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 MARTIAL

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petit livre sur les spectacles epigrammes attribuées à Martial


M. VAL. MARTIAL

ÉPIGRAMMES

LIVRE VI

relu et corrigé

 

LIVRE VI

I.- A JULES MARTIAL

Je t'adresse ce sixième livre, à toi, J. Martial, mon ami le plus cher  si ton oreille toujours sûre fait disparaître ses imperfections, il osera, moins inquiet, moins tremblant, se placer dans les mains puissantes de César. 

II.- A CÉSAR DOMITIEN

C'était un jeu de violer les lois sacrées de l'hymen, un jeu de mutiler des hommes innocents. César, tu défends cette double infamie, et tu rends service aux générations à venir, en leur assurant le bienfait d'une naissance sans fraude. Sous ton empire, désormais plus d'eunuques, plus d'adultères. Mais avant toi, ô mœurs ! l’eunuque lui-même était adultère. 

III.- SUR LE FILS DE DOMITIEN

Parais sur la terre, enfant promis au Troyen Iule, véritable rejeton des dieux ! Parais, illustre enfant. Qu'après de longues années ton père te remette les rênes d'un empire éternel, et que le monde voie Antiloque déjà vieux régner avec Nestor. Julie elle-même, de ses doigts blancs comme la neige, allongera la trame d'or de tes années, et filera pour toi la toison entière du bélier de Phryxus. 

IV.- COMPLIMENT A DOMITlEN

Censeur suprême, prince des princes, Rome, qui déjà te devait tant de triomphes, de temples nouveaux, d'anciens temples réparés, tant de spectacles, de dieux, de villes, te doit plus encore aujourd'hui, que tu lui as rendu la pudeur.  

V.- A CÉCILIANUS

J'ai acheté fort cher des biens de campagne ; Cécilianus, prête-moi, je te prie, cent mille sesterces. Tu ne me réponds rien? Je crois t'entendre dire tout bas : Tu ne me les rendrais pas : c’est pour cela que je te les demande, Cécilianus.

VI.- A LUPERCUS 

Trois acteurs sont en scène, mais ta Paulla en aime quatre, Lupercus ; Paulla aime jusqu'au personnage muet. 

VII.- SUR THELESINA 

Faustinus, depuis le rétablissement de la loi Julia et la rentrée de la pudeur au sein de nos familles, trente jours au plus, moins peut-être, se sont écoulés : et Thelesina en est déjà à son dixième époux. Se marier si souvent, ce n'est point se marier : c'est être adultère aux termes de la loi. Une franche courtisane me scandalise moins.

 VIII.- A SEVERUS

Deux préteurs, quatre tribuns, sept avocats, dix poètes demandaient certaine fille en mariage à certain vieillard : le barbon, sans hésiter, l'accorde au crieur Eulogus. Est-ce là, Severus, agir en étourdi ? 

 IX.- A LÉVINUS 

Tu dors, Lévinus, au théâtre de Pompée ; et tu te plains de ce qu'Oceanus te réveille ! 

X.- DEMANDE INDIRECTE D’ARGENT A DOMITIEN 

Lorsque, ces jours derniers, je demandais par hasard quelques  milliers de sesterces à Jupiter, celui-là, me dit-il, te les donnera, qui m'a donné des temples. Il peut avoir donné des temples à Jupiter, mais il ne m'a pas donné un seul millier de sesterces : quelle honte pour moi d'avoir demandé si peu à Jupiter ! Cependant avec quelle bienveillance, avec quel front sans nuage  et sans colère, de quel œil tranquille il avait lu ma supplique !  Tel il rendit aux Daces suppliants leurs lois et leur empire ; tel il monte au Capitole, tel il en descend. Dis-moi, je te prie, vierge confidente de notre maître qui tient le tonnerre, dis-moi, s'il refuse d'un air  si doux, avec quel charme doit-il donc ac­corder ? J'avais dit. Pallas dépose sa Gorgone, et me répond en deux mots : « Ce qu'on ne t'a pas donné encore, insensé, crois-tu qu'on te le refuse ? » 

XI.- CONTRE MARCUS

Tu t'étonnes, Marcus, de ce que, dans ce siècle, il n'y ait plus de Pylade ni d'Oreste : Pylade buvait le même vin que son ami. On ne servait point à Oreste de meilleur pain, de grives plus grasses ; mais tous deux avaient même repas et même table. Tu savoures les huîtres du Lucrin, et moi je mange des pelores aqueuses : pourtant, Marcus, j'ai le goût tout aussi patricien que toi. La ville de Cadmus, Tyr, te fournit de riches vêtements ; la Gaule me jette un habit grossier. Veux-tu, Marcus, que, couvert d'une saie, je t'aime tout resplendissant de pourpre ? Je serai Pylade si quelqu'un veut être Oreste. Cela ne se fait point avec des paroles : Marcus, pour être aimé, il faut aimer toi-même. 

XII.- SUR FABULLA

Fabulla jure que les cheveux qu'elle achète sont à elle : fait-elle un parjure, Paullus ? Non, en vérité. 

XIII.- SUR LA STATUE DE JULIE

Qui ne croirait, ô Julie ! que tu es l'œuvre du ciseau de Phidias ou une merveille échappée des mains mêmes de Minerve ? Le marbre blanc de Lygdos respire et répond dans cette image parlante ; une expression de vie brille avec grâce sur ce visage serein. Ta main douce et polie joue avec le ceste de la déesse acidalienne ; tu en as dépouillé le cou de l'enfant Cupidon. Pour ranimer la flamme amoureuse de Mars et du maître tout-puissant du tonnerre, que Junon, que Vénus elle-même t'empruntent ce ceste magique. 

