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Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

PHEDRE

FABLES

livre 3

 

autre traduction

 

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PROLOGUS

PHÆDRUS AD EUTYCHUM

PROLOGUE

A EUTYCHE

Phædri libellos legere si desideras,

Vaces oportet, Eutyche, a negotiis,

Ut liber animus sentiat vim carminis.

Verum inquis tanti non est ingenium tuum,

Momentum ut horæ pereat officiis meis.

Non ergo causa est manibus id tangi tuis,

Quod occupatis auribus non conuenit.

Fortasse dices: Aliquæ venient feriæ,

Quæ me soluto pectore ad studium vocent.

Legesne, quæso, potius viles nenias,

Impendas curam quam rei domesticæ,

Reddas amicis tempora, uxori vaces,

Animum relaxes, otium des corpori,

Ut adsuetam fortius præstes vicem?

 

Mutandum tibi propositum est et vitæ genus,

Intrare si Musarum limen cogitas.

Ego, quem Pierio mater enixa est jugo,

In quo Tonanti sancta Mnemosyne Jovi,

Fecunda nouies, artium peperit chorum,

Quamuis in ipsa pæne natus sim schola,

Curamque habendi penitus corde eraserim,

Nec Pallade hanc inuita in vitam incubuerim,

Fastidiose tamen in coetum recipior.

Quid credis illi accidere qui magnas opes

Exaggerare quærit omni vigilia,

Docto labori dulce præponens lucrum?

Sed jam, quodcumque fuerit, ut dixit Sinon

Ad regem cum Dardaniæ perductus foret,

Librum exarabo tertium Æsopi stilo,

Honori et meritis dedicans illum tuis.

Quem si leges, lætabor; sin autem minus,

Habebunt certe quo se oblectent posteri.

 

Nunc, fabularum cur sit inuentum genus,

Breui docebo. Seruitus obnoxia,

Quia quæ volebat non audebat dicere,

Affectus proprios in fabellas transtulit,

Calumniamque fictis elusit jocis.

Ego illius pro semita feci viam,

Et cogitavi plura quam reliquerat,

In calamitatem deligens quædam meam.

Quodsi accusator alius Seiano foret,

Si testis alius, judex alius denique,

Dignum faterer esse me tantis malis,

Nec his dolorem delenirem remediis.

 

Suspicione si quis errabit sua,

Et, rapiens ad se quod erit commune omnium,

Stulte nudabit animi conscientiam,

Huic excusatum me velim nihilo minus.

Neque enim notare singulos mens est mihi,

Verum ipsam vitam et mores hominum ostendere.

Rem me professum dicet fors aliquis grauem.

Si Phryx Æsopus potuit, si Anacharsis Scythes

æternam famam condere ingenio suo,

Ego litteratæ qui sum proprior Græciæ,

Cur somno inerti deseram patriæ decus,

Threissa cum gens numeret auctores deos,

Linoque Apollo sit parens, Musa Orpheo,

Qui saxa cantu movit et domuit feras

Hebrique tenuit impetus dulci mora?

Ergo hinc abesto, Livor, ne frustra gemas,

Quom jam mihi sollemnis dabitur gloria.

 

Induxi te ad legendum? Sincerum mihi

Candore noto reddas judicium peto.

Si vous voulez, mon cher Eutyche, lire le petit ouvrage de Phèdre, il faut un moment oublier les affaires; votre esprit, libre alors, pourra goûter le charme de la poésie. — Mais, me direz- vous, ton mérite n’est pas tel, qu’il me faille perdre un seul des moments dus à mes travaux. —En ce cas, que vos mains ne touchent point à ce livre, il ne saurait convenir à un esprit préoccupé. — Il viendra, répondrez-vous peut-être, quelques jours de fêtes, qui, en me donnant la liberté, m’appelleront à l’étude. — Mais, je vous le demande, lirez-vous ces bagatelles au lieu de vaquer à vos affaires, de visiter vos amis, d’être tout entier à votre femme, de détendre votre esprit, de reposer votre corps, pour reprendre avec plus de vigueur vos occupations ordinaires?

Il faut changer de plan et de manière de vivre, si vous songez à pénétrer dans le sanctuaire des Muses. Quant à moi, ma mère me mit au jour sur le sommet du Piérius, où Mnémosyne, neuf fois féconde, avait donné à Jupiter Tonnant les protectrices des arts. Quoique je sois né presque au sein de leur école, que j’aie étouffé dans mon âme toute ambition de fortune, et que j’aie obtenu des succès marquants, les Muses ne me reçoivent encore qu’avec dédain. Qu’arrivera-t-il donc à celui qui s’épuise en veilles pour amonceler des trésors, préférant une douce opulence à de doctes travaux? Après tout, advienne que pourra, comme disait Sinon, quand on le conduisit devant le roi de Pergame ; je vais donner un troisième livre écrit dans le style d’Ésope et je le dédie à vos talents et à votre mérite. Si vous le lisez, je me réjouirai; sinon, la postérité y trouvera certainement quelque plaisir.

Maintenant, je dirai en peu de mots pourquoi on imagina l’apologue. La servitude, entourée de dangers, ne pouvant exprimer ses pensées, transporta ses sentiments dans les fables, et déjoua la malveillance par d’ingénieuses fictions. J’ai fait une large route du sentier d’Esope; et, en cherchant des sujets dans les malheurs que j’ai éprouvés, j’ai écrit plus de fables qu’il n’en avait laissé, et j’ai même traité plusieurs sujets pour mon malheur. Si j’avais eu un autre accusateur, un autre témoin, un autre juge que Séjan, j’avouerais avoir mérité tant d’infortunes, et je ne chercherais pas de tels remèdes à ma douleur.

