JUVÉNAL
SATIRE XIV
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
SATURA XIV / SATIRE XIV
(éd.
Jules Lacroix)
Vers
N°
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SATURA XIV.
EXEMPLUM
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SATIRE XIV.
L’EXEMPLE
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Plurima sunt, Fuscine, et
fama digna sinistra,
Et nitidis maculam hæsuram figentia rebus,
Quæ monstrant ipsi pueris traduntque parentes.
Si damnosa senem juvat alea, ludit et heres
Bullatus, parvoque cadem movet arma fritillo.
Nec melius de se cuiquam sperare propinquo
Concedet juvenis, qui radere tubera terræ,
Boletum condire, et eodem jure natantes
Mergere ficedulas didicit, nebulone parente
Et cana monstrante gula. Quum septimus annus
Transierit puero, nondum omni dente renato,
Barbatos licet admoveas mille inde magistros,
Hinc totidem, cupiet lauto cœnare paratu
Semper, et a magna non degenerare culina. |
Il
est plus d’un travers odieux, cher Fuscine,
Qui même à des cœurs purs s’attache et s’enracine;
Plus d’un immonde vice aux germes étouffants,
Qu’un père corrompu transmet à ses enfants.
L’héritier d’un joueur, portant la bulle encore,
Déjà brouille les dés dans le cornet sonore.
De ce jeune gourmand quel espoir conçoit-on,
Lui qu’une barbe grise, un vieux père glouton
Instruit à mariner, dans un coulis qui tremble,
La truffe et le bec-figue accommodés ensemble?
Dès la septième année, avant toutes ses dents,
Donnez-lui cent Mentors, cent gouverneurs prudents,
Il voudra, nommant l’ordre avarice et lésine,
Ne pas dégénérer d’une grande cuisine! |
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Mitem animum, et mores modicis
erroribus æquos
Præcipit, atque animas servorum et corpora nostra
Materia constare putat paribusque elementis?
An sævire docet Rutilus, qui gaudet acerbo
Plagurum strepitu, et nullam Sirena flagellis
Comperat,
Antiphates trepidi laris ac
Polyphemus,
Tum felix, aliquis quoties tortore vocato
Uritur ardenti, propter duo lintes, ferro?
Quid suadet juveni lætus stridore catenæ,
Quem mire afficiunt inscripta
ergastula, carcer
Rusticus? Exspectus ut non sit
adultera Largæ
Filia, quæ nunquam maternos dicere mæchos
Tam cito, nec tanto poterit contexere cursu,
Ut non ter decies respiret? Conscia matri
Virgo fuit: ceras nunc, hac dictante, pusillas
Implet, et ad mæchum dat eisdem, ferre cinædis,
Sic natura jubet: velocius et citius nos
Corrumpunt vitiorum exempla domestica, magnis
Quum subeunt animes auctoribus. Unus et alter
Forsitan hæc spernant juvenes, quibus arte benigna
Et meliore tuto fluxit præcordia Titan;
Sed reliques fugienda patrum vestigia ducant,
Et monstrata diu veteris trahit orbita culpæ. |
Peut-il à sa famille enseigner la
douceur,
L’équité qui pardonne, ou punit sans noirceur;
Enseigner que le corps de l’esclave, et son âme,
Comme nous sont formés et d’argile et de flamme,
Rutilus, ce bourreau, Polyphème sanglant,
Hideux Antiphatès de son foyer tremblant,
Qui préfère aux accords, à la voix des Sirènes,
Les fouets sifflants, le cri des prisons souterraines;
Qui, pour un plat brisé, demande le réchaud,
Et fait marquer au front l’esclave, d’un fer chaud?
Que peut-il conseiller à l’enfance crédule,
Lui qui se pâme d’aise aux pleurs de l’ergastule;
Lui qu’un si noir tableau jamais ne fatigua?
Et tu veux qu’aujourd’hui la fille de Larga
Ne soit point à son tour une épouse adultère,
Elle qui, pour nommer les amants de sa mère,
Aurait besoin de prendre haleine trente fois?
Vierge encore, elle fut ta complice autrefois,
Mère impie !... A présent, elle invoque ton aide;
Tu dictes, elle écrit : par le même cinède,
Votre amoureux message aux galants est porté.
— La nature le veut ainsi : l’autorité,
L’ascendant d’une mère, et son exemple infâme,
Corrompt plus aisément et plus vite notre âme!...
Peut-être échapperont au souffle empoisonné
Quelques enfants, au cœur pur et mieux façonné,
Que Prométhée a faits d’une plus noble argile;
Mais tous les autres, tous, suivant d’un pas agile
Le sentier paternel, qu’il faudrait éviter,
Dans l’ornière du mal vont se précipiter! |
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Abstineas igitur dammandis :
hujus enim vel
Una potens ratio est, ne crimina nostra sequentur
Ex nobis geniti : quoniam dociles imitandis
Turpibus ac pravis omnes sumus; et Catilinam
Quocumque in populo videas, quocumque sub axe:
Sed nec Brutus erit, Bruti nec avunculus usquam.
Nil dictu fœdum visuque hæc limina tangat
Intra quæ puer est. Procul hinc, procul inde puellæ
Lenonum, et cantus pernoctantis parsasiti!
