MARTIAL
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M. VAL. MARTIAL
ÉPIGRAMMES
LIVRE VIII
Relu et corrigé
LIVRE VIII A L'EMPEREUR DOMITIEN AUGUSTE, GERMANIQUE, DACIQUE V. MARTIAL, SALUT. Prince, mes ouvrages, qui vous doivent leur réputation, autant dire la vie, sont tous placés sous votre protection ; et c'est, je pense, ce qui fait qu'ils sont lus. Celui-ci cependant, qui forme le huitième livre de mon recueil, est plus riche que les autres du récit de vos vertus. Il a donc coûté moins de travail à mon esprit, que secondait l’abondance de la matière. Toutefois je me suis efforcé d'y jeter de la variété par le mélange de quelques plaisanteries, afin que votre céleste modestie ne trouvât pas dans chaque vers des louanges plus capables de vous fatiguer que d'épuiser mon admiration. En outre, quoique de très graves personnages et des hommes du plus haut rang semblent avoir pris à tâche d'imiter, dans les épigrammes qu'ils ont faites, le langage licencieux de la farce, je n'ai pourtant pas permis à celles-ci de s'exprimer aussi librement que leurs aînées. La majesté de votre nom sacré se trouvant associée à la plus grande et la meilleure partie de ce livre, il n'oubliera pas que ce n'est qu'après avoir été purifié par des ablutions religieuses qu'il est permis de s'approcher des temples. Et afin que ceux qui me liront sachent combien je suis résolu à tenir ma promesse, j'ai voulu la consigner en tête de mon livre dans une très courte épigramme. 1. - A SON LIVRE Avant d'entrer dans le palais où séjourne le prince, à l'ombre des lauriers, apprends, mon livre, à devenir respectueux et pudique en ton langage. Vénus, porte ailleurs ta nudité : cette œuvre n'est point de ton domaine ; et toi, Pallas, que César honore, viens à mon aide. II. - A JANUS Le père, le créateur des Fastes, Janus, en voyant naguère le vainqueur de l'Ister, pensa n'avoir pas assez de son double visage, et souhaita de posséder un plus grand nombre d'yeux ; et, parlant de tout ce qu'il avait de langues, il promit au maître de la terre, au dieu de l'empire, une vieillesse quadruple de celle du vieillard de Pylos. Ajoutes-y encore la tienne, vénérable Janus ; nous t'en conjurons. III. - A SA MUSE
"C'était bien assez de cinq, et c'est trop assurément de six ou sept livres.
Pourquoi donc, ma Muse, te livrer encore à de nouveaux jeux : Sache te modérer
et en finir : déjà la renommée ne peut plus rien ajouter à notre gloire ; notre
recueil est dans toutes les mains. Lorsque le temps aura fait crouler le
monument de Messala, lorsque les marbres orgueilleux de Licinius seront réduits
en poussière, on me lira encore, et plus d'un étranger emportera mes vers dans
sa patrie." IV.- À CÉSAR DOMITIEN, OU, SELON D'AUTRES, À CÉSAR LE GERMANIQUE Voyez, dans les temples du Latium, cette assemblée du monde entier former et acquitter des vœux en l'honneur de son maître chéri ! Mais, je me trompe, ô Germanique, cette fête n'est pas seulement une fête célébrée par les hommes ; ce sont les dieux eux-mêmes qui la célèbrent aujourd'hui. V. - A MACER A force de donner des anneaux aux jeunes filles, Macer, tu as fini par n'avoir plus d'anneau. VI. - CONTRE EUCTUS Rien de plus insupportable que les vases originaux du vieil Euctus : je préfère les vases fabriqués de terre de Sagonte. Pendant qu'il raconte, cet impitoyable bavard, la noble antiquité de sa vaisselle d'argent, son vin a le temps de s'éventer. "Ces gobelets, vous dit-il, ont figuré sur la table de Laomédon ; ce fut pour les posséder qu'Apollon éleva aux sons de sa lyre les murs de Troie. Le terrible Rhésus se battit pour cette coupe avec les Lapithes : vous voyez le dommage qu'elle a éprouvé dans le combat : Ces deux vases passent pour avoir appartenu au vieux Nestor ; voyez comme la colombe qui les orne a été usée par le pouce du roi de Pylos. Voici la tasse où le fils d'Éacus fit verser si largement et avec tant d'empressement ses vins à ses amis. Dans cette patère la belle Didon, porta la santé de Bytias, lors du souper qu'elle donna au héros phrygien." Et quand vous aurez beaucoup admiré toutes ces antiques ciselures, il vous faudra boire dans la coupe du vieux Priam un vin jeune comme Astyanax. VII. CONTRE CINNA Est-ce la plaider, est-ce faire preuve d'éloquence, Cinna, que de lâcher neuf paroles en dix heures ? Mais voilà, que, tu demandes à grands cris quatre clepsydres : qu'il te faut de temps, Cinna, pour ne rien dire ! VII. A JANUS SUR LE RETOUR DE CÉSAR Si heureux que tu sois, Janus, d'ouvrir la carrière aux fugitives années, de marquer par ton visage la durée et le renouvellement des siècles, de recevoir notre premier encens et nos premiers vœux, de voir à tes pieds la pourpre et toutes les grandeurs ; ce qui te flatte le plus, c'est de voir, dans le mois qui t'est consacré, la cité reine du Latium saluer le retour de son dieu. IX. - A QUINTUS SUR HYLAS Hylas le chassieux voulait dernièrement, Quintus, te payer les trois quarts de sa dette ; devenu borgne, il n'en veut plus donner que la moitié. Hâte-toi de profiter d'une occasion si fugitive. S'il devient aveugle, Hylas ne te payera rien du tout. X. - SUR BASSUS Bassus vient d'acheter mille sesterces une robe d'étoffe de Tyr de la plus belle couleur : il a fait un marché d'or. - Mais pourquoi ? dis-tu. - Pourquoi ? c'est qu'il ne paye pas. XI. - A CÉSAR DOMITIEN Déjà le Rhin sait ton retour dans ta capitale ; car