Fortunat

FOTRUNAT

 

POÉSIES - LIVRE IV

 

vie - dissertation - livre I - livre II - livre III  - livre V - livre VI - livre VII - livre VIII - livre IX - livre X - livre XI - Appendice

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

VENANCE FORTUNAT

POESIES MÊLEES

LIVRE QUATRIÈME.

 

I. Epitaphium Eumeri episcopi civitatis Namneticæ.

I. Epitaphe d'Eumérus, évêque de Nantes (01).

Quamvis cuncta avido rapiantur ab orbe volatu,
Attamen extendit vita beata diem.
Nec damnum de fine capit, cui gloria vivis:
Æternumque locum missus ad astra tenet.
Hoc igitur tumulo requiescit Eumerius almo.
Per quem pontificum surgit opimus honor.
Stemmate deductum fulget ab origine culmen,
Et meritis priscos crescere fecit avos.
Emicuit populis geminum memorabile donum,
Inde gradu judex, hinc pietate pater.
Dulcis in eloquio, placidus moderamine sacro,
In cujus sensu perdidit ira locum.
Alterius motus patienti pectore vicit,
Ut levitas læsit, hoc gravitate tulit.
Si quis ab externis properavit sedibus hospes,
Mox apud hunc proprios sensit habere lares.
Hic habitare volens patriis rudis exsul ab oris,
Oblitus veterem, hujus amore, patrem.
Gaudet et arrisit; probat is se cernere flentem,
Alterius lacrimas mox facit esse suas.
Partitus cum ventre vices pietate magistra.
Unde tulit luctus, mox ibi vota dedit.
Pauperibus dives, censum transfudit egenis,
Ante bonus tribuit, quam paterentur opem.
Semina jactavit centeno pinguia fructu,
Cui modo de reditu messis adulta placet.
Unica cura fuit cunctos ut viseret ægros,
Ipse quibus medicus, vixit et ipse cibus.
Extulit ecclesiæ culmen, quod reddidit unum,
Venit ad heredem, qui cumularet opus.
Felix ille abiit, Felicem in sede reliquit,
Hæredis meritis vivit in orbe Pater.

Bien que toutes choses soient, d'un vol rapide, emportées loin de la terre, la vie bienheureuse prolonge cette vie. La mort n'est pas un mal pour celui dont la gloire est immortelle, et qui monte au ciel pour y demeurer à jamais. Dans ce tombeau repose en paix Eumérus, l'honneur du pontificat. Issu d'une longue suite d'illustres aïeux, il a, par ses vertus, ajouté encore à la gloire de cette race antique. Il eut un double titre qui le recommande à la mémoire reconnaissante des peuples : car si, par sa charge, il était leur juge, il fut leur père par sa bonté. Doux dans son langage, indulgent dans l'exercice de son autorité sacrée, la colère n'eut jamais de place en son cœur. Les emportements mêmes d'autrui ne purent vaincre sa patience, l'offense qu'on lui faisait dans un moment de vivacité irréfléchie, sa sagesse la lui rendait légère. L'étranger venu d'un pays lointain se croyait bientôt chez lui dans sa maison hospitalière; il voulait y fixer sa demeure, oubliant la patrie qu'il venait de quitter, oubliant son vieux père pour s'attacher à Eumérus. Souriant au bonheur des autres, il se montrait ému de leurs larmes et pleurait avec ceux qu'il voyait pleurer. S'associant en pasteur plein de tendresse aux souffrances des affamés, il prenait pour lui leurs peines, et contentait aussitôt leur besoin. Riche pour les pauvres, il leur donna tout ce qu'il possédait; sa charité prévenait leurs prières. Il a ainsi semé les bonnes œuvres, et de cette semence est sortie une moisson qui lui a rendu le centuple et qui, aujourd'hui mûre, est la cause de sa félicité. Avec un zèle infatigable, il visitait les malades, il était leur médecin (02), leur nourriture et leur vie. Il éleva l'église de Nantes, et, ce qu'il ne put faire lui-même, il laissa à celui qui lui succéderait le soin de l'achever. Il mourut heureux (03), puisqu'il laissait Félix sur son siège, et que nous le retrouvons tout entier dans les vertus de son successeur.

II. Epitaphium domni Gregori episcopi civitatis Lingonicæ.

II. Epitaphe de Grégoire, évêque de Langres (01).

Postquam sidereus disrupit Tartara princeps,
Sub pedibus justi, mors inimica, jaces.
Hoc veneranda sacri testatur vita Gregori,
Qui modo post tumulos intrat honore polos.
Nobilis antiqua decurrens prole parentum,
Nobilior gestis nunc super astra manet.
Arbiter ante ferox, dehinc pius ipse sacerdos;
Quos domuit judex, fovit amore patris.
Triginta et geminos pie rexit ovile per annos,
Et grege de Christi gaudia pastor habet.
Si quæras meritum, produnt miracula rerum,
Per quem debilibus fertur amica salus.

Depuis que le roi du ciel a brisé les portes de l'enfer, la mort ennemie gît abattue aux pieds du Juste. C'est ce qu'atteste la sainte vie du vénérable Grégoire sorti naguère du tombeau pour aller au ciel. Issu d'une antique et noble famille, il est plus noble encore par les mérites auxquels il doit la place qu'il y occupe. D'abord juge sévère (02), puis saint prêtre, ceux qu'il punit comme juge; il les aima et les protégea comme père. Il gouverna son troupeau pendant trente-deux ans, et il a la joie de contempler les heureux fruits de sa direction. Si l'on demande ce qu'il a fait de bien, ses miracles sont là pour répondre, et c'est encore par lui que les malades recouvrent la santé. — Ch. N.

III. Epitaphium domni Tetrici episcopi civitatis Lingonicæ.

III. Épitaphe de Tétricus, évêque de Langres (01).

Palma sacerdotii venerando, Tetrice, cultu ,
Te patriæ sedes, nos peregrina tenent.
Te custode pio, nunquam lupus abstulit agnum,
Nec de fure timens pascua carpsit ovis
Sex quasi lustra gerens, et per tres insuper annos,
Rexisti placido pastor amore gregem.
Nam ut condirentur divino corda sapore,
Fudisti dulcem jugiter ore salem.
Summus amor regum, populi decus, arma parentum
Ecclesiæ cultor, nobilitatis honor,
Esca inopum, tutor viduarum, cura minorum,
Omnibus officiis omnia pastor eras.
Sed cui præbebat varie tua cura medelam,
Funere rectoris, plebs modo triste gemit.
Hoc tamen, alme pater, speramus, dignus in astris,
Qualis honore nites, hic pietate probes.

Honneur du sacerdoce, vénérable Tétricus, tu habites maintenant ta vraie patrie, tandis qu'ici nous sommes en exil. Pieux pasteur, jamais le loup n'a ravi un de tes agneaux ; jamais les brebis paissant sous ta houlette n'ont eu à redouter le voleur. Pendant six lustres et trois ans, tu as conduit ton troupeau avec amour, et répandu à pleines mains ce sel si doux qui donne aux âmes une saveur divine. Profondément aimé des rois, gloire de ton peuple, appui de tes parents, fidèle serviteur de l'Église, honneur de la noblesse, nourriture du pauvre, protecteur des ventes, défenseur du faible, tu fus par tant de bons offices le pasteur de tous. Aujourd'hui le peuple, qui trouvait dans ton dévouement le soulagement de toutes ses misères, est réduit à pleurer ta mort. Cependant, père bien-aimé, maintenant que le ciel dont tu étais bien digne est ta demeure, nous avons l'espoir que tu nous feras connaître ici-bas ton pouvoir par tes bienfaits.

IV. Epitaphium domni Galli episcopi civitatis Arvernæ.

IV. Épitaphe de Gallus, évêque de Clermont Auvergne (01).

Hostis inique , Adam paradiso fraude repellis,
Ecce Deus famulos præstat adire polos.
Invide, sic tua mors homini meliora paravit,
Tu expellis terris, hic dat et astra suis.
Testis et antistes Gallus probat iste beatus,
Nobilis in terris, dives eundo polos.
Qui Christi auxilio fultus, nec adultus in annis,
Se majora petens, odit amare lares
Effugit amplexus patrios, matremque relinquit .
Qui monachum regeret, quæritur abba parens.
Illic tiro rudis generoso cœpit ab ævo,
Militiæ domini belliger arma pati.
Quintiano demum sancto erudiente magistro,
Pulchrius est auro, corde probatus homo.
Inde palatinam regis translatus in aulam,
Theodorice , tuo vixit amore pio.
Mox ubi destituens terras petit astra magister,
Cessit discipulo cura tuenda gregis .
Pontificatus enim moderans ita rexit habenas,
Pastor ut officiis esset amore pater.
Mansuetus , patiens, bonus, æquus, amator, amandus;
Non erat offensæ, sed locus hic veniæ.
Si qua supervenit, facta est injuria virtus,
Unde furor poterat, inde triumphus erat.
Plebem voce fovens, quasi natos ubere nutrix,
Dulcia condito cum sale mella rigans.
Hoc opus exercens præscivit dona futuri,
Se pastore, nihil posse perire gregi.
Sic pater ecclesiam regit in quinquennia quinque,
Bis terdena tamen lustra superstes agens.
Hinc meliore via sanctum ad cœlestia vectum,
Non premit urna rogi, sed tenet ulna Dei

Odieux ennemi du genre humain, tes artifices ont chassé Adam du paradis, mais Dieu ouvre le ciel à ses serviteurs. Envieux que tu es, la mort, qui est ton œuvre, a préparé le bonheur de l'homme; tu l'expulses de son domaine, et Dieu le reçoit dans le séjour céleste. Témoin le bienheureux pontife Gallus, qui fut noble en ce monde, et riche en allant dans l'autre. Fort de l'appui du Christ, avant même d'avoir atteint l'âge d'homme, il aspire à de plus hautes destinées et, par amour du ciel, prend en haine la maison paternelle (02). Il fuit les embrassements de son père, il quitte sa mère ; le père à qui désormais il veut obéir, le maître qu'il cherche, c'est un abbé; il se fait moine. Soldat novice, il commence dans un âge encore tendre le rude service imposé à la milice du Seigneur. Formé par les leçons de saint Quintianus (03), il fit voir que l'homme d'un cœur éprouvé a une beauté supérieure à celle de l'or. Devenu l'hôte du palais du roi, il vécut près de vous, pieux Théodoric (04), et aimé de vous. Quand son maître quitta celte terre pour monter au ciel, c'est à lui que fut confié le soin de veiller sur le troupeau. Dans l'exercice de l'autorité pontificale, il fut à la fois le pasteur vigilant et le tendre père de son peuple. Doux, patient, bon, équitable, aimant et digne d'être aimé, il ne fut jamais dans le cas ni de se sentir offensé, ni de montrer un autre sentiment que l'indulgence. Si pourtant il arrivait qu'il reçût quelque injure, elle ne servait qu'à faire paraître toute sa vertu ; au lieu de céder, comme il l'aurait pu, à la colère, il en triomphait (05). Nourrissant son peuple de sa parole, comme une mère nourrit ses enfants de son lait, il mêlait au miel Je ses discours le sel de la sagesse, et savait d'avance qu'en agissant ainsi, aucune de ses ouailles ne périrait, tant qu'il en serait le pasteur. Il gouverna ainsi son église pendant vingt-cinq ans, et en vécut soixante (06). Il a quitté cette terre pour monter au ciel ; il n'est point enfermé dans une urne funèbre, il repose dans les bras de Dieu.

V. Epitaphium Ruriciorum, episcoporum civitatis Lemovicinæ.

V. Épitaphe des Rurice, évêques de Limoges (01).

Invida mors rapido quamvis miniteris hiatu,
Non tamen in sanctos jura tenere vales.
Nam, postquam remeans domuit fera Tartara Christus,
Justorum meritis sub pede victa jaces.
Hic sacra pontificum toto radiantia mundo,
Membra sepulcra tegunt; spiritus astra colit.
Ruricii gemini flores, quibus Aniciorum
Juncta parentali culmine Roma fuit.
Actu, mente, gradu, prænomine , sanguine nexi,
Exsultant pariter, hinc avus, inde nepos.
Tempore quisque suo fundans pia templa patroni,
Iste Augustini, condidit ille Petri.
Hic probus, ille pius; hic serius, ille serenus,
Certantes pariter, quis cui major erit.
Plurima pauperibus tribuentes divite censu,
Misere ad cælos, quas sequerentur, opes.
Quos spargente manu, redimentes crimina mundi,
Inter apostolicos credimus esse choros,
Felices qui, sic de nobilitate fugaci
Mercati, in cælis jura senatus habent.