Maxima debetur puero reverentia. Si quid
Turpe paras, ne tu pueri contempseris annos;
Sed peccaturo obeistat tibi fillus infans.
Nam si quid dignum censoris fecerit ira
Quandoque, et similem tibi se non corpore tantum,
Nec vultu dederit, morum quoque filius, et qui
Omnia deterius tua per vestigia peccet,
Corripies nimirum, et castigabis acerbo
Clamore, ac post hæc tabulas mutare parabis.
Unde tibi frontam libertatemque parentis,
Quum fadas pejora senex, vacuumque cerebro
Jampridem caput hoc ventosa cucurbita quærat? |
Ainsi donc ne sois pas vicieux; crains
de l’être,
Rien que pour empêcher ceux qui te doivent l’être
De marcher sur tes pas dans la corruption
On imite aisément la dépravation.
Sous vingt cieux différents Catilina se montre,
Mais Brutus, mais Caton jamais ne se rencontre!...
Loin, bien loin de ces murs, par l’enfance habités,
Ce qui choque les yeux et l’oreille! Écartez
La courtisane immonde et la nocturne orgie,
Les chants du parasite à la face rougie!
Nous devons un respect doux et tendre à l’enfant!
— Oh! ne méprise pas (la pitié le défend)
Cet âge frêle! ... Au mal lorsque ta main s’apprête,
De ton fils au berceau que l’image t’arrête!
Car, du censeur un jour éveillant les clameurs,
S’il est vraiment ton fils, plus encor par les mœurs
Que par la ressemblance; et, libertin novice,
S’il va plus loin que toi sur la route du vice,
Tes cris éclateront ! ... Dans ton emportement,
Tu le menaceras d’un autre testament.
— Toi, d’un père usurper l’autorité jalouse,
Quand tu fais pis, vieillard ! ... de la chaude ventouse
Quand ton cerveau malsain réclame le secours! |
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Hospite venturo, cessabit
nemo tuorum;
Verre pavimentum, nitidas ostende columnas;
Arida cum tota descendat aranea tela;
Hic lavet argentum, vasa aspera tergeat alter:
Vox domini furit instantis virgamque tenentis.
Ergo miser trepidas, ne stercore fœda canino
Atria displiceant oculis venientis amici,
Ne perfusa luto sit porticus? et tamen uno
Semodio scobis hæc amendat servulus unus.
Illud non agitas, ut sanctam filius omni
Aspiciat sine labe domum, vitioque carentem! |
Attends-tu quelque ami, tu vas, tu
viens, tu cours:
Nettoyez ce parvis, ces colonnes, que voile
La hideuse araignée avec sa large toile!
Ni trêve, ni repos! Vous tous, lavez, frottez,
Toi, ma vaisselle unie; et toi, mes plats sculptés!
Ainsi gronde ta voix terrible et despotique.
Hé quoi! parce qu’un chien, salissant ton portique,
Peut déplaire à ton hôte et choquer son regard,
Malheureux! te voilà tout pâle, tout hagard ?...
Pour effacer pourtant cette empreinte grossière,
Il ne faut qu’un esclave, une once de poussière:
Mais il t’importe peu de montrer ta maison
Pure aux yeux de ton fils, vierge de tout poison!
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Gratum est, quod patriæ
civem populoque dedisti,
Si fada ut patriæ qit idoneus, utilis agris,
Utilis et beliorum et pecis rebus agendis.
Plurimum enim intererit, quibus artibus et quibus hunc tu
Moribus instituas. Serpente ciconia pullos
Nutrit, et inventa per devia rura lacerta;
Illi eadem sumptis quærunt animalia pennis.
Vultur, jum ento et canibus crucibusque relictis,
Ad fetus properat, partemque cadaveris affert:
Hic est ergo cibus magni quoque vulturis, et se
Pascentis, propria quum jam facit arbore nidos.
Sed leporem aut capream famulæ Jovis, et generosæ
In saltu venantur aves; hinc præda cubili
Ponitur; inde autem, quum se matura levarit
Progenies, stimulante fame, festinat ad illam
Quam primum prædam rupto gustaverat ovo. |
Donner un citoyen de plus à la patrie,
C’est beaucoup, si, formé par ta noble industrie,
Il couvre nos sillons de chaumes plus épais,
Et sert bien son pays dans la guerre et la paix
Tout dépend des leçons qui dressent ton élève.
La cigogne, parmi les rocs déserts, enlève
Et serpent et lézard pour nourrir ses petits,
Qui, plus tard, montreront les mêmes appétits.
Le vautour, des charniers et des gibets, rapporte
A ses enfants chétifs des lambeaux de chair morte
Tel sera leur festin sanglant, lorsqu’à leur tour
Ils se retrancheront dans leur nid de vautour!
Ce généreux oiseau, ministre du tonnerre,
Chasse lièvres et daims, qu’il jette dans son aire
Bientôt, quand les aiglons, plus robustes enfin,
Déploieront leur grande aile, irrités par la faim,
Ils voleront, béants, vers cette même proie
Qu’en s’échappant de l’œuf leur bec déchire et broie!
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Ædificator erat Centronius; et modo
curvo
Littore Caietæ, summa nunc Tiburis arce,
Nunc Prænestinis in montibus, alta parabat
Culmina villarum, Græcis longeque petitis
Marmoribus, vincens Fortunæ atque Herculis ædem,
Ut spado vincebat capitolia nostra
Posides.