les acclamations de ton peuple retentissent jusqu'à lui. Les nations sarmates, les peuples de l'Ister et les Gètes ont aussi entendu avec effroi ces nouveaux témoignages d'allégresse. Tandis que dans l'enceinte sacrée du Cirque nos joyeux applaudissements t'exprimaient notre respect, personne ne s'est aperçu que les chevaux ont fourni quatre courses. Non, jamais aucun prince, César, ne fut autant que toi chéri de Rome ; voulût-elle t'aimer davantage, elle ne le pourrait pas. XII. - A PRISCUS Vous me demandez pourquoi je ne veux pas d'une femme riche ? c'est que je veux être le mari de ma femme. Une femme, Priscus, doit être inférieure à son mari ; sans cela, il n'y aurait pas d'égalité entre eux. XIII. - A GARGILIANUS C'est un fou, disais-tu : je l'ai acheté vingt mille sesterces. Rends-moi mon argent, Gargilianus ; c'est un sage. XIV. - CONTRE UN AMI SANS HUMANITÉ Pour garantir tes vergers venus de la Cilicie des frimas qui les menacent, pour que le vent n'ait pas de prise sur ces arbres encore tendres, on a opposé à la bise des barrières transparentes à travers lesquelles pénètrent un soleil pur et une lumière toujours bienfaisante. Quant à moi, l'on m'a donné une chambre qui n'a pas une fenêtre entière pour la clore, et dans laquelle Borée lui-même ne voudrait pas habiter. C'est ainsi que tu loges, cruel, un ancien ami ? mieux vaudrait pour moi l'hospitalité d'un de tes arbres. XV. - A DOMITIEN Tandis qu'on célèbre les nouvelles victoires remportées dans la Pannonie, tandis que dans tous les temples on offre des sacrifices pour le retour de notre Jupiter, le peuple, les chevaliers reconnaissants, le sénat, offrent à l'envi leur encens, et pour la troisième fois les largesses du vainqueur enrichissent les villes du Latium. Ces modestes triomphes, Rome aussi se les rappellera ; et ces lauriers, gages de la paix, ne le céderont pas aux premiers ; le pieux dévouement de tes peuples t'en est un sûr garant. La première vertu d'un prince est de connaître ses sujets. XVI. - CONTRE CIPERUS Après avoir été longtemps boulanger, tu plaides maintenant, Ciperus, pour gagner deux cent mille sesterces. Mais, en attendant, tu dépenses force argent et tu empruntes sans cesse. -Tu n'as pas cessé d'être boulanger, Ciperus ; tu fais encore du pain et encore de la farine. XVII. - A SEXTUS J'ai plaidé ta cause au prix convenu de deux mille sesterces, Sextus : combien m'en as-tu envoyé ? - Mille. - Et pourquoi ? - Tu as fort mal plaidé et, de plus, tu as perdu ma cause. - Raison de plus pour me bien payer, Sextus ; car tu dois me payer ma honte. XVIII. - A CIRINUS Si tu publiais tes épigrammes, Cirinius, on te lirait avec tout autant, peut-être même avec plus de plaisir que moi. Mais tel est l'empire qu'a sur toi notre vieille amitié, que ma gloire t'est plus chère que la tienne propre. Ainsi Virgile s'interdit les chants du poète de Vénuse, quoiqu'il pût aspirer à la palme du genre lyrique ; ainsi, encore, il céda à Varius les honneurs de la scène romaine, quand il pouvait, mieux que lui, faire parler la muse, tragique. Beaucoup d'amis donneront de l'or, des richesses, des terres ; mais bien peu seront disposés à céder le laurier du génie. XIX. - SUR CINNA Cinna veut paraître pauvre ; il est pauvre en effet. XX. - A VARUS Faire deux cents vers par jour, Varus, et, comme toi, ne les réciter à personne, c'est être fou et sage. XXI. - A LUCIFER, SUR LE RETOUR DE CÉSAR Étoile de Vénus, rends-nous le jour : pourquoi retarder nos plaisirs ? César va venir ; étoile de Vénus, rends-nous le jour, Rome t'en supplie. Viendrais-tu sur le chariot pesant du tranquille Bootès, aujourd'hui que tes feux sont si lents à paraître ? Ne pouvais-tu emprunter à l'attelage du fils de Léda le coursier Cyllare ? Castor lui-même, en cette occasion, ne te l'eut pas refusé. Pourquoi retenir ainsi Phébus impatient ? Déjà Xanthus et Ethon demandent leur frein : la bienfaisante mère de Memnon est éveillée. Cependant les étoiles tardives brillent d'un éclat pareil au jour le plus pur, et la Lune aspire au bonheur de voir le maître de l'Ausonie. N'importe, César, viens même pendant la nuit ; les astres peuvent rester, s'ils veulent ; quand tu reviens, le jour ne saurait manquer au peuple. XXII. - CONTRE GALLICUS Tu m'invites à manger un sanglier, Gallicus, et tu me sers un porc. Si tu me trompes, Gallicus, je veux être un métis ! XXIII. - A RUSTICUS Tu m'accuses de cruauté et de goinfrerie, Rusticus, parce que je bats mon cuisinier pour un souper manqué ? Si tu ne trouves pas qu'il y ait eu là de quoi le fouetter, quand, selon toi, faudra-t-il donc battre un cuisinier ? XXIV. - A CÉSAR DOMITIEN S'il m'arrive, dans un placet bien timide et bien humble, de te faire quelque demande, et si cette demande n'a rien d'indiscret, daigne, César, me l'accorder. Si tu refuses, ne trouve pas mauvais du moins que je t'aie imploré : jamais encens ni prières ne déplurent à Jupiter. L'artiste qui transforme en images sacrées l'or et le marbre ne fait pas les dieux ; celui-là les fait, qui les prie. XXV. - CONTRE OPPIANUS Tu ne m'as vu qu'une fois malade, Oppianus : moi, je te verrai bien souvent dans cet état. XXVI. - A CÉSAR DOMITIEN Le chasseur des rives du Gange, qui fuit pâle et tremblant sur un cheval d'Hyrcanie, ne vit jamais dans les champs de l'Aurore un nombre de tigres égal à celui que ta capitale a vu depuis quelque temps, ô Germanique. Rome