JUVÉNAL

 

SATIRE VIII

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

SATURA VIII / SATIRE VIII.

(Traduction de L. V. Raoul, 1812)

satire VII - satire IX

autre traduction

 

 

 

 

SATIRE VIII.

SATURA VIII.

Stemmata quid faciunt? quid prodest, Pontice, longo (01)
Sanguine censeri, pictosque ostendere vultus
Majorum, et stantes in curribus Æmilianos,
Et Curios jam dimidios, humeroque minorem
Corvinum, et Galbam auriculis nasoque carentem?
Quis fructus generis tabula jactare capaci
Fumosos equitum cum dictatore magistros,
Si coram Lepidis male vivitur? Effigies quo
Tot bellatorum, si luditur alea pernox
Ante Numantinos? si dormire incipis ortu
Luciferi, quo signa duces et castra movebant?
Cur Allobrogicis, et magna gaudeat ara
(02)
Natus in Herculeo Fabius lare, si cupidus, si
Vanus, et Euganes quantumvis mollior agna;
Si tenerum attritus Catinensi pumice lumbum,
Squalentes traducit avos, emptorque veneni,
Frangenda miseram funestat imagine gentem?
Tota licet veteres exornent undique ceræ
Atria, nobilitas sola est atque unica virtus.

Qu’importe, Ponticus une illustre naissance?
Qu’importe d’étaler avec magnificence,
De ses aïeux rangés dans un ordre pompeux,
Les antiques portraits, les titres fastueux,
Les Scipions debout sur leur char de victoire,
Et, parmi ces tronçons ou de marbre ou d’ivoire,
Des Drusus mutilés, des Scaurus en éclats,
Un Galba sans oreille, un Corvinus sans bras,
Lorsque de ces héros, noircis par la fumée,
L’opprobre de tes mœurs flétrit la renommée?
Lorsqu’aux yeux d’un Lépide, à l’aspect d’un Paulus,
Tu te livres sans frein à tes goûts dissolus,
Et que, les dés en main, passant la nuit entière,
A peine au point du jour tu fermes la paupière,
A l’heure où, préparant des triomphes nouveaux,
Déjà ces nobles chefs déployaient leurs drapeaux?
Que sert à Fabius, fier de l’autel d’Hercule,
Que le pur sang des dieux dans ses veines circule,
Si, mortel orgueilleux, avide, efféminé,
Le trafic des poisons dont il est soupçonné,
Démentant les exploits de ces grands personnages,
De honte devant lui fait rougir leurs images?
De cent titres en vain il marche revêtu,
Il n’est qu’une noblesse, elle est dans la vertu.

Paulus, vel Cossus, vel Drusus moribus esto;
Hos ante effigies majorum pone tuorum;
Præcedant ipsas illi te consule virgas:
Prima mihi debes animi bona. Sanctus haberi,
Justitiæque tenax factis dictisque mereris?
Agnosco procerem. Salve, Gœtulice, seu tu
Silanus, quocumque alio de sanguine, rarus
Civis et egregius patriæ contingis ovanti.
Exclamare libet populus quod clamat, Osiri
Invente. Quis enim generosum dixerit hunc, qui
Indignus genere, et præclaro nomine tantum
Insignis? Nanum cujusdam Atlanta vocamus;
Æthiopem, cycnum; parvam extortamque puellam,
Europen. Canibus pigris scabieque vetusta
Levibus, et siccæ lambentibus ora lucernæ,
Nomen erit pardus, tigris, leo, si quid adhuc est,
Quod fremat in terris violentius. Ergo cavebis,
Et metues, ne tu sic Creticus aut Camerinus.
His ego quem monui? tecum est mihi sermo, Rubelli
Blande. Tumes alto Drusonam sanguine, tanquam
Feceris ipse aliquid, propter quod nobilis esses,
Ut te conciperet, quæ sanguine fulget Iuli,
Non quæ ventoso conducta sub ære texit.
Vos humiles, inquis, vulgi pars ultima nostri,
Quorum nemo queat patriam monstrare parentis:
Ast ego Cecropides. Vivas, et originis hujus
(03)
Gaudia longa feras: tamen ima plebe Quiritem
Facundum invenies : solet hic defendere causas
Nobilis indocti; veniet de plebe togata
Qui juris nodos et legum ænigmata solvat.
Hic petit Euphraten juvenis, domitique Batavi
(04)
Custodes aquilas, armis industrius: at tu
Nil nisi Cecropides, truncoque simillimus Hermæ.
Nullo quippe alio vincis discrimine, quam quod
Illi marmoreum caput est; tua vivit imago.  