Dum sic ergo habitat Centronius, imminuit rem,
Fregit opes: nec parva tamen mensura relictæ
Partis erat : totam hanc turbavit filius amens,
Dum meliore novos attollit marmore villas. |
Cétronius avait la rage de bâtir:
A Caiete, où le flot marin vient retentir,
A Préneste, à Tibur, coteau frais et rustique,
Il construisait partout, en marbre asiatique,
Des villas, des palais plus beaux, plus radieux
Que nos temples romains, que les temples des dieux:
Tel Posidès l’eunuque, en sa magnificence,
De notre Capitole effaçait la puissance.
Enfin, Cétronius vit décroître son or.
Ce débris de fortune était splendide encor;
Mais, entassant le marbre étage sur étage,
Son fils, plus somptueux, dissipa l’héritage. |
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Quidam sortiti metuentem sabbata
patrem,
Nil præter nubes et cœli numen adorant,
Nec distare putant humana carne suillam,
Qua pater abstinuit; mox et præputia ponunt,
Romanas autem soliti contemnere leges,
Judaicum ediscunt et servant ac metuant jus,
Tradidit arcano quodcunque
volumine Moses:
Non monstrare vias, eadem nisi sacra colenti
Quæsitum ad fontem solos deducere verpos.
Sed pater in causa, cui septima quæque fuit lux
Ignava, et partem vitæ non attigit ullam. |
L’enfant du Juif crédule et
superstitieux
Adore seulement les nuages des cieux.
Il se fait circoncire, et n’a pas moins de haine
Pour la chair du pourceau que pour la chair humaine:
Ainsi faisait son père. Ennemi de nos lois,
Le Juif apprend, observe, et révère à la fois
Cette religion secrète, que Moïse,
Dans un livre plein d’ombre, à son peuple a transmise.
Il ne veut même pas t’indiquer de la main,
Si tu n’es circoncis, la source ou le chemin.
Pourquoi? C’est que son père, ô profonde sottise!
Croupit tous les sept jours dans la fainéantise. |
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Sponte tamen juvenes
imitantur cætera: solam
Inviti quoque avaritiam exercere jubentur:
Fallit enim vitium specie virtutis et umbra,
Quum sit triste habitu vultuque, et veste severum
Nec dubie, tanquam frugi, laudatur avarus,
Tanquam parcus homo, et rerum tutela suarum
Certa magis, quam si fortunas servet easdem
Hesperidum serpens aut Ponticus. Adde quod bunc, de
Quo loquor, egregium populus putat atque verendum
Artificem; quippe his crescunt patrimonia fabris.
Sed crescunt quocumque modo, majoraque fiunt
Incude assidua, semperque ardente camino.
Et pater ergo animi felices credit avaros,
Qui miratur opes, qui nulla exempla besti
Pauperis esse putat : juvenes hortatur ut illam
Ire viam pergant, et eidem incumbere sectæ. |
La jeunesse est docile aux conseils du
méchant:
Pour la seule avarice elle a moins de penchant.
Ce vice en effet trompe; il séduit par une ombre,
Un semblant de vertu farouche, austère et sombre.
L’avare nous impose; on le vante à l’égal
D’un homme prévoyant, économe et frugal;
Car son or est plus sûr entre ses mains arides
Que sous l’œil du dragon qui veille aux Hespérides.
Oh! l’habile artisan! combien nous l’admirons!
L’or croît sous les marteaux de pareils forgerons.
Mais par tous les moyens croît cet or ! ... et l’enclume
Toujours sonne, et toujours la forge ardente fume.
Ainsi l’homme qui voit le bonheur dans l’argent,
Qui pense, affamé d’or, qu’un mortel indigent,
Heureux de cœur et d’âme, est sans exemple au monde,
Engage ses enfants dans cette voie immonde. |
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Sunt quædam vitiorum elementa; bis
protinus illos
Imbuit, et cogit minimas ediscere sordes:
Mox acquirendi docet insatiabile votum.
Servorum ventres modio castigat iniquo,
Ipse quoque esuriens; neque enim omnia sustinet unquam
Mucida cærulei panis consumere frusta,
Hesternum solitus medio servare minutal
Septembri, nec non differre in tempora cœnæ
Alterius conchem æstivam cum parte lacerti
Signatam, vel dimidio putrique siluro,
Filaque sectivi numerata includere porri.
Invitatus ad hæc aliquis de ponte, negabit.
Sed quo divitias hæc per tormenta coactas,
Quum furor haud dubius, quum sit manifesta phrenesis,
Ut locuples moriaris, egenti vivere fato?
Interea pleno quum turget sacculus ore,
Crescit amor nummi, quantum ipsa pecunia crescit;
Et minus hanc optat, qui non habet. Ergo paratur
Altera villa tibi, quum rus non sufficit unum;
Et proferre libet fines, majorque videtur
Et melior vicina seges. Mercaris et hanc, et
Arbusta, et densa montem qui canet oliva.
Quorum si pretio dominus non vincitur ullo,
Nocte boves macri lassoque famelica collo
Jumenta, ad virides hujus mittentur aristas;
Nec prius inde domum, quam tota novalia sævos
In ventres abeant, ut credas falcibus actum.
Dicere vix possis quam multi talia plorent,
Et quot venales injuria fecerit agros.
