JUVÉNAL
SATIRE Χ
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
SATURA X / SATIRE X
(éd.
Jules Lacroix)
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N°
vers
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SATURA X
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SATIRE X
LES VOEUX
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Omnibus in terris, quæ sunt a Gadibus usque
Auroram et Gangen, pauci dignoscere possunt
Vera bona, atque illis multum diversa, remota
Erroris nebula. Quid enim ratione timemus
Aut cupimus? quid tam dextro pede concipis, ut te
Conatus non pœniteat votique peracti?
Evertere domos totas, optantibus ipsis,
Di faciles. Nocitura toga, nocitura petuntur
Militia. Torrens dicendi copia multis
Et sua mortifera est facundia. Viribus ille
Confisus periit admirandisque lacertis.
Sed plures nimia congesta pecunia cura
Strangulat, et cuncta exsuperans patrimonia census,
Quanto delphinis balæna britannica major.
Temporibus diris igitur, jussuque Neronis,
Longinum et magnos Senecæ prædivitis hortos
Clausit, et egregias Lateranorum
obsidet ædes
Tota cohors; rares venit in cœnacula miles.
Pauca licet portes argenti vascula puri,
Nocte iter ingressus, gladium contumque timebis,
Et motæ ad lunam trepidabis arundinis umbram:
Cantabit vacuus coram latrone viator. |
Des colonnes
d’Hercule au Grange où naît l’aurore,
Dans l’univers entier, fort peu savent encore,
Du mensonge écartant les grossières vapeurs,
Discerner les vrais biens parmi des biens trompeurs.
Toujours folle est la crainte ou l’espérance humaine!
Quel projet dont l’issue au repentir ne mène?
Et qui de nous, hélas! quand ses vœux sont remplis,
Ne regrette jamais de les voir accomplis?
Parfois, trop complaisant, trop facile aux prières,
Le ciel a renversé des familles entières!
A Rome ou dans les camps, nous formons tour à tour
Mille vœux indiscrets, qui doivent nuire un jour.
L’éloquence, torrent qui de nos lèvres tombe,
Est souvent meurtrière, et nous pousse à la tombe!
Milon périt enfin pour avoir trop compté
Sur la vigueur d’un bras formidable et vanté.
— Mais ces larges trésors, pleins de nuits importunes,
Et qui vont surpassant les plus vastes fortunes,
Ainsi que la baleine immense, — le dauphin,
D’un plus grand nombre encor précipitent la fin.
Jours sanglants, règne affreux! Néron parle, et sur l’heure
Longinus est frappé dans sa riche demeure;
Une infâme cohorte, à flots impétueux,
De Sénèque envahit les jardins fastueux,
Et des Latéranus le splendide héritage
Rarement le soldat monte au dernier étage.
Qu’un seul vase d’argent t’accompagne, la nuit,
Tu ne vois que massue, ou poignard qui reluit;
Aux rayons de la lune, un bruit d’herbe mouvante,
Ou l’ombre d’un roseau qui tremble, t’épouvante!...
Mais celui qui n’a rien, sans crainte de malheur,
Voyage, et, calme, il chante en face du voleur. |
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Prima fere vota, et cunctis notissima templis,
Divitiæ ut crescant, ut opes, ut maxima toto
Nostra sit arca foro. Sed nulla aconita
bibuntur
Fictilibus: tunc illa time, quum pocula sumes
Gemmata, et lato Setinum ardebit in auro. |
Le premier de
nos vœux, qui lasse chaque temple,
C’est que l’or, sous nos mains, toujours monte plus ample;
C’est qu’au forum, parmi les plus lourds coffres-forts,
Le nôtre soit porté par les bras les plus forts.
Pourtant on ne boit point dans les vases d’argile
Le mortel aconit!... Crains le poison agile,
Quand la perle enrichit ta coupe, ou bien encor
Quand le Sétine ardent pétillera dans l’or! |
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Jamne igitur laudas , quod
de sapientibus alter
Ridebat, quoties de limine moverat unum
Protuleratque pedem, fiebat contrarius alter?
Sed facilis cuivis rigidi censura cachinni:
Mirandum est unde ille oculis suffecerit humor.
Perpetuo risu pulmonem agitare solebat
Democritus, quanquam non essent urbibus illis
Praetexta et trabeæ, fasces, lectica,
tribunal.
Quid si vidisset pnntorem in curribus altis
Exstantem, et medio sublimem in pulvere circi,
In tunica Jovis, et pictæ sarrana ferentem
Ex humeris aulæa togæ, magnæque coronæ
Tantum orbem, quanto cervix non sufficit ulla?
Quippe tenet sudans hanc publicus, et, sibi consul
Ne placeat, curru servus portatur eodem.
Da nunc et volucrem sceptro quæ surgit eburno,
Illinc cornicines, hinc præcedentia longi
Agminis officia, et niveos ad frena Quirites,
Defossa in loculis quos sportula fecit amicos.
Tunc quoque materiam risus invenit ad omnes
Occursus hominum, cujus prudentia monstrat
Summos posse vires, et magna exempla daturos,
Vervecum in patria crassoque sub ære
nasci.
Ridebat curas, nec non et gaudia vulgi,
Interdum et lacrymas, quum Fortunæ ipe minaci
Mandaret laqueum , mediumque ostenderet unguem
Ergo supervacua hæc aut perniciosa petuntur,
Propter quæ fas est genua incerare deorum. |
Ces deux
sages, témoins de l’humaine bassesse,
Dont l’un riait toujours, l’autre pleurait sans cesse,
A peine ils s’écartaient du seuil de leur maison;
Ces deux sages, dis-moi, n’avaient-ils pas raison?
Le rire et la gaité sont de faciles armes;
Mais que des yeux aient pu contenir tant de larmes!
De son rire éternel Démocrite agité
Ne voyait pourtant pas dans sa vieille cité
L’orgueilleuse prétexte et la trabée altière,
Et la chaise curule, et faisceaux et litière.
Que n’a-t-il vu, debout sur un char, le préteur
Élevant dans le cirque un front dominateur;
Sa tunique empruntée à Jupiter lui-même,
Son grand manteau de pourpre, et ce lourd diadème,
Trop lourd pour une tête humaine, et qu’un bras fort,
Un bras d’esclave porte en ployant sous l’effort!...