XIV.- CONTRE LABERIUS 

Tu prétends, Laberius, que tu peux composer d'excellents vers : pourquoi donc ne le veux-tu pas ? Avoir le talent inné de la poésie, et ne pas faire de vers, c'est, selon moi, Laberius, être un homme modèle. 

XV.- SUR UNE FOURMI RENFERMÉE DANS UN MORCEAU D’AMBRE

Pendant qu'une fourmi s’égare à l'ombre de l'arbre de Phaéton, une goutte de succin enveloppe l'insecte imperceptible. Dédaigné pendant sa vie, tout à l’heure encore, il devint par sa mort un objet précieux.

XVI.- A PRIAPE 

Toi, dont le sceptre viril est la terreur des hommes, et dont la faux épouvante les pédérastes, protège les quelques arpents de cet enclos écarté. Ainsi, que de vieux larrons ne pénètrent jamais dans tes vergers ; qu'on n'y voie que l'adolescent ou la jeune et belle fille à la longue chevelure.

XVII.- CONTRE CINNAMUS 

Tu veux, Cinnamus, qu'on t'appelle Cinna. Ce nom n'est-il pas, dis-moi, un barbarisme ? Si précédemment on t'eût nommé Furius, par la même raison il faudrait t'appeler Fur (voleur). 

XVIII.- ÉPITAPHE DE SALONINUS, A PRISCUS

Les mânes sacrés de Saloninus reposent aux champs de l'Ibérie ; jamais ombre pus irréprochable n'a paru sur les bords du Styx. Mais, séchons nos larmes ; car celui qui t'a laissé sur la terre, Priscus, vit encore dans la partie de lui-même qu'il affectionnait le plus. 

XIX.- CONTRE L'AVOCAT POSTUMUS 

Il ne s'agit ni de violence, ni de meurtre, ni de poison ; tout mon procès a pour objet trois chèvres. Je me plains qu'elles ont disparu par le vol d'un voisin. Le juge en demande la preuve, et toi tu parles de la bataille de Cannes, de la guerre de Mithridate, des fureurs de la perfide Carthage ; tu cites les Sylla, les Marius, les Mucius, avec un grand luxe de paroles et de gestes pompeux. Parle donc Postumus, de mes trois chèvres.  

XX.- CONTRE  PHEBUS 

Je t'ai prié, Phébus, de me prêter cent sesterces, parce que tu m'avais dit : - N'auras-tu donc jamais recours à moi ? - Tu t'informes, tu hésites, tu balances pendant dix jours, tu me mets, tu te mets toi-même, au supplice : de grâce, Phébus, refuse-moi. 

XXI.- SUR STELLA ET IANTHIS

En formant l'union indissoluble de Ianthis et du poète Stella, Vénus dit gaiement à l'époux: « Je n'ai pu te donner mieux. »  Et cela en présence de l'épouse ; mais avec plus de malice elle glissa ces mots à l’oreille de Stella: « Prends garde, malheureux, de faire quelque folie. Souvent, dans un accès de jalouse fureur, j'ai frappé de mon ceste Mars infidèle, et promenant çà et là ses caprices avant notre hymen légitime. Mais depuis qu'il est à moi, je n'ai à me plaindre d'aucune rivale : Junon voudrait bien que Jupiter eût pareille continence. »  Elle dit, et frappe le cœur du mari de son talisman mystérieux. Stella chérit sa blessure ; mais, ô Vénus ; frappe également les deux époux.

 

XXII.- CONTRE PROCULINA

Proculina, tu épouses ton galant, et de l'adultère d’hier tu fais le mari d'aujourd'hui, pour n'être point frappée par la loi Julia ; mais ce n'est point te marier, Proculina: c'est convenir que tu as eu un amant. 

XXIII.- CONTRE LESBIE

Tu veux, Lesbie, que je sois toujours en érection devant toi ; crois-le bien, l'arc viril ne se tend pas comme le doigt. Tu as beau l'exciter par une main caressante et de douces paroles, ta figure agit contre toi avec un empire invincible.

XXIV.- SUR CHAIRISIANUS 

On n'est pas plus effronté que Charisianus ; pendant les Saturnales, il se promène en toge.

XXV.- A MARCELLINUS 

Marcellinus, digne rejeton d'un père vertueux, toi qui vis à présent sous le ciel glacé de l'Ourse du nord, reçois les vœux d'un vieil ami de ta famille, et conserve dans ton cœur le souvenir des souhaits qu'il forme pour toi : unis la prudence au courage, qu'une ardeur téméraire ne le précipite pas au milieu des glaives et des traits homicides. Que les fous aiment les horreurs de la guerre et les fureurs de Mars ; toi, tu peux être tout ensemble le défenseur et la gloire de ta patrie.

XXVI.- SUR SOTADES 

Notre cher Sotades est en danger de mort. Vous croyez Sotades accusé ? Il ne l'est pas. Désormais incapable de paraître lance en arrêt, il fonctionne avec la langue. 

XXVII.- A NEPOS

Nepos, toi qui es deux fois mon voisin (car tu habites les environs du temple de Flore, et de l'antique Ficelia), tu as une fille dont la figure rappelle tous les traits de son père, et atteste la chasteté maternelle. Toutefois n'épargne pas trop le Falerne chargé d'années ; laisse de préférence à ta fille des tonneaux remplis d'écus. Qu'elle soit vertueuse ; qu'elle soit riche, mais qu'elle boive du vin nouveau et que l'amphore du jour de sa naissance vieillisse avec elle. Le Cécube ne doit pas désaltérer seulement ceux qui n'ont pas d'enfants ; crois-moi, les pères de  famille peuvent aussi jouir de la vie.