Sed qui sermones ! quam fœdæ buccina famæ!
Quid nocet hoc, inquit. Tunicam mihi male lupini,
Quam si me toto laudet vicinia pago,
Exigui ruris paucusima farra secantem.
Scilicet et morbis et debilitate carebis,
Et luctum et curam effugies, et tempora vitæ
Longa tibi post hæc fato meliore dabuntur,
Si tantum culti solus possederis agri,
Quantum sub Tatio populus romanus
arabat.
Mox etiam fractis ætate, ac Punica passis
Prœlia, vel Pyrrhum immanem gladiosque Molossos,
Tandem pro multis vix jugera bina dabantur
Vulneribus. Merces hæc sanguinis atque laboris
Nullis visa unquam meritis minor, aut ingratæ
Curta fides patriæ. Saturabat glebula talis
Patrem ipsum, turbamque casæ quæ feta jacebat
Uxor, et infantes ludebant quatuor, unus
Vernula, tres domini; sed magnis fratribus horum,
A scrobe vel sulco redeuntibus, altera cœna
Amplior, et grandes fumabant pultibus ollæ.
Nunc modus hic agri nostro non sufficit horto.
Inde fere acelerum causæ, nec plura venena
Miscuit, aut ferro grassatur sæpius ullum
Humanæ mentis vitium, quam sæva cupido
Immodici census. Nam dives qui fieri vult,
Et cito vult fieri. Sed quæ reverentia legum,
Quis metus, aut pudor est unquam properantis avari?
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La science du vice exige un
précepteur.
De ses propres enfants un père corrupteur
Les forme à la lésine, et bientôt leur inspire
La rage d’amasser, qui chaque jour empire.
Fraudant sur la mesure, et glissant de faux poids,
Il frustre l’appétit de l’esclave aux abois.
Mourant de faim lui-même, à peine sa morsure
Ose attaquer un pain tout bleu de moisissure.
Au milieu de septembre, et pâle de besoin,
Il garde un vieux hachis, et renferme avec soin
Quelques fèves, un bout d’anguille corrompue,
Avec une moitié de silure qui pue;
Et d’un poireau chétif, épluché de sa main,
Il compte les filets, souper du lendemain.
Nos mendiants des ponts fuiraient cette cuisine!
Mais l’or, à quoi sert-il, quand on meurt de lésine?
O démence! ô transport furieux, désolant!
Vivre manquant de tout, pour mourir opulent!...
Lorsque le sac trop plein crève et demande grâce,
L’amour de l’or s’accroît avec l’or qu’on entasse:
Mais qui n’a rien, désire avec moins d’âpreté.
— Ce champ ne suffit pas : un autre est acheté
Et lorsque ton voisin recule ses limites,
Pour grossir tes moissons, il faut que tu l’imites:
Puis tu vas marchander ses plaines, son coteau,
Que d’épais oliviers couvrent d’un blanc manteau.
Si le maître refuse, et garde son domaine,
Dans ses blés encor verts ta main furtive amène,
La nuit, de maigres bœufs, au cou flasque et pendant,
De vieux ânes poussifs, à la vorace dent!
Tout le sol reste nu sous leur gloutonnerie
On dirait que la faux a tondu la prairie.
Si tu savais combien ces procédés méchants
Ont arraché de pleurs, et fait vendre de champs!...
Mais aussi contre toi quel murmure s’élève!
— Qu’importe je préfère une cosse de fève
Aux applaudissements, s’il faut, pauvre et chagrin,
A peine récolter quelques boisseaux de grain!
— Libre des maux que l’homme en vieillissant redoute,
Le deuil et les soucis t’épargneront sans doute;
Des jours beaux et nombreux à toi sont réservés,
Si tu possèdes seul plus de champs cultivés
Qu’au temps de Tatius Rome, naissant colosse!
— Héroïques débris échappés au Molosse,
Au glaive de Pyrrhus et du Carthaginois,
Jadis nos vieux Romains, blanchis sous le harnois,
Recevaient deux arpents. Ce don mince et vulgaire,
C’était le prix du sang, des travaux, de la guerre...
Mais ils ne croyaient pas leurs services trahis:
Aucun d’eux ne disait à Rome : Ingrat pays!
Ce domaine chétif rassasiait le père,
Et toute sa maison, fourmillante et prospère,
Où son épouse enceinte, en leurs jeux triomphants,
Joyeuse, contemplait quatre petits enfants
L’un d’une esclave né, les autres fils du maître.
Au retour de la vigne ou du sillon champêtre,
Les grands frères voyaient pour eux, sur le foyer,
En de larges bassins la bouillie ondoyer.
Aujourd’hui deux arpents ne suffiraient qu’à peine
A nos jardins... Voilà pourquoi la terre est pleine
De noirs assassinats, de lâches trahisons!
Quel vice a distillé jamais plus de poisons,
Forgé plus de poignards, que l’ambition morne
Qui désire toujours, et jamais ne se borne?
Celui qui veut de l’or veut soudain s’enrichir!
Quelle sainte barrière enfin n’ose franchir
L’avare qui se hâte, impatient et sombre? |
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Vivite contenti casulis et collibus
istis,
O pueri,
Marsus dicebat, et Hernicus olim
Vestinusque senex: panem quæramus aratro,
Qui satis est mensis. Laudant hoc numina ruris
Quorum ope et auxilio, gratæ post munus aristæ,
Contingunt homini veteris fastidia quercus.
