Fortunat

FOTRUNATUS

 

POÉSIES - LIVRE III

 

vie - dissertation - livre I - livre II - livre IV - livre V - livre VI - livre VII - livre VIII - livre IX - livre X - livre XI - Appendice

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

VENANCE FORTUNAT

POESIES MÊLEES

LIVRE TROISIÈME.

I. A Eufronius, évêque de Tours (1).

Au saint évêque Eufronius, à son seigneur apostolique et chère père, Fortunat. Il y a peu de jours que le messager m’a remis votre lettre; je vous le fais savoir, et que j’ai reçu comme un présent du ciel ces paroles sorties de votre bouche vénérable. Dieu m’est témoin que j’y appliquai mes lèvres, et les embrassai avec cette passion que j’éprouve quand je ressens les effets de votre haute bienveillance pour ma petitesse. Je suis votre suppliant; vous m’avez comblé de bienfaits; je vous suis dévoué tout entier et je le reconnais. Quoique je demeure en une autre ville que vous (2), Dieu sait que je ne suis éloigné de vous que par la distance, et non point par le coeur, où vous occuperez toujours votre place. Je le dis en vérité, le coeur qui n’est point subjugué par votre admirable douceur, n’est pas un coeur de chair, mais il est de marbre s’il n’est point attendri par les grâces d’une charité telle que la vôtre. Qui pourrait louer comme il faut et comme elle le requiert votre âme vraiment sainte? Et qui pourrait se vanter de faire connaître votre caractère, dans des termes dignes du sujet et de vous? Vous êtes si humble sur la terre que de cet abaissement vous vous faites un point d’appui pour vous élancer vers le ciel, et qu’en embrassant de si bon coeur l’humilité du Christ, vous nous apprenez dès à présent la récompense que vous obtiendrez de lui dans son royaume; car, et le Christ lui-même l’a dit, qui veut paraître petit parmi les hommes, sera grand et magnifique dans le ciel. Chacun poursuit avec ardeur ce qui est l’objet de ses désirs. Pour moi, je me félicite d’avoir retrouvé dans le coeur de mon seigneur Eufronius, l’affection de mon seigneur Martin. C’est pourquoi me recommandant par des prières continuelles à votre apostolat et à votre charité, je vous prie par saint Martin lui-même, dont vous serez un jour l’heureux compagnon, d’ordonner qu’il soit fait mémoire auprès de lui de Fortunat, son dévoué serviteur, afin de montrer combien vous pouvez vous prévaloir de vos mérites auprès de lui pour obtenir qu’il protège mon humilité. Priez pour moi, saint et apostolique seigneur, seigneur qui êtes le mien par excellence, et mon père. — Ch. N.

II. Au même.

A son seigneur et patron en Dieu, cher à lui par excellence, à l’évêque Eufronius, Fortunat. Qui pourrait concevoir et expliquer dignement les innombrables et surabondantes marques de bonté que je confesse avoir en ma personne reçues de Votre Béatitude? Vous m’avez si étroitement lié par votre admirable charité que je ne puis un seul instant détacher ma vue de celui qui, si je ne le vois pas à présent, habite en mon coeur comme en un sanctuaire où je le tiens enfermé et caché. Qui, portant en soi les bienfaits d’une aussi grande bonté que la vôtre, ne devient pas bon lui-même? Ou qui ne forcez-vous pas à être charitable, vous dont l’âme, ainsi que nous avons la preuve, est si remplie de charité? de quelle admiration suis-je saisi quand je vous vois aimer tous les hommes comme si vous aviez engendré chacun d’eux? Qui d’entre vos enfants voudrait s’enorgueillir quand il reconnaît en vous un père, un docteur de tant d’humilité? Ou qui, si haute que fût sa noblesse, vous voyant si humble, ne se prosternerait pas à vos pieds? Si sa superbe renverse l’orgueilleux, qu’il est louable celui que son humilité élève! Qui peut être colère ou violence quand il rencontre un prêtre, un évêque d’une humeur si calme? Où le pasteur enseigne le moyen et donne l’exemple de vivre dans la paix, tout le troupeau vit ainsi, sans craindre la dent du loup. Que dirai-je des autres choses où, quelle que soit celle dont vous vous occupiez, vous êtes loué de toutes ensemble? Quoique nous ne puissions pas vous imiter en cela, nous voyons du moins avec joie qu’il n’en vaudrait que mieux si nous vous imitions en effet. C’est pourquoi je me recommande particulièrement à Votre Grandeur et à Votre Sainteté ; je vous prie (ainsi obtienne mon seigneur Martin par son intercession et pour vos mérites, que la miséricorde divine vous réserve une place à côté de lui dans le séjour de la lumière éternelle !) et je vous conjure de daigner prier à son tombeau pour moi, votre humble fils et serviteur, et d’intercéder pour la rémission de mes péchés. Je salue tous les vôtres, mes seigneurs et mes amis, et vous supplie de saluer plusieurs fois de ma part mon très doux seigneur, votre fils Aventius (1). Veuillez aussi me recommander à mon seigneur l’évêque Feux, s’il vient chez Vous. Priez pour moi. Ch. N.

III. Au même.

Ma langue est bien paresseuse et bien engourdie; je suis bien incapable de louer comme il le faudrait les hommes de votre mérite. Pourtant, ô mon père, Eufronius, prêtre sacré du Christ, je veux vous présenter mon modeste hommage. Je vous dois beaucoup; daignez agréer le peu que je vous offre. Accueillez avec indulgence les vers que m’inspire votre amour pour vous. Vos vertus donnent au flambeau de l’Église un nouvel éclat; la foi rayonne en tous lieux avec la lumière qui émane du pontife. La grâce par excellence habite en votre coeur où il n’est ni déguisement, ni artifice. Vous êtes un vrai Israélite (1). Vos actions sont pures comme votre coeur; c’est le chemin par où vous entrerez dans le ciel. De vos lèvres, qui n’ont jamais connu le mensonge, les paroles coulent plus douces, à mou gré, que le miel. Tout ce que conçoit votre esprit, votre bouche le déclare avec sincérité; votre âme est inaccessible à la mauvaise foi. Point de fiel en vous, point de serpent qui distille ses noirs venins; vous gardez l’innocence de la colombe. L’étranger retrouve auprès de vous sa patrie bien-aimée ; l’exilé y jouit des biens qu’il a perdus. Il n’est pas un malheureux, victime de l’injustice, qui ne vous quitte consolé; vous séchez ses larmes, vous lui rendez la joie. C’est Martin qui, pour récompenser vos vertus, vous a placé sur ce siège; vous étiez digne de son héritage, vous qui savez si bien suivre ses leçons. Il habite aujourd’hui le ciel, d’où il comble les voeux de ceux qui l’implorent. C’est en l’imitant que vous serez à votre tour réuni à Jésus-Christ. Le troupeau qui accourt à votre bergerie ne périt pas; la brebis ne laisse pas sa laine aux épines de buissons, et le loup n’en fait point sa proie le pasteur veille et la bête malfaisante fuit, sans avoir pu assouvir sa rage. Puissiez-vous vivre de cette vie glorieuse pendant de longues années, ô vénéré pontife, et puisse l’avenir vous réserver une gloire encore plus éclatante.

IV. A Félix, évêque de Nantes (1).

A son seigneur très saint et très digne du siège apostolique, à son père, l’évêque Félix, Fortunat. Je dormais au bord de la mer; couché sur le rivage, je m’abandonnais depuis longtemps aux langueurs d’un doux sommeil, quand tout à coup le flot de votre éloquence, pareil à la vague qui se brise contre le roc, me couvrit comme d’une pluie d’eau salée. Cette première attaque contre mon sommeil pouvait bien me mouiller, mais non me réveiller, car selon ma coutume je dormais profondément. A la fin cependant, au fracas de vos paroles qui éclataient comme des coups de tonnerre, il fallut bien me lever. Pendant que je considérais les mots qui, pareils au retentissement de la trompette, sortaient de votre bouche, et me paraissaient revêtus d’une splendeur égale à celle des astres, il me sembla que !a lumière perçante qui s’en échappait me brûlait les yeux, et que ceux-ci que votre tonnerre m’avait forcé d’ouvrir quand ils étaient pleins de sommeil, se refermaient à leur éblouissante clarté. Votre parole exercée brillait comme l’astre du jour, et votre éloquence lançait de tels éclairs que, tandis que vous parliez, tandis que flamboyaient tous ces mots lumineux, il me semblait que, par un bouleversement des lois de la nature, le soleil se levait à l’occident. Pareil au tissu serré d’une ode pindarique mise en prose, votre discours déroulait devant moi la chaîne sans fin de ses enthymèmes et ses replis savants, chefs-d’œuvre d’un art étranger. Déconcertée par la profondeur mystérieuse de votre style, mon ignorance allait s’égarer dans le labyrinthe de votre éloquence, comme le matelot qui cherche sa voie à travers l’archipel des Echinades (2), si vous n’aviez vous-même porté devant moi le flambeau qui devait me guider. Quant à l’éloge que vous m’accordez dans vos lettres, quand vous voulez bien dire que ma voix, dominant le bruit des acclamations enthousiastes qu’elle soulève, a retenti jusqu’aux extrémités du monde, j’admire en relisant ce passage combien mon commerce avec vous a tout à coup ajouté à mon mérite, si peu digne par lui-même de la faveur publique, et je me réjouis de voir que votre affectueuse bienveillance m’élève si haut, quand mon mince talent me plaçait si bas. O puissance de l’amitié! Les dons que m’a refusés la nature, vos louanges m’en gratifient, et je dois souhaiter que l’on juge de mon humble mérite par votre témoignage plutôt que par mes écrits. L’heureux génie de Pollux n’eût point rendu son nom fameux, s’il n’eût été immortalisé par les vers prophétiques du poète de Smyrne (3). Aussi, quand vous dites que vous habitez au bout du monde, il me semble qu’ainsi le veut la justice (ce que je dis de vous, à votre tour vous devez le croire, vous qui savez si bien faire croire le bien que vous dites de moi) : le pays que vous habitez peut être situé aux derniers confins de la terre, il est le premier du inonde, puisque vous l’habitez. Si, en effet, la présence d’un grand homme suffit à donner à sa ville le premier rang, grâce à vous, aucune contrée ne l’emporte sur celle dont la gloire a pour garants les vertus du pontife Félix. Grâce à vous enfin, Nantes n’est plus ni brûlée par des chaleurs excessives, ni désolée par le froid glacial du nord; elle vous doit un nouveau climat et le souffle, caressant du zéphire y entretient, grâce à vous, un printemps perpétuel. Votre Sainteté veut bien dire que, lors de notre rencontre à Tours, elle a regretté de trop peu jouir d’un entretien qu’il a fallu abréger (je rougis au contraire d’avoir en ces courts instants trahi mon insuffisance, tandis que la bonté dont m’honorait un si illustre pontife avait à peine le temps de se montrer pleinement); mais si vous voulez considérer les sentiments qui remplissaient mon coeur, quand il m’aurait été donné de jouir plus longtemps de votre vue, mon amour pour vous aurait pu devenir plus ardent, mais il n’aurait pas été contenté. Qui a une fois senti le suave parfum des roses, s’en croira-t-il jamais rassasié, jamais dégoûté? Pour moi, si j’étais resté plus longtemps près de vous, mon affection n’aurait pu que grandir, à mesure que j’aurais mieux connu celui qui en était l’objet. Vous dites encore Si je m’étais embarqué avec vous sur la Loire, j’aurais fait jusqu’à Nantes un heureux voyage Quant à moi, je le sais, avec un pilote tel que vous, je serais monté sur la barque la plus légère des pirates Chérusques (4), et, comptant sur la puissance de vos chants, je serais passé entre les Symplégades, sans craindre d’être broyé dans quelqu’une de leurs horribles rencontres; s’il l’avait fallu, j’aurais fait retentir de mes bruyants applaudissements l’Oeta, montagne d’Hercule, et les rochers du Pinde. Avec quelle avidité pensez-vous que j’aie lu ce passage, que vous a seule inspiré votre bonté pour moi, et où vous allez jusqu’à dire « Quand les Volsques eux-mêmes seraient venus me consoler, ils n’auraient pu me détacher de vous »? Soyez-en convaincu, je le pense comme je le dis, Rome elle-même avec toute sa puissance, n’aurait pu faire pour moi ce qu’a fait une de vos paroles. Il n’y a pas de bienfait auquel je ne préfère le seul désir de m’obliger. Quand on goûte la douceur d’un entretien amiral, que peut-on souhaiter encore? Vous ajoutez en plaisantant Si vos louanges ne m’y avaient encouragé, jamais ma plume grossière ne se fût amusée à polir des vers. Bien que le fidèle ouvrier du Christ (c’est vous que je veux dire) ait plus souvent labouré le champ fertile de la foi, j’avoue qu’il a fait naguère retentir sur la lyre d’Amphion des chants ithyphalliques (5). Vous dites enfin avec beaucoup de grâce que je suis le prisonnier de l’affection de Radegonde, ma dame et maîtresse (6). Vous en jugez, je le sais, non d’après mon mérite, mais d’après sa bonté ordinaire, à laquelle tous ont part; et si, lorsqu’il s’agit de moi, vous mêlez à vos éloges l’exagération permise aux poètes, quand c’est elle que vous louez, vous avez toute l’exactitude d’un historien. Cependant je ne suis pas tout à fait indigne de retrouver dans vos écrits le souvenir de ce que je dois à sa bienveillance. Je vous prie seulement, puisque vous parlez en termes si magnifiques d’un si petit personnage que moi, de trouver pour un plus grand sujet, un langage plus magnifique encore. Je me recommande humblement à votre grandeur, à votre sainteté; au nom de Notre-Seigneur, par qui nos âmes ont été rachetées, et près duquel vous êtes assuré d’aller un jour jouir de la lumière divine, je vous supplie de vouloir bien, en considération de la pieuse affection que je vous ai vouée, donner place à mon nom dans vos prières. Je douterai bien moins de mon salut, si je puis obtenir de vous cette grâce.

