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Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

PHEDRE

FABLES

 notice 2 - livre 1 - livre 2 - livre 3 - livre 4 - livre 5


 

 

NOTICE SUR PHÈDRE.

LES écrivains de l'antiquité (01), qui ont fait mention des auteurs d'apologues, semblent s'être entendus entre eux pour dérober à la postérité le nom du fabuliste romain. Ne pouvant donc puiser dans aucune source authentique des documents sur la vie de Phèdre, c'est dans ses écrits que nous allons chercher nos conjectures : nous espérons qu'elles serviront à faire disparaître l'obscurité qui, jusqu'à présent, a enveloppé notre poète.
Phèdre naquit en Thrace ; lui-même nous l'apprend dans le prologue du troisième livre :

Ego, litteratae qui sum propior Graeciae,
Cur somno inerti deseram patriae decus ?
Threissa quum gens numeret auctores suos,
Linoque Apollo sit parens, Musa Orpheo
(02).

Ce dut être dans le voisinage de la Macédoine, comme l'indiquent ces autres vers du même prologue :

Ego, quem Pierio mater enixa est jugo,
In quo tonanti sancta Mnemosyne Jovi,
Fecunda novies, artium peperit Chorum
(03).

Quelques critiques, s'appuyant sur ce passage, ont soutenu que Phèdre était plutôt Macédonien que Thrace, parce qu'à une certaine époque le mont Piérius fit partie de la Macédoine. Nous n'insisterons pas sur la subtilité de leur interprétation, elle nous semble dépourvue d'intérêt (04). Nous ne les suivrons pas davantage dans les suppositions tout-à-fait arbitraires qu'ils font sur les parents de Phèdre, sur ses premières années, sur les événements qui le privèrent de la liberté et l'amenèrent en Italie. Il fut un des affranchis de l'empereur Auguste ; c'est tout ce que nous apprend le titre de ses Fables :

Phaedri Augusti liberti liber fabularum.

Ces vers de l'épilogue du livre III,

Ego, quondam legi quam puer sententiam,
Palam mutire plebeio piaculurn est,

dont le dernier est une sentence du Téléphe d'Ennius, prouvent bien qu'il a dû apprendre la langue romaine dès l'âge le plus tendre.
Nous croyons ne pas nous éloigner de la vérité, en disant que Phèdre est né environ dix ans avant Jésus-Christ, c'est-à-dire la vingt-deuxième année du règne d'Auguste.
Ce vers de la fable 10 du livre III,

Narrabo tibi, memoria quod factum est mea,

a fait penser à plusieurs savants que Phèdre avait écrit ses fables sous Auguste. Mais cette opinion est inadmissible, car il est évident que les trois premiers livres ont paru seulement plusieurs années après la mort de Séjan.
Phèdre voulut voir l'effet que produirait, à Rome ce genre d'ouvrage dont on n'avait eu encore aucun exemple : aussi, ce fut sous les auspices du célèbre d'Ésope qu'il publia ses fables, et ce n'est que plus tard, vers le milieu du règne de Claude, qu'il donna son quatrième livre, puis enfin le cinquième, où l'on peut voir que la plupart des sujets traités sont dus à son imagination. Ce dernier livre n'a point d'épilogue ; aussi, plusieurs commentateurs ont-ils pensé qu'il n'était point terminé : mais il nous semble que l'on n'a pas assez réfléchi sur le sens que présente la fable 10, intitulée : le Chasseur et le Chien. Phèdre était dans un âge avancé lorsqu'il écrivit cette fable ; et les vers suivants tiennent lieu d'un épilogue :

Non te destituit animus, sed vires meae.
Quod fuimus laudasti, jam damnas quod sumus.
Hoc cur, Philete, scripserim, pulchre vides.

Notre opinion est donc que Phèdre n'a pas écrit d'autres fables ; mais nous croyons aussi que sa plume mordante avait cherché à stigmatiser les vices de cette époque, et qu'il se sera attiré la haine de Séjan par quelque satire. De là, à n'en pas douter, sont venues toutes les persécutions auxquelles il a été en butte, et il ne faut pas chercher dans ses fables des allusions qu'il n'a jamais eu l'intention de faire. Ne dit-il pas (05) :

Suspicione si quis errabit sua,
Et rapiet ad se, quod erit commune omnium,
Stulte nudahit animi conscientiam.
Huic excusatum me velim nihilominus :
Neque enim notare singulos mens est mihi,
Verum ipsam vitam et mores hominum ostendere ?