Nil vetitum fecisse volet, quem non pudet alto
Per glaciem perone tegi, qui summovet Euros
Pellibus inversis. Peregrina ignotaque nobis
Ad scelus atque nefas, quodcumque est, purpura ducit.
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Mes fils, vivez contents de vos
coteaux pleins d’ombre,
Et de votre cabane, et de votre destin,
Disait, dans l’ancien temps, le vieillard du Vestin,
Et le Marse, et l’Hernique. A nos bras indomptables
Demandons le froment qui suffit à nos tables;
Et ces dieux campagnards, dont les douces leçons,
Enseignant aux humains le bienfait des moissons,
Dégoûtèrent du gland l’homme des jours antiques,
Souriront, pleins de joie, à nos travaux rustiques.
Il ne saurait faillir, celui qui, sans rougeur,
Chausse les brodequins épais du voyageur,
Et, sous le rude poil des toisons retournées,
Sait braver des hivers les fureurs acharnées.
C’est la pourpre étrangère, inconnue aux Romains,
Qui de la faute au crime entraîne les humains! |
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Hæc illi veteres precepta minoribus.
At nunc,
Post finem autumni, media de nocte supinum
Clamosus juvenem pater excitat : Accipe ceras,
Scribe, puer, vigila, causas age, perlege rubras
Majorum leges, aut vitem posce libello
Sed caput intactum buxo, naresque pilosas
Adnotet, et grandes miretur Lællus alas.
Dirue Maurorum attegias, castella Brigantum,
Ut locupletem aquilam tibi sexagesimus annus
Afferat! Aut, longos castrorum ferre labores
Si piget, et trepidum solvunt tibi cornua ventrem
Cum lituis audita, pares quod vendere possis
Pluris dimidio, nec te fastidia mercis
Ullius subeant ablegandæ Tiberim ultra;
Neu credas ponendum aliquid discriminis inter
Unguenta et corium. Lucri bonus est odor ex re
Qualibet. Illa tuo sententia semper in ore
Versetur, dis atque ipso Jove digna, pœtæ:
Unde habeas quærit nemo sed oportet habere.
Hoc monstrant vetulæ pueris poscentibus assem;
Hoc discunt omnes ante alpha et beta puellæ. |
Nos ancêtres donnaient à leurs fils
ces préceptes:
Et maintenant un père, avec des cris ineptes,
Éveille en plein hiver son fils, pendant la nuit:
Tes tablettes, enfant! Debout! Le sommeil nuit.
Prépare un plaidoyer, pompeux de rhétorique;
Compulse de nos lois chaque vieille rubrique;
Ou des centurions brigue le dur sarment.
Que Lélius contemple avec étonnement
Ta tête vierge encor du peigne, et chevelue,
Ton dos large et carré, ta narine velue!
Renverse du Breton les châteaux insultants,
Les cabanes du Maure, afin qu’à soixante ans
Tu portes, glorieux, l’aigle dans les batailles!
Si tu fuis les travaux des camps; dans tes entrailles,
Si le bruit des clairons sème un trouble fatal,
Achète pour revendre, enfle ton capital.
Ne va point dédaigner même la marchandise
Qu’on relègue au delà du Tibre... Quoi qu’on dise,
Cuirs ou parfums, prends tout! Enfant, crois un barbon:
Ne flaire que l’Argent; l’Argent sent toujours bon!
Grave en ton cœur ce vers immortel, et suprême,
Ce vers digne des dieux, de Jupiter lui-même:
On ne s’informe pas d’où peut
venir ton or
Mais il faut en avoir!
L’enfant qui rampe encor
Sait bégayer ces mots; et la petite fille,
Avant son alphabet, les récite en famille. |
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Talibus imtantem monitis
quemcumque parentem
Sic possem affari : Dic, o vanissime, quis te
Festinare jubet? Meliorem præsto magistro
Discipulum. Securus abi: vinceris, ut Ajax
Præteriit Telamonem, ut Pelea vicit Achilles.
Parcendum est teneris: nondum implevere medullas
Maturæ mala nequitiæ. Quum pectere barbam
Cœperit, et longi mucronem admittere cultri,
Falsus erit testis, vendet perjuria summa
Exigua, Cereris tangens aramque pedemque.
Elatam jam crede nurum, si limina vestra
Mortifera cum dote subit. Quibus illa premetur
Per somnum digitis! Nam quæ terraque marique
Acquirenda putas, brevior via conferet illi:
Nullus enim magni sceleris labor. Hæc ego nunqam
Mandavi, dices olim, nec talia suasi.
Mentis causa malæ tamen est et origo penes te.
Nam quisquis magni census præcepit amorem,
Et lævo monitu pueras producit avaros,
Et qui per fraudes patrimonia conduplicare
Dat libertatem, totas effundit habenas
Curriculo; quem si revoces, subsistere nescit,
Et, te contempto, rapitur, metisque relictis.
Nemo satis credit tantum delinquere, quantum
Permittas; adeo indulgent sibi latius ipsi! |
A ce père, fertile en avis désastreux,
Je répondrai: « Dis-moi, cerveau débile et creux,
Pourquoi te presser tant? Je puis te le promettre,
Le disciple bientôt surpassera le maître.