Mort jalouse, en vain ta rage menace de tout engloutir; les saints échappent à ton pouvoir. Depuis le jour où le Christ est revenu sur la terre, vainqueur du noir Tartare, tu gis abattue aux pieds du juste. Les corps sacrés de deux pontifes dont la gloire rayonne dans l'univers entier reposent en ce tombeau ; leur âme habite le ciel. Ce sont les Rurice, fleurs nées d'une même tige, unis par le sang illustre des Anicius, leurs parents, à ce que Rome a de plus grand. Les vertus, l'esprit, le rang, les espérances, le nom et le sang, tout chez eux est pareil, tout contribue à rendre également illustres l'aïeul et le petit-fils. Chacun d'eux à son tour a bâti de ses mains pieuses un temple à son patron, celui-ci à Augustin, celui-là à Pierre. L'un se distingua par ses vertus austères, l'autre par sa piété; celui-ci par sa sévérité, celui-là par sa douceur; ils rivalisaient à qui des deux serait le plus grand. Ils distribuaient aux pauvres la plus grosse part de leurs richesses, envoyant ainsi au ciel des trésors qu'ils devaient y retrouver un jour. Après avoir, par leurs pieuses libéralités, racheté les crimes de ce monde, ils sont aujourd'hui, nous en sommes assurés, parmi les chœurs des apôtres, heureux d'avoir, en échange d'une noblesse éphémère, acquis une place dans le sénat du ciel.

VI. Epitaphium Exoci episcopi civitatis Limovecinæ.

VI. Epitaphe d'Exocius, évêque de Limoges (01).

Quamvis pontificem premeret tremebunda senectus,
Attamen hæc voluit plebs superesse patrem.
Aut si naturæ mutari debita possent,
Pro pastore suo grex properasset iter,
Sed quia non licuit, populum spes consulat illa,
Hunc quod pro meritis vexit ad astra fides.
Immaculata Deo conservans membra pudore,
Exotius meruit jam sine fine diem.
Pectore sub cujus regnans patientia victrix,
Fluctibus in tantis anchora, sensus erat.
Felle carens, animo placidus, dulcedine pastus,
Nesciit offensis ira referre vices.
Templorum cultor, recreans modulamine cives,
Vulneribus patriæ fida medela fuit.
Qui tria lustra gerens in pontificatus honore,
Pergit ad antiquos, plebe gemente, patres.
Non decet hunc igitur vacuis deflere querelis,
Post tenebras mundi quem tenet aula poli.

Quoique son évêque fût accablé de vieillesse, le peuple cependant voulait qu'il ne mourût pas, ou si les lois de la nature pouvaient être changées, que le troupeau donnât sa vie pour son pasteur. Mais cela n'étant pas possible, il se consolera du moins par cette espérance, que les mérites de l'évêque et sa foi l'ont porté an ciel. C'est pour Dieu qu'Exocius était resté chaste et avait préservé son corps de toute souillure, dédaigna dès lors de la vie éternelle. Sa vertu dominante était la patience, et la raison son ancre au fort des orages qui troublèrent son diocèse (02). Sans fiel, plein de bonté et de douceur, il ne rendit jamais injure pour injure. Il réparait les églises, il charmait son peuple par l'onction de sa parole ; il guérit enfin les blessures de sa patrie. Il fut évêque pendant trois lustres; et alla rejoindre ses ancêtres au grand désespoir de son peuple. Mais il ne sied pas de verser sur lui des larmes inutiles, puisqu'il a quitté les ténèbres de ce monde pour la lumière de l'autre. — Ch. N.

VII. Epitaphium Chalacterici episcopi civitatis Carnotenæ.

VII. Epitaphe de Chalactéricus, évêque de Chartres (0I).

Illacrimant oculi, quatiuntur viscera fletu,
Nec tremuli digiti scribere dura valent.
Dum modo, quæ volui vivo, dabo verba sepulto,
Carmine vel dulci cogor amara loqui.
Digne tuis meritis, Chalacterice sacerdos,
Tarde note mihi, quam cito, chare, fugis!
Tu patriam repetis, nos triste sub urbe relinquis,
Te tenet aula nitens, nos lacrimosa dies.
Ecce sub hoc tumulo pietatis membra quiescunt,
Dulcior et melli lingua sepulta jacet.
Forma venusta, decens animus, sine fine benignus,
Vox suavis, legem præmeditata Dei.
Spes cleri, tutor viduarum, panis egentum,
Cura propinquorum, promptus ad omne bonum.
Organa psalterii cecinit modulamine dulci,
Et tetigit laudi plectra beata Dei.
Cautere eloquii bene purgans vulnera morbi,
Quo pascente, fuit fida medella gregi.
Sex qui lustra gerens, octo bonus insuper annos,
Ereptus terræ justus ad astra redis.
Ad paradisiacas epulas, te cive reducto,
Unde gemit mundus, gaudet honore polus.
Et quia non dubito quanta est tibi gloria laudum,
Nec debes fleri talis, amice Dei.
Hæc qui, sancte pater, pro magnis parva susurro,
Pro Fortunato, quæso, precare tuo.

Mes yeux se remplissent de larmes, ma poitrine est secouée par les sanglots et mes doigts tremblants n'ont pas la force de peindre ma douleur. Les louanges que j'aurais voulu donnera Chalactéricus vivant, c'est sur sa tombe que je vais les faire entendre, et je n'ai pour exprimer ma peine arrière que le doux langage des vers. Cher Chalactéricus, digne et vertueux prêtre, je t'ai, connu bien tard, et voilà que déjà je te perds. Tu regagnes ta véritable patrie, et tu nous laisses sur cette terre de douleur; tu vas habiter les palais brillants du ciel, et nous restons dans celte vallée de larmes. Sous ce tombeau que t'ont élevé des mains pieuses, ton corps est à jamais couché; tes lèvres, d'où les paroles coulaient plus douces que le miel, sont scellées sous la pierre du sépulcre. La mort a tout ravi, ton noble et beau visage, ton inépuisable bonté, ta douce voix, si habile à expliquer la loi de Dieu. Espoir du clergé, défenseur des veuves, nourricier des pauvres, amour de tes proches, tu fus tout au bien. Tu savais tirer des cordes de la harpe des sons mélodieux et chanter sur ce noble instrument les louanges du Seigneur; tu savais trouver ces paroles qui, pareilles au fer chaud, cicatrisent les plaies, et ton troupeau, grâce à tes soins, n'avait point à redouter les maladies. Après avoir ainsi vécu pendant six lustres (02) auxquels s'ajoutèrent huit années, tu fus ravi à la terre et rendu au ciel, patrie des justes. Depuis que tu as repris ta place au céleste banquet, le monde gémit de t'avoir perdu et le ciel se réjouit de t'avoir retrouvé.-Pour moi qui sais quelle gloire est la juste récompense de tes vertus, je crois que nous ne devons pas pleurer un ami du Seigneur tel que toi. Saint père, celui qui vient de te rendre un hommage si au-dessous de tes mérites, Fortunat, se recommande instamment à tes prières.

VIII. Epitaphium Cronopi episcopi Petrocoricæ.

VIII. Epitaphe de Cronopius, évêque de Périgueux (01).

Si terrena, sacer, quondam tibi cura fuisset,
Carmine plus lacrimas quam modo verba darem.
Sed quia tu mundus, nec sunt tibi crimina mundi,
Nos gaudere mones, qui sine morte manes.
Antistes pietate calens, venerande Cronopi,
Membra sepulcra tegunt, spiritus astra tenet.
Ordo sacerdotum cui fluxit utroque parente,
Venit ad hæredem pontificalis apex.
Hunc tibi jure gradum successio sancta paravit
Ut quasi jam merito debitus esset honor.
Nobilis antiquo veniens de germine patrum,
Sed magis in Christo nobilior merito.
Sic vultu semper placidus, seu mente serenus,
Pectore sincero, frons sine nube fuit.
Cujus ab eloquio nectar per verba fluebat,
Vinceres ut dulces ore rigante favos.
Nudorum tu vestis eras, algentis amictus,
Qui ad tua tecta fugit , tectus et ipse redit.
Divitias omnes inopum sub ventre locasti.
Unde tibi semper viva talenta manent.
Esuriens epulum, sitiens te sumere potum,
Cernere te meruit tristis, et exsul opem.
Implesti propriis viduatam civibus urbem,
Videruntque suos, te redimente, lares.
Quam lupus a stabulis tulerat, frendente rapina,
Te pastore gregi reddita plaudit ovis.
Templa exusta celer revocasti in culmine prisco,
Hinc tua sed cælis stat sine labe domus.
Ipse his octono vixisti in corpore lustro,
Nunc tibi pro meritis stet sine fine dies.

Si tu avais eu jadis quelque souci des choses de la terre, ô saint évêque, je t'offrirais dans ces vers plus de larmes que de paroles. Mais puisque lu es resté pur des souillures de ce monde impur, c'est par des chants de joie que nous devons saluer ton immortalité. Pieux pontife, vénérable Cronopius, ton corps est dans ce tombeau, mais ton âme est au ciel. Par tes deux parents, tu appartiens deux fois à l'ordre des prêtres, et tu as reçu la mitre épiscopale comme un bien héréditaire; un héritage de sainteté te désignait pour ce haut rang et te donnait droit à cet honneur (02). Issu d'une race antique, noble par ta naissance, plus noble encore en Jésus-Christ par tes vertus, tu portas toujours sur ton visage l'empreinte de la douceur; ton âme fut sereine, ton cœur candide, ton front sans nuages. Quand tu parlais, un ruisseau de nectar s'échappait de tes lèvres avec tes paroles ; elles coulaient de ta bouche plus douces que le miel. Tu fus le vêtement de ceux qui étaient nus, le manteau de ceux qui avaient froid. Qui venait se mettre à couvert sous ton toit, en sortait couvert lui-même. Tu avais placé toutes tes richesses dans le ventre du pauvre devenu ainsi pour toi un coffre-fort vivant. Tu rassasiais qui avait faim, tu désaltérais qui avait soif, tu consolais l'affligé et secourais l'exilé. Tu repeuplas la ville déserte, eu lui rendant ses enfants, qui, rachetés par toi, revirent leurs foyers. La brebis que le loup, altéré de rapine et grinçant des dents, avait emportée loin de la bergerie, se vit avec joie rendue au troupeau par son pasteur (03). Tu te montras empressé à relever les temples incendies et à les rétablir dans leur ancienne splendeur (04) ; aussi, à ton tour, as-tu dans le ciel une demeure à l'abri de la destruction. Après avoir vécu seize lustres sur cette terre, tu jouis de la vie immortelle, juste récompense de tes vertus.

IX. Epitaphium Leonti episcopi anterioris civitatis Burdegalensis.

IX. Epitaphe de Léonce, premier du nom, évoque de Bordeaux (01).

Ultima sors avido graviter properavit hiatu,
Pastorem rapiens, qui fuit arma gregis.
Hoc recubant tumulo venerandi membra Leonti,
Quo stetit eximium pontificale caput.
Quem plebs cuncta gemens confusa voce requirit,
Hinc puer, hinc juvenis deflet, et inde senes.
Defensoris opem hic omnis perdidit ætas,
Et quantum coluit, nunc lacrimando docet.
Nemo valet siccis oculis memorare sepultum,
Qui tamen in populo vivit amore pio.
Egregius nulli de nobilitate secundus,
Moribus excellens culmine primus erat.
Hic pietate nova cunctis minor esse volebat,
Sed magis his meritis et sibi major erat.
Quo præsente viro, meruit discordia pacem,
Expulsa rabie, corda ligabat amor.
Ecclesiæ totum concessit in ordine censum,
Et tribuit Christo, quod fuit ante suum.
Ad quem pauper opem, pretium captivus habebat,
Hoc proprium reputans quod capiebat egens.
Cujus de terris migravit ad astra facultas,
Et plus iste Deo quam sibi vixit homo.
Cordis in amplexu retinens, et pectore plebem,
Diceret ut populum se generasse patrem.
Namque suos cives placida sic voce monebat,
Confitereris ut hunc ad sua membra loqui.
Ingenio vigilans, dives quoque dogmate Christi,
Et meruit studio multiplicare gradum.
Largior in donis absens sibi junxit amantes
Et quo non fuerat, munere notus erat:
Principibus charus, hujusque amor unicus urbis,
Festinans animis, omnibus esse parens.
Lustra decem pollens, septem quoque vixit in annos,
Mox urgente die, raptus ab orbe fuit.
Sed quis cuncta canat, cum tot bona solus habebat?
Nunc uno in tumulo plurima vota jacent.
Hæc tibi parva nimis, cum tu merearis opima,
Carmina Theodosius præbet amore tuus.