XXVIII.- ÉPITAPHE DE GLAUCIAS 

L'affranchi si connu de Melior, celui dont le trépas excita les regrets de Rome entière, les délices trop éphémères d'un maître chéri, Glaucias, inhumé sous ce marbre, repose dans la tombe près de la voie Flaminia ; il avait des mœurs pures, une pudeur naïve, un esprit vif, une rare beauté. A peine cet enfant, avec deux fois six moissons, comptait-il une année. Passant qui  pleures son trépas, puisses-tu n'avoir jamais rien à pleurer !

XXIX.- SUR LE MÊME 

Glaucia n'était point de la plèbe des esclaves, ni l'un de ceux qui, nés au logis, sont voués à la chaîne par l'avarice ; c'était un enfant digne du tendre attachement de son maître: il ne pouvait pas encore apprécier les bienfaits de son patron, et déjà il était l'affranchi de Melior. Cette faveur, il la devait à ses mœurs, à sa beauté : qui fut jamais plus séduisant que lui ? Quelle figure plus belle? On eût dit celle d'Apollon. Les hommes d'un mérite supérieur ont une vie courte, et parviennent rarement à la vieillesse. Quel que soit l'objet de ton affection, souhaite de ne pas l'aimer à l'excès. 

XXX.- CONTRE PAETUS 

Si tu m'avais, à l'instant même, donné six sesterces, en me disant : Prends, emporte, je te les donne ; je t'en aurais, Paetus, obligation comme pour deux cents. Mais aujourd'hui, lorsque tu me les offres, après un si long retard, après sept ou neuf calendes, je pense, veux-tu que je te dise une chose plus vraie que la vérité même ? Tu as perdu, Paetus, tes six sesterces. 

XXXI.- CONTRE CHARlDEMUS 

Ta femme a pour amant ton médecin ; tu le sais, Charidemus, et tu le souffres : tu veux mourir sans fièvre.

XXXII.- SUR LA MORT D'OTHON 

La furie de la guerre civile était encore indécise, et peut­-être le faible Othon allait-il être vainqueur ; mais il voit avec horreur des combats qui vont faire couler des flots de sang, et, d'une main ferme, il perce sa poitrine nue. Que Caton, durant sa vie, ait été plus grand que César, soit; mais, à sa mort, fut-il plus grand qu'Othon ?  

XXXIII.- CONTRE SABELLUS

Tu n'as rien vu, Mathon, de plus misérable que le pédéraste Sabellus, lui naguère si joyeux. Vols, fuites et morts d'esclaves, incendies, deuils, tout afflige à la fois notre homme : l'infortuné! et, pour comble de maux, il n'a plus à caresser que des femmes.

 XXXIV.- A DIADUMENUS

 Donne-moi, Diadumenus, baisers sur baisers : Combien ? Dis-­tu. C'est exiger que je compte les flots de l'Océan, les coquilles éparses sur les rivages de la mer Égée, les abeilles qui voltigent sur le mont de Cécrops, les voix et les mains qui de tous côtés applaudissent au théâtre, lorsque le peuple voit inopinément paraître César. Je n'en veux pas même autant que Lesbie en accorda aux prières de l'harmonieux Catulle : c'est en désirer trop peu, que de pouvoir les compter. 

XXXV.- A CÉCILIANUS 

Après de bruyantes sollicitations de ta part, Cécilianus, le juge t'a permis, malgré lui, d'épuiser sept clepsydres. Mais tu parles beaucoup et longtemps ; puis, la tête à demi renversée, tu vides à longs traits plusieurs verres d'eau tiède. Pour tarir à la fois ta soif et ta loquacité, de grâce, Cécilianus, bois au moins l'eau de la clepsydre.

XXXVI.- A PAPILUS

Ton priape est si long, Papilus, et ton nez est si grand, qu'à chaque érection tu peux flairer l'un, avec l'autre. 

XXXVII.- CONTRE CHARINUS

Charinus n'a plus trace de son podex fendu jusqu'à l’ombilic ; et cependant un prurit le dévore jusqu'à l'ombilic. Quelle lubricité possède ce misérable ! il n'a plus d'anus, et il veut toujours qu'on l'attaque de ce côté. 

XXXVIII.- SUR LE FILS DE REGULUS

Vois comme le fils de Regulus, un enfant qui n'a pas encore trois ans accomplis, loue son père dès qu'il l'entend parler ! Comme, à son aspect, il quitte le sein maternel, et comme il sent que la gloire de son père est aussi la sienne ! Déjà les clameurs de la foule, les centumvirs, l'affluence du peuple qui assiège les tribunaux, et la basilique de Jules César font les délices de cet enfant. Ainsi le rejeton d'un coursier vigoureux aime les nuages de poussière ; ainsi le jeune taureau, de son front tendre encore, appelle déjà les combats. Dieux, conservez, je vous en conjure, cet objet des vœux d'une mère et d'un père ; que Regulus entende un jour son fils, et que la mère les entende tous deux. 

XXXIX.- CONTRE CINNA 

Sept fois Marulla t'a rendu père, mais tu n'as pas, Cinna, un seul enfant de race libre : car aucun d'eux n'est de toi, ni d'un ami, ni d'un voisin ; tous conçus ou sur des grabats, ou sur des nattes, trahissent par leur physionomie, les infidélités de leur mère. Celui qui, les cheveux crépus, s'avance tel un Maure d' Afrique, avoue ainsi qu'il est le rejeton du cuisinier Santra. Le second, au nez camard, aux lèvres épaisses, est tout le portrait du lutteur Pannicus. Le troisième est fils du boulanger Damas ; qui peut l'ignorer, s'il connaît, s'il a vu Damas le chassieux ? Le quatrième, avec son air de Ganymède, et son teint blanc, est le fruit adultérin de Lygdus, ton mignon ; jouis, si tu veux, de ce fils : il n'y a pas de crime à cela. Quant à celui dont la tête est pointue, et dont les longues oreilles sont mobiles, comme celles des ânes, il est, à n'en pas douter, le fils du bouffon Cyrrha. Les deux sœurs, l'une noire, l'autre rousse, sont du joueur de flûte Crotus, et du fermier Carpus. Enfin, tu aurais un troupeau tout entier de métis, si Coresus et Dindymus n'étaient pas des eunuques. 