ne suffisait plus à compter ses plaisirs. L'arène qu'elle te doit a fait oublier les triomphes que vit l’Érythrée, la pompe et les richesses du dieu conquérant. Bacchus, en effet, se contentait de deux tigres, lorsqu'il traînait les Indiens captifs enchaînés à son char. XXVII. - A GAURUS Celui qui te fait des cadeaux, Gaurus, à toi riche et vieux, te dit, si tu n'es pas un sot et si tu sais l'entendre : "Meurs." XXVIII. - SUR UNE ROBE QUE LUI AVAIT DONNÉE PARTHENIUS Charmant cadeau d'un éloquent ami, toge, dis-moi de quel troupeau tu veux être la gloire et l'honneur ? Ont-ils fleuri pour toi ces prés de l'Apulie, situés près de la ville du Lacédémonien Phalante, et que le Galèse féconde de ses eaux empruntées à la Calabre ? Le Bétis, qui abreuve le bétail de l'Ibère, a-t-il lavé ta laine sur le dos des brebis de l'Hespérie, ou bien cette laine a-t-elle compté le nombre des embouchures du Timave, où venait s'abreuver Cyllare avant d'être parmi les astres ? Le poison d'Amyclée n'était pas fait pour te prêter ses couleurs ; la teinture de Milet n'était pas non plus digne de ta toison. Tu l'emportes en blancheur sur les lis, sur la fleur du troène fraîchement éclose, et sur l'ivoire de la colline de Tibur. Devant toi doivent s'humilier le cygne de l'Eurotas, les colombes de Paphos et les perles arrachées aux profondeurs de l'Érythrée. Mais pour être aussi pur que la neige encore vierge, un si beau présent ne l'est-pas plus que Parthenius de qui il vient. Je ne lui préférerais pas ces brillantes étoffes tissées à Babylone, et que l'aiguille de Sémiramis a semées de broderies. Je serais moins glorieux de posséder l'or d'Athamas, quand tu me donnerais, Phryxus, cette riche toison d'Éolie. Mais combien on rira de voir cette robe somptueuse accouplée à mon vieux manteau déchiré ! XXIX. - SUR LES DISTIQUES Celui qui écrit un distique, vise, je pense, à plaire par la brièveté. A, quoi bon, je vous prie, cette brièveté, s'il en fait un volume ? XXX. - SUR UNE REPRÉSENTATION DE SCÉVOLA Le spectacle que vous offre aujourd'hui l'amphithéâtre de César représente un des faits les plus glorieux qui aient signalé le siècle de Brutus. Voyez comme cette main courageuse serre la flamme, jouit de son supplice et domine le feu étonné de son impuissance ! Mucius se contemple lui-même, chérit la perte de sa main qui se repaît à plaisir du sacrifice qu'il accomplit. Si on n'eût enlevé violemment le brasier instrument de son supplice, il allait livrer sa main gauche à la flamme vaincue par tant de courage. Après ce trait d'héroïsme, je ne cherche pas à savoir ce qu'il a fait auparavant ; c'est assez d'avoir vu cette main. XXXI. - CONTRE DENTON Je ne sais quel ridicule aveu tu fais sur ton compte, Denton, lorsque tu viens, marié, réclamer les droits de père. Cesse donc de fatiguer de tes requêtes le maître de l'empire, quitte Rome et retourne dans ton pays où tu n'as que trop tardé à te rendre. Car, après être resté si longtemps loin de ton épouse abandonnée, au lieu de trois enfants que tu demandes, tu pourras bien en trouver quatre. XXXII. - SUR LA COLOMBE D'ARETULLA Du haut des airs une douce colombe vint se poser mollement sur le sein d'Aretulla. C'eût été un simple jeu du hasard, si la colombe ne fût restée là, refusant de fuir, quand elle le pouvait. S'il est permis à la piété d'une sœur d'en tirer un favorable augure, si ses vœux peuvent fléchir le maître du monde, cette colombe est peut-être la messagère qui vient des côtes de Sardaigne t'annoncer le retour d'un frère exilé. XXXIII. - LA FIOLE DE PAULLUS Tu m'envoies, Paulus, une feuille de ta couronne prétorienne, et tu lui donnes le nom de fiole. C'est quelque lame d'or appliquée naguère sur une décoration de théâtre, et lavée au moyen d'une solution de safran. Ou ne serait-ce pas plutôt (oui, c'est cela) une raclure de ton bois de lit, qu'un de tes esclaves a enlevée adroitement avec son ongle ? De loin le vol d'un moucheron agit sur elle ; l'aile du plus petit papillon suffit à la mettre en mouvement ; la vapeur du moindre lumignon la fait voltiger, et, si doucement qu'on verse, une goutte de vin suffit pour la briser. C'est d'un pareil enduit que les plus misérables clients recouvrent la datte qu'ils apportent avec une mince pièce de monnaie aux calendes de janvier. Le flexible colocase a des filaments moins légers ; les lis, que fait tomber un soleil trop ardent, ont plus de consistance ; la toile que parcourt la mobile araignée est moins frêle, et les fils qui soutiennent le ver à soie sont moins déliés. Plus épaisse est la craie qu'étend sur ses joues la vieille Fabulla ; plus épaisse est la bulle que soulève une eau agitée. La vessie dont se servent les femmes du Latium pour retenir les tresses de leurs cheveux, l'écume batave dont elles font usage pour les teindre, ont plus de corps. C'est d'une pellicule semblable qu'était revêtue la pulpe de l'œuf de Léda ; telles sont les menues bandelettes qu'on applique sur le front en forme de croissant. Qu'avais-tu besoin de choisir une fiole, quand tu pouvais m'envoyer soit une ligule, soit une cuiller ? Mais c'est encore demander trop ; quand tu pouvais m'envoyer une coquille de limaçon, quand enfin tu pouvais, Paulus, ne me rien envoyer. XXXIV. - CONTRE UN HÂBLEUR Tu te vantes de posséder un vase original de Mys : il est d'autant plus original, qu'il a été fait sans toi. XXXV. - CONTRE UN