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ATHÉNÉE DE NAUCRATIS

 De l'Amour

 

Le Livre XIII des Deipnosophistes

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Traduction

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DÉmade, Sophocle, ThÉoris et ArchippÉ

61. Vous savez aussi que l’orateur Démade eut un fils, Déméas, né d'une liaison avec une prostituée et joueuse de flûte. Déméas, qui parlait avec une fougue arrogante, se fit un jour clouer le bec par Hypéride, qui lui dit :

 

« Silence, jeune homme ! Ton souffle est plus frénétique encore que celui de ta propre mère. »

 

Bion, le philosophe de Borysthènès, était aussi le fils d'une courtisane lacédémonienne, Olympia, si l'on en croit Nicias de Nicée dans son Catalogue des philosophes.

Devenu vieux, Sophocle lui-même, le poète tragique, s'éprit de la courtisane Théoris, ce qui explique qu'il ait ainsi supplié Aphrodite :

 

« Écoute ma prière, ô nourrice des enfants ! Fais que cette femme ne trouve jamais à se marier avec des jeunes gens ; non, laisse-la s'égayer aux côtés de vieillards aux tempes grises, dont les forces, certes, sont émoussées, mais dont l'esprit reste vif. » 

 

On trouve ces vers dans un recueil attribué à Homère.

Dans une ode chorale, le poète parle ainsi de Théoris : « Théoris est vraiment charmante. » Au soir de sa vie, nous rapporte Hégésandros, Sophocle tomba amoureux de la courtisane Archippé et il fit d'elle son héritière. Le fait que Sophocle était déjà très vieux quand Archippé vécut avec lui, est attesté par l'ancien amant de la femme, à qui on demandait, non sans esprit, ce qu'elle pouvait bien faire avec le vieux Sophocle :

 

« Elle se repose sur lui comme une chouette sur un tombeau. »

Isocrate et Lysias

 

 

 

62. Encore un exemple fort évocateur : Isocrate, le plus austère des orateurs eut, lui aussi, une maîtresse, Métaneira, qu'il faut ajouter à la liste à Lagisca : Lysias nous le confirme dans ses Lettres.

Toutefois, Démosthène, dans son Discours contre Néairéa, prétend que Métaneira avait une liaison avec ce même Lysias qui dut, en outre, subir la courtisane Lagis, pour laquelle l’orateur Céphalos composa un panégyrique, comme fit Alcidamas d'Élée, le maître de Gorgias, auteur d'un panégyrique de la courtisane Naïs.

Lysias nous parle de cette Naïs, dans le Discours contre la violence de Philonidès, (si cette œuvre est authentique), précisant qu'elle fut la maîtresse de Philonidès. Voici ce qu'il dit :

 

« Ensuite, il y a une femme portant le nom de Naïs, courtisane de son état, dont le gardien est Archias, dont Hyménéos est l’intime, et dont Philonidès se veut l'amant. » 

 

Aristophane la mentionne dans son Gérytadès. Et peut-être aussi dans son Ploutos, pièce dans laquelle il écrit :


« N’est-ce-point à cause de vous que Laïs aime Philonidès? »

Il suffirait d'écrire « Naïs » au lieu de « Laïs ». Hermippos, dans son livre sur Isocrate, indique que cet orateur, ayant atteint un âge canonique, fit entrer la courtisane Lagisca dans sa maison, et qu'il eut d’elle une fille. Strattis fait mention de cette femme dans ces lignes :

 

« J'ai vu Lagisca, la concubine d'Isocrate, qui me chatouillait les noisettes, en même temps qu'elle caressait l'homme aux flûtes (Isocrate). » 

 

Lysias, dans le Discours contre Laïs, (s’il est bien de lui !), la nomme avec d'autres courtisanes : 

 

« Philyra a cessé de se prostituer quoiqu'elle fût encore jeune ; même chose pour Scioné, Hippaphésis, Théocléia, Psamathé, Lagisca, Anthéia, et Aristocléia. »

 

DÉmosthÈne et ses vices

 

 

 

63. Il est de notoriété publique que l'orateur Démosthène a eu des enfants d’une courtisane. Alors qu'il prononçait son Discours sur l'Or, on sait qu'il amena ses enfants devant le tribunal, afin d'obtenir la compassion des juges. Il n'était pas accompagné de leur mère, bien que l'usage voulût qu'elle fût citée comme témoin du procès. Mais s'il s'abstint, c'était pour éviter le scandale.

L'orateur avait une sexualité débridée, aux dires d'Idoménéos. Un jour, alors qu'il était tombé amoureux d’un jeune homme du nom d'Aristarque, il s'en prit vivement à un certain Nicodème – à cause de notre jeune homme justement – et, dans un moment d'ivresse, il lui creva les yeux. Tout le monde sait qu'il dilapida sa fortune en repas fastueux, en jeunes garçons, et en femmes. D'où ce propos d'un de ses secrétaires : 

 

« Que peut-on dire de Démosthène? Ce qui lui a demandé une année de labeur a été anéanti en une seule nuit à cause d'une femme. » 

 

On raconte aussi que, bien que marié, il amena chez lui un jeune homme appelé Cnosion. Sa femme, en guise de vengeance, coucha finalement avec ce Cnosion...

 

MyrrhinÉ, IrÈne, DanaÉ, Mysta

 

64. Myrrhiné, la courtisane samienne, fut entretenue par Démétrios, dernier roi de sa dynastie ; et bien qu'elle n'ait jamais eu le titre de  reine, il partagea avec elle les honneurs du pouvoir, aux dires de Nicolas de Damas.

