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 MARTIAL

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petit livre sur les spectacles epigrammes attribuées à Martial


M. VAL. MARTIAL

ÉPIGRAMMES

LIVRE V

 

relu et corrigé

 

 

LIVRE V

 

I. - A CÉSAR DOMITIEN

César, soit-que tu résides sur les collines d'Albe, que chérit Pallas, et que de là tu étendes tes regards, d'un côté, sur le temple de la triple Hécate, de l'autre sur les plaines de Thétis; soit que tu habites la ville où deux sœurs rendent tes oracles véridiques, à l'endroit où les flots de la mer viennent en s'abaissant baigner les faubourgs ; soit que tu préfères la demeure de la nourrice d'Énée, ou le palais de la fille du Soleil, ou le séjour d'Anxur, aux rochers blancs, aux ondes salutaires ; je t'offre mon ouvrage, à, toi l'heureux protecteur de l'empire qui te doit sa durée, à toi dont la prospérité semble un gage de la reconnaissance de Jupiter. Daigne seulement l'accepter : je penserai que tu l'auras lu, et, crédule comme un Gaulois, je serai tout fier d'un tel honneur.

II. - A SES LECTEURS

Matrones, jeunes filles et jeunes garçons, c'est à vous que je dédie ce livre. Mais toi, lecteur, qui préfères beaucoup les hardiesses licencieuses et les plaisanteries peu voilées, lis mes quatre premiers livres au langage lascif. Le cinquième est un joyeux badinage avec mon maître, et le Germanique peut, sans rougir, le lire en présence de la chaste déesse qui protège les fils de Cécrops.

III. - A DOMITIEN

O Germanique, ce Dégis, arrivé sur nos rives, des bords asservis de l'Ister, ce Dégis, heureux et surpris d'avoir vu récemment le maître du monde, adressa, dit-on, ces paroles à ses compagnons : "Que mon sort est préférable à celui de mon frère ! car je puis contempler de si près le dieu qu'il honore de si loin."

IV. - A PAULUS, AU SUJET DE MYRTALE

Myrtale a d'ordinaire l'haleine fortement vineuse ; mais pour nous tromper, elle mange des feuilles de laurier, et en met avec soin dans son vin au lieu d'y mettre de l'eau. Chaque fois, Paulus, que tu la rencontreras rubiconde et les veines gonflées, tu pourras dire : Myrtale a bu du laurier.

V. - A SEXTUS

Éloquent dépositaire des trésors littéraires de la bibliothèque du palais impérial, Sextus, toi qui jouis de plus près du génie du dieu qui l'habite ; car tu connais, à leur naissance, les plus secrètes pensées de notre maître, et il t'est permis de sonder le fond de son cœur ; donne place quelque part à mes ouvrages, près de Pedo, de Marsus et de Catulle. Mais à côté des vers immortels qui célèbrent la défense du Capitole, n'admets que l'épopée sublime du grand Virgile.

VI. - AUX MUSES, OU A PARTHENIUS, A QUI IL RECOMMANDE SON LIVRE

S'il n'y a pour vous ni trop de peine ni trop d'ennui, ô Muses, adressez ces vœux à Parthenius, votre favori : "Que ta vieillesse, sous l'empire florissant de César, se prolonge et s'achève pleine de jours au sein du bonheur ! Que l'envie elle-même applaudisse à ta prospérité ! Que Burrus sente bientôt en lui toutes les vertus de son père ! Reçois dans le sanctuaire du palais impérial ce petit livre, bien timide. Tu connais les instants où notre Jupiter brille de toute sa sérénité, où le calme règne sur son front, où il a cet air de bonté qui ne sait rien refuser à ceux qui le supplient. Tu n'as pas à craindre de ma part une demande injuste : il n'est ni ambitieux ni importun, ce recueil, orné de cèdre et de pourpre, et dont les pages noircies jusqu'au-bas se sont augmentées peu à peu. Ne le présente pas positivement ; tiens-le, comme si tu n'offrais rien, comme par distraction. Si je connais bien le maître des neuf sœurs, il te demandera de lui-même ce petit livre que décore la pourpre.

VII. - A VULCAIN

Tel, après dix siècles de vie, l'oiseau, qui n'a point son pareil, renouvelle par le feu le nid qu'il s'est construit dans l'Assyrie ; telle Rome rajeunie a dépouillé son antique vieillesse, et a pris elle-même les traits de son maître. Vulcain, je t'en conjure, oublie ta querelle avec nous ; grâce ! grâce ! Si nous sommes le peuple de Mars, nous sommes aussi celui de Vénus. Grâce, dieu puissant ! et que ta voluptueuse épouse te pardonne aussi les filets de Lembos, et consente à t'aimer toujours !

VIII. - SUR PHASIS

L'édit du souverain, du dieu de l'empire, l'édit qui fixe d'une manière plus précise les places au théâtre, et qui rend aux chevaliers leur enceinte que ne doit plus souiller le vulgaire, venait, d'exciter les louanges de Phasis, de Phasis à la toge étincelante de pourpre : enfin, répétait-il avec toute la fatuité de l'orgueil, on peut donc s'asseoir plus commodément ! L'ordre équestre a reconquis sa dignité ; la foule ne presse plus, ne profane plus nos rangs. A l'instant où, en se rengorgeant, il tient ces discours et autres semblables, Lectius ordonne à l'arrogante robe de pourpre de sortir au plus tôt.

IX. - CONTRE SYMMACHUS

J'étais indisposé : tu vins chez moi, Symmachus, accompagné d'une centaine de tes élèves. Cent mains glacées par l'Aquilon me touchèrent : je n'avais pas la fièvre, Symmachus, je l'ai maintenant.