MAUVAIS MÉNAGE Quand vous vous ressemblez si bien, quand votre vie est la même, méchant mari, méchante femme, je m'étonne de ne pas vous voir d'accord. XXXVI. A CÉSAR DOMITIEN Tu peux bien rire, César, des Pyramides et de leurs merveilles ; la barbare Memphis a cessé de vanter ces monuments de l'orgueil oriental. Que sont ces lourdes masses auprès de ton palais impérial ? Le jour ne voit rien de plus magnifique dans l'univers. On dirait les sept montagnes de Rome s'élevant les unes sur les autres ; moins haut fut le Thessalique Pélion, monté sur Ossa. Ton palais est si haut placé dans les airs, que son faîte brillant, confondu au milieu de la splendeur des astres, voit la foudre éclater au-dessous de lui. Phébus l'éclaire en secret de ses feux, avant que Circé ait seulement entrevu le visage de son père. Sans doute, César, ce palais dont le sommet touche au ciel est égal au ciel même ; mais il est moins grand que son maître. XXXVII. - A POLYCHARMUS Parce que tu as rendu à Caïetanus son billet, crois-tu donc, Polycharmus, lui avoir fait cadeau de cent mille sesterces ? Mais il me les devait, dis-tu. Garde le billet, Polycharmus, et prête à Caïetanus deux mille sesterces. XXXVIII. - A MELIOR Celui qu'on voit s'épuiser en bons offices auprès d'un homme capable de reconnaissance cherche peut-être à le séduire, ou demande du retour. Mais donner à celui qui n'est plus, persévérer au-delà du trépas et du tombeau, est-ce chercher autre chose qu'un soulagement à sa douleur ? Être bon ou vouloir le paraître sont deux choses différentes. Tu es bon, Melior, toi qui par de pieux hommages t'efforces sans cesse de préserver de l'oubli le nom de Blésus qui n'est plus ; toi qui, pour fêter son jour natal, prodigues ton or aux scribes restés fidèles à sa mémoire, et ne donnes tout cela que pour en faire honneur à Blésus. Ce tribut que tu payeras longtemps pendant le reste de ta vie, tu le recueilleras toi-même dans la tombe. XXXIX. - A DOMITIEN Avant ce jour, il n'existait point d'enceinte faite pour contenir la table des Césars et ses mets rivaux de l'ambroisie. Ici, Germanique, tu peux savourer dignement le nectar sacré et tendre ta coupe à Ganymède. Ne te presse pas, je t'en conjure, de devenir l'hôte du dieu du tonnerre, et toi, Jupiter, si tu es pressé, viens toi-même. XL. - A PRIAPE Ce n'est point un jardin ni une vigne féconde qu'il s'agit de garder, Priape, mais ce simple bosquet, qui t'a donné l'être, et qui te le rendrait au besoin ; je te recommande d'en éloigner les voleurs et d'en conserver le bois pour le foyer du maître. S'il venait à lui manquer, songe que toi-même tu es de bois. XLI. - A FAUSTINUS Athénagoras est si triste, qu'il a oublié de m'envoyer les présents qu'il a coutume de m'envoyer à la mi-décembre. Je verrai bien, Faustinus, si Athénagoras est triste ; mais, à coup sûr, Athénagoras m'a rendu triste. XLII. - A MATHON Si l'appât d'une plus riche sportule ne t'a pas attiré chez quelque heureux du siècle, comme c'est l'usage, tu pourras, Mathon, te baigner cent fois avec le prix de la mienne. XLIII. - CONTRE FABIUS ET CHRESTILLA Fabius enterre ses femmes, Chrestilla ses maris ; chacun d'eux secoue la torche funéraire sur le lit nuptial. O Vénus ! mets aux prises ces deux vainqueurs, la même fin les attend, et Libitine les frappera du même coup l'un et l'autre. XLIV. - A TITULLUS Titullus, je te le conseille, jouis de la vie ; il est déjà bien tard : quand tu aurais commencé sous la férule, ce serait tard encore. Mais loin de là, malheureux Titullus, tu es vieux, et tu ne vis pas encore. Courtisan assidu, il n'est pas de porte à laquelle tu ne frappes. Dès le matin, inondé de sueur et la face humide des baisers de toute la ville, tu as déjà parcouru les trois forums, que les chevaliers n'y sont pas encore ; sans cesse on te voit rôder autour du temple de Mars et du colosse d'Auguste, aux troisième et cinquième décuries. Prends, amasse, emporte, possède ; il te faudra quitter tout cela. De quelque éclat que brille ton coffre-fort encombré d'écus, quelque chargé que soit ton livre d'échéance, ton héritier jurera que tu ne lui as rien laissé ; et tandis que s'élèvera ton bûcher à force de papyrus, sur le grabat, sur la pierre même où reposera tort corps, l'orgueilleux baisera tes eunuques en pleurs ; et ton fils désolé, que tu le veuilles ou non, couchera dès la première nuit avec ton esclave favori. XLV. - A FLACCUS, SUR LE RETOUR DE PRISCUS TERENTIUS Enfin Terentius, revenu des champs qui environnent l'Etna, est rendu à mes vœux : qu'une perle blanche, ô Flaccus, marque ce jour fortuné. Cette amphore qu'après cent consulats les années ont réduite, qu'un tissu de lin, la dégageant de tout limon, lui rende son éclat. Quand passerai-je à table une aussi délicieuse nuit ? Quand ce vin généreux viendra-t-.il aussi à propos chauffer mes sens ? Ce sera, Flaccus, lorsque ton retour de Chypre, où règne Cythérée, m'en fournira l'occasion. XLVI. - AU JEUNE CESTUS Que de candeur en toi, que de naïveté dans ta charmante figure, jeune Cestus ! toi dont la chasteté l'emporte sur celle d'Hippolyte même. Diane voudrait t'avoir à sa suite, Doris, nager à tes côtés ; Cybèle trouverait en toi toutes les grâces de son Atys : tu serais digne de succéder à Ganymède dans le lit de Jupiter ; mais ta résistance ne lui laisserait prendre que des baisers. Heureuse l'épouse qui fera le tourment d'un époux