Descendant des Drusus, des vainqueurs de Carthage,
De leurs mœurs, avant tout, montre-moi l’héritage;
Que l’éclat de ta vie efface leurs tableaux
Consul, que la vertu précède tes faisceaux.
Ce que je veux, ce sont les qualités de l’âme.
Est-ce te seul honneur qui te guide et t’enflamme?
Es-tu de l’équité l’inflexible soutien?
Je reconnais un grand. Salut, Émilien,
Ou Cossus, ou Caton; salut, mortel illustre,
Dont Rome triomphante emprunte un nouveau lustre.
Je te vois, je t’accueille avec les mêmes cris
Que l’habitant du Nil retrouvant Osiris.
Mais j’appellerais noble un mortel méprisable
Qui n’a pour lui qu’un nom dont le fardeau l’accable!
Nous disons quelquefois d’un nain, c’est un Atlas;
D’un enfant contrefait, c’est un nouvel Hylas;
D’un chien maigre et pelé qui d’une lampe aride
Sans force, en se tramant, lèche le bec fétide,
C’est un tigre, un lion, un noble léopard,
Un animal plus fier, s’il en est quelque part.
Tremble que ne soit en ce sens ironique,
Qu’on te décore aussi du surnom de Crétique,
— A qui donc adressé-je une telle leçon?
—A Blandus, qui du sang des Drusus, des Néron,
Nous vient avec orgueil relever l’avantage,
Comme si sa noblesse était son propre ouvrage;
Comme si par lui seul il avait mérité
Qu’une fille des rois dans ses flancs l’ait porté,
Plutôt que d’être issu de l’obscure Romaine
Qui travaille en plein air à ses tissus de laine.
Vous autres, nous dit-il, jetés aux derniers rangs,
Vous qui ne pourriez pas nous nommer vos parents,
Vous n’êtes qu’une ignoble et vile populace.
Moi, l’antique Cécrops est l’auteur de ma race.
— Eh bien! fils de Cécrops, triomphe et sois heureux;
Triomphe d’être né d’un sang si généreux;
Mais pourtant n’est-ce pas dans cette populace,
Que l’on voit tous les jours les gens de votre race,
Pour venger la noblesse et défendre ses droits,
Pour résoudre au barreau les énigmes des lois,
Pour démêler les nœuds de la jurisprudence,
Venir d’un avocat implorer l’éloquence?
N’est-ce point là, malgré votre injuste dédain,
Qu’on trouve les vainqueurs de l’Euphrate et du Rhin,
Et ceux dont la vaillance aux rives du Batave,
Veille sous les drapeaux qui le tiennent esclave?
Mais toi, fils de Cécrops, sans ton nom, tu n’es rien,
Et d’un buste d’Hermès mis à côté du tien,
Si nous ne trouvons pas la ressemblance entière,
C’est que l’un est vivant, et que l’autre est de pierre.

Dic mihi, Teucrorum proles, animalia muta
Quis generosa putet, nisi fortia? Nempe volucrem
Sic laudamus equum, facili cui plurima palma
Fervet, et exsultat rauco victoria circo.
Nobilis hic, quocumque venit de gramme, cujus
Clara fuga ante alios, et primus in æquore pulvis.
Sed venale pecus Corythæ, posteritas et
Hirpini, si rara jugo victoria sedit.
Nil ibi majorum respectus, gratia nulla
Umbrarum : dominos pretiis mutare jubentur
Exiguis; trito ducunt epirhedia collo
Segnipedes, dignique molam versare Nepotis.
Ergo ut miremur te, non tua, primum aliquid da,
Quod possim titulis incidere præter honores
Quos illis damus et dabimuss, quibus omnia debes.

Dis-moi, grand citoyen, noble sang d’Iulus,
Quels sont les animaux qu’on estime le plus?
On fait cas d’un coursier qu’on voit dans la carrière,
Le premier, sous ses pas, soulevant la poussière,
Aux acclamations des spectateurs surpris,
Raser, franchir la borne et remporter le prix:
Qu’il ait de ses rivaux surpassé la vitesse,
On ne demande pas ses titres de noblesse;
Mais d’Hirpin, d’Eoüs l’indigne rejeton,
Si jamais le héraut n’a proclamé son nom,
Si jamais dans le cirque on n’a vu la victoire,
Assise sur le joug, le guider vers la gloire,
En dépit des aïeux dont il est descendu,
Au marché sans honneur dans la foule est vendu.
Là, que font les exploits, les ombres des ancêtres?
Il faut, au plus vil prix, passer à d’autres maîtres,
Et le front incliné sous d’ignobles travaux,
Aller tourner la meule ou tramer les râteaux.
Veux-tu donc, d’un beau nom héritier magnanime,
Par toi seul, ô Blandus, mériter notre estime?
Né d’illustres parents, sois illustre à ton tour;
Et qu’un titre nouveau vienne se joindre un jour
A ceux qu’on a donnés et que l’on donne encore
Aux hommes vraiment grands dont la vertu t’honore.

Hæc satis ad juvenem, quem nobis fama superbum
Tradit, et inflatum plenumque Nerone propinquo.
Rarus enim ferme sensus communia in illa
Fortuna. Sed te censeri laude tuorum,
Pontice, noluerim, sic ut nihil ipse futuræ
Laudis agas. Miserum est aliorum incumbere famæ,
Ne collapsa ruant subductis tecta columnis.
Stratus humi palmes viduas desiderat ulmos.

 Mais laissons là ce fat enorgueilli, dit-on,
Et gonflé de l’honneur d’être issu de Néron:
Chez tous ces favoris de l’aveugle fortune,
Le sens commun n’est point une chose commune.
Pour toi, cher Ponticus, j’aurais trop de regret,
Si de ton propre honneur négligeant l’intérêt,
Quand tu peux par toi-même illustrer ta mémoire,
Le nom de tes aïeux faisait toute ta gloire.
Il est trop malheureux de n’avoir pour appui
Que le fragile étai du mérite d’autrui.
Tel, privé du soutien d’une colonne antique,
S’écroule tout à coup un temple magnifique;
Tel un cep tortueux vers la terre penché,
Languit loin de l’ormeau dont il est détaché.

Esto bonus miles, tutor bonus, arbiter idem
Integer: ambiguæ si quando citabere testis
Incertæque rei, Phalaris licet imperet ut sis
Falsus, et admoto dicat perjuria tauro,
Summum crede nefas animam præferre pudori,
Et propter vitam vivendi perdere causas.
Dignus morte petit, cœnet licet ostrea centum
Gaurana, et Cosmi toto mergatur aheno.