La mort insatiable s'est cruellement hâtée de ravir le pasteur ou troupeau dont il était le bouclier. Dans ce tombeau repose le corps du vénéré Léonce, l'honneur du pontificat. Le peuple entier gémit; mille voix se confondent, qui le redemandent; enfants, jeunes gens, vieillards le pleurent à l'envi. Tous les âges ont perdu en lui leur défenseur et leur appui; les larmes de tous attestent combien il était vénéré. Nul ne peut parler de cet illustre mort sans que ses yeux se mouillent, et cependant il vit toujours dans la mémoire et l'affection de son peuple. Issu d'une race illustre, il ne le cédait à personne pour la naissance; ses vertus, sa dignité le mettaient au premier rang. Ce n'est pas qu'il ne voulut, par une rare modestie, être le dernier de tous; mais il ne s'en élevait que plus haut, et même au-dessus de lui-même. Sa seule présence apaisait les discordes et chassait la haine des cœurs, pour les lier par l'amour. Il abandonna successivement tous ses biens à l'Église, et se dépouilla pour enrichir le Christ. Le pauvre trouvait chez lui une aumône, le captif une rançon; il était riche, pensait-il, de tout ce que les malheureux lui prenaient. Cette richesse le suivit de la terre au ciel. Il vécut pour Dieu, plus que pour lui-même. Son cœur était si complètement à son peuple, qu'il pouvait s'en dire le père. En effet, sa voix trouvait pour instruire les fidèles de si tendres accents, que, de l'aveu de tous, il semblait parler à ses propres enfants. A la plus vive intelligence, à une science théologique consommée, il joignait un zèle qui le porta à la dignité la plus haute. Sa générosité inépuisable lui fit au loin des amis; qui ne le connaissait pas en personne, le connaissait par ses bienfaits. Cher aux princes, unique objet de l'amour de sa ville, il voulait dans tous les cœurs la place d'un père. Il vécut ainsi dix lustres, auxquels s'ajoutèrent sept années; puis la mort vint, qui le ravit au monde. Qui pourrait louer comme il faut tant de vertus réunies eu un seul homme? Maintenant sont ensevelis avec lui dans la tombe les vœux de tout un peuple. Reçois ô Léonce, ces humbles vers qui te sont offerts par ton ami Théodose; tu en méritais de plus beaux (02).

X. Epitaphium Leonti sequentis civitatis Burdegalensis.

X. Épitaphe de Léonce, second du nom, évêque de Bordeaux (01).

Omne bonum velox, fugitivaque gaudia mundi,
Prosperitas hominum quam cito rapta volat:
Malueram potius cui carmina ferre salutis,
Perverso voto flere sepulcra vocor,
Hoc recubant tumulo venerandi membra Leonti,
Quem sua pontificem fama sub astra levat,
Nobilitas altum ducens ab origine nomen,
Quale genus Romæ forte senatus habet.
Et quamvis celso flueret de sanguine patrum,
Hic propriis meritis crescere fecit avos.
Regum summus amor, patriæ caput, arma parentum,
Tutor amicorum, plebis et urbis honor.
Templorum cultor, tacitus largitor egentum,
Susceptor peregrum, distribuendo cibum.
Longius extremo si quis properasset ab orbe,
Advena mox vidit, hunc ait esse patrem;
Ingenio vivax, animo probus, ore serenus,
Et mihi qualis erat, pectore flente loquor,
Hunc habuit clarum, qualem modo Gallia nullum,
Nunc humili tumulo culmina celsa jacent.
Placabat reges, recreans moderamine cives,
Gaudia tot populis, heu! tulit una dies.
Lustra decem felix et quatuor insuper annos,
Vixit, et auroræ lumine raptus obit.
Funeris officium magni solamen amoris,
Dulcis adhuc cineri dat Placidina tibi.

Tout bien en ce monde est éphémère, toute joie fugitive. Le bonheur de l'homme s'envole à tire-d'aile. Celui à qui j'aurais aimé mieux offrir mes vers de son vivant est dans la tombe, et c'est sur cette tombe que, par un renversement de mes désirs, Je suis appelé à pleurer. Ici reposent les restes du vénérable Léonce. Le renom qu'il a laissé comme évêque l'élève jusqu'au ciel. Il était de la plus haute noblesse, de celle dont il y a peut-être encore des représentants dans le sénat de Rome. Mais quoiqu'il eût d'illustres aïeux, il les rendit encore plus illustres par ses mérites personnels. Souverainement aimé des rois et le premier dans sa patrie, il était le bouclier de sa famille (02), le protecteur de ses amis, l'honneur du peuple et de sa ville. Il réparait les églises (03), était prodigue sans ostentation envers les pauvres, recevait et nourrissait les étrangers. De si loin qu'il vint chez lui, fût-ce des extrémités du monde, le voyageur l'avait à peine vu qu'il l'appelait son père. Il avait l'esprit vif, le cœur loyal, la figure ouverte et sereine; il était tel enfin que je ne puis parler de lui sans pleurer. La Gaule n'eut pas un personnage d'une illustration égale à la sienne. Maintenant toutes ces qualités, toutes ces grandeurs sont enfouies dans un humble tombeau. Il apaisait la colère des rois, et charmait ses peuples par la sagesse de son gouvernement. Un seul jour hélas ! leur ravit celui qui faisait toute leur joie. Il vécut heureux dix lustres et quatre ans, après quoi il disparut pour jamais à nos yeux. Placidine, épouse encore chère à ta cendre, te rend, ô Léonce, ce devoir funèbre et console ainsi son amour (04). — Ch. N.

XI. Epitaphium Victoriani abbatis de monasterio Asanæ.

XI. Épitaphe de Victorien, abbé du monastère d'Asana (01).

Quisquis ab occasu properas huc, quisquis ab ortu,
Munus in hoc tumulo, quod venereris, habes.
Respice ditatum cœlesti dote talentum,
Cujus semper habet pectoris arca Deum.
Religionis apex, vitæ decus, arma salutis,
Eximius meritis Victorianus adest.
Dignum opus exercens, qui fructificante labore,
Cunctis, non soli vixit in orbe sibi.
Plurima per patriam monachorum examina fundens,
Floribus æternis mellificavit apes,
Lingua potens, pietas præsens, oratio jugis.
Sic fuit, ut jam tum totus ad astra foret.
Plura salutiferis tribuens oracula rebus,
Sæpe dedit signis vita beata fidem.
Bissenis rexit patrio moderamine lustris,
Rite Deo placitas pastor opimus oves.
Calle sequens recto sacra per vestigia Christum,
Nunc fruitur vultu, quem cupiebat amor

Qui que tu sois, voyageur venu de l'orient ou de l'occident, celui qui est couché dans ce tombeau a droit à tes hommages. Salue avec respect ce trésor des grâces divines, ce cœur qui fut une arche sainte où Dieu fut toujours présent. Gloire de la religion, honneur de la vie, arme du salut, Victorien, éminent par tant de vertus, repose ici. Appliqué à une noble tâche, à une œuvre féconde, il n'a pas vécu pour lui seul, mais pour tous les hommes. Il a semé d'un bout à l'autre de sa patrie d'innombrables essaims de moines, pieuses abeilles que ses soins ont nourries du miel de fleurs immortelles. Par sa parole puissante, par sa piété toujours active, par ses prières assidues, il a montré que dès cette vie il appartenait tout entier au ciel. Bien des fois ses oracles bienfaisants ont prouvé par des signes certains qu'il jouit de la vie bienheureuse. Pendant douze lustres il a, pasteur dévoué, gouverné avec la sollicitude d'un père son troupeau cher à Dieu. Après avoir suivi, sans dévier jamais, les traces sacrées du Christ, il jouit enfin de la vue de celui que cherchait son amour.

XII. Epitaphium Hilari presbyteri.

XII. Épitaphe d'Hilaire, prêtre (01).

Omnes una manet sors irreparabilis horæ,
Cum venit extremus, lege trahente, dies.
Sic furit ira necis, neque nos fugit orbita mortis,
Pulvere facta caro nonnisi pulvis erit.
Hæc tamen insignes animas spes optima pascit,
Quod qui digna gerit, de nece nulla timet.
Hoc jacet in tumulo venerandus Hilarius actu,
Corpore qui terras et tenet astra fide.
Vir bonus, egregia de nobilitate refulgens,
Inter honoratos germinis altus apex.
Connubio junctus simili, sed conjuge rapta,
Stans in amore Dei, non fuit alter amor.
Utilis in propriis, doctus moderamine legis,
Cujus judicium pondere libra fuit.
Justitiam tribuens populis examine recto,
Vendita res pretio non fuit ulla suo.
Funeris officio lacrimans Evantia charo,
Contulit hæc genero membra sepulta suo.

Nul n'échappe au sort commun, nul n'évite l'heure fatale, quand une loi inéluctable amène son dernier jour. La mort nous trouve tôt ou tard sur sa route, et nous frappe sans pitié. Notre chair est faite de poussière et retourne en poussière. Les grandes âmes sont cependant soutenues par cette espérance qui ne sera pas déçue, que celui qui a bien vécu n'a rien à craindre de la mort. Dans ce tombeau repose le vénérable Hilaire : la terre garde son corps, son âme pieuse est au ciel. Né d'une race noble et fameuse, il effaça par ses vertus la gloire de ses illustres ancêtres. Uni à une épouse digne de lui, quand il l'eut perdue, il donna tout son cœur à Dieu et ne connut plus d'autre amour. Usant de son bien pour le service d'autrui, il était de plus versé dans la pratique des lois ; sa raison était la balance des procès ; il rendait la justice au peuple avec une rigoureuse impartialité ; il ne la vendit jamais. Evantius lui a rendu ce devoir funèbre, et, tout en larmes, a déposé dans ce tombeau les restes d'un gendre chéri.

XIII. Epitaphium Servilionis.

XIII. Épitaphe de Servilion, prêtre (01).

Quamvis longa dies, brevis hic, et hospita lux est,
Sola tamen nescit vita beata mori.
Hoc igitur tumulo Servilio clausus habetur,
Nobilis, et merito nobiliore potens.
Ipse Palatinam rexit moderatius aulam,
Commissæque domus crescere fecit opes.
Presbyter inde sacer mansit venerabilis orbi .
Servitioque Dei, libera vita fuit.
Orphanus hic patrem, viduæ solatia deflent,
Unde magis cælis gaudia vera tenet.
Pontificem genitum videt hinc de munere Christi,
Raptus ab orbe quidem, lætus ad astra redit.

Si longue qu'elle soit, la vie de l'homme ici-bas est courte; il n'est sur cette terre qu'un étranger. La seule vie qui ne finisse pas, c'est la vie bienheureuse. Dans ce tombeau gît Servilion, noble par sa naissance, plus noble par ses vertus. Il gouverna avec sagesse le palais du prince, et sut grossir les trésors dont l'administration lui était confiée. Devenu prêtre, il fut jusqu'au dernier jour l'objet de la vénération publique et vécut indépendant, n'ayant plus d'autre maître que Dieu. L'orphelin a perdu en lui un père, la veuve un consolateur; sa bonté envers eux reçoit au ciel sa récompense. Par la grâce du Christ, il a vu d'en haut l'avènement du nouveau pontife. ravi à la terre, il entre plein de joie dans le royaume céleste.

