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Euripide

 

 

ANTHOLOGIE TRAGIQUE

 

1. D'Alceste à Andromaque

(de 438 à 427)

 

 

 

 

 

 

 

 

Alceste

- Plan de la pièce

- Les dernières paroles d’Alceste

 

Médée

- Plan de la pièce

  Malheureuses femmes !

- Médée et Jason

- Une vengeance implacable

- Les doutes de Médée

 

Hippolyte

- Plan de la pièce

- Maudite Aphrodite !

- Un fougueux jeune homme

- Les aveux de Phèdre

- À Éros

- La haine des femmes

 

Andromaque

- Plan de la pièce

- Hermione humilie Andromaque

- Diatribe contre Sparte

- Morale de la tragédie

 

 

 

ALCESTE

 

Ἄλκηστις

 

(438)

 

 

 

À Phères en Thessalie,

devant le palais.

 

Prologue : monologue d'exposition dit par Apollon ; le dieu a obtenu qu'Admète échappe à la mort à la condition qu'il soit remplacé par un autre. Son vieux père refuse de se sacrifier malgré son âge. C'est alors que la femme d'Admète, Alceste, se propose de mourir. Thanatos demande en vain sa grâce à Apollon.

Parodos : chant de deuil pour Alceste.

Épisode 1 : une servante raconte au chœur les adieux d'Alceste.

Stasimon 1 : lamentations sur le malheur d'Admète.

Épisode 2 : Alceste expose ses dernières volontés qu'Admète accepte de suivre. Elle meurt. Son fils Eumélos chante sa souffrance. Plaintes d'Admète.

Stasimon 2 : éloge d'Alceste.

Épisode 3 : arrivée d'Héraklès. Admète lui offre son hospitalité, mais ne lui annonce pas la mort de sa femme.

Stasimon 3 : éloge de l'hospitalité d'Admète.

Épisode 4 : affrontement entre Admète et son vieux père Phérès à qui il refuse le droit d'accompagner le convoi funèbre. Un serviteur raconte l'ivresse d'Héraklès. Il lui a révélé la mort d'Alceste. Héraklès décide de la ravir à Thanatos. Admète et les choreutes reviennent ; deuil.

Stasimon 4 : Alceste mérite d'être honorée à l'égal des dieux.

Exodos : Héraklès arrive avec Alceste voilée et la rend à son mari.

 

 

 

 

les dernières paroles d’alceste

(vers 280 - 324)

 

Vois ma condition, ô Admète adoré !

Ah ! j'aurais tant à dire avant de trépasser.

J’aurais voulu pour toi prolonger cette vie

Sans me sacrifier. Or je meurs ! J’aurais pu

En Thessalie avoir un noble époux, régner !

Mais je t’aurais trahi, toi et mes orphelins.

Non, vois-tu, c’est la mort que de loin je préfère

Plutôt que l’existence. Ah ! ce sont tes parents

Qui t'ont trahi ! Pourtant c’était leur mission

Que de te secourir : tu es leur fils unique.

Pensaient-ils qu’après toi naîtrait un autre fils ?

S’ils s’étaient dévoués, tous deux nous vivrions !

Tu ne pleurerais point l’épouse qui t’est chère,

Sans l’obligation d’élever ces enfants

Arrachés à mon sein. Mais c’est l’ordre des dieux !

Allons, accorde-moi, toi qui m’es redevable,

Un don auquel je tiens : c’est une faveur moindre

Que mon sacrifice - car rien ne vaut la vie -,

Un sacrifice empreint d'une belle justice.

Tu aimes nos enfants, à moins d'être dément.

Au sein de ce foyer demeure le seul maître.

N’introduis surtout pas une marâtre infecte.

Ivre de jalousie, elle les maudirait

Et les opprimerait. Pas de nouvelle mère,

C'est ma seule prière ! Elle serait pareille

À un cruel serpent, répandant son venin

Sur ces pauvres enfants nés d’un premier hymen.

Ton fils sera présent afin qu’il te prévienne.

Mais pour toi, ô ma fille, Ah ! que j'ai de la peine !

Quelle sera ta vie avant les épousailles ?

Et qui trouveras-tu aux côtés de ton père ?

Que l'outrage survienne, et par le truchement

De paroles impies, ton éclat flétrirait

En empêchant l’hymen. Tu n’auras point l’époux

Qu'une mère choisit. Je ne serai plus là

Pour soigner tes douleurs quand tu enfanteras,

Au moment où rien ne vaut l’amour maternel.