XL.- A LYCORIS

Naguère, il n'était pas de femme que l'on pût te préférer, Lycoris ; aujourd'hui, pas une que l'on puisse comparer à Glycère. Elle sera ce que tu es : tu ne peux plus être ce qu'elle est. Effet naturel du temps ! je la veux aujourd'hui, je te voulais jadis.

XLI.- SUR UN POETE ENRHUMÉ

Celui qui débite ses vers, la gorge et le cou garnis de laine fait voir qu'il ne peut ni parler ni se taire.

XLII.- A OPPIANUS, SUR LES THERMES D'ETRUSCUS

 Si tu ne te baignes dans les thermes élégants d'Etruscus, tu mourras dans ta crasse, Oppianus. Jamais ondes ne te flatteront davantage : ni les sources d’Apone, interdites aux jeunes filles, ni la voluptueuse Sinuessa, ni les flots bouillants du Passer, ni ceux d'Anxur le superbe, ni les bains d'Apollon de Cumes, ni ceux de Baïes, cette reine des eaux thermales. Nulle part le ciel ne brille plus pur et plus serein ; nulle part les jours ne sont plus longs, et la lumière n'est plus lente à quitter l'horizon. Les marbres du Taygète y déploient leur verte couleur, on y admire l'éclat divers que répandent à l'envi les roches telles qu'on n'en arracha jamais des flancs des monts phrygiens, des antres profonds de la Libye ; l'épaisse onyx y aspire une chaleur sèche, et les ophites s'y pénètrent d'un feu tempéré. Si les usages des Lacédémoniens te plaisent, tu peux, satisfait d'une vaporisation légère, te plonger dans l'onde Vierge, ou dans celle d’Ancus Martius, si limpide, si transparente, que la présence de l'eau s'y fait soupçonner à peine, et que l'on croirait voir briller à nu le marbre de Lygdos. - Mais tu ne fais pas attention à ce que je te dis, et, l'oreille en l'air, tu m'écoutes depuis longtemps avec une sorte de négligence. Tu mourras dans ta crasse, Oppianus.

XLIII.- A CASTRICUS

 Castricus, tandis que l'heureuse Baïes te prodigue ses bienfaisantes faveurs, et que la nymphe permet que tu te baignes dans ses eaux blanches et sulfureuses ; je renais à la santé dans ma tranquille villa de Nomente, dont l'étendue bornée ne me cause point d'embarras. Je trouve là le soleil de Baïes, les douceurs du Lucrin ; là aussi, Castricus, les trésors de vous autres les riches. Naguère, je pouvais courir toutes les eaux en renom, sans redouter en rien les voyages de long cours ; aujourd'hui, je n'aime plus que les environs de Rome, les retraites à ma portée, et c'est assez pour moi, si je puis y être paresseux.  

XLIV.- CONTRE CALLIODORE 

Tu t'imagines plaisanter avec esprit, Calliodore, et verser seul à profusion le  sel attique. Tu ris au nez de tout le monde, tu lances des brocards à chacun ; et tu te crois ainsi un aimable convive. Je te dirai donc, sinon avec grâce, du moins avec vérité : Personne, Calliodore, ne t'invitera à boire dans sa coupe.

LXV.- CONTRE LE MARIAGE DE LYGDUS ET DE LECTORIA 

Vous avez mené joyeuse vie, c'est assez ; épousez maintenant, vagins lascifs ; on ne vous permet plus que de chastes plaisirs. Chastes, le sont-ils bien?  Lectoria s'unit à Lygdus ! Epouse, elle sera plus infâme encore qu'elle ne l'était concubine. 

XLVI.- A CATIANUS

Ce quadrige, de la faction des Vénètes, est fouetté sans cesse, et les chevaux n'en courent pas plus vite : c'est là, Catianus, un prodige !

XLVII.- A LA NYMPHE IANTHIS

Nymphe, dont l'onde pure coule et serpente dans la demeure diamantée de mon cher Stella, ton maître ; soit que l'épouse de Numa t'ait fait jaillir de la grotte de la triple Hécate, soit que tu viennes du groupe même des neuf Muses, Marcus qui, dans une maladie, a bu furtivement de ton eau, acquitte envers toi le vœu qu'il à fait de t'immoler une truie qui n'a pas encore été mère. Satisfaite de l'expiation de mon crime, accorde-moi la libre jouissance de ta source ; et qu'à l'avenir, ma soif soit toujours celle d'un homme en bonne santé.  

XLVIII.- CONTRE POMPONIUS

Bien qu'une foule de parasites à longue toge te prodigue les applaudissements les plus vifs, ce n'est pas toi, Pomponius, c'est ton souper qui est éloquent.  

XLIX.- PRIAPE SUR LUI-MEME

Je ne suis point taillé dans un orme fragile ; et cette colonne à la veine saillante qui s'élève droite et ferme, n'est pas faite d'un bois pris au hasard : elle est formée d'un cyprès vivace, qui ne craint ni les révolutions de cent siècles, ni la carie d'une longue vétusté. Qui que tu sois ; fripon, redoute-la ; car si, d'une main rapace, tu déchires le moindre rameau de cette vigne, ce cyprès greffera, malgré toi, sur ton corps un figuier (ou un fic).  