Mais, pour que le consul ait moins d’orgueil peut-être,
Un même char promène et l’esclave et le martre.
— Ajoute encor le sceptre où l’aigle resplendit:
D’un côté, la trompette au loin nous assourdit,
De l’autre, un blanc cortège autour du char ondule,
Innombrables amis, amis de la sportule.
Il riait de chacun, partout et constamment,
Ce génie élevé, qui prouve clairement
Qu’au pays des moutons, dans un air lourd, immonde,
Un grand homme peut naître, exemple heureux du monde.
Il riait de ta joie, il riait de tes pleurs,
O vulgaire! il riait même de tes malheurs.
Pour lui, de la fortune insultant la menace,
Il l’envoyait se pendre, et la narguait en face. —
Ces vœux dont nous chargeons les immortels genoux,
Ils sont donc superflus, ou tournent contre nous! |
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Quosdam præcipitat subjecta potentia magnæ
Invidiæ mergit longa atque insignis honorum
Pagina; descendunt statuæ restemque sequuntur.
Ipsas deinde rotas bigarum impacta securis
Cædit, et immeritis franguntur crura caballis.
Jam strident ignes, jam follibus atque caminis
Ardet adoratum populo caput, et crepet ingens
Sejanus; deinde ex facie, toto orbe secunda,
Fiant urceoli, pelves, sartigo, patellæ.
Pone domi lauros, duc in Capitolia magnum
Cretatumque bovem ; Sejanus ducitur unco
Spectandus. Gaudent omnes. Quæ labra! quis illi
Vultus erat! Nunquam, si quid mihi credis, amavi
Hunc hominem. Sed quo cecidit sub crimine? quisnam
Delator? quibus indiciis, quo teste probavit?
Nil horum: verbosa et grandis epistola venit
A Capreis. Bene habet; nil plus interrogo. Sed quid
Turba Remi? Sequitur fortunam, ut semper, et odit
Damnatos. Idem populus, si Nursia Tusco
Favisset, si oppressa foret secura senectus
Principis, hac ipsa Sejanum diceret hora
Augustum. Jam pridem, ex quo suffragia nulli
Vendimus, effudit curas : nam, qui dabat olim
Imperium, fasces, legiones, omnia, nunc se
Continet, atque duas tantum res anxius optat,
Panem et circenses. Perituros audio multos.
Nil dubium, magna est fornacula pallidulus mi
Brutidius meus ad Martis fuit obvius
aram:
Quam timeo victus ne pœnas exigat Ajax,
Ut male defensus! Curramus præcipites, et,
Dum jacet in ripa, calcemus Cæsaris hostem.
Sed videant servi, ne quis neget et pavidum in jus
Cervice obstricta dominum trahat. Hi sermones
Tunc de Sejano; secreta hæc murmura vulgi. |
Il en est
qu’un pouvoir, objet de trop d’envie,
D’un poste rayonnant précipite sans vie:
Un vaste amas d’honneurs les entraîne, fatal!
La statue, arrachée à son haut piédestal,
Descend obéissante, et suit l’effort du câble;
Le char tombe avec elle; et la hache implacable
Brise l’essieu de bronze, à coups retentissants,
Et fracasse les pieds des chevaux innocents.
Déjà le soufflet gronde, et le feu tourbillonne,
Et Séjan tout entier dans la flamme bouillonne.
Cette tête adorée, oui, ce front souverain,
Le second de l’empire, et colosse d’airain,
Se transforme, emplissant la forge qui ruisselle,
En vases, en bassins, en ignoble vaisselle.
Orne, ombrage ton seuil d’un feuillage tremblant;
Conduis au Capitole un large taureau blanc:
Vois Séjan! vois, un croc le traîne aux gémonies!
Écoute! Joie immense, amères ironies:
« — Quelle bouche arrogante, et qud front dissolu!
« — Jamais, si tu m’en crois, cet homme ne m’a plu.
« — Mais sait-on qui l’accuse et l’envoie au supplice?
« Sait-on quel délateur, quels témoins, quel indice?
« — Point du tout: un écrit long, verbeux et traînant,
« Est venu de Captée. —Ah! j’y suis maintenant.
« Mais, dites-moi, que fait ce peuple magnanime?
« — Adorant la fortune, il maudit la victime.
« Si Nursia propice avait abandonné
« Au glaive du Toscan le vieillard couronné,
« Tout ce peuple, à cette heure, aussi lâche qu’injuste,
« Proclamerait Séjan empereur très auguste.
« Depuis qu’on ne vend plus les suffrages, eh bien!
« La tourbe de Rémus n’a plus souci de rien.
« Ce peuple impérieux, qui dispensait naguère
« Légions et faisceaux dans la paix, dans la guerre,
« Stupide, enseveli dans un repos fangeux,
« Il ne demande plus que du pain et des jeux!
« — Bien d’autres vont périr; on le dit par le monde,
« — Oh oui! n’en doutez point: la fournaise est profonde!
« Près de l’autel de Mars, là-bas j’ai rencontré
« Mon cher Brutidius, de terreur pénétré.
« Moi, je tremble qu’Ajax, pour venger son offense,
« Nous punisse d’avoir trop mal pris sa défense!,..
« — Tandis que sur la rive on le jette au hasard,
« Courons! foulons aux pieds l’ennemi de César!
« Mais que chacun nous voie, et surtout nos esclaves!
« Car ils nous traîneraient, pâles, chargés d’entraves,
« Au milieu du forum!... Ce long bourdonnement
« Dans le peuple agité roulait confusément. |
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Visne salutari sicut Sejanus? habere
Tantumdem, atque illi sellas donare curules,
Illum exercitibus præponere? tutor haberi
Principis auguste Caprearum in rupe sedentis
Cum grege Chaldæo? Vis certe pila, cohortes,
Egregios equites et castra domestica. Quid ni
Hæc cupias? et, qui nolunt occidere quemquam,
Posse volunt. Sed quæ præclara et prospera tanti,
Ut rebus lætis per sit mensura malorum?
Hujus, qui trahitur, prætextam sumere mavis,
An Fidenarum Gabiorumque esse potestas,
Et de mensura jus dicere, vasa minora
Frangere pannosus vacuis ædilis Ulubris?