si tendre ! Heureuse la vierge qui la première te révélera que tu es un homme ? XLII. - CONTRE UN HOMME QUI SE FAISAIT LA BARBE DE PLUSIEURS MANIÈRES A LA FOIS. Une partie de ta mâchoire est taillée, une autre rasée, la troisième épilée : qui croirait que tu n'as qu'une tête ? XLVIII. - SUR LE MANTEAU DE CRISPINUS Crispinus ne sait à qui il a confié son manteau de pourpre, pendant qu'il faisait sa toilette et mettait sa toge. Quel qu'en soit le détenteur, qu'il rende, on l'en supplie, aux épaules de Crispinus leur parure. Ce n'est pas Crispinus qui réclame, c'est le manteau lui-même. Un vêtement imprégné de pourpre ne va pas à tout le monde : une pareille couleur est faite pour la seule opulence. Si le larcin vous plaît, si vous courez après un gain honteux, pour qu'il vous soit plus facile d'en imposer, prenez la toge. XLIX. - SUR ASPER Asper aime une belle femme ; mais il est aveugle. Cela étant, Asper aime plus qu'il ne voit. L. - A CÉSAR DOMITIEN Autant est célèbre le festin qui suivit la défaite des Géants, autant fut admirée par tous les habitants de l'Olympe cette nuit où Jupiter, mêlé aux dieux subalternes, permit bonnement aux Faunes de lui demander à boire ; autant a d'éclat, César, le banquet qui fête tes victoires. Notre allégresse réjouit les dieux mêmes. Chevaliers, peuple, sénateurs, tous mangent aujourd'hui avec toi, et Rome savoure avec son maître des mets qui égalent l'ambroisie. Tu avais promis beaucoup ; combien tu donnes davantage ! On annonçait une sportule ; nous avons un festin. LI. - SUR LA FIOLE D'INSTANTIUS RUFUS Qui a ciselé cette fiole ? Est-elle l'ouvrage de l'habile Mys ou de Myron ? Dois-je y reconnaître la main de Mentor, ou bien la tienne, Polyclète ? Nulle tache n'en ternit l'éclat, et son métal ne redoute pas l'épreuve du feu. L'ambre pur rayonne d'un jaune moins éclatant que son or, et la ciselure d'argent qui l'embellit efface la blancheur de l'ivoire. L'art ne le cède en rien à la matière : c'est ainsi que la lune embrasse les contours de la terre quand elle brille de toute sa clarté. On y voit un chevreau couvert de la toison du bélier qui emporta le Thébain Phryxus ; monture que la sœur du petit-fils d'Éole eût certes préférée. Le tondeur cinyphien eût respecté ce chevreau ; et toi-même, Bacchus, tu l'eusses laissé brouter ta vigne. Sur le dos de l'animal est assis, les ailes déployées, un Amour d'or, qui tire délicatement du lotus les plus doux sons. Ainsi le dauphin, enchanté de porter le Lesbien Arion, traversa la mer paisible sous son harmonieux fardeau. Cette riche fiole, ce ne sera pas la main du commun de mes esclaves, mais la tienne, Cestus, qui me l'emplira d'un nectar digne de moi. Cestus, l'honneur de ma table, verse du vin de Sétia : l'enfant ailé, le chevreau, semblent demander à boire. Que les lettres formant le nom d'Instantius Rufus fixent le nombre des rasades ; car c'est de lui que j'ai reçu ce précieux cadeau. Si Téléthusa survient, et qu'elle m'apporte le plaisir qu'elle m'a promis, je saluerai ma maîtresse d'autant de rasades qu'il y a de lettres dans le nom Rufus. Si elle tarde, j'irai jusqu'à sept ; si elle me manque de parole, pour étouffer mon chagrin, je boirai les deux noms. LII. - A CÉDITIANUS Mon jeune barbier, ce garçon plus habile en son art que ne le fut Thalamus, ce barbier de Néron à qui étaient échues toutes les barbes des Drusus, je l'ai prêté un jour à Rufus, qui voulait être rasé par lui. Soumis à la censure du miroir, le malheureux enfant fut obligé de revenir tant de fois sur les menus poils, de polir si minutieusement la peau de notre homme, de tailler, de rogner si longtemps, et à tant de reprises, ses cheveux, que la barbe lui avait poussé à lui-même quand il rentra chez moi. LIII. - CONTRE CATULLA O la plus belle, mais la plus vile aussi de toutes les créatures qui aient jamais existé ou qui existent aujourd'hui ! Catulla, que je voudrais te voir ou moins belle ou plus chaste ! LIV. - A CÉSAR DOMITIEN Quelque grande que soit ta munificence, et dût-elle encore s'accroître, ô César ! toi qui vainquis tant de généraux, et sais si bien te vaincre toi-même, le peuple, au lieu de t'aimer à cause de tes bienfaits, aime tes bienfaits à cause de toi. LV. - AU MÊME, SUR UN LION Terribles sont les rugissements qui se font entendre dans les déserts de la Massylie, lorsque des milliers de lions en fureur s'agitent dans la forêt, et que le berger africain, pâle d'effroi, rappelle à l'étable ses taureaux épouvantés et ses brebis défaillantes ; non moins terribles sont les rugissements qui naguère ont retenti dans l'arène de la capitale de l’Ausonie. Qui n'aurait cru entendre une troupe tout entière ? Cependant c'était un seul lion, mais si formidable, que les lions eux-mêmes eussent tremblé devant lui, et que la Numidie aux riches marbres lui eût, décerné la couronne. Qu'elle était noble sa tête, et qu'il était imposant son aspect, lorsque les touffes dorées de sa crinière retombaient en se courbant sur son cou ! Quel puissant épieu il a fallu pour percer sa large poitrine ! quelle joie il a dû ressentir d'un aussi honorable trépas ! O Libye ! qui a pu envoyer à tes forêts ce bel et si glorieux hôte ? Venait-il des monts consacrés à Cybèle ? ou plutôt, Germanique, ne serait-ce pas ton frère ou ton père lui-même qui te l'aurait envoyé de l'astre d'Hercule ? LVI. - A FLACCUS Quoique le temps passé le cède au