Ptolémée, fils de Philadelphe, qui commandait une garnison à Éphèse, eut une liaison avec la courtisane Irène. Quand les Thraces d’Éphèse conspirèrent contre lui, il se réfugia dans le temple d'Artémis et Irène partagea sa fuite ; quand il fut massacré par les Thraces, Irène s'agrippa aux anneaux des portes, puis fut égorgée à son tour, éclaboussant les autels de son sang.

Quant à Danaé, fille de l’épicurien Léontion, c'était une courtisane entretenue par Sophron, gouverneur d’Éphèse. C'est elle qui le sauva du complot ourdi par Laodicé, en se jetant dans un précipice. Voici ce qu'écrit à son propos Phylarchos son douzième livre :

 

« Laodicé était une amie de Danaé. Cette dernière lui témoignait une confiance sans bornes. Danaé était la fille de Léontion, la même qui étudia auprès d'Epicure, le philosophe de la nature. Elle devint la maîtresse de Sophron. 
Quand elle apprit que Laodicé voulait assassiner Sophron, elle lui révéla la teneur du complot d'un signe de la tête. Lui, ayant feint de se prêter au désir de Laodicé, lui demanda deux jours de réflexion ; ce délai accepté, il s'enfuit à Éphèse dans la nuit.
Quand Laodicé apprit la trahison de Danaé, elle fit jeter la malheureuse au fond d'un précipice, oubliant leur amitié passée. On raconte que Danaé, mise en accusation par Laodicé, et se sachant en danger, ne daigna pas même lui faire l'aumône d'une parole. Alors qu'on la menait au précipice, elle avoua ne pas être étonnée du peu de cas que les hommes faisaient de la puissance divine. Voici ce qu'elle aurait déclaré : « J'ai sauvé mon bien-aimé, et voilà la récompense offerte par les dieux ; pendant ce temps, Laodicé, qui a voulu tuer son propre époux, est toujours comblée d'honneurs. »
 

 

Au sujet de Mysta, le même Phylarchos raconte ce qui suit dans son quatorzième livre :

 

« Mysta était la maîtresse du roi Séleucos. Quand celui-ci fut vaincu par les Galates, il réussit à s'enfuir vivant de cette déroute ; Mysta, elle, ôta ses vêtements royaux et revêtit la guenille d’une esclave ; elle fut alors capturée et emmenée avec les autres prisonnières. Conduite à Rhodes, elle y fut vendue en même temps que ses propres servantes. Après avoir dévoilé sa véritable identité, elle fut renvoyée à Séleucos par les Rhodiens avec toute la dignité due à son rang. »

 

Lampito, NicarÈte, NÉrÉe

65. Démétrios de Phalère, amant de Lampito, la courtisane samienne, appréciait – c’est tout au moins ce que nous dit Dyillos – d’être surnommé, grâce à elle, « Lampito ». Il fut également affublé d’un autre surnom, « Beaux Yeux ».

La courtisane Nicarète était la maîtresse de l'orateur Stéphanos, et Métaneira le fut du sophiste Lysias. Ces femmes, toutes d'origine servile, étaient la propriété de Casios d'Élis, comme, d’ailleurs, les courtisanes Antéia, Stratola, Aristocléia, Phila, Isthmias, et Néaera. On sait que Néaera devint la maîtresse du poète Xénoclide, de l’acteur Hipparque, ainsi que de Phrynion, du dème Paeania, fils de Démon et neveu de Démocharès. Phrynion et l’orateur Stéphanos se partageaient Néaera à tour de rôle, un jour chacun.

Néaera eut une fille, Strymbélé, celle que plus tard on appela Phano, et dont Stéphanos était le père présumé. Il s’arrangea pour lui faire épouser Phrastor du dème Aegilia : c'est Démosthène qui le dit dans son Discours contre Néaera.

À propos de la courtisane Sinopé, Démosthène écrit ceci :  

 

« Vous avez puni le grand-prêtre Archias en le faisant condamner devant le tribunal pour impiété et pour avoir sacrifié selon des rites défendus ; parmi les accusations portées contre lui, il est celle-ci : aux Haloa, sur l'autel qui se trouve au cœur du tribunal d’Éleusis, il aurait sacrifié de son propre chef, au nom de la courtisane Sinopé, une victime apportée par cette femme : or la loi interdit de sacrifier ce jour-là, et même s'il avait été conforme, il aurait fallu que la sacrifice se fît par les soins d'une prêtresse et non du grand-prêtre. »

 

Bacchis et Plangon

66. Plangon de Milet, fut aussi une courtisane célèbre. Dotée d'une beauté radieuse, elle fut aimée par un jeune homme natif de Colophon, qui avait déjà une maîtresse répondant au nom de Bacchis de Samos. Le jeune homme parlait souvent de la beauté de Bacchis, au point que Plangon essaya de le détourner d'elle. Ses efforts étant voués à l'échec, elle exigea de lui, comme prix d’un rendez-vous, une chose impossible à réaliser, à savoir le don du collier de Bacchis. Ce collier est demeuré fameux. Comme il était profondément amoureux de Plangon, il supplia Bacchis de ne pas le laisser mourir de chagrin. Bacchis, visiblement émue par sa passion, lui donna finalement le collier. Mais Plangon, sensible à la générosité de sa rivale, lui renvoya l'objet, et coucha malgré tout avec le garçon. Et depuis lors, les deux femmes, devenues amies, se partagèrent librement leur amant.