X. - A REGULUS, SUR LA RÉPUTATION DES POÈTES

Pourquoi donc refuse-t-on aux vivants la renommée ? et d'où vient que si peu de lecteurs aiment un auteur contemporain ? Tel est, à n'en pas douter, Regulus, le caractère de l'envie ; elle préfère toujours les anciens aux modernes. Ainsi, nous allons encore chercher l'ombre sous les portiques désagréables de Pompée, et les vieillards vantent l'ignoble temple de Catulus. Rome, tu lisais Ennius du vivant de Virgile ; et le siècle d'Homère n'eût pour lui que des railleries. Ménandre, l'honneur du théâtre, n'y reçut que de rares applaudissements. Ovide n'était lu que de sa Corinne. Vous, cependant, mes vers, ne vous hâtez, pas trop ; si la gloire n'arrive qu'après la mort, je ne suis pas pressé.

XI. - SUR STELLA

Stella que j'aime, Severus, porte à ses doigts des sardoines, des émeraudes, des diamants, des jaspes. A ses doigts, et plus encore dans ses vers, tu ne trouveras que pierres précieuses : voilà, je pense, une main bien élégante.

XII. - SUR LE MÊME

Que le superbe Masthlion porte sur son front immobile des poids vacillants ; que le géant Linus élève sur ses bras jusqu'à sept ou huit enfants ; rien, dans tout cela, qui me paraisse difficile, quand je vois mon cher Stella porter d'un seul doigt, n'importe lequel, dix jeunes filles ensemble.

XIII. - CONTRE CALLISTRATE

Je l'avoue, Callistrate, je suis et j'ai toujours été pauvre, mais non pas obscur ; ni chevalier mal famé ; le monde entier lit et relit mes œuvres, et chacun dit : Le voilà ! La gloire que le tombeau procure à bien peu de gens, je l'ai obtenue pendant ma vie. Pour toi, ton palais repose sur cent colonnes, ton coffre-fort recèle les trésors scandaleux des plus riches affranchis ; les vastes champs de Syène, que fertilise le Nil, sont soumis à tes lois ; et Parme la gauloise fait tomber la toison de tes innombrables troupeaux. Voilà ce que nous sommes, toi et moi : mais ce que je suis; tu ne peux jamais l'être ; et ce que tu es, le dernier homme du peuple peut le devenir.

XIV. - SUR NANNÉIUS

Nannéius, qui avait, l'habitude de s'asseoir toujours au premier rang, quand chacun pouvait l'occuper, sommé deux ou trois fois de lever le camp, vint, lui troisième, se placer, entre les bancs, après Caïus et Lucius. C'est de là que, la tête enveloppée dans son capuchon, et d'un œil seulement, il regarde effrontément le spectacle. Encore chassé de là, le malheureux se réfugie dans un couloir ; et, s'asseyant à demi sur l'extrémité d'un banc, dans la posture incommode que prend un de ses genoux, il semble dire aux chevaliers : Je suis assis ; à Lectius : Je suis debout.

XV. - A CÉSAR DOMITIEN

Voici, Auguste, le cinquième livre de mes épigrammes, et personne ne se plaint que mes vers l'aient blessé. Loin de là, plus d'un lecteur se félicite de l'honneur que j'ai fait à son nom, et de la générosité de ma muse, qui lui assure une renommée impérissable. Mais quel avantage me procurent ces vers qui célèbrent la gloire de tant de gens ? aucun sans doute ; cependant ils m'amusent.

XVI. - AU LECTEUR

Je pourrais écrire des choses sérieuses ; mais si je préfère celles qui amusent, c'est ta faute, ami lecteur, toi qui lis et qui chantes mes vers dans toutes les rues de Rome. Mais tu ne sais pas tout ce que me coûte ton engouement : car si je voulais aller défendre des causes dans le temple du dieu qui tient la faux et le tonnerre ; si je voulais vendre mes paroles aux accusés tremblants; plus d'un maître de navire remplirait mes celliers de vin d'Espagne, et l'or de bien des bourses salirait les replis de ma toge. Mais mon livre n'est qu'un joyeux convive, un commensal aimable ; livre charmant, parce qu'il ne coûte rien. Mais nos anciens ne se contentaient pas de cette gloire, et le moindre des présents faits au poète par excellence fut son Alexis. Fort bien ! dis-tu : cela suffit ; tu auras toujours nos éloges. Fais-tu semblant de ne pas me comprendre ? je le vois, tu feras de moi un avocat.

XVll. - CONTRE GELLIA

Après avoir bien vanté tes aïeux, leurs ancêtres, et les grands noms de ta famille ; après avoir fait fi d'un simple Chevalier comme de trop basse condition pour toi ; après avoir déclaré que l'homme seul décoré du laticlave pouvait aspirer à ta main ; tu as fini, Gellia, par épouser un porte-balle.

XVIII. - A QUINTIANUS

Dans ce mois de décembre qui voit circuler de toutes parts les tapis, les aiguillettes déliées, la bougie, les tablettes, les vases anguleux remplis de prunes sèches de Damas, ne rien t’envoyer que mes petits livres, esclaves nés chez leur maître, ce sera passer à tes yeux pour un avare ou pour un homme impoli. Mais je hais le manège et l'artifice des présents. Les cadeaux ressemblent aux hameçons : ne sait-t-on pas que le scare avide se laisse prendre à l'appât d'une mouche ? Ne rien donner à un ami riche, voilà, Quintianus, la véritable libéralité du pauvre.

