Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
PHEDRE
TRADUCTION: Pierre CONSTANT, Fables de Phèdre, ... Paris, Garnier, 1937
commentaires par M. Ernest Panckoucke
C. L. F. Panckoucke, 1834.
texte latin : THE LATIN LIBRARY
reproductions : Fables de Phèdre, affranchi d'Auguste .
Tome premier / traduites en français, avec le texte à côté, et ornées de gravures [par Le Maistre de Sacy] ;
[retouchées par C.-S. Camus] Paris : P. Didot l'aîné, 1806
Prologus
Exemplis continetur Aesopi genus;
|
|
PROLOGUE. Le genre créé par Ésope consiste tout entier en exemples et ne vise par des apologues qu'à corriger les erreurs des hommes et à stimuler leur attention et leur activité. Quel que soit donc le badinage où se joue le narrateur, pourvu qu'il captive l'oreille et ne manque pas son but, c'est par le sujet lui-même qu'il se recommande et non par le nom de l'auteur. Quant à moi, je mettrai tout mon soin à suivre la tradition du vieil Ésope; mais s'il me prend fantaisie d'intercaler parmi ses apologues quelque invention personnelle pour plaire par la variété des récits, je voudrais, lecteur, te voir prendre cette audace en bonne part. Je promets en revanche de reconnaître ton indulgence par ma brièveté. Mais je me garderai de faire de cette brièveté un éloge trop verbeux. Considère donc pourquoi tu dois opposer un refus aux gens avides et pourquoi aux gens discrets tu dois même offrir ce qu'ils n'ont pas demandé. |
I. Quicumque fuerit ergo narrantis
jocus. Ce vers a été commenté de toutes les manières, parce que, dans le manuscrit, les lettres L, I on J, au commencement des mots, sont absolument pareilles. PASSAGE IMITE PAR LA FONTAINE.
|
I. Iuvencus Leo et Praedator
Super iuvencum stabat deiectum leo.
Exemplum egregium prorsus et
laudabile;
|
|
1. LE JEUNE TAUREAU, LE LION ET LE BRIGAND. Sur le corps d'un jeune taureau qu'il avait terrassé, un lion se tenait debout. Un brigand survint qui réclama une part. "Je te la donnerais, dit le lion, si tu n'avais coutume de la prendre toi-même," et il repoussa ainsi la demande du méchant. Le hasard conduisit au même endroit un voyageur inoffensif qui, à la vue de la bête sauvage, recula. Mais le lion lui dit doucement : "Tu n'as rien à craindre. Une part t'est due pour ta discrétion; prends-la hardiment". Puis, ayant partagé la proie, il se retira dans la forêt pour laisser approcher l'homme. Exemple tout à fait admirable et digne d'éloges. Mais en fait, seuls les gens avides s'enrichissent et les délicats restent pauvres. |
FABLE I. - LE JEUNE TAUREAU, LE LION
ET LE BRACONNIER. |
II. Anus Diligens Iuvenem, Item Puella
A feminis utcumque spoliari viros,
Aetatis mediae quendam mulier non
rudis
|
|
2. L'HOMME ENTRE UNE VIEILLE AMIE ET UNE JEUNE.
Les femmes, de toute façon, dépouillent
les hommes, qu'ils les aiment ou qu'ils en soient aimés. Bien des
exemples nous le montrent. |
FABLE II. - L'HOMME TOUT A COUP DEVENU CHAUVE. PASSAGES IMITÉS PAR LA FONTAINE. Saint Vincent-Ferrier, prédicateur du quatorzième siècle, raconte cette historiette dans un de ses sermons. Il en tirait la singulière conclusion, qu'il ne faut pas prendre femme jeune et jolie, parce qu'elle épile les biens de sa maison, en voulant sans cesse des joyaux, des robes neuves ; et qu'il faut encore moins épouser une vieille, parce que c'est un enfer anticipé qui épile tous les plaisirs, les joies de ce monde, et n'apporte à son mari que tristesse et mauvaise humeur.
|
III. Aesopus ad Quendam de Successu Improborum
Laceratus quidam morsu vehementis
canis, Successus improborum plures allicit.
|
|
3. MOT D'ÉSOPE SUR LE SUCCÈS DES MÉCHANTS.
Un homme mordu par un chien furieux
rougit de son sang un morceau de pain et l'envoya à la bête malfaisante. |
FABLE III. - L'HOMME ET LE CHIEN. |
IV. Aquila Feles et Aper
Aquila in sublimi quercu nidum
fecerat;