Quand j’aurais deux langues à mon service, la grecque et la latine, elles ne suffiraient pas pour vous louer selon vos mérites. Les louanges, vous en êtes assiégé. Félix; vous avez droit à notre vénération, à nos prières, vous qui jouirez un jour de la lumière éternelle (7).

V. Au même, sur son nom.

Salut assuré de la patrie, Félix, trois fois heureux, et par le nom, et pur le coeur, et par l’espérance; vous de qui l’ordre sacerdotal reçoit tant d’éclat, vous rendez aux terres les parties que réclamait le droit public, et leur restituez dans le présent les bienfaits du passé. Voix des principaux citoyens, lumière de la noblesse et défenseur du peuple, vous êtes un port dont vous écartez les naufrages. Orateur apostolique, vainqueur des droits invoqués par le Breton (1), et ferme contre l’adversité, vous dispersez les armées au nom des espérances de la croix. Vivez, vous qui êtes la gloire de la pairie, la lumière de la foi, l’artisan de l’honneur, la splendeur du pontificat, notre amour et celui du monde entier. — Ch. N.

VI. Au même, sur la dédicace de son église (1).

Lorsque Salomon célébra la dédicace de son temple grandiose, Israël envoya à cette cérémonie l’élite de ses fils. Les lévites de tout âge, hommes faits, enfants, jeunes gens et vieillards, vinrent de tous côtés grossir le cortège royal. Les veaux et les taureaux tombèrent égorgés au pied des autels, et le peuple se réjouit de voir couler le sang de tant de victimes. Les temps sont changés; on ne croit plus plaire à Dieu par des sacrifices de ce genre, et son nouvel autel en reçoit de plus doux. Félix, qui préside à ces fêtes touchantes, efface par d’autres moyens les magnificences du passé. Il convoque à cette pieuse solennité les Pères vénérés, sur qui repose le vrai salut, et qui ont dissipé les antiques ténèbres. Ils savent, avec la clef de Pierre, ouvrir le ciel à qui le demande; ils savent, par les enseignements de Paul, pour qui il reste fermé. Gardiens et médecins du troupeau, ils le préservent et de la dent du loup et de la maladie. Leur voix qui, de la source du salut d’où elle sort, reflue sur le peuple, verse dans ses oreilles les vérités de la foi, tandis que le sel purifie ses lèvres. Parmi eux brille le pontife assis sur le siège de Martin, le métropolitain Eufronius (2), heureux de voir ses frères rangés autour de lui, comme les membres du corps dont il est le chef auguste; il est la tête, ils sont les organes, et leur réunion fait voir le corps sacré de l’Eglise dans toute sa beauté. Voici Domitianus (3), voici Victorius (4), les soutiens de la foi, l’espoir de la province; près d’eux Domnulus (5), brillant de l’éclat de ses rares vertus, puis Romacharius (6), tous deux fidèles serviteurs de Dieu auquel ils sont consacrés. Enfin est arrivé ce jour tant désiré, et qui laissera un souvenir impérissable, ce jour où la ville entière adresse au ciel ses ferventes prières, où le pasteur, le coeur rempli de joie, peut enfin contempler son oeuvre, et offrir au Seigneur son hommage solennel. Combien de temps et avec quelle impatience a-t-il attendu cette journée! Indifférent à tout le reste, il n’avait pas d’autre pensée. Prompt à s’alarmer, il se défiait des pièges dont est semé le chemin de la vie; il craignait de taire le dernier voyage avant d’avoir présenté à Dieu son offrande. Combien de fois, lassé de cette attente, a-t-il soupiré en secret, suppliant le Seigneur de hâter le jour du triomphe ! Pendant qu’il était en proie à l’inquiétude et pliait sous le poids des soucis, les heures qui le séparaient de cet heureux moment étaient un fardeau qui l’écrasait Mais enfin cet heureux jour est venu. Adieu les soucis! La joie dont son coeur déborde emporte jusqu’au souvenir des peines passées. Appelez la ville entière à partager votre allégresse; réjouissez-vous, Félix, heureux pasteur, ou milieu de votre troupeau aussi heureux que vous-même. A vos côtés se pressent les prêtres et leurs acolytes; ils vous entourent de leur vénération et de leur amour. Avec les chants du choeur alternent ceux d peuple (7); charnu à sa manière vous prête son concours et s’associe à votre prière. Trop longtemps pour vous (car un coeur plein d’amour est toujours impatient) fut différée cette solennité; mais sa magnificence a de quoi vous consoler d’avoir attendu. Chantez maintenant les louanges du Seigneur au milieu de la symphonie des instruments de musique, et que la triple voûte du temple (8) répète les louanges du Dieu en trois personnes. Offrez à l’autel la fleur des holocaustes, et puissiez-vous longtemps encore y paraître, victime pure et agréable aux yeux du Seigneur!

VII. En l’honneur des saints dont les reliques sont dans cette église.

Montagnes voisines du ciel, collines de Sion resplendissantes de beauté, cèdres jumeaux du Liban, à l’épais feuillage, portes du ciel, double lumière du monde, Pierre et Paul apparaissent ici au milieu des tonnerres et des éclairs. Parmi la troupe des apôtres, à la tête ceinte de l’auréole, l’un se distingue par ses doctes enseignements, l’autre par l’éminente dignité qu’il tient de Dieu. Paul ouvre les coeurs des hommes, Pierre leur ouvre le ciel; ceux que Paul a instruits, Pierre les reçoit dans le séjour céleste. Tous deux nous y mènent, l’un par ses leçons, l’autre par le pouvoir de ses clefs; Paul nous en montre le chemin, Pierre en garde fidèlement la porte. L’un est la pierre inébranlable sur laquelle est bâtie l’Église, l’autre en est l’architecte. Sur eux reposent les assises du temple où Dieu aime à être adoré. Ce sont deux ruisseaux sortis d’une même source, et dont les eaux bienfaisantes calment la soif qui nous dévore. Le prince qui veut s’illustrer par des guerres glorieuses les donne pour chefs à son armée. Applaudis, Gaule fortunée; Rome t’envoie le salut (1). L’auréole des apôtres illumine le pays des Allobroges. Tu peux maintenant opposer aux attaques de tes ennemis ceux qui, dans la capitale du monde, sont les deux remparts de la foi. Ils sont aussi les yeux du précieux corps du Christ, la lumière qui éclaire et guide ses membres. Reçois, ô terre de la Gaule, ces fruits du ciel que t’a donnés Félix, et réponds aux voeux de l’heureux pontife dont le chaste amour a donné cet édifice en dot à l’Eglise son épouse. Sous un comble élevé le corps de l’édifice, sanctifié par le nom des deux apôtres, s’étend en trois nefs. Autant ils l’emportent par leurs mérites sur les autres saints, autant le temple qui a reçu leurs reliques surpasse en hauteur les autres temples. Au centre, une tour se dresse au-dessus de la toiture; d’abord carrée, elle se rétrécit pour recevoir un couronnement rond. Par une succession d’étages en arcades elle s’élance dans les airs pour l’étonnement des spectateurs, pareille à une montagne qui se termine en pointe (2). Le faîte est décoré de peintures qui semblent animées, tant le coloris donne de vie aux figures, tant on y sent respirer l’âme de l’artiste (3). Quand le soleil dans sa course promène ses rayons sur le toit couvert de plaques d’étain, le métal qu’il frappe de ses traits de feu renvoie une lumière d’une blancheur de lait; les figures se meuvent, se déplacent, au gré des rayons tremblotants, et le plafond tout entier ondule comme l’eau de la mer (4). Le toit semble un autre ciel qui a ses astres, et qui lance des lumières dont le métal est le foyer. Quand la pleine lune montre à l’horizon son disque lumineux, une autre lune monte de l’église vers le ciel, et le passant qui s’arrête la nuit pour voir ce spectacle, croit que la terre aussi a ses étoiles. Percée de larges fenêtres, la vaste nef s’emplit de lumière, et celle que vous admirez au dehors, vous la retrouvez au dedans. A l’heure où reviennent les ténèbres, tandis que l’univers est, plongé dans la nuit, elle tient seule, si l’on peut dire, le jour emprisonné dans ses murs. Au côté droit du temple sont les reliques d’Hilaire et de Martin, son compagnon et son ami. La Gaule dont ils sont les patrons, a répandu leur renommée par toute la terre; tandis que leurs corps reposent ici, ils sont des flambeaux qui éclairent le monde. Au côté gauche sont les reliques de Ferréol, le glorieux martyr, pierre précieuse aux vives clartés. Seigneur, Félix vous a fait hommage de toutes ces merveilles, afin que le prêtre qui vous offrait un temple, fût lui-même le temple de votre divinité.