Pourquoi donc plusieurs commentateurs (06) ont-ils pensé trouver un motif de ces persécutions dans les deuxième et sixième fables du premier livre ? Dans l'une, ils prétendent que Phèdre a voulu désigner Tibère retiré à Caprée, devenu l'objet du mépris public, et n'étant plus que le soliveau envoyé par Jupiter comme roi aux grenouilles : dans l'autre, qu'il a fait allusion au mariage que projetait Séjan avec Livie (07), veuve du fils de Tibère. Ils paraissent tous avoir oublié ce que Phèdre dit de Séjan dans son prologue du troisième livre (08) :

Quod si accusator alius Sejano foret,
Si testis alias, judex alius denique,
Dignum faterer esse me tantis malis,
Nec his dolorem delenirem remediis.

Certes, si Séjan eût vécu alors, Phèdre n'aurait pas écrit ces vers (09). On ne peut nous objecter que les deux premiers livres de ses fables ont pu paraître isolément, et sous le règne de Tibère, parce qu'il existe entre ces livres et le troisième une liaison incontestable, et qu'on ne remarque pas dans les deux autres. En effet, ce n'est que dans l'épilogue du troisième livre que notre poète manifeste l'intention de s'arrêter, pour laisser, dit-il, matière à ceux qui voudraient s'exercer dans ce genre de poésie (10).
Cependant, la mort de Séjan ne mit point un terme aux persécutions que Phèdre devait souffrir : il paraît que, sous le règne de Claude, de hauts personnages se chargèrent de poursuivre contre lui les implacables vengeances du ministre de Tibère ; et c'est pourquoi nous le voyons implorer la justice d'un patron qu'il ne nomme pas, mais que nous pensons devoir être Eutyche (11) :

Saepe impetravit veniam confessus reus :
Quanto innocenti justius debet dari ?
....
Decerne quod religio, quod patitur fides,
Et gratulari me fac judicio tuo.

Phèdre ne s'explique pas davantage sur la nature de l'accusation qui lui était intentée : nous avons exposé plus haut quelle était notre opinion à cet égard. Mais s'il eut des ennemis acharnés, il eut aussi des amis dévoués, parmi lesquels il nomme Eutyche, Particulon et Philetus.
Le premier, auquel il dédia son troisième livre, semble, d'après les expressions employées par le poète, avoir été un personnage revêtu de fonctions importantes, et jouissant dans l'état d'un certain crédit.
Particulon, à qui il adresse son quatrième livre, l'apprécia dignement (12) :

Mihi parta laus est, quod tu, quod similes tui,
Vestras in chartas verba transfertis mea,
Dignumque longa judicatis memoria.

Les noms de ces amis de Phèdre sont tous d'origine étrangère, et on pense, d'après quelques inscriptions qui sont parvenues jusqu'à nous, qu'ils étaient des affranchis employés à la cour de Claude.
Toutefois, nous ne voyons pas que Phèdre ait cherché à profiter de ces liaisons pour briguer les faveurs de la fortune : loin de là, il dit lui-même que jamais son coeur ne fut occupé du désir de s'enrichir (13) :

Curamque habendi penitus corde eraserim.

Ce qui se passait sous ses yeux eût suffi d'ailleurs pour lui en ôter l'envie. La fable de l'Homme et l'Âne (14) vient se joindre aux témoignages de Suétone et de Tacite : alors on n'était pas riche impunément. Aussi notre fabuliste termine-t-il en disant :

Hujus respectu fabula ? deterritus,
Periculosum semper vitavi lucrum.

Heureux de sa médiocrité, il recherchait avec ardeur le commerce des Muses ; et, fort de la conscience de son talent, il pressentait que la postérité devait un jour lui rendre justice (15) :

Ergo hinc abesto livor : ne frustra gemas,
Quoniam sollemnis mihi debetur gloria.

On ne sait ni le temps ni aucune particularité de la mort de Phèdre. Cependant il est hors de doute qu'il vécut jusqu'à la fin du règne de Claude : ce qui nous semble clairement démontré par l'époque à laquelle il a publié ses fables.

DES MANUSCRITS DE PHÈDRE.

ON n'a découvert jusqu'à présent que trois manuscrits de Phèdre :
1°. LE MANUSCRIT PITHOU,
2°. LE. MANUSCRIT DANIEL,
3°. LE MANUSCRIT DE REIMS.

Quant aux trois autres ouvrages connus sous les noms de
Manuscrit Perotti,
Manuscrit de Dijon,
Manuscrit Weissembourg,

c'est improprement qu'on les appelle manuscrits de Phèdre ; le premier est un recueil de fables de divers auteurs, et les deux autres renferment, non pas le texte de Phèdre, mais des fables imitées et entièrement dénaturées.
Nous croyons qu'il sera intéressant pour nos lecteurs de leur offrir quelques détails sur chaque manuscrit en particulier.