Mais il faut que je meure. Et je n’ai même pas

Le sursis de deux jours offert au condamné.

Dans un instant, la mort viendra pour me ravir.

Enfin, soyez heureux ! Ô Admète, sois fier

D’avoir eu pour compagne un être dévoué.

Vous mes enfants, aimez la plus digne des mères.

 

 

MÉDÉE

 

Μήδεια

 

(431)

 

 

 

À Corinthe, devant le palais où vit Médée.

 

Prologue : une nourrice dit les craintes que lui inspirent les souffrances de Médée. Le Pédagogue qui amène avec lui les deux fils de Médée annonce la volonté du roi de les exiler avec leur mère.

Parodos : le chœur de femmes cherche à consoler Médée.

Épisode 1 : plaintes de Médée. Créon vient confirmer l'exil de Médée. Elle obtient un délai d'un jour. Elle envisage de tuer Créon, sa fille et Jason.

Stasimon 1 : lamentations sur l'exil de Médée.

Épisode 2 : condamnation de Jason par Médée.

Stasimon 2 : Évocation de la Pudeur.

Épisode 3 : Égée, roi d'Athènes, arrive à Corinthe et accepte d'accueillir Médée dans sa cité. Celle-ci décide de tuer ses enfants afin de faire souffrir Jason.

Stasimon 3 : éloge d'Athènes ; horreur face à l'infanticide.

Épisode 4 : Médée feint d'accepter la décision de Jason de se marier avec Glauké et décide de faire porter des présents empoisonnés à cette dernière.

Stasimon 4 : lamentations.

Épisode 5 : adieux de Médée à ses enfants. lamentation sur les meurtres des enfants qui se préparent. Récit de la mort de Glauké et de son père.

Stasimon 5 : monstruosité de l'infanticide.

Exodos : on entend le cri des enfants. Jason arrive alors que déjà Médée est emportée sur le char d'Hélios.

 

 

 

 

 

malheureuses femmes !

(vers 232 - 250)

 

De tout ce qui existe et de tout ce qui pense,

Celles que nous devons plaindre, c'est nous, les femmes.

Tout d’abord, il nous faut acheter un mari,

Soumettre notre corps ensuite à celui-ci :

Ce mal est plus terrible encor que le premier.

Pour finir on se dit : cet acquis fut-il bon

Ou mauvais ? Divorcer est trop déshonorant :

Répudier un mari est interdit aux femmes.

Une fois pénétrée en un monde inconnu,

Sans n'avoir rien appris dans sa propre famille,

Il faut être devin pour tirer de cet homme

L’usage le meilleur. Si, après tant d’épreuves,

Elle a la faculté de lui faire endurer

L’existence en commun, son sort est agréable.

Si elle échoue, alors, la mort est préférable.

Quand la vie au foyer déplaît à un mari,

Il s’en va de chez lui, dissipant son ennui

Près de quelques amis.  Nous ne devons fixer

De nos yeux qu’un seul homme. Bon, on nous dit encor

Qu'au foyer nous vivons dans la sécurité

Pendant qu’ils sont soldats : piètre raisonnement !

J’aimerais mieux me battre et ne jamais subir

            L'affreux accouchement.

 

 

médée et jason

(vers 465 - 495)

 

Monstre infâme ! Voilà la pire des injures

Que ma langue déverse afin de dénoncer

Ton acte ignoble ! Enfin, te voici parmi nous,

Toi qui es l'ennemi des hommes et des dieux.

Tu as tant fait souffrir tes amis : de ta part,

Les regarder de front n'est pas très courageux :

C'est un acte mauvais, c’est un acte odieux.

Mais tu as eu raison de venir en ces lieux

Car je vais t'insulter, ce qui m'apportera

Quelque soulagement, et toi tu souffriras !

Je commencerai donc par le commencement.

Je t'ai sauvé : d'ailleurs, les Grecs qui embarquèrent

Sur le navire Argo le savent bien ; là-bas

On t'avait dépêché pour dresser les taureaux

Dont le souffle est de feu, et pour ensemencer

Les sillons de la mort. C'est moi qui ai tué

Le Dragon qui gardait la belle Toison d'Or,

Lui, cette carapace aux tortueux replis.