XIX. - A CÉSAR DOMITIEN

S'il faut en croire la vérité, ô le plus grand des Césars, aucun siècle ne peut être préféré au tien. Quelle époque permit jamais de contempler de plus nobles triomphes ? Quand les dieux du Capitole ont-ils mieux mérité nos hommages ? Quel maître de l'empire rendit la ville de Mars plus belle et plus spacieuse ? Quel prince donna jamais plus de liberté ? Toutefois il existe chez nous un vice, vice fort grave, bien qu'il soit le seul, c'est que le pauvre ne rencontre que des amitiés ingrates. Voit-on un riche faire part de ses trésors à un vieil et fidèle ami ? Quel patron voit à sa suite un chevalier qui lui doive son titre ? Aux Saturnales, si on nous envoie une aiguillette de la valeur de six onces d'argent, ou une toge écarlate du prix net de dix scrupules, c'est du luxe ; et nos patrons, fiers comme des rois, appellent cela des présents. L'un d'eux donnera quelques pièces d'or, en les faisant bien sonner ; il sera peut-être le seul. Puisqu'ils oublient les lois de l'amitié, aie plus de mémoire qu'eux, César. Point de vertu qui charme plus dans un souverain que la générosité. Mais je te vois sourire en secret, ô Germanique, du conseil intéressé que je te donne.

XX. - A JULES MARTIAL

Si je pouvais avec toi, cher Martial, jouir en paix du reste de mes jours ; disposer à mon gré de mes loisirs, et vivre de la vie réelle, nous ne connaîtrions ni les antichambres, ni les palais des grands, ni les procès fastidieux, ni les ennuis du barreau, ni les images d'ancêtres illustres ; mais la promenade, la conversation, la lecture, le Champ-de-Mars, les portiques, les ombrages, les eaux vierges, les thermes ; voilà les seuls lieux, les seuls travaux qui nous plairaient. Maintenant, hélas ! ni l'un ni l'autre nous ne vivons pour nous, et, nous voyons nos beaux jours s'écouler et s'enfuir : jours perdus à jamais, et qui nous sont comptés. Celui qui sait vivre, doit-il donc différer la vie ?

XXI. - SUR APOLLONIUS

Autrefois, Regulus, le rhéteur Apollonius saluait Decimus du nom de Quintus, et Crassus du nom de Macer : aujourd'hui, il les salue de nouveau l'un et l'antre sous leur véritable nom ; travail infini, peine extrême! Il a écrit leurs noms, et a fini par les apprendre.

XXII. - CONTRE PAULUS

Si je n'ai pas désiré, Paullus, si je n'ai pas mérité, ce matin, de te trouver chez toi, que ta demeure des Esquilies soit encore plus éloignée de la mienne ! J'habite, tu le sais, près des piliers de Tibur, là où le temple de la rustique Flore fait face à celui de l'antique Jupiter Capitolin. J'ai à franchir la rue escarpée de Suburre et son pavé toujours humide et sale ; là, on échappe difficilement aux longues files de mulets qui, à force de cordes, traînent avec peine des blocs de marbre. Mais ce qu'il y a de plus désagréable, c'est, Paullus, après mille fatigues, d'entendre ton portier me dire, à moi tout haletant, que tu n'es pas à la maison. Ainsi, voilà le prix de tant de vains efforts et de la sueur qui inonde ma toge ! A peine la vue, de Paullus m'aurait-elle fait oublier, ce matin, tant de tribulations. Toujours l'homme officieux a des amis qui ne le sont guère ; tu ne peux être mon patron, mon roi, si tu ne dors plus longtemps.

XXIII. - A BASSUS

Bassus, tu portais des habits de la couleur des herbes, au temps où les lois sur le théâtre étaient muettes ; mais depuis qu'un censeur, ami de l'ordre, les a rétablies ; depuis que, plus certain de ses droits, le chevalier se conforme aux ordres d'Océanus, tu viens en habit d'écarlate, ou en toge de pourpre, et tu t'imagines par là nous en faire accroire. Nul vêtement, Bassus, ne vaut quatre cent mille sesterces, ou, plus que tout autre, mon ami Codrus serait chevalier.

XXIV. - SUR HERMÈS

Hermès fait les délices de son siècle et du peuple de Mars ; Hermès sait manier habilement toutes les armes ; Hermès est gladiateur et passé maître d'escrime ; Hermès est la terreur et l'effroi du Cirque ; Hermès, le seul Hermès, est redouté d'Hélius ; Hermès, le seul Hermès, fait tomber Advolans sous ses coups.

Hermès sait vaincre, et vaincre sans frapper ; Hermès ne peut avoir de remplaçant que lui-même ; Hermès fait la fortune des loueurs de places ; Hermès est l'objet de l'amour et de la jalousie des femmes de théâtre ; Hermès est beau, armé de sa lance terrible ; Hermès, avec le trident de Neptune, semble menacer les flots ; Hermès est redoutable, lors même que son casque est négligemment attaché ; Hermès est en tout la gloire du dieu Mars ; Hermès seul est tout, et seul il vaut trois gladiateurs.

XXV. - SUR CHÉRESTRATE

Tu n'as pas quatre cent mille sesterces, Chérestrate, lève-toi ; voici Lectius qui vient : debout, fuis, cours, cache-toi. Mais, ô triomphe ! On te rappelle, on te ramène à ta place ! Quel ami généreux t'a donc ouvert sa bourse ? Quel est ce bienfaiteur ? Que nos vers livrent son nom à la renommée, à l'admiration des peuples ! Quel est-il, lui qui ne veut pas descendre tout entier dans les abîmes du Styx ? Agir ainsi, n'est-ce pas faire mieux, dis-moi, que de couvrir la scène d'un nuage de feuilles de rosés, que de l'inonder de safran ? que de prodiguer quatre cent mille sesterces pour une statue équestre qui n'en sentira rien, et pour qu'on voie briller partout le nez doré de Scorpus ? Homme aux trésors inutiles, à la mémoire infidèle pour tes amis, tu lis ces vers, et tu les vantes ! Que de gloire tu laisses échapper !

XXVI. - A CODRUS

Par une plaisanterie, jetée dernièrement sur le papier, Codrus, je t'ai appelé l'alpha des porteurs de pénule ; si ce vers a pu t'échauffer la bile, appelle-moi le bêta des porteurs de toge.