Enthousiasmés par cet acte, les Ioniens surnommèrent Plangon « Pasiphile » (aimée de tous), selon le témoignage de Ménétor, dans son ouvrage sur les Offrandes votives. Archiloque en parle aussi :  

 

« Comme un figuier parmi les roches, qui nourrit beaucoup de corneilles, Pasiphile, une femme de petite vertu, est accueillante aux étrangers. »   

 

Tout le monde a encore en mémoire la liaison qu'entretint le poète Ménandre avec Glycéra. Mais il se brouilla avec elle car il était d'un naturel jaloux. Au même moment, Philémon tomba amoureux de Glycéra et vanta dans l'une de ses pièces sa bonté foncière. En guise de riposte, Ménandre écrivit qu'aucune femme ne pouvait raisonnablement être bonne.

 

Harpalos et PythionicÉ

 

 

67. Harpalos, le Macédonien, qui avait détourné les richesses d'Alexandre avant de trouver refuge à Athènes, fut éperdument amoureux de Pythionicé, au point qu'il dilapida des fortunes rien que pour elle. C'était une courtisane. Quand elle mourut, il lui fit élever un monument fort coûteux. A ce sujet, relisons ce passage tiré du vingt-deuxième livre des Histoires de Posidonios  :

 

« En l'accompagnant au cimetière, il suivit le corps de sa bien-aimée, escorté par un chœur d'artistes talentueux, où l'on jouait toutes sortes d'instruments avec une belle harmonie. »

 

Quant à Dicéarque, dans sa Descente dans la caverne de Trophonios, il rapporte ceci :

 

« On aurait la même sensation en arrivant à Athènes par la route d'Eleusis, ce chemin qu'on appelle "route sacrée". En faisant un arrêt à l'endroit précis où l’on aperçoit le temple d'Athéna et la citadelle, on remarquera, sur le bord de la route, un monument, qui, par son aspect grandiose, est sans égal dans la région. A première vue, on pourrait croire qu'il s'agit là, tout naturellement, d'un monument élevé à la gloire de Miltiade, de Périclès, de Cimon, ou de tout autre personnage prestigieux, et qu'il a été élevé aux frais de l'Etat, ou tout au moins avec sa permission. Mais, quand on y regarde de plus près, on se rend compte que c'est un monument à la courtisane Pythionicé : décidément, on aura tout vu ! »

 

Théopompe, dénonçant dans sa Lettre à Alexandre la corruption d’Harpalos, dit ceci :

 

« Va t'informer auprès des espions babyloniens pour savoir de quelle façon il procéda aux funérailles de Pythionicé, après sa mort. Elle était l'esclave de la joueuse de flûte Bacchis, une femme qui fut elle-même au service de Sinopé de Thrace, une prostituée qui transféra de d'Egine à Athènes son commerce infect. Ainsi donc, Pythionicé était, non seulement triplement esclave, mais aussi triplement putain.

Sachez qu'avec plus de deux cents talents, Harpalos fit ériger deux monuments rien que pour elle. C'est une chose qui ne manque pas de sel quand on sait que, pour les hommes morts en Cilicie pour défendre ton royaume et la liberté de la Grèce, aucun de tes intendants n’a encore eu l’idée de construire un quelconque mausolée. Or, sache que depuis longtemps déjà, la courtisane Pythionicé possède, rien que pour elle, un double monument, l'un à Athènes, l'autre à Babylone.
Nous avons affaire à une femme qui a offert ses charmes à tout le monde et pour un prix modique. Et c'est pour cette créature qu'il a eu le toupet, lui, qui se prétend ton ami, d'élever un mausolée et un sanctuaire et de lui donner le nom d'Aphrodite Pythionicé. Par cette action, il a montré son mépris à l'égard des dieux et souillé la fonction que tu lui as confiée. »

 

Ces femmes sont aussi mentionnées par Philémon dans son Babylonien :

 

« Vous serez reine de Babylone, si la chance vous sourit : n'avez-vous pas entendu parler de Pythionicé et d'Harpalos. »

 

Alexis parle d'elle encore dans Lykiskos.

PythionicÉ remplacÉe par GlycÉra

68. Après la mort de Pythionicé, Théopompe nous dit qu’Harpalos eut une liaison avec Glycéra, dont nous avons déjà parlé. L’auteur ajoute qu’il refusa de porter la couronne, si sa maîtresse ne la portait pas aussi.

Théopompe écrivit ces lignes à Alexandre :

 

« À Rhossos de Syrie, il fit ériger une statue en bronze de Glycéra, à l'endroit même où il devait en ériger une de toi et une de lui ! Il autorisa cette femme à vivre dans le palais royal de Tarse, lui permettant d’être adorée par le peuple et acclamée à l’égal d’une reine ; enfin, il la combla de toutes ces prérogatives, dont il aurait mieux que tu honores ta mère et ton épouse. »

 

Ce témoignage est confirmé par celui qui composa la petite pièce satyrique intitulée Agen, œuvre qui fut jouée quand les Dionysies furent célébrées au fleuve Hydaspe. On ne sait si l’auteur en est Python de Catane (ou de Byzance) ou bien le roi lui-même. En tout cas, la pièce fut représentée après la fuite en mer d’Harpalos. Dans cette œuvre, Pythionicé est visiblement déjà morte, puisque Glycéra est la maîtresse d’Harpalos. Ce passage montre de quelle façon la courtisane réussit à détourner vers Athènes les largesses d’Harpalos.

 

« Il y a, dans ce lieu où croît le roseau, une forteresse beaucoup trop élevée pour que les oiseaux y arrivent ; à gauche, voyez ce temple célèbre dédié à une putain, que Pallidès construisit avant d’être contraint à l'exil pour son forfait. Voyant la beauté de cet édifice, certains mages barbares avaient persuadé le malheureux qu’il pourrait entrer en contact avec l'esprit de Pythionicé.» 