C'est ainsi que pour toi j'ai levé le flambeau

De la Vertu. Moi, j'ai trahi père et maison

Pour vivre à tes côtés à Iolcos du Pélion.

J'étais plus empressée que raisonnable, hélas !

J'ai donné une mort effroyable à Pélias,

Et de la propre main de ses filles : ainsi

Ta crainte s'est enfuie. Pourtant tu m'as trahie !

Aujourd'hui, je te vois dans la couche d'une autre

Bien que tu aies des fils... Qu'as-tu fait de la foi

De tes serments ? Crois-tu que les dieux ne sont rien ?

Crois-tu donc qu'il existe en faveur des humains

Quelques nouvelles lois, toi qui consens si bien

            Au malheur qui m'étreint !

 

 

une vengeance implacable

(vers 772 - 810)

 

J'envoie un serviteur au foyer de Jason

Pour qu'il vienne me voir. Et lorsqu'il paraîtra,

Je serai toute douce, approuvant son hymen

Avec sa mijaurée, et même ses projets.

Je lui demanderai qu'il me laisse mes fils,

Non pour les exposer aux maux de ce royaume,

Mais parce que je veux qu'ils soient à mes côtés.

Je vais les envoyer tuer notre princesse.

Ils feront des présents à la jeune épousée ;

Ils lui demanderont de n'être point chassés.

Ces dons : un voile, un précieux diadème.

Une fois effleurée la chose, elle mourra,

Elle, comme tous ceux qui les auront touchés.

C'est ainsi qu'ils mourront dans d'atroces douleurs.

J'arrête ce discours car, sur l'acte suivant,

Je m'afflige : il s'agit  de tuer mes enfants !

Nul ne pourra les épargner. Quittant Jason,

M'exilant, il sera plus facile pour moi

De tuer mes enfants bien-aimés. Oui, ce crime

Est odieux mais être un objet méprisable

Pour mes ennemis, je ne puis le concevoir.

Et leur vie, par ailleurs, est-elle encore utile ?

Je n'ai pas de patrie, je n'ai pas de demeure,

Je n'ai que des tourments. Séduite par un Grec,

J'ai quitté le palais paternel, quelle erreur !

Mais les Divinités vont le faire expier ;

Oui, jamais plus il ne verra ses fils vivants.

De sa femme prochaine, il n'aura point d'enfants

Car mes poisons seront pour elle sans pitié.

Ainsi nul ne dira que je suis résignée.

Mon cœur est contrasté : bonne pour mon ami,

Je suis pour l'ennemi une femme implacable.

Un tel tempérament donne à la vie sa gloire.

 

 

les doutes de médée

(vers 1021 - 1053)

 

Enfants, vous avez une cité, un palais ;

Et toujours vous vivrez sans subir mes alarmes.

Moi, je vais m'exiler dans un autre pays

Avant d'avoir goûté à votre doux bonheur,

Avant d'avoir orné votre lit de mariés,

Avant d'avoir levé le flambeau d'Hyménée.

Ah ! mon terrible orgueil, cause de mes malheurs !

Pauvres enfants, en vain je vous ai éduqués ;

J'ai supporté pour rien l'atroce enfantement ;

J'avais nourri pour vous de belles espérances ;

Vous m'auriez protégée durant mes jours ultimes ;

À ma mort, vous m'auriez enterré de vos mains,

Avec tendresse. Ah ! que la chose est enviable !

Hélas ! tout est fini ! Sans vous, que puis-je faire ?

Traîner une existence accablée de souffrances.

Vous ne me verrez plus avec vos yeux chéris.

Vous vous serez enfuis vers un autre destin.

Mais pourquoi me regardez-vous si fixement ?

Et pourquoi ce sourire, ô ultime douceur ?

Malheur ! Que dois-je faire ? Ah ! je suis sans courage,

Ô femmes, quand je vois leur regard qui rayonne.

Non, je ne puis ! Je vais les mener loin d'ici,

Loin de cette contrée. Adieux, projets anciens !

Quoi ! devoir redoubler les maux qui sont les miens,

Dans l'unique dessein de torturer leur père ?

Ah ! non, affreux projets, je dois vous rejeter !

Mais... Enfin, veux-tu être un objet de mépris ?

Et si tes ennemis demeurent impunis,

Tu te couvres de honte. Allons, un peu d'audace !

Non, non, je ne dois pas céder à la faiblesse !

