Apollonius de Rhodes

APOLLONIUS DE RHODES

ARGONAUTIQUES.

CHANT TROIZIÈME. SCOLIES

Traduction française : H. De LA VILLE De MIRMONT

CHANT III (744-fin) - CHANT IV

Autre traduction

 

 

 

 

ARGONAUTIQUES

 

CHANT III

SOMMAIRE

Invocation à Érato (1-5) — Héra et Athéné se concertent sur les moyens de venir en aide aux Argonautes (6-35) — Les deux déesses se rendent chez Cypris pour lui demander de faire intervenir Éros (36-110). — Cypris obtient de son fils qu'il aille frapper d'une flèche Mèdée, fille d'Aiétès (111-166). — Jason expose aux Argonautes son plan de conduite (167-209). — Arrivée de Jason et de quelques compagnons choisis au palais d'Aiétès (210-274). — Éros perce Médée d'une flèche (275-298). — Entrevue d'Aiétès et des héros; Jason s'engage à entreprendre le travail imposé par le roi (299-438). — Angoisses de Médée, occupée du souvenir de Jason (439-470). — Délibération des héros : sur les conseils d'Argos, on décide d'avoir recours à l'intervention de Chalciopé auprès de Médée (471-575) — Projets d'Aiétès contre les Argonautes (576-608). — Médée promet à Chalciopé de secourir ses fils et leurs compagnons (609-743). — Après de longues hésitations, Médée se dispose a porter à Jason les substances magiques (744-824). — Médée va avec ses suivantes au temple d'Hécate pour y rencontrer Jason (829-911). — Jason s'y rend de son côté; entrevue du héros avec la jeune fille (912-1145). — Retour de Médée dans sa. maison (1146-1162). — Aiétès remet les dents du dragon aux envoyés de Jason (1163-1190). — Jason offre un sacrifice nocturne a Hécate (1191-1224). — Aiètés se dispose à aller assister a la lutte de Jason contre les taureaux (1225-1245). — Jason se prépare à la bataille (1246-1277). — Jason met les taureaux sous le joug et force les géants à se tuer entre eux (1278-1407).

 

 

chant III

CHANT III

V. 1. Érato. — « On dit que la danse fut inventée par Érato. C'est avec raison qu'Αpollonios dit qu'Érato a part aux mystères d'Aphrodite, je veux dire ceux qui ont rapport aux mariages, car la danse accompagne les mariages. Dans les œuvres attribuées à Musée, il est raconté que les Muses procèdent d'une double origine : les plus anciennes sont contemporaines de Cronos, les plus jeunes sont nées de Zeus et de Mnémosyne [Voir, sur l'origine des Muses, Decharme, Mythol., p. 224]... On se demande pourquoi le poète qui, dans le Chant Ier, a invoqué Apollon, invoque ici les Muses. Certains pensent que c'est parce que, dans les poèmes orphiques, Érato est donnée comme inventrice de la danse : par conséquent, comme le poète doit raconter le mariage de Médée, il invoque la Muse inventrice des danses qui accompagnent les noces. D'autres disent que c'est parce que les Muses président aux réjouissances; aussi la Muse n'est pas étrangère aux fêtes du mariage. Que les Muses président aux réjouissances, c'est démontré dans les poèmes orphiques : Les mortels ne sont pas oubliés par les Muses; car elles sont les maîtresses qui s'occupent des chœurs de danse et des fêtes aimables. Rhianos, dans le premier livre de ses Héliaques, dit qu'il importe peu que l'on invoque l'une quelconque des Muses : car, en parlant d'une seule, on les désigne toutes. Il dit ainsi : Toutes entendent, si tu nommes l'une d'elles. » (Scol.) « Erato... est la Muse de l'hyménée... et son image a une grande analogie avec les représentations de Vénus. La fonction de cette Muse n'est donc pas douteuse : elle préside aux noces et à la poésie erotique. Apollonius l'invoque au début du Chant III des Argonautiques, où il célèbre l'amour de Médée pour Jason; au commencement du Chant VIII [sic] de l'Enéide [VII, v. 37 : Nunc age, qui reges, Erato...], Virgile l'invoque également; car l'hymen d'Ënée et de Lavinie est l'événement capital de la seconde partie du poème. » (Decharme, Mythol., p. 233-234, et note 1 à la page 234.) Dübner juge sévèrement l'invocation de Virgile à Erato : « Vergil., lib. VII, in recensu populorum temere imitatus est. » II ajoute, à propos de ce qu'Apollonios dit d'Erato : « Sine dubio in nullo veterum poetarum haec occurrunt. » Mais, s'il n'imitait pas les vieux poètes, Apollonios a eu lui-même des imitateurs. Cf. Ovide, de Art. Am., II, v. :5 :

Nunc mihi. si quando, puer et Cytherea favete,
Nunc Erato; nam tu nomen amoris habes.

V. 9. Dans une chambre (θάλαμον). — Cette chambre serait, d'après Dübner, la salle où les dieux s'assemblent : lovis conclave in quo conveniunt dei. Il semble peu probable que les déesses se retirent dans cette salle où elles auraient chance d'être dérangées; elles vont plutôt  306 dans quelque chambre intérieure de la demeure d'Héra où aucun des dieux ne généra leur délibération.

V. 26. A son enfant. — «Apollonios fait naître Éros d'Aphrodite; Sappho, de Gaia et d'Ouranos; Simonide, d'Aphrodite et d'Arès: Cruel, fils rusé d'Aphrodite, toi qu'elle a enfanté à Arès qui machine des ruses. Hésiode dit qu'Eros est né du Chaos; dans les poèmes orphiques, il est dit fils de Chronos : Or, Chronos engendra Éros et tous les esprits. » (Scol.) Chronos, dieu du temps, ne serait pas le même que Cronos. Voir Decharme, Mythol., p. 7, n. 1 ; Preller, Griech. Mythol., erster Band, dritte Auflage, p. 45, n. 2. Pour les diverses généalogies des deux Eros, celui de la Théogonie et celui des traditions postérieures, voir Decharme, Mythol., p. 209.

V. 39. L'enceinte de la demeure (ἕρκεια)... le portique de la chambre (ὑπ' αἰθούσῃ)). — Dans la maison homérique, l'ἕρκος est le mur qui clôt la cour; et l'αἰθούση, [portique] brûlant, parce qu'il était ouvert au soleil, est la galerie ou colonnade, qui part des deux côtés de la porte. Cf. le commentaire d'Eustathe aux vers 471-477 du Chant IX de l'Iliade. «On voit par ces vers quelle était la disposition d'un palais au temps d'Homère. Il y avait une enceinte, puis une cour, puis un portique, puis un vestibule qui menait à la maison proprement dite et aux chambres de la maison. » (Pierron.) La maison divine, décrite par Apollonios, est un peu plus simple que la maison homérique, puisqu'il n'y a pas de πρόδομος : la chambre d'Aphrodite s'ouvre directement sur le portique.

V. 41. Sa forge et ses enclumes. — « C'est dans une des îles d'Aiolos, nommée Hiéra, qu'Héphaistos avait, dit-on, sa forge. Le poète nomme cette île errante, soit parce qu'il suit la tradition de ceux qui ont raconté les erreurs légendaires d'Ulysse aux environs de l'Italie et de la Sicile, soit parce qu'autrefois toutes les îles étaient errantes et manquaient de base fixe. D'après Callimaque [Hymne à Artémis, v. 47], ce n'est pas Hiéra, mais Lipara qui était consacrée à Héphaistos. Ces îles d'Aiolos, au nombre de sept, sont : Strongylé, Euonyme, Hiéra, Lipara, Didymé, Éricodès et Phoinicodès, toutes voisines de Ia Sicile... Callias dit, dans le livre X de son ouvrage sur Agathocle, qu'il y a dans l'île d'Hiéra une montagne élevée, à deux cratères, dont l'un, qui a un périmètre de trois stades, produit une lumière capable d'éclairer un grand espace de pays aux alentours. En outre, il sort par cette ouverture des pierres enflammées d'une grosseur démesurée; et un bruit si fort retentit quand Héphaistos travaille, qu'on l'entend à cinq cents stades. Les matières enflammées, rejetées par l'éruption, ont une teinte complètement violette, à cause de leur embrasement, et leur combustion fait qu'elles ont l'aspect et la puissance du soleil. La nuit, on voit parfaitement tous les actes du travail du dieu; et, pendant le jour, on aperçoit comme un nuage en suspension au-dessus du sommet d'où sort la lueur éclatante.» (Scol.) l'Iliade, où Héphaistos est l'époux de Charis, place les forges du dieu dans le ciel (XVIII, v. 360 et suiv.); l'Odyssée, où il est le mari malheureux d'Aphrodite, les place à Lemnos (VIII, v. 283 et suiv.), île dont le volcan fameux s'éteignit au ive siècle avant J.-C.; après leur établis- 307 sement en Sicile, les Grecs admirent l'existence des forges divines, soit dans l'Etna, soit dans les îles Ëoliennes ou Lipariennes. Strabon (229, 11) dit que Thermessa, l'une de ces îles, prit le nom de Hiéra, quand elle eut été consacrée à Héphaistos. Elle avait trois cratères qui lançaient des flammes; le plus vaste des trois vomissait même des blocs incandescents. Diodore de Sicile parle longuement des îles Éoliennes (V, 7); Virgile place les forges de Vulcain dans l'île Vulcania, c'est-à-dire Hiéra, voisine de Liparé (Aen., VIII, v. 422), où demeure Ëole (Aiolos). Strabon fixe le séjour de ce dieu dans l'île de Strongylé (229, 52). Quoi qu'il en soit, le voisinage d'Héphaistos et d'Aiolos est confirmé par les vers 778 et suivants du Chant IV des Argonautiques.

V. 43. Elle était seule à la maison. — Scaliger (Poetices libr. V, cap. vi fait remarquer que cette description de la toilette de Cypris a été imitée par Claudien (de Nupt. Hon., v. 99, sqq.) supérieur, d'après lui, au modèle grec.