L.- SUR THELESINUS  

Lorsque Thelesinus, encore pauvre, ne fréquentait que des amis purs, il allait çà et là avec une petite toge glaciale et malpropre. Depuis qu'il a fait sa cour à d'infâmes pédérastes, il n'y a que pour lui à acheter argenterie, meubles et métairies. Veux-tu devenir riche, Bithynicus ? Sois complice de pareilles débauches. De chastes baisers ne te rapporteront rien, ou presque rien.  

LI.- A LUPERCUS  

Trop souvent, Lupercus, tu t'avises de dîner sans moi ; j'ai trouvé le moyen de t'en punir. Je me fâcherai malgré toutes tes invitations, malgré l'envoi de tes gens, malgré tes prières. Qu'en résultera-t-il ? me dis-tu. Ce qu'il en résultera? Je viendrai.  

LII.- ÉPITAPHE DU BARBIER PANTAGATHUS

Ci-gît, enlevé à la fleur de sa jeunesse, Pantagathus, les délices et les regrets de son maître, Pantagathus, habile à tailler, avec un fer qui vous effleurait à peine les boucles ondoyantes de la chevelure, et à enlever les poils qui hérissent les joues. O terre ! si douce et si légère que tu sois pour lui, comme tu le dois, tu ne le seras jamais plus que sa main d'artiste.

LIII.- SUR ANDRAGORAS  

Andragoras s'est baigné, a soupé joyeusement avec nous ; et pourtant, il a été trouvé mort le lendemain matin. Tu demandes, Faustinus, la cause d'un trépas si subit ? il avait vu en songe le médecin Hermocrate.  

LIV.- SUR SEXTILIANUS  

Aulus, si tu veux empêcher Sextilianus de parler des si grands et des si grandes, à peine le malheureux pourra-t-il joindre trois mots ensemble. Mais qu'entend-il par là ? dis-tu. Je vais te dire ce que je soupçonne à cet égard ; SextiIianus, aime les si grands et les si grandes.  

LV.- CONTRE CORACINUS  

Parce que tu sens toujours la cannelle et le cinname, que tu te noircis avec les parfums du nid de l'oiseau sans pareil, et que tu exhales l'odeur que renferment les vases de plomb de Nicerolus, tu te ris de nous qui ne sentons rien, Coracinus. J’aime mieux ne rien sentir, que de sentir bon.  

LVI.- CONTRE CHARIDEMUS  

Parce que tu as les jambes hérissées de poils et la poitrine velue, tu prétends, Charidemus, donner le change à la renommée. Arrache, crois-moi, cette toison de tout ton corps, et prouve aussi que tu épiles, chez toi la partie postérieure. Pourquoi donc ? me dis-tu. Tu sais que bien des gens tiennent bien des propos. Fais en sorte, Charidemus, qu'ils te croient le patient.

LVII.- CONTRE PHÉBUS  

Phébus, à l’aide d'une pommade mensongère, tu te fais une chevelure postiche et ton crâne malpropre se couvre de cheveux en peinture. Il n'est pas besoin pour ta tête de recourir au barbier ; une éponge te rasera mieux que personne.  

LVIII.- A AULUS PUDENS  

Tandis que tu te plais, Aulus, à contempler de près le chariot de Parrhasis et les astres paresseux du ciel de la Scythie, qu'il s'en est peu fallu que, ravi à ton amitié, je n'eusse traversé les ondes du Styx, et vu les sombres nuages des champs de l'Élysée. Presque éteints, mes yeux cherchaient tes yeux, et ma bouche glacée répétait sans cesse le nom de Pudens. Si les trois fileuses ne tissent point en noir la trame de ma vie, et si les dieux ne sont point sourds à ma voix, lorsque je suis sauvé, tu reviendras sain et sauf aux villes du Latium, et, chevalier illustre, tu obtiendras, pour récompense de tes services, le grade de premier  centurion.

LIX.- CONTRE BACCARA

Baccara se fâche et se plaint de ce que le froid ne vient pas tout exprès pour qu'il mette en évidence ses six cents manteaux bien fourrés ; il ne désire que temps couvert, que vents, que neige; il déteste les jours même d'hiver, s'ils sont quelque peu tempérés. Que t'ont donc fait, cruel, nos lacernes légères, que le moindre vent peut soulever de nos épaules ? Combien il serait plus simple, plus humain de porter, dès le mois d'août tes lourds manteaux !  

LX.- SUR POMPILLUS, A FAUSTINUS

C'est une affaire faite pour Pompillus : il sera lu, Faustinus, et répandra son nom dans tout l'univers. Vive de même la race inconstante des Usipiens au poil roux, et tous ceux qui n'aiment pas l'empire de l'Ausonie ! On dit cependant que les écrits de Pompillus sont ingénieux ; mais, crois-moi, ce n'est pas assez pour mériter la gloire. Que de savants servent de pâture aux  mites et aux vers ! et les cuisiniers seuls achètent les poèmes sublimes. Il faut je ne sais quoi de plus, pour assurer aux ouvrages l'immortalité : un livre, pour durer, doit porter l'empreinte du génie. 

LXI.- CONTRE UN ENVIEUX

Rome ! ma chère Rome ! loue, aime et chante mes vers ; ils sont dans le pli que forme chaque toge sur la poitrine ; ils sont dans toutes les mains. Mais ne vois-je pas un quidam rougir, pâlir, s'étonner, bâiller et me prendre en haine ? Voilà ce que je veux : à présent mes vers me plaisent.  

LXII.- A OPPIANUS 

Père infortuné, Silanus a perdu son fils unique ; et tu cesses, Oppianus, de lui envoyer des présents. Malheur, hélas ! trop cruel ! Parques impitoyables ! de quel vautour le cadavre de Silanus sera-t-il la proie ? 