nôtre, quoique la puissance de Rome ait encore grandi sous le prince qui la régit, tu t'étonnes que nous n'ayons pas un génie égal à celui du divin Virgile, et qu'il ne se trouve personne pour chanter d'aussi glorieux combats. Viennent des Mécènes, Flaccus; et les Virgiles ne nous manqueront pas : tes campagnes même en produiront. Tityre avait perdu quelques arpents de terre voisins de la pauvre Crémone ; désolé, il pleurait les troupeaux qu'on lui avait ravis. Le chevalier toscan sourit à l'infortuné, écarta l'indigence et lui commanda de fuir aussitôt : "Accepte ces richesses et sois le plus grand des poètes, lui dit-il ; et même je te permets d'aimer mon Alexis." A souper, ce bel enfant versait à son maître, d'une main aussi blanche que l'albâtre, le noir Falerne, et lui présentait la coupe après l'avoir effleurée de ses lèvres de rose dont l'aspect eût excité les désirs de Jupiter même. La grosse Galatée, Thestylis aux joues rouges et brûlées par le soleil, sortirent de la mémoire du poète étonné ; et soudain l'Italie, les combats, un héros, se révélèrent à cet homme qui, dans son inexpérience, ne savait naguère que pleurer sur un moucheron. Parlerai-je des Varus, des Marsus ? Citerai-je les noms difficiles à compter, tant ils sont nombreux, des poètes que la faveur a enrichis ? Serai-je donc un Virgile, si vous me prodiguez les bienfaits d'un Mécène ? Je ne serai pas un Virgile, mais un Marsus. LVII. - SUR PICENS Il restait trois dents à Picens ; un jour qu'il était assis sur son futur tombeau, il les cracha toutes trois, et, recueillant dans un pan de son manteau ces derniers débris de sa bouche dégarnie, il les enfouit au sein de la terre. Plus tard son héritier peut se dispenser de recueillir ses os ; Picens s'est d'avance rendu lui-même cet office. LVIII. CONTRE ARTÉMIDORE En te voyant, Artémidore, porter un surtout aussi gras et aussi épais, je puis bien, à bon droit, t'appeler porte-saie. LIX. - CONTRE UN VOLEUR QUI ÉTAIT BORGNE Vous voyez cet homme qui se contente d'un œil et qui, sous son front déprimé, montre, à la place de l'autre, une cavité chassieuse ? Eh bien ! cet homme, ne le méprisez pas, c'est le plus grand voleur de la terre : Autolycus n'avait pas la main plus subtile. S'il vous arrive de l'avoir pour convive, ne le perdez pas de vue : c'est là qu'il triomphe ; là mon borgne y voit des deux yeux. Les valets ont beau faire, les gobelets et les cuillers y passent, et plus d'une serviette disparaît sous sa robe. Personne ne sait mieux ramasser un manteau qui a glissé des épaules d'un convive, et souvent il se trouve couvert de deux surtouts. Le coquin ne rougit pas de voler à l'esclave endormi sa lampe tout allumée. S'il n'a pu rien attraper, il circonvient d'une façon traîtresse l'esclave préposé à la garde des sandales, et finit par se voler, quoi ? les siennes. LX. - CONTRE CLAUDIA Tu égalerais en hauteur le colosse palatin, Claudia, si tu avais un pied et demi de moins. LXI. - A SÉVÈRE, AU SUJET DE CARINUS Carinus sèche d'envie, crève de dépit, tempête, pleure et cherche partout des branches assez élevées pour s'y pendre. Ce n'est point parce qu'on me chante et me lit en tous lieux ; ce n'est point parce que mes livres, roulés sur le cèdre et ornés d'ombilics, sont dans les mains de toutes les nations auxquelles Rome commande ; c'est uniquement parce que je possède hors de la ville une campagne pour l'été, et que je m'y fais conduire par des mules qui ne sont plus de louage comme celles dont je me servais jadis. O Sévère ! quel mal souhaiterai-je à cet envieux ? Eh bien ! je lui souhaite qu'il ait aussi des mules et une maison aux portes de la ville. LXII. - SUR PICENS Picens écrit des épigrammes sur le revers de ses pages, et il se plaint qu'elles soient à l'envers du bon sens. LXIII. - SUR AULUS Aulus aime Thestyle ; il ne brûle pas moins pour Alexis ; peut-être aime-t-il aussi mon Hyacinthe. Doutez-vous qu'il n'aime les poètes, ce bon Aulus, puisqu'il aime autant ce qui les charme. LXIV. - CONTRE CLYTUS Pour demander, pour exiger quelque cadeau, tu nais, Clytus, jusqu'à huit fois par an ; il n'y a guère, je crois, que trois ou quatre calendes qui ne ramènent pas l'anniversaire de ta naissance. Quoique ton visage soit plus lisse que les cailloux qui brillent sur le rivage, polis par la vague ; quoique ta chevelure soit plus noire que la mûre près de tomber ; quoique tu l'emportes en délicatesse moelleuse sur le duvet ou sur le lait fraîchement caillé ; et quoique ton sein rebondi ait tous les attraits du sein vierge qu'une jeune fille réserve à son époux ; Clytus, tu ne m'en sembles pas moins vieux. Qui croira, en effet, que Priam et Nestor aient jamais vu autant de fois revenir leur jour natal ? Aie donc à la fin un peu de pudeur, et fais trêve à tes extorsions ; car si tu continues à te moquer ainsi de nous, et qu'il te plaise de naître plusieurs fois chaque année, je finirai par croire, Clytus, que tu n'es pas né une seule fois. LXV. - A DOMITIEN Au même lieu où brille aujourd'hui avec tant d'éclat un temple élevé au Retour de la Fortune, était jadis une place fortunée : c'est là que s'arrêta César quand il revint du Nord, beau de la poussière du champ de bataille, et le visage rayonnant de gloire ; c'est là que, vêtue de blanc et le front ceint de lauriers, Rome salua son maître de la main et de la voix. La haute importance de ce lieu est attestée par