V. 52. Vénérables amies (ἠθεῖαι) -— Le Scoliaste fait observer que, dans Homère, le mot ἠθεῖος est toujours employé par une personne plus jeune s'adressant à une personne plus âgée, et il pense qu'Apollonios emploie dans un sens général cette expression dont Cypris peut user en s'adressant à Héra, mais non à Athéné. Quelle que soit la généalogie de Cypris, née des parties sexuelles d'Ouranos, ou fille de Zeus, venue au monde avant ou après Athéné, il est évident que, dans la hiérarchie olympienne établie par Apollonios, la femme d'Héphaistos est bien inférieure à Héra et à Athéné, qui ont l'air de croire se compromettre en venant la voir pour un motif intéressé, elles, la femme irréprochable et la vierge, qui fréquentent peu chez la mère d'Éros.

V. 62. Pour délivrer aux enfers Ixion de ses liens d'airain.— II suffit, pour apprécier toute la force des paroles d'Héra, de se rappeler la conduite qu'Ixion avait tenue à son égard, lui qui « eut l'audace de poursuivre de ses amoureux désirs la reine même du ciel ». (Decharme, Mythol., p. 592. Voir, pour le mythe d'Ixion, les sources indiquées dans les notes de cette page.)

V. 67. L'Anauros. — Voir la note au vers 9 du Chant Ier. Ce n'est pas en portant Héra à travers les eaux débordées du torrent que Jason a perdu une de ses sandales, puisque, le jour où il a rencontré la déesse, il revenait de la chasse et il ne se rendait pas aux fêtes célébrées par Pélias en l'honneur des dieux.

V. 79. Il n'y aurait certes rien de pire que Cypris... — Brunck rapproche ces paroles de celles du vieillard de Térence, dans l'Heautontimoroumenos (I, i, v. 135):

Malo quidem me quovis dignum deputem,
Si id faciam...

V. 86. La fille d'Aiétès. — «Le poète emploie παρθένον pour θυγατέρα. On peut aussi entendre : celle des filles d'Aiétès qui est vierge. » (Scol.)

V. 93. De moi il n'a aucun souci. — Lucien a imité de près toutes ces récriminations de la déesse contre son fils dans le XIe des Dialogues des dieux où Aphrodite les répète à Séléné presque en propres termes. 308 Le Dialogue XII entre Aphrodite et Éros est aussi imité de l'entrevue de la déesse avec son fils (Argon., Ch. III, v. in et suiv.).

V. 114. Loin de Zeus, dans une plaine fleurie. — « La phrase est amphibologique; on peut comprendre : loin de Zeus, ce qui vaut mieux ; ou : loin des autres, dans une prairie fleurie de Zeus. Quant à Ganymède, Homère ne dit pas que Zeus l'ait enlevé à cause de ses désirs amoureux, il dit qu'il fut enlevé par les dieux, pour servir d'échanson à Zeus. » (Scol.) Le Scoliaste se fonde sur le vers 234 du Chant XX de l'Iliade. Mais Apollonios suit la tradition généralement adoptée, qui se trouve aussi dans l'Iliade (V, v. 266), où il est dit que Zeus donna à Tros de merveilleux coursiers, en échange de son fils Ganymède, et dans l'Hymne homérique à Aphrodite, où il est dit (v. 203 et suiv.) que Zeus enleva Ganymède pour faire de lui son échanson. Voir Decharme, Mythol., p. 221-222. — Brunck fait remarquer que ce tableau gracieux d'Éros et de Ganymède jouant aux osselets est peut-être emprunté au groupe célèbre de Polyclète, les Astragalizontes, qui, au temps de Pline, qui en parle avec admiration, se trouvait dans l'atrium du palais de Titus (N. H., XXXIV, 55). Voir Couat, Poésie alexandrine, p. 309.

V. 133. Adrestéia. — «C'est une sœur des Courètes; Callimaque a dit : Adrestéia a pris soin de toi [Hymne à Zeus, v. 47]. » (Scol.) Voir la note au vers 1129 du Chant 1er. « Chez Apollonius (Argon., III, v. i32), Adrastée donne une sphère comme jouet à l'enfant divin. Cette balle enfantine deviendra plus tard la sphère du monde, attribut de Zeus. Les monnaies Crétoises de l'époque romaine nous montrent Zeus enfant, assis sur une sphère à côté de la chèvre Amalthée.» (Decharme, Mythol., p. 39, note 2.) On sait que les scènes de l'enfance de Zeus se passent en Crète : mais, préoccupé peut-être de ce qu'il vient d'être question du Troyen Ganymède, le Scoliaste suppose qu'il peut s'agir ici aussi bien de l'Ida, mont de la Troade, que de l'Ida de Crète; et il cite, à l'appui de cette hypothèse, l'opinion de Démétrios de Scepsis (en Troade), dont l'amour-propre national affirme que la Troade revendique l'honneur d'être le lieu de naissance de Zeus.

V. 188. Ce que la force obtiendrait avec peine... — Brunck fait remarquer que Térence montre, dans l'Eunuque (IV, vii, v. 789), Thrason justifiant sa lâcheté au moyen de cette sage maxime:

Omnia prius experiri quam annis sapientem decet.

Apollonios imite ici un passage des Phéniciennes (v. d'Euripide : « La parole vient à bout de toutes les difficultés, mieux que ne le feraient les armes des ennemis. »

V. 197. Il prit lui-même le sceptre d'Hermès. — Hermès, messager de Zeus, est l'ambassadeur primitif. Dans le Chant Ier (v. 640 et suiv.), c'est Aithalidès, le propre fils du dieu, qui est député aux femmes de Lemnos : on lui confie « le soin des ambassades et le sceptre d'Hermès ». Mais ici, les conjonctures étant plus graves, c'est le chef lui-même de l'expédition qui prend le rôle de héraut.

V. 198. Conduits par le navire. — Hoelzlin, qui lit ἀνά, leçon ordinaire, au lieu de iἄρα, leçon des mss. de Paris, rétablie depuis l'édition 309 de Brunck, explique : «  Non admota ad littus navi, nec adhibita scapha, sed pedibus per vadosam paludem in campum pervenerunt, more heroico. » Rien, dans ces vers, ne confirme cette « coutume héroïque ». Il semble probable que le navire Argo est amené au rivage du Phase pour permettre aux héros de descendre à terre, sans qu'ils aient, ce qui ne serait nullement nécessaire, à traverser à gué le marais.

V. 200. Une plaine qui se nomme la plaine Circaienne. — Voir la note au vers 399 du Chant II. — Le Scoliaste donne les diverses généalogies de Circé mentionnées par les auteurs anciens. On la disait fille ou soeur d'Aiétès. Denys de Milet, en particulier, raconte, au premier livre de ses Argonautiques, que Circé était la fille d'Aiétès et d'Hécate, fille elle-même de Perseus ou Persès (voir la note au vers 467), et la sœur de Médée. Aiétès et Perseus, fils d'Hélios, régnaient le premier en Colchide, le second en Tauride; Aiétès épousa la fille de son frère, Hécate, dont il eut d'abord Circé, puis Médée. Telle est la tradition rapportée par Denys de Milet. Apollonios, comme Apollodore (I, 9, i) et la plupart des mythographes, fait de Circé la fille d'Hélios. et la sœur d'Aiétès. Diodore de Sicile (IV, 46) reproduit la version de Denys.

V. 201. Une suite d'arbrisseaux aux branches flexibles (πρόμαλοι). — On lit, dans les mss., πρόμαδοι, mot qui n'a pas de sens, et que H. Estienne a corrigé en πρόμαλοι ; l'EtymoI. M. dit de ce mot: πρόμαλοι, εἶδος ἀγρίας δρυός. C'est le vitex des Latins, vitex agnus castus de Linné (gattilier commun).

V. 202. A leurs sommets. — Le Scoliaste dit que cette coutume des Colchiens est mentionnée par Nymphodore. Après Apollonios, Élien (Var. Hist . IV, i) rappelle aussi cet usage, qui est attribué également aux Scythes par divers auteurs, en particulier, par Silius Italicus (XIII, v. 486).

V. 210. Pendant qu'ils s'avançaient...— Apollonios imite ici de très près le récit de l'arrivée d'Ulysse chez Alcinoos (Odyss., VII, v. 14), comme il va bientôt (v. 215) imiter la description du palais du roi des Phaiaciens (Odyss., VII, v. 86).

V. 215. A l'entrée (ἐν πριομολῇσι). — Ils se tiennent à l'entrée de l'enclos (ἕρκος), de la cour entourée par un mur. Les colonnes (κίονες), dont parle ici Apollonios, ne jouent pas le même rôle que dans l'Odyssée, où elles s'élèvent à l'intérieur du μέγαρον, destinées à soutenir le toit. Il est question, dans les Argonautiques, d'une colonnade extérieure : les murs de la maison d'Aiétès sont entourés par une suite de colonnes qui supportent l'entablement (τριγχός), dont la frise présente des surfaces saillantes d'airain, ornées chacune de trois rainures verticales appelées triglyphes. — Apollonios n'emploie pas le mot triglyphe, mais le simple γλυφίς (coche, entaille) qui doit avoir le sens du composé.

V. 224. Un liquide huileux et parfumé. — « II coulait une eau mêlée d'aromates, ou une huile parfumée. » (Scol.) Apollonios se souvient des quatre fontaines de Calypso (Odyss., V, v. 70).

V. 226. Les Pléiades. — Voir, pour la légende des Pléiades, Decharme, Mythol., p. 253; Apollodore, III, 10, 1 et suiv.; Phérécyde fragm. 46  310 (Fragm. Hist. Graec., Didot, vol. Ier, p. 84). Les Pléiades sont une constellation composée de sept étoiles, qui se lève du 22 avril au 10 mai, et qui se couche du 20 octobre au 11 novembre. Le coucher de cette constellation annonçait aux Hellènes l'approche des grandes pluies et des tempêtes d'hiver (cf. Hésiode, Œuvres et Jours, v. 619 et suiv.).