 

Dans ce passage, l'auteur désigne Harpalos sous le nom de « Pallidès ». Mais dans le vers suivant, il l'appelle par son vrai nom : 

 

- «  Je suis impatient d’apprendre de vous, puisque je vis très loin de ce pays, quelle est donc cette terre d’Attique ? Est-elle heureuse ?

- Alors qu'ils se plainaient de mener une vie d'esclaves, ils avaient largement de quoi se nourrir. Mais aujourd'hui, ils n'ont plus que de l'ail et du fenouil. Par contre, de pain ils n'en ont guère !

-  Mais j'ai entendu dire qu’Harpalos leur a expédié des milliers de boisseaux de grain, bien plus qu'Agen. Et c’est ainsi qu’il a été fait citoyen.

-  Ce grain arrive tout droit de Glycéra, et, sans nul doute, c’est le gage de leur perte, autant que celui des faveurs d’une putain. »

 

 

Les courtisanes de Naucratis.

 

69. Naucratis produisit également de célèbres courtisanes, remarquables de beauté, telles que Doriché, qui devint la maîtresse de Charaxos, frère de la belle Sappho, lorsque celui-ci se rendit à Naucratis pour affaires. Sappho a d’ailleurs dénoncé cette liaison avec vigueur, accusant cette femme d'avoir soutiré beaucoup d’argent à son frère.

Hérodote l’appelle Rhodopis, tout en étant incapable de dire s’il s’agit en fait de Doriché, celle qui érigea à Delphes les deux fameux obélisques dont Cratinos a parlés dans les vers suivants… (lacune).

Posidippe, qui a si souvent évoqué Doriché dans son Éthiopienne, composa cette épigramme en son honneur :

« Ô Doriché, tes os, depuis longtemps, ne sont plus que cendre, comme tes couronnes et ta tunique embaumée de parfums, toi qui naguère, serrant dans tes bras le beau Charaxos et partageant sa couche, buvais jusqu’à la lie la coupe du matin. Mais les vers sublimes de Sappho vivent encore et vivront à jamais pour faire résonner ton nom. Et ton nom est glorieux, car Naucratis en gardera le souvenir, tant que les vaisseaux, venant du Nil, vogueront en pleine mer. »

 Je ne manquerai pas de vous rappeler qu'Archédicé était aussi originaire de Naucratis : c'était une superbe courtisane. Comme le reconnaît volontiers Hérodote, Naucratis possède - on ne sait pas trop pourquoi - des courtisanes au charme irrésistible.

 

Sappho, Nicarèté, Bilistiché, LÉanÉa, LÉmÉ, LydÉ, ....

70Parlons maintenant de la courtisane d'Erésos, qui s’appelait Sappho comme la poétesse, une femme qui devint célèbre pour son amour pour le beau Phaon, s’il faut croire Nymphis dans son Voyage sur les côtes d’Asie.

Quant à Nicarète de Mégare, une courtisane qui n’était pas de basse origine, elle était une femme désirable, tant pour son intelligence que pour ses charmes : on sait qu’elle étudia avec le philosophe Stilpon.

Bilistiché, la courtisane argienne, eut aussi une belle réputation : elle prétendait descendre de la famille des Atrides, comme le rapportent les auteurs de l’Histoire d'Argos.

Léanéa, une autre courtisane, maîtresse d’Harmodios, le fameux tyrannicide, fut également célèbre : mise à la torture par les soldats du tyran Hippias elle mourut dans de terribles tourments sans pousser un seul cri.

Enfin, je vous rappellerai que l'orateur Stratoclès s’enticha d’une courtisane, Lémé, qu’on appelait aussi "Parorama" (petite salope) parce que celle-ci s’offrait au premier venu pour deux petites drachmes, aux dires de Gorgias dans son livre sur les Courtisanes.

Myrtilos allait arrêter son récit quand il ajouta ceci :

- « Mes amis, j'allais oublier de vous parler de la Lydé d'Antimaque, ainsi que de son homonyme, Lydé, qui fut aimée de Lamynthios de Milet. Selon Cléarchos, dans ses Érotiques, les deux hommes, épris de cette belle étrangère, composèrent pour elle, chacun de leur côté, une poésie intitulée Lydé, l'une en distiques élégiaques, l'autre en vers lyriques.

Ne passons pas sous silence la joueuse de flûte Nanno, l’amie de Mimnerme, de même que Léontion, maîtresse d’Hermésianax de Colophon. Inspiré par sa passion, notre dernier poète n’écrivit pas moins de trois livres d’élégies dont le troisième contient un véritable catalogue de liaisons amoureuses en tous genres que je vais m'efforcer de vous réciter :

Élégie d’Hermésianax de Colophon.

 

71. « Armé seulement de sa lyre, le tendre fils d’Oagros ramena de l’Hadès la Thrace Agriopé. Il navigua sur ce fleuve malfaisant et implacable où Charon traîne dans sa barque commune les âmes des morts, dans un marais fait retentir ses ondes, à travers d’immenses roseaux. Orphée, parti seul, osa faire retentir sa lyre près de la vague, ralliant à sa cause des dieux pourtant fort partagés à son égard, de même que le Cocyte sans foi, qui enrageait sur ses rives ; il affronta le regard fixe du terrible Cerbère, malgré ses aboiements de feu, malgré son œil de feu, un œil, qui sur cet être tricéphale, faisait naître chez tous une indicible terreur. Alors, grâce à son chant, Orphée persuada les seigneurs puissants de rendre à Agriopé le souffle de la vie.