Sois fidèle tuteur, sois soldat intrépide:
Juge, à tous tes arrêts que l’équité préside;
Et s’il faut témoigner sur un fait incertain,
Quand lui-même, à tes yeux, de son taureau d’airain,
Phalaris, préparant l’effroyable torture,
Viendrait, le glaive en main, te dicter un parjure,
Résiste, et des bourreaux défiant la fureur,
Songe que préférer l’existence à l’honneur,
Et renoncer, pour vivre, aux motifs de la vie,
Est le comble du crime et de l’ignominie.
Qui mérite la mort n’existe déjà plus:
C’est en vain que, parmi les mets d’un Lucullus,
Les huîtres de Lucrin sur ses tables abondent,
En vain que de Cosmus tous les parfums l’inondent.

Exspectata diu tandem provincia quuum te
Rectorem accipiet, pone iræ frena modumqne,
Pone et avaritiæ; miserere inopum sociorum.
Ossa vides regum vacuis exsucta medullis.
Respice quid moneant leges, quid curia mandet;
Præmia quanta bonos maneant; quam fulmine justo
Et Capito et Numitor ruerint, damnante senatu,
Piratæ Cilicum. Sed quid danmatio confert,
Cum Pansa eripiat quidquid tibi Natta reliquit?
Præconem, Chærippe, tuis circumspice pannis,
(05)
Jamque tace. Furor est post omnia perdere naualum.

Tes vœux sont accomplis, te voilà gouverneur;
Mais à ce haut emploi porté par la faveur,
Prends garde à l’avarice, étouffe la colère,
Des peuples alliés épargne la misère;
Là tu verras des rois, spectacle attendrissant!
Dont les questeurs de Rome ont sucé tout le sang:
Des lois et du sénat respecte la puissance:
Vois de l’homme de bien qu’elle est la récompense:
Vois du Cilicien hardis spoliateurs
Capiton, Numitor, ces avides préteurs,
Corsaires enrichis aux dépens de corsaires,
Crouler en plein sénat sous des foudres sévères;
Mais que font au brigand qui remplace Verrès,
Du sénat irrité les impuissants décrets,
Si le peu que laissa ce proconsul avare,
Un autre sur ses pas arrive et s’en empare?
Si Tutor à Verrès succède sans effroi?
Vends tes derniers haillons, Chérippus, et tais-toi.
A quoi bon, pour te plaindre, affrontant le naufrage,
Aller risquer encor les dépens du voyage?

Non idem gemitus olim, nec vulnus erat par
Damnorum, sociis florentibus, et modo victis.
Plena domus tunc omnis, et ingens stabat acervus
Nummorum, Spartana chlamys, conchylia Coa,
Et cum Parrhasii tabulis signisque Myronis
Phidiacum vivebat ebur, necnon Policleti
Multus ubique labor: raræ sine Mentore mensæ.
Inde Dolabella est, atque hinc Antonius; inde
Sacrilegus Verres. Referebant navibus altis
Occulta spolia, et plures de pace triumphos.
(06)
Nunc sociis juga pauca boum, grex parvus equarum,
Et pater armenti capto eripietur agello
Ipsi deinde Lares, si quod spectabile signum,
Si quis in ædicula deus unicus: hæc etenim sunt
Pro summis; nam sunt hæc maxima. Despicias tu
Forsitan imbelles Rhodios unctamque Corinthum;
Despicias merito. Quid resinata juventus,
Cruraque totius facient tibi levia gentis?
Horrida vitanda et Hispania, Gallicus axis,
Illyricumque latus. Parce et messoribus illis
Qui saturant urbem, circo scenæque vacantem.
Quanta autem inde feres tam dira premia culpæ,
Quum tenues nuper Marius discinxerit Afros?
Curandum in primis, ne magna injuria fiat
Fortibus et miseris : tollas licet omne quod usquam est
Auri atque argenti; scutum gladiumque relinques,
Et jacula, et galeam. Spoliatis arma supersunt.
Quod modo proposui, non est sententia, verum
Credite me vobis folium recitare Sibyllæ.

Les vaincus, accablés d’un joug moins rigoureux,
Au temps de la conquête étaient encore heureux.
Ils portaient sans gémir le fardeau de leurs chaînes:
Le vol était proscrit: les maisons étaient pleines:
La pourpre s’y montrait parmi des monceaux d’or;
Et des Parrhasius, des Myron, des Mentor,
L’art, animant la toile et le marbre et l’ivoire,
Des beaux jours de la Grèce y conservait la gloire.
C’est plus tard que l’on vit un Antoine, un Verrès,
Pirates triomphants à l’ombre de la paix,
Des tributs entassés de vingt peuples fidèles,
Charger furtivement leurs poupes criminelles.
Maintenant que ravir à ces infortunés?
D’un troupeau languissant les restes décharnés;
Un taureau sans vigueur, quelques bœufs faméliques,
Ou les bustes sacrés de leurs dieux domestiques,
S’il leur en reste un seul de quelque prix encor;
Car est là leur plus cher et leur dernier trésor.
Des peuples énervés de Rhodes et de Corinthe,
Méprise, j’y consens, la mollesse et la plainte;
Leur murmure impuissant n’est point à redouter;
Tu peux braver leurs cris; mais tremble d’irriter
Le Gaulois, l’Espagnol, l’habitant d’Illyrie;
Respecte l’Africain par qui Rome est nourrie,
Et qui, de la sueur dont son champ est trempé,
Engraisse un peuple oisif, de jeux seuls occupé.
Et l’Africain d’ailleurs, que craint-il du pillage?
Marius n’a-t-il pas exploré ce rivage?
Du brave au désespoir poussé par le malheur,
Garde-toi bien surtout d’outrager la valeur.
En vain l’or et l’argent seront en ta puissance:
Tu ne lui raviras le casque ni la lance,
Ni les dards enfouis, ni les glaives rouillés.
Il restera du fer aux peuples dépouillés.
Ces mots n’enferment point un oracle futile;
Crois ici par ma bouche entendre la Sibylle.