V. 230. Des taureaux aux pieds d'airain. — « Phérécyde dit aussi que ces taureaux aux pieds d'airain exhalaient des flammes. » (Scol.) Apollodore (I, 9, 23) rapporte aussi la même tradition. Ces taureaux, comme les chiens d'or du roi Alcinoos (Odyss., VIl, v. 91), comme les servantes d'or que Thétis voit dans la maison olympienne du dieu, semblables à des jeunes filles vivantes, douées de la voix et du mouvement (Iliad., XVIII, v. 418 et suiv.), sont autant de preuves de cette puissance créatrice d'Héphaistos, dont Pandore est le chef-d'œuvre. Voir Decharme, Mythol., p. 174.

V. 232. Une charrue toute d'une pièce. — «II va deux sortes de charrues : celle qui est toute d'une pièce, et celle qui est formée de parties ajustées ensemble. La partie inférieure de cette dernière (ἔλυμα) se joint à l'ensemble : c'est à l'ἔλυμα que le soc (ὕνις) est fixé. La pièce de bois qui va de l'ἔλυμα jusqu'aux bœufs se nomme γύης; à partir du γύηνς; commence le timon (ἱστροβοεύς) ; les parties du joug (ζυγός) qui s'étendent sur les nuques des bœufs se nomment les ζεύγλαι ou les μέσσαβα. L'organisation des charrues a été décrite par Ératosthène dans son Architectonique. » (Scol.) L'ἔλυμα correspond au dentale (dens, la dent qui mord, qui fixe le soc); l'ὕνις correspond au vomer; le γύηνς, à la buris (cf. Virg., Georg., I, v. 170), pièce de bois courbe, en forme de queue de bœuf (βοὸς οὐρά), dont le prolongement forme le timon (ἱστοβοεύς, temo), qui passe entre les bœufs et porte le joug. Voir, au sujet de ces diverses pièces, Hésiode (Œuvres et Jours, v. 427 et suiv.), qui indique la différence entre les deux sortes de charrues, et Virgile (Georg., I, v. 169 et suiv.).

V. 233. En témoignage de sa reconnaissance pour Hélios. —  « Ce mythe a été imaginé à cause de l'infirmité des pieds du dieu ; mais il manque de vraisemblance, puisque Héphaistos se montra plus fort que les Géants et les mit en fuite. Mais Apollonius a trouvé ce motif pour imaginer qu'Héphaistos ait construit à Aiétès les taureaux aux pieds d'airain et la charrue. » (Scol.) Apollodore (I, 6, 2) mentionne en effet la victoire d'Héphaistos sur les Géants; quant aux champs de Phlégra (les champs ardents), il en est souvent parlé par les auteurs anciens qui, suivant les traditions locales, les placent en Thessalie, en Arcadie, en Campanie, mais toujours au milieu de régions volcaniques. — Voir Strabon (202, 54; 204, 41; a33, 53; 278, 44), Diodore (IV, 21 ; V, 71), etc.

V. 235. La cour intérieure (μέσσαυλος). — « C'est le milieu de la cour, où l'on tient les bœufs. Les Attiques donnent ce nom au passage qui conduit à l'appartement des hommes et à celui des femmes. » (Scol.) Brunck fait observer avec raison qu'aucun de ces deux sens du mot ne convient au passage d'Apollonios : « A pœtae mente aliena sunt quae in scoliis leguntur. » C'est dans Homère que μέσσαυλος signifie la 311 cour des bestiaux, l'espace libre entre les divers bâtiments ou étables; et c'est seulement à partir de la période attique que le μέσσαυλος est le passage qui sépare les deux parties principales du rez-de-chaussée,, l'appartement des hommes et celui des femmes. Brunck dit fort bien : « Μέσσαυλος; Apollonio nihil est aliud quam αὔλή. » II faut toutefois remarquer que c'est une cour intérieure, puisqu'elle est entourée de constructions.

V. 242. Astérodéia, nymphe du Caucase. — « L'auteur des Naupactiques la nomme Eurylyté. Denys de Milet rapporte, comme cela a été déjà dit, que la mère de Médée et de Circé était Hécate; Sophocle dit que c'était Néaira, une des Néréides ; Hésiode, que c'était Idya [Thêog., v. 968]. Épiménide dit qu'Aiétès était de race corinthienne et que sa mère était Éphyra [le nom archaïque de Corinthe est Éphyra; voir Strabon, 290, 30; Apollodore, I, 9, 3, etc.]. Diophante, dans le livre Ier de ses Histoires Pontiques, dit que la mère d'Aiétès était Antiopé. » (Scol.) Voir la note au vers 200 de ce Chant et la note au vers 1221 du Chant II. Le Scoliaste (note au vers 1236 du Chant III) dit que, d'après le témoignage de Timonax, dans le second livre de ses Scythiques, Apsyrtos se nommait aussi Phaéthon. Dans les Argonautiques, c'est le peuple qui a donné ce surnom à Apsyrtos, comme dans l'llîade (VI, v. 402), c'est le peuple de Troie qui a donné le surnom d'Astyanax au petit Scamandrios.

V. 276. Cependant. — Voir le rapprochement que fait M. Couat (Poésie alexandrine, p. 309-310) entre tout ce passage et les vers d'Anacréon imités par le poète alexandrin.

V. 276. Le taon, — Voir la note au vers 1263 du Chant Ier.

V. 278. Le passage qui mène à la maison (πρόδομος).— C'est littéralement l'avant-maison, le vestibulum des Latins: Éros traverse ce passage, et s'arrête contre le montant de la porte qui ouvre l'intérieur des appartements. Pierron (Iliad., XXIV, v. 673) traduit ἐν προδόμῳ δόμου par in vestibulo domus et fait de ce mot un synonyme de galerie (αἴθουσα).

V. 279. Tire de son carquois. — Brunck rapproche ce vers du vers 116 du Chant IV de l'Iliade.

V. 281. Se blottit (ἐλυσθείς). — Apollonios se souvient du passage de l'Odyssée (IX, v. 433), où Homère montre Ulysse blotti (ἐλυσθείς) sous le ventre du bélier à la longue laine duquel il se cramponne.

V. 291. Telle une femme... — Le Scoliaste rapproche cette comparaison d'une comparaison homérique (Odyss., V, v. 488).

V. 311. Circé. — «Apollonios suit les traditions d'après lesquelles il est supposé que les erreurs d'Ulysse l'ont conduit dans la mer Tyrrhénienne; le premier auteur de ces traditions est Hésiode, qui dit que Circé avait sa demeure dans une île de cette mer. Circé a habité aux environs de l'Italie; c'est d'elle que vient le nom du mont Circaion qu'elle a rendu fécond en poisons [cf. Diodore, IV, 45]. Apollonios suit Hésiode quand il dit que Circé vint sur le char d'Hélios dans une île située près de la Tyrrhénie. Il appelle cette région occidentale parce qu'elle est du côté où le soleil se couche. » (Scol.) On ne connaît pas l'ouvrage d'Hésiode auquel le Scoliaste fait ici allusion. — Voir, sur Circé, la note au vers 200.

312 V. 321. L'ile d'Ényalios. — C'est-à-dire l'île d'Arès. Ényalios est un des surnoms du dieu de la guerre. Eustathe fait dériver ce surnom homérique du verbe ἐνύω qui serait synonyme du verbe φονεύω, tuer. Il est plus simple de noter la ressemblance du surnom d'Arès avec le nom de la déesse Ényo, nom qui « n'est probablement que l'antique cri de guerre des Grecs : Ényo, la destructrice des villes, la déesse meurtrière des batailles, qui devint plus tard la mère, la fille ou la nourrice d'Arès. Le dieu lui-même est, en effet, souvent désigné par l'épithète d'Ényalios.» (Decharme, Mythol., p. 189.) Voir Preller, Griech. Mythol., erster Band, dritte Auflage, p. 265.

V. 343. Maintenu par des chevilles (γόμφοις). — Ce vers apporte une nouvelle preuve de l'importance que les chevilles avaient dans la construction des navires de l'antiquité grecque (voir la note au vers 79 du Chant II). Si Argo peut braver l'effort des ouragans, c'est que ses diverses parties sont maintenues par des chevilles. Le poète donne à entendre que les Colchiens encore barbares n'usaient pas des γόμφοι pour consolider leurs embarcations; mais on a vu (note au vers 4 du Chant Ier) qu'Apollonios ne suit pas la tradition d'après laquelle Argo serait le premier navire qui ait sillonné les mers.

V. 353. Les Sauromates .— II n'est question dans aucun autre passage des Argonautiques, excepté (v. 394) dans le discours de Jason, de ce peuple et de ses luttes contre les Colchiens. Les Sauromates semblent, d'ailleurs, ne pas avoir été les voisins immédiats des Colchiens : d'après Scylax (Peripl., §§ 70-80), on trouve, entre les deux peuples, les Maiotes, les Sindes, les Cercètes, les Torètes, les Achaïens, les Hénioches, les Coraxiens, les Coliciens, les Mélanchlainiens et les Gélones. Le Scoliaste ne cite aucun historien qui fasse allusion aux luttes des Colchiens et des Sauromates. Une tradition rapportée par Diodore (IV, 45), mais qui contredit celle qu'Apollonios suit à propos de Circé, pourrait donner les causes de ces guerres entre les deux peuples : Circé, mariée au roi des Sauromates, aurait empoisonne son époux et gouverné tyranniquement ses sujets.