XXVII. - CONTRE UN FAUX CHEVALIER

Esprit, talent, mœurs, naissance, tu as tout cela d'un chevalier, j'en conviens : mais pour le reste, tu es un vrai plébéien. Tu n'attaches pas assez de prix aux quatorze rangs de l'amphithéâtre, pour t'y asseoir et pâlir devant Océanus.

XXVIII. - A AULUS, SUR MAMERCUS

Faire dire et penser du bien de toi à Mamercus, c'est un prodige que tu ne pourrais, Aulus, opérer par les mœurs les plus pures, lors même que tu surpasserais en dévouement les frères Curtius, en douceur les Nerva, en politesse les Ruson, en probité les Macer, en équité les Mauricus, en éloquence les Regulus, en esprit les Paullus. Il ronge tout de ses dents entachées de rouille. - C'est un méchant, diras-tu. - C'est plutôt, un malheureux, selon moi, celui auquel personne ne plaît.

XXIX. - A GELLIA

Quand par hasard, Gellia, tu m'envoies un lièvre, tu me dis : Marcus, tu seras beau pendant sept jours. Si ce n'est point une dérision, si tu dis vrai, ô lumière de ma vie, jamais, Gellia, tu n'as mangé de lièvre.

XXX. - A VARRON

Varron, toi qui sais chausser le cothurne de Sophocle, et manier avec autant d'habileté la lyre calabraise, suspens tes travaux : ne te laisse pas absorber entièrement par les scènes de l'éloquent Catulle, ou par l'élégie au front toujours orné. Lis les vers que je t'envoie dans ce mois de décembre, vers assez dignes de cette saison fumeuse ; à moins que tu ne trouves plus commode et plus agréable de perdre des noix dans ces jours de Saturnales.

XXXI. - SUR DES ENFANTS QUI SE JOUENT AVEC DES TAUREAUX

Vois avec quelle hardiesse cette foule d'enfants sauté sur ces taureaux apprivoisés, et combien le taureau complaisant paraît aimer son fardeau ! L'un se suspend à l'extrémité des cornes de l'animal ; l'autre court, s'exerce sur son poitrail, et l'agace de tous côtés avec ses armes provocantes. Mais le farouche taureau reste immobile : l'arène elle-même ne serait pas plus sûre pour ces enfants, et ils glisseraient peut-être plus facilement sur un terrain uni. L'animal ne bronche pas, et l'enfant semble aussi sûr de cueillir la palme que le taureau paraît craindre de la lui voir enlever.

XXXII. - A FAUSTINUS, SUR CRISPUS

Crispus, dans ses dernières dispositions, n'a pas, Faustinus, laissé un quadrant (liard) à sa femme : qui donc a-t-il institué son légataire? lui-même.

XXXIII. - CONTRE UN AVOCAT

Certain avocat, dit-on, critique mes vers : quel est ce Zoïle ? Je l'ignore si je viens à le savoir, avocat, malheur à toi !

XXXIV. - ÉPITAPHE D'ÉROTION, A FRONTON, SON PÈRE

Fronton et Flaccilla, père et mère de la jeune Érotion, je vous recommande cette enfant, ma joie et mes délices : que la pauvre petite paraisse sans trop d'effroi devant les ombres noires et le chien du Tartare, ce monstre à la triple gueule. Elle aurait vu six hivers complets, si elle avait vécu six jours encore. Que la folâtre aille jouer au milieu des vieux patrons, et que sa langue, en balbutiant, gazouille souvent mon nom. Qu'un gazon trop épais ne couvre pas ses ossements si tendres ; et toi, terre, ne pèse point sur elle ; elle n'a pas pesé sur toi.

XXXV. - SUR EUCLIDE

Pendant qu’Euclide, paré d'une robe de pourpre, s'écrie que ses terres de Patras lui rapportent deux cent mille sesterces, et ses possessions dans les faubourgs de Corinthe plus encore ; tandis qu'il fait remonter sa noble race jusqu'à la belle Léda ; tandis qu'il résiste à l'ordre que lui intime Lectius de quitter son siège, du sein de ce superbe, noble et riche chevalier, tombe tout à coup une grosse clef. Jamais, Fabullus, clef ne fit un trait plus noir.

XXVI. - A FAUSTINUS

Un quidam que j'ai loué dans mes vers, Faustinus, feint de l'ignorer, comme s'il ne me devait rien : il me prend pour dupe.

XXXVII. - SUR LA JEUNE ÉROTION

Aimable enfant, plus douce, selon moi, que le chant des cygnes dans leur vieillesse ; plus tendre que les agneaux du Galèse, près de la ville bâtie par Phalante ; plus délicate que les huîtres du lac Lucrin ; plus blanche que les perles de la mer Érythrée, que la dent nouvellement polie de l’éléphant indien, que la neige qui vient de tomber ; que le lis encore intact ; toi, dont la chevelure éclipsait la toison des troupeaux du Bétis, les tresses blondes des femmes du Rhin, et les paillettes d'or ; toi, dont l'haleine suave exhalait le parfum des roses de Paestum, celui des premiers rayons du miel de l'Attique, la vapeur du succin froissé par une main brûlante ; toi qui aurais effacé l'éclat du paon, si l'on avait tenté de te comparer à lui; toi près de qui l'écureuil eût été disgracieux, et le phénix commun ; Érotion, ton bûcher fume encore ; l'avare loi des trop cruels destins vient de t'enlever dans ton sixième hiver, avant même qu'il fût accompli, toi, mes amours, ma joie, mon bonheur ; et Paetus, mon ami, me défend d'être triste. N'as-tu pas honte, me dit-il, de frapper ta poitrine, de t'arracher les cheveux et de fondre en larmes, pour la mort d'une jeune esclave? Moi, j'ai perdu ma femme, et je vis ; cependant elle était distinguée, belle, noble et riche ! - Peut-on avoir plus de force que notre cher Paetus ? Il a hérité de deux millions de sesterces, et, malgré cela il vit !