Si tibi sancta cohors comitum, si nemo tribunal
Vendit Acersecomes, si nullum in conjuge crimen,
Nec per conventus, nec cuncta per oppida curis
Unguibus ire parat, nummos raptura Celæno:
Tunc licet a Pico numeres genus; altaque si te
Nomina delectant, omnem Titanida pugnam
Inter majores ipsumque Promethea ponas:
De quocumque voles proavum tibi sumito libro.
Quod si præcipitem rapit ambitus atque libido,
Si frangis virgas sociorum in sanguine, si te
Delectant hebetes lasso lictore secures:
Incipit ipsorum contra te stare parentum
Nobilitas, claramque facem præferre pudendis
Omne animi vitium tanto conspectius in se
Crimen habet, quanto major, qui peccat, habetur.
Quo mihi te solitum falsas signare tabellas
In templis quæ fecit avus, statuamque parentis
Ante triumphalem? quo, si nocturnus adulter
Tempora Santonico velas adoperta cucullo?

Si tu n’es entouré que d’hommes vertueux;
Si, chez toi, trafiquant d’un crédit monstrueux,
Un Ganymède impur ne vend pas la justice;
Si, comme une harpie, en proie à l’avance,
Ta femme sur tes pas, prête à tout envahir,
De cités en cités ne court pas s’enrichir,
Cherche de quels grands noms ton oreille est flattée,
Sois le fils de Picus, descends de Prométhée,
Et de nos vieux récits débrouillant le chaos,
Remonte, si tu veux, aux plus anciens héros;
Mais si l’ambition règne au fond de ton âme;
Si de feux criminels la volupté t’enflamme;
Si, portant la terreur chez des peuples soumis,
Tes faisceaux sont trempés du sang de nos amis;
Si tu te plais à voir, en ta rage insensée,
Tes licteurs haletants et leur hache émoussée,
De tous ces noms pompeux le lustre accusateur
Ne sert qu’à mettre au jour l’opprobre de ton cœur.
Aperçu de plus loin dans un poste honorable,
Le crime se mesure aux titres du coupable.
Que viens-tu m’éblouir d’un édit spécieux,
Quand, devant les autels dressés par tes aïeux,
Aux pieds de la statue élevée à leur gloire,
En souscrivant un faux, tu flétris leur mémoire?
Quand on te voit, la nuit, brûlant de feux impurs,
Sous la cape gauloise errer seul dans nos murs?

Præter majorum cineres atque ossa,volucri
Carpento rapitur pinguis Damasippus, et ipse,
Ipse rotam stringit multo sufflamine consul:
(07)
Nocte quidem ; sed luna videt; sed sidera testes
Intendunt oculos. Finitum tempus honoris
Quum fuerit, clara Damasippus luce flagellum
Sumet, et occursum nunquam trepidabit amici
Jam senis, ac virga prior annuet atque maniplos
Solvet, et infundet jumentis hordea lassis.
Interea, dum lanatas torvumque juvencum,
More Numæ, cædit Jovis ante altania, jurat
Solam Eponam et facies olida ad præsepia pictas.
Sed quum pervigiles placet instaurare popinas,
Obvius amiduo Syrophœnix udus amomo
Currit, Idumææ Syrophœnix incola partæ,
(08)
Hospitis affectu dominum regamque salutat
Et cum venali Cyane succincta lagena.

Damasippus, le long du tombeau de ses pères,
D’un quadrige élégant tient les rênes légères;
Il est son propre guide, et, consul indécent,
C’est lui, pour enrayer, lui-même qui descend.
Il est vrai que la nuit le couvre de ses voiles;
Mais sa honte ne peut échapper aux étoiles;
Mais du ciel tout entier la voûte en est témoin.
Que dis-je? il portera l’audace encor plus loin.
Oui, qu’il ait déposé la pourpre consulaire,
Et bientôt, en plein jour, de son fouet téméraire,
Saluant, sans rougir, le plus grave vieillard,
Tu le verras du peuple affronter le regard;
Tu le verras, malgré tous ses titres superbes,
Préparant le fourrage et déliant les gerbes,
Mortel digne en effet d’un si noble métier,
Lui-même à ses chevaux servir de palfrenier.
Vient-il, ô Jupiter, selon l’antique usage,
Comme autrefois Numa, t’apportant son hommage,
Du sang d’une génisse arroser tes autels?
Ce n’est pas toi qu’il nomme en ses vœux solennels?
Il n’implore qu’Hippone ou ces viles figures,
Des murs d’une écurie ordinaires peintures;
Et quand du cabaret regagnant le réduit,
A la porte Idumée il va passer la nuit,
Le baigneur, dégouttant de ses parfums à vendre,
Accourt rempli d’un zèle affectueux et tendre,
S’incline en l’abordant, et, lui jurant sa foi,
Lui prodigue les noms de seigneur et de roi,
Cependant qu’avec grâce, d’une ardeur pareille,
Cyané vive et leste apporte une bouteille.