V. 374. La toison de Phrixos. — Le texte dit la toison et Pkrixos: « IἛν διὰ δυοῖν, fait remarquer Dübner; nam Phrixus mortuus est. » Le trouble et la colère d'Aiétès le font parler avec plus de passion que de correction grammaticale. — Les vers 374 et 375 ont beaucoup inquiété les commentateurs : on peut voir, en particulier dans l'édition de Wellauer, les diverses corrections proposées pour rendre ce passage plus clair. Je me borne à traduire simplement le texte de Merkel, qui me semble offrir un sens très satisfaisant, pourvu qu'on admette l'existence d'un Ἓν διὰ δυοῖν au vers 374. Van Herwerden (ad Apollonii Argonautica, in Mnemosyne, i883) dit très justement pour défendre la leçon du vers 374 :

Πρίν τινα λευγαλέον τε δέρος καὶ Φρὶξον ἰδέσθαι

contre l'essai de correction : « Infeliciter vir summus Madvigius versum tentavit scribendo:

Πρίν τινα λευγαλέον τε δέρους καὶ Φρὶξου ἴεσθαι

313 immemor illam loquendi rationem in minitando satis usitatam esse. lam Homerus Od. p 448 cecinerat:

Μὴ τάχα πικρὴν Αἴγυπτον καὶ Κύπριν ἴδηαι.

et similia reperiuntur apud tragicos. Ex Aristophane citabo locum Thesmophor. 854.»

V. 388. Qui donc oserait traverser volontairement...— On peut rapprocher ces paroles de Jason de celles qu'Hermès adresse à Calypso (Odyss., V, v. 99-101).

V. 409. J'ai deux taureaux. — « Antimaque, dans sa Lydé, dit aussi que les taureaux étaient l'œuvre d'Héphaistos. » (Scol.) Voir la note au vers 230.

V. 412. Vaste de quatre arpents. — « Phérécyde, dans son livre VI, dit qu'elle avait cinquante arpents. » (Scol.)

V. 444. Sa beauté et sa grâce. — Brunck rapproche ce passage des vers 236-237 du Chant VI de l'Odyssée.

V. 446. Son âme, comme un songe... — Van Henverden remarque qu'Apollonios imite le vers 222 du Chant XI de l'Odyssée : « Son âme, comme un songe, voltige en s'envolant au loin,»

V. 452. Les Eros. — M. Couat (Poésie alexandrine, p. 310) remarque qu'ici Apollonius fait intervenir non plus Éros seul, mais la troupe turbulente des Éros, et qu'il ramène ainsi notre pensée, d'abord séduite et touchée par son pathétique récit, vers la banalité de la littérature erotique. Les Éros reparaîtront encore dans d'autres passages du Chant III (v. 687, 765, 937) : le Scoliaste ne fait à leur sujet aucune observation, quoique, semble-t-il, Apollonios soit le premier à les introduire dans la poésie sérieuse qui ne connaissait encore qu'Éros et Himéros, faisant l'un et l'autre partie du cortège d'Aphrodite (Hésiode, Théog., v. 201). Au temps où Apollonios écrivait son poème, l'art grec avait multiplié les Éros, petits génies ailés qui symbolisent les diverses nuances de la passion : «Un seul Éros ne suffit pas, et c'est tout un petit peuple ailé qui voltige dans le champ des peintures céramiques. » (Collignon, Mythol. figurée de la Grèce, p. 162.)

V. 467. Fille de Persès. — C'est Hécate qu'Apollonios désigne ainsi : « Quelques-uns disent qu'elle est fille de Zeus; dans les Orphiques, elle est née de Démêler : Alors Déô enfanta Hécate, fille d'un père illustre. Bacchylide dit qu'elle est fille de la Nuit : Hécate, porteuse de torches, fille de la Nuit au vaste sein. Musée dit qu'elle est fille d'Àstéria et de Zeus; Phérécyde, d'Aristée le fils de Paiôn. » (Scol.) Apollonios suit la tradition ordinaire, d'après laquelle Hécate est fille de Persès, dieu ancien de la lumière, et d'Astéria, la Nuit étoilée (cf. Hésiode, Théog., v. 409 et suiv.; Apollodore, I, 2, 4, etc.). Au vers io35 de ce Chant (voir aussi la note au vers 847), le poète rappelle qu'elle est μουνογενής « l'unique enfant des deux puissances qui lui ont donné la vie : les ténèbres et la lumière» (Decharme, Mythol., p. 141). Dans sa note à ce vers, le Scoliaste rapporte une tradition de Musée qui contredit un peu celle qui vient d'être citée : « Musée raconte que Zeus, épris d'Astéria, s'unit à elle et qu'il la donna ensuite à Persès. » Fille d'Astéria, Hécate pourrait donc, d'après Musée, avoir pour père ou Zeus, ou Persès.

V. 522. Ceux qui aspiraient au combat. — «Tels sont, d'après Apollonios, ceux qui se proposaient de mettre les boeufs sous le joug. Mais l'auteur des Naupactiques compte, comme voulant tenter l'entreprise, tous les héros qu'il a cités... Dans le même poème, Idmon, s'étant levé, exhorte Jason à soutenir la lutte. » (Scol.) Apollonios a déjà fait mourir Idmon dans le pays des Mariandyniens (Argon., II, v. 815 et suiv.).

V. 533. Les astres et le cours de la lune sacrée. — Faire descendre la lune du ciel sur la terre par leurs incantations était, on le sait, un des prodiges par lesquels se manifestait le plus souvent la puissance des sorcières antiques. Le Scoliaste donne à ce sujet plusieurs renseignements qui sont complétés par la scolie au vers 59 du Chant IV. « II fait allusion à cette légende bien connue suivant laquelle les magiciennes font descendre la lune du ciel. Aussi, certains donnaient aux éclipses de la lune et du soleil le nom de descentes de ces dieux [καθαιρέσεις]. On pensait autrefois que les magiciennes faisaient descendre la lune et le soleil. Aussi, jusqu'au temps de Démocrite, beaucoup de personnes appelaient les éclipses des descentes. Sosiphane dit dans son Méléagre : Par ses incantations magiques, toute jeune fille de Thessalie prétend mensongérement faire descendre la lune du haut du ciel. [Voir Poet. Tragic. Fragmenta, Didot, p. 137. Sosiphane est un des sept poètes qui, d'après le catalogue de Suidas, formaient la pléiade tragique d'Alexandrie. Quant au philosophe Démocrite, on sait que son matérialisme sceptique écartait de l'explication de l'univers l'intervention de tout principe divin.] On dit qu'Aglaonicé, allé d'Hégémon, ayant l'expérience de l'astrologie et connaissant à quels moments les éclipses de lune devaient se produire, prétendait attirer la déesse. » Voir, pour l'histoire de cette Aglaonicé, nommée aussi Aganicé, Plutarque (Defect. Orac., 13; Conjug. Praecept., 48). Platon (Gorgias, 513 a), Aristophane (Nuées, v. 749), etc., parlent des Thessaliennes qui font descendre la lune sur la terre. Cf. Virgile (Ecl. VIII, v. 69), Horace (Epod., V, v. 45), Ovide (Met., XII, v. 203; Amor., II, I, v. 23), etc.

V. 540. Un présage. — Brunck fait remarquer que l'idée de ce présage est empruntée au passage de l'Iliade (VIII, v. 245 et suiv.) où Zeus fait apparaître un aigle aux yeux d'Agamemnon qui implore le secours des dieux. La colombe, consacrée à Cypris, est ici à sa place.

V. 550. Ce doux oiseau, qui lui est consacré. — «  Apollodore, dans son ouvrage sur les dieux, dit que la colombe [παριστερά] est consacrée à Aphrodite à cause de sa lasciveté, car son nom vient de περιστῶς ἐρᾶν [aimer avec excès]. » (Scol.)

V. 570. Nous irons... attacher... les amarres au rivage. — On a vu (v. 1282 du Chant II et note à ce vers) que les Argonautes ne s'étaient pas approchés du rivage du Phase; ils avaient fait entrer le navire dans un marais communiquant avec le fleuve et, profitant d'un endroit où Argo était à flot, ils l'avaient établie sur les pierres de fond. Ils sont ainsi, tout d'abord, restés cachés au milieu des roseaux épais, sacs être vus des Cokhiens (v. 6 et 7 du Chant III). Maintenant qu'ils ne veulent plus se dissimuler, ils vont attacher leurs amarres au rivage 315 même et prendre ainsi possession de la terre des Colchiens. — Du fleuve où est le navire, c'est-à-dire du marais, comme Dübner l'a bien compris : « ἐκ ποταμοῖο, id est ἕλος. » Les Argonautes vont retirer les pierres de fond, amener à la rame le navire hors du marais et jeter les amarres (v. 573-575).

V. 587. Si Zeus lui-même. — «II dit que Zeus envoya Hermès en messager pour lui ordonner de recevoir Phrixos, afin que celui-ci épousât la fille d'Aiétès. L'auteur de l'Aigimios dit qu'Aiétès le reçut volontairement à cause de la toison; car il raconte qu'ayant purifié cette toison après le sacrifice il se rendit, en la portant, vers les demeures d'Aiétès. » (Scol.) [L'Aigimios, ouvrage dont l'auteur serait Hésiode, d'après Stéphane de Byzance (au mot Ἀβαντίς), Hésiode ou Cercops de Milet, d'après Athénée (XI, p. 5o3 D), aurait eu pour sujet, d'après Valkenaer (ad Eurip. Phoeniss., p. 735), O. M¨θller (Dorier, I, p. 28), Th. Bergk (Gr. Lit. Gesch., p. 1006), la guerre faite avec succès contre les Lapithes par Aigimios, chef des Doriens, aidé d'Héraclès, guerre dont il est parlé par Apollodore (II, 7, 7) et par Diodore de Sicile (IV, 37).]

V. 597. L'accomplissement du terrible oracle. — « Un oracle rendu à Aiétès lui annonçait qu'il serait tué par des gens nés de lui : Hérodore le raconte aussi dans sc:s Argonautes; c'est à cause de cela, dit-il, que le roi imagina d'imposer l'attelage des taureaux. » (Scol.)

V. 640. Que notre virginité.— «.Medeae servanda erat virginitas, quia Hecates sacerdotio fungebatur. Vide Spanhemium ad Callim. H. in Lav. Palladis 34. » (Brunck.) Il me semble plus probable de penser que Médée ne songe pas pour le moment à son caractère de prêtresse d'Hécate, mais qu'elle obéit à un sentiment naturel de pudeur virginale : elle ne s'inquiète que de son titre de jeune fille et de la place qu'elle occupe, comme telle, dans la maison de ses parents.