Ergo quid optandum foret, ignorasse fateris
Sejanum : nem qui nimios optabat honores,
Et nimias poscebat opes, numerosa parabat
Excelsæ turris tabulata, unde altior esset
Casus, et impulsæ præceps immane ruinæ. |
Veux-tu, comme
Séjan, des honneurs, des sportules?
Veux-tu pouvoir donner et les chaises curules,
Et le commandement des grandes légions?
Veux-tu qu’on te proclame en toutes régions
Le tuteur du vieillard qui dort, tête sacrée,
Parmi les Chaldéens sur le roc de Caprée?
Oui, tu souhaiterais, comme ce fier Toscan,
Une cavalerie à tes ordres, un camp,
Milice formidable et de bronze vêtue.
Sans doute! On veut pouvoir tuer, si l’on ne tue!
Mais pourquoi tant poursuivre un dangereux honneur,
Qui fait toujours les maux plus grands que le bonheur?
Vois cet ambitieux, étendu sur l’arène!
Endosserais-tu bien sa toge souveraine?
N’aimerais-tu pas mieux, fier de tes minces droits,
Pauvre édile, inspecter les mesures, les poids,
A Fidène, à Gabie, et dans Ulubre vide
Briser les vases faux du marchand trop avide?
Au faîte des grandeurs Séjan est parvenu;
Certes! Mais le vrai bien, Séjan l’a-t-il connu
Riche, illustre, toujours il voulait davantage:
Sans cesse accumulant étage sur étage,
Il portait jusqu’aux cieux une tour, vaste écueil,
Pour tomber de plus haut avec tout son orgueil! |
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Quid Crassos, quid Pompeios evertit, et ilium
Ad sua qui domitos deduxit flagra
Quirites?
Summus nempe iocus, nulla non site petitus,
Magnaque numinibus vota exaudita malignis.
Ad generum Cereris sine cæde et vulnere pauci
Descendunt reges, et sicca morte tyranni.
Eloquium et famam Demosthenis aut Ciceronis,
Incipit optare, et totis quinquatribus
optat,
Quisquis adhuc uno partam colit asse Minervam
Quem sequitur custos angustæ vernula capsæ.
Eloquio sed uterque periit orator; utrumque
Largus et exundans letho dedit ingenii fons.
Ingenio manus est et cervix cæsa; nec unquam
Sanguine caussidici maduerunt rostra pusilli.
O
fortunatam natam, me consule, Romam!
Antoni gladios potuit coutemnere, si sic
Omnia dixisset. Ridenda pœmata malo
Quam te conspicuæ, divina Philippica,
famæ,
Volveris a prima quæ proxima. Sævus et illum
Exitus eripuit, quem mirabantur Athenæ
Torrentem, et pleni moderantem frena theatri.
Dis ille adversis genitus fatoque sinistro,
Quem pater ardentis massæ fuligine lippus,
A carbone et forcipibus, gladiosque parante
Incude, et luteo Vulcano, ad rhetora misit. |
Sais-tu ce qui
perdit les Crassus, les Pompée,
Et celui qui fouetta Rome de son épée?
C’est leur ambition, leurs plans insidieux,
Et des vœux exaucés par le courroux des dieux.
Les rois meurent souvent d’une mort violente;
Et l’ombre des tyrans tombe aux enfers, sanglante!
Aux fêtes de
Minerve, et pendant les Cinq-Jours,
Cicéron, Démosthène, il demande toujours
Votre éloquence aux dieux, l’enfant jaloux de gloire
Qu’un jeune esclave suit, armé d’une écritoire.
Mais ce fleuve abondant, ce fleuve large et beau,
L’éloquence, traîna sanglants dans le tombeau
Ces mâles orateurs de la Grèce et de Rome.
Le fer trancha la tête et les mains du grand homme!
Et les rostres fatals, d’un rhéteur impuissant,
D’un stérile avocat n’ont jamais bu le sang.
O Rome
fortunée,
Sous mon consulat née!
S’il n’eût
fait que ces vers, Cicéron, sans jaloux,
De l’implacable Antoine eût méprisé les coups.
Oh! que j’aime bien mieux tout son fatras épique,
Que toi, livre immortel, seconde Philippique!
Un sort non moins affreux sur Démosthène fond:
Lui, torrent de génie, au flot vaste et profond,
Qui dans l’amphithéâtre immense roule et gronde,
Secouant tout un peuple enfermé dans son onde!
Combien il fut sinistre, hélas! ton jour natal,
O toi, qu’un père, noir des vapeurs du métal,
Sur les bancs de l’école envoya, pauvre élève,
Arraché de l’enclume où se forge le glaive! |
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Bellorum exuviæ, truncis affixa tropæis
Lorica, et fracta de casside buccula pendens,
Et curtum temone jugum, victæque triremis
A plustre, et summo tristis captives in arcu
Humanis majora bonis creduntur : ad hæc se
Romanus Grajusque ac Barbarus induperator
Erexit; causas discriminis atque laboris
Inde habuit tanto major famæ sitis est, quam
Virtutis. Quis enim virtutem amplectitur ipsam,
Præmia si tollas? Patriam tamen obruit olim
Gloria paucorum, et laudis tituhique cupido,
Hæsuri saxis cinerum custodibus, ad quæ
Discutienda valent sterilis mala robora ficus;
Quandoquidem data sunt ipsis quoque fata sepulcris. |
Un trophée
orgueilleux, fait d’un casque ennemi,
D’une cuirasse vide et brisée à demi;
Quelque char sans timon, un rostre de galère,
Un malheureux captif, dans sa morne colère,
Sur un arc de triomphe agitant ses liens:
C’est là chez les mortels ce qu’on nomme vrais biens,
Il faut, dût-on mourir, il faut qu’on s’en empare:
Voilà pourquoi le Grec, le Romain, le Barbare,
Dans la plaine sanglante ont toujours combattu.
Qui donc, pour elle-même, embrasse la vertu?
Otez la récompense, à quoi bon la victoire?
Ce n’est point la vertu qu’on aime, c’est la gloire!
Cette gloire pourtant, ce don rare et fatal,
Qui se grave et s’attache à la pierre, au métal,
A tous ces froids gardiens d’une cendre endormie,
Fut de Rome souvent la plus grande ennemie.
Que faut-il pour briser des sépulcres si beaux?