XIV. Epitaphium Præsidii.

XIV. Épitaphe de Présidius (01).

Vita brevis hominum, sed non brevis illa piorum,
Dum migrante die prosperiora tenent.
Qui meruere magis de carcere carnis euntes,
Post tenebras mundi, luce perenne frui.
Ex quibus hic recubans meritis Præsidius almis,
Carne tenet tumulum, spiritus igne polum.
Pectore de proprio Christi responsa rigando,
Multorum exstinxit fonte fluente sitim.
Invitans instanter oves ad pascua regis,
Distribuit dulcem fratribus ore salem.
Nam quoties monachus peccati est vulnere fixus,
Missus ad artificem certa medela fuit.
Ibat ad abbatem famulans, sanctumque magistrum,
Discipulus humilis, qui fuit ante tumens.
Talibus officiis intentus amore Tonantis,
Inter et Angelicos fulget honore choros.

La vie des hommes est courte, mais non celle des hommes pieux, car, lorsque cette existence finit, ils en commencent une plus belle. Délivrés de la prison de la chair et des ténèbres du monde, ils sont jugés dignes de jouir de la lumière éternelle. L'un de ces hommes de bien, le vertueux Présidius, repose ici; son corps est dans ce tombeau et son âme est montée au ciel. De son cœur jaillissait à flots la doctrine du Christ, comme une fontaine intarissable où les altérés venaient étancher leur soif. Ses appels pressants guidaient son troupeau vers les pâturages du roi du ciel ; sa bouche versait à ses frères le sel savoureux de la sagesse. Chaque fois qu'un moine souffrait de la cuisante blessure du péché, on l'envoyait à cet habile médecin, et il revenait guéri. Lui tout a l'heure si fier, il allait déposer son orgueil aux pieds du saint abbé, et écouter humblement ses leçons. Après s'être, par amour pour Dieu, donné tout entier, à ce pieux ministère, Présidius, brillant de gloire, est aujourd'hui parmi les chœurs des anges.

XV. Epitaphium Boboleni diaconi.

XV. Épitaphe du diacre Bobolénus.

Innumeris hominum subjecta est vita periclis,
Casibus et variis sors inimica premit.
Nam recubando thoro Bobolenus honore diaconi,
Dum fruitur somno, mors rapit atra virum.
Hostis in insidiis securo, cæde securis,
Percutiens cerebrum, fecit obire dolo.
Dic, tibi quid prodest scelus hoc peragendo nefande?
Ille Deo vivit, tu moriture peris.
Martyris ille decus meruit, tu damna latronis;
Hinc sibi palma placet, sed tibi pœna manet.

La vie de l'homme est exposée à d'innombrables périls; le malheur a mille manières de l'atteindre. Couché sur son lit, le diacre Bobolénus goûtait les douceurs du sommeil, quand la mort impitoyable le frappa tout à coup. Un ennemi, qui guettait le moment propice, le surprit sans défense, et, lui fendant la tête d'un coup de hache, mit traîtreusement fin à ses jours. Dis-moi, infâme, qu'as-tu gagné à ce crime?- Bobolénus vit en Dieu, et toi tu mourras deux fois : à toi le châtiment dû au meurtrier, à Bobolénus la gloire du martyre; à toi l'éternel supplice, à lui la palme.

XVI. Epitaphium Attici.

XVI. Épitaphe d'Atticus.

Quamvis longa seni ducatur in ordine vita,
Cum venit extremum, nil valet esse diu.
Sed quia nemo fugit, nisi terram terra recondat,
Lege sub hac, cunctos sors rapit una viros.
Celsus in hoc humili tumulo jacet Atticus ille,
Qui dabat eloquio dulcia mella suo.
Impendens placidam suavi modulamine linguam,
Pacificusque suus sermo medella fuit.
Cujus abundantem venerata est Gallia sensum,
Excoluitque senem semper honore patrem.
Clarus ab antiquis, spes nobilitatis opimæ,
Sufficiens propriis, nulla rapina fuit.
Dogmata corde tenens, plenus velut arca libellis,
Quisquis, quod voluit, fonte fluente bibit.
Consilio sapiens, animo pius, ore serenus,
Omnibus ut populis esset amore parens.
Sic venerabilibus templis, sic favit egenis,
Mitteret ut cælis, quas sequeretur opes.

Si longue qu'ait été la vie d'un vieillard, elle parait courte, quand en vient la fin. Nul n'échappe à cette nécessité ; il faut que la terre soit rendue à la terre : c'est la loi, c'est notre commune destinée. Dans cet humble tombeau repose l'illustre Atticus, dont la parole coulait aussi douce que le miel, qui charmait les oreilles par ses suaves accents, et guérissait les âmes par son influence bienfaisante. La Gaule vénérait la sagesse profonde du vieillard, et l'honorait lui-même comme un père. Né d'un sang illustre, espoir d'une race antique et glorieuse, content de ses biens, jamais il ne porta la main sur ceux d'autrui. Il était très instruit de la religion; son esprit était comme une bibliothèque pleine de livres, et chacun venait librement puiser à cette source du savoir. Par sa sagesse, par sa piété, par la sérénité de son visage, il s'était fait aimer de son peuple comme un père. Il prodigua les dons aux églises et aux pauvres, envoyant ainsi au ciel des richesses qu'il devait y retrouver un jour.

XVII. Epitaphium Arcadii juvenis.

XVII. Épitaphe du jeune Arcadius (01).

Omne bonum velox fugitivo tempore transit,
Quæ placitura videt, mors magis illa rapit.
Hic puer Arcadius veniens de prole senatus,
Festinante die raptus ab orbe jacet.
Parvula cujus adhuc freno se vinxerat ætas,
Ut tener et annis surgeret ipse senex.
Eloquio torrens, specie radiante venustus,
Vincens artifices, et puer arte rudis.
Quo me forma rapis laudes memorare sepulti?
Singula si memores, plus lacrimanda mones.
Sed quoniam nulla maculatus sorde recessit,
Nulli flendus erit, quem paradisus habet.

Tout bien ici-bas est éphémère et passe en un moment; ce qui doit faire notre joie est ce que la mort se hâte le plus de nous ravir. Le jeune Arcadius, descendant d'une famille sénatoriale, repose ici, enlevé prématurément à la terre. Son enfance, soumise au frein qu'elle s'était elle-même imposé, montra dans un âge si tendre la maturité de la vieillesse. Doué d'une éloquence entraînante, d'un visage d'une beauté radieuse, l'enfant sans étude surpassait déjà les habiles. Mais pourquoi sa beauté, à présent qu'il est mort, m'entraîne-t-elle à rappeler ses autres mérites? Me les rappeler l'un après l'autre, c'est multiplier les raisons que j'ai de le pleurer. Mais puisqu'il est sorti de ce monde avant qu'aucune souillure eût terni sa pureté, personne ne doit pleurer celui qui est au paradis.

XVIII. Epitaphium Basili.

XVIII. Épitaphe de Basile (01).

Impedior lacrimis prorumpere nomen amantis,
Vixque dolenda potest scribere verba manus.
Conjugis affectu, cogor dare pauca sepulto,
Si loquor, affligor, si nego, durus ero.
Qui cupis hoc tumulo cognoscere lector humatum,
Basilium illustrem mœsta sepulcra tegunt.
Cujus blanda pio recreabat lingua relatu,
Et dabat eloquio verba benigna suo.
Hinc doctrina rigans, illinc dulcedo redundans,
Ornavit radio lux geminata virum.
Regis amor, charus populis , ita pectore dulcis,
Ut fieret cunctis in bonitate parens.
Tranquillus, sapiens, jucundus, pacis amicus,
Nullaque , quo stabat, semina litis erant.
Hunc consultantem legati sorte frequenter,
Misit ad Hispanos Gallica cura viros.
Sufficienter habens, nunquam fuit arma rapinæ,
Non propriis eguit, non aliena tulit.
Ecclesias ditans, loca sancta decenter honorans,
Pauperibus tribuens, dives ad astra subit.
Annis bis denis cum Baudegunde jugali
Junxit in orbe duos unus amore torus.
Qui tamen undecimo lustro cito raptus ab ævo.
Post finem terræ regna superna petit.
Non jam flendus eris humana sorte recedens,
Dum patriam cæli, dulcis amice, tenes.

Les sanglots m'empêchent de prononcer le nom de mon ami ; à peine ma main désolée a-t-elle la force de tracer ces mots. La tendresse qu'avait pour lui son épouse me somme de lui rendre un dernier hommage : parler me déchire le cœur, et il serait cruel de me taire. Lecteur, si tu veux savoir qui repose dans ce sinistre tombeau, apprends que c'est l'illustre Basile. Ses pieux discours ravissaient les âmes, sa douce éloquence charmait les cœurs. Sa science inépuisable et la douceur dont ses discours étaient pleins lui donnaient un double et irrésistible attrait. Aimé du roi, chéri des peuples, il était si affable envers tous que tous trouvaient en lui la bonté d'un père. Calme, sage, obligeant et ami de la paix, par sa seule présence il étouffait dans leur germe toutes les querelles. Plus d'une fois la Gaule eut recours à ses conseils, et elle l'envoya en Espagne avec le rang d'ambassadeur. Assez riche pour ses besoins, jamais il ne se lit complice d'aucune exaction; peu attaché à ses propres biens, jamais il ne toucha aux biens d'autrui. Il enrichit les églises et décora les lieux saints de ses offrandes (02); il soulagea les pauvres, et marcha vers le ciel, riche de ce qu'il leur avait donné. Pendant vingt ans, un seul et légitime amour réunit dans la même couche Basile et Baudegunde. Il avait à peine onze lustres quand il fut tout à coup ravi au monde, et, après avoir payé sa dette à la terre, il partit pour le royaume céleste. Nous n'avons pas à te pleurer, cher Basile; affranchi de la condition humaine, tu es en possession du ciel, ta vraie patrie.

XIX. Epitaphium Arachari.

XIX. Épitaphe d'Aracharius.

Partu terra suo fraudem non sustinet ullam,
Quæ dedit, hæc recipit, debita membra luto.
Hic vergente suo situs est Aracharius ævo,
Sex qui lustra gerens, raptus ab orbe fuit.
Ipse Palatina refulsit clarus in aula,
Et placito meruit regis amore coli.
Omnia restituit mundo, quæ sumpsit ab ipso;
Sola tamen pro se, quæ bene gessit, habet,

La terre enfante les générations humaines sans s'appauvrir ; ce qu'elle leur a donné lui est rendu, et tous les corps doivent finir par rentrer dans son sein. Ici a été déposé, son dernier jour venu, Aracharius ravi au monde après avoir vécu six lustres. Il brilla à la cour du roi et mérita l'affection du prince. Il a rendu au monde tout ce qu'il en avait reçu; seules ses bonnes actions sont à jamais à lui.

XX. Epitaphium Brumachi.

XX. Épitaphe de Brumachius.

Quisquis in hoc tumulo cineres vis nosse sepulti,
Brumachius quondam fulsit in orbe potens.
Quem sensu, eloquio, legati nomine functum,
Dum remeat patriæ, sors inimica tulit.
Finibus Italiæ raptus, sed Frigia, conjux,
Detulit huc chari funus amore viri,
Ceu vivum coluit, cui grata est umbra mariti,
Conjugibus castis ipsa favilla placet.
Ipse quaterdenos permansit in orbe per annos,
Mox obiit, et magnum parva sepulcra tegunt.

Si vous voulez connaître celui dont les cendres sont enfermées dans ce tombeau, c'est Brumachus, jadis illustre et puissant parmi les hommes. Sage et éloquent, il revenait d'une ambassade dont il avait été chargé, et regagnait sa patrie, quand la mort ennemie le frappa. Il était en Italie lorsqu'il mourut; mais Frigia, sa femme, rapporta ici les restes de cet époux bien-aimé. Autant il lui était cher de son vivant, autant son ombre lui est chère aujourd'hui. Une chaste épouse garde son amour à la cendre même de son mari. Brumachus vécut quarante ans, puis la mort le ravit soudainement à la terre. Un étroit tombeau renferme celui qui fut si grand.

XXI. Epitaphium Avoli.

XXI. Épitaphe d'Avolus (01).

Irriguis Avolum lacrimis ne flete sepultum,
Qui propriis meritis gaudia lucis habet.
Nam si pensentur morum pia gesta suorum,
Felix post tumulos possidet ille polos.
Templa Dei coluit, latitans satiavit egentem,
Plenius illa metit, quæ sine teste dedit.
Nobilitate potens, animo probus, ore serenus,
Plebis amore placens, fundere promptus opes .
Non usuræ avidus, licet esset munere largus,
Plus nihil expetiit, quam numerando dedit.
Nil mercedis egens, merces fuit una salutis,
Quod minus est pretio, proficit hoc merito.
Luce perenne fruens, felix cui mortua mors est,
Quem non pœna premit, vita superna manet.