V. 646. Revêtue seulement d'une robe (οἰέανος). — On trouve une expression semblable dans un passage d'Euripide (Hécube, v. 933), dont Apollonios semble s« souvenir : « Ayant laissé mon lit, vêtue seulement d'un péplos (μονόπεπλος), comme une jeune fille dorienne... » M. Weil dit à propos de ce vers d'Euripide : « Les jeunes filles de Sparte ne portaient qu'un vêtement flottant sans tunique intérieure. » Le mot ἑανός, que Pierron, dans son édition de l'Iliade, rend toujours par le mot robe, semble avoir le même sens que le mot πέπλος. D'ailleurs l'adjectif ἑανός signifie souple, moelleux; pris substantivement, il désigne un vêtement souple, une sorte de peignoir ou de robe de chambre commode que les femmes gardaient la nuit.

V. 653. Trois fois... — Dübner trouve que le poète insiste trop sur ce tableau; il pense qu'il se trouve dans ce passage quelques vers de la première rédaction des Argonautiques : « In his fortasse versus aliqui e priore ἐκδόσει : non nimis perfecta pictura. » Je crois plutôt que, par toutes ces répétitions, Apollonios veut rendre plus visibles les incertitudes de Médée.

[V. 739. Je les porterai. — Je mets entre crochets ce vers que Merkel compte, sans le faire entrer dans son texte. Ce vers ne se trouve dans aucun des mss. des Argonautiques que nous connaissons : le Scoliaste 316 le cite et dit qu'on le lit dans certains mss. Brunck, le premier, l'a fait entrer dans son texte : « Hunc versum in nullo libro reperi ; sed eum e scholiis, suadente doctissimo Ruhnkenio, in textum revocavi. » ]

V. 745. Les matelots s'endormaient (νύσταλοι). — Les mss. ont ναῦται . Je traduis suivant la correction de M. Weil (Revue de Philologie, année et tome XI [1887], p. 5) : «Au vers 744 [M. Weil ne compte pas le vers 739], la diphtongue finale de ναῦται devrait s'abréger devant la diphtongue suivante. Porson proposait de remédier à cette irrégularité prosodique en écrivant ναυτίλοι. La correction est très facile ; mais elle me semble insuffisante, car je crois que le sens laisse à désirer amant que la facture du vers. Le poète trace un tableau du calme de la nuit, du sommeil répandu partout et refusé à la seule Médée : or, les marins qui observent les constellations et qui sont très éveillés font tache dans ce tableau. Virgile n'a eu garde d'introduire pareille disparate dans sa description du silence de la nuit, et Apollonios était un auteur trop attentif, trop calculé, pour laisser échapper une inadvertance de ce genre. Je crois donc que ναῦται doit être remplacé par νύσταλοι; c'est ainsi que la transition à la scène suivante, qui se fait par les mots ὕπνοιο δὲ καί τις ὁδίτης, sera convenablement préparée. Dans le texte traditionnel, la particule καί et la place du mot ὕπνοιο en tête de la phrase ne s'expliquaient pas. » Cette correction, qui semble excellente, a été combattue par R. C. Seator {American Journal of Philology, vol. X, 4, n° 40, année 1889), qui défend la conjecture de Porson, ναυτίλοι.

L'Hélice.— «La Grande-Ourse.» (Scol.) Voir le vers 360 du Chant II: « L'Hélice, aussi nommée la Grande-Ourse.»

Les astres d'Orion. — Voir la note au vers 617 du Chant II sur Scirios, le chien d'Orion. Il a déjà été parlé (Ch. I, v. 1202) du « déclin du funeste Orion » Voir, pour la légende du chasseur Orion et pour son rôle comme constellation, Decharme, Mythol., p. 248 et suiv.

V. 750. Le silence. — Brunck rapproche ce vers des vers 38-39 de la IIe Idylle de Théocrite.

V. 763. Et surtout à la nuque (ἰκνίον). — « A l'endroit où se trouve la partie de l'âme qui souffre le plus, quand on est, sans relâche, possédé par l'amour. » (Scol.) Le sens du mot ἰκνίον est précisé par une note de Daremberg (Iliade, édit. Pierron, V, v. 73) : « II s'agit de la limite du col et de la tête. C'est, en effet, cette partie que désigne le mot rw'ov dans les autres auteurs et particulièrement dans les médecins. »

V. 770. Elle réfléchit (δοάσσατο). — II semble difficile d'indiquer avec précision le sens du mot δοάσσατο. En tous cas, il ne peut signifier « il parut », comme dans Homère. Pierron dit, en effet (note au vers 468 du Chant XIII de l'Iliade) : « Δοάσσατο, visum est, il parut. Les Alexandrins rapportaient ce mot à δοκεῖν. Scholies : τοῦ δοκῶ παράγωγόν ἐστι· δοκῶ, δοκήσω, δοκάσω, ἐδοκάσσατο, δοκάσσατο, ἀποβολῇ τοῦ χ δοάσσατο. Les modernes en font plutôt un dérivé de δέαμαι, voir, ou une forme abrégea de δοιάζω. Mais le sens n'est pas douteux. C'est un synonyme de ἔδοξε.» Ici, δοάσσατο ne peut être un synonyme de ἔδοξε. car il n'est pas employé d'une manière impersonnelle, il a Médée pour sujet : Médée s'occupa de voir, réfléchit Beck interprète par le mot fluctuabat, qui me paraît ne pas rendre le sens du grec.

317 V. 774. Oh! si Artémis...— On sait que les traditions antiques attribuaient à Artémis la mort subite des femmes, causée, disait-on, par les traits que lançait la déesse. Voir l'Iliade, VI, v. 205, 428, etc. Apollon fait de même mourir subitement les hommes : « Les douces flèches d'Apollon ou d'Artémis, telle est la poétique expression qui servait aux Grecs à désigner et à expliquer les morts subites. » (Decharme, Mythol., p. 115.)

V. 775. Avant que les fils de Chalciopé fussent partis (ἱκέσθαι). — Le mot ἱκέσθαι signifie fussent arrivés et non fussent partis. Mais si les fils de Chalciopé sont partis pour la terre Achéenne, ils n'y sont pas arrivés. Je crois que, dans le trouble de la passion, Médée ne fait pas attention à la propriété du terme qu'elle emploie : c'est le départ, c'est surtout le retour des fils de Chalciopé en compagnie de Jason qui cause ses angoisses; peu lui importe jusqu'où leur voyage a été poursuivi, du moment qu'ils sont revenus en Colchide. Il faut donc donner au mot ἱκέσθαι le sens de partir ou le remplacer par un autre mot qui ait ce sens. C'est ce que Van Herwerden propose : « Phrixi filii, de quibus hic sermo est, susceperant quidem iter in Graeciam, sed incidentes in Argonautas nondum longe progressi cum ils in Aeaeam reverterant, neque igitur Ἀχαιίδα γαῖαν ἵκοντο. Corrigendum igitur ἵεσθαι, i. e. priusquam Graeciam peterent, in Graeciam tenderent Chalciopae filii, ut frequenter est apud Homerum locutio ἵεσθαι οἴκαδε, ἐρεβόσδε, Τροίηνδε. »

V. 789. La poutre qui soutient le toit (μελάνθρῳ). — Le Scoliaste explique le sens du mot μέλανθρον, en lui donnant comme synonyme le mot δοκός, qui signifie en effet la poutre destinée à soutenir le toit. Le mot μέλανθρον signifie souvent toit en général (cf. Argon. II, v. 1087) ou même, comme le latin tectum, toute la maison que le toit recouvre. Mais ici il a son sens primitif de poutre saillante du milieu : cette poutre qui soutient le plancher de l'étage supérieur et à côté de laquelle s'échappe la fumée. C'est même à la fumée dont le voisinage la noircit que cette poutre devrait son nom, d'après l'Etym. M.: « Μέλανθρον, ἀπὸ τοῦ μελαίγεσθαι κάπνῳ. »

V. 791. Les railleries me poursuivront (ἐπιλλίξουσιν). — «On se moquera de moi : le sens propre de ce mot est regarder de travers en se moquant. » (Scol.) Le Scoliaste a déjà fait remarquer (note au vers 486 du Chant Ier que ἕπιλλος a le même sens que στραβός (louche).

V. 802. Un coffret (φωριαμόν). — « II veut dire une κοιτίς [corbeille, coffret}... Ëratosthène, dans son Hermès, donne l'étymologie du mot φωριαμός : Ils nommèrent phoriamos ce qui cacha le butin volé [φώριος], d'où vient parmi les hommes le nom de l'objet qu'on appelle phoriamos. » Dans l'Iliade (XXIV, v. i28), le mot φωριαμός, qui semble venir de φέρω, désigne la caisse, le coffre où l'on garde les vêtements. Brunck voit dans le terme employé par Apollonios un synonyme de ces καλυπταὶ κίσται (corbeilles couvertes) où Médée et ses compagnes, dans la tragédie de Sophocle intitulée les Rhizotomes, enferment les racines qu'elles ont arrachées. (Cf. Sophocle, édit. Didot, Pelias sive Rhizotomae, p. 328.)

V. 803. Beaucoup de substances, les unes salutaires, les autres 318 funestes. — Ce passage semble imité des vers 229-230 du Chant IV de l'Odyssée : « Dans ce pays, la terre féconde produit une foule de plantes merveilleuses, dont beaucoup sont salutaires, à côté de beaucoup qui sont pernicieuses. »

V. 840. Elles n'avaient jamais paré un lit. — L'expression homérique πορσύνω λέκτρα signifie préparer le lit et s'applique à la femme qui partage avec un homme le lit qu'elle prépare. « Il ne s'agit pas simplement d'une besogne domestique, quoique l'expression réponde au français faire le lit. Euslathe : δῆλον ὅτι προσύνειν λέχος τὸ συγκοιτάζεσθαι. » (Pierron, note au vers 411 du Chant III de l'Iliade.)

