 3e chapitre.
(6) Essai historique sur l'École d'Alexandrie, I. 82.
(7) Strabo , XVII, c. 1 et 2, XV, XVI. — Diod. III, c. 35, 42. — Athen. V, § 32. — Plin. VI, e. 21. — Arriani Indica, passim. — Artemid. in Geog. Minor, éd. Hudson.(
(8) M. Schlosser, Universal-historische Uebersicht der Geschichte der alten Welt II, 1, 198, sq. — M. Klippel, p. 121.
(9) Vita Mosis. lib. II.
(10) Ptutarch., Arat. c. 12 et 13.
(11) Les doutes qui s'élevaient déjà au temps de Tzetzès (Comment, sur le vers 1226 de l'Alexandra) sur l'auteur de ce poème, ont été renouvelée par Loyston, Classical Journal, vol. XIII, n° 25; XIV, n° 27.— Cf. Niebuhr, sur l'époque a laquelle a vécu l'obscur Lycophron. Trad. par M. de Golbèry, Strasb. 1826, in-8".
(12) II trouvait dans Arsinoé, ἴον Ἥρας, violette de Junon.
(13) Ovide, Ibis V.533.
(14) On avait de Callimaque, qui n'aimait pas les ouvrages de longue haleine, huit cents écrits. Suidas, v. Callimach. — Athen. III, 284, édition de Schweigh, — Clem. Alex. Strom. V. 571, 271.
(15) Barnesius, Vita Theocriti.— Wartou, ad Barnesii vitam Thieocr., l'édition de Théocrite par Warton, p. 56. — Bouanni, de Syracus. Antiq., lib. Il, c. 2.
(16) Theocrit. Idyll. VI, v. 1. — Idyll. XII, v. 9; et les notes des scoliastes sur ces passages. — Cf. Vita Arati, dans l'édition d'Aratus par Buhle.
(17) Deipnos. XIV, p. 247, éd. Schweigh.
(18) Heyne, dans une dissertation déjà citée, parle d'une troisième, composée de poètes comiques, mais qui n'a jamais existé. Opuscula academica, I.97.
(19) V. Suidas, passim. - Cf. Le γένος Lycophronis, par Tzetzès - Vossius, de poetis graecis, p. 128. - Fabricius, bib. graec. II, p. 317. - Nagel, de Pleiadibus, Altorf, 1762, 10-4° - Schott. in observat. lib. II, c. 1.
20) Suidas, Sophocles.
(21) Viltuv. prœf. lib. VII.
(22) Athen. XIV, 246, éd. Schw.
(23) Diony. Halicarn. Epist. ad Pomp., p. 127.
(24) Scolia. ad Lucian. T. II, p. 4.
(25) Euseb. Praep. Ev. et Joseph, c. Apion.
(26) Clinton, fasti Hellenici, III, p. 496. — Sintenis in Plutarch. Pericl. page 193.
(27) M. Klippel, p. 132.
(28) Dans le traité, Qu'on ne saurait vivre heureux d'après Épicure.
(29) Suidas. - Cf Beck, de schola medicorum Alexandrina. Lips. 1810, in-4°.
(30) Géog., L. XII, p. 530, ed Casaub.
(31) Προβλήμασι μουσικοῖς καὶ κριτικῶν φιλολόγοις ζητήμασι.
(32) Sharpe, p. 89.
(33) V. page suivante.
(34) Arsinoé paraît aussi avoir encouragé les sciences. Eratosthène donna le nom de cette princesse à un de ses ouvrages {Athen. VII, c. 1); et elle méritait, sous ce rapport encore, les honneurs d'un Arsinoéum.(V. ci-dessus, p.57).
(35) Sharps, History of Ptolemies , London, 1838, p. 67.
(36) Athen. XIV. c. 3.
(37) Idyll. XVII.
(38) Eutrop. III, i.
(39) Diod. III, c. 17, 18.
(40 La nécessité de séparer les deux parties de ce monument si souvent visilé et décrit, depuis Cosmas jusqu'à Sait, et si souvent publié depuis Léo Allatius, a été reconnue par M. de Sacy {Annales des voyages, XII, 390), comme par Niebuhr et Buttraann (Muséum der Alterthums-Wissenschaft, II, 105).
(41) Joseph, c. Apion., II.
(42) Letronne, Recherches sur t'Egypte, p. 7.
(43) Sharpe, p. 100.