 

 

 

 

HIPPOLYTE

 

Ἱππόλυτος

 

(431)

 

 

 

À Trézène, devant le palais royal

 

Prologue : Aphrodite annonce son plan : elle veut punir Hippolyte de son mépris à son égard et ce, aux dépens de Phèdre. Hippolyte arrive et honore Artémis avec un groupe de chasseurs. Il refuse toute prière à Aphrodite.

Parodos : des femmes de Trézène s'informent sur la santé de Phèdre.

Épisode 1 : Phèdre avoue à sa nourrice son amour pour Hippolyte. Phèdre par sa dignité émeut le chœur. Sa nourrice va tenter de remédier à cette situation.

Stasimon 1 : le chœur chante le pouvoir d'Éros.

Épisode 2 : Phèdre entend dehors les cris indignés d'Hippolyte qui se plaint de la gent féminine. Elle décide alors de mourir.

Stasimon 2 : le chœur chante son désir d'évasion et se lamente sur Phèdre.

Épisode 3 : une servante annonce que Phèdre s'est pendue. Thésée est informé. Il découvre une tablette où Phèdre accuse Hippolyte de l'avoir déshonorée. Thésée maudit son fils et l'exile.

Stasimon 2 : lamentations sur le destin d'Hippolyte.

Exodos : scène du message : récit de l'accident provoqué par le taureau. Artémis apparaît et annonce la vérité à Thésée. Hippolyte est mourant et pardonne à son père. Artémis annonce qu'elle le vengera.

 

 

 

 

 

maudite aphrodite !

(vers 1 -57)

 

Éparse dans le monde et flottant dans les astres,

Je suis Cypris au nom fameux ! Entre le Pont

Et le grand Océan, je protège tous ceux

Qui veulent mes faveurs ; mais je punis aussi

Ceux qui, à mon égard, déversent leur mépris.

Les dieux ne connaissent que trop cette tendance ;

Et lorsque des mortels leur rendent des hommages,

Chacun s'en réjouit. Mais quelques confidences :

À Trézène, un dément répudie mes faveurs

Et refuse l'hymen : il insulte Cypris !

Hippolyte st son nom, c'est le fils de Thésée ;

Il est le nourrisson du vertueux Pitthée

Et n'aime que la sœur de Phébos, Artémis.

Il la tient comme la plus noble des déesses.

Il parcourt les forêts louant la chasseresse,

Massacrant sans pitié maintes bêtes sauvages.

Je ne le maudis pas, mais l'humiliation

Doit être châtiée. De fait, j'ai contre lui

Médité quelque plan. Ayant quitté Pitthée,

Il était parvenu au cœur de Pandion

Après avoir subi l’initiation.

Phèdre, la noble épouse aperçut ce jeune homme :

Elle brûla pour lui d'un trouble sentiment.

Au moment de partir au pays de Trézène,

Elle bâtit au bord du rocher de Pallas

Une maison afin de surveiller l’endroit

Où résidait le tendre objet de ses amours.

Pour nommer ce logis- qui m'est donc consacré -,

Elle choisit un nom rappelant Hippolyte.

Or depuis que Thésée a quitté sa cité,

Afin d'expier le meurtre des Pallantides,

Il ne vit que là-bas, bien loin de sa patrie.

Et Phèdre se consume en proie aux idées noires !

Nul ne connaît son mal. Mais bientôt, je vous dis,

Ce feu sera connu, et son père tuera

        L'ennemi de ma gloire...

 

 

un fougueux jeune homme

 (vers 99 - 113)

 

Ô amis, pénétrez en ces lieux, au travail !

Préparez le festin ! Avec le plus grand soin

Apprêtez le lait pur et les mets les plus fins.

Quand s’achève une chasse, on aime festoyer.

N’oubliez pas aussi mes généreux coursiers.

Le banquet terminé, je les retrouverai

Et les attellerai au char tout de vitesse.

Dans la plaine ils sauront révéler leur adresse.

Quant à notre Cypris, je la salue bien bas !

 

 

les aveux de phèdre

 (vers 391 - 420)

 

Quand Éros me blessa, je n'eus qu'une pensée :

Comment lui résister avec quelque panache.

Je voulus ne rien dire, étouffer mon malheur

Car croire en la parole est pour moi dangereux.