Ce fils t’éclipsera, docile à ton sermon,
Mieux qu’Achille, Pelée, ou qu’Ajax, Télamon!
Pardonne à cet enfant: le noir poison des vices
N’a pas encor filtré dans ses fibres novices;
Mais qu’il peigne sa barbe ou s’arme du rasoir,
Il sera faux témoin ! ... Déjà tu peux le voir
Qui, touchant de Cérès l’autel et la statue,
Se parjure à vil prix, ment, et se prostitue!
Et ta bru, malheureux, qu’elle passe ton seuil,
Avec sa dot fatale, — elle est dans le cercueil !..,
De quels doigts, en dormant, sera-t-elle pressée?
— Ton fils courir le monde! O fatigue insensée!
Pour titre plus tôt riche, il prendra le plus court...
Par le crime, sans peine, à la fortune on court.
Tu diras, quand le meurtre effraiera tes oreilles:
Je n’ordonnai jamais d’atrocités pareilles!
N’importe! C’est le fruit de tes noires leçons.
Sinistres conseillers, quand nous pervertissons
L’enfance, en lui disant, morale corruptrice
Use, pour t’enrichir, de fourbe et d’avarice!
Tous les commandements de l’honneur sont enfreints:
A des coursiers fougueux c’est lâcher tous les freins!
Tu voudrais arrêter le char ?... Peine frivole!
Le char fuit, emporté! ... Loin de la borne il vole!
— L’homme est trop indulgent pour le mal qu’il commet,
Et croit faire toujours moins qu’on ne lui permet.
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Quum dicis juveni: Stultum, qui donet
amico,
Qui paupertatem levet attollatque propinqui;
Et spoliare doces, et circumscribere, et omni
Crimine divitias acquirere, quarum amor in te
Quantus erat patriæ Deciorum in pectore, quantum
Dilexit Thebas, si Græcia vera,
Menœceus,
In quarum sulcis legiones dentibus anguis
Cum clypeis nascuntur, et horrida bella capessunt
Continuo, tanquam et tubicem surrexerit una.
Ergo ignem, cujus scintillas ipse dedisti,
Flagrantem late et rapientem cuncta videbis.
Nec tibi parcetur misero, trepidumque magistrum
In caveam magno fremitu leo tollet alumnus.
Nota mathematicis genesis tua; sed grave tardas
Exspectare colos; morieris stamine nondum
Abrupto. Jam nunc obstas et vota moraris;
Jam torquet juvenem longa et cervina senectus.
Ocius Archigenem quære, atque eme
quod Mithridates
Composuit, si vis aliam decerpere ficum,
Atque alias tractare rosas. Medicamen habendum est
Sorbere ante cibum quod debeat et pater et rex. |
Quand tu dis à l’enfant, Que ton cœur
soit de roche!
Fou, bien fou qui secourt la misère d’un proche!
N’est-ce point enseigner le pillage et le dol;
Enseigner qu’on acquiert par le meurtre et le vol
Ces biens que ton cœur aime avec idolâtrie,
Comme les Décius chérissaient leur patrie;
Comme, au dire des Grecs, Ménécée autrefois
Aimait Thèbes, qui vit jaillir des sillons froids,
Sous les dents du dragon, ces horribles tempêtes
De guerriers, s’égorgeant comme au bruit des trompettes?
— Cet énorme incendie, allumé par la main,
Il va tout dévorer dans son brûlant chemin!
Tremble aussi, malheureux ! ... ce lion, ton élève,
Dans sa gueule profonde en rugissant t’enlève!
— L’astrologue peut dire, en son langage obscur,
Ce qui te reste à vivre encor; mais il est dur
D’attendre ainsi la Parque indolente, obstinée.
Avant que le ciseau tranche ta destinée,
Tu mourras par ton fils!... car les jours paternels
Retardent son espoir et ses vœux criminels.
Ta vieillesse de cerf le fatigue et le gène.
Cherche du Mithridate, et consulte Archigène,
Si tu veux savourer encore quelque temps
Et la figue en automne, et la rose au printemps!
C’est du contrepoison que, riches et prospères,
Avant chaque repas doivent prendre les pères! |
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Monstro voluptatem egregiam, cui nulla
theatra,
Nulla æquare queas prætoris pulpita lauti,
Si spectes quanto capitis discrimine constent
Incrementa domus, ærata multus in arca
Fiscus, et
ad vigilem ponendi Castora nummi
Ex quo Mars ultor galeam quoque perdidit, et res
Non potuit servare suas. Ergo omnia Floræ
Et Cereris licet, et Cybeles aulæa relinquas;
Tanto majores humana negotia ludi ! |
Veux-tu voir un tableau qui, pour le
spectateur,
Surpasse tous les jeux d’un splendide prêteur?
Regarde par combien de périls et de peines,
Au fond d’un coffre-fort, l’or s’entasse à mains pleines;
Par combien de labeurs toujours monte cet or
Que l’on remet en garde au vigilant Castor,
Depuis que Mars vengeur, longtemps inabordable,
A lui-même perdu son casque formidable.