VIII. A la louange du même.

C’est aujourd’hui jour de fête; je veux dans ma joie exprimer seul les sentiments d’amour qui animent un peuple entier. Si l’Armorique est située aux confins du monde, les vertus de Félix en font le premier pays de la terre. La Gaule n’a rien é envier à l’Orient : l’Orient est éclairé par les premiers rayons du soleil, et la Gaule par les rayons de votre gloire. Chacun de vous répand ses bienfaits avec une magnificence inouïe, vous sur l’Océan, le soleil sur la mer Rouge. S’il est vrai que l’esprit est un flambeau, la vive lumière de votre génie vaut celle du soleil. Né d’une race illustre, héritier d’une antique noblesse, la gloire de vos aïeux retentit encore dans le monde (1). Tous ces grands hommes, auxquels ont obéi les peuples de l’Aquitaine, vous ont transmis avec leur sang l’illustration de leur nom. Une souche antique vous recommande à la vénération des hommes, comme son plus noble rejeton; vous réunissez toutes les gloires et appelez tous les éloges. Vous qui êtes la fleur de votre race, le défenseur de votre patrie, le réformateur du peuple, la source du bon goût, un torrent d’éloquence, une onde au doux murmure, le chemin de la science, le protecteur du droit et l’obstacle où vient se briser la colère (2); vous dont le génie a évoqué ici une nouvelle Rome; vous en qui la Gaule, fière de son fils, retrouve plusieurs de ces savants personnages par lesquels l’ancienne Rome a instruit le monde vous êtes deux fois grand, deux fois illustre, par votre naissance et par vos oeuvres. Mais ce n’est pas assez pour vous de toute cette gloire mondaine; vous cherchez la satisfaction d’une ambition plus haute dans le gouvernement de votre église. Sa splendeur est l’objet de toutes vos pensées, de vos soins assidus. Pour ajouter aux dons magnifiques que vous y avez faits à Dieu, vous l’avez épousée; vous avez contracté envers cette vénérable épouse d’heureux engagements, et l’avez richement dotée. Vous trouvez dans ses bras le bonheur sans péché, et votre coeur est fermé à tout autre amour. Elle est le charme de vos yeux, de votre âme, de votre chaste coeur; vous n’êtes son époux que pour préserver sa pureté de toute souillure. Elle vous a donné de nombreux enfants, sans perdre sa virginité; c’est tout un peuple qu’elle confie à votre paternelle sollicitude. Voyez les fils que vous a donnés celte divine épouse; ils sont votre joie, vous êtes leur refuge et leur appui. Pour le salut de ce troupeau dont vous êtes le berger, vous faites bonne garde sur tous les chemins; vous mettez les loups en fuite, et les brebis sont en sûreté. Votre vigilance déjoue les embûches des Bretons (3). Il n’est pas d’arme plus forte ni plus efficace que votre éloquence. Vous nourrissez ceux qui ont faim; vous êtes le pain de l’indigent. Ce que chacun désire, il l’obtient de vous aussitôt. Le lieu où vous enfouissez vos richesses, c’est la bouche du pauvre, c’est le ventre affamé du mendiant. Le jour de la venue du Christ, tout cela vous sera restitué en présence du souverain juge. Puissiez-vous vivre heureux de longues années encore! Puissent vos vertus et votre piété vous assurer à jamais le bonheur que vous promet votre nom!

IX. A l’évêque Félix, sur la fête de Pâques (1).

Voici le temps des fleurs; l’air est pur; l’horizon est enflammé. Des portes ouvertes de l’Orient jaillissent des flots de lumière. Le soleil monte, lance ses feux et poursuit sa carrière, pour aller ensuite se plonger dans l’Océan, d’où il sortira de nouveau. Il pénètre de ses rayons vainqueurs la masse fluide, chasse les derniers restes de la nuit et amène avec lui le jour. Aucun voile n’obscurcit l’éclat de l’azur resplendissant, et l’atmosphère lumineuse en montre de la joie. La terre qui la partage nous prodigue ses dons variés, et ouvre son sein à toutes les richesses du printemps. L’aimable violette donne à la campagne une teinte pourprée, et l’herbe des prés déploie et agite sa chevelure verdoyante. Les fleurs pareilles à des étoiles s’épanouissent tour à tour, et sont autant d’yeux qui sourient au milieu du gazon. De la semence jetée dans les sillons s’échappe la tige laiteuse du blé, donnant au laboureur la promesse avec le pouvoir de vaincre la faim. Des larmes joyeuses coulent des branches de la vigne fraîchement émondée; c’est pour donner plus tard du vin qu’elle donne aujourd’hui de l’eau. Le bourgeon, enveloppé de son tendre duvet, perce l’écorce maternelle; il se gonfle et va bientôt éclater. Dépouillés par l’hiver de leur couronne de feuilles, les bois reverdissent et réparent leurs ombrages. Le myrte, le saule, le sapin, le coudrier, l’osier, l’orme, l’érable, tous les arbres de la forêt sont heureux d’étaler leur nouvelle parure. L’abeille, pour construire ses rayons, quitte sa ruche, va bourdonner autour des fleurs auxquelles elle dérobe leurs sucs pour en charger ses cuisses. L’oiseau reprend sa chanson que, rendu paresseux et muet par le froid de l’hiver, il avait interrompue. Philomèle prélude à ses roulades sonores, et l’écho qui les répercute en est ravi. La beauté du monde renaissant atteste que tous les biens qu’il avait perdus loi sont revenus avec son divin maître. C’est pour fêter le Christ triomphant, à son retour de l’enfer, que les bois reverdissent et que le gazon se couvre de fleurs. L’enfer et ses lois vaincus, la lumière, les cieux, la terre et les mers s’unissent pour célébrer le vainqueur qui s’élève au delà des astres. Le voilà, le crucifié, le Dieu qui règne sur le monde, la créature à qui toutes les créatures adressent leurs prières ! Salut, jour solennel, jour à jamais vénéré où Dieu vainqueur de l’enfer reprend possession du ciel, jour, l’orgueil de l’année et l’honneur des mois (2), jour le plus saint des jours (3), et dont les heures, les minutes et les secondes ont tant d’éclat et de charme! Les feuilles des arbres de la forêt, les épis dont les guérets sont chargés t’applaudissent par leurs frémissements, et dans le silence même où ils se développent les rejets de la vigne te rendent des actions de grâce. Si les halliers retentissent en ton honneur du ramage des oiseaux, moi, humble passereau, je mêle à leurs concerts mon chant d’amour.

Christ, sauveur du monde que tu as aussi créé et racheté, fils unique de Dieu, ineffable émanation du coeur de ton père, Verbe vivant à qui rien n’est impénétrable, égal au père, indivis avec lui, sous le principat duquel le monde a pris naissance, tu maintiens les cieux suspendus sur nos têtes et sous nos pas les terres condensées et solides; tu fais couler les eaux et vivre les hommes en quelques lieux qu’ils habitent. Voyant le genre humain perdu, tu t’es fait homme pour le sauver, et tu n’as pas seulement voulu revêtir sa livrée temporelle, tu as aussi voulu souffrir et mourir pour nous dans ta chair. Créateur de la vie et de l’univers, tu as enduré la mort, et c’est en entrant dans le chemin de la mort que tu as ouvert le chemin de la vie. Les horribles portes de l’enfer ont cédé à ton approche, et la lumière, en pénétrant dans le noir séjour, y a jeté l’épouvante. Chassées par l’éclat fulgurant du Christ, les ténèbres se dissipent; les voiles épais de la nuit tombent. Mais toi qui es toute bonté et toute puissance, Seigneur, je t’en supplie, tiens ta promesse. Voici le troisième jour; sors du tombeau où tu gis enseveli pour moi; lève-toi. Il ne sied pas que tes membres demeurent dans un misérable tombeau, et qu’une vile pierre recouvre celui qui a racheté le monde. Il est indigne de celui qui tient tout dans sa main d’être enfoui dans un trou de rocher, fermé par une pierre. Secoue tes linceuls, je te prie; laisse ton suaire au sépulcre. Tu nous suffis sans cela, et rien n’est sans toi. Délie les liens des mânes captifs dans les enfers, et retires-en tous ceux qui ont été précipités dans leurs abîmes. Rends-nous ta présence afin que les siècles revoient la lumière; rends-nous le jour que ta mort nous a ravi. Mais en revenant vainqueur dans le inonde, tu as rempli ta tâche. L’enfer est abattu et ses lois abolies. Il a beau ouvrir sa gueule insatiable et profonde, ce dévoreur de proies, ô mon Dieu, est devenu ta proie. Tu tires des prisons de la mort un peuple innombrable qui suit librement l’auteur de sa liberté. La bête féroce vomit en tremblant ses victimes; l’agneau arrache les brebis à la dent du loup. Au retour de l’enfer, tu rentres dans le tombeau d’où, après avoir repris ta chair, tu t’élances et portes au ciel les riches trophées du vainqueur. Ceux que gardait l’enfer où ils subissaient leur peine, l’enfer te les n rendus, et ceux que la mort pourchassait commencent une nouvelle vie. Ton triomphe, ô saint roi, éclate encore dans la cérémonie du baptême dont les eaux assurent aux âmes pures la béatitude céleste. De cette ablution d’un nouveau genre une armée de catéchumènes sort, éclatante de blancheur et nettoyée de la tache du péché originel. On la reconnaît aux robes blanches dont elle est revêtue, et le berger se réjouit à la vue de son troupeau. A son tour le prêtre Félix qui rend à son maître deux talents (4), participe à cette oeuvre sainte; il attire à la foi des hommes égarés par les erreurs païennes; il fortifie le bercail de Dieu pour le mettre à l’abri des irruptions de la bête. Ceux que la coupable Eve avait corrompus, il les rend à l’Église qui les réchauffe dans son sein, et les nourrit du lait de ses mamelles. Il adoucit les coeurs agrestes par de tendres paroles, et les épines, grâce à son zèle, se changent en moissons. Le Saxon, peuple farouche et qui vit à la manière des fauves, cède à votre charme, ô Félix, et le loup rend la brebis (5). Puisse votre récolte vous rapporter toujours le centuple, et vos moissons remplir les greniers jusqu’aux combles! Puisse ce peuple lavé de la tache originelle, ce gage de pureté que vous offrirez un jour à Dieu, vivre longtemps encore sous votre sauvegarde! Puissiez-vous enfin recevoir du Très-Haut la couronne qui vous est due, et puisse celle que votre peuple n obtenue se renouveler comme au printemps les fleurs! — Ch. N.

X. Au même, loué pour avoir détourné le cours d’une rivière (1).

Arrière tout ce dont les anciens poètes nous ont transmis le souvenir; les merveilles de l’antiquité sont vaincues par celles de notre temps. Si Homère eût vu les fleuves ainsi emprisonnés, il eût appliqué son génie à célébrer ce prodige. Au lieu du nom d’Achille, le nom de Félix remplirait ses vers, et ce grand nom recommanderait davantage l’oeuvre du poète. Génie bienfaisant, Félix modifie la nature pour la corriger, et contraint les vieux fleuves à prendre un nouveau cours. Une digue les force à quitter la route qui les conduisait à la mer, et à suivre celle que leur interdisait la nature. Ici vous comblez une vallée, là vous abaissez une montagne; l’une se soulève, l’autre s’enfonce. Tout est bouleversé, tout change d’aspect et de forme; la montagne devient vallée et la vallée devient montagne. A l’endroit même où l’eau fuyait à travers la plaine, la terre amoncelée forme un rempart inébranlable; où passaient les navires, cheminent à présent les chariots. Le flot poussé par votre main franchit la barrière que lui opposaient les collines, et le fleuve obéissant va où vous le menez, en dépit de la montagne. Au point où son cours était le plus rapide, il s’arrête à présent malgré la vitesse acquise; une colline sortie tout à coup du sol le force à rebrousser chemin. Les eaux qui se précipitaient avec une violence inutile, sont aujourd’hui asservies à l’homme et serpent à le nourrir. On fait la moisson sur l’ancien lit du fleuve, et c’est grâce à vous que l’eau donne au peuple du pain. Avec quelle autorité ne devez-vous pas conduire l’esprit mobile des hommes, vous qui imposez votre volonté aux flots impétueux! Vivez longtemps, poursuivez sans encombre votre pieuse carrière, ô Félix, vous, à l’ordre duquel les fleuves changent leur cours.