Celui qui, s’égarant en de vains soupçons, s’appliquera à lui seul œ que j’ai écrit pour tous, trahira bien sottement le fond de sa conscience. Toutefois, je veux d’avance m’excuser auprès de lui; car je désire, non signaler des vices particuliers, mais retracer en général les mœurs et la vie humaine. Peut-être me dira-t-on que la tâche est lourde. Mais si Esope le Phrygien et le Scythe Anacharsis se sont immortalisés par leur génie, pourquoi, moi, qui liens de phis près à la Grèce savante, abandonnerais-je dans un lâche repos, la gloire de ma patrie? La Thrace compte aussi ses écrivains; Apollon ne fut-il pas le père de Linus? une Muse la mère d’Orphée, celui dont la lyre harmonieuse émut les rochers, dompta les bêtes féroces, arrêta le cours impétueux de l’Hèbre? Arrière donc, pâle Envie! car tu gémirais en vain de la gloire éclatante qui m’est réservée.

Je vous ai prié de me lire; mais je vous demande un jugement sincère et digne de votre impartialité.

FABULA PRIMA

ANUS AD AMPHORAM

FABLE PREMIÈRE

LA VIEILLE FEMME A UNE AMPHORE

Anus jacere vidit epotam amphoram,

Adhuc Falerna fæce e testa nobili

Odorem quæ jucundum late spargeret.

Hunc postquam totis avida traxit naribus:

O suavis anima, quale in te dicam bonum

Antehac fuisse, tales cum sint reliquiæ!

Hoc quo pertineat dicet qui me nouerit.

Une vieille femme aperçut à terre une amphore entièrement vidée. La lie du Falerne qu’avait contenu le noble vase répandait encore au loin une odeur agréable. Après l’avoir flairé avec une avide sensualité: « Ah! quel doux parfum! s’écria-t-elle; quelles bonnes choses tu devais contenir à en juger par ce qui reste! »

Que signifie cette fable? le dira qui m’aura connu.

FABULA II

PANTHERA ET PASTORES

FABLE II

LA PANTHERE ET LES BERGERS

Solet a despectis par referri gratia.

 

Panthera inprudens olim in foveam decidit.

Videre agrestes; alii fustes congerunt,

Alii onerant saxis; quidam contra miseriti

Perituræ quippe, quamvis nemo læderet,

Misere panem ut sustineret spiritum.

Nox insecuta est; abeunt securi domum,

Quasi inventuri mortuam postridie.

At illa, vires ut refecit languidas,

Veloci saltu fovea sese liberat

Et in cubile concito properat gradu.

Paucis diebus interpositis provolat,

Pecus trucidat, ipsos pastores necat,

Et cuncta vastans sævit irato impetu.

Tum sibi timentes qui feræ pepercerant

Damnum haut recusant, tantum pro vita rogant.

At illa: Memini quis me saxo petierit,

Quis panem dederit; vos timere absistite;

Illis revertor hostis qui me læserunt.

Ceux que l’on offense rendent ordinairement la pareille.

Un jour, une Panthère imprudente tomba dans une fosse. Des paysans l’aperçurent; les uns l’accablent à coups de bâton, les autres à coups de pierres; mais quelques-uns, pris de pitié, et pensant qu’elle mourrait sans en recevoir davantage, lui jetèrent du pain pour prolonger un peu sa vie. La nuit vient et tous s’en vont avec sécurité, croyant bien la trouver morte le lendemain. Mais la Panthère, ayant repris ses forces, d’un bond léger s’élança hors de la fosse, et regagna promptement sa tanière. Peu de jours après, elle arrive, égorge les brebis, tue les bergers; rien n’échappe à sa rage impétueuse. Alors les villageois qui l’avaient épargnée, tremblant pour eux-mêmes, viennent lui livrer leurs troupeaux pour racheter leur vie: « Je me souviens, dit-elle, de ceux qui m’ont jeté des pierres et de ceux qui m’ont donné du pain; ne craignez donc rien, je ne reviens en ennemie que contre ceux qui m’ont frappée. »

FABULA III

ÆSOPUS ET RUSTICUS

FABLE III

ESOPE ET LE PAYSAN

Usu peritus hariolo veracior

Vulgo perhibetur; causa sed non dicitur,

Notescet quæ nunc primum fabella mea.

 

Habenti cuidam pecora perpererunt oves

Agnos humano capite. Monstro territus

Ad consulendos currit mærens hariolos.

Hic pertinere ad domini respondet caput,

Et avertendum victima periculum.

Ille autem adfirmat conjugem esse adulteram

Et insitivos significari liberos,

Sed expiari posse majore hostia.

Quid multa? Variis dissident sententiis,

Hominisque curam cura majore adgravant.

Æsopus ibi stans, naris emunctæ senex,

Natura numquam verba cui potuit dare,

Si procurare vis ostentum, rustice,

Uxores inquit da tuis pastoribus.

Un homme d’expérience en sait plus long qu’un devin. C’est un proverbe; d’où vient-il? on ne le dit pas. Ma fable, la première, va l’apprendre.