Même le fils de la Lune, Musée, maître du Grâces, se lia à Antiope, non sans lui avoir accordé des honneurs. On dit qu’à la lisière d'Éleusis, elle s’adressait aux initiés d’une voix puissante et sacrée, celle des oracles mystiques. Elle honorait, suivant les rites, la Déméter de la plaine de Rarion. Antiope est aussi renommée jusque dans l’Hadès.

Même le béotien Hésiode, maître de toutes les sagesses, quitta sa patrie pour se rendre au village Héliconien des Ascréens, par amour. Epris de la courtisane Eoée, servante à Ascra, et dont il eut à souffrir, il composa en son souvenir les manuscrits de son Catalogue, qui à chaque début, mentionne le nom de celle qu'il aima.

Le grand aède, celui que Zeus désigna comme le plus génial des chantres des muses, le divin Homère, célébra la pauvre Ithaque dans ses chants par amour pour la sage Pénélope. Afin de la retrouver, il débarqua dans cette petite île au prix de mille souffrances, et loin de son pays, c’est là qu’il vanta la race d'Icare, le peuple d'Amyélas et de Sparte,  en se rappelant sans cesse ses propres infortunes.

Mimnerme, aussi, connut la souffrance, lui qui inventa les accents langoureux du pentamètre. Il fut épris de Nanno et, flûte aux lèvres, malgré son âge, il folâtra allègrement. Mais il se querella avec le funeste Hermobios, mais aussi avec Phéréclès, son ennemi, à qui il adressa de haineuses chansons, dédiées à Nanno.

Antimaque, saisi d’amour pour Lydé, une Lydienne, foula, pour la retrouver, le sol sillonné par les flots du Pactole ; quand elle mourut, il l’ensevelit, puis la pleura longtemps, inconsolable. Plus tard, gagnant la noble Colophon, il jeta sur ses manuscrits la tristesse de son cœur et put ainsi apaiser sa douleur.

PAROLES AILEES, Sappho (traduit par Philippe Renault)Le Lesbien Alcée, qui chanta dans de joyeux banquets au son de sa lyre, tomba amoureux, tu le sais, de Sappho. Poète et ami du rossignol, il chagrina le poète de Téos, tant ses chants étaient magnifiques. Anacréon à la voix de miel était en effet l'ami de celle qui surpassait en beauté toutes les femmes de Lesbos. Le poète, abandonnant tantôt Samos, et tantôt sa patrie, nichée sur la colline tapissée de vignes, allait à Lesbos, où le vin était doux. Et de là, il admirait Lectos, le promontoire de Mysie, au-dessus des flots éoliens.

Il y eut aussi l'abeille attique, qui délaissa Colone aux maintes collines, et qui chanta dans les chœurs tragiques Bacchos et sa passion pour Théori et Erigoné, deux femmes que Zeus offrit comme amantes à Sophocle dans sa vieillesse.

Je parlerai de ce poète qui se tenait toujours à l’écart de la passion et qui poursuivait sans cesse la gent féminine de ses sarcasmes. Et pourtant, lui aussi, fut frappé par l'arc tortueux, au point d'être inconsolable, même pendant la nuit ;  que dis-je ! pétri par un morne ennui, il s’en alla sur les routes affreuses de Macédoine, se mit sous la protection d’Archélaos, cela,  jusqu'au jour où le destin fracassa Euripide, quand il fut victime des chiens cruels d'Amphibios.

Et ce poète de Cythère, Philoxène, que les nourrices de Bacchos élevèrent et que les Muses avaient éduqué pour être le plus fidèle serviteur de la flûte ; vous savez tous comment il fut souffrit, et comment il arriva dans notre cité ; vous avez entendu parler du chanteur, pour lequel Galatée eut autant de considération qu’à l’égard d’un mouton. »

Tu connais aussi ce poète, auquel les descendants d'Eurypylos dressèrent à Cos une statue en bronze sous un platane, je veux parler de Philétas, qui chanta son amour pour l'agile Bittis, un poète habile à préserver de l'oubli tous les mots, ainsi que leur prononciation.
Même les mortels qui s'obligent à mener une vie austère et qui sont en quête de la sagesse tortueuse, oui, ces gens pleins de prudence dont l’habileté triomphe dans les âpres discussions, qu'une vertu implacable retient, même ceux-là ne sont pas à l’abri du ravage insensé de l'amour. Qu'il ose se montrer à eux, et les voilà tous sous l'emprise de cet aurige redoutable.

Telle était la folie qui pour Théano enchaînait Pythagore de Samos ; pourtant, c'était l’homme qui avait découvert les subtilités de la géométrie, et avait reproduit sur une petite sphère, le l'étendue arrondie que l'éther enveloppe. 
Avec quelle fougue le feu de Cypris se mit à consumer Socrate, qu'Apollon avait désigné comme le plus sage des hommes. Pour alléger ses souffrances, il fréquenta souvent la maison d'Aspasie ; mais rien n'y fit, il ne trouva  aucun remède, lui qui, pourtant, dissipait bien des problèmes par la seule force de sa raison.
Même l'homme de Cyrène, le vif Aristippe, fut victime d'une passion brûlante : en effet, au-delà de l'Isthme, il tomba amoureux de Lais d'Apidané, à tel point que pour elle, il oublia tous ses discours philosophiques pour mener une vie oisive. »

 