LXIII.- A MARIANUS

Tu sais qu'on te circonvient, Marianus, et que celui qui te flatte est un avare ; tu sais aussi quel est son but ; et cependant, insensé, le voici, par ton testament, institué ton légataire universel ; dans ton délire, tu veux même qu'il prenne en tout ta place. Il t'a fait, il est vrai, de riches présents, mais au bout d'un hameçon. Le poisson peut-il donc aimer le pêcheur ? Ton avare s'affligera-t-il sincèrement de ton trépas ? Si tu veux qu'il te pleure, Marianus, ne lui donne rien. 

LXIV.- CONTRE UN DETRACTEUR 

Tu n'es pas un rejeton de l'austère famille des Fabius ; tu ne ressembles en rien au fils de ce Curius dont la mère, aux vives couleurs, accoucha sous un chêne touffu, en portant à dîner à son mari qui labourait ; fils d'un de ces efféminés qui s'épilent devant un miroir, et d'une mère dont la toge accuse publiquement l'infamie, toi que ta femme pourrait appeler sa femme, tu te permets de critiquer mes ouvrages, déjà connus de la renommée ; tu censures des bagatelles qui ont le bonheur de plaire ; ces bagatelles, dis-je, auxquelles les personnages les plus marquants de Rome et du barreau ne refusent pas de prêter une oreille toute bienveillante ; que l'immortel Silius consent à placer sur les rayons de sa bibliothèque ; que la bouche éloquente de Regulus aime à citer souvent ; que loue aussi l'orateur Sura, qui voit de si près les combats du grand Cirque, et qui est voisin de la Diane Aventine ; que César lui-même, César, notre maître, au milieu des affaires dont il porte le poids énorme, ne dédaigne pas de relire deux et trois fois. Mais toi, sans doute, tu as plus  de génie ; ton jugement, poli par Minerve, a plus de pénétration, et l'élégante Athènes a mieux formé ton goût. Que je meure, s'il n'y a pas plus de finesse et d'instinct dans la pécore dont un boucher sanglant traîne de rue en rue les intestins pendants, les pieds allongés et le vieux poumon putréfié, l'effroi de tous les nez ! Ton audace va encore jusqu'à écrire contre moi de petits vers que personne ne lit, et tu perds à ce travail un papier qui souffre de tes sottises. Mais que ma bile brûlante t'imprime une note d'infamie, elle restera à jamais sur ton front, et sera lue du monde entier, stigmate ineffaçable que ne saurait détruire Cinnamus avec tous les secrets de son art. Prends donc pitié de toi-même, et ne va pas, dans un accès de rage, exposer ta gueule furieuse aux narines fumantes d'un ours plein de vie. Tout paisible qu'il est, bien qu'il lèche les doigts et les mains, si la douleur, la bile, une juste colère l'emportent, il ne sera plus qu'un ours : émousse tes dents sur quelque peau vide, et cherche une chair que tu puisses ronger en secret. 

LXV.- A TUCCA 

Tucca, je le sais, me reproche de faire des épigrammes en hexamètres. Tucca, c'est assez l'habitude; et, à tout prendre, Tucca, cela est permis. Mais pourtant c'est bien long. L'usage, Tucca, autorise encore ces longueurs. Si tu préfères un rythme plus court, ne lis que les distiques. Convenons d'une chose entre nous ; tu pourras sauter les longues épigrammes, mais moi je serai libre de les écrire.

 LXVI.- SUR UN CRIEUR QUI VENDAIT UNE JEUNE ESCLAVE

Une jeune esclave d'une réputation plus qu'équivoque, semblable à ces femmes que l'on voit assises au milieu du quartier de Suburre, était dernièrement mise en vente par le crieur Gellianus. L'enchère fut longtemps médiocre ; le vendeur alors, pour convaincre le public de la pureté de la belle, l'attire par la main, et, malgré sa résistance, l'embrasse deux, trois et quatre fois. Que lui rapportèrent ces baisers ? Celui qui venait d'offrir six cents sesterces, refusa de les donner. 

LXVII.- PANNICUS, SUR GELLIA, SON ÉPOUSE

Tu demandes, Pannicus, pourquoi ta chère Gellia n'a jamais que des eunuques ? Gellia veut du plaisir, et ne veut pas d'enfant.

 LXVIII.- SUR LA MORT DU JEUNE EUTYCHUS 

Pleurez votre forfait, ô Naïades, avec autant de larmes qu'il y a d'eau dans le lac Lucrin ; que Thétis elle-même ressente votre douleur. Le jeune Eutychus est mort englouti dans les ondes de Baïes, Eutychus, ton ami le plus cher, sans cesse à tes côtés, Castricus, le confident de tes peines, qu'il soulageait si doucement, l'amour, l'Alexis qu'a chanté notre poète. Sans doute une nymphe amoureuse le vit nu au sein de ses ondes transparentes, et l'échangea contre Hylas qu'elle rendit à Alcide. Ou peut être Salmacis, séduite par un baiser du bel adolescent, a-t-elle quitté pour lui son hermaphrodite efféminé. Quoi qu'il en soit, et sans plus chercher la cause de cet enlèvement subit, terre, eau, soyez, de grâce, soyez légères à Eutychus.

LXIX.- SUR BASSA

Je ne suis pas surpris, Catulle, de ce que ta chère Bassa boive de l'eau ; ce qui m'étonne, c'est que la fille de Bassus en boive.