N'arrosez pas de vos larmes le tombeau d'Avolus, qui, grâce à ses vertus, jouit aujourd'hui de la lumière. Si la piété qui paraissait dans toutes ses actions a récusa récompense, l'heureux Avolus est passé de la tombe au ciel. Les églises ont été ornées de ses dons, et le pauvre nourri de ses secrètes aumônes. Plus ses libéralités ont été cachées, plus abondante est aujourd'hui sa récolte. Sa naissance était noble, son âme intègre, son visage serein. Aimé du peuple qu'il aimait, libéral de ses deniers, il les répandait à pleines mains sans exiger aucun intérêt, sans réclamer une obole en plus de ce qu'il avait donné. La seule rémunération qu'il ait souhaitée, celle qui ne lui a pas manqué, c'est le salut; moins il fut récompensé ici-bas, plus son mérite s'en accrut. Il jouit à présent de la lumière éternelle et du .bonheur parlait; pour lui la mort est morte; il ne connaît pas les supplices réservés aux méchants, il est entré dans la vie céleste.

XXII. Epitaphium innocentum.

XXII. Épitaphe de deux innocents.

Hoc jacet in tumulo non flenda infantia fratrum,
Quos tulit innocuos vita beata viros.
Uno utero geniti, simili sunt sorte sepulti,
Et pariter natos lux tenet una duos.
Lotus fonte sacro prius ille recessit in albis ,
Iste gerens lustrum ducitur ante Deum.
Nomine sed primus vocitatus rite Johannes,
Alter Patricius munere major erat.
De cujus merito sic plurima signa dederunt,
Felices animæ, quæ pia vota colunt.
Hic etiam felix genitrix requiescit eorum,
Quæ meruit partu lumina ferre suo.

Dans ce tombeau reposent deux frères, deux enfants qu'il ne faut pas pleurer, puisque la vie bienheureuse les a reçus avant qu'ils eussent péché. Conçus dans le même sein, ils sont ensevelis dans la même tombe ; nés ensemble, ensemble ils sont dans le ciel. L'un est mort au sortir du baptême, avant d'avoir quitté la robe blanche; l'autre, avait cinq ans quand il fut amené devant Dieu. Le premier avait reçu le nom de Jean ; le second celui de Patrice, présage de plus hautes destinées. De nombreux indices annoncèrent ce qu'il devait être un jour. Heureux enfants, ils jouissent de la félicité des élus ! Avec eux repose ici leur heureuse mère, qui, en les mettant au monde, a mérité, elle aussi, la lumière céleste.

XXIII. Epitaphium Juliani.

XXIII. Épitaphe de Julien.

Condita sunt tumulo Juliani membra sub isto,
Cujus in æternum vivere novit honor.
Mercator quondam, conversus fine beato,
Raptus ab hoc mundo crimine liber homo.
Collegit nimium, sed sparsit egentibus aurum,
Præmisit cunctas, quas sequeretur, opes.
Sollicitus, quemcunque novum conspexit in urbe,
Hunc meruit veniens exsul habere patrem.
Pascere se credens Christum sub paupere forma,
Ante omnes apud hunc sumpsit egenus opem.
Nec solum refovens, sed dona latendo ministrans,
Amplius inde placet, quod sine teste dedit.
Felicem sensum, qui fratris migrat in alvo!
Et vivos lapides ædificare potest.
Extulit hunc tumulum genitoris honore Johannes ,
Qui modo divinis fungitur officiis
Qualiter hic vivo serviret amore parenti,
Cum nati pietas ipsa sepulcra colit?

Ici repose Julien, qui vit maintenant dans l'éternité. Ancien marchand, heureusement converti, il quitta ce monde dans un état parfait d'innocence. Il amassa beaucoup, mais il fut prodigue de son or envers les pauvres, envoyant ainsi en avant des richesses qu'il devait un jour suivre lui-même. S'il rencontrait quelque nouveau venu dans la ville, il se montrait soucieux de le connaître, et si c'était un exilé, il lui tenait lieu de père. C'est le pauvre surtout qu'il aimait à secourir, persuadé qu'en lui donnant des aliments, c'était le Christ même sous la ligure d'un pauvre qu'il nourrissait. Non seulement il faisait du bien, mais il se cachait pour le faire, et ce bien, fait sans témoin, n'en avait que plus de prix. Heureux argent que celui qui sert à calmer la faim d'un frère, et qui peut bâtir avec des pierres vivantes (01)! Jean, aujourd'hui prêtre, a élevé ce tombeau à son père. Avec quel amour il servirait son père vivant, ce fils qui lui consacre une pareille sépulture! (02) — Ch. N.

XXIV. Epitaphium Orienti.

XXIV. Épitaphe d'Orientius.

Non hic nostra diu est fugienti tempore vita,
Quæ sub fine brevi vix venit, inde redit,
Ecce caduca volant præsentia sæcula mundi,
Sola fides meriti nescit honore mori.
Clauditur hic pollens Orientius ille sepultus,
Cui Palatina prius mansit aperta domus.
Consiliis habilis, regalique intimus aulæ,
Obtinuit celsum dignus in arce locum.
Vir sapiens, justus, moderatus, honestus, amatus.
Hoc rapuit mundo, quod bene gessit homo .
Sexaginta annis vix implens tempora lucis,
Conjuge Nicasia qua tumulante, cubat.
Cujus castus amor colit ipsa sepulcra mariti,
Nec placitura homini, sed dedit esse Dei.

Notre vie ici-bas est courte et éphémère; le même instant la voit commencer et finir. Les générations humaines passent et disparaissent ; la foi seule mérite et donne l'immortalité. Dans ce tombeau est enfermé le puissant Orientius, pour qui naguère le palais du roi était toujours ouvert. Conseiller habile et familier de la cour, il y tint le rang le plus haut, et il en était digne. Sage, juste, modéré, intègre, aimé de tous, il a emporté, en quittant ce monde, le mérite du bien qu'il y avait fait. Il est mort avant d'avoir achevé sa soixantième année. Il était l'époux de Nicasia, qui lui a donné la sépulture, et dont le chaste amour est resté Adèle à sa tombe. Désormais, ce n'est pas à un homme qu'elle veut plaire, elle s'est donnée toute à Dieu.

XXV. Epitaphium Theodechildis reginæ.

XXV. Épitaphe de la reine Theudechilde (01).

Quamvis ætatis senio jam flecteret annos,
Multorumque tamen spes cito rapta fuit.
Si precibus possent naturæ debita flecti,
Plebs ageret lacrimis, hanc superesse sibi.
Gaudia quanta inopum tumulo sunt clausa sub isto?
Votaque quot populis abstulit una dies?
Inclyta nobilitas genitali luce coruscans,
Hic properante die Theodechilda jacet.
Cui frater, genitor, conjux, avus, atque priores,
Culmine succiduo regius ordo fuit
Orphanus, exsul, egens, viduæ, nudique jacentes,
Matrem, escam, tegmen hic sepelisse dolent.
Unica res placuit, cumulo mercedis opimæ,
Antea cuncta dedit, quam peteretur opem.
Occultans sua dona suis, neu forte vetarent,
Sed quæ clausa dedit, judice teste, docet.
Templorum domini cultrix, pia munera præbens,
Hoc proprium reputans, quidquid habebat inops.
Una mori sors est, et terræ reddere terram:
Felix, cui meritis stat sine fine dies.
Actibus his instans, terrena in luce relata,
Ter quino lustro vixit in orbe decus.

Bien qu'elle succombât sous le poids des années, elle est morte trop tôt pour tous ceux qui avaient mis en elle leur espoir. Si les prières des hommes pouvaient faire fléchir les lois de la nature, son peuple en larmes aurait obtenu qu'elle lui fût laissée. Combien de pauvres ont vu toutes leurs joies enfermées avec elle dans la tombe ! Que d'espérances détruites en un seul jour! Issue d'une race illustre, la voilà, malgré l'éclat de sa naissance, étendue dans ce sépulcre! Sœur, fille, épouse, petite-fille de rois, si haut que l'on remonte parmi ses ancêtres, on ne rencontre que des rois. L'orphelin, l'exilé, le pauvre, les veuves, ceux qui couchent nus sur la terre, pleurent d'avoir perdu avec une mère, le pain et le vêtement. Ce qui faisait le prix de ses bienfaits, ce qui en doublait la valeur, c'est qu'elle n'attendait pas pour donner qu'on fit appel à sa pitié. Elle cachait ses charités aux siens, afin qu'aucun d'eux n'y fit obstacle ; mais ce qu'elle donnait eu secret, le juge suprême le voyait. Sa main pieuse se plaisait à enrichir les églises de ses offrandes (02) ; les seuls biens qu'elle crut vraiment posséder, c'étaient ceux dont elle avait fait part aux malheureux. C'est notre commune destinée de mourir et de rendre la terre à la terre. Heureux ceux qui parleurs vertus ont mérité l'immortalité! Ayant ainsi vécu ici-bas, Theudechilde est entrée dans la vie éternelle. Elle passa quinze lustres sur cette terre dont elle était l'ornement (03).