d'autres hommages encore. Voyez cet arc triomphal consacré aux victoires remportées sur nos ennemis ; voyez ces deux chars auxquels sont attelés plusieurs éléphants ; la statue d'or du prince guide cet immense attelage. Cette porte, ô Germanique, est digne de tes triomphes. C'est une entrée comme il en fallait une à la ville de Mars. LXVI. - SUR LE CONSULAT DE SILIUS Muses, au nom de notre cher Silius, offrez de l'encens et des victimes à notre auguste maître ! Par son ordre, les faisceaux viennent retrouver Silius, dont le fils est consul ; et la maison du poète, cette maison chérie des Muses, retentit de nouveau des coups de la noble verge. O César ! ô toi, notre premier, notre unique appui ! un désir reste encore à Silius, au milieu de tant de bonheur, celui de voir un troisième consul dans sa famille. Quoique Janus pacifique ait trois fois enregistré les noms de Pompée et d'Agrippa, qui reçurent cet honneur suprême, l'un du sénat, l'autre de son beau-père, Silius aime mieux compter ainsi ses consulats dans la personne de ses fils. LXVII. - CONTRE CECILIANUS Ton esclave ne t'a pas encore annoncé la cinquième heure, et déjà tu arrives pour dîner avec moi, Cécilianus. A peine la voix enrouée de la justice a-t-elle congédié les plaideurs ; dans l'arène des jeux Floraux bondissent encore les animaux. Vite, Calliste, cours, et appelle les esclaves avant qu'ils se soient baignés ; qu'on dresse les lits ; prends séance, Cécilianus. Tu demandes de l'eau chaude ; l'eau froide n'est pas seulement arrivée ; la cuisine est fermée ; pas un brin de bois au foyer pour la réchauffer. Que n'es-tu venu dès le matin ? pourquoi avoir attendu jusqu'à la cinquième heure ? Tu es venu trop tard, Cécilianus, pour déjeuner. LXVIII. - A ENTELLUS Celui qui a vu les vergers du roi de Corcyre leur préférerait, Entellus, ta maison de campagne. Pour que tes raisins ne soient point brûlés par les frimas jaloux, pour que le froid et ses glaces ne détruisent pas les dons de Bacchus, les grappes y sont abritées sous une pierre transparente, et le fruit est à couvert, sans être pour cela caché aux regards. Ainsi le corps d'une femme brille à travers le tissu de soie, ainsi les cailloux peuvent être comptés au fond d'une eau limpide. Que ne permet pas la nature au génie ? L'hiver, malgré sa stérilité, est contraint de donner les produits de l'automne. LXIX. - CONTRE VACERRA Tu n'as d'admiration, Vacerra, que pour les anciens, et d'éloges que pour les poètes morts. Je t'en demande bien pardon, Vacerra, mais l'avantage de te plaire n'est pas si grand, qu'on veuille l'acheter au prix de la mort. LXX. - SUR NERVA Autant le paisible Nerva fait peu de bruit, autant il en pourrait faire par son éloquence ; mais la timidité paralyse ses forces et son génie. Lui qui pourrait s'abreuver à longs traits de l'onde sacrée du Permesse, il a préféré n'y porter que les lèvres. Content de ceindre son front, cher aux Piérides, de la plus chétive couronne, il ferme ses voiles au vent de la renommée. Cependant il suffit d'avoir lu les vers du docte Néron, pour savoir que Nerva est le Tibulle de notre âge. LXXI. - CONTRE POSTUMIANUS Il y a dix ans, Postumianus, que tu m'envoyas, au mois de décembre, quatre livres d'argent. L'année suivante, malgré mon espoir d'être mieux traité (car les présents doivent en rester au même point ou augmenter) je reçus deux livres, plus ou moins. La troisième et la quatrième, ce fut pis encore ; à la cinquième j'étais réduit à la livre Septitienne. Mais voilà qui est mieux : pour la sixième année, il fallut me contenter d'une écuelle de huit onces ; la septième me valut une demi-livre juste d'argent dans une hémine. Pour la huitième il me vint une ligule de moins de deux onces ; pour la neuvième enfin j'ai reçu fine cuiller ayant tout au plus le poids d'une aiguille. Je ne vois pas ce que tu pourrais m'envoyer pour la dixième année, Postumianus ; reviens-en donc aux quatre livres. LXXII - A SON LIVRE La pourpre n'a pas encore décoré tes pages, la rude morsure de la pierre ponce ne t'a pas encore donné le poli, cher petit livre ; et déjà tu t'empresses de suivre Artanus, quand la belle Narbonne, patrie du docte Votienus, le rappelle à ses devoirs de juge et aux faisceaux annuels. Il est deux choses que tu dois désirer avec une égale ardeur : un séjour comme Narbonne et un ami comme Artanus. O mon livre, que je voudrais être à ta place ! LXXIII. - A INSTANTIUS Instantius, toi dont la sincérité est sans égale, dont la candeur naïve ne peut être surpassée, si tu veux donner de l'énergie et de l'âme à ma Muse ; si tu veux des chefs-d'œuvre, fais que je puisse être amoureux : Voluptueux Properce, Cynthie te rendit poète ; la belle Lycoris inspira Gallus ; c'est à la belle Némésis que le mélodieux Tibulle doit sa renommée ; et toi, docte Catulle, n'est-ce pas Lesbie qui t'a dicté tes vers ? Et moi aussi, Pelignis et Mantoue me reconnaîtront poète, le jour où j'aurai trouvé une Corinne ou un Alexis. LXXIV. - CONTRE UN MAUVAIS MÉDECIN Oculiste naguère, te voilà gladiateur : tu fais, étant gladiateur, ce que tu fis oculiste. LXXV. - SUR UN GAULOIS DE LANGRES Un Langrois nouvellement débarqué, en regagnant fort tard dans la nuit, par les rues Tecta et Flaminia, les pénates qu'il avait loués, se démit le talon en se heurtant le pied, et tomba tout de son long par terre. Que faire ? comment se relever ? c'était un