Un fermier avait des brebis qui lui donnaient des agneaux à tête humaine. Épouvanté d’une monstruosité pareille, il court tout affligé consulter les devins. L’un répond que la vie du maître est menacée, et qu’il faut conjurer le péril par une victime. L’autre assure au fermier que sa femme lui est infidèle, et que cela signifie l’illégitimité des enfants; mais qu’un sacrifice important peut tout expier. Enfin, tous diffèrent d’opinion et ne font qu’aggraver le souci du paysan. Ésope, vieillard plein de finesse et de sagacité, et que la nature ne put jamais tromper, se trouvait là par hasard : « Villageois, lui dit-il, si tu veux taire cesser ce prodige, donne des femmes tes bergers. »

FABULA IV

SIMII CAPUT

FABLE IV

LA FIGURE DU SINGE

Pendere ad lanium quidam vidit simium

Inter relicuas merces atque opsonia;

Quæsivit quidnam saperet. Tum lanius jocans

Quale inquit caput est, talis præstatur sapor.

 

Ridicule magis hoc dictum quam vere æstimo;

Quando et formosos sæpe inveni pessimos,

Et turpi facie multos cognovi optimos.

Parmi des viandes et d’autres comestibles, un passant vit un Singe à l’étal d’un Boucher. Il demanda quel goût cette bête pouvait avoir. Le Boucher lui répondit en riant: « Telle est la figure, tel est le goût. »

Cette réponse me semble plus plaisante que juste; car j’ai vu souvent des hommes beaux être fort méchants, et d’autres, avec une figure affreuse, avoir un cœur excellent.

FABULA V

ÆSOPUS ET PETULANS

FABLE V.

ESOPE ET LE MAUVAIS PLAISANT

Successus ad perniciem multos devocat.

 

Æsopo quidam petulans lapidem impegerat.

Tanto inquit melior! Assem deinde illi dedit

Sic prosecutus: Plus non habeo mehercule,

Sed unde accipere possis monstrabo tibi.

Venit ecce dives et potens; huic similiter

Impinge lapidem, et dignum accipies præmium.

Persuasus ille fecit quod monitus fuit,

Sed spes fefellit impudentem audaciam;

Comprensus namque poenas persolvit cruce.

Un succès conduit bien des gens à leur perte.

Un mauvais plaisant jeta une pierre à Ésope : « Bien, très bien, dit celui-ci; puis, il donna un as, en ajoutant Par Hercule! je n’ai plus rien; mais je vais te montrer qui peut te donner plus. Voici un homme puissant et riche qui vient de ce côté; jette-lui aussi une pierre, et tu seras dignement récompensé. » Notre sot, persuadé, suivit ce conseil; mais son impudente audace n’eut pas le même succès : car on le prit, et on le mit en croix pour sa peine.

FABULA VI

MUSCA ET MULA

FABLE VI.

LA MOUCHE ET LA MULE

Musca in temone sedit et mulam increpans

Quam tarde es inquit non vis citius progredi?

Vide ne dolone collum conpungam tibi.

Respondit illa: Verbis non moveor tuis;

Sed istum timeo sella qui prima sedens

Cursum flagello temperat lento meum,

Et ora frenis continet spumantibus.

Quapropter aufer frivolam insolentiam;

Nam et ubi tricandum et ubi sit currendum scio.

Hoc derideri fabula merito potest

Qui sine virtute vanas exercet minas.

Une Mouche se posa sur un timon, et, gourmandant la Mule:

« Paresseuse, lui dit-elle, ne peux-tu aller plus vite? marche, ou je te perce le cou avec mon dard. » La Mule lui répondit: « Je ne m’émeus point de tes paroles; mais je crains l’homme assis sur le siège de devant, et qui, armé d’un fouet flexible, me gouverne sous le joug et retient par le frein ma bouche écumante. Laisse donc là ta frivole arrogance; car je sais quand il faut m’arrêter, et quand je dois courir. »

Cette fable peut servir à tourner en ridicule ceux qui prodiguent d’impuissantes menaces.

FABULA VII

CANIS ET LUPUS

FABLE VII.

LE CHIEN ET LE LOUP

Quam dulcis sit libertas breviter proloquar.

 

Cani perpasto macie confectus lupus

Forte occurrit; dein, salutati invicem

Ut restiterunt: Unde sic, quæso, nites?

Aut quo cibo fecisti tantum corporis?

Ego, qui sum longe fortior, pereo fame.

Canis simpliciter: Eadem est condicio tibi,

Præstare domino si par officium potes.

Quod? inquit ille. Custos ut sis liminis,

A furibus tuearis et noctu domum.

Adfertur ultro panis; de mensa sua

Dat ossa dominus; frusta jactat familia,

Et quod fastidit quisque pulmentarium.

Sic sine labore venter impletur meus.

Ego vero sum paratus: nunc patior nives

Imbresque in silvis asperam vitam trahens.

Quanto est facilius mihi sub tecto vivere,

Et otiosum largo satiari cibo!

Veni ergo mecum. Dum procedunt, aspicit

Lupus a catena collum detritum cani.

Unde hoc, amice? Nil est. Dic, sodes, tamen.

Quia videor acer, alligant me interdiu,

Luce ut quiescam, et vigilem nox cum venerit:

Crepusculo solutus qua visum est vagor.

Age, abire si quo est animus, est licentia?

Non plane est inquit. Fruere quæ laudas, canis;

Regnare nolo, liber ut non sim mihi.

Je dirai en peu de mots combien la liberté est douce.