72. Dans ces lignes, Hermésianax commet une erreur flagrante en supposant que Sappho et Anacréon étaient contemporains : le poète vécut à l’époque de Cyrus et de Polycrate, tandis que Sappho écrivit au temps d'Alyatte, le père de Crésus. Pourtant Chaméléon, dans son livre sur Sappho, déclare que les vers suivants furent bien composés par Anacréon pour la Lesbienne ; bien des auteurs, selon lui, en sont persuadés :

 

« Maintenant Éros aux cheveux d’or, qui me lance sa balle pourpre, m'invite à folâtrer avec la jeune fille à la sandale brodée. Mais elle, native de la charmante Lesbos, se moque de mes cheveux, parce qu’ils sont blancs, et elle s’émerveille pour un autre… une femme ! »

 

Et, dans ces vers, Chaméléon prétend que Sappho aurait ainsi répondu :

 

« L'hymne que tu vas prononcer, ô muse au trône d'or, est celui que l'homme de Téos, vieil homme glorieux de la terre hospitalière aux belles femmes, chanta pour notre seul plaisir. »

 

Mais, d’évidence, ce chant n'est point de la main de Sappho : il peut être adressé à n’importe qui.

Pour ma part, je m’accorde à penser que c'est uniquement par jeu littéraire qu’Hermésianax évoque de telles amours. Car, rappelons-le, le poète comique Diphilos, dans sa Sappho, ne donne à la poétesse que deux amants : Archiloque et Hipponax.

Voilà donc, mes amis, j’ai concocté à votre intention, et avec soin, ce catalogue érotique, n'étant pas moi-même érotomane, comme l’a dit Cynulcos sur un ton injurieux : certes, j’admets que je suis fort porté sur Eros, mais point érotomane.

 

« Pourquoi s'obliger à souffrir en lâchant trop de mots, alors qu’on peut rester silencieux et cacher tout cela dans l'ombre ? »

 

Ces vers sont tirés de l’Amphitryon d’Eschyle d’Alexandrie, le même à qui l'on doit une Epopée de Messénie, et qui est un bel érudit.

 

Aphrodite

 

 

73. Je pense avoir bien prouvé quelles puissantes divinités sont Éros et Aphrodite d'or. Et je vous cite avec ces vers d'Euripide, tels qu'ils me reviennent à l'esprit.  

« Ne vois-tu pas comme Aphrodite est une grande déesse ? Tu ne pourrais me décrire, ni mesurer sa grandeur, ni savoir jusqu'où s'étend sa puissance. C'est elle qui me nourrit, toi, moi et l'ensemble des mortels. La preuve ? Les mots sont impuissants à l'évoquer et c'est à l'œuvre que je veux te montrer sa suprématie. La terre a besoin de la pluie : or, quand la terre est sèche et devient stérile, l'humidité est son seul recours. Le ciel vénérable, gonflé de pluie, aime à couler sur la terre, et c'est par la grâce d'Aphrodite. Et lorsque les deux éléments se confondent, ils engendrent et entretiennent toutes les choses par lesquelles la race des mortels vit et prospère. » 

Citons encore le très vénérable Eschyle, qui, dans les Danaïdes, présente ainsi Aphrodite :  

« Le ciel chaste aime à violer la terre, et l'amour s'en empare et l'étreint. Du fond du ciel, la pluie, élément mâle, tombe et imbibe la terre, apportant aux mortels le pâturage pour les moutons et la vie pour Déméter : c'est ainsi que les arbres fleurissent par cette union pluviale. Et moi, de tout cela, je suis la cause. »

 74. Dans l'Hyppolite d’Euripide, Aphrodite déclare :  

« Tous ceux qui viennent en-deça des limites atlantiques, tous ceux qui contemplent la lumière du soleil, tous ceux qui révèrent mon pouvoir, je les honore, mais j'abats les êtres qui ont sur moi des pensées mauvaises. » 

Le jeune Hippolyte, quoique vertueux, avait commis l'erreur fatale de ne pas honorer Aphrodite, et cela le perdit ! Et ni Artémis, qui l'aimait, ni les dieux, ni les démons ne purent le sauver. Le même poète dit aussi :  

« Celui qui ne considère pas Éros comme un grand dieu est soit stupide, soit totalement ignorant des belles choses.  Il méconnaît la puissance de ce dieu parmi les hommes. » 

C'est parce qu'Anacréon l'a chanté constamment que son nom est sur toutes les lèvres. À ce propos, l'excellent Critias le célèbre ainsi : 

 

« Téos a donné à la Grèce le doux Anacréon, le poète qui, jadis, a tissé de mélodieuses mélopées pour honorer les joyeux banquets et la beauté des femmes : maître la lyre, ennemi des flûtes, il apporte la joie et rejette les larmes. L'estime qu'on a pour toi, ne vieillira, ni ne mourra, tant qu'un bel esclave distribuera les coupes de vin coupé d'eau pour qu'on boive à la santé des convives, tant que des cortèges de femmes veilleront sur ton culte durant les nuits sacrés, tant que la Balance, fille de bronze, se reposera sur le sommet le plus haut du cottabe pour recevoir les baisers de Bromios. »

 

Paideia et Paidika

75.  Archytas, l'auteur d'une théorie musicale, prétend – c'est ce que nous rapporte Chaméléon - qu'Alcman a ouvert la voie aux auteurs des chansons érotiques, et qu'il fut le premier à écrire une chanson licencieuse : il est vrai qu'il avait l'habitude de fréquenter des femmes et qu'il était fort expert dans ce genre de poésie. Voici un extrait d'un de ses chants :

 

« De nouveau le doux Éros, par la volonté de Cypris, fait déborder et fondre mon cœur. »

 