Un figuier!... car tout meurt, et même les tombeaux! |
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Expende Annibalem : quot libras in duce summo
Invenies? Hic est quem non capit Africa Mauro
Perfusa Oceano, Niloque admota tepenti,
Rursus ad Æthiopum populos alliosque elephantos!
Additur imperiis Hispania; Pyrenæum
Transilit : opposuit natura Alpemque nivemque;
Diducit scopulos, et montem rumpit aceto
Jam tenet Italiam; tamen ultra pergere tendit:
Actum, inquit, nihil est, nisi Pœno milite portas
Frangimus, et media vexillum pono Suburra. |
Suis-moi! Pèse
Annibal : sa poussière immortelle
Dans le creux de ta main, dis-nous, quel poids a-t-elle?
Le voilà donc cet homme, orgueilleux souvenir,
Que le monde africain ne pouvait contenir,
De l’océan du Maure à ces plages arides
Où l’éléphant bondit dans les sables torrides!
Il prend l’Espagne, il court, et ce triomphateur
Des monts Pyrénéens a franchi la hauteur.
Les Alpes vainement dressent leurs murs de glace:
Il perce et fend les rocs, et les change de place!
Il marche; l’Italie est déjà dans sa main;
Ses larges pas toujours dévorent le chemin.
« Je n’ai rien fait, dit-il, Rome, si mes cohortes,
Sous les béliers d’airain, ne fracassent tes portes!
Allons, Carthaginois, ni trêve, ni repos!
Dans Suburre croulante arborons nos drapeaux! » |
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O qualis facies, et quali digna tabella,
Quum Gætula ducem portaret bellua luscum!
Exitus ergo quis est? O gloria! vincitur idem
Nempe, et in exilium præceps fugit, atque ibi magnus
Mirandusque cliens sedet ad prætoria regis,
Donec Bithyno libeat vigilare tyranno.
Finem animæ, quæ res humanas miscuit olim,
Non gladii, non saxa dabunt, non tela, sed ille
Cannarum vindex, et tanti sanguinis
ultor
Annulas. I, demens, et svæas curre per Alpes,
Ut pueris placeas, et declamatio fias! |
Qu’il serait
magnifique à peindre, et ridicule,
Ce chef borgne, assis fier sur un monstre gétule!
O gloire! il est vaincu, proscrit!.., et, suppliant,
Ce noble fugitif, cet illustre client,
Au seuil injurieux d’un tyran qui sommeille,
Morne, attend que le roi bithynien s’éveille.
Ce grand dévastateur, effroi du genre humain,
Il ne tombera pas sous le glaive romain!
Voyez-vous cet anneau ? c’est lui qui venge Cannes,
Lui qui venge les pleurs des familles toscanes!
Gravis les Alpes! cours, fléau des nations !...
Pour exercer l’enfant aux déclamations. |
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Unus Pello juveni non
sufficit orbis:
Æstuat infelix angusto limite mundi,
Ut Gyari clausus scopulis parvaque Seripho.
Quum tamen a figulis munitam intraverit urbem,
Sarcophago contentus erit. Mors sola fatetur
Quantula sint hominum corpuscula. Creditur olim
Velificatus Athos, et quidquid Græcia
mendax
Audet in historia, constratum ciassibus isdem
Suppositumque rotis solidum mare : credimus altos
Defecisse amnes, epotaque flumina, Medo
Prandente, et madidis cantat quæ Sostratus
alis.
Ille tamen, qualis rediit, Salamine relicta,
In Corum atque Eurum solitus sævire flagellis
Barbarus, Æolio nunquam hoc in carcere passos,
Ipsum compedibus qui vinierat Ennosigæum?
Mitius id sane, quod non et stigmate dignum
Credidit. Huic quisquam vellet servire deorum?
Sed qualis rediit? Nempe una nave, cruentis
Fluctibus, ac tarda per densa cadavera prora.
Has toties optata exegit gloria pœnas! |
Le héros de
Pella n’a point assez d’un monde:
Dans Sériphe ou Gyare, étroits cachots de l’onde,
Comme s’il étouffait captif, l’infortuné
Dans l’immense univers s’agite emprisonné!
Un jour dans Babylone, où le colosse tombe,
Il se contentera cependant d’une tombe!
C’est la mort seulement qui force notre orgueil
D’avouer combien l’homme est petit au cercueil!
Jadis le mont Athos ouvrit ses flancs aux proues;
Des flottes, comme un pont, sonnèrent sous les roues:
Le Grec menteur l’affirme; — et les Mèdes altiers
Buvaient dans un repas des fleuves tout entiers:
Sostrate chante ainsi quand Bacchus le domine.
Comment revint pourtant Xerxès de Salamine,
Lui qui, plus dur qu’Éole, aux bords des flots mouvants,
Brisait le fouet noueux sur les ailes des vents,
Et chargeait de liens Neptune, dieu parjure?
Heureux, si du fer chaud il lui sauva l’injure!
Quel dieu voudrait servir ce maître convulsif?
Mais comment revint-il? dans un fragile esquif,
Retardé par les morts flottants sur l’eau sanglante....
Voilà comme on expie une gloire insolente! |
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Da spatium vitæ, multos da, Jupiter, annos!
Hoc recto vultu solum, hoc et pallidus optas,
Sed quam continuis et quantis longa senectus
Plena malis! Deformem et tetrum ante omnia vultum,
Dissimilemque sui, deformem pro cute pellem,
Pendentesque genas, et tales aspice rugas
Quales, umbriferos ubi pandit Tabraca
saltus,
In vetula scalpit jam mater simia bucca.
Plurima sunt juvenum discrimina: pulchrior ille
Hoc, atque ille alio; multum hic robustior illo:
Uns senum facies, cum voce trementia labra,
Et jam leve caput, madidique infantia nasi.
Frangendus misero gingiva panis inermi:
Usque adeo gravis uxori, natisque, sibique,
Ut captatori moveat fastidia Cosso. |
Donne-moi,
Jupiter, donne-moi de longs jours!
Riche, ou pâle de faim, c’est là ton vœu toujours.
Mais de combien de maux la vieillesse est remplie!
Le visage devient difforme, le corps plie;
Sur la joue un reflet livide se répand;
Jaune et méconnaissable, elle est flasque, elle pend
Si bien que Tabraca, dans ses forêts torrides,
Aux plus vieilles guenons ne voit pas tant de rides.