Un Loup d’une maigreur excessive rencontra un chien gros et replet. Après un salut, ils s’arrêtèrent : « D’où vient, dit le Loup, que ton poil est si brillant? où te nourris-tu, pour avoir un si bel embonpoint? moi, qui suis bien plus fort, je meurs de faim. — Ce bonheur sera le tien, répondit le Chien avec franchise, si tu peux rendre au maître les mêmes services que moi. — Quels sont-ils? — Garder la porte, et, la nuit, défendre la maison contre les voleurs. — Me voilà tout prêt: car maintenant j’ai à souffrir la neige, la pluie, et je traîne au fond des bois une vie misérable. Qu’il me sera plus facile de vivre à l’abri sous un toit, et de trouver un bon dîner sans me donner de mal! — Viens donc avec moi. Chemin faisant, le Loup voit le cou du Chien pelé par l’effet de la chaîne. Qu’est cela, ami? — Rien. — Dis-le moi, je te prie. — Comme on me trouve vif, on m’attache pendant le jour pour que je dorme quand luit le soleil, et que je puisse veiller dès que vient la nuit; le soir, on m’ôte ma chaîne, et je cours où je yeux. On m’apporte du pain, mon maître me donne des os de sa table, les valets me jettent quelques bons morceaux, et me laissent leur soupe dont ils ne se soucient guère. Ainsi, sans travailler, je me remplis le ventre. — Mais, dis-moi, si tu veux sortir, le peux-tu? — Pas tout à fait. — Jouis donc, mon ami, des douceurs que tu me vantes; quant à moi, je ne changerais pas ma liberté contre une couronne.

FABULA VIII

FRATER ET SOROR

FABLE VIII

LE FRERE ET LA SŒUR

Præcepto monitus sæpe te considera.

 

Habebat quidam filiam turpissimam,

Idemque insignem pulchra facie filium.

Hi speculum, in cathedra matris ut positum fuit,

Pueriliter ludentes forte inspexerunt.

Hic se formosum jactat; illa irascitur

Nec gloriantis sustinet fratris jocos,

Accipiens quid enim? cuncta in contumeliam.

Ergo ad patrem decurrit læsura inuicem,

Magnaque invidia criminatur filium,

Vir natus quod rem feminarum tetigerit.

Amplexus ille utrumque et carpens oscula

Dulcemque in ambos caritatem partiens,

Cotidie inquit speculo vos uti volo,

Tu formam ne corrumpas nequitiæ malis,

Tu faciem ut istam moribus vincas bonis.

Averti par cet exemple, examinez-vous souvent.

Un homme avait une fille des plus laides, et un fils d’une figure remarquable. Ces enfants, jouant un jour ensemble, aperçurent par hasard un miroir posé sur la chaise de leur mère. Le jeune garçon vante sa beauté. Sa Sœur, à cet accès de vanité, se met en colère et prend tout ce badinage pour une injure. Pour le mortifier à son tour, elle court vers son père, et fait, la jalouse, un crime à son jeune Frère d’avoir touché, lui homme, un meuble de femme. Le père les prit tous deux dans ses bras, et, partageant également ses caresses et ses baisers. « Je veux, leur dit-il, que tous les jours vous vous serviez de ce miroir : toi, pour que les vices du cœur ne ternissent pas ta beauté, et toi, ma fille, pour que tes bonnes qualités rachètent les torts de la nature. »

FABULA IX

SOCRATES AD AMICOS

FABLE IX

SOCRATE A SES AMIS

Vulgare amici nomen sed rara est fides.

Cum paruas ædes sibi fundasset Socrates

Cuius non fugio mortem si famam adsequar,

Et cedo invidiæ dummodo absolvar cinis,

Ex populo sic nescioquis, ut fieri solet:

Quæso, tam angustam talis vir ponis domum?

Utinam inquit veris hanc amicis impleam!

Le nom d’ami est commun, mais l’amitié rare.

Socrate se faisait bâtir une petite maison (j’envie sa mort au prix de sa renommée, et je pardonne à l’envie si l’on absout ma cendre). Je ne sais qui du peuple s’écria: « Se peut-il qu’un tel homme se donne une maison si petite? Plût au ciel, répondit Socrate, que je la remplisse de vrais amis! »

FABULA X

RES GESTA SUB AUGUSTO

FABLE X

HISTOIRE ARRIVEE SOUS LE REGNE D’AUGUSTE

Periculosum est credere et non credere.

Utriusque exemplum breuiter adponam rei.

 

Hippolytus obiit, quia nouercæ creditum est;

Cassandræ quia non creditum, ruit Ilium.

Ergo exploranda est veritas multum, prius

Quam stulte prava judicet sententia.

Sed, fabulosa ne vetustatem elevem,

Narrabo tibi memoria quod factum est mea.

 

Maritus quidam cum diligeret conjugem,

Togamque puram jam pararet filio,

Seductus in secretum a liberto est suo,

Sperante heredem suffici se proximum.

Qui, cum de puero multa mentitus foret

Et plura de flagitiis castæ mulieris,

Adjecit, id quod sentiebat maxime

Doliturum amanti, ventitare adulterum

Stuproque turpi pollui famam domus.

Incensus ille falso uxoris crimine

Simulavit iter ad villam, clamque in oppido

Subsedit; deinde noctu subito januam

Intravit, recta cubiculum uxoris petens,

In quo dormire mater natum jusserat,

ætatem adultam seruans diligentius.

Dum quærunt lumen, dum concursant familia,

Iræ furentis impetum non sustinens

Ad lectum vadit, temptat in tenebris caput.

Ut sentit tonsum, gladio pectus transigit,

Nihil respiciens dum dolorem vindicet.

Lucerna adlata, simul adspexit filium

Sanctamque uxorem dormientem [illum prope],

Sopita primo quæ nil somno senserat,

Representavit in se poenam facinoris

Et ferro incubuit quod credulitas strinxerat.

 

Accusatores postularunt mulierem,

Romamque pertraxerunt ad centumuiros.