LXX.- A MARTIANUS 

Cotta a vu soixante moissons, et, je crois, deux autres encore, Martianus, et il ne se rappelle pas avoir, un seul jour, éprouvé dans un lit les ennuis d'une fièvre brûlante. Il nargue d'un doigt moqueur, d'un signe obscène, Alconte, Dasius et Symmaque. Mais qu'on fasse le calcul exact de nos années ; qu'on retranche de nos jours les meilleurs le temps consumé par les fièvres cruelles, les tristes langueurs et les douleurs insupportables ; d'un saut nous arrivons de l'enfance à la vieillesse. Celui qui regarde comme un long âge celui de Priam et de Nestor, tombe, Martianus, dans une erreur bien grave. Ce n'est pas l’existence, c'est la santé qui est réellement la vie. 

LXXI.- SUR TELETHUSA 

Telethusa, cette belle si habile à prendre des poses lascives au son des castagnettes de la Bétique, et à reproduire les pas des danseuses de Cadix ; Telethusa, capable de redonner du nerf au tremblant Pélias, et de réveiller les sens du mari d'Hécube, jusque sur le bûcher d'Hector ; Telethusa consume et met au supplice son premier maître : servante, il l'a vendue ; maîtresse, il la rachète aujourd'hui. 

LXXII.- SUR LE VOLEUR 

Voleur d'une rapacité trop connue, Cilix voulait piller un jardin ; mais dans ce vaste enclos, Fabullus, il n'y avait qu'un Priape de marbre. Jaloux de ne pas revenir les mains vides, Cilix enleva le Priape lui-même. 

LXXIII.- SUR LE PRIAPE D'HILARUS

Ce n'est point un paysan grossier qui m'a taillé avec sa serpe ignorante ; tu vois en moi l'œuvre remarquable de l'intendant d'Hilarus, le plus riche cultivateur des champs de Cérétum, de ces collines et de ces riants coteaux. Regarde : mes traits bien formés n'annoncent point que je sois de bois, et ma lance amoureuse n'est pas destinée à servir d'aliment au foyer ; c'est d'un cyprès impérissable qu'une main digne de Phidias a dressé mon sceptre immortel. Voisins, croyez-moi, célébrez le dieu Priape, et respectez ces quatorze arpents. 

LXXIV.- A ESCULANUS 

Ce convive, couché au bas du lit du milieu, dont la tête chauve est riche de trois cheveux encore, peut-être tracés à l'aide d'une pommade, et qui fourgonne sa large bouche avec des pointes de lentisque ; cet homme en impose, Esculanus : il n'a pas de dents.

LXXV.- CONTRE PONTIA 

Lorsque tu m'envoies une grive, une part de gâteau, une cuisse de lièvre, ou quelque présent de ce genre, tu dis, Pontia, que tu te retires pour moi les morceaux de la bouche. Alors, Pontia, je n'offrirai ces morceaux à personne, et je me garderai  bien de les manger.  

LXXVI.- ÉPITAPHE DE FUSCUS 

Gardien de la personne sacrée de César, du Mars romain qui lui confia les armées du chef suprême de l'empire, ci-gît Fuscus : ô fortune, il faut l'avouer, ce marbre ne craint plus les menaces de l'ennemi. Le Dace a courbé son front sous un joug illustre, et l'ombre victorieuse de Fuscus repose dans un bois soumis à l'esclavage. 

LXXVII.- CONTRE AFER 

Tu es plus pauvre que le mendiant Irus ; plus jeune que Parthénopée ; plus vigoureux qu'Artémidore à l'époque de ses victoires ; pourquoi donc te faire porter par six Cappadociens ? On se moque de toi, Afer, et l'on te tourne en ridicule avec bien plus de raison que si tu te promenais nu en plein Forum. C'est ainsi qu'on montre au doigt Atlas, le nain, s'avançant sur un mulet de sa taille, et le noir éléphant monté par un Libyen de sa couleur. Tu me demandes pourquoi l'on déteste ainsi ta litière ? C'est qu'après ta mort, tu ne dois pas être porté dans un hexaphore. 

LXXVIII.- AULUS, SUR PHRYX LE BORGNE

Phryx, buveur fameux, était borgne d'un œil et malade de l'autre, Aulus. Béras, son médecin, lui dit : Garde-toi de boire, ou le vin te fera perdre complètement la vue. Adieu mon dernier œil, s'écria Phryx en riant ; et aussitôt il se fait verser force rasades. Tu veux connaître le résultat ? Phryx but le vin, et son œil but le poison. 

LXXIX.- A LUPUS

Tu es triste, au sein du bonheur ; prends garde que la Fortune ne le sache, Lupus ; elle t'appellerait ingrat, si elle venait à l'apprendre.

 LXXX.- A CÉSAR, SUR DES ROSES D'HIVER

L'habitant des rives du Nil, fier de ses riches produits, t'avait envoyé, ô César, des roses d'hiver, comme un présent digne de toi par sa nouveauté ; mais le nautonier de Memphis fut obligé de rire des jardins de l'Égypte, dès qu'il eut mis le pied dans la capitale de ton empire, tant le printemps y étalait de charmes, tant Flore y répandait les parfums les plus doux, tant les bosquets y rivalisaient avec ceux de Paestum ! Aussi partout où il portait ses pas et ses regards, toutes les rues brillaient de l'incarnat des roses tressées en guirlandes. O Nil, puisque tes hivers doivent céder la palme aux hivers de Rome, envoie-nous tes moissons en échange de nos roses.

LXXXI.- CONTRE CHARIDEMUS 

A la manière dont tu te baignes, on dirait, Charidemus, que tu en veux au peuple romain, tant tu plonges ton priape au fond de la baignoire. Garde-toi bien ; Charidemus, d'y plonger ainsi ta tête ; mais quoi ! La tête aussi dans le bain ! Ah! mets-y plutôt ton priape.