Quantum homo bilinguis saepe
concinnet mali,
|
|
4. L'AIGLE, LA LAIE ET LA CHATTE SAUVAGE.
Une aigle avait fait son nid au
sommet d'un chêne; une chatte sauvage, ayant trouvé un creux au milieu
de l'arbre, y avait fait ses petits; une laie habituée à vivre dans les
forêts avait déposé sa portée près du pied. Mais cette intimité formée
par le hasard fut détruite par la mauvaise foi et la méchanceté funeste
de la chatte. Elle grimpe jusqu'au nid de l'aigle et lui dit : « On prépare
ta perte et peut-être, hélas ! aussi la mienne. Car, si tu vois chaque
jour cette laie perfide creuser le sol, c'est qu'elle veut abattre le chêne
pour pouvoir à terre se jeter facilement sur nos progénitures. Après
avoir semé la terreur et le trouble dans le coeur de l'aigle, elle
descend en rampant à la bauge de la laie couverte de soies. "Tes
petits, lui dit-elle, sont en grand danger. Car, aussitôt que tu sortiras
pour chercher pâture avec ton jeune troupeau, l'aigle, déjà prête à
l'attaque, t'enlèvera tes marcassins". Quand elle a répandu
l'effroi aussi dans ce lieu, la fourbe va se cacher dans son trou où elle
est en sûreté. Elle en sort la nuit pour aller çà et là d'un pas qui
ne touche presque pas le sol et, quand elle s'est bien nourrie et qu'elle
a bien nourri ses petits, elle affecte d'avoir peur et a l'oeil au guet
tout le jour. L'aigle, craignant la chute de l'arbre, ne le quitte pas. La
laie, pour se garder contre le rapt de ses petits, ne sort plus de chez
elle. Bref, aigle et laie moururent de faim avec leurs petits et
fournirent à la chatte et aux petits chats un repas abondant. |
FABLE IV. - L'AIGLE, LA CHATTE ET LA LAIE.
I. Quid multa? inedia sunt consumti
curn suis
Il semble que la faim aurait dû forcer ces animaux à sortir de leur
retraite; c'est un défaut de vraisemblance dont La Fontaine a eu soin d'avertir
ses lecteurs. PASSAGES
IMITÉS PAR LA FONTAINE. 7.
Ut nostram in plano facile progeniem opprimat.
|
V. Tib. Caesar ad Atriensem
Est ardalionum quaedam Romae natio,
Caesar Tiberius cum petens Neapolim
|
|
5. TIBÈRE ET L'ESCLAVE DE L'ATRIUM.
Il est à Rome une race d'Ardélions
s'agitant et courant de tous côtés, affairés sans affaires,
s'essoufflant sans motif, ne faisant rien en faisant beaucoup, aussi
ennemis de leur repos qu'insupportables aux autres. C'est elle que, si je
pouvais, je voudrais corriger par le récit de cette anecdote vraie : il
vaut la peine d'y prêter l'oreille. |
FABLE V. - TIBÈRE A UN ESCLAVE DU PALAIS. |
VI. Aquila et Cornix
Contra potentes nemo est munitus
satis;
Aquila in sublime sustulit
testudinem:
|
|
6. L'AIGLE, LA CORNEILLE ET LA TORTUE.
Contre les puissants, personne n'est
assez bien protégé. Mais qu'à eux vienne s'ajouter un conseiller
malfaisant, il n'est rien qui, sous les attaques de la force et de la méchanceté
réunies, ne s'écroule. |
FABLE VI. - L'AIGLES LA CORNEILLE ET LA TORTUE. |
VII. Muli Duo et Latrones
Muli gravati sarcinis ibant duo:
Hoc argumento tuta est hominum
tenuitas,
|
|
7. LES DEUX MULETS.
Deux mulets lourdement chargés
cheminaient ensemble: l'un portait des paniers pleins de l'argent du fisc,
l'autre des sacs gonflés d'orge. Le premier, riche de son fardeau, marche
la tête haute, se redresse et agite à son cou sa sonnette au son clair.
Son compagnon le suit d'une allure tranquille et paisible. Tout à coup
des brigands sortent d'une embuscade, s'élancent et, en massacrant
l'escorte, blessent de leurs armes le mulet du fisc; ils pillent l'argent
et dédaignent l'orge sans valeur. Le mulet dépouillé déplorait ses
malheurs. « Pour moi, dit l'autre, je me réjouis d'avoir été méprisé
: car je n'ai rien perdu et n'ai point de blessure. » |
FABLE VII. - LES DEUX MULETS ET LES
VOLEURS. PASSAGES
IMITÉS PAR LA FONTAINE.
|
VIII. Cervus ad Boves
Cervus nemorosis excitatus
latibulis,
|
|
8. LE CERF ET LES BOEUFS.
Un cerf lancé hors des retraites de
la forêt fuyait la mort dont les chasseurs le menaçaient; aveuglé par
la peur, il gagna la ferme la plus proche et, une étable à boeufs se
trouvant là fort à propos, il s'y cacha. Pendant qu'il s'y dissimulait,
un boeuf lui dit : « Quelle idée as-tu eue, malheureux ! de courir de
toi-même au devant de la mort et de confier ta vie à la demeure des
hommes? » Mais lui, d'un ton suppliant : « Vous du moins, dit-il, épargnez-moi. |
FABLE VIII. - LE CERF ET LES BOEUFS. PASSAGES IMITÉS PAR LA FONTAINE. 6. Sed ille, qui oculos centum habet, si venerit,
|
IX. Auctor
Aesopi ingenio statuam posuere
Attici,
|
|
9. LA STATUE D'ÉSOPE.
Pour honorer le talent d'Ésope, les
Athéniens lui élevèrent une statue. Ils placèrent un esclave sur un piédestal
impérissable pour qu'on sût que la route des honneurs est ouverte à
tous et que la gloire s'accorde non pas à la naissance, mais au mérite. |
ÉPILOGUE. |