1°. MANUSCRIT PITHOU.

Les calvinistes, en 1562, ayant pillé la bibliothèque de Saint-Benoît-sur-Loire, tous les ouvrages qu'elle renfermait furent dispersés et vendus à vil prix. Pierre Daniel, avocat d'Orléans (16), s'empressa d'acheter beaucoup de ces livres précieux, et l'on croit que ce fut ainsi qu'il devint possesseur de deux manuscrits de Phèdre (17).
François Pithou (18), jurisconsulte distingué, acquit de Pierre Daniel un de ces manuscrits, et il est à présumer, dit M. Adry, que le vendeur dont les titres n'étaient pas merveilleusement constatés, exigea de l'acheteur un silence qu'il lui garda fidèlement (19). En effet, MM Pithou n'ont jamais parlé de l'origine de leur manuscrit.
Quoi qu'il en soit, François Pithou, ne pouvant s'occuper de la publication des fables de Phèdre, en chargea son frère Pierre Pithou en 1595 (20). Ce savant, nommé à juste titre le Varron de la France, fit avec soin une copie de ce manuscrit, annota les passages obscurs, et livra son travail à l'impression (21). Mais la peste s'étant déclarée à Paris, il fut forcé de fuir cette ville, et il vint se réfugier à Troyes, son pays natal.
«Afin de s'y ménager, dit Grosley (22), un amusement de son goût, et mettre ce voyage à profit pour le public, il avait retiré le Phèdre des mains de Patisson (23) pour le faire imprimer à Troyes, sous ses yeux, par Jean Oudot, imprimeur de cette ville...
« J'ai cette édition ; elle est de 70 pages in - 12 , en caractère italique, avec les titres en romain, le tout exécuté d'une manière à faire honneur à l'ancienne typographie de Troyes. Elle fut terminée en août 1596...
« Tous les savants de Rome (24) eurent pour cette nouveauté l'empressement qu'elle méritait : elle les mit d'abord en défaut. La crainte de compromettre leur sagacité suspendit leurs jugements et les empêcha de reconnaître au premier coup d'oeil, dans les fables de Phèdre, la latinité du siècle d'Auguste. Leur délicatesse et leurs scrupules, à cet égard, étaient justifiés par une infinité de supercheries dont de très habiles gens avaient été dupes. Mais l'examen réfléchi de ces fables, le style de l'auteur, le nom de l'éditeur, levèrent bientôt ces scrupules, et Phèdre reparut à Rome avec plus d'éclat que la première fois qu'il y avait publié ses oeuvres.
"Les fables de Phèdre furent le dernier présent dont Pierre Pithou enrichit la république des lettres ; il ne survécut que deux mois à l'édition de ces fables (25). Dire que la découverte de ce petit volume appartient à François Pithou, c'est dire que la république des lettres lui a infiniment plus d'obligation qu'à tant de gens dont les ouvrages remplissent des in-folio ; souvent il est plus glorieux de conserver que de créer : rien de si commun que les écrivains ; rien de si rare que les chefs-d'oeuvre."
Ce manuscrit de Phèdre appartient aujourd'hui à M. Le Peletier de Rosanbo. En 1830, M. Berger de Xivrey a publié une édition très remarquable de ce manuscrit (26).
Nous pensons qu'on nous saura gré de donner ici quelques détails sur le manuscrit Pithou, et nous ne pouvons mieux faire que de laisser parler M. Berger de Xivrey (27) :
« Le manuscrit de Phèdre n'est pas plus récent que le Xe siècle ; il est tout entier d'une très belle conservation. L'écriture est de la plus grande régularité ; c'est cette minuscule arrondie du Xe siècle que les calligraphes de Florence irritèrent au XVIe, mais en diminuant la dimension des lettres, et en ornant les majuscules de jolies arabesques, tandis que les manuscrits des IXe et Xe siècles n'ont le plus souvent aucune espèce d'ornement. C'est le cas de celui-ci. Les grandes lettres du commencement des fables sont des majuscules toutes simples, écrites avec pureté, et ayant environ trois ou quatre fois la hauteur des autres lettres : elles sont d'une encre rouge, et tirant sur le violet. Les titres sont d'un beau rouge, ce qui indique facilement à l'oeil la séparation des fables ; car, du reste, ils sont écrits à la suite du dernier mot de la fable précédente (28), .... La séparation des vers n'est nullement indiquée. Les mots y sont ou réunis, ou bien séparés, tantôt régulièrement, tantôt à contresens, comme dans le commencement : hance go polivi.
« Les lettres
l et i ou j (29), au commencement des mots, sont absolument pareilles ; ce qui fait que jocus ne peut se distinguer de locus que par le sens.
« L'
e y est assez souvent substitué à l'i, le b au v, et l'o à l'u.
« Les principales abréviations sont, un
- au dessus de la voyelle, à la place de la lettre m, le même trait pour indiquer la duplication des consonnes, et sur l'e pour est, q pour que, conjonction copulative.
« Ce signe
: pour la terminaison us aux datifs pluriels, après un h."
M. Berger de Xivrey a joint à son édition un fac-similé d'une page du manuscrit.