Les jeunes gens au moins diffèrent tous entre eux:
L’un a plus de beauté, l’autre est plus vigoureux.
Les vieillards sont tous laids, et tous ils se ressemblent:
Un front chauve, une voix et des lèvres qui tremblent,
Un nez toujours humide, une bouche sans dent
Qui veut broyer le pain, et qui saigne en mordant.
A charge à sa famille, à soi-même, on excite
Les dégoûts d’un Cossus, l’intrigant parasite! |
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Non eadem vini atque cibi, torpente palato,
Gaudia: nam coïtus jam longa oblivio; vel si
Coneris, jacet exiguus cum ramice nervus,
Et, quamvis tota palpetur nocte, jacebit.
Anne aliquid sperare potest hæc inguinis ægri
Canities? quid, quod merito suspecta libido est,
Quæ Venerem affectat sine viribus? Adspice partis
Nunc damnum alterius: nam quæ cantante voluptas,
Sit licet eximius, citharœdo, sive Seleuco,
Et quibus aurata mos est fulgere lacerna?
Quid refert magni sedeat qua parte theatri,
Qui vix cornicines exaudiet atque tubarum
Concentus? Clamore opus est, ut sentiat auris,
Quem dicat venisse puer, quot nuntiet horas. |
Le palais
engourdi mange et boit sans désir;
Les sens ont oublié la saveur du plaisir;
En vain toute une nuit de labeur, de caresse,
Veut du nerf languissant réveiller la paresse.
Qu’attendre d’un vieillard usé, débile et froid?
La débauche impuissante est suspecte à bon droit!
— Ce n’est pas tout encor: fantôme pâle et triste,
Il est sourd aux concerts du meilleur cithariste,
De Séleucus lui-même; il est sourd aux accents
Des chanteurs, sous la pourpre et l’or éblouissants.
Au théâtre, qu’importe enfin qu’il dorme ou veille?
Le cor sonne éclatant sans frapper son oreille;
Et toujours, à grands cris, son robuste valet
Annonce une visite, et dit quelle heure il est. |
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Præterea minimus gelido jam corpore sanguis
Febre calet sola; circnmsilit, agmine facto,
Morborum omne genus quorum si nomina quæras,
Promptius expediam quot amaverit Hippia mœchos,
Quot Themison ægros autumno occident
uno
Quot Basilus socios, quot circumscripserit Hirrus
Pupillos, quot longa viros exsorbeat uno
Maura die, quot discipulos inclinet Hamillus;
Percurram citius quot villas possideat nunc,
Quo tondente gravis juveni mihi barba
sonabat.
Ille humero, hic lumbis, hic coxa debilis; ambos
Perdidit ille oculos et luscis invidet: hujus
Pallida labra cibum accipiunt digitis alienis.
Ipse ad conspectum cœnæ diducere rictum
Suetus, hiat tantum, ceu pullus hirundinis, ad quem
Ore volat pleno miter jejuna. Sed omni
Membrorum damno major dementia, quæ nec
Nomina servorum, nec vultum agnoscit amici
Cum quo præterita cœnavit nocte, nec illos
Quos genuit, quos eduxit. Nam codice sævo
Heredes vetat esse suos; bona tota feruntur
Ad Phialen : tantum artificis valet
halitus oris,
Quod steterat multis in carcere fornicis annis! |
La fièvre
seule échauffe un corps bon pour la tombe;
Tout l’escadron des maux sur lui s’acharne et tombe.
Si je les nommais tous, j’aurais plutôt compté
Les gens que Thémison fauche dans un été;
Les amants d’Hippia; les clients que Basile
Et qu’Hirrus ont laissés nus, sans pain, sans asile;
Tous les hommes qu’épuise en un seul jour Maura;
Les enfants qu’Hamillus, rhéteur, déshonora,
Et les champs qu’aujourd’hui possède un personnage
Qui rasait le poil dur et fort de mon jeune âge.
L’un souffre de l’épaule ou des reins; l’autre, vieux,
Porte envie à ce borgne en perdant les deux yeux;
Ou, de la main d’autrui prenant sa nourriture,
Ne sait plus qu’entrouvrir sa bouche à la pâture,
Comme un petit oiseau, frêle, mourant de faim,
Vers qui sa mère à jeun revoie, le bec plein.
Mais la démence vient combler des maux si graves:
Le vieillard oubliera le nom de ses esclaves;
Son ami qui la veille à ses côtés dînait,
Ses fils, ses propres fils, vois, il les méconnaît!
Un testament barbare a frustré sa famille;
Tous ses biens, Phialé, courtisane, les pille:
Tant cette bouche immonde, habile dans son art,
S’est instruite aux leçons du hideux lupanar! |
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Ut vigeant sensus aniini, ducenda tamen sunt
Funera natorum, rogus adspiciendus amatæ
Conjugis et fratris, plenæque sororibus urnæ.
Hæc data pœna diu viventibus, ut, renovata
Semper clade domus, multis in luctibus, inque
Perpetuo mœrore et nigra veste senescant.
Rex Pylius, magno si quidquam credis Homero,
Exemplum vitæ fuit a cornice secunde.
Felix nimirum, qui tot per accula mortem
Distulit, atque sues jam dextra computat
annos
Quique novum toties mustum bibit ! Oro, parumper
Attendas, quantum de legibus ipse queratur
Fatorum, et nimio de stamine, quum videt acris
Antilochi barbam ardentem : nam quærit ab omni
Quisquis adest socio, cur hæc in tempora duret,
Quod facinus dignum tam longo admiserit ævo.
Hæc eadem Peleus, ratum quum luget Achillem,
Atque alius, cui fas Ithacum lugere natantem.
Incolumi Troja, Priamus venisset ad umbras
Assaraci, magnis solemnibus, Hectore funus
Portante, ne reliquis fratrum cervicibus, inter
Iliadum lacrymas, ut primos edere planctus
Cassandra inciperet, scissaque Polixena palla,
Si foret extinctus diverso tempore, quo non
Cœperat audaces Paris ædificare carinas.
Longa dies igitur quid contulit? omnia vidit
Eversa, et flammis Asiam ferroque cadentem.