XXXVIII. - CONTRE CALLIODORE

Calliodore a le cens nécessaire pour être chevalier : qui de nous l'ignore, Sextus ? Mais Calliodore a un frère, qui coupe en deux les quatre cent mille sesterces, et qui dit : Partageons les figues, (le gâteau). Crois-tu que deux hommes puissent monter à la fois le même cheval ? Calliodore, pourquoi ce frère, ce Pollux incommode ? Si tu n'avais pas ce Pollux, tu serais Castor : vous n'êtes qu'un, et vous siégez à deux. Lève-toi, Calliodore, tu fais un solécisme. Suis l'exemple des fils de Léda, tu ne saurais siéger avec ton frère : siégez donc l'un après l'autre.

XXXIX. - CONTRE CARINUS

Trente fois, dans le cours de cette année, Carinus, tandis que tu écrivais tes dernières volontés, je t'ai envoyé des gâteaux dorés avec le miel de l’Hybla. Je suis ruiné; prends pitié de moi, Carinus. Teste moins souvent, ou accomplis une bonne fois ce que ta toux mensongère semble nous promettre. Ma bourse et mon petit sac sont à sec. Lors même que j'eusse été plus riche que Crésus, je serais aujourd'hui plus pauvre qu'Irus, si tu avais mangé seulement mon plat de fèves, autant de fois que tu as fait ton testament.

XL. - A ARTÉMIDORE

Tu as peint Vénus, et tout ton culte est pour Minerve : faut-il, Artémidore, t'étonner que ton ouvrage ait déplu ?

XLI. - CONTRE DIDYMUS

Plus énervé, plus flasque qu'un eunuque, plus efféminé que le mignon de Celène, dont les prêtres mutilés de la mère des dieux célèbrent la fête par des hurlements, tu parles sans cesse de théâtre, de degrés, d'édits, de toges de pourpre, d'ides, d'anneaux et de cens ; et, de ta main polie à la pierre ponce, tu montres ceux qui sont pauvres. Je verrai, Didymus, si tu as le droit de t'asseoir dans les rangs des chevaliers : mais tu n'as pas le droit de siéger avec les maris.

XLII. - CE QU'ON DONNE A SES AMIS, N’EST PAS PERDU

Un voleur adroit forcera ta cassette, et t'enlèvera ton argent ; une flamme sacrilège consumera tes lares paternels. Un débiteur refusera de te payer et intérêts et principal ; tes champs, devenus stériles, ne te rendront pas les moissons dont tu leur auras confié la semence. Une maîtresse perfide s'enrichira de tes dépouilles, que lui prodiguera ton intendant ; les flots engloutiront tes vaisseaux chargés de marchandises. Tout ce qu'on donne à ses amis est à l'abri des coups du sort ; ce que tu auras donné sera toujours ta seule richesse.

XLIII. - SUR THAÏS ET LECANIA

Thaïs a les dents noires ; Lecania les a blanches comme neige : la raison ? - Lecania a celles de l'art ; Thaïs, celles de la nature.

XLIV. - CONTRE DENTON

Qu'est-il arrivé ? dis-moi; qu'est-il survenu tout à coup ? Denton, toi que j'ai invité quatre fois, quatre fois, qui le croirait ? tu as eu l'audace de refuser mon souper ! Tu détournes les yeux, tu te soustrais à mes poursuites, toi ! Toi qui naguère me pourchassais aux bains, au théâtre, dans toutes les assemblées ! Tu me fuis, il n'est que trop vrai : un meilleur souper t'allèche, et, chien gourmet, tu te laisses entraîner par l'odeur d'une cuisine plus appétissante : mais sitôt que tu seras connu ; et dès lors abandonné ; sitôt que la table des riches t'aura accablé de ses dédains, tu reviendras ronger les os de ton ancien souper.

XLV. - CONTRE BASSA

Tu te dis belle, Bassa ; tu te dis vierge. Bassa dit toujours ce qu'elle n'est pas.

XLVI - A DIADUMENUS

Je ne veux de baisers que ceux que je cueille malgré ta résistance, et ta colère me plaît plus encore que ta figure ; pour en venir à te provoquer, Diadumenus, j'ai souvent recours aux verges; et je parviens ainsi à ne me faire, ni craindre, ni aimer de toi.

XLVII. - SUR PHILON

Philon jure qu'il n'a jamais soupé chez lui : il dit vrai; jamais il ne soupe quand personne ne l'invite.

XLVIII. - SUR ENCOLPUS

A quoi n'oblige pas l'amour ? Encolpus a coupé ses beaux cheveux malgré son maître, qui cependant n'y a pas mis obstacle. Pudens l'a permis en pleurant : ainsi le père de l'audacieux Phaéton lui céda avec une plainte douloureuse les rênes de son char ; ainsi Hylas, après son enlèvement ; ainsi Achille découvert, firent gaiement le sacrifice de leur chevelure : ce dernier au grand regret de sa mère. Mais toi, barbe, ne te hâte pas, sur la foi de ces cheveux si courts ; mais tarde à venir en considération d'un présent de cette importance.

XLIX. - A LABIENUS

L'autre jour, en te voyant par hasard assis tout seul, Labienus, je crus que vous étiez trois : la forme multiple de ta tête causa mon erreur. De chaque côté elle est couverte de cheveux trop touffus même pour un jeune garçon. Le milieu du crâne est entièrement nu, et, sur cette longue place déserte, on ne distingue pas un seul poil. Cette illusion te profita, au mois de décembre dernier, lorsque l'empereur fit distribuer les dîners ; tu revins chez toi avec trois sportules. Sans doute Géryon te ressemblait : évite donc, je te le conseille, le portique de Philippe ; car si Hercule t'aperçoit, tu es mort.