Defensor culpæ dicet mihi : Fecimus et nos
Hæc juvenes. Esto : desisti nempe, nec ultra
Fovisti errorem. Breve sit, quod turpiter audes
Quædam cum prima resecentur crimina barba:
Indulge veniam pueris. Damasippus ad illos
Thermarum calices inscriptaque lintes vadit,
Maturus bello, Armeniæ Syriæque tuendis
Amnuibus, et Rheno atque Istro : præstare Neronem
Securum valet hæc ætas. Mitte ostia, Cæsar,
Mitte; sed in magna legatum quære popina;
Invenies aliquo cum percussore jacentem,
Permistum nautis, et furibus ac fugitivis,
Inter carnifices et fabros sandapilarum,
Et resupinati cessantia tympana Galli.
Æqua ibi libertas, communia pocula, lectus
Non alius cuiquam, nec mensa remotior ulli.
Quid facias talem sortitus, Pontice, servum?
Nempe in Lucanos aut Tusca ergastula mittas.
(09)
At vos, Trojugenæ, vobis ignoscitis; et quæ
Turpia cerdoni, Volesos Brutosque decebunt.

Et nous, me dira-t-on, n’avons-nous point aussi
Partagé les écarts que je condamne ici?
— D’accord ; mais avec l’âge on change de conduite.
Ce dont il faut rougir ne peut passer trop vite,
Et la première barbe, amenant la raison,
Devrait de nos erreurs abréger la saison.
Qu’on passe quelque chose aux fautes de l’enfance,
Je le veux; mais quels droits a-t-il l’indulgence,
Ce vil Damasippus, l’opprobre des Romains,
Nuit et jour fréquentant la taverne et les bains,
A l’âge où dans la Thrace, aux champs de la Syrie,
Son bras devrait venger Néron et la patrie?
Ne va point, ô Néron, pour guider tes drapeaux,
Sur l’Oronte ou lister chercher des généraux:
Envoie au cabaret; c’est là qu’on les rencontre;
C’est là qu’en tout son jour leur noblesse se montre,
Au milieu d’assauts, de bateliers, d’escrocs,
D’esclaves fugitifs, de voleurs, de bourreaux,
De Luperques impurs, de misérables Galles
Étendus et ronflant auprès de leurs cymbales.
Là, même liberté, mêmes droits pour chacun;
Là, les coupes, les mets, les lits, tout est commun.
Dis-moi, que ferais-tu d’un esclave semblable?
Justement irrité contre un tel misérable,
Ne l’enverrais-tu pas à ta maison des champs,
Expier dans les fers de si honteux penchants?
Mais vous, fils d’Ilion, indulgents pour vous mêmes,
Vous vous les pardonnez ces désordres extrêmes,
Et ce qu’en un vil peuple on blâme avec rigueur,
Scaurus n’en rougit pas; Brutus s’en fait honneur!

Quid, si nunquam adeo fœdis, adeoque pudendis
Utimur exemple, ut non pejora supersint?
Consumptis opibus, vocem, Damasippe, locasti
Sipario, clamosum ageres ut Phasma Catulli.
(10)
Laureolum velox etiam bene Lentulus egit,
Judice me, dignus vera cruce. Nec tamen ipsi
(11)
Ignoscas populo; populi frons durior hujus
Qui sedet, et spectat triscurria patriciorum,
Planipedes audit Fabios, ridere potest qui
Mamercorum alapas. Quanti sua funera vendant,
(12)
Quid refert? vendunt, nullo cogente Nerone,
Nec dubitant Celsi præteris vendere ludis.
Finge tamen gladios inde; atque hinc pulpita pone;
Quid satius? mortem sic quisquam exhorruit, ut sit
Zelotypus Thymeles, stupidi collega Corinthi?
Res haud mira tamen, citharœdo principe, mimus
Nobilis. Hæc ultra quid erit, nisi ludus? Et illud
Dedecus urbis habes. Nec mirmillonis in armis,
Nec clypeo Gracchum pugnantem, aut falce supina,
(Damnat enim tales habitus, et damnat et odit)
Nec galea faciem abscondit: movet ecce tridentem,
Postquam librata pendentia retia dextra
Nequicquam effudit, nudum ad spectacula vultum
Erigit, et tota fugit agnoscendus arena.
Credamus tunicæ, de faucibus aurea quum se
Porrigat, et longo jactetur spira galero.
Ergo ignominiam graviorem pertulit omni
Vulnere, cum Graccho jussus pugnare secutor.

Que dire, si ces mœurs ne sont pas si honteuses
Que je n’en puisse encor citer de plus hideuses?
Damasippe au théâtre a mis sa voix à prix:
Il s’est fait dans le Spectre admirer par ses cris:
Et dans le Lauréole, avec non moins de grâces,
On a vu Lentulus, suivant ses nobles traces,
Sur la croix sans pudeur dans son rôle étendu;
Supplice, à mon avis, qui lui serait bien dû.
Et le peuple lui-même est-il digne d’excuse,
Ce peuple dégradé qu’un tel spectacle amuse,
Que l’on voit applaudir aux lazzi des Plancus,
Et qui rit des soufflets donnés aux Mamercus?
Ils se vendent; combien? n’importe : ni Tibère
Ni Néron ne les force à se mettre à l’enchère;
C’est librement qu’ils vont s’engager au préteur.
Quel homme cependant, placé par la terreur
Entre de vils tréteaux et la mort toute prête,
N’irait pas sous le fer porter cent fois sa tête,
Plutôt que de venir au public rassemblé,
Montrer l’amant jaloux de quelque Thymelé?
Mais pourquoi non? un grand ne peut-il donc sans crime,
Sous un prince chanteur, jouer la pantomime?
Ce n’est qu’un ridicule, et qui n’est plus nouveau.
Un trait plus révoltant manquait à ce tableau :
La noblesse exercée à l’art gladiatoire!
Eh bien! ce beau talent met le comble à sa gloire.
Gracchus, de ses aïeux dépouillent la fierté,
Vient briguer dans le cirque un laurier effronté.
Il arrive sans faulx, sans bouclier, sans casque:
Gracchus s’indignerait de lutter sous le masque.
Le filet d’une main, de l’autre le trident,
A-t-il manqué son coup? rétiaire impudent,
Il fuit, la tête haute, et se fait reconnaître.
C’est lui, n’en doutons pas, que nous voyons paraître,
C’est sa toge, sa mitre et ses riches bandeaux.
Le mirmillon forcé de souffrir ses assauts,
Rougirait d’une entière et sanglante défaite,
Moins que d’avoir lutté contre un pareil athlète.