LXXXII.- A RUFUS 

Un quidam, ces jours passés, après m'avoir considéré fort attentivement, comme l'aurait fait un marchand d'esclaves ou un maître de gladiateurs, après m'avoir désigné d'un œil et d'un doigt inquisiteurs, me dit : Serais-tu ce Martial dont les plaisanteries et les joyeux propos sont connus de tout homme qui n'a pas l'oreille batave? Je laissai échapper un sourire, et, par un léger signe, je lui fis voir que j'étais celui qu'il avait désigné. Pourquoi donc, ajouta-t-il, as-tu de si piètres lacernes ? - C'est, répondis-je, que je suis un mauvais poète. Afin d'éviter à l'avenir pareille mésaventure à un poète, envoie-moi, Rufus, de bonnes lacernes. 

LXXXIII.- A CÉSAR DOMITIEN 

Autant la fortune du père d'Etruscus est redevable aux prières d'un fils, autant l'un et l'autre te doivent de reconnaissance, ô le plus grand des princes : en effet, tu as retenu la foudre échappée de ta main ; je voudrais que les feux redoutables de Jupiter pussent connaître ainsi la clémence. Si le souverain maître du tonnerre avait ton cœur généreux, ô César, sa main ne lancerait que rarement sa foudre tout entière. Etruscus aime à publier le double bienfait qu'il a reçu de toi, celui d'accompagner son père en exil, celui d'en revenir avec lui. 

LXXXIV.- SUR PHILIPPE 

Philippe, en parfaite santé, se fait porter en octaphore ; si tu crois cet homme-là bien sain, Avitus tu es en délire.

LXXXV.- SUR LA MORT DE RUFUS CAMONIUS 

Cher Rufus Camonius, j'ai publié sans toi ce sixième livre, qui n'espère plus t'avoir pour lecteur, ô mon ami. La terre impie de Cappadoce, que tu as vue sous l'influence d'un mauvais génie, vient de rendre à ton père tes cendres et tes ossements. Pleure, Bologne abandonnée ! Pleure ce Rufus que tu aimais, et que des gémissements retentissent sur la voie Émilia tout entière. Quel excellent jeune homme ! hélas ! que ses jours se sont vite écoulés ! A peine il avait vu cinq fois disputer les prix des jeux sur les bords de l'Alphée. O toi, qui confiais à ta mémoire fidèle les jeux de ma muse, et qui d'ordinaire retenais si bien mes épigrammes, Rufus, reçois, avec mes larmes, ce petit nombre de vers que t'adresse la douleur d'un ami, reçois-les comme un encens qu'il a brûlé pour un ami absent. 

LXXXVI.- CONTRE LES BUVEURS D'EAU CHAUDE 

Vin de Setia, neiges si délicieuses, nombreuses rasades, quand pourrai-je, avec la permission du médecin, vous boire à mon gré ? Il est fou, ingrat, indigne de vos précieuses faveurs, celui qui préfère à vos bienfaits l'héritage de l'opulent Midas. Qu'il possède les moissons de la Libye, le sable doré de l'Hermus et du Tage, et qu'il boive de l'eau chaude, celui qui est jaloux que je boive du vin.

LXXXVII.- A CESAR 

Attends des dieux et de toi, César, tout le bonheur que tu mérites ; que les dieux m'accordent et accorde-moi, toi aussi, ce que je désire, si je l'ai mérité.

LXXXVIII.- A CÉCILIANUS 

Un matin, par hasard, je t'ai salué simplement par ton nom, Cécilianus, et sans te dire : Mon maître. Tu me demandes combien me coûte une liberté si grande. Elle m'enlève cent quadrants. 

LXXXIX.- SUR PANARETUS LE BUVEUR 

Panaretus, étant ivre, demandait au milieu de la nuit, par le bruit significatif du pouce et du médium, le vase nécessaire à certain usage ; on lui présente la bouteille de Spolète, qu'il avait lui-même mise à sec, bouteille énorme, mais insuffisante pour ce seul buveur. Panaretus, l'équité même, rend à la bouteille le vin qu'il en avait pris et la remplit jusqu'à l’orifice. Tu es surpris, Rufus, de ce que la bouteille ait pu contenir tout ce qu'il avait bu? Cesse d'être étonné : il avait bu pur. 

XC.- SUR GELLIA 

Gellia n'a qu'un amant, un seul. Son déshonneur n'en est que plus grand, elle est la femme de deux maris. 

XCI.- CONTRE ZOILE 

L'édit sacré du maître de l'empire condamne et défend l'adultère : réjouis-toi, Zoïle, ton priape va se reposer. 

XCII.- CONTRE AMMIANUS

Ammianus, l'art de Myron a ciselé un serpent sur ta coupe, et tu y bois les vins du Vatican : c'est du poison que tu bois. 

XCIII.- SUR THAIS 

Thaïs sent plus mauvais que le vieux pot d'un foulon avare qu'on a brisé dans la rue ; qu'un bouc après les amoureux ébats ; que la gueule du lion ; qu'une peau de chien écorché au-delà du Tibre ; qu'un poulet qui pourrit dans un œuf avorté ; qu’une amphore de saumure corrompue. Afin de déguiser cette puanteur sous une odeur tout autre, chaque fois que, pour prendre un bain, Thaïs se déshabille, elle s'enduit la peau de psilothrum verdâtre, ou se cache sous un liniment de craie dissoute dans un acide, ou se fait donner trois ou quatre couches de pommade de fèves grasses. Lorsque, après les mille artifices de la toilette, elle se croit bien en garde contre sa mauvaise odeur, lorsqu'elle a tout épuisé, Thaïs sent toujours Thaïs.

XCIV.- SUR CALPETIANUS

On sert toujours Calpetianus dans de la vaisselle d'or, qu'il soupe en ville ou chez lui. Même cérémonie à l'auberge et à sa maison de campagne. Il n'a donc pas d'autre vaisselle ? Non ou plutôt il n'en a pas à lui.