XI. Sur Nicetius, évêque de Trêves (1).

Objet de notre vénération par votre caractère, par l’éminence et la splendeur de votre foi, Nicétius, chef des prêtres et amour du monde, premier pasteur de votre troupeau apostolique, tout ce que vous avez reçu d’honneurs a été le couronnement de vos mérites. Voué tout entier à l’oeuvre de Dieu, vous avez quitté pour elle les choses de la terre, et si le monde est mort pour vous, vous êtes là pour ne point mourir. La vie est courte pour tous à l’exception des bienheureux. Ce qui est bien ne périt pas, vous serez donc et avec raison immortel. Avare pour vous-même et prodigue envers les pauvres, ce que vous faites pour les petits, croyez que vous le donnez à Dieu. Chaque fois qu’un prisonnier reprend possession de ses lares en rentrant dans son pays, vous prenez vous-même possession du ciel. L’exilé est par vous secouru; vous nourrissez celui qui a faim; il ne vous quitte que rassasié. Vous mettez tous vos soins à apaiser les tristes querelles; vous êtes l’unique remède aux afflictions de tous. Vous séchez les larmes du pauvre et lui rendez la joie; qui a du chagrin obtient vos prières pour sa guérison. Le troupeau que vous paissez ne craint pas que le loup ravisse les agneaux, et ceux qui sont dans votre étable y sont en sûreté. Vous restaurez les anciennes églises, et c’est à vos soins que la plus vieille doit une nouvelle jeunesse. Puissiez-vous pendant de longues années encore prier pour les peuples, et empêcher vos ouailles d’être déchirées! — Ch. N.

XII. Du château de Nicétius sur la Moselle (1).

Une montagne escarpée dresse sa masse qui surplombe; un mur de rochers longeant le bord de l’eau élève sa cime altière, et d’épais ombrages couronnent le plateau, qui domine fièrement tout le pays. La profondeur des vallées qui l’entourent fait paraître la montagne plus haute; partout, aux environs, le sol s’abaisse et la laisse dans un isolement imposant. L’orgueilleuse Moselle, le Rhône (2) plus modeste baignent ses flancs et offrent à l’envi aux habitants du lieu le tribut de leur pèche. En d’autres contrées, les fleuves débordés entraînent les moissons; ceux qui arrosent Mediolanum (3) y apportent l’abondance. Leurs eaux en se gonflant mettent leurs poissons à portée de la main des hommes; elles nourrissent le pays, au lieu de le dévaster. Le laboureur contemple d’un oeil charmé ses sillons couverts d’épis, et prie le ciel de laisser mûrir l’abondante récolte qu’ils lui promettent. Il repaît sa vue du spectacle de la moisson prochaine; du regard il en prend possession, bien avant que le temps soit venu de la recueillir. Sur la plaine s’étend un riant tapis de verdure, et l’aspect de grasses prairies porte de tous côtés la joie dans les coeurs. Nicétius, héritier des apôtres, parcourant ces campagnes, y voulut élever un abri pour le troupeau dont il est le berger. Une enceinte flanquée de trente tours environne la montagne, où s’élève un bâtiment qui occupe la place occupée naguère par une forêt; le mur allonge ses ailes et descend jusqu’au fond de la vallée, pour rejoindre la Moselle, dont les eaux ferment de ce côté le domaine. A la cime du roc est bâti un magnifique palais, pareil à une autre montagne posée sur la montagne. Ses murailles enveloppent d’immenses espaces, et la maison forme à elle seule une sorte de château fort. Des colonnes de marbre supportent l’imposant édifice, du haut duquel, pendant les jours d’été, ou voit les barques glisser à la surface du fleuve (4). Il a trois étages, et, quand on arrive au faîte, il semble que l’édifice couvre les champs qui sont à ses pieds. La tour qui commande la rampe par laquelle on monte au château renferme la chapelle consacrée aux Saints (5) et les armes à l’usage des hommes de guerre. Là aussi est une double balliste (6) dont le trait vole, donne la mort en passant et fuit au-delà. L’eau est amenée par des conduits qui suivent les contours de la montagne, et fait tourner une meule qui broie le blé destiné à la nourriture des habitants du pays. Sur ces coteaux jadis stériles Nicétius a planté des vignes au suc généreux, et les pampres verdoyants tapissent le rocher qui ne portait que des broussailles. Des pépinières d’arbres à fruits croissent çà et là, et remplissent l’air du parfum de leurs fleurs. C’est à vous que revient l’honneur de toutes les merveilles qu’on admire en ce lieu, c’est à vous que votre troupeau est redevable de tous ces biens, ô bienfaisant pasteur.

XIII. A Vilicus, évêque de Metz (1).

La Moselle déploie et roule avec mollesse ses eaux immenses et azurées dans un lit profond. Elle caresse ses rives bordées de gazon printanier et de fleurs odoriférantes, et effleure avec amour les tiges des herbes penchées sur sa surface. A sa droite coule la Seille qui traîne péniblement ses eaux chétives mais claires. Elle se jette dans la Moselle dont elle accroît la force, et périt en même temps. Là fut fondée la riche et superbe Metz (2) joyeuse de voir les poissons assiéger ses flancs de part et d’autre. La campagne qui l’entoure est riante et d’un aspect délicieux. Ici des champs en culture, là des jardins de roses; plus loin des coteaux couverts de vignes au feuillage ombreux et dont la variété le dispute à la fertilité. Doublement fortifiée et par tes murs et par ton fleuve, ô Metz, tu tires cependant ta principale force du mérite de ton évêque. Vilicus ne combat qu’avec des armes célestes; il s’agenouille et dans cette attitude, il est ton support. C’est en restant ainsi humblement prosterné, ô prêtre vénérable, que vous ouvrez par vos prières le chemin du ciel à la ville capitale de la patrie. Le bonheur du peuple, ce sont vos larmes continuelles qui le lui acquièrent; ce sont elles qui font celui de vos brebis. Quoique l’iniquité lance des menaces impuissantes, ceux pour qui vous êtes un mur, ne craignent pas d’en être blessés; et quoique le loup rôde autour de la bergerie, le troupeau qui est sous votre garde est à l’abri des assauts du ravisseur. Le peuple prend plaisir à voir vos traits dont aucun nuage ne trouble la sérénité, et votre gracieuse bienveillance charme tous les coeurs. Si quelque étranger vient implorer votre aide, vous lui offrez des aliments, et il retrouve ses propres lares sous votre toit. Pendant que vous comblez de biens l’exilé plaintif, il oublie ceux qu’il n laissés dans son pays. Vos discours réconfortent celui qui vous raconte ses malheurs; vous chassez ses chagrins et lui rendez la gaieté. Vous couvrez les nus, vous nourrissez les indigents, mais ce qu’ils ne peuvent vous rendre Dieu vous le rend avec usure. Vous placez à plus gros intérêts en vidant vos greniers, qu’en les gardant pleins; le paradis vous dédommagera de vos prodigalités. Vous avez restauré les églises, Vilicus; quand viendra le Seigneur, votre oeuvre est là qui répondra pour vous. Vous n’avez pas enfoui, je le vois, le talent qui vous a été confié (3); vous l’avez au contraire bien employé et l’avez fait multiplier. Continuez d’agir comme vous le faites pendant de longues années encore, et que la mémoire de votre nom demeure à jamais. — Ch. N.

a. Au même. (1)

O bon pasteur, vous satisfaites tous les appétits; vous qui rassasiez les âmes, quel soin ne prenez-vous pas des corps! Le lait délicieux que vous offrez à vos convives excite tellement leur soif, qu’il leur faut une coupe pour les contenter, là où ordinairement une cuiller suffit.

b. Au même.

Votre brebis accourt à vos pâturages, bien-aimé pasteur. Vous qui nourrissez votre troupeau, me refuserez-vous un peu de pain?

c. Au même, sur une tapisserie représentant une vigne vers dits à la table de Vilicus.

Sous ces pampres en tapisserie, un oiseau au vert plumage becquette les fruits aux vives couleurs. Vos convives goûtent à la fois tous les plaisirs ils repaissent leurs yeux de la vue de ces raisins, tandis qu’ils vident les coupes de Falerne.

d. Au même, sur des poissons servis à sa table.

Vos filets, Vilicus, sont pleins à se rompre sous le poids de votre pêche. On voit bien que vous étiez digne de recueillir l’héritage de Pierre.

XIV. De Carentinus, évêque de Cologne (1).

Ornement de la foi, ami de Dieu, et par le privilège de votre nom, Carentinus, objet d’un éternel amour, la puissante Cologne est fière de vous avoir pour évêque; dans ses fertiles campagnes vous êtes le digne colon de Dieu. Si vous rencontrez des étrangers, tout inconnus qu’ils vous soient, vous en avez bientôt fait des compatriotes (2). Ceux que votre bonté paternelle vous a une fois attachés, vous ne sauriez faire qu’ils se détachent jamais de vous. Votre faveur une fois donnée ne se retire et ne se dérobe jamais; elle est un bien qui demeure toujours à celui qui le possède. Selon la parole de Dieu, vous aimez votre prochain comme vous-même, et selon celle de l’Apôtre dont vous êtes le digne sectateur, vous estimez que la charité est plus excellente que la foi (3). Vous êtes la bonté, la douceur, l’imperturbabilité et la sérénité mêmes; la malice du monde n’a sur vous aucune prise. Le charme de vos paroles ranime les coeurs; votre aspect seul rend la joie à ceux qui sont dans la tristesse. Vous êtes la nourriture de ceux qui sont pauvres comme de ceux qui ont faim; vous êtes le père du peuple et lui enseignez, selon les obligations de votre ministère, tout ce qui doit aider à son salut. Vous restaurez les églises et prodiguez l’or à les décorer; mais l’éclat dont vous brillez vous-même est leur plus bel éclat. Pour qu’elles contiennent plus de monde, vous avez fait élever dans les parties supérieures un second rang de galeries. Enfin le troupeau dont vous êtes le pasteur magnifique, est l’objet de votre tendre sollicitude, et telle est votre vigilance à l’égard de vos bergeries que le loup n’y pourrait ravir sa proie. Puissiez-vous vivre heureux et longtemps, et voir les brebis du Seigneur se multiplier sous votre houlette. — Ch. N.

XV. A Igidius, évêque de Reims (1).

Igidius, vous qui devez à vos belles actions, à vos vertus, la dignité éminente et sainte où vous êtes arrivé en passant par tous les degrés, je cède à l’entraînement de mon génie, de mon amitié pour vous, et je me donne le plaisir de faire en peu de mots votre éloge. Quand il y a tant de raisons pour m’y déterminer, je me croirais coupable si je me taisais sur ce que tout le monde dit de vous. Mais quoique je ne puisse en parler dignement, pardonnez-moi de le faire ainsi que l’y suis résolu. Le bruit de vos belles actions s’est répandu dans le monde; elles vous sont propres et vous font reluire dans l’univers comme une étoile du ciel. Cette étoile est plus resplendissante et plus pure que la planète de Lucifer; celle-ci ne doit son éclat qu’à ses rayons, vous devez le vôtre à votre piété. La garde que vous faites autour de votre bercail empêche le loup d’en rien ravir au saint pasteur. Éloquente est votre parole, vos enseignements viennent du ciel, et c’est grâce à vos bons offices que se sont accrus les biens de l’Église (2). Toute votre application est à réformer le peuple; vous êtes le flambeau qui éclaire la route et dissipe les ténèbres qui pourraient lui nuire. La douceur de vos discours récrée les âmes; ils sont l’aliment de votre troupeau, lequel d’ailleurs vous ne laissez pas manquer de la nourriture matérielle. Ainsi est observé ce précepte, que nous ne vivons pas seulement de pain; nous savourons en même temps les délices de votre parole. Elle réjouit nos âmes dès qu’elle sort de votre bouche, comme le corps se réjouit de mets plus recherchés. Devant vous, vaillant soldat du Christ, tombent les fureurs de l’hérésie; vous faites des conquêtes pour le roi de qui vous tenez vos armes. Votre parole est un noyau qui débarrasse les champs des buissons épineux, et la moisson de Dieu croit de toutes parts ainsi nettoyée. L’exilé qui vient ici triste et pauvre, vous le recevez, le consolez, et votre patrie devient la sienne. Vous lui ôtez tout sujet de se plaindre, vous changez sa tristesse en joie, vous lui faites oublier l’exil, et, à force d’attentions pour lui, vous lui rendez ses lares. À vos yeux, tout indigent mérite qu’on lui donne à manger, et tout homme nu, des vêtements; l’un et l’autre ont besoin de tout cela, et ils le trouvent chez vous. Vous avez un conseil pour chacun et pour tous; vous êtes le père du peuple, et vous accomplissez toutes ces bonnes oeuvres comme il sied à un évêque. Que le Seigneur prolonge ici-bas vos jours et vous en réserve de plus beaux dans la vie future. — Ch. N.