L. - CONTRE CHAROPINUS

Chaque fois que je soupe chez moi, si tu n'es pas invité, Charopinus, tu deviens aussitôt mon ennemi mortel ; et tu me menaces de me passer ton épée au travers du corps, si tu apprends que mes fourneaux n'ont pas été chauffés pour toi. Je ne pourrai donc pas te dérober un seul de mes soupers ? Une telle gourmandise, Charopinus, est le comble de la méchanceté. Cesse désormais, je te prie, d'espionner ma cuisine, et qu'enfin mon cuisinier te donne à souper avec des paroles.

LI. - A RUFUS

Cet homme, dont le bras gauche est surchargé de mille papiers, que tu vois entouré de l'essaim léger des scribes, qui reçoit de toutes parts testaments et lettres, et qui paraît les lire avec la gravité d'un Caton, d'un Tullius et d'un Brutus ; cet homme est incapable, dût la torture l'y contraindre, de dire bonjour en latin ou salut en grec. Si tu crois que c'est un conte que je fais là, viens, Rufus, le saluer avec moi.

LII. - CONTRE POSTHUMUS

Je me souviens, Postumus, et je me souviendrai toujours, des services que j'ai reçus de toi. Pourquoi donc n'en parlé-je pas ? Parce que toi, tu prends trop de soin d'en parler. Chaque fois que je veux raconter à quelqu'un tes bienfaits : Je sais cela, s'écrie-t-il, Postumus me l'a déjà dit. Certaines choses ne se font pas bien à deux ; mais une seule personne suffit, pour celle-ci : si tu veux que je parle, tais-toi. Crois-moi, Postumus, les services même les plus signalés sont réduits à rien par l'indiscret babil de celui qui les rend.

LIII. - A BASSUS

Ami, pourquoi veux-tu chanter les forfaits de Médée et ceux de Thyeste ? Que te servirait, Bassus, de traiter la fable de Niobé ou celle d'Andromaque ? Crois-moi, le sujet qui convient le mieux à ta plume, c'est Delicalion ou Phaéton, si le premier ne te sourit pas.

LIV. - SUR LE RHÉTEUR APOLLONIUS

Enfin il a eu un éclair d'improvisation, mon rhéteur; sans avoir écrit le nom de Calpurnius, il l'a salué.

LV. - SUR L'AIGLE QUI PORTE JUPITER

Dis-moi qui tu portes, roi des oiseaux ? - Le dieu du tonnerre. - Pourquoi sa main n'est-elle pas armée de la foudre ? - Il est amoureux. - Quel est l'objet de sa flamme ? - Un enfant. - Pourquoi, le bec ouvert, tournes-tu sur Jupiter des regards si doux ? - Je lui parlé de Ganymède.

LVI. - A LUPUS

Tu ne sais, Lupus, à quel maître confier ton fils ; depuis longtemps, ta sollicitude paternelle le cherche et le demande en vain : tous nos grammairiens, nos rhéteurs, fuis-les, je te le conseille ; qu'il n'ouvre jamais ni Cicéron, ni Virgile ; qu'il abandonne Tutilius à sa renommée. S'il fait des vers, maudis le poète. Mais s'il veut s'instruire dans les arts qui rapportent de l'argent, aie soin qu'il apprenne à jouer de la cithare ou de la flûte. S'il paraît avoir la tête dure, fais-en un crieur public, ou un architecte.

LVII. - A CINNA

Lorsque je t'appelle mon maître, Cinna, garde-toi d'en tirer vanité ; car souvent je qualifie mon esclave du même titre.

LVIII. - A POSTUMUS

Tu me dis, Postumus, que demain tu veux vivre : demain ! toujours demain ! Mais quand donc, Postumus, viendra ce demain ? Qu'il est loin ce demain ! Où est-il ? Où faut-il le chercher? Se cache-t-il chez les Parthes ou dans l'Arménie ? Ce demain a déjà l'âge de Priam ou de Nestor. Combien, réponds-moi, faudra-t-il acheter ce demain ? Tu vivras demain ! Vivre aujourd'hui, Postumus, c'est déjà bien tard. Le sage est celui qui a vécu dès hier.

LIX. - A STELLA

Non, je ne t'ai envoyé ni argent ni or ; mais, en cela, j'ai agi dans ton intérêt, éloquent Stella. Donner beaucoup, c'est vouloir aussi beaucoup recevoir ; ces vases d'argile que je t'offre ne seront pas pour toi un présent onéreux.

LX. - A UN DÉTRACTEUR

Bien que tu aboies sans relâche après moi, et que tu me harcelles de tes glapissements furieux, j'ai pris la ferme résolution de te refuser à jamais l'honneur que tu ambitionnes depuis longtemps; celui d'être cité dans mes vers et d'y faire lire, d'une manière ou d'autre, ton nom à l'univers. Car pourquoi saurait-on que tu as existé ? Misérable, tu dois mourir inconnu. Peut-être se trouverait-il, à Rome, un, deux, trois ou quatre individus qui consentiraient à déchirer ta peau comme celle d'un chien ; mais moi, je veux préserver mes ongles des atteintes de cette gale.

LXI. - CONTRE MARIANUS

Marianus, quel est cet élégant aux cheveux frisés, qu'on voit sans cesse sur les pas de ta femme ? Quel est cet élégant, qui murmure je ne sais quoi à l'oreille complaisante de la maîtresse du logis, et qui appuie le coude droit sur le dos de son siège? Chacun des doigts du fat est entouré de bagues légères ; sur ses jambes, pas un seul poil qui en ternisse la blancheur. Tu ne me réponds rien ? Il fait, dis-tu, les affaires de ma femme : c'est un homme sûr et de mœurs austères, dont l'extérieur seul dénote un homme d'affaires ; Aufidius de Chio n'avait pas plus de vivacité dans le jugement. O Marianus; que tu mériterais bien les soufflets de Latinus ! Que tu serais bien le successeur de Panniculus ! Il fait les affaires de ta femme ? il ne fait aucune affaire, cet élégant : il ne fait pas les affaires de ta femme, mais les tiennes.