— Laisse leurs jeux à Flore, à Cybèle, à Cérès:
Le drame de la vie humaine a plus d’attraits! |
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An magis oblectant animum jactata
petauro
Corpora, quique solent rectum descendere funem,
Quam tu, Corycia semper qui puppe moraris
Atque habitas, Coro semper tollendus et Austro,
Perditus, ac vilis sacci mercator olentis,
Qui gaudes pingue antiquæ
de litore Cretæ
Passum, et municipes Jovis
advexisse lagonas
Hic tamen ancipiti figens vestigia planta
Victum illa mercede parat, brumamque famemque
Illa reste cavet; tu propter mille talenta
Et centum villas temerarius. Aspice portus,
Et plenum magnis trabibus mare : plus hominum est jam
In pelago. Veniet classis, quocumque vocarit
Spes lucri; nec Carpathium Gætulaque tantum
Æquora transiliet : sed, longe Calpe relicta,
Audiet Herculeo stridentem gurgite solem.
Grande operæ pretium est, ut tenso folle reverti
Inde domum possis, tumidaque superbus aluta,
Oceani monstra et juvenes vidisse marinos. |
Est-il plus amusant de voir la souple
échine
Du mime aérien lancé par la machine,
Ou dansant sur la corde à la hauteur des toits,
Que de te voir, logé sur un vaisseau crétois,
Jouet de l’aquilon, jouet du vent d’Afrique,
Vil trafiquant de baume et de poivre en barrique,
Rapportant ces raisins desséchés au grand air,
Et ces vins, cuits aux bords où naquit Jupiter?
Ce malheureux, pourtant, sur une corde roide
Court, parce qu’il a faim et craint la saison froide
Toi, tu braves la mort sur les flots turbulents,
Pour avoir cent villas avec mille talents.
— Vois ce port, vois ces mers, de vaisseaux toutes pleines!
L’onde a plus d’habitants que les monts et les plaines.
— Partout où la conduit l’espoir de s’enrichir,
Une flotte s’élance; et c’est peu de franchir
Les mers de Carpathie et les mers du Gétule:
Laissant bien loin Calpé, dans le gouffre d’Hercule
Elle entendra frémir le soleil, rouge encor...
Le but de ces labeurs, c’est que, tout chargé d’or,
On puisse dire un jour, en gonflant ses narines:
J’ai vu les dieux marins, les déesses marines. |
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Non unus mentes agitat furor :
ille sororis
In manibus vultu Eumenidum terretur et igni;
Hic, bove percusso, mugire
Agamemnona credit,
Aut Ithacum. Parcat tunicis licet atque lacernis,
Curatoris eget, qui navem mercibus implet
Ad summum latus, et tabula distinguitur uda,
Quum sit causa mali tanti et discriminis hujus
Concisum argentum in titulos faciesque minutas.
Occurrunt nubes et fulgura : Solvite fanem,
Frumenti dominus clamat piperisque cœmptor;
Nil color hic cœli, nil fascia nigra minatur;
Æstivum tonat. Infelix! hac forsitan ipsa
Nocte cadet, fractis trabibus, fluctuque premetur
Obrutus, et zonam læva morsuque tenebit.
Sed cujus votis modo non suffecerat auram
Quod Tagus et rutila volvit Pactolus arena,
Frigida sufficient velantes inguina panni,
Exiguusque cibus, mersa rate naufragus assem
Dum rogat, et picta se tempestate tuetur. |
Que les fous sont divers! Dans les
bras d’une sœur,
L’un doit fuir l’Euménide et cherche un défenseur;
L’autre, égorgeant un bœuf, croit entendre, ô délice!
Mugir Agamemnon ou l’exécrable Ulysse.
Surchargeant de ballots ses navires, celui
Qui ne met qu’une planche entre la mort et lui,
Bien qu’il n’arrache pas son manteau, ni sa robe,
Au pouvoir d’un tuteur faut-il qu’on le dérobe,
Lui qui brave Neptune et les vents en fureur,
Pour quelques pièces d’or, aux traits de l’empereur?
L’éclair brille, la nue accourt, sombres auspices!
« Levez le câble! dit le trafiquant d’épices.
Ce large ruban noir dans le ciel attristé,
Ce n’est rien !... Ce n’est rien, qu’un orage d’été. »
Le malheureux, peut-être, en cette nuit chavire,
Et dans le gouffre noir plonge avec son navire!...
Peut-être, effaré, pâle, au sein des flots grondants,
Il étreint sa ceinture et des mains et des dents!
— Tout ce que roulent d’or le Pactole et le Tage
Ne lui suffisait pas; il voulait davantage...
Aujourd’hui grelottant, affamé, sans habits,
Il implore un haillon, un morceau de pain bis;
Et, mendiant un as, errant à l’aventure,
Il étale aux regards son naufrage en peinture! |
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Tantis parta malis cura majore metuque
Servantur. Misera est magni custodia census.
Dispositis prædives amis vigilare cohortem
Servorum noctu Licinus jubet, attonitus pro
Electro signisque suis, Phrygiaque columna,
Atque ebore et lata testudine.
Dolia nudi
Non ardent Cynici ; si fregeris, altera fiet
Cras domus, aut eadem plumbo commissa manebit.
Sensit Alexander, testa quum vidit in illa
Magnum habitatorem, quanto felicior hic qui
Nil cuperet, quam qui totum sibi posceret orbem,
Passurus gestis æquanda pericula rebus. |
Ce n’est rien d’acquérir; mais
conserver son or...