2°. MANUSCRIT DANIEL.

Ce manuscrit, connu parmi les savants sous le nom de Vetus Danielis chartula, est un de ceux qui furent recueillis par Pierre Daniel lors du pillage de la bibliothèque de Saint-Benoît-sur-Loire.
A la mort de Pierre Daniel, deux de ses amis, Jacques Bongars et Paul Petau (30), achetèrent sa bibliothèque. Le manuscrit de Phèdre se trouva dans la hart de ce dernier ; c'est pourquoi on l’a appelé depuis Petaviensis codex.
La reine Christine de Suède, à la vente de Paul Petau, acheta le Phèdre avec beaucoup d'autres manuscrits, et les fit transporter à Stockholm ; mais, en mourant, elle légua sa bibliothèque au pape Alexandre VIII (31). Il est bien probable que ce manuscrit est aujourd'hui au Vatican (32).
Ce manuscrit n'est réellement qu'un fragment ; car il ne contient qu'une partie du premier livre, et des variantes depuis la première jusqu'à la vingt-unième fable (33). Le P. Desbillons, qui en a parlé, ne désigne pas le siècle auquel il peut appartenir (34).

3°. MANUSCRIT DE REIMS

Pierre Pithou avait fait distribuer des exemplaires de son Phèdre à plusieurs de ses amis, et en avait envoyé au P. Sirmond, qui était alors à Rome (35).
Douze ans après, en 1608, le P. Sirmond vit à Reims un autre manuscrit de Phèdre (36) ; il le collationna sur l'édition de Pierre Pithou, copia les variantes, et les donna à Rigault, qui, en 1617, publia une nouvelle édition de Phèdre (37).
On a longtemps cru que ce manuscrit avait été brûlé lors de l'incendie qui, en 1774, ravagea la bibliothèque de Reims ; mais il paraît qu'il avait été apporté à Paris quelque temps avant ce sinistre événement, et qu'il a été vu à la Bibliothèque royale.
Voici, à ce sujet, quelques éclaircissements qu'on nous a communiqués :
« II existait dans les livres de feu M. Dacier un Phèdre, édition Rob. Étienne ; il contenait, outre deux notes de M. Dacier et de M. de Foncemagne , une lettre de dom Vincent, bibliothécaire de l'abbaye de Saint-Remi de Reims, à M. de Foncemagne, en date du 31 octobre 1769, dans laquelle il rappelle celle (38) qui se trouvait jointe à un exemplaire de Phèdre qui a été pris à la bibliothèque.
« Outre la feuille volante sur laquelle est écrite cette lettre, il y a encore un fac-similé du manuscrit de Reims calqué par dom Vincent sur un feuillet de papier vernis.
« La note de M. de Foncemagne affirme que le manuscrit de Reims n'avait pas été brûlé, ainsi que le croyait dom Vincent, mais qu'il a été retrouvé à la Bibliothèque royale. Ce que M. de Foncemagne en dit prouve évidemment que ce n'est pas celui de M. de Rosanbo, auquel rien ire manque, et où le texte de Phèdre est suivi d'un traité De monstris (39). L'écriture aussi diffère, ainsi qu'on peut le voir par le fac-similé de M. de Rosanbo. Enfin la partie calquée par dom Vincent contient plusieurs variantes notables avec le manuscrit de M. de Rosanbo, qui auraient été remarquées par M. de Foncemagne. »

Note de la main de M. Dacier,
Écrite sur le Phèdre, édit. de R. Étienne.

La bibliothèque de Saint-Remi de Reims possédait, ayant l'incendie qu'elle a éprouvé en 1774, un manuscrit de Phèdre, autre que celui de Pithou. On trouvera à la tête de ce volume un échantillon de l'écriture du manuscrit qui m'a été envoyé autrefois de Reims, par dom Vincent, bibliothécaire de Saint-Remi. J'y ai joint la lettre par laquelle il m'annonçait en même temps un pareil échantillon de l'écriture d'un manuscrit du Querolus, qui a péri comme le Phèdre. J'ai placé cet échantillon à la tête de mon exemplaire du Querolus. Ces deux morceaux sont aujourd'hui tout ce qui reste des deux manuscrits.

Note de la main de M. de Foncemagne,
Écrite sur le Phèdre, éd. R. Étienne.

