JUVÉNAL

 

SATIRE IX

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

SATURA IX / SATIRE IX

(éd. Jules Lacroix)

satire VIII - satire X

 

autre traduction

 

 

 

 

 

Vers

 

SATURA IX.

CINOEDI ET PATHICI

SATIRE IX.

LES PROTECTEURS ET LES PROTEGES OBSCENES

 





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Scire velim quare toties mihi, Nævole, tristis
Occurras, fronte obducta, ceu Marsya victus.
Quid tibi cum vultu, qualem deprensus habebat
Ravola, dum Rhodopes uda terit inguina barba?
Nos colaphum incutimus lambenti crustula servo.
Non erat hac facie miserabilior Crepereius
Pollio, qui triplicem usuram præstare paratus
Circuit et fatuos non invenit. Unde repente
Tot rugæ? Certe modico contentus agebas
Vernam equitem, conviva joco mordente facetus,
Et salibus vehemens intra pomœria natis.
Omnia nunc contra : vultus gravis; horrida siccæ
Silva comæ, nullus tota nitor in cute, qualem
Bruttia præstabat calidi tibi fascia visci;
Sed fruticante pilo neglecta et squalida crura.
Quid macies ægri veteris, quem tempore longo
Torret quarta dis, olimque domestica febris?
Deprendas animi tormenta latentis in ægro
Corpore, deprendas et gaudis : sumit utrumque
Inde habitum facies. Igitur flexisse videris
Propositum, et vitæ contrarius ire priori.
Nuper enim, ut repeto, fanum Isidis, et Ganymedem
Pacis, et advectæ secreta palatia matris,
Et Cererem, (nam quo non prostat femina templo?)
Notior Aufidio mœchus scelerare solebas,
Quodque taces, ipsos etiam inclinare maritos.

Juvénal

Pourquoi toujours l’air triste et le visage long,
Ainsi que Marsyas vaincu par Apollon,
Névolus? et pourquoi cet œil morne et timide
D’un Ravola surpris, la barbe encore humide,
Sur le flanc de Rhodope, et sot comme un valet
Qui, léchant une sauce, est puni d’un soufflet?
Pollion n’eut jamais si piteuse figure,
Lorsque, prêt à subir même une triple usure,
Sans trouver une dupe, il quêtait maint affront.
D’où viennent tout à coup tant de plis sur ton front?
Aimable chevalier, ton épigramme vive,
Ta mordante saillie animait le convive.
Quel changement! ces yeux ternes et renfoncés,
Cette inculte forêt de cheveux hérissés,
Cette peau sans parfums qui maintenant se ride,
Ces membres négligés où monte un poil aride!
D’où vient cette maigreur d’un malade aux abois,
Et que la fièvre quarte a dévoré six mois?
Le corps trahit de l’âme ou la peine ou la joie,
Et chaque sentiment dans nos traits se déploie.
— Ainsi donc, redoutant les publiques rumeurs,
Tu parais dévier de tes anciennes mœurs.
Je m’en souviens pourtant, naguère encor, naguère,
Rival d’Aufidius le célèbre adultère,
Tu souillais nuit et jour, dans leurs temples secrets,
Isis et Ganymède, et Cybèle et Cérès;
Car est-il un seul temple, une seule statue,
Où la femme ne coure et ne se prostitue?...
Ce que tu ne dis point : dans ta lubricité,
L’époux même, l’époux n’était pas respecté!

 