XXVI. Epitaphium Vilithutæ.

XXVI. Épitaphe de Vilithuta (01).

Omne bonum velox, fugitivaque gaudia mundi,
Monstrantur terris, et cito lapsa ruunt.
Ut dolor acquirat vires, cum perdit amantem,
Ante placere facit, durius inde premit.
Heu lacrimæ rerum, heu sors inimica virorum,
Cur placitura facis, quæ dolitura rapis?
Vilithuta decens, Dagaulfi chara jugalis,
Conjugis amplexu dissociata jacet.
Corpore juncta toro, plus pectore nexa marito,
Lucis in occasu vincula rupit amor.
Tempora cui poterant adhuc in flore manere,
Principio vitæ finis acerbus habet.
Sanguine nobilium generata Parisius urbe,
Romana studio, barbara prole fuit.
Ingenium mite intorva de gente trahebat,
Vincere naturam, gloria major erat.
Nunquam mœsta manens, vultu nova gaudia portans,
Nubila fronte fugans, corde serena fuit.
Fudit ab ore jubar species redimita decore,
Protulit et radios forma venusta suos.
Stirpe sua reliquas superavit pulchra puellas,
Et crocea facie lactea colla tulit.
Splendida conspectu, meliori pectore fulsit,
Digna micans animo, nec pietate minor.
Cui quamvis nullus hac in regione propinquus,
Obsequio facta est omnibus una parens.
Divinis intenta bonis, alimenta ministrans,
Qua mercede magis se satiasse videt.
Hæc data post obitum faciunt quoque vivere functam,
Forma perit hominum, nam benefacta manent.
Corpora pulvis erunt, et mens pia floret in ævo,
Omnia prætereunt, præter amare Deum.
Orphana tunc aviæ studiis adolevit opimæ,
Inque loco natæ neptis adulta fuit.
Tertius a decimo ut hanc primum acceperat annus,
Traditur optato consociata viro.
Nobilitas in gente sua cui celsa refulsit,
Atque suis meritis additur alter honor,
Dulcis ovans, alacris studiis ornata juventus,
Quod natura nequit, littera prompta dedit.
Tres meruere tamen juncti superesse per annos,
Conjugioque suo, corde ligante frui.
Ambo pares animo, voto, spe, moribus, actu,
Certantesque sibi, mente, decore, fide,
Tempore jam certo est enixa puerpera prolem,
Damno feta suo, quæ pariendo perit.
Abripuit teneram subito mors invida formam,
Annos quippe duos, lustra gerendo tria.
Sic animam generans, anima spoliatur et ipsa,
Spem peperit luci, luce negante sibi.
Exemplum sed triste dedit secura parenti,
Unde redire solet, deficit inde genus,
Tertius esse pater cupiens, heu solus habetur,
Crescere quo numerus debuit, ipse cadit.
Nam partus cum matre perit, nascendo sepultus,
Nil vitale trahens, natus in ore necis.
Plus fuerant soli, si tunc sine prole fuissent,
Addita posteritas abstulit id quod erat.
Infaustis votis genitus de funere matris,
Et genitrix nato mortis origo fuit.
Alter in alterius lethali sorte pependit;
Inque vicem sibi mox ambo dedere necem.
Sed sensit graviora dolens pater, atque maritus,
Qui gemit, uno obitu se sepelisse duos.
Pro vix dum genito lacrimas jam solvit humato,
Vidit quod fleret, non quod haberet amor.
Tristitiæ cumulum tribuit cui rapta jugalis,
Dans longas lacrimas tempore nupta brevi.
Consultum tamen illud habet de conjuge conjux,
Huic quia mercedis non vacuatur opus.
Nam quod ad ornatum potuit muliebre videri,
Ecclesiis prompte pauperibusque dedit.
Hic nulla ex illis rebus peritura reliquit,
Ut modo præmissas dives haberet opes.
Quam bene distribuens, sine se sua noluit esse,
Nam quæ larga dedit, hæc modo plena metit.
Condidit ergo sibi quidquid porrexit egenti,
Et quos sumpsit inops, hos habet illa cibos.
Felices quos nulla gravant de morte secunda,
Nec faciunt pœnis subdita membra feris.
Dulcibus illecebris qui non sibi condit Avernum ,
Nec per carnem animam vult sepelire suam.
Sed casta pietate manens, sine crimine vitæ,
Illius in luce hac præmia lucis emit.
Tempore quam parvo lacrimas aut colligit amplas?
Aut cui vita nitet , gaudia longa capit.
Hic de morte levis dolor est; nam durius illud,
Hic quem viventem Tartara nigra tenent.
Infelix quisquis, maculosis actibus usus,
Ante redemptorem se laqueasse videt.
Nubibus invectus cum venerit arbiter orbis,
Et tuba terribilis moverit arma polis.
His venit Elias, illis in curribus Enoch,
Anteviando suos; hinc Petrus; hinc Stephanus.
Flore puellarum rosea stipante corona,
Inter virgineos prima Maria choros.
Hinc mater , hinc sponsa Agnes, Tecla dulcis, Agathe ,
Et quæcunque Deo virginitate placet.
Tunc ibi quis terror, cæli assistente senatu
Quid dicturæ animæ judicis in facie?
Mox aut pœna manet miseros, aut palma beatos.
Quisque suæ vitæ semina jacta metit.
Sunt dicturi alii: “Cade, mons, et comprime corpus;”
Sed jussi colles ferre sepulcra negant.
Cogentur minimi quadrantem solvere nummi,
Nemo pedem removet quo sua culpa trahit,
Spe vacui, paleæ similes mittentur in ignes,
Pascendis flammis fit caro nostra cibus.
Vivunt ad pœnas, æterno ardente camino,
Ut cruciet gravius, mors mala non moritur.
Ne fessi recreent animas longo igne crematas,
Porriget heu, nullas flammiger amnis aquas.
Parte alia, meritis felicibus acta tenentes
Fulgebunt justi, sol velut arce poli.
Digni lumen habent, damnati incendia deflent,
Illos splendor alit, hos vapor igne coquit.
Res est una quidem, duplici sed finditur actu,
Nam cremat indignos, quo probat igne pios.
Æterna radiant paradisi in luce beati,
Cum facie Christi regna tenendo sui.
Gratia quanta manet, vultus qui aspexerit illos!
Quantus honor hominum, posse videre Deum!
Si nimis erigitur fragilem qui cernit amicum,
Qualiter exsultet qui videt ora Dei?
Lilia, narcissus, violæ, rosa, nardus, amomum .
Quidquid, odorifero germine, mittit Arabs.
Judicis in vultu florentia lumina vernant,
Sed super hæc, Domini suavior efflat odor.
Nam quantum obscœno melior lux aurea plumbo,
Tantum thura Deo, cedit et omnis odor.
Quantum nocte dies distat, sol lampade lunæ,
Factori cedunt sic sua facta suo.
Cum vero justi tanto splendore fruantur,
Congaudent nimium se caruisse mori.
De tenebris migrasse favent in luce perenni,
Et magis ad bona tot tardius isse dolent.
Tu quoque nec lacrimis uras pia facta jugalis
Cui modo creduntur hic meliora dari.
Nam si deplores meritis quæ vivit opimis,
Conjugis ipse bonis invidiosus eris.
Præsertim quam sensu, animo, tibi corpore junctam,
Cum Christo semper corde fuisse refers.
Post Domini vultus, ad te si jussa rediret,
Fleret in hunc mundum se revocasse gradum.
Charius illa diem retinet, quem perdere nescit,
Quam hunc, quem timuit, fine sequente sibi.
Ne grave funus agas, cunctis natura quod offert,
Quod cum principibus participatur inops.
Nullum paupertas, non eripit ampla facultas,
Hoc commune simul dives, egenus habet.
Nam puer atque senex, niger, albus, turpis, honestus,
Debilis, et fortis, mitis, et asper obit.
Huc sapiens stolidus, probus, * inprobus omnis,
Plenior, exiguus, parvus, et altus adit.
Tardius aut citius currit sors ista per omnes,
Dissimili merito, mors trahit una viros.
Non decet ergo graves pro conjuge fundere fletus,
De cujus meritis te dubitare negas.
Felices nimium hic qui sine crimine præsunt,
Qui melius discunt vivere post obitum.

Tout bonheur est éphémère; les joies de ce monde durent peu ; à peine les avons-nous entrevues, qu'elles fuient et s'évanouissent. Pour, que notre douleur soit plus arrière quand nous perdons ceux que nous aimons, la destinée se plaît à nous les rendre plus chers; ainsi leur perte nous est plus cruelle. Déplorable condition des choses de ce monde! Sort ennemi des humains! Pourquoi nous faire tant aimer ce dont la perte nous doit être si regrettable? Labelle Vilithuta, l'épouse bien-aimée de Dagaulfus, arrachée à ses embrassements, gît dans ce tombeau. Un lien plus étroit que celui de la chair, l'amour, l'unissait à son mari ; la mort seule a rompu ce lien. Elle avait encore de belles années devant elle, et voilà qu'à peine entrée dans la vie, elle est brutalement frappée par la mort. Née à Paris de parents nobles, elle eut le cœur romain, bien qu'elle fût de sang barbare. Issue d'une race farouche, elle était pleine de douceur, d'autant plus admirable en cela qu'elle avait vaincu la nature. Son visage souriant respirait une joie toujours nouvelle; jamais un nuage n'assombrit son front, jamais un souci n'altéra la sérénité de son cœur. La beauté unie à la grâce rayonnait sur son visage; toute sa personne charmait les yeux. Plus belle qu'aucune autre jeune fille de sa race, elle avait un teint de roses, un cou blanc comme le lait. Son visage, d'une éclatante beauté, était pourtant moins beau que son âme. Sa bonté était égale à sa piété. Quoiqu'elle n'eût aucun parent en ce pays, son extrême obligeance lui avait fait une famille de tous ceux qui l'approchaient. Uniquement éprise des biens célestes, elle distribuait des aliments aux pauvres, se rassasiant elle-même du plaisir d'être charitable : c'est là ce qui la fait vivre même après la mort. L'homme meurt, mais le bien qu'il a fait lui survit. Le corps retourne en poussière; l'âme pieuse jouit d'une félicité éternelle. Tout passe, excepté l'amour de Dieu. Orpheline, elle reçut les tendres soins de son aïeule; elle grandit à ses côtés et lui rendit la fille que cette aïeule avait perdue. Elle avait treize ans quand elle fut unie à l'époux qu'elle avait désiré. Issu d'une très noble famille, il rehausse encore cet avantage par ses qualités personnelles. Il est bon, aimable, gai, instruit; l'étude des lettres, dont il nourrit sa jeunesse, lui donna ce que la nature n'avait pu lui donner. Ils vécurent unis trois ans ; trois ans, ils goûtèrent le bonheur de s'aimer; tous deux avaient même cœur, mêmes désirs, mêmes espérances, même caractère, mêmes vertus ; tous deux avaient l'intelligence, la beauté, la piété. Au temps marqué par le destin, elle devint mère pour son malheur et mourut en donnant le jour à son enfant. La mort jalouse l'enleva tout à coup à la fleur de son âge; elle avait vécu trois lustres et deux années (02). Ainsi c'est en donnant la vie qu'elle-même perdit la vie; c'est au moment où les yeux de son enfant s'ouvraient à la lumière que se fermaient les siens. Triste exemple d'une funeste fécondité ! L'événement qui devait perpétuer cette famille la détruit tout entière. Ils allaient être trois et le père reste seul, celui qui devait compléter ce nombre ayant péri en naissant; car l'enfant mourut avec sa mère; il manquait de tout principe de vie, et il était né et mort en même temps. Ils eussent été plus heureux, si leur union eût été stérile; la naissance d'un fils a détruit leur félicité. Cet enfant, objet de leurs vœux funestes, a coûté la vie à sa mère ; celle qui lui donna le jour, lui donna aussi la mort. Deux existences furent tranchées du même coup; la mère tua l'enfant, et l'enfant tua la mère : double deuil pour le père, pour le mari, qui, dans un seul trépas a deux morts à pleurer. A peine a-t-il vu ce fils, qu'il lui faut verser des larmes sur sa tombe; il l'a vu assez pour le pleurer, trop peu pour l'aimer. La perte de son épouse met le comble à sa douleur; une union si tôt brisée laisse après elle des regrets sans fin. Il a du moins cette consolation de penser que celle qui en est l'objet a trouvé dans un autre monde des dédommagements. Ce qu'une autre femme aurait dépensé pour sa parure, elle l'a donné de grand cœur à l'Église et aux pauvres. Elle n'a laissé ici-bas aucune de ces richesses qui sont périssables, afin de les retrouver au ciel où elle les avait d'avance envoyées. Quand elle se montrait généreuse elle n'entendait pas se dépouiller : ce qu'elle a donné à pleines mains lui est maintenant rendu avec usure. Elle amassait pour soi en donnant aux pauvres, et maintenant elle vit au ciel des mets dont elle les a nourris sur la terre.

Heureux ceux qui n'ont pas à souffrir d'une seconde mort, et qui n'ont pas mérité que leur chair fût livrée aux supplices éternels! Heureux ceux qui ne se sont pas préparé d'amers déboires en cédant aux douces séductions du mal, qui n'ont pas tué leur âme pour le contentement de leur corps, et qui, ayant vécu chastes, pieux et exempts de tout reproche, ont acquis les récompenses du ciel par le renoncement à celles de la terre! Qu'il faut peu de temps ou pour amasser de nombreux sujets de larmes, ou pour s'assurer une félicité durable par une bonne vie! Mourir n'est rien ; le plus terrible est d'être dès celte vie la proie de l'Enfer. Malheur à l'homme qui, après s'être souillé de crimes, se verra garrotté devant le Rédempteur, quand ce juge du monde viendra porté sur les nuées, et que la redoutable trompette ébranlera les cieux !

D'un côté arriveront, montés sur leur char, Elie et Enoch; après eux Pierre et Etienne à la tête de leurs disciples. Entourée d'une élite de jeunes filles comme d'une ceinture de roses, Marie la première, au milieu de ce chœur de vierges, attirera les regards. Près de la mère du Christ se tiendront Agnès, son épouse, et Thècle et Agathe, et toutes celles dont la virginité a été agréable au Seigneur. De quelle terreur seront frappées les âmes, lorsqu'elles seront face à face avec le souverain juge assisté du sénat du ciel? Que lui diront-elles pour leur défense? Le châtiment pour les coupables et pour les innocents la récompense ne se feront point attendre. Chacun alors récoltera ce qu'il aura semé pendant sa vie. Les uns s'écrieront : « Tombez, montagnes, ensevelissez-nous! » Mais les montagnes, dociles à l'ordre de Dieu, leur refuseront des tombeaux. Il faudra payer sa dette jusqu'à la dernière obole. Nul ne reviendra de l'abîme où l'aura entraîné sa faute. Désespérés, ils seront jetés au feu comme des brins de paille, et leur chair en sera l'aliment. Plongés dans la fournaise ardente, ils vivront pour en endurer éternellement le supplice; car là, pour les tourmenter mieux, la mort ne meurt pas. Point de répit pour ces malheureux dévorés par les flammes! pas une goutte d'eau, hélas ! dans ce fleuve de feu ! Du côté opposé, les Justes, occupant les hautes demeures du ciel, dues à leurs vertus, brilleront d'un éclat égal à celui du soleil. Aux élus, l'auréole lumineuse, aux réprouvés le feu dévorant; ceux-là vivent de lumière, ceux-ci cuisent dans les flammes. Pour les uns et pour les autres, il est vrai, c'est toujours le feu, mais quelle différence! La flamme brûle les méchants ; elle est le signe auquel se reconnaissent les bienheureux : elle rayonne autour de leur tête sans s'éclipser jamais dans le Paradis où ils voient le Christ et où ils règnent avec lui. Heureux ceux appelés à contempler ces traits divins! Voir Dieu, quel plus grand honneur pour l'homme! Si l'on sent tant de joie à la vue d'un ami, mortel comme nous, quels seront nos transports à la vue de Dieu! Le lis, le narcisse, la violette, la rose, le nard et l'amome, toutes les plantes odoriférantes de l'Arabie, brillent de leurs plus vives couleurs sur le visage du souverain juge; mais c'est surtout de sa personne sacrée qu'émanent les parfums les plus suaves. Autant l'éclat de l'or efface celui du plomb vil, autant ces parfums divins- l'emportent sur l'odeur de l'encens et sur toutes les autres odeurs; autant le jour l'emporte sur la nuit et le soleil sur la lune, autant le Créateur est au-dessus des œuvres les plus belles sorties de ses mains. Les justes qui le contemplent dans sa gloire se réjouissent d'avoir échappé à la mort et d'être sortis des ténèbres pour entrer dans la lumière éternelle; leur seul regret est d'avoir connu si tard un bonheur si parfait.