Depuis que cette note a été écrite, on a recouvré à la Bibliothèque du roi l'exemplaire de Reims, qui avait été tiré de la bibliothèque de Saint-Remi, longtemps avant l'incendie. Il m'a été communiqué : l'écriture est la même que celle de l'échantillon ci-joint. Mais ce manuscrit est incomplet : les deux dernières fables et l'épilogue du 4e livre et tout le 5e y manquent.

Note de la main de M. de Foncemagne.


J'ai placé à la tête de mon exemplaire de Querolus (édition de 1564) l'échantillon du manuscrit de Reims, dont il est parlé dans cette lettre.

Lettre de dom Vincent, bibliothécaire de Saint-Remi de Reims, à M. de Foncernagne. Le 31 octobre 1769.

MONSIEUR,
Je n'ai point oublié le specimen que vous m'avez fait l'honneur de me demander, de notre manuscrit de Phèdre et de la comédie intitulée Querolus, ou Aulalaria, qui y est jointe. Je crois que vous n'aurez point de peine à vous persuader que l'écriture est du huitième siècle, ou, au plus tard, du commencement du neuvième. J'ai copié, Monsieur, ligne pour ligne, et le moins mal qu'il m'a été possible : j'ai conservé la grosseur des lettres , laquelle varie quelquefois : mais peu accoutumé à ce genre d'écriture , et la plume glissant naturellement sur les papiers transparents, je n'ai pu donner à la lettre du manuscrit toute la netteté qu'elle présente. Du reste, la ponctuation, l'orthographe, etc., tout est exactement copié. Ces papiers mêmes forment, dans leur longueur, la page écrite. Que ne puis-je, Monsieur, vous donner des marques plus étendues et plus circonstanciées des sentiments de mon estime, et de la reconnaissance que j'ai aux lumières que vous avez répandues sur notre histoire ! J'y joins en particulier mes remerciements pour la complaisance avec laquelle vous avez bien voulu vous occuper de mes brouillons.
J'ai l'honneur d'être, etc.

D. X. VINCENT.

Nous joignons à notre édition le fac-similé du manuscrit de Reims, découvert par le P. Sirmond, afin que les savants puissent le comparer avec celui que nous a donné M. Berger de Xivrey.
Il y a tout lieu d'espérer que les recherches que fait maintenant M. Champollion -Figeac, conservateur à la Bibliothèque royale, pour découvrir ce manuscrit, seront couronnées de succès.

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Manuscrit Perotti (40).

Nic. Perotti, vers 1460, fit pour son neveu un recueil de fables dÉsope, de Phèdre, d'Avienus, auxquelles il en joignit quelques-unes de sa façon; et, pour ne pas être accusé de plagiat, il eut soin de dire en tête de son ouvrage :

Non sunt hi mei, quos putas, versiculi;
Sed Aesopi sunt, et Avieni et Phaedri.
Collegi ut essent, Pyrrhe, utiles tibi....
(41)...
Saepe versiculos interponens meos,
Quasdam tuis quasi insidias auribus, etc.

Comme cet ouvrage n'avait été composé que pour l'éducation de son neveu, il resta longtemps dans l'oubli, et ne fut découvert qu'au commencement du XVIIIe siècle.
Mais les savant, qui ne connaissaient de Perotti que son Commentaire sur Martial, qui fut d'ailleurs publié après sa mort, ayant remarqué qu'en parlant de ces mots, Palladis arbor, vers 7, Epig. 77, liv. Ier, Perotti dit :
Allusit ad fabulam quam nos ex Avieno (il a voulu mettre ex Phaedro) in fabellas nostras adolescentes jambico carmine transtulimus; et cite la fable 6, Arbores in deorum tutela (Phèdre, liv. III, fab. 17), ont conclu de là, les uns que Perotti était un plagiaire, les autres que Phèdre était un auteur supposé. Tous ces jugements étaient bien précipités, et la découverte faite à Parme, en 1727, par Philippe d'Orville , du manuscrit de Perotti, a détruit tous les soupçons.
C'est parce que ce recueil contient plusieurs fables de Phèdre que les commentateurs lui ont donné le nom de Manuscrit de Phèdre. « Il est, dit M. Robert (42), dans son Essai sur les fabulistes, sur papier format in-8°, composé de 178 pages, dont 38 feuillets sont en blanc. La partie écrite se divise en 160 chapitres, tous en vers latins, à l'exception d'un distique grec ; les arguments des fables, deux épîtres et quelques petites notes sur l'épigramme sont en prose ; les pièces en vers sont un long hymne d'Aurelius Prudentius, 60 morceaux de Perotti, 36 fables d'Avienus, 32 fables de Phèdre, et 32 dont l'auteur est inconnu. Elles sont placées sans ordre, de manière à offrir une pièce de Perotti après une fable de Phèdre, ou avant une d'Avienus. »
Dans l'examen des nouvelles fables attribuées à Phèdre, nous reviendrons sur le manuscrit de Perotti.