Maligna insontem deprimit suspicio,

Quod bona possideat. Stant patroni fortiter

Causam tuentes innocentis feminæ.

A divo Augusto tum petiere judices

Ut adiuuaret juris jurandi fidem,

Quod ipsos error implicuisset criminis.

 

Qui postquam tenebras dispulit calumniæ

Certumque fontem veritatis repperit,

Luat inquit poenas causa libertus mali;

Namque orbam nato simul et privatum viro

Miserandam potius quam damnandam existimo.

Quod si delata perscrutatus crimina

Paterfamilias esset, si mendacium

Subtiliter limasset, a radicibus

Non evertisset scelere funesto domum.

 

Nil spernat auris, nec tamen credat statim,

Quandoquidem et illi peccant quos minime putes,

Et qui non peccant impugnantur fraudibus.

 

Hoc admonere simplices etiam potest,

Opinione alterius ne quid ponderent.

Ambitio namque dissidens mortalium

Aut gratiæ subscribit aut odio suo.

Erit ille notus quem per te congnoveris.

 

Hæc exsecutus sum propterea pluribus,

Brevitate nimia quoniam quosdam offendimus.

La crédulité et l’incrédulité sont également dangereuses. Je vais en peu de mots montrer ces défauts.

Hippolyte périt, parce qu’on crut sa belle-mère; Troie succomba, parce qu’on ne crut point Cassandre. Il faut donc cher- cher scrupuleusement la vérité, ne point juger sottement et à tort. Mais, laissant des traditions presque fabuleuses, je vais vous rapporter un fait de nos jours.

Un mari, qui chérissait tendrement sa femme, se disposait à faire prendre la robe virile à son fils. Son affranchi, espérant se substituer à l’héritier légitime, tira son patron à l’écart, lui débita force calomnies sur son fils et sur la vertu de sa femme; ajoutant, ce qu’il savait devoir affecter le plus un mari, qu’elle recevait un amant et que ce commerce honteux déshonorait sa maison. Plein de colère à ces récits mensongers, notre homme feint d’aller à la campagne, mais reste caché dans la ville. Dans la nuit, il rentre précipitamment chez lui, et va droit à la chambre de sa femme. La mère avait fait coucher son fils près d’elle, pensant que cet âge adulte avait encore plus besoin de surveillance. Tandis que l’on cherche de la lumière, que toute la maison est sur pied, le mari, qui ne peut comprimer l’élan de sa colère, approche du lit, et, dans les ténèbres, sent une tête: il touche des cheveux courts, et ne songeant qu’à son outrage, perce de sou glaive le corps de l’infortuné. Les flambeaux arrivent, il reconnaît son fils près de sa chaste épouse, qui, plongée dans le premier sommeil, n’avait rien entendu. Le malheureux père vit la peine due à son crime et se précipita sur le fer dont l’avait armé sa crédulité.

Des accusateurs poursuivirent cette femme et la traînèrent à Rome devant les centumvirs. D’odieux soupçons accablent l’innocente, parce quelle va entrer en possession des biens. Les avocats plaidèrent avec énergie la cause de l’innocence. Alors les juges, que l’obscurité de cette affaire embarrassait, prièrent Auguste d’éclairer, dans ce jugement, leur conscience.

Ce prince, dissipant les ténèbres de la calomnie et découvrant la source de la vérité, prononça cette sentence : « Que l’affranchi, cause de tant de malheurs, en subisse le châtiment. Quant à cette femme privée de son fils et de son mari, je la crois plus à plaindre qu’à punir. Si ce père infortuné avait approfondi d’aussi fausses accusations, et adroitement cherché à découvrir l’imposture, il n’aurait point, par ce crime affreux, détruit entièrement sa famille. »

Ne fermez point vos oreilles, mais ne croyez pas trop vite; souvent ceux-là sont coupables, qu’on soupçonne le moins, tandis que la calomnie attaque les innocents.

Cet exemple peut avertir les personnes trop simples, de ne point juger d’après l’opinion d’autrui; car l’ambition divise les mortels et ne leur laisse écouter que leur haine ou leur amour. On ne connaît un homme qu’après l’avoir étudié par soi-même.

J’ai traité ce sujet plus longuement parce que plusieurs de mes lecteurs se sont plaints de ma brièveté.

FABULA XI

EUNUCHUS AD IMPROBUM

FABLE XI

UN EUNUQUE A UN MECHANT HOMME

Eunuchus litigabat cum quodam improbo,

Qui super obscena dicta et petulans jurgium

Damnum insectatus est amissi corporis.

En ait hoc unum est cur laborem validius,

Integritatis testes quia desunt mihi.

Sed quid Fortunæ, stulte, delictum arguis?

Id demum est homini turpe quod meruit pati.

Un méchant homme cherchait querelle à un Eunuque. A ses invectives, il mêlait des paroles grossières, et lui reprochait même la perte d’un de ses membres. « Ce qui m’affecte réellement, répondit celui-ci, c’est d’avoir perdu les témoins de ma virilité. Mais pourquoi me reprocher sottement la faute du sort? l’homme ne doit rougir que des maux qu’il a mérités. »

FABULA XII

PULLUS AD MARGARITAM

FABLE XII

LE JEUNE COQ ET LA PERLE

In sterculino Pullus gallinacius

Dum quærit escam margaritam repperit.

Iaces indigno quanta res inquit loco!

Hoc si quis pretii cupidus vidisset tui,

Olim redisses ad splendorem pristinum.

Ego quod te inveni, potior cui multo est cibus,

Nec tibi prodesse nec mihi quicquam potest.