Tunc miles tremulus posita tulit arma tiara,
Et ruit ante aram summi Jovis, ut vetulus bos,
Qui domini cultris tenue et miserabile collum
Præbet, ab ingrate jam fastiditus aratro.
Exitus ille utcumque hominis : sed torva
canino
Latravit rictu, quæ post hunc vixerat, uxor. |
Mais sa raison
vaincrait la vieillesse jalouse
Il faut mener le deuil de ses fils, d’une épouse,
Voir le bûcher d’un frère, et mouiller de ses pleurs
Les urnes des tombeaux, toutes pleines de sœurs!
Il faut (dur châtiment d’une trop longue vie!)
Voir sans cesse une mort d’une autre mort suivie,
Et, toujours sanglotant près d’un nouveau cercueil,
Vieillir dans le chagrin, en noirs habits de deuil!
Homère nous apprend que Nestor, ô merveille!
Atteignit presque l’âge où parvient la corneille.
Heureux qui, de la mort épargné si longtemps,
Sur sa main droite a pu compter plus de cent ans,
Et boire tant de fois la vendange écumante!
Mais, de grâce, écoutez!... Dieux! comme il se lamente!
Car il a trop vécu, car il a vu coucher,
Dans un linceul de flamme, Antiloque au bûcher!
« Que vous ai-je donc fait, cruelles destinées?
Quel crime ai-je commis pour vivre tant d’années? »
Sur Achille, Pélée ainsi fond en sanglots;
Laërte pleure Ulysse, errant parmi les flots.
Si Priam fût tombé, ruine solennelle,
Avant que de Pâris la flotte criminelle
Eût sillonné les mers, — sans voir ses dieux vaincus,
Il eût joint, triomphant, l’ombre d’Assaracus
Tous les fils de Priam, Hector leur noble frère,
Eussent marché, portant la couche funéraire;
Polyxène au milieu des Troyennes en pleurs,
Cassandre, auraient donné le signal des douleurs!
— A quoi bon ses longs jours? Il vit s’écrouler Troie,
Toute l’Asie au fer comme à la flamme en proie!
Déposant la tiare, alors, faible soldat,
Aux pieds de Jupiter un dernier coup l’abat:
Comme le vieux taureau, quand sa tâche est remplie,
Au fer d’un maître ingrat tend sa tête qui plie.
Ce trépas est d’un homme!.., O sort plus effrayant!
Hécube vit, changée en molosse aboyant. |
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Festino ad nostros, et
regem transeo Ponti,
Et Crœsum, quem vox justi facunda
Solonis
Respicere ad longæ jussit spatia ultima vitæ.
Exilium, et carcer, Minturnarumque paludes,
Et mendicatus victa Carthagine panis,
Hinc causas habuere. Quid illo cive tulisset
Natura in terris, quid Roma beatius unquam,
Si, circumducto captivorum agmine, et omni
Beborum pompa, animam exhalasset opimam,
Quum de Teutonico vellet descendere curru?
Provida Pompeio dederat Campania febres
Optandas; sed mœstæ urbes, et publica vota
Vicerunt. Igitur fortuna ipsius et urbis
Servatum victo caput abstulit, hoc cruciatu
Lentulus, hac pœna caruit, ceciditque
Cethegus
Integer, et jacuit Catilina cadavere toto. |
J’omets le roi
de Pont, j’omets Crésus lui-même,
A qui Scion disait d’attendre au jour suprême
Pour juger du bonheur : j’arrive à nos Romains.
Les fers dont Marius a vu charger ses mains,
Les marais de Minturne, et l’exil en partage,
Et le pain mendié sur ta cendre, ô Carthage!...
L’âge seul a tout fait. Dans l’univers entier,
Quel mortel plus heureux, quel bonheur plus altier,
Si, parmi les Teutons, sur le char de victoire,
Il avait exhalé son âme, ivre de gloire?
Certes, la Campanie entrevoyait le sort,
En soufflant à Pompée et la fièvre et la mort:
Mais les villes en, deuil, pour les jours de Pompée,
Implorent les grands dieux, et la Parque est trompée.
Heureux si le vainqueur eût moins longtemps vécu!
Le fer n’eût point tranché la tête du vaincu.
Sans être mutilé, Céthégus au moins tombe;
Catilina descend tout entier dans la tombe! |
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Formam optat modico pueris, majore puellis
Murmure, quum Veneris fanum videt anxia mater,
Usque ad delicias votorum. Cur tamen, inquit,
Corripias? pulchra gaudet Latona Diana.
Sed vetat optari faciem Lucretia, qualem
Ipas habuit. Cuperet Rutilæ Virginia gibbum
Accipere, atque suam Rutilæ dare. Filius autem
Corporis egregii miseros trepidosque parentes
Semper habet: rara est adeo concordia formæ
Atque pudicitiæ! Sanctos licet horrida mores
Tradiderit domus, ac veteres imitata Sabinas;
Præterea castum ingenium, vultumque modesto
Sanguine ferventem tribuat natura benigna
Larga manu (quid enim puero conferre potest plus
Custode et cura natura potentior omni?),
Non licet esse viros: nam prodiga corruptoris
Improbitas ipsos audet tentare parentes:
Tanta in muneribus fiducia! Nullus ephebum
Deformem sæva castravit in arce
tyrannus;
Nec prætextatum rapuit Nero loripedem, nec
Strumosum, atque utero pariter gibboque tumentem. |
Une mère, en
voyant le temple de Vénus,
Demande, avec des cris d’amour mal contenus,
La beauté pour son fils, mais surtout pour sa fille:
C’est le plus tendre vœu des mères de famille.
Est-ce un crime? Diane est belle, et sa beauté
De Latone joyeuse enivre la fierté!
Mais Lucrèce! —Elle aussi, Lucrèce, elle était belle!
Pour avoir ton épaule inégale et rebelle,
Rutila! Virginie eût donné ses attraits.
La beauté dans un fils, l’avantage des traits,
C’est un présent fatal !... Toujours sa mère tremble!
Car pudeur et beauté vont rarement ensemble.