Archytas dit aussi qu'Alcman fut follement épris de Mégalostrata, une poétesse ayant le don d'attirer les amoureux par le charme de sa conversation. Voici ce que le poète dit d'elle: 

« C'est l'heureuse jeune fille, la blonde Mégalostrata, celle qui a révélé l'offrande des douces Muses. »

 

Stésichore était un homme sensible à Éros, et, lui aussi, il composa des chansons sous son inspiration. Celles-ci étaient appelées autrefois "paideia" et "paidika." La quête d'Éros était si courante que nul ne se serait pris à considérer ses adeptes comme des gens dépravés : même de grands poètes comme Eschyle et Sophocle ont illustré leurs tragédies de thèmes érotiques : le premier décrivit l'amour d'Achille et de Patrocle, et le second dans Niobé parla les amours garçonnières, à tel point que cette œuvre est appelée aussi Pédérastria. Notons que le public était friand d'un tel lyrisme.

 

Ibycos et Pindare

76. Ibycos de Rhégion jeta dans un cri :

 

 Quand vient le printemps, on voit surgir sur les bords sinueux des fleuves l'arbre chétif qui porte le coing, et dans les lieux charmants où s'étendent les jardins des vierges, le pampre précieux des vignes serpente en croissant. Moi, Éros ne me laisse jamais en repos, et Borée de Thrace me torture de sa foudre puissante lorsque, délégué par Cypris, il assèche cruellement mon cœur. Depuis ma jeunesse, il domine mon cœur. »

 

Pindare était également étreint par Eros quand il écrivit :

 

« Il faut aimer et céder à l'amour quand il le faut. Ne poursuis pas, ô mon cœur, quand le temps est passé, des choses impossibles. » 

 

C'est pourquoi Timon dans ses Satires dit ceci : 

 

« Il y a un temps pour aimer, un temps pour se marier, et un temps pour s'arrêter ! »

 

Il ne faut pas attendre, comme nous le dit ce même philosophe, que quelqu'un vous dise :  

« Maintenant que son soleil décline, il commence à chercher le plaisir. »

 Et quand Pindare se rappelle le souvenir de Théoxène de Ténédos, de qui il s'enticha, que dit-il d'autre, sinon ces quelques vers ?

 

« Il fallait, ô mon cœur, cueillir les fleurs de l'amour au bon moment, dans la fleur de l'âge ; mais qui a le pouvoir, face aux yeux prodigieux du beau Theoxène, de ne pas tomber dans les flots du désir ? Car celui dont le cœur est de bronze ou de fer, qui n'a jamais perçu Aphrodite au regard vif, celui-la n'a travaillé que pour les richesses ou alors son âme s'est jetée sur les voies de l'orgueil féminin. Mais moi, grâce à la déesse, comme la cire des abeilles saintes touchées par le soleil, j’ai fondu en contemplant les beaux garçons. Et vraiment, même dans Ténédos, la Persuasion et la Charites habitent le fils d'Hagésilas. »

GanymÈde

77. Bien des gens préfèrent les liaisons garçonnières aux amours féminines. Généralement, leurs zélateurs affirment que les cités de Grèce où cette pratique est répandue sont celles où les mœurs sont les plus policées.

Les Crétois, par exemple - j'en ai parlé plus haut - et les habitants de Chalcis en Eubée, sont friands de telles unions.

Echémène prétend, dans son Histoire de la Crète, que Ganymède fut enlevé par Minos et non par Zeus. Mais les Chalcidiens disent que c'est dans leur pays que Ganymède fur ravi : pour preuve, ils montrent encore l'endroit où la chose se produisit, qui se nomme Harpagion, soit dit en passant, une région fort belle, couverte d'arbres à myrte.

Quant à Minos, il faut savoir qu'il mit fin à sa querelle avec les Athéniens, à la suite du meurtre de son fils, parce qu'il aimait tendrement Thésée. Il lui donna la main de sa fille Phèdre, s'il faut en croire Zénis (ou Zénéos) de Chios dans l'Histoire qu’il consacra à sa patrie.

 

Bataillon SacrÉ - Harmodios et Aristogiton - Chariton et MélanippÉ - Cratinos et AristodÈme

78.  Hiéronymos le Péripatéticien déclare que les unions entre garçons ont été favorisées parce que l'on constatait que la vigueur des jeunes hommes, jointe à une émulation réciproque, faisaient tomber les gouvernements tyranniques. Il est vrai que les amants acceptaient volontiers de subir les pires tourments plutôt que passer pour des lâches aux yeux de leurs mignons.

Il suffit de se rappeler le bataillon sacré, créé à Thèbes par Épaminondas, ainsi que l'assassinat des Pisitratides par Harmodios et Aristogiton. N'oublions non plus ce qui se passa en Sicile, à Agrigente, en raison de l'amour qui unissait Chariton et Mélanippe, le premier étant le mignon du second, selon Héraclide du Pont dans son livre sur les Érotiques.

Les deux hommes avaient conspiré contre Phalaris. Quand on les tortura pour les faire parler, non seulement ils refusèrent de dénoncer leurs complices, mais ils réussirent à émouvoir Phalaris en personne au spectacle de leurs tourments : il les relâcha et même les félicita chaleureusement. À la suite de cet acte, Apollon, favorisa Phalaris en retardant l'heure de sa mort et fit connaître sa décision à tous ceux qui demandaient à la Pythie comment éliminer le tyran. Concernant Chariton et ses amis, il rendit l'oracle suivant, dans lequel le pentamètre précédait l'hexamètre, comme le fit plus tard, dans ses Élégies, Dionysios d'Athènes, surnommé le "Poète de Bronze" :

« Heureux Chariton et Mélanippe, guides pour les mortels dans l'amour divin. »

 Remarquable est aussi ce qu'on rapporte à propos de Cratinos d'Athènes. C'était un beau jeune homme qui vivait au temps où Épiménide pratiquait des sacrifices humains en vue de purifier l'Attique de ses souillures. Néanthès de Cyzique parle de lui dans le deuxième livre de ses Rituels d'initiation. Cratinos se proposa de purifier la terre qui l’avait nourri et s'offrit en sacrifice. Son amant Aristodème fit de même, et la souillure fut expiée.