V. 845. Du nom de Prométhée. — II ne semble pas qu'il soit question avant Apollonios de la plante nommée plante de Prométhée par le poète. Après lui, Properce (I, Xh, v. 10, Lecta Prometheis... herba iugis) et Valérius Flaccus (VII, v. 356) font allusion à cette plante merveilleuse. D'après Ausone (édit. Schenkl, XXVII, 9, v. 9 sqq.). le sang de Prométhée tombé sur le roc aurait donné naissance à l'aconit:

Sicca inler rupes Scythicas stelit alitibus crus :
Unde Prometheo de corpore sanguineus ros
Adspergit cautes et dira aconita creat cos.

V. 847. Coré. — Coré (la jeune fille) est l'enfant unique et bien-aimée de Déméter. Au lieu de Κούρην, le Scoliaste écrit Δαῖραν, leçon de quelques mss., qui a été admise dans le texte de plusieurs éditions. « Perséphoné était nommée Daîra : Timosthène l'établit dans l'Exègetique; et Eschyle, dans les Psychagogues, donne ce nom à Perséphoné. » (Scol.) Daîra est, d'après Phérécyde, la sœur du Styx, et, d'après Phanodème, Déméter elle-même (Fragm. Hist. Graec., Didot, vol. Ier, p. 72 et 369). On fait venir de διδάσκω le nom de Δαῖρα ou Δάειρα, la savante; c'était une des divinités des mystères d'Eleusis qu'on identifiait avec Déméter, Perséphoné, Héra ou Aphrodite. — Daîra n'a rien à faire ici; Perséphoné, non plus, ce me semble. Malgré l'autorité de Merkel dont je traduis le texte, j'aimerais mieux lire κούρην (et non Κούρην)  μουνογένειαν et voir dans cette déesse, fille unique, non pas Coré, qui ne joue aucun rôle dans les cérémonies magiques de Médée, mais bien Hécate elle-même, fille unique de Persès (Argon., Ch. III, v. 1035 : μουνογενῆ δ' Ἑκάτην Περσηίδα,), que sa prêtresse doit invoquer avant de cueillir la plante de Prométhée, comme Jason, sur les conseils de Médée elle-même, l'invoquera pendant le sacrifice célébré en l'honneur de la fille unique de Persès (Argon., III, v. 1037; v. 1211).

V. 853. Le sang divin (αἱματόεντ' ἰχῶρα). — Littéralement: l'ichor sanglant. « Dans la langue des médecins grecs, l'ichor est le sérum du sang, et même quelquefois la sanie. Il s'agit pour Homère de tout autre chose, d'un liquide presque volatil et d'une nature peu s'en faut immatérielle. Bothe : Poeta hac voce usus est ad declarandum humorfm tenuem, nec crassiori ex diverso victu mortalium sanguini comparandum. » (Pierron, note au vers 340 du Chant V de l'liade.) Prométhée est un dieu : le poète ne manque pas d'appeler plus loin la racine de cette plante, racine Titanienne (v. 865). C'est donc l'ichor 319 divin, ce n'est pas la sanie provenant du sang humain corrompu qui sort de sa blessure toujours à vif.

V. 855. Semblable... au safran de Corycie .— La célèbre caverne de Corycie, en Cilicie, produisait le meilleur safran connu des anciens (Strabon, 572, 84). Cf. Horace (Sat. II, iv, v. 68) : Corycioque croco...; Pline (N. H., XXI, 3i) : Prima nobilitas [croco] Cilicio, et ibi in Coryco monte.

V. 859. La mer Caspienne. — «Artémidore, dans son Abrégé des géographies, s'occupe de la mer Caspienne. Elle est près de l'Océan ; sur ses bords se trouve un peuple nommé Caspien, qui est voisin immédiat des Perses. » (Scol.) Pour la mer Caspienne, voir Strabon (100, 205; 434, 44, etc.), etc.

V. 861. Brima. — «Le poète veut dire qu'elle invoqua sept fois Hécate, car les magiciennes paraissent faire venir Hécate vers elles. Il lui donne le nom de Brimô à cause du caractère effrayant et terrible de cette déesse. Car elle envoie, dit-on, les apparitions qu'on appelle Hécatées, souvent elle change elle-même de forme, d'où son nom d'Empousa. Brimô peut aussi venir du pétillement (βρόμος) du feu : car la déesse porte une torche. Brimô peut encore signifier la déesse qui a une grande, une violente colère (βρίμηνις). » (Scol.) Ici, Brimô est un synonyme d'Hécate : les épithètes qui accompagnent ce nom se rapportent bien à la déesse, quoique κουροτρόφος; semble se rapporter mieux à Démêler : mais le poète fait sans doute allusion à une des nombreuses influences que l'on attribuait à la lune. Voir, pour le surnom Κουροτρόφος d'Hécate, Preller, Griech. Mythol., erster Band, dritte Auflage, p. 258, note 3. — Brimô est également citée dans les poètes latins (Properce, II, il, v. 12; Stace, Silv., Il, III, v. 38): mais, chez eux, elle semble se confondre avec Perséphoné, comme, à leur époque, la fille de Démêler se confondait d'ailleurs avec Hécate. Dans les Mystères d'Eleusis, c'est Démêler elle-même qui, sous le nom de Brimô, enfante Brimos, c'est-à-dire Dionysos-Zagreus. (Voir Decharme, Mythol., p. 396.)

V. 863. Couverte d'un sombre manteau (ὀρφαίοισι φάρεσσιν).— Le φᾶρος est proprement une grande pièce d'étoffe, un linceul pour couvrir les morts. C'est un φᾶρος que Pénélope (Odyss., II, v. 97) se propose de faire pour en couvrir Laerte quand il sera mort. Le mot signifie, par extension, manteau; et l'on comprend que ce manteau, qui a l'apparence d'un drap mortuaire, soit le costume le plus convenable à une magicienne évoquant Hécate.

V. 864. Les noires entrailles de la terre (ἐρεμνὴ... γαῖα). — U est question de la terre noire à l'intérieur. C'est le sens de cette expression dans l'Odyssée (XXIV, v. 106).

V. 867. Dans la ceinture (μίτρῃ). — Le mot μίτρα signifie d'ordinaire un bandeau qui sert de coiffure ; dans l'Iliade, il désigne une sorte de ceinture de laine, garnie extérieurement de plaques de métal, destinées à protéger le bas-ventre du guerrier (Iliad., IV, v. 137). Ici, la μίτρα de Mêdée est cette large bande d'étoffe que les jeunes filles portaient au-dessous du sein, et que l'on nommait d'ordinaire στρόφιον.

V. 873. Au coffre d'osier (πείρινθος). — La πείρινς est un panier d'osier 320 qui se place sur le char pour recevoir les bagages. Ce panier, qui correspond à la scirpca des Latins, laquelle servait souvent à former le corps d'un plaustrum, employé dans les travaux des champs, se plaçait sur l'ὑπερτερία, le dessus, le train supérieur du char, comme on peut s'en rendre compte par la description du char de Nauisicaa (Odyssée, VI, v. 70).

V. 876. Telle, après s'être baignée...— La comparaison est imitée d'un passage bien connu de l'Odyssée (VI, v. 102 et suiv.); quand il montre les bêtes sauvages qui se retirent devant la déesse, le poète se souvient d'un passage de l'Hymne homérique à Aphrodite (v. 70 et suiv.). — Il a déjà été question du Parthénios (voir la note au vers 936 du Chant II); l'Amnisos est un fleuve de Crète à l'embouchure duquel était située une ville homonyme (Strabon, 409, 12), dont il est déjà question dans l'Odyssée (XIX, v. 188).— Si les habitants se retirent pour éviter les yeux de la vierge royale, c'est que les yeur de tous les descendants du Soleil lançaient des lueurs insupportables : c'est même cette particularité de famille qui permettra à Circé, quand Médée lèvera les yeux devant elle, de reconnaître dans cette jeune fille une personne de sa race (Argon., IV, v. 727 et suiv.).

V. 899. En cueillant les belles fleurs. — « On est surpris de lire à côté de ces vers la scholie : Λεξάμεναι ἀντὶ [τοῦ] ἀναλιθεῖσα. Il va sans dire que le Scholiaste avait sous les yeux une leçon différente de la nôtre. Son exemplaire portait sans doute κατὰ καλὰ τερείνης δ' ἄνθεα ποίης λεξάμεναι. De ces deux leçons, laquelle faut-il préférer? Que les jeunes compagnes de Médée cueillent des fleurs, rien ne saurait être plus convenable, mais elles peuvent aussi se coucher dans l'herbe après avoir dansé à cœur joie. Voici cependant un indice qui pourrait servir décider nos préférences; on ne voit pas bien comment la leçon  τὰ δὲ καλά aurait été altérée en κατὰ καλά, mais si le texte portait d'abord cette dernière leçon, il était naturel de transposer la conjonction δέ a sa place habituelle et d'écrire κατὰ δὲ καλά. Pour rétablir le vers, on aura introduit la correction τὰ δὲ καλά, qui offrait, elle aussi, un sens très satisfaisant. » (Weil, Revue de Philologie, année 1887, p. 7.)

V. 918. Habile à conseiller ceux avec qui il allait. — « Le sens est : habile à bien tirer des présages des oiseaux alors qu'ils apparaissaient ou qu'ils se retiraient. » (Scol.) Hoelzlin et Shaw traduisent comme le Scoliaste, ce qui me semble un contresens.

V. 939. La voix de l'oiseau. — Mopsos, qui comprend les chants des oiseaux, entend seul ce que la corneille veut dire, et il l'explique à ses compagnons qui n'ont pas la même faculté que lui. Hoelzlin dit avec raison : « Cornix non humana quidem sed cornicina lingua Mopsum objurgat : idque solus intelligit Mopsus. » Mopsos, comme l'Hélénus de Virgile (Aen., III, v. 360),

sentit
Et volucrum linguas et praepetis omina pennae.