Libera si dentur populo suffragia, quis tam
Perditus, ut dubitet Senecam præferre Neroni,
Cujus supplicio non debuit una parari
(13)
Simia, nec serpens unus, nec culeus unus?
Par Agamemnonidæ crimen; sed causa facit rem
Dissimilem quippe ille, deis auctoribus, ultor
Patris erat cæsi media inter pocula; sed nec
Electræ jugulo se polluit, aut spartani
Sanguine conjugit : nullis aconita propinquis
Miscuit; in scena nunquam cantavit Orestes;
Troica nec scripsit. Quid enim Virginius armis
Debuit ulcisci magis, aut cum Vindice Galba?
(14)
Quid Nero tam sæva crudaque tyrannide fecit?
Hæc opera, atque hæ sunt generosi principis artes,
Gaudentis fœdo peregrina ad pulpita cantu
Prostitui, Grajæque apium meruisse coronæ.
Majorum effigies habeant insignia vocis:
Ante pedes Domiti longum tu pone Thyestæ
Syrma, vel Antigones, seu personam Melanippes,
Et de marmoreo citharam suspende colosso.
(15)

Si Rome de ses chefs avait encore le choix
Qui de nous à Lucain ne donnerait sa voix,
Plutôt qu’à ce Néron, ce monstre sanguinaire,
Qui, dans un sac, avec un singe, une vipère,
Vingt fois au fond du Tibre eût dû trouver la mort?
Oreste, poursuivi par la haine du sort,
Jusqu’au même attentat poussa la violence;
Mais la cause du crime en fait la différence.
De ce fils égaré les dieux armaient le bras.
Égorgé sans défense au milieu d’un repas,
Son père tout sanglant lui montrait sa victime.
Mais le vit-on depuis, marchant de crime en crime,
Faire périr sa femme, ou massacrer sa sœur?
Fut-il de ses parents le lâche empoisonneur?
L’entendit-on jamais chanter sur un théâtre?
Jamais d’un vil laurier follement idolâtre,
Vint-il sur Troie en cendre, y déclamer des vers?
Vous dont l’heureux complot affranchit l’univers,
Galba, Virginius ! quel plus indigne outrage,
Pouvait contre Néron armer votre courage?
Qu’a-t-il fait ce Néron, ce tyran détesté,
Pendant le trop long cours d’un règne ensanglanté?
Grands et nobles exploits du maître de la terre!
Fier de ceindre son front d’une palme étrangère,
Il montait sur la scène, et l’arbitre des rois,
Sur les tréteaux des Grecs prostituait sa voix.
Triomphe, heureux Néron, et de ces nobles gages,
Cours de Domitius décorer les images;
Consacre-lui ce masque et ces manteaux pompeux,
D’Atrée et d’Antigone ornements fastueux;
Toi-même de tes mains place-les sur son buste,
Et suspends ta guitare au colosse d’Auguste.

 Quid, Catilina, quis natalibus, atque Cethegi
Inveniet quisquam sublimius? Arma tamen vos
Nocturne, et flammes domibus templisque parastis,
Ut Braccatorum pueri, Senonumque minores;
Ausi quod liceat tunica punire molesta.
(16)
Sed vigilat consul, vexillaque vestra cœrcet.
Hic novus, Arpinas ignobilis, et modo Romæ
Municipalis eques galeatum ponit ubique
Præsidium attonitis, et in omni gente laborat.
Tantum igitur muros intra toga contulit illi
Nominis et tituli, quantum non Leucade, quantum
Thessaliæ campis Octavius abstulit udo
Cædibus assiduis gladio. Sed Roma parentem,
Roma patrem patriæ Ciceronem libera dixit.
(17)

Catilina sans doute était patricien;
Et quel nom, Céthégus, plus noble que le tien?
D’une Aine cependant de carnage altérée,
Dignes du châtiment de la robe soufrée,
La nuit, pour embraser nos temples, nos tombeaux,
Déjà nouveaux Brennus, vous teniez les flambeaux;
Mais le consul vous voit, il entend vos menaces,
De votre aigle surprise il a saisi les traces;
Et cet homme nouveau, fils d’un simple greffier,
Cet Arpinate obscur, depuis peu chevalier,
Du peuple consterné seul calmant les alarmes,
Veille et place partout des gardes sous les armes.
Sans sortir de nos murs, pacifique vainqueur,
La toge lui valut plus d’éclat, plus d’honneur,
Qu’Octave triomphant n’en dut à son épée,
Aux champs thessaliens, de carnage trompée.
De ces champs malheureux, tombeau des vrais Romain,
Trop de sang a flétri les lauriers inhumains;
Mais Rome en liberté, Rome émue, attendrie,
Proclama Cicéron père de la patrie.

Arpinas alius, Volscorum in monte, solebat
Poscere mercedes, alieno læsus aratro:
Nodosam post hæc frangebat vertice vitem,
Si lentus pigra muniret castra dolabra.
Hic tamen et Cimbros, et summa pericula rerum
Excipit, et solus trepidantem protegit urbem;
Atque ideo, postquam ad Cimbros, stragernque volabant,
Qui nunquam attigerant majora cadavera, corvi,
Nobilis ornatur lauro collega seconda.