Aidée par la vertu, Il me fallait lutter

Et maîtriser ce feu ; mais me considérant

Vaincue par Cythérée, je décidai ma mort,

Le seul acte qui vaille. Ah ! cet amour coupable,

- Comment donc l'ignorer - outrageait mon renom.

Je ne suis qu’une femme... Ah ! qu'elle disparaisse

La gueuse qui s'emploie à tromper son époux

Dans les bras d'un amant ! Quel objet de dégoût !

Dans les hautes lignées on regarde les femmes :

Leur exemple est suivi par les petites gens

Qui de ce fait les croient couronnées de vertus.

J’en viens à détester celles qui parlent peu,

Mais se livrent dans l'ombre à leur lubricité.

Comment donc, ô Cypris, ô reine née des eaux,

Comment font-elles, quand leur époux les étreint,

Pour le regarder en face, sans que la nuit

Et les murs du palais hurlent leur impudeur ?

Si je cherche à mourir, c'est pour que mon époux

Et mes enfants ne souffrent point le déshonneur.

  

 

à éros

(vers 525 - 534)

 

Éros, toi dont les yeux distillent le désir,

Avec un charme aigu, tu pénètres dans l'âme

De ceux que tu choisis. Ah ! surtout ne viens pas,

Escorté du malheur, déranger mon esprit.

Ne viens pas me tourmenter avec la folie.

Ah ! les flèches des cieux ne sont pas aussi viles

Que les traits de Cypris sortis des mains ardentes

D'Éros, le fils de Zeus.

 

 

la haine des femmes

 (vers 616 - 660)

 

Ô Zeus, par quelle loi as-tu créé la femme ?

Cette race maudite et ce fléau infâme ?

Sans elle, tu pourrais, ô prince des humains,

Tout aussi bien perpétuer notre destin.

Oui, l’homme eût déposé de sa main généreuse

Des offrandes sacrées, et pour prix des présents,

Le dieu eût concédé quelques graines d’enfants.

Ainsi, dans la maison, on eût passé sa vie

Hors de ces liens maudits. Car de tous les trésors

La femme est le plus vil ; elle mange notre or.

Bref un mot suffira : la femme est un danger !

Son père l’engendra et voulut la combler

De bienfaits inouïs. Pour se débarrasser

D’une telle « merveille », et la faire accepter

Dans une autre famille, il doit lui refiler

Une dot argentée. D’abord la jeune fille

Est aimée de l’époux : cette calamité

Est l’orgueil de sa vie ! Il lui fait des cadeaux,

Lui offre des bijoux, des riches vêtements,

Dilapidant, de fait, les biens de ses parents.

Et s’il s’est allié avec un noble nom,

Une illustre maison, l'hymen devient infect !

Si l’époux s’en dégoûte, il s’y complaît pourtant !

Bon, s’il s’est marié à une femme honnête

Mais de pauvre lignée, il essaie d'effacer

Ce point noir comme il peut. Quel bonheur pour celui

Qui n’a dans son foyer qu’une femme inutile

Dont l’unique défaut est d’être une imbécile.

Oui, je hais une femme orgueilleuse et savante,

Je la fuis. Cypris donne à cette créature

Une ruse indomptée. Chez la femme modeste

Et sans instruction, la pudeur me rassure.

C’est ainsi que tu vins près de moi, ô perfide,

Débattant sans vergogne à la face stellaire

L’opprobre de mon nom et du lit de mes pères.

Humiliation, déplorable souillure !

Ah ! je dois me laver dans l’onde la plus pure.

Quoi donc ! M’abandonner aux liens qui me désolent !

Je suis déjà impur au son de tes paroles.

De toi j’ai grand pitié, cela te sauve, ô femme ;

À toi je suis lié, fidèle à ce serment

Que tu m’as arraché dans ma naïveté.

Donc je ne dirai rien mon père Thésée.

 

 

 

ANDROMAQUE

 

Ἀνδρομάχη

 

(427)

 

 

 

À Phthie, devant le palais de Néoptolème.

 

Prologue : Andromaque est réfugiée à l'autel de Thétis pour échapper à Hermione, épouse de Néoptolème dont elle est la maîtresse, et à Ménélas qui veulent tous deux la tuer. Une servante annonce que ses ennemis ont pris son fils Molossos qu'elle croyait avoir mis en sûreté et veulent le mettre à mort. Plaintes.

Parodos : le chœur des femmes demandent à Andromaque de se résigner.

Épisode 1 : affrontement Hermione-Andromaque.