Manuscrit de Dijon.

Quoique les manuscrits de Phèdre soient restés pendant seize siècles ensevelis dans la poussière des bibliothèques sans que le monde savant en soupçonnât l'existence, on peut affirmer cependant que quelques écrivains des XIIe, XIIIe et XIVe siècles les ont connus, et ne se sont pas fait un scrupule d'en copier plusieurs fables et de les mettre en mauvaise prose. C'est ce qu'on peut facilement remarquer dans les fables ésopiennes de Romulus (43). Le manuscrit qui les a conservées, connu sous le nom de manuscrit de Dijon (Codex divionensis), est du XIIe siècle ; il fait partie de la bibliothèque de Wolfenbüttel. Ces fables ont été publiées en 1806 par Schwabe (44) ; et dans ce recueil on en trouve quarante qui sont entièrement imitées, ou plutôt copiées, de Phèdre.

Manuscrit de Weissembourg.

Nous terminerons cette Notice sur les manuscrits, eu mentionnant, pour mémoire seulement, le manuscrit de Weissembourg. MM. Adry et Berger de Xivrey n'en parlent pas ; M. Gail (45), qui en dit deux mots , avoue qu'il ne peut donner sur ce manuscrit aucun renseignement. Il ne sait s'il contient, comme le manuscrit de Dijon , une compilation, ou des fables d'Ésope mises en prose par quelques écrivains du moyen âge. Privé de tout moyen de résoudre la question, nous la renverrons aux critiques qui sont à même de voir le manuscrit de Weissembourg.

Nous pensons qu'il est inutile de parler des discussions qui se sont élevées sur l'authenticité des fables de Phèdre. Aujourd'hui, il n'est plus possible de contester leur antiquité, et de les attribuer, comme ou l'a souvent avancé, à quelque poète du moyen âge. La présence dut manuscrit Rosanbo détruit toutes les bases sur lesquelles on peut fonder de telles assertions. Nous devons seulement chercher à expliquer une phrase de Sénèque et un vers de Martial qui jusqu'à présent ont été interprétés d'une manière peu satisfaisante : Sénèque, dans la Consolation adressée à son ami Polybe , lui dit (46) : « Je n'irai pas jusqu'à vous conseiller d'appliquer à la composition de fables et d'apologues dans le goût d'Ésope, genre que n'ont pas essayé les Romains, cette grâce de style qui vous est propre. » On a conclu de là , puisque l'on prétendait que Phèdre avait publié ses fables sous Auguste, ou au plus lard sous Tibère, que Sénèque, écrivant sous Claude, aurait certainement: connu les fables de cet auteur, et puisqu'il n'en faisait pas mention, on en tirait la preuve que Phèdre n'avait: jamais existé. Mais c'était juger bien légèrement; car Phèdre, comme nous l'avons prouvé, n'a fait paraître ses fables que dans les premières années du règne de Claude ; et Sénèque , à l'avènement de cet empereur, avait été relégué pendant deux ans dans l'île de Corse ce fut de son exil qu'il adressa ses consolations à Polybe et il n'est donc pas étonnant qu'alors il ne connût point les fables de Phèdre.
Quant à ce vers de Martial

An aemulatur improbi jocos Phaedri (47) ?

il a beaucoup embarrassé les commentateurs : les uns ont prétendu que Martial avait voulu désigner un mime portant le même nom; les autres, qu'improbus signifiait débauché, qui facit aut narrat nequitias.... C'est d'abord bien éloigner ce mot de son véritable sens; mais ensuite, si quelques vers échappés à la plume de notre poète sont cause de cette singulière interprétation, est-ce Martial qui pouvait reprocher à Phèdre d'avoir employé des expressions peu convenables?
Il nous semble plus naturel d'admettre qu'improbus veut dire ici mordant, malin, malicieux, comme dans cette phrase de Juvénal :

Finge tamen te
Improbulum (48) . . . . .

et l'on concevra facilement que Martial, en parlant de Phèdre, se soit servi de cette épithète ; au reste , elle n'est pas plus extraordinaire que celle de horridus qui se trouve dans la même épigramme, deux vers plus bas.
Voilà notre opinion ; nous n'avons pas voulu l'imposer au lecteur, mais seulement la lui soumettre.

(01) QUINTILIEN, liv. V, Ch II ; AULU-GELLE, Noct. att., II, 28 ; MACROB., in Somn. Scip., lib, I , cap, 2.