Un autre citoyen de ces murs glorieux,
Marius, comme lui, s’illustra sans aïeux.
Chez les Volsques d’abord laboureur mercenaire,
Au prix de ses sueurs il gagnait son salaire.
Puis, jeté dans les rangs de quelque légion,
Il suivit à la guerre un dur centurion
Qui, le sarment en main, gourmandant sa paresse,
Aux fatigues des camps façonna sa jeunesse.
Des Cimbres, néanmoins, qui couvraient nos sillons,
C’est lui qui renversa les nombreux bataillons:
Qui changea leur orgueil en tristes funérailles,
Qui de son bouclier couvrit seul nos murailles.
Aussi quand les corbeaux effrayés et surpris
Des corps de ces géants dévoraient les débris,
Le fier patricien qui partagea sa gloire,
N’eut que le second rang sur son char de victoire.

Plebeiæ Deciorum animæ, plebeia fuerunt
Nomina: pro totis legionibus hi tamen, et pro
Omnibus auxiliis, atque omni pube Latina,
Sufficiunt dis infernis, terræque parenti;
Pluris enim Decii quam qui servantur ab illis.

— Vous aussi, Décius, généreux citoyens,
Vous portiez et des noms et des cœurs plébéiens:
Vos têtes, cependant, offrande magnanime,
Pour apaiser Tellus, assez noble victime,
Arrachèrent deux fois au courroux des destins,
Rome et ses alliés et les peuples latins.
C’est qu’aux yeux de Tellus par vos mènes calmée,
Vous valiez plus que Rome et le peuple et l’armée.

Ancilla natus trabeam, et diadema Quirini,
Et fasces meruit regum ultimus ille bonorum.
Prodita laxabant portarum claustra tyrannis
Exulibus juvenes ipsius consulis, et quos
Magnum aliquid dubia pro libertate deceret,
Quod miraretur cum Coclite Mutius, et quæ
Imperii fines Tiberinum virgo natavit.
Occulta ad patres produxit crimina servus,
(18)
Matronis lugendus : at illos verbera justis
Afficiunt pœnis, et legum prima securis.

Servius, le dernier des rois chers aux Romains,
Quoique fils d’une esclave, aux honneurs souverains,
A force de vertus, s’élevant par lui-même,
Ceignit de Quirinus le sacré diadème !
Et vous, dont la patrie attendait des haut-faits,
Capables d’étonner Mutius et Codés,
Et celle que l’on vit, d’un peuple peine libre,
Regagner la frontière, en traversant le Tibre,
Vous qui, le fer en main, deviez aux premiers rangs,
Mourir sur nos remparts, ou punir les tyrans,
Des Tarquins exilés appelant les cohortes,
C’est vous, fils du consul, qui leur ouvrez nos portes!
Les indices secrets d’un si lâche attentat,
Quel mortel généreux les révèle au sénat?
Un esclave. Sénat, consuls, brisez ses chaînes,
Et sur sa tombe, un jour, pleurez, dames romaines;
Mais vous, fils de Brutus, vils esclaves des rois,
Expirez les premiers sous la hache des lois.

Malo pater tibi sit Thersites, dummodo tu sis
Æacidæ similis, Vulcaniaque arma capessas,
Quam te Ibersitæ similem producat Achilles.
Et tamen, ut longe repetas longeque revolvas
Nomen, ab infami gentem deducis asylo.
Majorum primus, quisquis fuit ille, tuorum,
Aut pastor fuit, aut ... illud quod dicere nolo.

J’aime mieux qu’à Thersite on doive la naissance,
Lorsque du grand Achille on peut brandir la lance,
Que si, du grand Achille indigne descendant,
On n’était au combat qu’un Thersite impudent.
Au reste, quel que soit l’éclat de ta famille,
Dût-elle à Romulus l’éclat dont elle brille,
Songe que le premier de tes nobles parents
Ne fut qu’un fugitif, un pâtre, — ou ... tu m’entends.

 

 

NOTES SUR LA SATIRE VIII.

 

(01) Les Romains conservaient les images de leurs ancêtres dans des armoires. Ces images étaient de cire; et, dans les jours de fête publique et particulière, on les exposait dans le vestibule de la maison. Des guirlandes de fleurs, partant de la première de ces images, qui était la souche de la famille, allaient se placer successivement sur toutes les autres, et, par leurs différentes ramifications, les embrassant et les enchaînant entre elles, formaient dans un certain ordre ce que nous appelons l’arbre généalogique.

(02) On avait confié à la famille des Fabiens, qui se prétendait originaire d’Hercule, le soin de l’autel élevé par Évandre, en l’honneur de ce dieu. Fabius Maximus, à cause de ses victoires sur les peuples de la Provence, du Languedoc, du Dauphiné et de quelques autres contrées des Gaules, connues sous le nom d’Allobroges, avait transmis ce titre à sa famille.

(03) Les grands d’Athènes, se vantaient d’être issus de Cécrops, comme les Romains, de descendre d’Énée. De là le proverbe Cecrope generosior.

(04) Domitien, c’est-à-dire ses généraux, avait vaincu les Bataves; mais cette nation opprimée plutôt que soumise, exigeait la présence d’une armée toujours prête à réprimer ses mouvements.

(05) Chérippe est le nom supposé de quelque habitant d’une province romaine, auquel le poète conseille de vendre à l’encan le reste de ses effets, soit pour en soustraire le produit à l’avidité d’un nouveau gouverneur, soit pour acquitter ses impôts. Il l’engage, dans tous les cas à se taire, et à ne pas faire à Rome un voyage inutile pour se plaindre.

(06) Plures de pace triumphos, signifie que Verrès et Dolabella rapportaient, en temps de paix, de quoi former la matière de plusieurs triomphes. Le mot spolia exprime ordinairement les dépouilles enlevées à l’ennemi; et ce n’est pas sans une intention éminemment satirique que le poète l’emploie en parlant de rapines exercées contre des peuples alliés.