Stasimon 1 : évocation du jugement de Pâris.

Épisode 2 : Ménélas, par une perfidie, réussit à se saisir d'Andromaque et de son fils et veut les condamner à mort. Diatribe anti-spartiate.

Stasimon 2 : évocation de la malédiction née des doubles amours (Hermione et Andromaque).

Épisode 3 : Duo Andromaque-Molossos. Pelée, père de Néoptolème arrive et condamne l'attitude de Ménélas et le chasse.

Stasimon 3 : éloge de la vertu de Pelée.

Épisode 4 : Hermione veut se tuer. Oreste, son ancien fiancé, lui promet protection et annonce le piège qu'il a tendu à Néoptolème.

Stasimon 4 : lamentations sur la guerre de Troie.

Exodos : annonce de la mort de Néoptolème : on amène son corps. Deuil de Pelée. Thétis apparaît pour consoler son époux et annoncer les événements futurs. Morale finale.

 

 

 

 

 

hermione humilie andromaque

 (vers 147 - 180)

 

La diadème d'or qui couronne mon front,

Ces étoffes brodées qui revêtent mon corps,

Ne sont point des présents offerts à mon mariage :

Je les ai rapportés de la cité de Sparte :

C'est le don de mon père ; il m'a si bien dotée !

Et c'est pourquoi je peux parler avec franchise :

Andromaque, bien que tu sois ici captive,

Tu voudrais être reine et me voir reléguée.

Par tes philtres, je suis haïe de mon époux.

Oui, c'est par l'action de tous tes maléfices

Que je suis stérile. Ah ! je sais que vous, les femmes

De l'Asie, vous avez pour préparer ces charmes

Beaucoup d'habileté. Mais je vais mettre fin

À ton complot, car ni le palais ni le temple

De la fille de Nérée ne te sauveront.

Tu mourras simplement ! Mais si quelques mortels

Ou si des dieux veulent te sauver, ne sois pas

Pour autant fière de ton ancienne splendeur.

Couche-toi sur le sol en chien humilié,

Oui, agenouille-toi, balaie cette demeure

Et répands de ta main une eau purifiée.

Apprends dans quel endroit tu devras habiter.

Ici, nul Priam, nul Hector et nul trésor,

Mais une cité grecque ! Ah ! folle que tu es !

Tu as couché sans honte avec le propre fils

De celui qui tua ton père, et de ce lien

Te sont nés des enfants ! Voilà donc les Barbares !

La fille s'unit au père, un fils à sa mère,

La sœur s'unit au frère ; les amis s'entretuent.

De tels actes chez vous sont fort élémentaires,

Alors qu'en ce pays la chose est interdite.

Deux femmes pour un homme est signe d'infamie !

Et l'époux qui désire un peu d'ordre chez lui

Ne regarde en son lit que celle qu’il chérit.

 

 

diatribe contre sparte

 (vers 445 - 463)

 

Vous que l'humanité exècre et abomine,

Vous les Laconiens, ô conseillers perfides,

Vous qui mentez toujours et préparez des crimes,

Misérables esprits, c'est contre la justice

Que votre renommée s'installe en nos pays.

Vous n'êtes que le vice. Oui, c'est dans vos contrées

Qu'on trouve le plus grand cortège d'assassins.

Vous avez obtenu par la honte vos biens,

Et vous retournez sans cesse votre parole.

Ah ! je voudrais vous voir accéder au tombeau.

Quant à moi, le trépas ne me terrifie pas

Car je n'existe plus depuis que Troie tomba,

Depuis qu'a succombé mon illustre mari,

Celui qui fit de toi un lâche matelot.

Maintenant que tu es un hoplite aguerri,

Tu t’attaques à moi et tu veux que je meure !

Tue-moi donc ! Ne crois pas que je m’en vais sur l’heure

Vous flatter tous les deux. À Sparte tu es grande ;

À Troie, je fus puissante. Ah ! ne sois pas heureuse

De mon triste destin : tu risques de subir

            Le même une jour prochain.

 

 

morale de la tragédie

(vers 1283 - 1288)

 

La volonté des dieux opère à tous moments.

Innombrables les faits qu'ils font à notre insu.

Innombrables aussi tous les événements

Que nous attendions tant, mais qui n'arrivent pas;

Ceux que l'on attendait, un dieu leur fraye la voie :

De cette tragédie voici le dénouement.