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Utile et hoc multis vitæ genus; at mihi nullum
Inde operæ pretium. Pingum aliquando lacernas,
Munimenta togæ, duri crassique coloris,
Et male percussas textoris pectine Galli
Accipimus, tenue argentum venæque secundæ.
Fate regunt homines; fatum est et partibus illis
Quas sinus abscondit. Nam, si tibi sidera cessant,
Nil faciet longi mensura incognita nervi,
Quamvis te nudum spumanti Virro labello
Viderit, et blandæ assidue, densæque tabellæ
Sollicitent :
AutoV gar ejelketai andra kinaidoV
Quod tamen ulterius monstrum, quam mollis avarus?
Hæc tribui, deinde illa dedi, mox plura tulisti.
Computat ac cevet. Ponatur calcalus, adsint
Cum tabula pueri: numera sestertia quinque
Omnibus in rebus. Numerentur deinde labores,
An facile et pronum est agere intra viscera penem
Legitimum, atque illic hesternæ occurrere cœnœ?
Servus erit minus ille miser, qui fodernit agrum
Quam dominum. Sed tu sane tenerum, et puerum te,
Et pulchrum, et dignum cyatho cœloque putabas.
Vos humili asseclæ, vos indulgebitis unquam
Cultori, jam nec morbo donare parati?
En cui tu viridem umbellam, cui succina mittas
Grandia, natalis quoties redit, aut madidum ver
Incipit; et strata positus longaque cathedra,
Munera femineis tractas secreta kalendis.
Dic, passer, cui tot montes, tot prædia servas
Appula, tot milvos intra tua pascua lassos?
Te Trifolinus ager fecundis vitibus implet,
Suspectumque jugum Cumis, et Gaurus inanis.
Nam quis plura linit victuro dolia musto?
Quantum erat exhausti lumbos donare cientis
Jugeribus paucis? Meliusne hic rusticus infans
Cum matre, et casulis, et conlusore catello,
Cymbala pulsantis legatum fiet amici?
Improbus es, cum poscis, ait sed pensio climat,
Posce; sed appellat puer unicus, ut Polyphemi
Lata acies, per quam solers evasit Ulysses.
Alter emendus erit; namque hic non sufficit: ambo
Pascendi. Quid agam bruma spirante? quid, oro,
Quid dicam scapulis servorum, mense decembri,
Et pedibus? Durate, atque exspectate cicadas?

Névolus

Oui, ce métier sans doute enrichit bien du monde;
Et moi je n’ai reçu, pour mon travail immonde,
Qu’un vieux manteau, rempart de ma toge, étriqué,
Sous le peigne gaulois lourdement fabriqué,
D’une affreuse couleur ! ... et parfois, chose étrange!
Un plat d’argent bien mince, et non point sans mélange.
Le destin est le roi des hommes, et ce roi
Sous notre toge même étend sa dure loi...
Si des astres mauvais ont lui sur ta naissance,
De tes reins monstrueux qu’importe la puissance?
Quand bien même Virron, de luxure écumant,
Te contemplerait nu; quand même assidûment
Il te fatiguerait de ses tendres missives...
Les Virrons ont pour nous trop d’amorces lascives!

Quel monstre, un libertin avare de son or!
— Je t’ai donné ceci, puis cela, puis encor
(Il calcule, hâtant sa volupté brutale).
Esclaves, des jetons! Compte!... Somme totale,
Cinq grands sesterces!... —Bien! mais comptons mes travaux!
Jour et nuit assouvir tes caprices nouveaux,
C’est une horrible tâche, un rude ministère!
Esclave, mieux vaudrait creuser, fouiller la terre!
Mais tu te croyais beau, jeune, délicieux,
Et digne de verser le nectar dans les cieux!
Ah! d’un pauvre client paieras-tu les services,
Toi qui ne donnes rien, rien, pas même à tes vices?
— Voilà pourtant l’objet à qui nous envoyons,
Quand renaît le printemps aux humides rayons,
Un beau parasol vert, de grandes coupes d’ambre!
Sur de moelleux coussins étalé dans sa chambre,
Aux calendes de mars, avide et curieux,
L’efféminé parcourt nos dons mystérieux.
Dis, passereau lascif, à qui donc, je te prie,
A qui réserves-tu bois, collines, prairies,
Ces champs apuliens, vaste et fertile sol,
Qu’un milan ne saurait traverser d’un seul
Aux caverneux Gaurus, aux montagnes de Cume,
A Trifolni, pour toi l’ardent pressoir écume:
Nul à si larges flots jamais ne recueillit
Un vin qui, sous la poix, dans l’amphore vieillit.
Ne pouvais-tu donner quelques arpents de terre
Au malheureux, qu’épuise un étrange adultère ?...
Quoi! ce rustique enfant, sa mère, leur maison,
Et ce chien, à leurs pieds, jouant sur le gazon,
Tout cela va doter un prêtre de Cybèle?
— Tu demandes toujours, toujours, client rebelle!
— Mais mon loyer me crie : « Allons, demande, toi! »
Mon esclave m’assiège, unique, hélas! chez moi,
Comme l’œil monstrueux du géant Polyphème,
Qui, sentant fuir Ulysse, et rugit et blasphème.
C’est trop peu d’un esclave, il faut en avoir deux
Il faudra les nourrir! Mais que ferai-je d’eux
Quand soufflera la bise?... Oh! réponds, quand décembre
De mes deux serviteurs glacera chaque membre,
A leur dos, à leurs pieds, dirai-je tour à tour:
« De la rauque cigale attendez le retour? »