Hostiles forcément à de telles liaisons amoureuses, les tyrans s'efforcèrent de les extirper par tous les moyens. Certains d'entre eux en vinrent même à incendier les palestres, qu'ils considéraient comme des nids de résistance à leur domination : c'est ce que fit notamment Polycrate, le tyran de Samos.

Les Spartiates - Eschyle et Sophocle - Origine de la pÉdÉrastie

79. Chez les Spartiates, s'il faut croire Hagnon, le philosophe de l’Académie, il était de bon ton pour des filles d’être traitées avant leur mariage comme des mignons. À ce sujet, le législateur Solon dit ceci : 

 

« Je désire tes cuisses et tes lèvres délectables. » 

 

Eschyle et Sophocle s'expriment encore plus crûment, le premier dans ses Myrmidons :  

« Ingrat, tu déshonore les cuisses et tu dédaignes tous mes baisers! » 

 Le second, dans ses Colchidiennes, parle ainsi de Ganymède :  

« Enflammant de ses cuisses la majesté de Zeus. »

Certes, je suis loin d'ignorer que Polémon le Géographe, dans ses Réponses à Néanthe, affirme que l'histoire de Cratinos et d'Aristodème est une pure fiction. Mais, mon cher Cynulcos, je te prie d'accepter ces histoires comme telles, même si ce ne sont que des fables : poursuivons donc allègrement la lecture de ces poésies qui parlent de l'amour des garçons.

La pratique de la pédérastie s'introduisit en Grèce par l'intermédiaire de la Crète : Timée est formel sur ce point. D’autres prétendent que c’est Laios qui en fut le créateur, lorsqu'il fut invité par Pélops. S'étant entiché du fils de Pélops, nommé Chrysippos, il l'enleva, le plaça sur son char, et s'enfuit à Thèbes avec lui. Praxilla de Sicyone, pense, quant à elle, que Chrysippos fut plutôt ravi par Zeus.

On sait que, parmi les barbares, les Celtes, qui possèdent pourtant des femmes magnifiques, ont une préférence pour les garçons, de sorte qu'on voit beaucoup d'entre eux coucher avec deux mignons à la fois sur leurs lits en peaux de bêtes.

Quant aux Perses, Hérodote précise qu'ils doivent aux Grecs la pratique de l'amour garçonnier.

Alexandre et les autres...

80. Le roi Alexandre était aussi un grand amateur de beaux garçons. Dans son livre sur le sacrifice à Ilion, Dicéarchos avoue même qu'il fut tellement épris de l'eunuque Bagoas que, au milieu d'une représentation théâtrale, il se pencha vers lui et l'embrassa tendrement : aussitôt, les spectateurs applaudirent à chaudes mains, en signe d'approbation, ce qui incita le roi à embrasser de nouveau Bogoas.

Carystios, dans ses Commentaires historiques, nous dit ceci : 

 

« Charon de Chalcis avait un garçon qui était cher à son cœur. Lors d'une beuverie collective, dans la maison de Cratéros, Alexandre fit l'éloge de ce beau jeune homme : alors, Charon proposa à son mignon d'aller embrasser le roi. Mais celui-ci lui dit : "Non, je ne le ferai pas, car de ce plaisir, tu ne gagneras que souffrance. »

 

   

Malgré sa fougue amoureuse, le roi savait, en temps normal, respecter les convenances. Ainsi, quand il captura les filles et l'épouse de Darius, une femme d'une grande beauté, non seulement il ne les toucha point, mais il s'abstint même de leur dire qu'elles étaient prisonnières, au point d'ordonner qu'on les honorât comme si Darius étaient encore souverain. Quand il apprit cela, Darius, levant les bras, pria le soleil de choisir comme roi, lui-même ou Alexandre.

Quant au vertueux Rhadamanthys, Ibycos raconte que Talos fut son aimé.

Dans l'épopée qu'il consacra à Héraclès, Diotime nous révèle qu'Eurysthée était le favori du héros, ce qui explique pourquoi il consentit si volontiers à entreprendre ses travaux.

De même, on dit qu'Agamemnon s'éprit d'Argynnos dès qu'il le vit nager dans le Céphise. Le jeune homme, qui avait l'habitude de se baigner dans ce fleuve, finit par s'y noyer. Agamemnon le fit ensevelir, et, à l'emplacement de son tombeau, éleva un temple dédié à Aphrodite Argynnis.

Licymnios de Chios ajoute dans ses Dithyrambes qu'Hyménée était l'aimé d'Argynnos.

On sait aussi qu'Aristoclès le citharède était le mignon du roi Antigone. À son sujet, Antigone de Carystos écrit ceci dans sa vie de Zénon :

 

« Le roi Antigone avait l'habitude de festoyer dans la demeure de Zénon. Un matin, revenant d'une beuverie, il se précipita dans la maison de Zénon et le persuada de venir avec lui se divertir chez le joueur de cithare Aristoclès le citharède, que ce roi aimait à la folie. »

 

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