Ta famille rigide, aux farouches humeurs,
De l’antique Sabane eût conservé les mœurs;
La nature, en formant ton cœur pur et céleste,
Eût décoré ton front d’une rougeur modeste
(Et quel trésor plus beau, quel don plus triomphant
La nature peut-elle accorder à l’enfant?),
On t’empêche d’être homme !... Un corrupteur infâme
De tes parents séduits vient empoisonner l’âme;
Tant l’or a de pouvoir ! Jamais tyran n’a fait
Mutiler un enfant boiteux ou contrefait;
Et ces nains scrofuleux, ridicules ébauches,
N’ont jamais de Néron assouvi les débauches. |
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Nunc, ergo specie juvenis lætare tui, quem
Majora exspectant discrimina! Fiet adulter
Publicus, et pœnas metuet quascumque mariti
Exigere irati; nec erit felicior astro
Martis, ut in laqueos nunquam incidat. Exigit autem
Interdum ille dolor plus quam lex ulla dolori
Concessit. Necat hic ferro, secat ille cruentis
Verberibus; quosdam mœchos et mugilis
intrat.
Sed tuus Endymion dilectæ fiet adulter
Matronæ; mox, quum dederit Servilia nummos,
Fiet et illius quam non amat : exuet omnem
Corporis ornatum. Quid enim ulla negaverit udis
Inguinibus, sive est hæc Hippia, sive Catulla?
Deterior totos habet illic femina mores. |
Allons,
réjouis-toi, mère, ton fils est beau!
Mais par d’autres chemins il arrive au tombeau.
Adultère public, il craindra sans relâche
Un époux furieux, vindicatif et lâche;
Plus fortuné que Mars, sans cesse pourra-t-il
Fuir le piège hypocrite et le filet subtil?
Il n’est rien qu’un jaloux ne permette à sa rage:
Plus de frein, plus de lois! Pour venger son outrage,
Il tue avec le fer, avec les fouets sanglants,
Avec l’affreux mugil qui dévore les flancs!
— Oh! mon Endymion n’aura qu’une maîtresse!
— Soit! Mais que Servilie, en sa folle tendresse,
Lui promette de l’or.., sans amour, le voilà
Son amant: il la vole! Oppia, Catulla,
Votre avance n’est qu’une bien faible digue!
Quand elle a soif d’amour, une avare est prodigue. |
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Sed casto quid forma nocet? quid profuit olim
Hippolyto grave propositum? quid Bellerophonti?
Erubuit nempe hæc, ceu fastidita, repulsa.
Nec Sthenobœa minus quam Cressa excanduit, et se
Concussere ambæ. Mulier sævissima tunc est,
Quum stimulos odio pudor admovet. Elige quidnam
Suadendum esse putes, cui nubere Cæsaris
uxor
Destinat. Optimus hic, et formosissimus idem
Gentis patriciæ, rapitur miser extinguendus
Messalinæ oculis. Dudum sedet illa parato
Flammeolo, tyriusque palam genialis in hortis
Sternitur, et ritu decies centena
dabuntur
Antiquo; veniet cum signatoribus auspex.
Hæc tu secreta et paucis commissa putabas?
Non, nisi legitime, vult nubere : quid placeat, dic?
Ni parere vetis, pereundum erit ante lucernas.
Si scelus admittas, dabitur mora parvula, dum res
Nota urbi et populo contingat principis aures.
Dedecus ille domus sciet ultimus. Interea tu
Obsequere imperio, si tanti est vita dierum
Paucorum. Quidquid melius leviusque putaris,
Præbenda est gladio pulchra hæc et candida cervix. |
— Quoi! la
beauté nuirait à l’homme chaste? Non.
— Souviens-toi d’Hippolyte et de Bellérophon,
Quand Sthénobée et Phèdre, ardentes, indignées,
Jurent d’anéantir qui les a dédaignées!
Si la honte et l’amour stimulent son courroux,
La femme est implacable!... Allons, prononcez-vous:
Que doit faire celui qu’amoureuse et jalouse,
La femme de César aujourd’hui même épouse?
Lui vertueux et beau, lui d’un illustre rang,
Aux pieds de Messaline on le trame expirant...
Déjà du flamméum elle couvre sa tête,
Et la couche de pourpre en ses jardins est prête.
Voilà le million de sesterces compté;
L’augure, les témoins entrent de tout côté.
Tu croyais au mystère, innocente victime!
Mais elle ne veut rien qu’un hymen légitime.
Choisis donc! Un refus, c’est la mort, Silius!
Accepte? et tu vivras quelques moments de plus,
Jusqu’à l’heure où ton crime, insolente merveille,
Ira de l’empereur épouvanter l’oreille:
Il saura le dernier l’opprobre de son lit!
Mais refuse ou consens : ton destin s’accomplit;
Rien ne peut te sauver! Déjà le fer se lève...
Cette tête charmante, elle est promise au glaive! |
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Nil ergo optabunt homines? Si consilium vis,
Permittes ipsis expendere numinibus, quid
Conveniat nobis, rebusque sit utile nostris:
Nam pro jucundis aptissima quæque dabunt di.
Carior est illis homo quam sibi. Nos animorum
Impulsu, et cæca magnaque cupidine ducti,
Conjugium petimus, partumque uxoris; at illis
Notum qui pueri, qualisque futura sit uxor.
Ut tamen et poscas aliquid, voveasque sacellis
Exta, et candiduli divina tomacula porci,
Orandum est ut sit mens sana in corpore sano.
Fortem posce animam, mortis terrore carentem,
Qui spatium vitæ extremum inter munera ponat
Naturæ, qui ferre queat quoscumque labores,
Nesciat irasci, cupiat nihil, et potiores
Herculis ærumnas credat sævosque labores
Et Venere, et cœnis, et pluma Sardanapali.
Monstro qnod ipse tibi possis dare. Semita certe
Tranquillæ per virtutem patet unica vitæ.
Nullum numen abest, si sit prudentia: nos te,
Nos facimus, Fortuna, deam, cœloque locamus. |
Que souhaiter
alors? -—Pas de vœux indiscrets!
Laissons aux dieux le soin de nos vrais intérêts;
Ils donnent ce qu’il faut, et non point ce qu’on aime
L’homme est plus cher aux dieux qu’il n’est cher à lui-même!
Par l’élan de ton cœur en aveugle emporté,
Tu veux le mariage et la paternité.
Mais les dieux clairvoyants, qui plaignent ta chimère,
Savent, eux, quels seront les enfants et la mère!