(02)  Vers 54, page 98.

(03)  Vers 17, page 96.

(04) Voir la note 2 dit livre III, page 282.

(05)  Prol., liv. III, vers 45, page 98.

(06)  BROTIER, DESBILLONS, etc. Voyez Histoire abrégée de la littérature romaine, par F. Schoell, t. II, p. 345. Paris, 1815.

(07) Ou Livilla.

(08) vers 41, page 96.

(09)  Suétone, en rappelant tous les crimes du règne de Tibère, parle ainsi des écrivains qui étaient accusés d'avoir voulu, dans leurs ouvrages, faire quelques allusions à cet empereur : Omne crimen pro capitali recepturn, etiam paucorum simpliciurnque verborum. Objectum est poetae , quod in tragoedia Agamemnonem probris lacessisset : objectum et historico, quod "Brutum Cassiumque ultimos Romanorum" dixisset : animadversum est statim in auctores, scriptaque abolita, quamvis probesrentur ante aliquot annos, etiam Augusto audiente, recitata (SUET., III, Tiberio, t. 1, p. 432, Bilbiot. Lat.-Franç., 1830.)

(10) Épil, liv. III, vers 1, page 144.

(11)  Epil., liv. III, page 144.

(12)  Liv. IV, page 150.

(13)  Prol, liv. III, vers 21, page 96,

(14)  Liv. V, fable 4.

(15) Prol., liv. III, page 98.

(16) P. Daniel, bailly de la justice temporelle de l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire , était un homme d'une vaste érudition. Il a donné plusieurs éditions des auteurs latins, et ce fut lui qui trouva l'Aulularia Plauti, qu'il fit imprimer en 1564. Mort en 1603. (MORERI, tom. IV, part. 2 , pag. 31.)

(17)  Voyez Dissertation sur les quatre manuscrits de Phèdre, par Adry. (Magasin encyclopédique, sixième année, 1800, tom. II, pag. 441 et suiv. )

(18)  François Pithou, avocat au parlement de Paris, naquit à Troyes en 1544. Il a travaillé avec son frère à la plupart des ouvrages que ce dernier a donnés au public. - Mort en 1621. (Moréri, tom. VIII, pag. 385. )

(19)  Dissertation Adry, pag. 444.

(20)  Pierre Pithou naquit à Troyes en 1539. Il a composé plusieurs ouvrages sur le droit civil et canonique, et enrichi la république des lettres d'un grand nombre d'auteurs qu'il a tirés de l'obscurité. On peut le regarder comme le principal auteur de la satire Ménippée. - Mort en 1596.

(21) Voyez GROSLEY, Vie de P. Pithou, avec quelques mémoires sur son père et ses frères; 2 vol. Paris, 1756; GUILL. CAVELIER, tom. I, pag. 364. - M. Berger de Xivrey a fait, dans sa préface, pag. 8, une erreur qu'il nous semble important de relever. Il dit : « Cet heureux hasard consiste dans la découverte faite en 1596 par François Pithou d'un manuscrit de Phèdre .... » Nous ne savons pas au juste l'époque de la découverte du manuscrit de Phèdre; mais il est hors de doute que François Pithou l'ait connu dès 1594 , puisqu'il le donna à son fière en 1595

(22)  Page 369.

(23)  Imprimeur de Paris.

(24) GROSLEY, tom. 1 , page 373.

(25)  GROSLEY, page 375, tom. I.Cette première édition de Phèdre est intitulée : "Phaedri Augusti liberti fabularum Aesopiarum lib. V, nunc primum in lucem editi. Augustobonae Tricassium, excudebat Joan. Odotius, typog, regius, anno M DXCVI."
Grosley dit, tom. II, pag. 223: « Dans les livres de François Pithou, j'ai oublié de rappeler le Phèdre que son frère avait donné au public, en 1594, sur un manuscrit qu'il tenait de lui. » --Il y a ici une faute d'impression ; il fallait mettre 1596.

(26 Le lecteur qui voudra apprendre de quelle manière ce manuscrit est passé entre les mains de M de Rosanbo, n'a qu'à consulter la préface de l'édition de Phèdre donnée par M. Berger de Xivrey : Phaedri Aug. liberti fabularum Aesopiarum libros quatuor etc...... Parisiis, excudebat Arnbrosius Firmimus Didot, 1830.

(27 Édition de Phèdre de M. Berger de Xivrey, page 54,.

(28) Idem, page 55.

(29) Idem, page 56.

(30).  Paul Petau, homme de lettres, grand antiquaire et conseiller au parlement de Paris. Il a laissé plusieurs ouvrages remarquables. - Mort en 1614.