 

Hoc illis narro qui me non intellegunt.

Un jeune Coq, en cherchant sa nourriture sur un fumier, trouva une Perle. « Précieux objet, dit-il, tu es là dans un lieu indigne de toi! si un avide connaisseur t’apercevait, il t’aurait bientôt rendu ton premier éclat. Pour moi qui t’ai trouvé, le moindre aliment me serait meilleur; je ne puis t’être utile et tu ne peux rien pour moi. »

J’adresse cette fable à ceux qui ne me comprennent pas.

FABULA XIII

APES ET FUCI, VESPA JUDICE

FABLE XIII

LES ABEILLES ET LES BOURDONS JOUES PAR LA GUEPE

Apes in alta fecerant quercu fauos.

Hos fuci inertes esse dicebant suos.

Lis ad forum deducta est, vespa judice;

Quæ, genus utrumque nosset cum pulcherrime,

Legem duabus hanc proposuit partibus:

Non inconueniens corpus et par est color,

In dubium plane res ut merito venerit.

Sed, ne religio peccet inprudens mea,

Alvos accipite et ceris opus infundite,

Ut ex sapore mellis et forma favi,

De quis nunc agitur, auctor horum appareat.

Fuci recusant, apibus condicio placet.

Tunc illa talem rettulit sententiam:

Apertum est quis non possit et quis fecerit.

Quapropter apibus fructum restituo suum.

 

Hanc præterissem fabulam silentio,

Si pactam fuci non recusassent fidem.

Des abeilles avaient déposé leurs rayons sur le haut d’un chêne; de paresseux Bourdons les réclamaient comme étant à eux. Ce débat fut porté eu justice, par-devant la Guêpe pour juge; et comme elle connaissait parfaitement chaque partie, elle leur proposa cet arrangement : « Vous vous ressemblez assez, leur dit-elle, de corps et de couleur, le doute en cette affaire est donc permis. Mais, pour que ma religion ne soit point surprise dans ce jugement, travaillez, remplissez de miel vos alvéoles de cire sa saveur et la forme des rayons décideront qui a fait ceux-ci. » Les Bourdons refusent l’épreuve; les Abeilles l’acceptent avec joie. Alors la Guêpe prononça cette sentence : « On voit assez l’incapacité des uns et le savoir-faire des autres; je restitue donc aux Abeilles le fruit de leur travail. »

J’aurais passé cette fable sous silence, si les Bourdons n’avaient refusé de tenir la foi promise.

FABULA XIV

ÆSOPUS LUDENS

FABLE XIV

ESOPE JOUANT AUX NOIX

Puerorum in turba quidam ludentam Atticus

Æsopum nucibus cum vidisset, restitit,

Et quasi delirum risit. Quod sensit simul

Derisor potius quam deridendus senex,

Arcum retensum posuit in media via:

Heus inquit sapiens, expedi quid fecerim.

Concurrit populus. Ille se torquet diu,

Nec quæstiones positæ causam intellegit.

Nouissime succumbit. Tum victor sophus:

Cito rumpes arcum, semper se tensum habueris;

At si laxaris, cum voles erit utilis.

 

Sic ludus animo debent aliquando dari,

Ad cogitandum melior ut redeat tibi.

Un Athénien vit Esope jouant aux noix au milieu d’une troupe d’enfants; il s’arrêta et se prit à rire, le croyant fou. Le vieillard s’en aperçut; et, comme il était plus souvent railleur que raillé, il posa au milieu de la rue un arc, débandé. « Hé! l’homme sage, dit-il, devine un peu ce que j’ai voulu faire. » La foule s’amasse, notre homme se met l’esprit à la torture, sans pouvoir rien comprendre à la question posée; enfin il s’avoue vaincu. Le sage victorieux lui dit alors: « Tu rompras bien vite un arc, si tu le tiens toujours tendu; mais, détends-le et tu pourras t’en servir quand tu voudras. »

Ainsi, l’on doit parfois reposer l’esprit pour donner ensuite plus de nerf aux pensées.

FABULA XV

CANIS AD AGNUM

FABLE XV

LE CHIEN ET L’AGNEAU

Inter capellas agno palanti canis

Stulte inquit erras; non est hic mater tua.

Ovesque segregatas ostendit procul.

Non illam quæro quæ cum libitum est concipit,

Dein portat onus ignotum certis mensibus,

Novissime prolapsam effundit sarcinam;

Verum illam quæ me nutrit admoto ubere,

Fraudatque natos lacte ne desit mihi.

Tamen illa est potior quæ te peperit. Non ita.

Beneficium sane magnum natali dedit,

Ut expectarem lanium in horas singulas!

Unde illa scivit niger, an albus nascerer?

Age porro, scisset: quum crearer masculus,

Beneficum magnum sane natali dedit

Ut expectare lanium in horas singulas

Cujus potestas nulla in gignendo fuit,

Cur hac sit potior quæ jacentis miserita est,

Dulcemque sponte præstat benevolentiam?

Facit parentes bonitas, non necessitas.

 

His demonstrare voluit auctor versibus

Obsistere homines legibus, meritis capi.