XVI. A l’évêque Hilaire (1).

Ami toujours cher, pure lumière de mon âme, Hilaire, que je vois quoique vous soyez absent, dont l’honnête amour remplit si bien mon coeur que, sans vous, je ne parle jamais à vide, je vous envoie avec ces petits vers mes voeux pour votre santé. Mon amitié pour vous me les dicta : qu’ils vous soient donc chers, je vous prie. — Ch. N.

XVII. Sur l’évêque Berthramn, qui lui avait donné place sur son char (1).

Il existe une sorte de char qu’en Gaule on nomme roeda; ses roues glissent sur le sol, où elles laissent une légère empreinte. Il vole, au galop de ses quatre chevaux, emporté par l’élan du quadrige. Je m’étais joint à la troupe qui suivait Berthramn, et je l’escortais, monté sur un coursier rapide, quand le saint évêque, par une faveur insigne, daigna, de sa main, me hisser jusqu’à lui et me donner place à ses côtés. Pareil à l’hirondelle qui réchauffe ses petits et, dans sa sollicitude maternelle, étend ses ailes sur leurs membres à peine couverts d’un léger duvet, le bon évêque, au coeur plein de tendresse, me rait asseoir auprès de lui sur le siège moelleux. Ce n’est pas pour moi seul qu’il est bon; tous ont part à ses soins affectueux; aussi est-il l’unique amour de son peuple.

XVIII. Au même, sur ses opuscules poétiques.

J’ai reçu les petites pièces de poésie que vous m’avez envoyées, d’une forme si parfaite et d’une si haute élévation de pensées. Eu parcourant ces vers où l’inspiration déborde, je me suis cru embarqué sur une mer orageuse. Du feuillet déroulé sous mes yeux s’échappait comme un souffle de tempête, comme un bruit de vagues déchaînés. Rome elle-même n’a jamais entendu lire dans le forum de Trajan (1) des poésies plus pompeuses et d’un style plus pur. Que serait-ce, si vous aviez lu de tels chefs-d’oeuvre devant le sénat On aurait étendu sous vos pieds des tapis brodés d’or; vos vers eussent couru de bouche en bouche, à travers les rues et les carrefours, aux applaudissements de la foule. J’ai pourtant noté çà et là, parmi tant de beautés, quelques emprunts aux oeuvres du passé; parfois une syllabe ajoutée rompt la mesure, et le vers estropié, boiteux, a perdu son harmonie. Maintenant, père vénéré, je prends congé de vous, et vous offre mes prières et mes voeux, en même temps que je vous recommande humblement le soin de mon urne. Vivez longtemps. J’ai voulu, puisque vous m’aviez donné l’exempte, répondre à vos vers, selon vos désirs, par ce badinage poétique (2).

XIX. A l’évêque Agricola (1).

Saint évêque, auguste chef de l’Eglise, fleur de la noblesse, honneur de la foi, cultivateur habile de votre domaine et pasteur dévoué de votre troupeau, votre père ne m’a pas jugé digne de ses soins; daignez continuer son oeuvre et cultiver à votre tour la terre qu’il a labourée de ses mains. Votre père, dont l’univers entier se rappellera toujours la bonté, m’a aimé comme il vous aima vous-même. J’ai trouvé chez lui la tendresse d’un père, les soins d’une nourrice, les leçons d’un maître. Il m’a chéri, il a cultivé mon esprit, guidé mes pas dans la vie et formé mon coeur à la vertu. C’est lui qui, après avoir labouré le champ, avec un zèle affectueux, y a semé le grain. Cette semence, faites-la fructifier pour moi.

XX. A Félix, évêque de Bourges, sur une tour que l’évêque avait fait faire pour y renfermer les hosties consacrées (1).

Comme ce vase, formé des dons en or réunis à cet effet, est bien fait pour recevoir le corps sacré de l’Agneau (2)! Qu’on cesse de nous vanter les vases de chrysolithe du roi Salomon; l’art et la foi donnent à celui-ci un bien autre prix. Agréez, ô Christ, l’offrande de Félix, comme vous avez agréé autrefois les prémices du troupeau d’Abel. Pour vous qui voyez le fond des coeurs, ce présent du pieux évêque ne doit pas avoir moins de prix que les deux as de la veuve de Sirapta (3).

XXI. Au seigneur vénérable et qui se recommande par ses travaux apostoliques, au seigneur pieux et particulièrement cher au Christ, l’évêque Avitus, l’humble Fortunat (1).

Avitus, père de la ville où est votre siège, esclave de vos pieuses fonctions, gloire du pontificat, objet de notre profond amour, vous qui nourrissez le peuple, la province, le voyageur et l’étranger, vous de qui chacun obtient ce qu’il désire, j’ai mérité, moi indigne, que vous me fassiez des présents, ne voulant pas qu’en paissant vos brebis, la plus humble d’entre elles fût oubliée. Si par la prédication vous entraînez les troupeaux vers les pâturages du Christ, vous vous inquiétez encore de la manière dont ils vivent ici-bas. Les absents mêmes sont à l’abri de vos ailes, et là où vous ne pouvez aller en personne votre libéralité vous représente. Radegonde et Agnès vous rendent mille grâces des dons que vous leur avez envoyés. Semez, père vénérable, des richesses qui pénétreront avec vous dans le ciel, et qui, en leur temps, vous rendront cent pour cent. Comme vous êtes bien en cour, je vous prie, par notre bon seigneur et roi, de vous souvenir de votre Fortunat (2).

XXII. Au même.

J’ai obéi à vos ordres, vénérable prélat; j’ai fait ce que vous m’avez commandé, Avitus, mon père bien-aimé. Ma muse est tout au plus capable de faire babiller l’aigre chalumeau; il ne faut pas attendre d’elle un chant large et mélodieux. Soyez donc indulgent; vous qui aimez la piété, tenez-moi compte de mon désir de vous plaire, et ne jugez pas trop sévèrement mon faible talent. Voilà tout ce que je puis vous offrir, moi qui vous suis si obligé. Mais, si mon style manque d’élégance, tenez-moi compte de l’intention.

a. Au même.

Cher Avitus, prêtre au-dessus de tous, les autres, vous êtes une preuve de quels honneurs est digne un homme d’une loyauté supérieure. Vous vous attachez tous les coeurs par la force de votre amour et les menez captifs à votre suite. Cependant, parmi ceux que vous comblez de vos bontés, je suis le principal et le plus prompt à la reconnaissance. Lumière qui m’est douce, âme de la patrie, nourricier des pauvres, espoir des étrangers, chef et honneur des pères, ma muse eût-elle des accents toujours élevés, je n’en attendrais aucune louange; mon amour pour vous en ferait, tout le prix. Je profite de l’occasion importante qui m’est offerte de vous adresser mes voeux et de célébrer votre nom sacré. Agnès et l’humble Radegonde se recommandent aussi à votre charité, à votre piété. Vivez de longues années encore de bonne santé, car ce qu’aura été la vôtre, père chéri, la mienne le deviendra. — Ch. N.

XXIII. Sur Agéric, évêque de Verdun (1).

O Verdun, si petite que soit ton enceinte, tu es grande aux yeux des hommes par les vertus de ton évêque. Renfermée dans ce cercle étroit, elle brille d’un éclat plus vif, sous les rayons de votre gloire, ô Agéric. Vos belles actions sont comme une semence féconde, qui vous donnera plus tard une ample moisson. Aujourd’hui vous distribuez d’une main prodigue du pain aux pauvres; vos richesses en seront un jour centuplée. Vous expliquez les mystères des saints dogmes, et votre troupeau reçoit de vous la nourriture de l’âme aussi bien que celle du corps. Vous restaurez les anciennes églises et vous en construisez de plus belles (2); la maison du Seigneur vous doit une magnificence inconnue. C’est par vous que l’eau sainte remplit les fonts baptismaux, comme la grâce divine remplit votre coeur. Une lumière pure et sereine éclaire l’édifice sacré, et quand le soleil disparaît, il y est remplacé par un jour artificiel (3). Une foule avide accourt de toutes parts aux nouvelles églises, et c’est de vous que le peuple apprend à mieux aimer son Dieu. Vous secourez les indigents, vous couvrez ceux qui sont nus; seul vous êtes la nourriture et la boisson de tous. Heureux Agéric, qui, pendant cette vie périssable, aspirez avec amour à la lumière éternelle, et vous ménagez par vos vertus d’impérissables biens.

a. Au même.

Quand Phoebus tient suspendu son char au plus haut des airs et qu’il répand dans toutes les directions sa lumière pure et enflammée, ses rayons dispersés prennent possession de la terre entière; montagnes et plaines, hauteurs et vallées, tout est à lui, tout est plein de lui. Ainsi, ô saint évêque, votre grande âme, comme le soleil, éclaire le monde; il lance ses rayons, comme vous lancez les vôtres. La chaleur de votre parole fait croître pour l’Église une moisson abondante. Pauvre des biens d’ici-bas, mais riche de ceux d’en haut, vous irez au ciel chargé de ces richesses, après avoir méprisé tout ce qui n’est qu’humain. Exempt des souillures du monde, inaccessible aux séductions du vice, vous n’avez jamais cédé aux amères voluptés de la chair. Le péché s’avoue vaincu, et la mort n’a pas à se réjouir d’un crime, quand elle voit que votre corps est resté chaste. Dans les temples que vous habitez, vos mains sont si pures, que votre coeur est lui-même un temple de Dieu; il est je vase précieux que le Christ choisit pour s’y renfermer, la maison purifiée où il s’est établi. Le mensonge n’est point sur vos lèvres; votre pensée ne s’enveloppe jamais de nuages, et la sincérité de votre âme se montre en tout ce qui sort de votre bouche. Votre docte éloquence en jaillit comme de source et coule comme un fleuve; votre parole féconde les sujets les plus arides. Vous expliquez à la terre les plus redoutables mystères du ciel, et c’est par vous que les hommes apprennent à connaître, à craindre, à aimer, à adorer le Seigneur. Le dogme divin prête à votre éloquence une force irrésistible, et vos enseignements mettent vos ouailles en garde contre l’erreur. Vous leur prodiguez à la fois les trésors du ciel, ceux de la terre et ceux des eaux; vous assouvissez tous leurs appétits, en leur donnant en même temps le pain du corps et celui de la foi. Le pauvre est secouru, l’affligé est consolé, le nu reçoit des vêtements; tout ce qui vous appartient appartient à tous. Vivez longtemps en bonne santé parmi nous, en attendant que vous alliez jouir d’une vie meilleure, et longtemps encore priez pour votre troupeau.