Quels soucis! Malheureux, les gardiens d’un trésor!
L’opulent Licinus, tremblant pour ses portiques,
Ses marbres phrygiens et ses groupes antiques,
Son ambre, son ivoire, et ses riches plafonds,
Entoure son palais de réservoirs profonds,
Et met sur pied, la nuit, une cohorte esclave.
— Le tonneau du Cynique échappe au feu qu’il brave:
S’il se brise, en refaire un autre n’est pas long;
Ou bien vous restaurez le même avec du plomb.
Alexandre, voyant l’hôte fier de ce gîte,
Sentit combien celui que nul désir n’agite
Est plus heureux que l’homme usurpant l’univers,
A force de succès, moins grands que ses revers! |
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Nullum numen habes,
si sit prudentia. Nos te,
Nos facimus, Fortuna, deam. Mensura tamen quæ
Sufficiat census, si quis me consulat, edam.
In quantum sitis atque fames et frigora poscunt,
Quantum, Epicure, tibi parvis suffecit in hortis,
Quantum Socratici ceperunt ante penates.
Nunquam aliud natura, aliud sapientia dicit.
Acribus exemplis videor te claudere; misce
Ergo aliquid nostris de moribus effice summam,
Bis septem ordinibus quam lex dignatur Othonis.
Hæc quoque si rugam trahit, extenditque labellum,
Sume duos equites, fac tertia quadringenta.
Si nondum implevi gremium, si panditur ultra,
Nec Crœsi fortune unquam, nec Persica regna
Sufficient animo, nec divitiæ Narcissi,
Indulsit Cæsar cui Claudius omnia, cujus
Paruit imperiis, uxorem occidere jussus. |
Non, ton pouvoir n’est rien, si
l’homme a la sagesse,
O Fortune! C’est nous qui te faisons déesse.
Le nécessaire, à quoi se borne-t-il enfin?
— A ce qui nous défend du froid et de la faim;
A ce qui suffisait, dans leur retraite obscure,
Au vertueux Socrate, au modeste Épicure.
Ce que veut la raison, la nature le veut.
Cette frugalité te paraît dure? On peut
Y mêler quelque chose encor des mœurs de Rome:
Suivant la loi d’Othon, amasse-toi la somme
Qui permet de s’asseoir aux quatorze gradins...
Mais je vois sur ton front surgir des plis soudains?
Eh bien! doublons, triplons la mesure: on le souffre!
Mais si ton sein toujours est béant comme un gouffre,
Rien ne peut l’assouvir, ni tout l’or des Persans,
Ni tout l’or de Crésus, ni les trésors puissants
De l’affranchi Narcisse, à qui ce Claude infâme
Ordonna d’égorger Messaline, sa femme! |
NOTES SUR LA SATIRE XIV.
Vers n°
V. 20.
Antiphates,
etc.
— Antiphatès, roi
des Lestrigons, célèbre par sa cruauté. (Voyez Odyssée, X,
114.)
V. 24.
Ergastula
carcer Rusticus.
— Les
ergastules étaient des prisons souterraines, ordinairement placées dans les
maisons de campagne. Pour châtier les esclaves, on les condamnait à travailler,
chargés de fer, dans ces cachots profonds.
V. 91.
Posides.
—. Suétone rapporte que l’eunuque Posidès, affranchi de Claude, fut comblé par
ce prince d’honneurs et de richesses.
V. 102.
Tradidit arcano,
etc.
— Les Romains, du
temps de Juvénal, ne connaissaient les livres de Moïse et le culte des Juifs que
par une tradition très confuse.
V. 160.
Quantum sub Tatio,
etc.
— Les Romains, sous
Tatius, ne possédaient guère que le champ de Mars.
V. 180.
Marsus,
etc.
—Les Marses, les
Herniques et les habitants du Vestin, anciens peuples d’Italie.
V. 207. —
Ce vers, cité par Juvénal, est du poète Ennius.
V. 240.
Menœceus,
etc.
— Ménécée, second
fils de Créon, pour accomplir l’oracle de Tirésias, se précipita du haut des
tours de Thèbes, assiégée par Polynice.
V. 252.
Quod Mithridates,
etc.
— On voit dans
Pline (lib. XXIII, cap. viii) la
recette de ce fameux contrepoison, inventé par Mithridate.
V. 260.
Ad vigilem Castora,
etc.
— Les riches
déposaient dans les temples ce qu’ils avaient de plus précieux, pour le
soustraire aux voleurs.
V. 270.
De litore Cretæ Passum,
etc.
— C’est !e vin de
l’île de Crète. Cette sorte de vin est nommée aujourd’hui vin de paille,
parce qu’après avoir cueilli le raisin, on l’expose au soleil sur une couche de
paille, avant de le porter sous le pressoir.
V. 284.
Ille
sororis, etc.
— Allusion
aux fureurs d’Oreste parricide.
V. 286.
Hic bove
percusso, etc.
— Ajax,
en démence, massacrait les troupeaux des Grecs, et croyait égorger Ulysse ou
Agamemnon.
V. 308.
Dolia nudi,
etc.
— Il est question
du célèbre Diogène de Sinope, de la secte des cyniques.
V. 315.
Nullum numen habes,
etc.
— Nous avons déjà
vu ce vers et la moitié du précédent, satire X, v. 315.
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