Un Chien entendit bêler un Agneau parmi des chèvres: « Pauvre bête! lui dit-il, tu te trompes, ta mère n’est pas ici; » et il lui montra un troupeau de brebis paissant à l’écart. « Je ne cherche point, répondit l’Agneau, celle qui conçoit quand il lui plaît, qui porte pendant certains mois un fardeau qu’elle ne connaît pas, et s’en débarrasse ensuite en le déposant à terre; mais je cherche celle qui me nourrit en m’offrant ses mamelles, et qui, pour m’élever, dérobe à ses enfants une partie de leur lait. — Cependant tu dois préférer celle qui t’a donné le jour. — Non, certes, répondit l’Agneau; savait-elle seulement si je naîtrais noir ou blanc? et, quand elle l’aurait su, elle ne m’a point rendu un si grand service en me donnant le jour, puisque je suis un bélier, attendant à chaque instant le couteau du boucher. Lorsque ma mère a conçu, sa volonté n’y était pour rien; pourquoi la préférer à celle qui a eu pitié de moi et qui m’accorde bénévolement des soins si touchants? C’est l’affection qui fait la parenté et non la loi de la nature. »

L’auteur a voulu démontrer dans ces vers que les hommes qui résistent aux lois cèdent aux bienfaits.

FABULA XVI

CICADA ET NOCTUA

FABLE XVI

LA CIGALE ET LE HIBOU

Humanitati qui se non accommodat

Plerumque poenas oppetit superbiæ.

 

Cicada acerbum Noctuæ convicium

Faciebat, solitæ victum in tenebris quærere

Cavoque ramo capere somnum interdiu.

Rogata est ut taceret. Multo validius

Clamare occepit. Rursus admota prece

Accensa magis est. Noctua, ut vidit sibi

Nullum esse auxilium et verba contemni sua,

Hac est adgressa garrulam fallacia:

Dormire quia me non sinunt cantus tui,

Sonare citharam quos putes Apollinis,

Potare est animus nectar, quod Pallas mihi

Nuper donavit; si non fastidis, veni;

Una bibamus. Illa, quæ arebat siti,

Simul gaudebat vocem laudari suam,

Cupide advolavit. Noctua, obsepto cavo,

Trepidantem consectata est et leto dedit.

Sic, viva quod negarat, tribuit mortua.

Celui qui ne sait point se plier à la complaisance est presque toujours puni de son orgueil.

Une Cigale, de ses cris aigres, étourdissait un Hibou, accoutumé à poursuivre sa proie dans les ténèbres et à se reposer le jour dans le creux d’un arbre. Il la supplia de se taire; elle de crier plus fort. De nouvelles prières ne servirent qu’à exciter la chanteuse. Le Hibou ne sachant que faire et voyant le peu de succès de ses demandes, résolut d’employer la ruse. « Puisque tes chants, lui dit-il, m’empêchent de dormir, car vraiment on croirait entendre la lyre d’Apollon, j’ai envie de goûter ce nectar dont Pallas me fit dernièrement présent; si tu ne le dédaignes pas, viens, et nous boirons ensemble. » La Cigale qui mourait de soif, n’eut pas plutôt entendu louer ses chants qu’elle prit son essor. Le Hibou sort de son trou, la poursuit toute tremblante et la tue. Ainsi, ce que vivante elle avait refusé, morte elle l’accorda.

FABULA XVII

ARBORES IN DEORUM TUTELA

FABLE XVII

LES ARBRES SOUS LA PROTECTION DES DIEUX

Olim quas vellent esse in tutela sua

Divi legerunt arbores. Quercus Jovi,

At myrtus Veneri placuit, Phoebo laurea,

Pinus Cybebæ, populus celsa Herculi.

Minerva admirans quare steriles sumerent

Interrogavit. Causam dixit Jupiter:

Honorem fructu ne videamur  vendere.

At mehercules narrabit quod quis voluerit,

Oliva nobis propter fructum est gratior.

Tum sic deorum genitor atque hominum sator:

O nata, merito sapiens dicere omnibus.

Nisi utile est quod facimus, stulta est gloria.

 

Nihil agere quod non prosit fabella admonet.

Les Dieux choisirent un jour les arbres qu’ils voulaient protéger. Jupiter prit le chêne, Vénus le myrte, Apollon le laurier, Cybèle le pin, Hercule le superbe peuplier. Minerve, surprise, leur demanda pourquoi ils prenaient des arbres stériles? — Pourquoi? répondit Jupiter, c’est pour ne pas paraître vendre pour leurs fruits tant d’honneur. — Par Hercule! répliqua Minerve, on dira ce que l’on voudra, moi, je préfère l’olivier et pour son fruit. — Ma fille, lui dit alors le père des dieux et des hommes, on vante avec raison ta sagesse, car si nos actions sont inutiles, la gloire en est vaine.

Cette fable conseille de ne rien faire qui ne soit utile.

FABULA XVIII

PAVO AD JUNONEM

FABLE XVIII

LE PAON A JUNON

Pavo ad Junonem venit, indigne ferens

Cantus luscinii quod sibi no tribuerit;

Illum esse cunctis auribus mirabilem,

Se derideri simul ac vocem miserit.

Tunc consolandi gratia dixit dea:

Sed forma vincis, vincis magnitudine;

Nitor smaragdi collo præfulget tuo,

Pictisque plumis gemmeam caudam explicas.

Quo mi inquit mutam speciem si vincor sono?

Fatorum arbitrio partes sunt vobis datæ;

Tibi forma, vires aquilæ, luscinio melos,

Augurium coruo, læva cornici omina;

Omnesque propriis sunt contentæ dotibus.

 

Noli adfectare quod tibi non est datum,

Delusa ne spes ad querelam reccidat.