LXII. - A SES HÔTES

Tu as le droit, mon hôte, de rester à ton gré dans les jardins de ma villa ; si tu peux te résoudre à coucher sur le sol nu, ou si tu apportes avec toi un grand assortiment de meubles ; car les miens ont depuis longtemps demandé grâce à mes hôtes. Je n'ai plus un matelas, même le plus mauvais, à jeter sur mes lits brisés, dont les sangles pourries traînent en lambeaux sur le plancher. Toutefois que cet asile nous soit commun à tous deux : j'ai acheté la villa ; c'était beaucoup : meuble-la ; ce n'est rien.

LXIII. - A PONTICUS

Marcus, que penses-tu de mes ouvrages ? Voilà, Ponticus, la question que tu m'adresses souvent avec sollicitude. - Ils sont admirables, surprenants, de la dernière perfection ; Regulus lui-même s'incline devant ton génie. - C'est là ton avis, ajoutes-tu : alors, que César, que Jupiter Capitolin, te comblent de faveurs ! Et toi aussi, Ponticus.

LXIV. - A SES ESCLAVES

Calliste, verse-moi deux sextants de Falerne ; et toi, Alcime, fais dissoudre dans ma coupe la neige si délicieuse en été. Que ma chevelure soit parfumée des flots onctueux de l'amome, et que mon front s'affaisse sous des couronnes de roses. Déjà. plus d'un mausolée voisin nous invite à jouir de la vie, en nous apprenant que les dieux mêmes sont sujets au trépas.

LXV. - A CÉSAR

Alcide, malgré l'opposition d'une marâtre, conquit une place au ciel et parmi les astres, par son triomphe sur le redoutable lion de Némée, et sur le sanglier d'Arcadie ; par le châtiment infligé à l'athlète qui infestait la Libye ; par la défaite du géant Éryx qu'il renversa dans la poussière de Sicile ; par la destruction de Cacus, la terreur des forêts, de Cacus dont la ruse secrète traînait à reculons dans son repaire les troupeaux d'Hercule. Mais que tout cela est peu de chose en comparaison des combats que nous offre ton arène, ô César ! Chaque jour, chaque matin nous fait assister à des combats plus imposants. Que de lions plus monstrueux que celui de Némée tombent expirants ! que de sangliers pareils à ceux du Ménale succombent sous ta lance redoutable ! Qu'on renouvelle la triple lutte du berger d'Ibérie ; tu peux opposer encore à Géryon un rival capable de le vaincre. Et cette hydre de Lerne, dont la Grèce se plaît à compter les têtes renaissantes, cette hydre si cruelle, peut-on la comparer aux monstres du Nil ? Auguste, pour prix de tant d'exploits, les dieux s'empressèrent d'accorder l'apothéose à Alcide ; ils te la réservent aussi, mais dans un avenir qui ne sera jamais assez éloigné pour nous.

LXVI.- CONTRE PONTILIANUS

On a beau te saluer souvent, jamais tu ne salues le premier ; il faudra, je le vois, Pontilianus, te dire un éternel adieu.

LXVII. - SUR UNE HIRONDELLE

A l'époque où les hirondelles gagnaient, selon leur usage, leurs retraites d'hiver, une d'elles resta dans son nid. De retour au printemps, ses compagnes découvrirent la trahison, et mirent en pièces leur transfuge. La peine fut tardive. Cette mère coupable avait mérité son supplice, mais surtout dès l'instant où elle déchira le malheureux Itys.

LXVIII. - A LESBIE

Lesbie, je t'envoie une chevelure des pays du Nord, pour que tu saches combien la tienne est plus blonde encore.

LXIX. - CONTRE MARC ANTOINE

Antoine, tu n'as rien à reprocher à l'Égyptien Pothinus, toi qui fus moins coupable pour les listes de proscriptions que pour le meurtre de Cicéron. Insensé ! pourquoi tires-tu le glaive contre cette tête romaine ? Catilina lui-même eût reculé devant un tel forfait. Ton or sacrilège corrompt un soldat parricide, et tes immenses richesses peuvent à peine étouffer une seule voix. A quoi te sert d'avoir acheté si chèrement le silence de cette bouche sacrée ? Tout le monde va maintenant parler pour Cicéron ?

LXX. - SUR SYRISCUS, A MAXIMUS

Dernièrement, entre les quatre bains, en parcourant toutes ces tavernes où l'on mange assis, le croirais-tu, Maximus, Syriscus a dissipé jusqu'au dernier as le million de sesterces qu'il tenait de la libéralité de son patron. Dévorer ainsi un million, quelle voracité ! Mais quelle gloutonnerie plus grande encore de l'avoir englouti sans se coucher sur le lit du festin !

LXXI. - A FAUSTINUS

Les fraîches vallées que domine l'humide Trébula, une campagne aux ombrages toujours frais, même sous le signe du Cancer, des plaines que n'a jamais flétries le Lion de Cléonée ; une maison enfin sans cesse favorisée des vents du midi, réclament ta présence, Faustinus : viens passer sur ces coteaux les longues journées de la moisson : tu y retrouveras Tibur et sa fraîcheur extrême.

LXXII. - A RUFUS, SUR L'ORIGINE DE BACCHUS

Celui qui a pu appeler le maître du tonnerre mère Bacchus, peut dire aussi, Rufus, que Sémélé est son père.