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Verum, ut dissimules, ut mittas cætera, quanto
Metiris pretio, quod, ni tibi deditus essem
Devotusque cliens, uxor tua virgo maneret?
Scis certe quibus ista modis, quam sæpe rogaris,
Et quæ pollicitus. Fugientem sæpe puellam
Amplexu rapui: tabulas quoque ruperat, et jam
Signabat; tota vix hoc ego nocte redemi,
Te plorante foris. Testis mihi lectulus, et tu,
Ad quem pervenit lecti sonus, et dominæ vox.
Instabile ac dirimi cœptum, et jam pene solutum
Conjugium in multis domibus servavit adulter.
Quo te circumagas? quæ prima aut ultima ponas?
Nullum ergo meritum est, ingrate ac perfide, nullum,
Quod tibi filiolus vel filia nascitur ex me?
Tollis enim, et libris actorum spargere gaudes
Argumenta viri. Foribus suspende coronas,
Jam pater es : dedimus quod famæ opponere possis.
Jura parentis habes; propter me scriberis heres,
Legatum omne capis, nec non et dulce caducum.
Commoda præterea jungentur multa caducis,
Si numerum, si tres implevero. Justa doloris,
Nævole, causa tui: contra tamen ille quid affert?
Negligit, atque alium bipedern sibi quærit asellum.
Hæc soli commissa tibi celare memento,
Et tacites nostras intra te fige querelas;
Nam res mortifera est inimicus pumice levis.
Qui modo secretum commiserat, ardet et odit,
Tanquam prodiderim quidquid scio. Sumere ferrum
Fuste aperire caput, candelam apponere valvis
Non dubitat. Non contemnas aut despicias, quod
His opibus nunquam cara est annona veneni
Ergo occulta teges, ut curia Martis Athenis.

J’y consens, méconnais mon pénible service:
Mais tu n’es pas le seul qu’il faut que j’assouvisse,
Et ton épouse encor, sans ma docilité,
Porterait le fardeau de sa virginité.
As-tu donc oublié tes larmes, tes promesses?...
Souvent j’ai retenu dans mes chaudes caresses
Ta femme, qui déjà s’enfuyait en courroux
Pour signer le divorce et chercher un époux:
Toute une longue nuit fut assez longue à peine,
Tandis que résonnait au seuil ta plainte vaine...
J’ai pour témoin ce lit, dont les bruissements
Parvenaient jusqu’à toi dans nos embrassements !...
En combien de maisons un ami plein de force
A raffermi des nœuds qu’allait rompre un divorce !
— Que peux-tu m’alléguer? Forge une excuse... Eh bien?...
N’est-ce donc rien, perfide! ingrat, n’est-ce donc rien
De t’avoir fait présent d’un fils et d’une fille
Tu veux les élever pourtant, c’est ta famille.
Dans les actes publics, tu sèmes fièrement
De ta virilité la preuve et l’argument
Orne de fleurs ton seuil: grâce à ma complaisance,
Te voilà père enfin, malgré la médisance.
De la paternité tu possèdes les droits:
Tu pourras désormais recevoir à la fois,
Quel étrange bonheur! tout legs, tout héritage,
Sans craindre que le fisc avec toi ne partage.
Que d’autres biens encor, si tes vœux triomphants,
De mon secours viril, obtiennent trois enfants!

Juvénal

Oui, Névolus, ta plainte est juste; elle m’afflige!
Que réplique Virron?

Névolus

                                     Hélas! il me néglige,
Et sa luxure cherche un autre âne à deux pieds.
Mais que ces noirs secrets, à toi seul confiés,
Dorment ensevelis dans le fond de ton âme;
Car ces gens épilés sont une race infâme,
Mortellement haineuse!.., et sitôt que l’un d’eux
T’a révélé sa honte avec ses goûts hideux,
Il t’abhorre, tremblant que tu n’ouvres la bouche.
Le bâton ou le fer arme sa main farouche;
Déjà sa torche flambe aux murs de ta maison !...
Il est riche: crains tout! La cherté du poison
Ne l’arrêterait pas... Ainsi, point de tapage
Sois prudent! sois discret comme l’Aréopage!