V. 957. Seirios. — Voir la note au vers 517 du Chant II. La comparaison est d'ailleurs imitée d'une comparaison de l'Iliade (V, v. 5).

V. 962. Le cœur de la jeune fille. — Cf. Iliade, X, v. 93-95.

V. 986. Zeus, qui étend sa main protectrice sur les étrangers. — Cf. Odyssée, VI, v. 207-208.

321 V. 1003. Qu'on appelle couronne d'Ariane.— « Par ce discours, il demande habilement à Médée de s'embarquer arec lui, en citant l'exemple d'Ariane... [Il dit aussi] que, pour avoir sauvé Thésée, sa couronne fut placée parmi les astres. Aucune de ces deux affirmations n'est exacte, car elle fut abandonnée par Thésée à Naxos. Mais, au dire de quelques-uns, elle fut privée de sa virginité par Dionysos, de qui elle eut Oinopion, Thoas, Staphylos, Latramis, Euanthès, Tauropolis. Minos ne consentit pas au mariage d'Ariane, et Thésée ne la conduisit pas à Athènes, c'est ce qu'Homère affirme expressément : car Ulysse dit qu'elle mourut, abandonnée par Thésée : Je vis Phèdre et Procris, et la belle Ariane, fille du cruel Minos, elle que Thésée épousa, mais dont il ne jouit pas. [Citation inexacte des vers 331 et suivants du Chant XI de l'Odyssée.} Aratos dit que sa couronne fut mise au nombre des astres par Dionysos : Et cette couronne dont, au départ d'Ariane, Dionysos fit une admirable constellation [Phaen., v. 71], » (Scol.) Quand Apollonios parle en son propre nom, il rectifie les mensonges intéresses de Jason, et il rappelle qu'Ariane fut abandonnée par Thésée dans l'île de Naxos (Argon. IV, v. 433-434). La plus ancienne mention que l'on connaisse de la couronne d'Ariane est due à Phérécyde : « Thésée, revenant de Crète avec Ariane, aborde à l'île de Naxos où il s'endort sur le rivage. Pendant son sommeil, Athéna s'approche de lui : elle lui ordonne d'abandonner Ariane et de faire voile aussitôt pour Athènes. Thésée exécute sans retard l'ordre de la déesse. Ariane, abandonnée, pousse des cris de désespoir; mais Aphrodite s'approche d'elle et réussit à la consoler, car bientôt Ariane devient l'épouse de Dionysos, qui, en s'unissant à elle, lui fait don d'une magnifique couronne d'or.» (Cité par Decharme, Mythol., p. 453-434.) Hygin (Poet. Astron., l. II c. 5) donne de nombreux renseignements sur cette couronne: « Haec [corona] existimatur Ariadnae fuisse, a Libero patre inter sidéra collocata. Dicitur enim in insula Dia cum Ariadne Libero nuberet, hanc primum muneri accepisse a Venere et Horis, cum omnes dii in eius nuptiis dona conferrent... Dicitur etiam a Vulcano facta.» Il est souvent question dans les poètes latins de la constellation formée par la couronne d'Ariane (Manilius, V, v. 21; Catulle, LXVI, v. 60; Ovide, A. Am., I, v. 558; Met., VIII, v. 178; Fait., III, v. 459; etc.).

V. 1006. Et, certes, à voir le charme de tes traits... — II y a une idée sous-entendue avant cette phrase : si tu sauves les héros, disait Jason ; et j'espère bien que tu les sauveras, car tu semblés très bonne. Dübner dit avec raison: «Supple: Et hoc quidem iure mihi sperare videor. »

V. 1013. Se livrant tout entière (ἀφειδήσασα). — Le Scoliaste traduit ce mot par ne songeant pas à parler. Ce sens est adopté par Beck et Lehrs : omisso sermone; Shaw s'en écartait peu, en comprenant : omissis caeteris. Hoelzlin, qui dit dans ses notes : Huius in vocabuli evolutione vagatur scholiasta, me semble se rapprocher de la vérité en traduisant par prodige. Dübner dit avec raison : non parcens, cupida. En effet, le sens premier du verbe ἀφειδέω est ne pas épargner. Ce sens est confirmé par le vers 1015 où il est dit que Médée aurait arraché toute son âme du fond de son cœur, pour la donner à Jason, s'il l'eût désirée.

322 V. 1018. Ravis, les yeux de Médée...— Brunck note une double imitation d'Ovide, Amor., II, xix, v. 19:

Tu quoque, quae noslros rapuisti nupcr ocellos.

Amor., III, xi, v. 48 :

Perque tuos oculos, qui rapuere meos.

V. 1020. Son âme se fondait.— « II a paraphrasé ce passage d'Homère: Son âme se fondit, comme la rosée se fond sur les épis [Iliad., XXIII, v. 698]. Ce qui est fondu se répand complètement : Mais, aussitôt, la cire se liquéfiait, sous Faction de la violente ardeur d'Hélios [Odyss., XII, v. 175].» (Scol.) Pierron dit à propos des vers 598-399 du Chant XXIII de l'Iliade : « II est évident qu'Apollonius de Rhodes a voulu rappeler et commenter l'expression d'Homère. Cependant, la comparaison d'Homère n'a pas tout à fait le sens de la sienne, où il s'agit d'amour. Homère dit seulement que le cœur de Ménélas s'épanouit de joie par un effet semblable à celui de la rosée sur les épis. C'est à l'épi que le cœur est réellement comparé, et non à la rosée. L'épi s'épanouit comme le cœur... Il y a un commentaire encore plus ancien et surtout plus précis que celui d'Apollonius de Rhodes. C'est un passage de l'Agamemnon d'Eschyle, vers 1390-1392. Clytemnestre explique le plaisir qu'elle a eu d'être arrosée du sang de son époux... Il s'agit, dans les vers d'Homère, de la joie de l'épi, comme ici de la joie de la terre au temps où elle enfante les épis. Peu importe la liquéfaction de la rosée. »

V. 1033. Place crue et tout entière la victime (ἀδαίετον ὠμοθετῆσαι). — Le verbe ὠμοθετέω, qui signifie placer les morceaux de chair crue, indique la partie de l'opération du sacrifice ordinaire où, après avoir coupé, pour en faire la part des dieux, des petits morceaux de chair appartenant à chaque membre de la victime, on les place sur les os des cuisses, enveloppés de l'e'piploon (membrane qui recouvre les intestins). Voir la description du sacrifice, dans l'lliade (I, v. 469 et suiv.), où Pierron explique ainsi le mot ὠμοθέτεσαν « Par-dessus les os des cuisses et la graisse, on jetait des morceaux pris dans les autres parties de la victime, ὠμά cruda; et c'est ainsi que la victime était censée avoir été offerte entière. » Mais, si l'on procédait de la sorte dans les sacrifices ordinaires offerts aux divinités du ciel, quand on sacrifiait aux dieux infernaux, on ne réservait aucune partie de la victime, on la brûlait tout entière, ἀδαίετον. Virgile, parlant du sacrifice offert Stygio regi, dit bien (Aen., VI, v. 253):

Et solida imponit taurormn viscera flammis.

V. 1039. Retourner en arrière. — C'est une précaution indispensable dans les sacrifices qu'on offre aux dieux infernaux. Voir les conseils que le chœur adresse à Œdipe pour le sacrifice expiatoire qu'il doit offrir aux Euménides : « II ne faut ni articuler une parole, ni élever la voix. Ensuite, retire-toi sans tourner la tête, » (Sophocle, Œdipe à Colone, v. 489-490.)

323 V. 1040. Tout ce que tu aurais fait deviendrait inutile (κολούσας) «Tu rendras sans effet tout ce que tu auras déjà accompli [le sens propre du verbe κολούω est mutiler], Sophocle, dans les Colchiennes, met en scène Médée donnant à Jason, dans un dialogue, des instructions au sujet du combat. » (Scol.) Apollonios aurait donc ici imité ce dialogue de Sophocle; le Scoliaste cite encore cette tragédie perdue de Sophocle dans ses notes aux vers 1372 du Chant III, et 228 du Chant IV.

V. 1061. Va cependant là où il te plaît d'aller. — II me semble que Dübner force le sens de ces mots en interprétant : « Tecte ei se in Graeciam esse secuturam significat. » C'est après bien des luttes intimes et quand la fuite sera devenue nécessaire que Médée s'y décidera. Elle n'y pense pas encore.

V. 1064. Une violente pluie de larmes chaudes. — Brunck se fonde sur ce passage imité, dit-il, par Ovide (Amor., III, vi, v. 68) pour corriger la leçon vulgaire tepidos dans ce distique:

Dixerat : ills, oculos in humum deiecta modestos,
Spargebat tepido flebilis imbre sinus.

« E nostro Apollonii loco hoc distichon expressum, quod Ovidii interpretibus observatum non fuit. » Dans son édition d'Ovide (Teubner, 1881; reproduction de son texte de i .s .-., Merkel, qui cependant connaît bien Apollonios, admet teneros au lieu de tepido, mot qui est d'ailleurs une leçon du Sangallensis en même temps qu'une conjecture de Brunck.