colosse, et le petit esclave qui le suivait, le seul qu'il possédât, était tellement chétif, qu'il pouvait à peine porter le léger manteau de son maître. Le hasard vint le secourir et l'aider dans son malheur. Quatre porteurs funéraires vinrent à passer, chargés d'un de ces misérables cadavres comme le bûcher des pauvres en reçoit par milliers ; le faible compagnon du Gaulois les supplie d'un ton piteux de se débarrasser comme ils pourront de leur mort ; aussitôt l'échange se fait : ils placent avec effort l'énorme et lourde masse sur leur étroite civière. Celui-là, Lucanus, me paraît être le seul auquel on puisse appliquer avec raison le titre de Gaulois mort. LXXVI. - CONTRE GALLICUS Dis-moi, Marcus, dis-moi, de grâce, la vérité ; je n'aurai pas de plus grand plaisir que de l'entendre : telle est la prière dont tu m'étourdis, Gallicus, toutes les fois que tu lis tes ouvrages ou que tu plaides au barreau pour quelque client. Il est dur pour moi de te refuser ce que tu me demandes : mais veux-tu que je te dise la plus vraie de toutes les vérités ? c'est, Gallicus, que tu n'aimes pas à entendre la vérité. LXXVII. - A SON AMI LIBER Liber, objet de la tendre sollicitude de tes amis, toi qui mériterais de vivre dans d'éternelles délices ; si tu veux faire sagement, continue de parfumer la brillante chevelure avec l'amome d'Assyrie, de ceindre ton front de guirlandes de fleurs. Qu'un vieux Falerne noircisse le cristal transparent de ta coupe, et que ton lit s'échauffe aux douces caresses de l'amour. Quand on a ainsi vécu, fût-on arrêté au milieu de sa carrière, on a vécu plus longtemps que la nature ne nous a donné de vivre. LXXVIII. - SUR LES JEUX DE STELLA Les jeux que le vainqueur des géants eut voulu qu'on célébrât pour lui-même, ces jeux que l'Inde eût voulu offrir à Bacchus après sa conquête, Stella nous les a donnés à l'occasion des victoires remportées sur le Nord. O comble de la modestie ! ô noble dévouement ! Stella croit avoir fait trop peu. Ni l'or que l'Hermus roule dans ses flots troublés, ni celui que le Tage entraîne avec bruit à travers les campagnes de l'Hespérie, ne suffisent à sa générosité. Chaque jour amène de nouveaux dons ; ses libéralités n'ont point de terme ; point de trésors qui soient refusés à l'avidité du peuple. Tantôt une pluie subite de pièces de monnaie vient exciter sa joie ; tantôt de larges jetons lui donnent droit à des animaux qu'il a vus dans l'arène ; tantôt enfin des oiseaux, n'ayant pas figuré dans les jeux, viennent avec joie chercher un refuge dans le sein du maître que le hasard leur procure, ce qui les empêche d'être mis en pièces. Compterai-je les chars ? rappellerai-je les trente prix décernés aux vainqueurs, et que les deux consuls ne distribuent que rarement ? Mais, César, ce qui met le comble à la gloire de cette journée, c'est que tu sois toi-même témoin de ton triomphe. LXXIX. - CONTRE FABULLA Tu n'as pour amies que de vieilles femmes ou des laides plus horribles encore que les vieilles. Toujours en leur compagnie, tu les traînes avec toi aux festins, sous les portiques, au théâtre. C'est ainsi que tu parais belle, Fabulla ; c'est ainsi que tu parais jeune. LXXX. - A DOMITIEN Tu nous rends, César, les merveilles de tes augustes aïeux ; tu ne laisses pas périr la gloire des siècles passés. Les spectacles du vieux Latium reparaissent dans l'amphithéâtre, et le courage y combat avec des armes moins dangereuses. Sous tes auspices aussi, nos temples ont recouvré leur splendeur première, et, grâce aux hommages rendus à Jupiter, la sacrée cabane est aujourd'hui le séjour d'un dieu. C'est ainsi, grand prince, qu'en élevant de nouveaux temples, tu restaures les anciens, et que tu nous fais jouir à la fois du présent et du passé. LXXXI. SUR GELLIA Ce n'est point par les saints mystères de la déesse de Dindyme, ce n'est point par le bœuf cher à la génisse des bords du Nil, ce n'est point par aucun de nos dieux ou déesses que jure Gellia, mais par ses bijoux. Elle les caresse, elle les baise, elle les appelle ses frères, ses sœurs, elle les aime plus ardemment que ses deux enfants. Elle affirme que si, par quelque accident, elle avait le malheur de les perdre, elle ne leur survivrait pas d'une heure. Ah ! Papirianus, le beau coup à faire pour la main subtile d'Annéus Serenus ! LXXXII. - A DOMITIEN Que la foule te présente de plaintives requêtes ; nous qui n'offrons à notre maître que de petits vers, nous savons que sa divinité peut s'occuper à la fois des affaires et des Muses ; nous savons aussi, grand prince, que les couronnes du poète ne sont pas sans prix à tes yeux. César, sois notre appui ; nous sommes ta plus douce gloire, le premier objet de ta sollicitude, tes délices les plus chères. Le chêne et le laurier d'Apollon ne conviennent pas seuls à ton front ; de notre lierre nous devons te tresser une couronne civique. Notes LXXV. Mortue Galle. Martial joue ici sur ces deux mots. Gallus signifie un Gaulois et un prêtre de Cybèle. Or, on donnait aux prêtres de Cybèle l'épithète de mortui, à cause de l'opération qu'ils avaient subie avant de se consacrer aux mystères de la Bonne-Déesse. LXXIX. Omes aut vetulus, etc. Dans celle épigramme, le poète se moque d'une vieille coquette qui, pour paraître encore jeune et belle, avait soin de ne s'entourer que de femmes très vieilles et très laides.
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