XXIV. Au vénérable prêtre Anflon (1).

O vous qui à la plus ardente piété unissez la plus aimable indulgence, vous dont le visage reflète votre belle âme, vous dont il m’a suffi de contempler une fois les traits pour distinguer en vous tous les signes d’une raison supérieure, Anflon, père bien-aimé, saint prêtre, si digne de mon respect et de mon inaltérable tendresse, on ne peut vous approcher sans se donner à vous tout entier. Vous ne demandez point aux nouveaux venus quelle est leur origine; votre coeur les adopte sans vous en informer davantage; votre bienveillant accueil les captive et les oblige à s’attacher à vous pour toujours. Votre raison est ferme autant que votre esprit est vif; votre prudence ne se laisse point déconcerter; vous usez avec sagesse de l’autorité que vous donne votre âge; vous n’acceptez qu’avec réserve les hommages que notre zèle se plait à vous rendre. Toujours disposé à honorer le mérite, votre inépuisable bonté ne néglige personne; l’étranger qui arrive dans votre ville vous a bientôt donné son coeur. Votre charité accueille et nourrit les voyageurs, votre maison hospitalière est ouverte à tous les peuples. Le pontife Léonce a loué vos vertus; on ne peut hésiter à croire au témoignage d’un si grand homme.

XXV. A Paternus, abbé (1), sur un manuscrit corrigé.

J’ai enfin obéi à vos ordres, Paternus, prêtre vénérable, qui méritez si bien d’être appelé père, dont les vertus sont une parure pour l’autel du Christ, et dont les prières et les voeux ne peuvent être que bien accueillis par, le Seigneur. Si j’ai laissé échapper quelque faute, je vous prie en grâce de me le pardonner; ma main n’est que trop sujette, hélas! à l’erreur. Tout ce que je vous demande en vous saluant ici, c’est de vouloir bien, quand vous relirez ces pages, penser à celui qui les a écrites.

XXVI. A Ruccon, diacre et bientôt prêtre (1).

Bon Ruccon, digne serviteur des autels, je vous envoie d’ici et à la hâte un salut affectueux. Autour de moi bouillonnent les flots soulevés de l’Océan, et vous, mon cher frère, vous êtes à Paris. La Seine vous retient sur ses rivages, et moi je suis bloqué par la mer de Bretagne (2). Malgré la distance qui nous sépare, une mutuelle affection nous rapproche. Les ondes en fureur ne parviennent pas à me cacher votre visage, ni le vent du nord à chasser votre nom de mon coeur. Le souvenir de votre amitié me revient sans cesse, comme les eaux de la mer reviennent à ses rives pendant la tempête. Et de même que la mer est troublée quand souffle l’Eurus, de même, ami, mon coeur ne peut être en repos, quand je suis loin de vous. Toutefois l’agitation qu’il éprouve est délicieuse, et tous ses mouvements, capricieux en apparence, l’entraînent de votre côté. Pensez à moi à votre tour; priez Dieu pour moi, comme je le prie pour vous, afin qu’il nous accorde à tous deux également les grâces dont le Christ comble ceux qu’il aime, et que toutes nos paroles et toutes nos pensées n’aient que lui pour objet.

XXVII. A l’archidiacre de Meaux.

S’il m’avait été donné de voir seulement votre visage, je vous remercierais avec effusion d’une telle faveur. Vous m’avez obligeamment envoyé du vin; un si aimable présent prouve combien vous êtes aimable vous-même. Si vous mettez tant d’empressement à obliger outre mesure celui que vous n’avez jamais vu, comment traitez-vous donc ceux qui sont près de vous et que vous voyez tous les jours? Puisse le ciel vous combler de ses biens, digne serviteur de Dieu, qui veillez avec tant de sollicitude sur votre troupeau!

XXVIII. Au diacre Jean (1).

Recevez ces petits vers, mon cher Jean, comme un gage qui vous rappellera toujours mon amitié pour vous. Au moment de partir pour des pays inconnus, je ne veux pas du moins, mon ami, être absent de votre coeur. Saluez pour moi le vénérable Anthémius, chez qui j’ai trouvé une affection si solide. Je nommerai aussi à cette place Hilaire, qui m’a si fidèlement aimé; et auquel je le rends bien. Jouissez longtemps du bonheur dû à vos vertus, et, quand vous relirez ces vers, pensez à moi.

XXIX. Au diacre Anthémius.

Recevez, Anthémius, ces petits vers, comme un gage de mon amitié et de l’affection sincère qui me les a dictés. Un doux sommeil fermait vos paupières, et vous étiez au lit vous reposant de vos fatigues. J’hésitai, je l’avoue, car je ne voulais pas vous réveiller; c’était une faute, mais sans cette faute, vous n’auriez pas si bien dormi. Je me retirai sans bruit ni paroles, comme un voleur, et sans vous embrasser ni vous dire : adieu, cher frère. Je n’ai pu confier à votre amitié mes dernières recommandations, et je me suis privé d’une heure d’entretien avec vous. Je prends Dieu à témoin qu’il m’a été extrêmement pénible de partir ainsi sans recevoir vos adieux. Mais ce que j’aurais voulu vous dire de vive voix, cette courte lettre vous le dira pour moi. Voici les voeux que je vous adresse et que Dieu entend : soyez aimé partout et par tous. Quant à moi, ce n’est ni de vêtements ni d’argent que j’ai besoin ; un peu d’amitié, voilà ce que je demande, et ce que personne ne me refusera.

XXX. Au diacre Sindulfe.

Cher frère en Dieu, digne par votre belle conduite de vivre dans la mémoire des hommes, vous que mon coeur n’oubliera jamais, cher frère en Dieu, suivez avec joie la route glorieuse qui mène au ciel, et pour vous élever jusqu’à ces hauteurs sublimes, suivez avec joie cette route glorieuse. Portez patiemment votre charge, sacrée, et ne vous en lassez jamais; si vous voulez connaître un jour le repos, portez patiemment votre charge sacrée. Il faut plier le cou docilement, car le joug du Christ est léger, et pour mériter son assistance, il faut plier le cou docilement. Celui qui cultive son champ, remplit ses greniers; il ne connaîtra jamais la faim, celui qui cultive son champ. Le marin vole sur les flots à la poursuite de la fortune; pour faire agréer ses marchandises, le marin vole sur les flots. Il brave intrépidement la mort, quand la tempête est déchaînée ; pour gagner et s’enrichir, il brave intrépidement la mort. Le soldat court au combat, et pour un laurier affronte mille blessures; pour revenir vainqueur, le soldat court au combat. Combattez comme lui, cher compagnon; pour triompher comme lui, combattez comme lui. Quand on est soutenu par l’amour, oui ne sent pas la fatigue, et l’on n’y succombe jamais, quand on est soutenu par l’amour. En vous envoyant ces petits vers, je fais en même temps des voeux pour votre santé; faites-en de meilleurs pour moi, je vous en prie en vous envoyant ces petits vers (1).


 

NOTES SUR FORTUNAT, LIVRE III.

I.

(1) — Saint Eufronius, dix-huitième évêque de Tours, prédécesseur de Grégoire, mourut en 573, à l’âge de 70 ans, après 17 ans de pontificat. Voyez Grégoire de Tours, Hist. Fr., X, 31 et de Miraculis Sancti Martini, II, 1. Eufronius était évêque de Tours quand Fortunat vint pour la première fols dans cette ville visiter le tombeau de saint Martin.

(2). — Fortunat était à Poitiers au moment où il écrivait cette lettre à Eufronius.

II.

(1). — Brower pense que cet Aventius ou Avantius est le même que celui dont parle Grégoire de Tours, Hist. Fr. VIII, cap. 39, et qui nommé évêque de Vienne, mourut la onzième année du règne de Childebert, c’est-à-dire en 586. Un autre Eventius est rappelé par le même Grégoire, ibid. X, cap. 2. Envoyé en ambassade à Constantinople par Chilpéric, il vint, à son retour, à Carthage où il fut tué dans une sédition populaire. Que ce soit de l’un ou de l’autre que parle Fortunat, c’est ce qu’il est difficile d’affirmer. Peut-être même n’est-ce d’aucun des deux.

III.

(1). —. « Vous êtes un vrai Israélite. » Ce sont les propres paroles que Jésus-Christ adresse à Nathaniel, dans saint Jean, I, 47: Ecce vere Israelita in quo dolus non est.

Il faut lire dans notre texte vir es, et non virens ou vires. Les Israélites sont ainsi nommés en plusieurs passages des Actes des Apôtres « Viri Israelitœ. » On nommait Israélites, aux quatrième et cinquième siècles, les vrais catholiques. — Ch. N.

IV.

(1). — Félix, évêque de Nantes, mourut la 7e année du règne de Childebert, c’est-à-dire en 582, après 33 ans de pontificat (Grégoire de Tours, Hist. Fr., VI, 15). Grégoire raconte qu’il y eut entre Félix et lui de graves dissentiments, ce qui n’empêcha pas, dit Lucchi, que Félix fût considéré comme un saint par les habitants de Nantes, qui vénérèrent sa mémoire.

(2). — L’archipel des Echinades, dans la mer Ionienne, à l’embouchure de l’Achéloüs. (Sur les Echinades, voyez Pline, II, 87, éd. Littré; Thucydide, II, 105; Ovide, Métamorphoses, VIII et Denys, Description de la terre, vers 430 et suiv.). Elles sont aujourd’hui pour la plupart réunies au continent par les alluvions de l’Achéloüs. Dès le temps de Thucydide, elles commençaient à s’ensabler.

(3). — Fortunat fait sans doute allusion à l’hymne aux Dioscures, qui commence ainsi:

μφὶ Διοσκόρους, λικόπεοες σπετε Μοῦσαι.

Cette allusion ainsi que la mention faite plus loin de Canobus et des Symplégades, annonce une certaine lecture d’Homère. Je crois cependant que Fortunat ne le citait guère, comme tout ce qu’il cite des poètes grecs, que d’après ce que d’autres en avaient dit avant lui, ou d’après des traductions latines. Il paraît bien n’avoir su de grec que quelques mots de l’école, comme ceux qu’on lit dans sa préface à Grégoire de Tours, lesquels il écrivait en lettres romaines. — Ch. N.

(4). — Brower explique ainsi ce passage obscur :

Les Chérusques étaient un peuple de la Germanie, habitant les bords de l’Elbe, dans le pays des Saxons, et vivant de piraterie et de brigandage; aussi leur nom servit-il à désigner d’une manière générale les Saxons qui, à maintes reprises, descendront sur les côtes de la Gaule et dévastèrent le pays. Sidoine Apollinaire parle d’une de leurs incursions dans une lettre à Nammatius (l. VIII, ep. 6). Ce qui les rendait surtout redoutables, c’était la légèreté de leurs embarcations (Myoparones) et l’habileté avec laquelle ils les dirigeaient.

Canopus ou Canobus (te mihi Canobo, avec un pilote tel que vous) était le pilote de Ménélas. Il a donné son nom à une île située à l’embouchure d’une des branches du Nil appelée Canopique, où est aujourd’hui Aboukir.

Les Symplégades sont des îles du Pont-Euxin, près du Bosphore. (Voyez Pline, VI, 13, éd. Littré, Pomponius Méla, XI, et surtout Homère, Odyssée, XII et Ovide, Métamorphoses, XV, 7). Au dire des poètes, ces îles, nommées aussi Cyanées, s’entrechoquaient et écrasaient les navires qu’elles saisissaient au passage. Le vaisseau des Argonautes franchit le premier, sans dommage, cette passe redoutable; depuis lors, les Symplégades furent fixées et cessèrent de se jeter l’une sur l’autre.

Fortunat veut donc dire qu’avec Félix pour pilote (Canope), il monterait sur une barque des Chérusques ou des Saxons, et ne craindrait pas de passer entre tes Symplégades.