(44) M. Parthey, p. 88.
(45) Galien, Comment, 2 in Hippoc., lib. III, Epid, éd. Bas. V, 411.
(46) H. Sharpe, p. 104.
(47) Suidas, aux articles Eratosthène, Apollonius, Aristophane et Aristonyme. cf. Meineke, Quœstiones Scenic. II, 40.Ranke, Vita Aristophanis, c. VI; et Bernhardy (édition de Suidas), sur Aristonyme.
(48) Champollion-Figeac, Chronologie des Lagides, I, p. 229 .— Saint-Martin, Journal des savants, 1821, p. 539; 1822, p. 560.—Letronne, Recherches pour servir a l'histoire de l'Egypte , p. 124 et 125.
(49) Il le vengeait ainsi, disent les historiens juifs, du châtiment qu'il avait éprouvé en voulant pénétrer dans le Saint des Saints, lors d'une visite à Jérusalem. III Maccab.
(50) Athen. VI, 12.
(51) Lib. XII. Cf. Sharpe, 119.
(52) Polyb. Excerpt. XXI.— Diod. Sicul. Excerpt. a. C. 192.
(53) Aelian. V, H., lib. VIII, 1.
(54) Justin. XXX, c. 2.— Polyb. XV, 31.
(55) Letronne, Recherches, p. 20 et 42.
(56) Ingens numeros librorum in Aegypto à Ptolemaeis regibus vel conquisitus vel confectus est. VI, 17.
(57) Longin. De Suiblimi, XXXIII, 5.
(58) Athen. VII, c. 8.
(59)Sueton. in Tiber, c. 70.
(60) Lib. XIV, c. 84.
(61) Winterton, Poet. graec. minor. p. 451.— Brunck, Analect. I, p. 479; II p. 525.
(62) Athen. IX, p. 408. - VIII, p. 336. - Quintil. X, I - Ranke, de Aristophanis Vita. - Welcker, der epische Cyclus, . 8 et suiv.
(63) V. Diodore, Sphérus, etc.
(64)L. VI, p. 246 ; X, p. 545; XII, p. 577-578.
(65) Aelian. XVII. - 3, cf Suidas. v. Nymphis. Vid. Nernosky ad h. v.
(66) M. Klippel, p. 147.
(67) On l'aura confondu avec le médecin du même nom.
(68) Cod. 213, 250, éd. Bekker.
(69) Athen. XII, c. 13.
(70) Klippel, p. 170.
(71) Sextus Emp. ad. mathem. VII, 402 et suiv. éd. Fabric.
(72) Suidas dit que ce dernier fut historien et philosophe.
(73) Clem, Alexand. Strom. I, p. 365. — Schol. Dionys. Thr. p. 729.
(74) Hieron. Cat. script. eccles. In init. Id. Advers. Jovin — Athen.VI, p.248 250. XII, p. 581. XIII p. 556. Diog. L., in Emped.
(75) Athen. IV, c. 17.— Eunapius; vitae Sophist. in initio. — Diog. Laert. in Anaxag.
(76) Strom. I, p. 342. V, p. 595.éd. Sylb.— Euseb. prœp.evangel. VIII, p. 370. IX b. p. 410. ed. Viger. Cf. Eus, Hist. eccles. VII, 32. — Hody, De bibl. texlt orig. p. 11. contra Arist. Histor, p. 9.
(77) Euseb. praep. ev. XIII, 12, p. 664. - Clemens Alex. I, p. 342. VI, p. 632. cf. Valkenaer, Diatribe de Aristobulo, ed. Luzak, Lugd. Bat. 1806 in-4.
(78) Justin Mart. Cohort. ad Graec. p. 15. - De monarch., p. 104, ed Col. 1636. - Clem. Alex. Protrept. p. 48
(79) History of Ptolemies p. 106.
(80) Diog. Laért. V, 70, 71. cf. VII, 164.
(81) Sprengel, Hist. de la médec. I. 594. 2e E.
(82) M. Bernhardy (Eratosth. p. 117 et 185) a renouvelé avec plus d'insistance les doutes de Valckenaer, mais les raisons qu'il donne pour rejeter d'une édition critique, les catastérismes que Matthiœ avait reçus dans une autre édition critique, ne sont pas décisives.
(83) Pappus, Collect. Math. VIl, p. 251.
(84 M. Klippel p. 149. Note 1.