(31)  Tout le monde sait que Christine est morte à Rome en 1689, et qu'elle fut inhumée en l'Église de St-Pierre.

(32) Voyez le Voyage littéraire des pères dom Martenne et dom Durand , tome I , page 66. Mais dom Cl. Étiennot de la Serre, dans une lettre où il fait l'historique de St-Benoît-sur-Loire, tom. I , pag. 461 , dit que les livres de P. Petau sont encore à Stockholm.

(33)  M. de Xivrey dit, en parlant de ce manuscrit : « Ce n'est qu'un fragment contenant seulement les vingt-une premières fables du deuxième livre. » Il y a ici une erreur, car il ne s'agit pas ici du deuxième livre, mais du premier. Le deuxième livre ne contient que huit fables, un prologue et un épilogue. (Voyez dans la Préface de M. Berger de Xivrey, page 9. )

(34)  Voyez M. ADRY, dissertation, pag. 443, 444 , et Journal des Savans, décembre 1830, notice de M. Daunou, page 749.

(35) Jacques Sirmond, jésuite célèbre par son érudition, et confesseur de Louis XI, roi de France. En 1590, il fut appelé à Rome par le père Aquaviva, général de sa compagnie , dont il fut secrétaire pendant plus de seize ans. Il a composé un grand nombre d'ouvrages, et l'on compte plus de quarante auteurs ecclésiastiques qu'il a donnés au public avec des notes. ( Voy. MORÉRI, tom. IX, pag. 455. )

(36)  Grosley dit dans ses Ephémérides troyennes : « Ce manuscrit , format d'in-8° très-allongé , est en vélin on parchemin. L'écriture paraît être du IXe siècle. » Mais l'opinion des savans est que ce manuscrit doit appartenir au Xe siècle.

(37) Nicolas Rigault, appelé par les commentateurs Rigaltius, garde de la Bibliothèque du roi, conseiller au parlement de Metz, a laissé des commentaires sur plusieurs auteurs latins. - Mort en 1654.

(38) C'est la lettre que cite M. Berger de Xivrey dans sa préface, page 78.

(39)  Dans les Éphémérides troyennes, pour l'année 1765, Grosley dit, en parlant de la bibliothèque de Troyes : "Elle eut autrefois le manuscrit unique des fables de Phèdre, sur lequel P. Pithou les avait données au public : ce manuscrit est passé, on ne sait comment, chez les pères bénédictins de St-Remi de Reims." Tout ce qui a été dit détruit entièrement cette assertion.

(40)  Nicolas Pérot, ou Perotti, nommé en 1458 archevêque de Manfredonia , où a été transféré le siège de Siponte dans le royaume de Naples. Ce prélat, savant distingué, nous a laissé plusieurs ouvrages, entre autres un commentaire sur Martial intitulé : Cornucopia, seu latinae linguae commentarii, et un Recueil de fables de plusieurs auteurs, dédié à son neveu Pyrrhus Perotti. - Mort en 1480.

(41) Il y a dans cet intervalle dix-neuf vers dont on ne peut lire que le premier mot, le manuscrit étant dans le plus mauvais état.

(42) ROBERT, fables inédites des XII, XIII et XIVe siècles, et fables de La Fontaine. Paris, Ét. Cabin, 1825. Page lxviij, tom. I.

(43) Voyez notre Notice sur Romulus.

(44)  Ce volume a pour titre: Phaedri Aug. lib. fabul. Aesop. lib. V, ad codices MSS. et optirnas editiones recognovit, varietatem lectionis et commentarium perpetuurn adjecit Joann. Gottlob. Sam, Schwabe. Accedunt Romuli fab. Aesopiarum lib. IV ad codicem divionensem et perantiquarn editionern Ulmensem primum emendati et notis illustrati, cum tabulis aere incisis. BRUNSWIGAE, 1806 ; 2 vol. in -8°.

(45)Voyez Class. Latins de M. Lemaire ; Phèdre , I, p. 42.

(46Non audeo te usque eo producere, ut fabulas quoque et Aesopeos logos, intentatum romanis ingeniis opus, solita tibi venustate connectas. (SENEC., Consol. ad Polyb., c. XXVII.)

(47) Voici le commencement de cette épigramme :
Dic, musa, quid agat Canius meus Rufus?
Utrumne chartis tradit ille victuris
Legenda temporum acta Claudianorum?
An qua Neroni falsus adstruit scriptor?
An aemulatur improbi jocos Phaedri ?
Lascives elegis, an severus herois?
An in cothurnis horridus sophocleis? ......

(Lib. III, , epigr. 20.)

(48) Satire V, vers 73. Ce diminutif, très rare, est employé par Juvénal pour la mesure du vers.

 

 

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