Si tu veux toutefois du sang de tes troupeaux
Abreuver les autels, demande sans repos
Un esprit ferme et sain dans un corps sain et ferme;
Demande une âme forte, un cœur fort, qui se ferme
Aux terreurs de la tombe, et, calme, radieux,
Envisage la mort comme un bienfait des dieux;
Une âme exempte enfin de colère et d’envie,
Courageuse à porter les peines de la vie,
Qui préfère aux amours, à la danse, au festin,
Et les travaux d’Hercule et son âpre destin. —
Ces richesses, tu peux te les donner toi-même;
La vertu seule mène au calme, au bien suprême. —
Soyons sages, Fortune, et tu n’as plus d’autels!...
C’est nous qui t’avons mise au rang des immortels. |
NOTES SUR LA SATIRE X.
V. 10.
Viribus ille,
etc.
— Milon
de Crotone périt pour avoir trop compté sur sa force. Un jour qu’il
voulait fendre un chêne en deux, ses bras restèrent engagés dans
l’arbre, et il fut dévoré par les loups.
V. 17.
Lateranorum,
etc.
—
Plautius Lateranus, consul désigné, fut mis à mort par les ordres de
Néron.
V. 25.
Arca foro,
etc.
— Le
vieux scoliaste nous apprend que les gens riches avaient coutume de
faire porter leur caisse au forum de Trajan, comme dans un lieu de
sûreté.
V. 28.
De
sapientibus alter,
etc.
—
Héraclite et Démocrite.
V. 36.
Praetexta et trabeae,
etc.
— La
prétexte, espèce de tunique blanche bordée de pourpre. Les jeunes
patriciens la portaient jusqu’à dix-sept ans, et les magistrats en
étaient revêtus dans les solennités. — La trabée était une robe de
pourpre à bandes, costume distinctif des rois et des dictateurs.
V. 50.
Vervecum in patria.
—
Démocrite était d’Abdère, ville de Thrace. On croyait que l’air de
ce climat, favorable aux animaux, abrutissait les hommes.
V. 74.
Si Nursia Tusco,
etc.
—
Nursia, divinité adorée chez les Toscans. Séjan était né en Toscane.
V. 83.
Brutidius.
— Ce
rhéteur obtint la faveur de Tibère par ses flatteries et ses
délations. Mais, accusé à son tour, il fut contraint de se tuer
V. 84.
Ajax.
— Ajax veut dire ici Tibère.
V. 109.
Ad sua qui
domitos, etc.
— Ce
vers désigne Jules César, et non pas Auguste, qui mourut dans son
lit.
V. 115.
Quinquatribus.
— Ces
fêtes s’appelaient quinquatries; elles répondaient aux
Panathénées des Grecs.
V. 122.
O fortunatam natam.
— J’avoue qu’il me paraît difficile que Cicéron ait fait ce vers
grotesque. Nous avons de ce grand orateur quelques fragments
poétiques qui sont loin d’être sans mérite.
V. 125.
Philippica.
— Cette
seconde Philippique flétrit à jamais la mémoire du triumvir Antoine,
et le rendit implacable.
V. 165.
Cannarum vindex,
etc.
—Annibal, proscrit, se réfugia chez Prusias; mais, pour ne pas être
livré à la vengeance des Romains, il s’empoisonna au moyen d’un
anneau.
V. 168.
Unus Pellaeo.
—
Alexandre le Grand, né à Pella, en Macédoine.
V. 174.
Aedificatus Athos.
—
Hérodote prétend que Xerxès fit couper le mont Athos pour ouvrir à
sa flotte un chemin plus court.
V. 178.
Sostratus.
—On ne
peut dire quel était ce Sostrate. Ce devait être quelque mauvais
poète, venu de Grèce à Rome pour chercher fortune.
V. 194.
Tabraca.
—Ville
de Numidie.
V. 221.
Themison.
— Ce
médecin, disciple d’Asclépiade, vivait sous Auguste.
V. 226.
Quo tondente gravis,
etc.
— On a
déjà vu ce vers (satire I, v. 25).
V. 238.
Ad Phialen.
— Cette
Phialé était ce que les Romains appelaient
fellatrix.
V. 249.
Dextra computat annos.
— Les
anciens marquaient avec la main gauche les nombres depuis un jusqu’à
cent; pour compter les centaines et les mille, ils se servaient de
la main droite.
V. 271.
Sed torva canino.
—
Hécube, femme de Priam, fut métamorphosée en chienne.
V. 278.
Regem Ponti.
—
Mithridate, roi de Pont, s’empoisonna.
V. 274.
Et Croesum,
etc.
—
Crésus demandait à Solon quel était le plus heureux des mortels. —
« Quant à votre demande, lui dit Solon, je ne puis y répondre avant
de savoir que vous ayez fini vos jours dans la prospérité. Tant
qu’un homme vit, on ne doit point dire qu’il est heureux, mais
seulement qu’il est fortuné. » (Hérodote, liv. I.)
V. 283.
Provida Pompeio,
etc.
— « Si Pompée, l’ornement et l’appui
de notre empire, eût été emporté par la maladie qu’il eut à Naples,
il fût mort incontestablement le premier des Romains ». (Voy.
SÉNÈQUE, Consol. ad Marc.)
V. 287
et suivant.
Lentulus,
etc.
—
C’était un déshonneur chez les anciens de subir, en mourant, un
genre de mutilation qui rappelait le supplice des criminels.
V. 307.
Castravit,
etc.
— Les
tyrans employaient la castration, afin que les victimes de leurs
débauches conservassent plus longtemps la fraîcheur de la jeunesse.
V. 313.
Felicior astro Martis.—Mars
et Vénus furent surpris au milieu de leurs amours adultères par
Vulcain, qui les enveloppa dans un filet d’acier.
V. 317.
Mugilis.
— Le
mugil est un petit poisson très vorace, qu’on introduisait dans
le fondement du malheureux surpris en adultère.
V. 330.
Cui nubere Caesaris uxor,
etc.
— Claude ayant quitté Rome pour
quelques jours, sa femme Messaline eut l’audace d’épouser
publiquement C. Silius. L’empereur en fut instruit par Narcisse, et
fit périr les deux coupables. (Tacite, Annal., lib. XI; et
Suet., In Claud.)
V. 335.
Decies centena,
etc.
— Un
million de sesterces était la dot ordinaire des filles patriciennes.
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