(07) On entend communément, par sufflamen, l’espèce de chaîne ou de grosse perche qui sert à enrayer les roues d’un char dans une descente. Cependant il serait possible qu’en cet endroit, ce fût un mot inventé par Juvénal pour exprimer les efforts et l’essoufflement de l’épais Latéranus.

(08) La porte Idumée ou des Juifs, fut ainsi nommée à cause de l’entrée triomphale que Titus et Vespasien tirent dans Rome par cette porte, après la conquête de la Judée. On observe que les Juifs qui se sont maintenus à Rome, évitent encore aujourd’hui de passer sous cet arc de triomphe, et qu’ils aiment mieux faire un long détour, tant les impressions restent profondément gravées au cœur de cette étonnante nation ! Ce Syro-Phénicien était le maître d’une des tavernes établies en grand nombre auprès de la porte Idumée, et faisait le commerce des parfums de ces provinces. Cyané devait être sa femme.

(09) Ces ergastules étaient des espèces de cachots domestiques où les Romains renfermaient à la campagne ceux de leurs esclaves qui avaient mérité un châtiment sévère.

(10) Le siparium était ce que nous appelons la toile, dans nos théâtres. On se servait du siparium pour les comédies, et de l’aulæum pour les tragédies.

(11) Dans le Lauréole on crucifiait un chef de voleurs; mais, au dénouement, l’acteur s’escamotait, comme dit Dusaulx, et ne laissait qu’un mannequin en sa place, Domitien s’étant fait représenter cette pièce, voulut que l’acteur qui jouait le Lauréole fût en effet pendu. C’est peut-être à ce trait que Juvénal fait allusion. On lit dans Martial: Non falsa pendens in cruce Laureolus.

(12) S’il est vrai que le préteur Celsus n’ait été qu’un homme de basse extraction, il y a dans l’original, surtout pour les contemporains, entre les Mamercus qui se vendent, et Celsus qui les achète, une opposition tout à fait satirique, que la traduction ne rend pas. Ce doit être souvent le défaut de nos pâles copies.

Suivant tous les traducteurs et commentateurs, le Quanti sua funera vendant ne peut s’entendre que des gladiateurs, en sorte que Juvénal, dans un même morceau, après avoir accusé les nobles de faire le métier de comédiens, leur reproche de se vendre pour les jeux du cirque, puis revient aux représentations du théâtre, et termine par un trait historique contre les patriciens qui descendent dans l’arène, c’est-à-dire, qu’il mêle et confond au hasard les couleurs de deux tableaux différents. Selon nous, il parle d’abord des nobles qui se font mimes, puis, par gradation, de ceux qui, comme Gracchus, poussent l’impudence jusqu’à lutter contre le myrmillon; et ce sont deux degrés d’avilissement qui se succèdent conformément aux principes de la rhétorique.

Mais, dit-on, les comédiens ne vendaient pas leur vie au préteur. Nous répondons qu’ils ne savaient pas à quoi ils s’engageaient, puisqu’il pouvait prendre fantaisie à l’empereur d’ordonner que le mime, que le Lauréole, par exemple, jouât son rôle au naturel, c’est-à-dire, qu’il fût réellement pendu, ce qui arriva sous Domitien. D’ailleurs est-il bien sûr que le texte n’a pas été légèrement altéré, et que les copistes n’ont pas écrit funera pour munera? Tout alors s’expliquerait sans difficulté; car on sait que les comédies et les tragédies étaient comprises dans les jeux publics, et placées, comme tous les divertissements, dans les attributions du préteur.

(13) Les parricides étaient jetés à l’eau, dans un même sac de cuir, avec un chien, un coq, un singe et des serpents, le tout en vie.

(14) Virginius, Vindex et Galba commandaient, l’un en Germanie, l’autre dans les Gaules, et le dernier en Espagne, lorsqu’ils se soulevèrent contre Néron, sous prétexte qu’il s’avilissait de plus en plus. Les autres crimes de ce tyran suffisaient sans doute pour révolter contre lui la ville et les armées; mais l’outrage qu’il faisait à la majesté impériale, en la prostituant sur un théâtre, avait encore quelque chose de plus révoltant aux yeux des vrais Romains; et ce fut là le principal prétexte dont se servirent les conjurés.

(15) Quelques commentateurs ont pris le colosse dont parle ici Juvénal, pour la statue que Néron s’était dressée à lui-même, et qui avait plus de cent pieds de hauteur; mais ce colosse était de marbre, et, selon Pline, la statue de Néron était d’airain. D’ailleurs nous lisons positivement dans Suétone: Citharam a judicibus ad se delatam adoravit, ferrique ad Augusti statuam jussit.

(16) On enduisait une robe de poix, de bitume, de cire, et l’on faisait brûler vifs les grands criminels, après les avoir revêtus de cette robe. Ce supplice odieux avait lieu particulièrement contre les traîtres à la patrie et les incendiaires.

(17) Cet honneur fut décerné à Cicéron par un plébiciste et per un sénatus-consulte, sur la proposition de M. Porcius Caton et de Q. Luctatius Catulus. Camille seul, avant lui, avait reçu ce titre glorieux; mais ce n’avait été que par acclamation, et le jour de son triomphe.

(18) Cet esclave es nommait Vindicius ou Vindex, nom que peut- être on ne lui a donné qu’après l’événement. On lit, dans l’ancien scholiaste, qu’il fut affranchi par Brutus, comme libérateur de la patrie, et condamné à mort, comme délateur de ses maîtres, action qui fut pleurée par les dames romaines.