(85) Ibid et. Vossius, de scient, mathem. p. 157.
(86) Voir mon Essai hist. t. I, p. 140.— cf. Saxii Onomast. I, p. 104. Ideler, dans Wolf et Buttmann, Muséum der Allerthumswissnsch. II, p. 426 et suivantes.
(87) Lib. XXXVIII, c. 8.
(88) Lib. IX, c. 2,2,5.
(89) Lib. XXXIV. 14. Cf. Strabo 1. XVII.
(90) Deipn. IV, c. 25, § 83.
(91) Voir ci-dessus Sphérus.
(92) Sur Callimaque et Tigrane, Plut, in Lucull. 32. — Artavasdes, roi d'Arménie, faisait des ouvrages d'histoire et des tragédies. Plut. Crass. 53.
(93) On le voit par le périple d'Hannon de Carthage, écrit en grec, et par les études grecques du philosophe Clitomaque de Carthage.
(94) V. Sextus adv. mathem. 276. - Diogène de Laërte et Athénée. passim.
(95) Voir sur Euphorion, Suidas, s. h. v. - Sur Hégésianax et Mnesiptolème, Athen. IV, p. 155 ; XV, p. 697.
(96) Athen. Deipn. XII, p. 547.
(97) Dion. Halic. de Donarcho judicium.
(98) Voy. l'accusation d'Isidore, dans Diog.Laert. VII, 1,29.
(99) Strabon, lib. XIII, cf. lu note de la traduction française (vol. IV, ii. 13 ; II, p. 21, note 5).
(100) Diog. IV, 58. - Strabo, XIV, 673.
(101) Strabon, XIV, p. 661.
(102) Simon a Magistris.
(103 Voir Maffei, Museum Veronense p. XIV. - Boech, c. Insc. II, I, p. 361.
(104) Athen. IV, c. 25, § 3.
(105) Juitin, XXXVIΙΙ, 8, 7.
(106) Plut. De Adulat.. et Amic, disc, p. 60, A.
(107) Athen., lib. XIV, p. 381, éd. Schw. — M. Sharpe s'exprime ainsi, mais trop vaguement à mon avis, sur l'ouvrage du prince : « Like Ptolemy Soter his meraorabilia, or an account of what be had seen most remarkable in his lifetime. " p. 130.
(108) Epiph. De Mens, et Ponderib., c. 12. — Hieronym. in Daniel, c. 11.
(109) Athen., lib. II, p. 235, éd. Schw.
(110) Galen. opp., t. V, p. 411, éd. Basil. V. ci-dessus, p. 182.
(111) H. Klippel, p. 160.
(112) V, ci-dessus p. 113. Cf. Jean Lydus, p. 30. Boisson. Anecd. I, p. 420.
(113) Strabo, lib. II, c. 3.
(114) Athen. II, 71.
(115) Strabo XIV, 991.
(116) Par exemple, la proue sculptée d'un bâtiment échoué qu'il montra dans Alexandrie.
(117) Hist. Nat., lib. VI.
(118) Strabon II, c. 3.
(119) L. XLII, c. 37 et 38. cf. Lucain, X, v. 434.
(120) Strabo, XVII — Diod. Sic. XVII, c. 54,1, c 31.
(121) Klippel p. 171. note 5.
(122) Lucian, Περὶ πταίσματος, c. 10. — Suid. v. Dionysod.—Villoison, Anecd. t. II, p. 184.— Menag. in Laërt. IV, 22.
(123) Suidas, aux mots Archibius et Did.
(124) Au mot Tyrannion.
(125) Suidas, au mot Dionysius Alexandrinus.
(126) Suidas, au mot Didymus.
(127) Hudson, Geog. Minor. I.
(128) Strabo XVII, c. I.— Cicero, orat. pro M. Cœlio, c. 10, c. 121.
(129) l.ucian. De calumnia.
(130) Appian. Bell. civ. II, c. 90, cf. Plutarch. Pompei. c. 80. — Cœsar, c. 48. Brut. c. aa.
(131) Académic. I, 4, II, 4, 6.
(132) Dio Cassius LI, c. 16.—Plut. Apophth. Rom. August.
(133) Suidas, Philost. — On ignore si c'est de lui que parle Eusèbe dans Preap. evang. X, c. 3.
(134) V. la Sylloge de Nicétas.—Sur les Callimach, et les Hérophil. Polyb. XII, 521.
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