Lucchi ajoute, d’après Grégoire de Tours (Hist. Fr., II, 19), que les Saxons s’étaient établis dans des îles d’où ils furent chassés par les Francs. Ces îles étaient probablement situées à l’embouchure de la Loire, et l’on peut supposer qu’après la victoire des Francs, les Saxons échappés au massacre continuèrent à vivre sur ces côtes, soit comme pirates, soit comme bateliers sur la Loire. C’est sans doute à ces Saxons que fait allusion Fortunat dans ce passage : Cheruscis accersentibus myoparonem praepetem.

Une des îles où il y avait encore des Saxons était l’île de Batz, ils s’y étalent fixés au cinquième siècle, après avoir eu à combattre le héros de Cornouailles, le roi Gradion (Voyez la Vie de saint Guénolé ou dans Godescard, ou dans Baillet). C’est à Félix, évêque de Nantes, qu’on attribue leur conversion, ainsi que le rappelle encore la petite chapelle du Crucifix, entre le Bourg et le Croisic. Ch. N.

(5). — Des chants ithyphalliques, c’est-à-dire des poésies en vers ithyphalliques, ou trochaïques dimètres catalectiques. C’était, chez les Grecs, le mètre des chants licencieux en l’honneur de Bacchus. L’évêque de Nantes l’avait assurément employé à un autre usage. On peut du reste supposer, avec Brower, que Fortunat s’est servi de ce mot sans en connaître le sens précis.

(6). — C’est à tort que Brower et Guérard, qui adopte cette opinion, tirent des termes me ... Radegonde muro caritatis inclusum, la preuve que Radegonde se trouvait alors avec Fortunat dans l’île dont il est question,

Brower a pris ce mur de la charité par lequel le poète exprime son solide attachement pour Radegonde, et l’empire qu’elle exerçait sur lui, pour le mur de quelque monastère oit il la suppose faisant une retraite avec Fortunat; il ne se souvient pas qu’une religieuse ne sortait pas ainsi de son couvent, et que Radegonde, toute reine qu’elle était, allègue elle-même cette règle de clôture absolue, dans l’Excidium Thoringiœ, où, vers 105 et 106, elle dit à son cousin :

Sacra monasterii si me non claustra tenerent,

Improvisa aderam qua regione sedes.

Voyez sur cette île la note 4 de la pièce xxix de l’Appendice. — Ch. N.

(7). — Ces deux derniers vers offrent quoique obscurité, quoique les mots en eux-mêmes, pris isolément, soient assez clairs; réunis, ils ont je ne sais quoi d’énigmatique. Remarquons ici toutefois que le mot sensus n’est pas un substantif, mais est le participe passé du verbe sentire, dont on ne trouve aucun exemple dans la bonne latinité. Coelius Aurelianus, médecin qui vivait probablement au cinquième siècle, emploie ce participe dans le sens et comme ici avec le régime de praeditus. Il dit dans son traité De acutis morbis, I, 14: Asclepiades constituerat atomos corpuscula intellectu sensa: Asclépiade avait établi que les atomes étaient de petits corps doués d’intelligence. — Ch. N.

V.

(1). — Grégoire de Tours raconte, Hist. Fr., V, 32, qu’en 579 les Bretons ravagèrent le territoire des villes de Nantes et de Rennes. Félix, évêque de Nantes, leur adressa des représentations, et ils promirent de réparer le mal qu’ils avaient fait, mais ils ne tinrent pas leur promesse. Fortunat fait une nouvelle allusion à cette intervention de Félix, pièce viii de ce livre

Insidiatores removes, vigil arte, Britannos;

Nullius arma valent, quod tua lingua facit.

VI.

(1) — Cette cérémonie eut lieu vers 568. Eufronius, qui y assistait, mourut en 573; or il survécut et à Domitianus, évêque d’Angers, nommé également dans ce passage, et à Baudigisius, successeur de Domitianus.

(2). — Sur Eufronius, voyez ci-dessus livre III, pièce iii, note 1.

(3). — Domitianus, évêque d’Angers, assista au deuxième concile de Tours en 566 ou 567.

(4). — Victorius, évêque de Rennes, assistait également au deuxième concile de Tours.

(5). — Sur Domnulus, évêque du Mans, voyez Grégoire de Tours, Hist. Fr., VI, 9.

(6). — Romacharius, évêque de Coutances.

(7). — On ne peut pas admettre que la peuple accompagnât les chants du choeur avec des instruments quelconques; cela eût fait un beau tapage. Mais si par choraules on entendait un musicien qui accompagnait sur la flûte le choeur du théâtre chez les Grecs, on entendait aussi par là en général des chanteurs dans un concert, par opposition à l’auloedus qui jouait des solos sans accompagnement vocal (Voyez Rich. Dict. des Antiq. au mot Choraules). Quant aux mots clericus ecce et plebe inde. Ils me semblent impliquer manifestement des chants alternés. Cf. l. II, pièce ix, ce qui est dit des chants de l’église de Paris. — Ch. N.

(8). La triple voûte du temple. Brower croit que Fortunat entend par cette expression la grande nef et les deux bras du transept de la basilique, dont le plan figurait une croix; cf., dans la pièce suivante, aulae forma triformis.

VII.

(1). — Ces reliques avaient été envoyées de Rome.

(2). — J. Quicherat, dans sa description de la basilique de Saint-Martin à Tours (Revue archéol. 1869, t. XIX, p. 405, 406), s’exprime ainsi : « Je trouve dans plusieurs auteurs mérovingiens la mention d’une tour qui tenait à la basilique, qui en constituait une partie essentielle, et qui cependant n’était pas un clocher... Le texte le plus ancien par lequel ce fait est mis en évidence est celui de Fortunat dans ses vers sur la nouvelle cathédrale de Nantes que l’évêque Félix venait de faire reconstruire vers 570. » J. Quicherat cite ces vers, à partir du vingt-septième Vertice sublimi, etc., et ajoute : « Ce langage prétentieux ne saurait être rendu en français, à moins d’être paraphrasé. » Nous avons adopté pour notre traduction cette paraphrase, par respect pour l’éminent critique, sans oser dire, je le confesse, qu’il ait bien entendu le terrible latin de Fortunat. Cette description, continue-t-il, ne laisse pas de place au doute. Il s’agit d’une tour lanterne posée au milieu du transept et surmontée d’un campanile. Carrée à sa naissance, elle avait pour base ces quatre grands arcs que nous trouvons aujourd’hui en avant du choeur de presque toutes nos églises. Eh bien, c’est d’une tour de ce genre que je suis amené à supposer l’existence dans la basilique de Saint-Martin, concluant d’une pratique si bien constatée pour le sixième siècle, qu’elle pouvait avoir déjà cours cent ans auparavant. Voyez sur la restauration par Grégoire de Tours de la basilique de Saint-Martin, bâtie par l’évêque Perpétue en 472, la pièce vi du l. XI de notre poète, et Grégoire lui-même, Hist. Franc., X, 31, nos 18 et 19. — Quant aux ornements de cette église, ce sont les mêmes que ceux de la basilique élevée par Léonce, en l’honneur de saint Bibien ou Vivien (I, pièce xii). Sidoine Apollinaire, Epist., II, 10, cité aussi par Brower, dit que la basilique de Saint Patiens, à Lyon, était ornée de la même manière. L’évêque Félix mourut en 583 ou 884. Cent ans plus tard, Ina, roi de Wessex, fit graver sur une église une légende dont la première partie est empruntée au morceau qu’on vient de lire, et la fin à une autre pièce épigraphique de Fortunat (II, xiv). Ce fait et la ressemblance de notre petit poème avec le titulus de la basilique de Saint-Patiens suffisent à démontrer qu’il s’agit ici d’une inscription murale. (Le Blanc, Inscript. Chrét. de la Gaule, t. I, p. 263.)

(3). — La même image est pièce xii, du l. I, V. 16 et 17.

(4). — Le poète Prudence, Peristephanon, XII, v. 42, dit la même chose à peu près dans les mêmes termes:

Credas moveri fluctibus lacunar.

Voyez aussi Sidoine Apollinaire, Ep. II, 10, sur la basilique de Lyon, bâtie par Patiens, évêque de cette ville.

Intus lux micat, atque bracteatum

Sol sic sollicitatur ad lacunar

Fulvo ut concolor erret in metallo.

VIII.

(1). — Félix appartenait sans doute à la noble et puissante famille des Félix d’Aquitaine, il y a une pièce de Sidoine Apollinaire adressée à Félix Magnus, préfet du prétoire et patrice, fils de Félix Magnus, consul. On trouve dans Cassiodore (Lib. II, ep. 1) une lettre de Théodoric à l’empereur Anastase sur le consulat de Félix, et une autre (ép. 2) adressée à Félix lui-même, pour lui notifier son élévation au consulat.

(2). — Grégoire de Tours raconte (Hist. Fr., LV 4) que Chanaon, comte de Bretagne, après avoir tué trois de ses frères, voulait également faire mettre à mort le quatrième, et que Félix, évêque de Nantes, l’empêcha de commettre ce meurtre. Le terminus irae serait donc une allusion à ce fait.

(3). — Voyez ci-dessus la note 1 de la pièce v. — Autre allusion, selon Brower, aux efforts de Félix pour préserver son troupeau du pélagianisme, l’hérésiarque l’étage étant Breton. Il est plus probable, comme le pense Lucchi, qu’il s’agit ici, aussi bien que dans la pièce v, note 1, des incursions armées des Bretons momentanément arrêtées par l’intervention de Félix.

IX.

(1). — Le début de cette pièce jusqu’au vers 39: Salve, festa dies manque dans certaines éditions. Elle a été attribuée faussement à Lactance. Le Félix dont il y est question est encore et évidemment l’évêque de Nantes. On ne peut donc pas douter que la pièce entière soit de Fortunat.

(2). — Mensum pour mensium, par synalèphe. Ainsi Ovide, Fastes, V, v. 481.

Cum tua sint, cedautque tibi confinia mensum.

(3). —Tous les manuscrits portent arma dicrum. On ne sait ce que cela veut dire; le texte est certainement corrompu. Nous proposons alma qui donne au moins un sens raisonnable : alma (dies) dierum. Cette correction est de celles qu’il ne faut pas hésiter à introduire dans le texte, et c’est ce qu’on a fait.

(4). — Ce passage est une allusion à l’Évangile selon saint Mathieu, XXV, 22: « Celui qui avait reçu deux talents vint aussi se présenter à son maître et lui dit : Maître, vous m’aviez donné deux talents, on voici deux autres que j’ai gagnés. Le maître lui répondit: O bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de choses, je vous établirai sur beaucoup d’autres. Entrez dans la joie du Seigneur. »

(5). — Brower se demande comment Félix, qui était à Nantes, avait pu exercer sa piété au profit des Saxons séparés de son diocèse par tant de pays, et pense qu’une grande partie de ce peuple abattu par les fréquentes défaites que les Francs lui avaient fait subir, avait été transportée dans la Gaule, et que, pour les convertir au Christ, Félix avait déployé tout son zèle et usé de la plus grande libéralité. Ne s’agit-il pas plutôt des Saxons établis dans les lies à l’embouchure de la Loire? Voyez Grégoire de Tours, Hist. Fr., II, 19, et la note 4 de la pièce iv de ce livre.

X.

(1). — Probablement un bras de la Loire, ou un affluent; peut-être, selon Brower, le Cher (Caris), dont li est question dans ce passage de la pièce vis du livre v, adressée à Félix

Qua tua rura lavat vitrea Liger algidus unda,

Cariaci speciosus ager devexus in amnem,

Hinc ubi flumen aquis recreat...

XI.

(1). — Grégoire de Tours, De vit. Patrum, c. 17, raconte la vie de Nicétius, et fait son éloge, Hist. Fr., X, c. 29, et De Glor. Confess., c. 94. Exilé par Clotaire, dont il avait hardiment censuré les vices, Nicétius fut rappelé et rétabli sur son siège par Sigebert, à l’avènement de ce prince. Il mourut vers l’an 566. Cette pièce et la suivante ont donc été composées peu de temps après l’arrivée de Fortunat en Gaule en 565. Brower fait mourir Nicétius en 564. C’est une erreur; car alors comment Fortunat aurait-il pu le connaître, lui-même n’étant pas encore en Gaule?