Indigné de n’avoir pas eu en partage la voix du rossignol, le Paon vint trouver Junon. « Ce chant harmonieux, dit-il, plaît à tout le monde, tandis que ma voix ne fait qu’exciter le rire. » La déesse lui répondit pour le consoler: « Tu l’emportes par la beauté, par ton port majestueux! ton cou brille des plus vives couleurs de l’émeraude, et tu déploies une queue étincelante de l’éclat de mille pierreries. — A quoi me sert une beauté muette, si je suis le dernier par la voix? — Le Destin, reprit Junon, a assigné la part de chacun: toi, tu as reçu la beauté; l’aigle, le courage; le rossignol, le chant; le corbeau, le don de prédire; la corneille, celui des sinistres présages; et cependant chacun est content de son lot. »

Gardez .vous d’envier les biens que vous n’avez pas; votre espoir déçu ne vous laisserait que des regrets.

FABULA XIX

ÆSOPUS AD GARRULUM

FABLE XIX

ÉSOPE A UN BAVARD

Æsopus domino solus cum esset familia,

Parare cenam jussus est maturius.

Ignem ergo quærens aliquot lustravit domus,

Tandemque invenit ubi lacernam accenderet,

Tum circueunti fuerat quod iter longius

Effecit brevius: namque recta per forum

Cœpit redire. Et quidam e turba Garrulus:

Æsope, medio sole quid cum lumine?

Hominem inquit quæro. Et abiit festinans domum.

 

Hoc si molestus ille ad animum rettulit,

Sensit profecto se hominem non visum seni,

Intempestive qui occupato adluserit.

Esope était à lui seul toute la maison de son maître. Un jour il eut l’ordre de préparer le diner plus tôt que de coutume ; il cherche partout du feu, court de maison en maison, en trouve enfin et allume sa lampe. Comme il avait par des détours allongé son chemin, pour abréger son retour il traversa le marché. Un bavard lui cria de la foule: « Esope, que fais-tu donc de ta lampe en plein midi? — Je cherche un homme, » lui répondit.il, et il regagna promptement son logis.

Si cet importun réfléchit sur cette réponse, il dut voir que le vieil Ésope n’avait pas pris pour un homme le plaisant qui raillait un homme affairé.

EPILOGUS

AD EUTYCHUM

EPILOGUE

A EUTYCHE

Supersunt mihi quæ scribam, sed parco sciens:

Primum, esse videar ne tibi molestior,

Distringit quem multarum rerum varietas;

Dein, si quis eadem forte conari velit,

Habere ut possit aliquid operis residui;

Quamuis materiæ tanta abundet copia,

Labori faber ut desit, non fabro labor.

 

Brevitatis nostræ præmium ut reddas peto

Quod es pollicitus; exhibe vocis fidem.

Nam vita morti propior est cotidie;

Et hoc minus redibit ad me muneris,

Quo plus consumet temporis dilatio.

Si cito rem perages, usus fiet longior;

Fruar diutius si celerius cœpero.

Languentis ævi dum sunt aliquæ reliquiæ,

Auxilio locus est: olim senio debilem

Frustra aduuare bonitas nitetur tua,

Cum jam desierit esse beneficio utilis,

Et Mors vicina flagitabit debitum.

 

Stultum admovere tibi preces existimo,

Procli¨vis ultro cum sis misericordiæ.

Sæpe impetravit veniam confessus reus:

Quanto innocenti justius debet dari?

Tuæ sunt partes; fuerunt aliorum prius;

Dein simili gyro venient aliorum vices.

Decerne quod religio, quod patitur fides,

Ut gratuler me stare judicio tuo.

 

Excedit animus quem proposui terminum,

Sed difficulter continetur spiritus,

Integritatis qui sinceræ conscius

A noxiorum premitur insolentiis.

Qui sint, requiris? Apparebunt tempore.

Ego, quondam legi quam puer sententiam

Palam mutire plebeio piaculum est,

Dum sanitas constabit, pulchre meminero.

Il me reste encore bien des sujets à traiter, mais je m’arrête à dessein; d’abord, pour ne pas vous paraître importun au milieu de vos nombreuses affaires; ensuite, pour laisser matière à qui voudrait s’exercer dans ce genre de poésie: quoique cependant elle soit tellement abondante et fertile, que l’ouvrier manque à l’ouvrage et non l’ouvrage à l’ouvrier.

Je réclame la récompense que vous avez promise à ma brièveté. Soyez fidèle à votre parole; car chaque jour me rapproche de la mort : et j’aurai d’autant moins à profiter du bienfait que vous mettrez plus de retard à me l’accorder. Si vous vous décidez à l’instant, l’usage aura plus de durée. Plus tôt j’aurai reçu, plus longtemps je jouirai. Tandis qu’il me reste encore quelques années d’une languissante vie, c’est le moment de me protéger. Un jour, votre bienveillance cherchera vainement à secourir un dé.- bile vieillard; ces efforts seront inutiles: la mort prochaine exigera son tribut.

Mais je pense que c’est folie d’adresser des prières à un ami naturellement enclin à la bienveillance. Souvent le coupable obtient le pardon par ses aveux: combien n’est-il pas plus juste de l’accorder à un innocent! Voilà votre rôle; avant vous, d’autres l’ont rempli; plus tard, d’autres le rempliront encore. Prononcez comme vous le dicteront la conscience et la bonne foi, et faites que j’aie à me réjouir de votre jugement.

J’ai dépassé les bornes que je m’étais prescrites: mais on peut difficilement contenir une âme, convaincue de son innocence et en butte aux calomnies des méchants. Qui sont-ils, direz-vous. — Ils se démasqueront un jour. Pour moi, tout enfant, j’ai lu cette maxime: « Pour un plébéien, murmurer tout haut, c’est un sacrilège, » et, tant que j’aurai l’esprit sain, je me la rappellerai.