Ne pleurez donc plus la destinée de Vilithuta ; nous croyons que son lot, qui est le prix de ses vertus, est le meilleur. Si vous persistiez dans votre affliction, vous vous montreriez jaloux de la félicité de celle qui fut votre épouse. Si ses pensées, son inclination et son corps étaient pour vous, son cœur, vous le savez, fut toujours à Jésus-Christ. Maintenant qu'elle a vu son Dieu, s'il lui était ordonné de revenir sur la terre près de vous, elle gémirait de cet ordre en y obéissant. Cette vie nouvelle, qui ne doit point finir, lui est plus chère que sa première vie, toujours troublée par la crainte d'une fin inévitable. Dites-vous aussi que c'est un mal léger que la mort, mal imposé par la nature à tous les hommes, aux rois comme aux derniers de leurs sujets. Ni la pauvreté, ni la fortune ne peuvent nous y soustraire ; c'est la destinée commune du riche et du pauvre. Les enfants et les vieillards, les noirs et les blancs, les beaux et les laids, les forts et les faibles, les doux et les brutaux, tous meurent. Le sage et le sot, l'honnête homme et le scélérat, le gras et le maigre, le petit et le grand, pour les uns comme pour les autres, la fin est la même. Tous y arrivent tôt ou tard, de quelque façon qu'ils aient vécu. Il n'est donc pas bien que vous pleuriez si amèrement une épouse dont les mérites vous sont connus et ne vous laissent aucun doute. Trop heureux ceux qui passent sur cette terre sans avoir rien à se reprocher, et qui ne In quittent que pour entrer dans une vie meilleure après la mort!

XXVII. Epitaphium Euphrasiæ.

XXVII. Épitaphe d'Eufrasia (01).

Si pietatis opus nunquam morietur in ævo,
Vivis pro merito, femina sancta, tuo.
Inclyta sidereo radians, Euphrasia, regno,
Nec mihi flenda manes , cum tibi læta places,
Terræ terra dedit, sed spiritus astra recepit,
Pars jacet hæc tumulo, pars tenet illa polum.
Corpore deposito, leviori vecta volatu,
Stas melior cœlo, quam prius esses humo.
Carnis iniqua domans, det e tibi, sacra, triumphans,
Ad patriæ sedes civis opima redis.
Ardua nobilitas proavorum luce coruscans,
Plus tamen es meritis glorificanda tuis.
Vir cui Namatius , datus inde Vienna sacerdos:
Conjuge defuncto, consociata Deo,
Exsulibus, viduis, captivis omnia fundens,
Paupertate pia dives ad astra subis.
Æternum mercata diem sub tempore parvo,
Misisti ad cœlos quas sequereris opes.
Sed rogo per regem, paradisi gaudia dantem,
Pro Fortunato supplice funde precem.
Obtineas votis, hæc qui tibi carmina misi,
Ut merear claudi quandoque clave Petri.

Si les œuvres de la piété sont impérissables, tu jouis, ô sainte femme, de l'immortalité que tu as méritée; tu brilles d'un éclat radieux dans .e royaume céleste, et je ne dois pas te pleurer, Eufrasia, puisque tu es heureuse. Ce qu'il y avait de terrestre en toi a été rendu à la terre, mais ton âme est remontée vers les astres; une part de toi est dans ce tombeau, l'autre est auprès de Dieu. Dégagée de ta dépouille corporelle, tu t'es élevée d'un vol léger vers le ciel où tu habites aujourd'hui, plus parfaite encore que tu ne l'étais sur la terre. Victorieuse des faiblesses de la chair, triomphant de toi-même, tu es rentrée, fille du ciel, dans ta divine patrie. Si ta naissance est illustre, ta race antique et glorieuse, tes vertus font ta vraie gloire. Mariée à Namatius qui fut ensuite évoque de Vienne, quand tu le perdis, tu te donnas à Dieu. Apres avoir distribué tous tes biens aux exilés, aux veuves, aux captifs, après t'être ainsi pieusement appauvrie, tu es montée au ciel, riche de ta pauvreté même. Tu as, en quelques années passées ici-bas, conquis la vie éternelle; tu as envoyé là-haut des trésors que tu devais y suivre. Au nom du roi tout-puissant qui accorde à ses élus les joies du paradis, ne refuse pas, je t'en conjure, tes prières à Fortunat. Obtiens par elles que celui qui t'adresse ces vers mérite d'être un jour mis sous clef dans l'asile confié à la garde de Pierre (02).

XXVIII. Epitaphium Eusebiæ.

XXVIII. Épitaphe d'Eusébia.

Scribere per lacrimas si possint dura parentes,
Hic pro pictura littera fletus erat.
Sed quia lumen aquis non signat nomen amantis,
Tracta manus sequitur qua jubet ire dolor.
Nobilis Eusebiæ, furibundi sorte sepulcri,
Hic, obscure lapis, fulgida membra tegis.
Cujus in ingenio, seu formæ corpore pulchro,
Arte Minerva fuit, victa decore Venus.
Docta tenens calamos, apices quoque figere filo,
Quo tibi charta valet, hoc tibi tela fuit.
Dulcis in Eusebii jam desponsata cubile,
Vivere sed teneræ vix duo lustra licet.
Ut stupeas juvenem, sensum superabat anilem,
Se quoque vincebat, non habitura diu.
Conteriturque socer, cui nata, generque recedit,
Hæc lethalis obit, ille superstes abit .
Sit tamen auxilium, quia non es mortua Christo,
Vives post tumulum, virgo recepta Deo.

Si les regrets d'un père et d'une mère pouvaient s'écrire avec des larmes, celles des parents d'Eusebia lui tiendraient ici lieu d'épitaphe. Mais puisque les pleurs de ceux qui nous aiment ne peuvent graver leur nom sur la pierre, ma main docile se laisse guider par la douleur paternelle. Frappée par la mort impitoyable, la noble Eusebia, naguère si brillante, repose dans ce sombre tombeau. Aussi intelligente que belle, elle fut plus adroite que Minerve, plus gracieuse que Vénus. Habile à manier la plume, elle sut aussi dessiner avec l'aiguille et tracer des lettres sur la toile, comme l'écrivain sur le papier. Déjà elle était promise à la couche du doux Eusébius; mais à peine vécut-elle deux lustres. Merveilleuse enfant, elle avait une raison supérieure à celle des vieillards, et elle se surpassait elle-même chaque jour, comme si elle prévoyait qu'elle ne dût pas vivre longtemps. Son père (1), écrasé d'un coup si terrible, perd à la fois sa fille et son gendre; l'une est emportée par la mort, l'autre vit et le quitte. Qu'il se console pourtant, car tu n'es pas morte pour le Christ, et tu revivras au delà du tombeau, vierge agréée de Dieu.

NOTES SUR FORTUNAT, LIVRE IV.

I.

1. — Eumérus, évêque de Nantes, prédécesseur de Félix, assista au second concile d'Orléans en 533 et au quatrième en 541. Il mourut en 549 ou en 550. Il était monté sur le siège de Nantes en 531, suivant Le Cointe.

2. — Je remarque ici la qualification de medicus donnée à Eumérus, justifiée par le vers précédent : unica cura... ut viseret aegros; d'où il suit qu'Eumérus était à la fois prêtre et médecin. Ce fait n'est pas sans exemple. Voy. à ce sujet une inscription dans Gruter, n° 1173, 3. — Ch. N.

3. — Il y a ici un jeu de mots que le français ne peut rendre qu'imparfaitement: Felix ille abiit.Felicem in sede reliquit.

II.

1. — Saint Grégoire, évêque de Langres, mourut en 539.

2. — Il était d'une famille sénatoriale, et avait sollicité et obtenu la dignité de comte à Autun; il l'exerça pendant 40 ans, ainsi que le raconte Grégoire de Tours Vitœ Patrum, VII, 1. Il s'y montra si sévère que pas un individu notoirement coupable n'échappait au châtiment. Il fut élu évêque de Langres après la mort de sa femme, qui se nommait Armentaria.

III.

1. — Tétricus, fils de Grégoire et de sa femme Armentaria, succéda à son père sur le siège de Langres. Voyez Grégoire de Tours, Vitœ Patrum, VII, 1, et les notes de Ruinart ; voyez aussi Le Cointe, Annales ecclésiastiques, an 539.

IV.

1. Gallus ou saint Gall, élu évêque de Clermont en Auvergne, vers l'an 527, mourut en 554, selon Le Cointe. Il était l'oncle de Grégoire de Tours qui était fils de son frère Florent. Voyez Grégoire de Tours, Vitœ Patrum, IV et XIV.

2. — Grégoire de Tours raconte, Vitae Patrum, VI, que saint Gall était encore enfant quand son père voulut le marier à une jeune fille d'une famille sénatoriale. Il s'enfuit de la maison paternelle et se réfugia dans un monastère des environs de Clermont, où il devint moine, puis prêtre, avec l'assentiment de son père.

3. — Quintianus, évêque de Clermont et prédécesseur de saint Gall. Un jour qu'il était venu visiter le monastère où s'était réfugié le jeune Gallus, il fut frappé de la beauté de sa voix; il l'emmena a Clermont, le garda auprès de lui et le traita comme son fils. Voyez Grégoire de Tours, Vitae Patrum, VI.

4. — Théodoric ou Thierry Ier, roi d'Austrasie, ayant entendu parler de la voix de Gallus, le fit venir à sa cour. La pureté de ses mœurs, plus encore que la douceur de son chant, lui gagnèrent le cœur du roi et de la reine, qui l'aimèrent comme leur propre enfant. (Grégoire de Tours, Vitae Patrum, VI).

5. — Grégoire de Tours loue également sa patience, « comparable, dit-il, si l'on peut s'exprimer ainsi sans impiété, a celle de Moïse. »

6. —Selon Grégoire de Tours, saint Gall mourut à l'âge de 65 ans, dans la 27e année de son pontificat. Fortunat a sans doute supprimé quelques années pour le besoin du vers. Il emploie dans ce passage le mot lustre dans le sens d'années, ce dont le Glossaire de Du Cange donne quelques autres exemples. Le Cointe, ainsi qu'on l'a dit plus haut, fait mourir saint Gall en 554.

V.

1. — Rurice l'ancien était évêque de Limoges, à l'époque où Clovis combattait les Wisigoths (Le Cointe, Annales ecclés. an 508). Sidoine Apollinaire, dont il fut le contemporain cl l'ami, lui a écrit quelques lettres et a célébré dans un épithalame son mariage avec Ibéria, fille d'Ommatius (Carmen, X et XI). De ce mariage naquit Ommatius, qui fut évêque de Tours (voyez Grégoire de Tours, Histor. Franc, X, 31). Rurice le jeune, petit-fils du précédent, assista en qualité d'évêque de Limoges au 1er concile de Clermont, en 535. Les Rurice appartenaient à une famille Illustre de ce temps, la famille des Anicius.