LXXIII. - A THEODORUS

Je ne t'envoie pas mes ouvrages, malgré tes prières réitérées, malgré tes instances : tu en es surpris, n'est-ce pas, Theodorus ? J'ai pour cela un puissant motif : je crains que tu ne me donnes tes œuvres.

LXXIV. SUR POMPÉE ET SES FILS

Les fils de Pompée ont leur tombeau en Asie et en Europe, mais leur père repose dans la Libye, si toutefois une terre couvre ses restes. Doit-on s'étonner que le héros soit ainsi dispersé dans tout l'univers ? Un si grand débris ne pouvait rester gisant en un seul lieu.

LXXV. - A QUINTUS

Quintus, cette Lélia que la loi t'obligea d'épouser, peux-tu bien l'appeler ta femme légitime ?

LXXVI. - A CINNA

A force de boire du poison, Mithridate parvint à empêcher sur lui l'effet du venin le plus subtil. Et toi, Cinna, par l'habitude de souper si mal tous les jours, tu es arrivé à ne pouvoir jamais mourir de faim.

LXXVII. - A MARULLUS

On cite, Marullus, un mot heureux à ton sujet : tu portes, a dit quelqu'un, l'huile (la persuasion) dans l'oreille de tes auditeurs.

LXXVIII. - A TURANIUS

Si tu es condamné à souper tristement chez toi, Turanius, viens plutôt faire maigre chère avec ton ami. Tu ne manqueras, si tu aimes à boire, ni de laitues communes de Cappadoce, ni de poireaux à l'odeur forte. On te servira du thon, sous des tranches d'œufs ; un jeune chou vert bien tendre, et fraîchement cueilli dans le potager, mais qu'on ne peut prendre sans se graisser les doigts, sur son plat noirci par la fumée ; tu auras du boudin nageant dans une sauce blanche comme la neige, et des fèves pâles apprêtées au lard frais. Si tu veux un second service, on t'offrira des raisins secs, des poires de Syrie, et des châtaignes récoltées clans les champs de Naples la savante, et rôties à petit feu. C'est en buvant le vin que tu le rendras bon. Après cela, si Bacchus, selon l'usage, excite en toi un appétit nouveau, tu auras, pour le calmer, des olives de premier choix, cueillies récemment sur les arbres du Picenum, et accompagnées de pois brûlants et de lupins tièdes. Un tel repas est bien modeste, qui, peut le nier ? Mais, à ma table, tu jaseras en toute liberté, tu n'y entendras point de mensonges, tu ne seras pas contraint de composer ton visage, et tes regards pourront retomber tranquillement à leur gré ; le maître de la maison n'y lira pas quelque manuscrit poudreux ; les danseuses de la licencieuse Cadix n'y agiteront pas devant toi leurs reins lascifs, aux poses si souples et sans cesse si provocantes. Mais, ce qui ne peut offenser personne, et ce qui n'est pas sans attrait, tu entendras la flûte mélodieuse du jeune Condylus. Tel est mon petit souper. Claudia t'y précédera, et tu seras charmé, je pense, qu'elle, plutôt que toi, préside à nos plaisirs.

LXXIX. - CONTRE ZOÏLE

Zoïle, tu t'es levé onze fois pendant un seul repas, et onze fois tu as changé de synthèse, dans la crainte que la sueur, absorbée par tes vêtements humides, ne restât sur ton corps, et qu'un léger souffle de vent n'exerçât une influence funeste sur les pores relâchés de ta peau. Pourquoi donc ne suis-je pas aussi sujet à suer, moi qui soupe avec toi, Zoïle ? C'est qu'apparemment une seule synthèse donne beaucoup de fraîcheur.

LXXX. - A SEVERUS

Si tu as le temps, Severus, accorde-moi un peu moins d'une heure, et porte à mon compte ces instants que tu vas passer à lire et à examiner mes bagatelles. - Il est dur de perdre ainsi ses moments de loisir. - Je t'en conjure, supporte avec résignation cette perte. Si tu fais cette lecture avec l'éloquent Secundus (mais c'est de ma part bien de l'exigence), mon petit livre te devra beaucoup plus encore qu'il ne doit à son auteur. Car tranquille sur son sort, il n'ira pas rejoindre le roc toujours roulant de Sisyphe épuisé de fatigue, lorsque le docte Secundus et mon ami Severus auront fait passer sur lui la lime mordante, de leur censure.

LXXXI. - A ÉMILIANUS

Si tu es pauvre, Émilianus, tu le seras toujours ; car les trésors aujourd'hui ne se donnent qu'aux riches.

LXXXII. - CONTRE GAURUS

Pourquoi, Gaurus, me promettais-tu deux cent mille sesterces, si tu ne pouvais m'en donner dix mille ? Mais le peux-tu, et ne le veux-tu pas ? N’est-ce pas, dis-moi, plus honteux encore ? Que le ciel te confonde, Gaurus : tu es un bien pauvre homme.

LXXXIII. - A DINDYMUS

Tu me poursuis, je t'évite ; tu m'évites, je te poursuis ; tel est mon caprice : Dindymus, je ne veux pas ce que tu veux ; je veux ce que tu ne veux pas.

LXXXIV. - A GALLA

Déjà l'enfant, tout triste de quitter ses noix, est rappelé à l'étude par la voix criarde de son pédant ; déjà, trahi par le bruit du cornet qu'il aime, arraché à l'instant du tripot où il se cachait, le joueur de dés, tout couvert de sueur, paraît devant l'édile et l'implore. Tout le temps des Saturnales est passé, et toi, Galla, tu ne m'as envoyé ni les petits présents, ni les riens que tu me donnais d'habitude. Et tu veux sans doute que tout mon mois de décembre s'écoule ainsi. Mais tu ne l'ignores pas, je pense, voici venir tes Saturnales des calendes de mars : alors, Galla, je te rendrai ce que tu m'as donné.