XII.

(1). — Brower place ce château de Nicétius à peu de distance de Coblentz, à un endroit appelé aujourd’hui la roche de l’évêque (Bischoffsteln). Il a vu un ancien manuscrit où cette pièce figure avec ce titre.

(2). — Non loin de l’endroit où Brower place le château de Nicétius, coula la petite rivière le Rhon, sans doute le parvus Rhodanus de Fortunat.

(3). — Selon Brower, ce nom désigne ici le pays compris entre le château de Nicétius et la Moselle.

(4). — Cf. livre I, pièce xix, la description de la villa Vérégines, et livre X, pièce ix, la description de la villa de Childebert à Andernach.

(5). — Les pieux évêques de cotte époque avalent l’habitude de bâtir des chapelles ou des églises près de leurs maisons de campagne. Voyer, livre I, pièce vi, la description de la basilique de Saint-Martin.

(6). — Gemino ballista volatu. Browear entend deux ballistes, dont l’une lançait des javelots, l’autre des idpierres. Il ajoute que Fortunat a peut-être voulu par ce gemino volatu désigner les deux ailes que portait le trait pour fendre l’air plus facilement.

XIII.

(1). — Vilicus succéda, à Metz, à Héspérius qui avait assisté au concile de Clermont en 535. Il occupa ce siège pendant vingt-cinq ans et deux mois, ainsi que l’affirme Lecointe, à l’année 566, d’après un manuscrit de Saint Symphorien de Metz. Mais d’après un autre manuscrit Indiqué par Brower, Vilicus aurait vécu sous les papes Pélage I, Jean III et Benoît I, Justin et Tibère étant empereurs d’Orient. Or, Benoît fut élu pape en 572, et Tibère déclaré César par Justin en 574, et Auguste en 578. Voyez Lecointe, loc. cit., qui d’après le manuscrit de Saint Symphorien, donne le catalogue des évêques de Metz, et des années pendant lesquelles ils ont siégé. Il pense que Vilicus est mort dans l’année 562, la même ou à peu près que celle ou Fortunat est venu en Gaule.

(2). — Metz est située dans l’angle formé par le confluent de la Moselle et de la Seille, en partie sur une colline qui s’élève entre les deux rivières, en partie sur leurs bords, à l’un des points les plus agréables du bassin de la Moselle. La vallée de cette rivière, très élargie aux environs de Metz, est limitée, surtout sur la rive gauche, par une suite de riants coteaux qui offrent plusieurs sites très pittoresques. La Moselle se divise en trois bras dans la traversée de Metz où elle forme deux îles, dont l’une très étendue se prolonge au delà de la ville en une vaste plaine. La Seille se partage également en deux bras, en entrant Metz, et y renferme dans une île les quartiers de l’Est. (Itinéraire général de la France. Vosges et Ardennes, par Ad. Joanne, 1808, page 550). Les rois d’Austrasie avaient un palais à Metz. Sur ce palais et sur le site de la ville, voyez notre poète X, ix.

(3). — Allusion au maître qui donna cinq talents à un de ses serviteurs, deux à un autre, un seul à un troisième, pour les faire valoir à son profit. C’est ce que firent les deux premiers, mais le troisième cacha le talent qu’il avait reçu dans la terre, au lieu de le taire valoir, et frustra ainsi son maître du gain qu’il en espérait recueillir. Voyez cette parabole en saint Mathieu, ch. XXV.

a. b. c. d.

(1). — Lucchi pense que Fortunat, traversant la Germanie pour venir en Gaule, reçut de Vilicus un accueil amical et hospitalier, et qu’il lut ces petites pièces à la table de son hôte.

XIV.

(1). Carentinus succéda à Somoenus sur le siège de Cologne et eut pour successeur Ebrégisilus qui, en 590, fut délégué avec d’autres évêques par Childebert pour mettre fin aux troubles et aux scandales du monastère de Sainte-Croix, à Poitiers. Voyez Grégoire de Tours, Hist. Fr., IX, 41.

(2). —Selon Lucchi, Fortunat semble insinuer que lors de son voyage en Germanie, Carentinus lui donna l’hospitalité.

(3). — Saint Paul, I Corinth. XIII, 13.

XV.

(1). — Igidius, évêque de Reims, fut en grand crédit auprès du roi Childebert, qui le chargea d’une mission très importante près de Chilpéric. Convaincu plus tard de trahison envers Childebert, il fut déposé par un synode, en 590, et relégué à Strasbourg. Voyez Grégoire de Tours, luit. Fr., X. 10. Cette pièce en l’honneur d’Igidius a donc été écrite avant l’année 590, c’est-à-dire avant la condamnation de I’évêque de Reims.

(2). — Flodoard, Hist. Eccl. Rhem., II, 2, dit que le patrimoine de l’église de Reims fut augmenté considérablement par Igidius, principalement par suite de la libéralité du roi Childebert.

XVI.

(1). — Selon Brower, Hilaire, évêque de Javols, dans la Gévaudan, mais cet Hilaire était déjà mort en 541, lors du quatrième concile d’Orléans, auquel assista son successeur Evanthius, il y eut un autre Hilaire, évêque de Digne en 534. Peut-être est-ce à celui-ci qu’est adressée cette petite pièce.

XVII.

(1). — Il y eut, au temps de Fortunat, deux évêques du nom de Berthramn. — Berthramn, évêque de Bordeaux, était au synode de Mâcon en 585 et mourut la même année. Voyez Grégoire de Tours, Hist. Fr., VIII, 22. — Berthramn, évêque du Mans, succéda à Badégésilus en 586. Il était au nombre des évêques envoyés à Poitiers en 590 avec Ebrégisilus, pour mettre fin aux troubles du monastère de Sainte-Croix. Voyez ci-dessus pièce xiv, note 1. Il est difficile de dire auquel de ces deux évêques est adressée cette pièce.

XVIII.

(1). — Fortunat parle encore des récitations poétiques qui avaient lieu au forum de Trajan, pièce viii du livre VII.

Aut maro Trajano lectus in urbe foro.

D’après Brower, qui s’appuie sur le témoignage de Sidoine Apollinaire, le forum de Trajan était décoré de statues d’écrivains célèbres. Voyez Sidoine Apoll., l. III, ep. 8.

XIX.

(1). — Selon Brower, Agricola, évêque de Chalon-sur-Saône. Mais cet Agricola, dont Grégoire de Tours parle avec éloge au ch. 46 du livre V de l’Histoire des Francs, mourut en 580, à l’âge de 83 ans, après 48 ans de pontificat. Fortunat n’a donc pas pu être élevé avec lui. Mais il a pu l’être avec Agricola, évêque de Nevers en 580, qui assistait en 583 au premier concile de Mâcon, qui fut envoyé en 590 au monastère de Sainte-Croix avec Ebrégisilus (V. ci-dessus, note 4 de la pièce xviii) et qui mourut en 594.

XX.

(1). — Félix, évêque de Bourges en 568, assista au quatrième concile de Paris en 573 et mourut peu de temps après. Voyez Grégoire de Tours, De Gloria Confess., 102.

(2). — Margaritum ingens. Les écrivains grecs, dit Lucchi, appelaient Margaritae les parcelles de l’eucharistie destinées aux malades; le vase, qui est ici en forme de tour, où on les gardait, reçut lui-même le nom de Margaritis. Prudence, décrivant le palais de la sagesse dans la pièce intitulée Psychomachia, sa sert aussi de l’expression margaritum ingens. Voyez d’ailleurs du Cange au mot Margarita. D’après Brower, Félix en faisant faire ce Margaritum se conformait aux décisions du deuxième concile de Tours (566), qui avait prescrit de placer les hosties consacrées sous la croix de l’autel. — Ch. N.

(3). — C’est chez cette veuve de Sirapta ou plutôt Saropta, dans le pays des Sidoniens, que le prophète Élie, après avoir fermé le ciel, c’est-à-dire arrêté la pluie et la rosée pour une période de trois ans, fut envoyé par la Soigneur pour y être nourri (Rois, III, 47,9 et suiv. Cf. Luc, IV, 81). Le poète la confond avec cette autre veuve de l’évangile, dont le pays n’est point indiqué, et que Jésus vit un jour dans le temple mettre deux petites pièces de monnaie dans te tronc des pauvres (Luc, XXI, 1 et suiv.). — Ch. N.

XXI.

(1). — Cet Avitus succéda sur le siège épiscopal de Clermont, en Auvergne, à Cantinus, qui mourut en 571. Quant à lui, il mourut en 594 et fut canonisé. C’est saint Avit. Grégoire de Tours, Hist. Fr., IV, 3, et de Vitis Patrum, c. 8, en fait un grand éloge.

(2). — Grégoire de Tours, loc. cit., parle aussi de la faveur dont Avitus était l’objet à la cour du roi Childebert.

XXIII.

(1). — Agéric succéda à Desideratus, évêque de Verdun, en 550. Il était très aimé du roi Childebert. Il mourut de chagrin en 588, à la suite du meurtre de Gontran Boson, pour lequel il s’était porté caution, et de Berthefroy, qui s’était réfugié dans son oratoire et qu’il ne put sauver de la fureur des soldats de Childebert. Voyez Grégoire de Tours, Hist. Fr., IX, 33.

(2). — Sur les basiliques bâties ou restaurées à Verdun par Agéric, Voyez Lecointe, Annal. Eccles., année 562. n° 47.

(3). — Voyez ci-dessus la pièce vii.

XXIV.

(1). — Auflon était probablement un prêtre du clergé de Bordeaux, puisqu’à la fin de la pièce, Fortunat rappelle les louanges que lui a données Léonce, évêque de cette ville.

XXV.

(1). — Brower pense que ce Paternus est celui qui fut évêque d’Avranches. Mais, fait remarquer Lucchi, Paternus, évêque d’Avranches, mourut au plus tard en 565, après treize ans de pontifical. Fortunat ne l’a donc probablement pas connu, et certainement ne l’a pas connu abbé. En tout cas, nous apprenons par cotte pièce que Fortunat transcrivait des manuscrits. Voyez la note 8 de la première pièce du livre VII..

XXVI.

(1). — Voyez sur ce Ruccon la pièce x, note 1, du livre IX.

(2). — Fortunat était alors dans quelque île voisine des côtes de la Bretagne.

XXVIII.

(1). — Peut-être le diacre Jean dont parle Grégoire de Tours, De Gloria Martyr., I, 49 et 88. Parti de France avec la lèpre, il alla en Palestine, se lava dans l’eau du Jourdain et revint guéri, rapportant des reliques de la Vierge Marie.

XXX.

(1). — On appelait ophites ou serpentins, à cause de leur allure sinueuse, ces poèmes dans lesquels la second hémistiche du pentamètre répétait le premier hémistiche de l’hexamètre. Brower remarque que les anciens ont très rarement usé de cet arrangement. La pièce ii du livre VIII de Fortunat en offre un nouvel exemple. Paul Diacre l’a employé dans une pièce en l’honneur de saint Benoît. Sidoine Apollinaire, livre VIII, ep. 11, parle de ce genre de poème qu’il appelle échoïque. Sirmond, dans ses notes sur ce passage de Sidoine, cite un distique échoïque de Pentadius sur le retour du printemps

Per cava saxa sonat pecudum mugitibus Echo,

Voxque repulsa jugis per cava saxa sonat.

Dans Sénèque le rhéteur, Controv., VII, 7, Cestius appelle ces sortes de répétitions, même en prose, des échos, Voyez de plus la note 1 de la pièce ii du liv. VIII.