 




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O Corydon, Corydon! secretum divitis ullum
Esse putas? Servi ut taceant, jumenta loquentur,
Et canis, et postes, et marmora. Claude fenestras,
Vela tegant rimas, junge ostia, tollito lumen
E medio, taceant omnes, prope nemo recumbat:
Quod tamen ad cantum galli facit ille secundi,
Proximus ante diem caupo sciet; audiet et quæ
Finxerunt pariter librarius, archimagiri,
Carptores. Quod enim dubitant componere crimen
In dominos, quoties rumoribus ulciscuntur
Baltea? Nec deerit qui te per compita quærat
Nolentem, et miseram vinosus inebriet aurem.
Illos ergo roges, quidquid paulo ante petebas
A nobis, taceant illi : sed prodere malunt
Arcanum, quam subrepti potare Falerni,
Pro populo faciens quantum Laufella bibebat,

Vivendum recte est, cum propter plurima, tunc his
Præcipue causis, ut linguas mancipiorum
Contemnas nam lingua mali pars pessima servi.
Deterior tamen hic qui liber non erit illis
Quorum animas et farre suo custodit et ære.

Juvénal

Est-ce qu’un riche peut compter sur le secret?
Corydon! Corydon !... L’esclave se tairait,
Qu’importe? Ses chevaux, son chien, race muette,
Et ses marbres, vont prendre une voix indiscrète.
Fermez porte et fenêtre, et barricadez tout!
Que des voiles épais l’environnent partout!
Éteignez les flambeaux! Un doigt sur chaque bouche!
Que tous les serviteurs dorment loin de sa couche!
Ce qu’il a fait, —le coq ayant chanté deux fois,
— Le cabaret voisin le crie à pleine voix,
Dès l’aube; et même on sait tout ce que sur son compte
Le cuisinier, le scribe ou l’intendant raconte.
Quels mensonges honteux craignent-ils de forger,
Quand des coups de lanière ils veulent se venger?
Tous, en plein carrefour, de clameurs sans pareilles
Viendront, gorgés de vin, enivrer tes oreilles.
Va! de leur bouche implore un silence discret:
Ils aimeront bien mieux divulguer ton secret
Que boire du Falerne en cachette, à grands verres,
Comme en boit Laufella, célébrant nos mystères.

Vivons honnêtement, tout le conseille, tout!
Mais soyons vertueux, pour défier surtout
La haine des valets : qu’ils ne puissent rien dire!
La langue d’un esclave est ce qu’il a de pire!
Mais c’est toi le plus vil, ô maître! ... tu dépends
De l’esclave, qui boit et mange à tes dépens.



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Idcirco ut possim linguam contemnere servi,
Utile consilium modo, sed commune, dedisti :
Nunc mihi quid suades, post damnum temporis et spes
Deceptas? Festinat enim decurrere velox
Flosculus, angustæ miseræque brevissima vitæ
Portio: dum bibimus, dum serta, unguenta, puellas
Poscimus, obrepit non intellecta senectus.

Des valets médisants craignons la sourde guerre:
Oui, le conseil est bon, mais banal et vulgaire.
Parle: que faire après tant de vœux abusés,
Après tant de beaux jours follement épuisés?
Cette rapide fleur de notre courte vie,
Qu’elle est brillante, hélas! frêle, et bientôt ravie!
Tandis que, parfumés et chantant nos amours,
Nous buvons, l’âge arrive, et se traîne à pas sourds!

 

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Ne trepida, nunquam pathicus tibi deerit amicus,
Stantibus et salvis his collibus: undique ad illos
Convenient et carpentis et navibus omnes
Qui digito scalpunt uno caput. Altera major
Spes superest: tu tantum erucis imprime dentem.

Juvénal

Ne crains rien, Névolus! dans Rome, je t’assure,
Abonderont toujours ces monstres de luxure,
Tant que Rome verra ses collines debout.
Sur des vaisseaux, en chars, ils viendront de partout,
Ils viendront dans nos murs, ces hommes presque femmes,
Qui grattent leurs cheveux d’un seul ongle, en infâmes!
Compte sur l’avenir; et mords à pleine dent,
Mords le satyrion gonflé d’un suc ardent.

 

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Hæc exempla para felicibus; at mea Clotho
Et Lachesis gaudent, si pascitur inguine venter
O parvi nostrique Lares, quos thure minuto,
Aut farre ! et tenui soleo exorare corona
Quando ego figam aliqutd, quo ut mihi tuta senectus
A tegete et baculo? Viginti millia fœnus
Pignoribus positis, argenti vascula puri,
Sed quæ Fabricius censor notet, et duo fortes
De grege Mœsorum, qui me, cervice locata,
Securum jubeant clamoso insistere circo !
Sit mibi præterea curvus cælator, et alter
Qui multas facies fingat cito: sufficiunt hæc,
Quando ego pauper ero: votum miserabile ! nec spes
His saltem: nam, quuum pro me Fortuna rogatur,
Affigit ceras illa de nave petitas,
Quæ Siculos cantus effugit remige surdo.