VI.

1. — Exocius, successeur de Rurice le Jeune.

2. — Le poète fait ici évidemment allusion aux troubles et aux calamités qui affligèrent le Limousin au temps d'Exocius (voyez vers 10 et 14), et pendant lesquels cet évêque se conduisit avec une patience et un courage admirables. Grégoire de Tours (Histor. Franc, IV, 48) raconte que, le roi Chilpéric ayant envahi les villes du roi Sigebert, entre autres Limoges et Cahors, il incendia les églises, en arracha les ministres, tua les clercs, détruisit les monastères d'hommes, abusa de ceux de femmes, et porta enfin partout la dévastation. Il ajoute que les malheurs de l'Église furent alors pires que pendant la persécution de Dioclétien. Ceci se passait vers l'an 573, quand le roi Gontran avait convoqué les évêques du son royaume pour aviser a l'apaisement de ces graves désordres.

VII.

1. — Chalactéricus, évêque de Chartres, succéda à saint Léobin vers l'année 550, selon le Cointe.

2. — Brower croit qu'il faut entendre par ce passage que le pontificat de Chalactéricus a duré 38 ans. Mais Lucchi montre que celte interprétation n'est pas acceptable. Léobin, le prédécesseur de Chalactéricus, était au concile de Paris en 551, et mourut vers 560. D'autre part, Pappolus, qui succéda à Chalactéricus sur le siège de Chartres, dénonça au concile de Paris de 573 l'usurpation de Promolus qui avait envahi une partie de son diocèse. Il n'y a donc pas place, entre Léobin et Papolus, pour les 38 ans de pontificat que Brower attribue a Chalactéricus. Fortunat veut dire évidemment que Chalactéricus est mort à l'âge de 38 ans.

VIII.

1. — Cronopius était aux premier et deuxième conciles d'Orléans, en 511 et en 533.

2. — Solon Brower, Cronopius était le fils ou le polit-fils de Pegasius, évêque de Périgueux, dont parle Grégoire de Tours, Hist. Franc, II, 13.

3. — Brower suppose que Cronopius racheta des habitants de Périgueux emmenés en captivité par les Goths, lors des invasions qui désolèrent l'Aquitaine et les provinces voisines.

4. — Cronopius acheva la basilique de saint Fronton et y fit transporter le corps du saint (Le Cointe, Annal. Eccl., an 530). Mais Fortunat semble faire ici allusion à quelque église incendiée par les Goths et reconstruite par Cronopius.

IX.

1. — Ce Léonce est le prédécesseur de Léonce II, également évêque de Bordeaux, dont il est si souvent question au premier livre des poésies de Fortunat, et auquel se rapporte la pièce suivante (voyez Le Cointe, Annales ecclés., an 541, n° 58).

2. — Voyez sur ce passage la Vie de Fortunat, ch. I. Léonce 1" mourut un an avant l'arrivée de Fortunat en Gaule. En admettant mémo que Théodose fût l'un des prénoms de Fortunat, on ne comprendrait pas qu'il se fût désigné lui-même par ces mots tuus Theodosius, en s'adressant à ce Léonce qu'il n'a pas pu connaître. Il est donc probable qu'il a écrit cette épitaphe, non pas en son propre nom, mais pour quelque ami de Léonce du nom de Théodose. Voyez la fin de la pièce suivante où Fortunat fait intervenir de la même façon le nom de Placidine, l'épouse de Léonce II.

X.

1. — C'est le même que Léonce, sujet des pièces xv et xvi du livre I. Il avait succédé au Léonce de l'épitaphe précédente, et était sans doute de la même famille. Il mourut, selon le Cointe, en 567, et, comme le dit ici le poète, à 54 ans.

2. — Cf., qui fuit arma gregis, au vers 2 de la pièce précédente, le poète se sert encore ailleurs et dans le même sens, de ce mot arma qu'il paraît fort priser.

3. — C'est ce que dit Fortunat, mais plus au long, dans la pièce xv du livre I, vers 42 et suivants.

4. — Voyez la note 2 de la pièce précédente. Voyez aussi, pièce xv du livre I, la note sur Placidine.

XI.

1. — Asana, dans la Tarraconaise, sur les bords de la Cinga, affluent de l'Ebre.

XII.

1. — Probablement celui dont il est question dans la pièce xxviii du livre iii, Au diacre Jean, vers 8 et 9:

Hilarium pariter nobis in amore tenacem

Infero carminibus, quem mea corda colunt.

XIII.

1. — On ne sait rien de ce Servilion que ce qu'en dit ici Fortunat. L'avant-dernier vers a fait supposer que cette pièce avait pu être écrite à la demande d'un évêque, nouvellement appelé au gouvernement du diocèse au clergé duquel Servilion avait appartenu.

XIV.

1. — Fortunat dit en termes exprès que Présidius était abbé d'un monastère. Mais de quel monastère? on l'ignore. Son nom, dit Lucchi, ne figure sur aucune liste d'abbés de France.

XVII.

1. — C'est, selon Brower, le fils d'Arcadius, sénateur de Clermont, dont il est souvent question dans l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours. Mais Lucchi remarque que cet Arcadius était le père de Placidine, épouse de Léonce II, évêque de Bordeaux. Léonce s'étant séparé de sa femme en 549, il est peu probable que Fortunat, qui n'est venu en Gaule qu'en 565, ait pu connaître et pleurer un frère de Placidine mort si jeune. On peut supposer, il est vrai, que Fortunat a composé cette pièce pour être agréable à Placidine, longtemps après la mort de son frère. Il est possible aussi qu'il s'agisse non d'un frère de Placidine, mais de quelque autre membre de sa famille.

XVIII.

1. — Peut-être le Basile, citoyen de Poitiers, qui, selon Grégoire de Tours, Histor. Franc, IV, 40, essaya d'arrêter devant Poitiers les soldats de Sigebert commandés par Mummulus, et qui fut battu. Le passage où Fortunat dit que t la Gaule l'envoya en Espagne avec le rang d'ambassadeur » prouve qu'il fut mêlé aux affaires publiques et y joua un râle considérable. Chilpéric peut l'avoir employé comme général contre Mummulus, et comme ambassadeur auprès d'Athanagilde, roi des Visigoths, son beau-père.

2. — Il est question au livre I, pièce vii, d'une basilique en l'honneur de saint Martin élevée par Basile et par Baudegunde.

XXI.

1. — Solon Brower, il s'agit du prêtre Avolus qui assista au 3e concile d'Orléans, comme représentant de l'évêque de Chalon. Mais, remarque Lucchi, si le personnage dont parle ici Fortunat était prêtre, il est étonnant que le poète n'en dise rien, et qu'il fasse de lui un éloge qui s'appliquerait mieux à un laïque qu'à un clerc, comme lorsqu'il le loue de n'avoir pas tiré d'intérêt de son argent.

XXIII.

1. — Par ces pierres vivantes, le poète fait allusion à Jean, fils de Julien, qui est nommé dans le vers suivant; il s'était converti avec son père et était entré dans les ordres probablement depuis la mort de celui-ci.

L'expression de vivos lapides est tirée de la 1ère épître de saint Pierre, ch. 2, v. 5, où il est dit, à propos de ceux que Pierre exhortait a venir à Jésus-Christ : « Entrez vous-mêmes dans la structure de l'édifice, comme étant des pierres vivantes, pour composer une maison spirituelle et un ordre de saints prêtres. »

2. — Grégoire de Tours, Vitae Patrum, ch. VIII, n° 6, fait mention d'un certain Jean, prêtre de l'église de Tours, qui avait autrefois fait le commerce à Marseille. Il est fort à croire, dit Lucchi, que c'est le même dont parle Fortunat : il aurait suivi dès son enfance la profession de son père ; il se serait ensuite converti avec lui, aurait été ordonné prêtre et aurait fait partie du clergé de Tours.

XXV.

1. — Il ne s'agit point de Theudechilde, femme du roi Charibert, dont parle Grégoire de Tours, Hist. Franc, IV, 26, et qui était fille d'un berger, puisque la reine pour laquelle cette épitaphe a été composée était, dit Fortunat, vers 7, issue d'une race illustre : Inclita nobilitas genitali luce coruscans, etc.

Selon Le Cointe, Annales ecclés., an 564, n° 5 et suiv., il y eut deux princesses du nom de Theudechilde, l'une fille de Clovis, l'autre fille de Théodoric ou Thierry, et par conséquent, petite-fille de Clovis. C'est pour la première que Fortunat a écrit cette épitaphe. La seconde, la fille de Théodoric, ne mourut qu'après Grégoire de Tours, et Fortunat n'a pu mettre son épitaphe dans un livre public du vivant de Grégoire.

Lucchi croit, au contraire, qu'il s'agit ici de la fille de Théodoric. Fortunat a pu insérer cette pièce dans son recueil depuis la mort de Grégoire ; d'autres même ont pu le faire plus tard, lorsqu'on réunit dans un seul volume toutes les poésies de Fortunat. Ce n'est pas la une difficulté. Ce qui est au contraire une objection sérieuse à l'opinion de Le Cointe, c'est qu'il n'est question nulle part d'une Theudechilde fille de Clovis. D'ailleurs ce que dit Fortunat de la naissance de Theudechilde et des rois ses ancêtres convient beaucoup mieux à la fille de Théodoric qu'à la fille de Clovis, à partir duquel la royauté devint héréditaire. (Voyez Grégoire de Tours, Hist. Franc. II, 9.) Enfin la fille de Clovis eut quatre frères, et Fortunat n'en donne qu'un à la princesse dont il parle, vers 11 et 12 :

Cui frater, genitor, conjux, avus, atque priores,

Culmine succiduo regius ordo fuit.

Il est donc fort a croire que cette Theudechilde est la fille de Théodoric, la sœur de Théodebert, celle dont il est encore question dans la pièce indu livre VI sur toute cette question, on peut voir Pagi, à l'année 572.

2. — Flodoard parle d'un legs fait par Theudechilde à l'église de Reims. Selon Le Cointe, Fortunat fait allusion ici au monastère qu'elle avait fait bâtir près de Sens, sur le modèle de celui qu'avait fondé Clovis aux portes de Paris. Elle légua à ce monastère tous ses biens-fonds au nord et au sud de la Loire, et voulut y être ensevelie. Voyez Le Cointe, an 564, n° 36 et suivants.

3. — Théodoric épousa, en 522, Suavegotta, fille du roi Sigismond, dont il eut Theudechilde, qui vécut 75 ans et mourut vers l'année 598. C'est à cette époque que Fortunat, déjà avancé en âge, devint évêque de Poitiers. Voyez Vie de Fortunat n° 90.

XXVI.

1. — Brower pense que Vilithuta était de sang gothique. Fortunat dit au vers 15 qu'elle était issue d'une race farouche :

Ingenium mitem torva de gente trahebat.

Au vers précédent, il s'était servi de l'expression barbara prole. Plus loin, vers 25 et 26, il fait entendre clairement que, bien que née à Paris, elle n'était pas de race franque et que sa famille était étrangère :

Cui quamvis nullus hac in regione propinquus,

Obsequio facta est omnibus una parens.

On ne sait rien d'elle ni de son mari Dagaulfus.

2. — Fortunat a dit plus haut qu'elle s'était mariée à treize ans (vers 35), et qu'elle avait vécu trois ans avec son mari (vers 41). Il semble donc se contredire quand il la fait mourir à dix sept ans, ainsi que le remarque Lucchi. C'est que sans doute, au vers 35 et au vers 41, il a donné des nombres ronds, sans tenir compte des mois.

XXVII.

1. — Namatius, mari d'Eufrasia, succéda, dit Lucchi, à Esychius ou Isicius sur le siège de Vienne en 558. On ne sait si c'est le même auquel est adressée une lettre de Sidoine Apollinaire, liv. VIII, lettre 6. Voyez sur Namatius Le Cointe, Annales ecclés., année 558.

2. — « Mis sous clef » ; l'expression est triviale ; mais s'il en est une plus noble, en est-il une plus juste?

XXVIII.

1. — Vers 15. On lit dans tous les manuscrits sacer. C’est une faute grossière des copistes, et qui n'a donné lieu, comme il est arrivé tant de fois, à aucune remarque des commentateurs. C'est pater qu'il faut lire et qu'on a rétabli. — Ch. N.