Névolus

Offre à de plus heureux ces belles destinées:
La dure Lachésis, qui file mes années,
Ne demande à mes flancs que du pain tous les jours.
Mes petits lares, vous que j’apaise toujours
Avec un seul gâteau, quelque simple guirlande,
Et puis un grain d’encens, pure et modeste offrande,
Quand aurai-je un pécule, amassé de bien loin,
Qui sauve mes vieux ans de l’horreur du besoin?
— Un mince capital, mais d’une rente sûre,
Quelques vases d’argent unis, que ta censure,
O vieux Fabricius, aurait pourtant notés;
Et deux forts Mésiens, qui sur leurs dos voûtés
Me portent sans péril dans l’arène sonore:
O mes lares! voilà, voilà ce que j’implore!
Il me faudrait aussi, pour dernière faveur,
Un statuaire prompt, un habile graveur.
Moi qui n’ai rien, quand donc, ô misère importune?
Quand donc serai-je pauvre?... Ah! jamais!... La Fortune,
Quand je crie, et l’invoque en mon adversité,
La barbare qu’elle est, semble avoir emprunté
La cire qui jadis, sur des mers trop sereines,
Rendit les nautoniers sourds aux chants des Sirènes!


 

NOTES SUR LA SATIRE IX.

 

V. 43. An facile et pronum est. etc. — Nous avions traduit avec une grande exactitude ce vers et le suivant; mais, au moment de mettre sous presse, le courage nous a manqué.

Juvénal voulait concentrer dans son infâme Névolus tous les excès de la débauche; mais peut-être eût-il mieux fait d’épargner à son siècle et à la postérité le tableau dégoûtant de ces affreuses turpitudes. A en juger par de tels vers, que devait être la société romaine?

V. 53. Munera femineis, etc. — Les femmes se paraient aux calendes de Mars, et recevaient avec cérémonie les visites qu’on leur faisait, et les présents qu’on leur envoyait.

V. 55. Tot milvos, etc. — Nous verrons, dans la quatrième satire de Perse, un vers presque analogue

Dives arat Curibus quantum non milvus oberret.

V. 64. Ut Polypherni , etc. — Allusion au vers 672 du livre III de l’Enéide.

Un des plus récents traducteurs de Juvénal, M. Baillot, explique ce vers d’une manière assez ingénieuse : « Je crois, dit-il, que Juvénal a voulu dire qu’on est mal servi quand on n’a qu’un esclave, comme on est mal gardé quand on n’a qu’un œil. »

V. 88. Dulce caducum. —— Comme la loi romaine voulait encourager les mariages, elle refusait le droit d’hérédité aux légataires sans enfants. Alors le legs était nul; il tombait (caducum) dans le domaine public.

V. 90. Si tres implevero. — Un article de la loi Papia Poppea accordait l’exemption des charges personnelles aux citoyens de Rome qui avaient eu trois enfants en légitime mariage.

V. 101. Curia Martis Athenis. — L’aréopage d’Athènes ne jugeait que pendant la nuit, et par bulletin. De là ce proverbe plus muet que l’aréopage.

V. 102. O Corydon. —Virgile a dit, dans sa deuxième églogue:

O Corydon, Corydon, quae te dementia cepit?

Juvénal reproche à Névolus d’être aussi simple que le Corydon de Virgile. Le nom de Corydon, appliqué à Névolus, fait surtout allusion aux goûts obscènes de ce dernier.

V. 117. Laufella. — Cette Laufella est sans doute la même qu’on a déjà vue figurer (satire VI, vers 320) dans les nocturnes orgies des fêtes de Cybèle.

V. 133. Qui digito scalpunt uno caput. — Les efféminés se grattaient la tête avec un seul doigt, pour ne pas déranger leur coiffure. On peut voir, dans Sénèque, que uno digito scalpere caput était passé en proverbe, pour dire mollis et pathicus.

V. 134. Erucis imprime dentem. — Cette plante, eruca, qui est une espèce de satyrion, passait pour être un puissant aphrodisiaque.

V. 142. Fabricius. — Ce rigide censeur nota Cornélius Rufinus, personnage consulaire, parce qu’il possédait plus de dix livres pesant d’argenterie.

V. 150. Quae Siculos, etc. — Les compagnons d’Ulysse se bouchèrent les oreilles avec de la cire, pour résister aux chants séducteurs des Sirènes.