V. 1074. L'ile d'Aia. — « L'île d'Aia est dans le Phase; c'est là que se trouvait la toison. » (Scol.) Dans sa note au vers 1093, le Scoliaste répète que l'île d'Aia où se trouve la toison est dans le Phase, et il s'appuie sur l'autorité de Phérécyde. M. Weil (Revue de Philologie, 1887, t. XI, p. 7) dit à ce propos : « Phérécyde, cité par le Scholiaste, avait appelé  Αἰαίη une île du Phase, où la toison d'or se trouvait déposée. Partant de là, on croit généralement, autant que je puis voir, que  νῆσος Αἰαίη désigne ici, par extension, la Colchide. Mais Médée sait très bien que le pays des Hellènes est loin du sien : elle vient de le dire au vers 1060. Comment demanderait -elle donc si la patrie de Jason est près de Colchos? Jason répond, au vers 1091, que dans lolkos on ignore jusqu'au nom de l'ile Ëéenne. Celte île ne saurait être le pays vers lequel il s'est dirigé en partant d'Iolkos. Il est vrai que la fabuleuse jEa des plus anciennes traditions fut de bonne heure localisée dans la Colchide; aussi Apollonios dit-il indifféremment Κολχίς et Αἶα. Mais il faut distinguer entre Αἶα et Αἰαίη νῆσαος; ce dernier nom désigne, chez Apollonios, comme dans l'Odyssée, l'ile de Circé (cf. IV, v. 661). Revenons au passage qu'il s'agit d'interpréter. En fait de pays lointains, Médée n'a entendu parler que de la riche Orchomène, si célèbre dans les temps héroïques, et de l'île habitée par la sœur de son père. Il est donc naturel qu'elle demande si le pays où va retourner le bel étranger est voisin de l'un ou de l'autre de ces deux endroits. Jason répond que le fondateur d'Orchomène était parti de l'Hémonie, où se trouve sa patrie, lolkos, mais que l'île Ééenne y est inconnue. » M. Weil a parfaitement et facilement raison contre le Scoliaste et
324 Phérécyde; mais je ne vois pas que l'on croie généralement, comme il le dit, que νῆσος Αἰαίη désigne ici par extension la Colchide : sans doute  l'erreur se trouve dans l'index de l'édition Didot « Αἰαίη νῆσος i. e. Colchis, III, 1074, 1094. » Mais, parmi les traducteurs ou commentateurs d'Apollonios, aucun ne donne son opinion sur ce que pouvait être l'île d'Aia, excepte Hoelzlin, qui pense qu'il est question de l'île de Circé et non de la Colchide : « Valde mihi dubium puellane ex simplicitate aligna quaerat quam procul ab sua absit patria Jasonis patria; an loquatur de insula Circae amitae suae, quam Aeaeam vocat et in Italia collocat Homerus, et libro I Strabo. Posterius horum videtur firmius. » On s'étonne que M. Weil suppose que Médée puisse se demander « si la patrie de Jason est près de Colchos » : Médée connaît aussi peu Colchos qu'Iphigénie connaissait l'Aulide, avant la tragédie de Racine.

V. 1085. C'est une terre entourée de hautes montagnes. — Jason fait l'éloge de sa patrie avec un enthousiasme qui rappelle les louanges que Virgile donne à l'Italie (Géorg., II, v. 136 et suiv.). Mais, malgré tout, méthodique et précis comme un Alexandrin, le héros commence par le tableau général de son pays; après avoir parlé de la situation géographique, il passe à l'orographie et, pour ainsi dire, à la description économique de la Thessalie, et enfin à l'histoire du pays. Apollonios, qui ne connaissait pas la Thessalie, met à profit ce qu'Hérodote en rapportait dans ses Histoires (VII, 129); le Scoliaste le fait remarquer : « Hérodote raconte que la Thessalie est entourée d'un cercle de montagnes. Hellanicos dit que Deucalion, fils de Prométhée, régna sur la Thessalie et qu'il éleva l'autel des douze dieux. La Thessalie est arrosée par plusieurs fleuves dont les plus illustres sont au nombre de quatre : le Péné. l'Apidanos, le Pamisos et l'Énipeus. Mais, comme ils confondent leurs eaux, le Pénée, dont le nom domine, fait que les autres ont perdu le leur. » Nous ne comprenons guère ce que vient faire ici ce renseignement sur les fleuves de Thessalie dont le poète ne parle pas : il dit que le pays a de beaux troupeaux (ἐύρρηνος, leçon du Laur. et du Guelf., adoptée par Merkel, et confirmée par \Etym. M., 895, 64, et par Suidas, au mot ἐύρηνος;) : pour comprendre la scolie, il faut admettre, comme Brunck, la leçon ἐύρρειτος (= πολλοὺς ἒχουσα ῥειτούς), qu'il trouvait dans un ms. de Paris. Mais Ruhnken a fait remarquer que ce mot n'est pas grec (Epist. crit., p. 207); et il faut se demander si la scolie a été faite pour expliquer ce mot qui n'est pas grec, ou si ce mot a été introduit dans le texte par quelque correcteur demi-savant, à cause de la scolie. Je crois que le mot ἐύρρειτος ; est une mauvaise correction amenée par la scolie. Wellauer dit fort bien : «Hic [Brunck] quoque suorum librorum auctoritati nimium tribuens, nam quod Schol. Thessaliae fluvios commemorat, adfidem huic lectioni faciendam nihil facit, quum saepe doctissimus Schol. multa obiter tangat, quae cum poetae textu niliil commune habent, » D'ailleurs, le très docte Scoliaste ne s'est pas mis ici en grands frais d'érudition, car il a simplement paraphrasé le passage d'Hérodote sur les fleuves de Thessalie : ayant remarqué qu'Apollonios reproduisait ce que l'historien dit des montagnes de Thessalie, il a voulu, en copiant les 325 renseignements sur les fleuves, compléter par les notes le texte du poème.

V. 1086. Prométhée.— « Hésiode, dans le premier livre des Catalogues, dit que Deucalion était fils de Prométhée et de Pandore, et Hellen, de Deucalion et de Pyrrha. Hcllanicos, dans le premier livre de la Deucalionéia, dit que Deucalion régna sur la Thessalie. Il dit aussi, dans le même ouvrage, que Deucalion éleva l'autel des douze dieux...De quelle femme Prométhée eut Deucalion, la chose est passée sous silence. Il y a un autre Deucalion dont parle Hellanicos, un troisième, fils de Minos, dont parle Phérécyde,et un quatrième, fils d'Abas, dont Aristippe fait mention dans ses Arcadiques. » Le Deucalion dont il est question ici est surtout fameux pour avoir échappé seul avec sa femme Pyrrha au fameux déluge qui fit mourir l'humanité perverse. II semble qu'en établissant le type du fils de Prométhée, les anciens aient voulu faire une antithèse entre sa piété et l'audace impie de son père. — Deucalion, fils de Minos, est mentionné par Apollodore (III, i, a). Voir, pour la légende de Prométhée, la note au vers 1248 du Chant II.

V. 1090. L'Haimonie. — « La Thessalie se nommait d'abord Haimonie, et elle eut plusieurs autres noms, car elle s'appela Pyrrhaia, de Pyrrha, femme de Deucalion; c'est ce que dit Rhianos : Les plus anciens, jadis, l'appelaient Pyrrhaia, du nom de Pyrrha, l'antique épouse de Deucalion. Puis, on l'appela Haimonie, d'Haimon, le très vaillant fils que Pélasgos engendra; et cet Haimon engendra Thessalos ; c'est de lui que les peuples donnèrent au pays le nom nouveau de Thessalie. D'autres disent que ce nom lui vint, après la guerre de Troie, de l'Héraclide Thessalos, père de Pheidippos. » (Scol.) Dans sa note au vers 604 du Chant II, le Scoliaste disait qu'Haimon était fils d'Arès : aucun témoignage ancien ne confirme cette tradition. Strabon (381, n et suiv.) rappelle les divers noms de la Thessalie. D'après Phérécyde (Historiac. Graece. Fragm., Didot, vol. Ier, p. 81), l'Héraclide Thessalos est né d'Héraclès et de Chalciopé, fille d'Eurypylos.

V. 1091. lolcos... Minyas.— Voir la note au vers i3o du Chant Ier. « L'Aiolide Minyas n'est pas fils d'Aiolos, mais des descendants d'Aiolos; car Sisyphe [fils d'Aiolos; cf. Iliade, VI, v. 164] eut pour fils Almos et Porphyrion; de Chrysogoné, fille d'Almos, et de Poséidon naquit Minyas, le fondateur d'Orchomène. » (Scol.) Aiolos est aussi l'ancêtre du roi des vents, Aiolos, dont il sera question dans le Chant IV des Argonautiques (v. 778 et suiv.). Les traditions sur l'origine de Minyas sont contradictoires : on le disait fils de Chrysès, fils lui-même de Poséidon et de Chrysogoné, fille d'Almos. Le Scoliaste de Pindare (Isthm., I, v. 79) dit que les uns, Phérécyde par exemple, font de Minyas le fils d'Orchomène, les autres d'Orchomène, le fils de Minyas; que d'autres enfin font des deux héros les fils d'Étéocle. D'ordinaire, on regarde Minyas comme un fils de Poséidon : « Poséidon était un des dieux principaux des Minyens. Minyas, le père de la race, passait pour être le fils du dieu. » (Decharme, Mythol., p. 324.)

V. 1093. L'île d'Aia. — « Aia est la métropole des Colchiens. Le poète fait mention d'une île du Phase, où, au dire de Phérécyde, la toison se trouvait. » (Scol.)— Voir la note au vers 1074.

326 V. 1111. Quelque vague rumeur (ὄσσα.). — Ce mot, dit Theil (Dictionnaire d'Homère et des Ηomérides), est rendu dans la traduction que Voss a faite de l'Odyssée par vorahnendes Gerûcht, « rumeur qui est un pressentiment ». Ce sens, semble-t-il, convient parfaitement au vers d'Apollonios.

V. 1159. Sur un escabeau très bas(ἐπὶ... σφέλαι). — Le σφέλας est un escabeau que l'on pince devant le lit pour servir de marche-pied.

V. 1178. Les dents terribles du serpent Aonien que Cadmos avait tué. — Les scolies donnent de nombreux renseignements sur cet épisode de la légende de Cadmos : « Aonien est mis pour Be'otien, car la Béotie se nomma d'abord Aonie [cf. Strabon, 344, 40; Hellanicos, cité dans les scolies au vers 494 du Chant II de l'Iliade; Pausanias, IX, 5, i, etc.]. Thèbes se nomme Ogygienne, d'Ogygos qui y régna. Corinne dit qu'Ogygos était fils de Boiotos, c'est de lui que les portes de Thèbes ont reçu leur nom [Boiotos, héros éponyme de la Bêotie, est le fils d'Itonos et de Mélanippé(Pausanias, IX, i, i), ou de Poséidon et d'Arné; les portes Ogygiennes de Thèbes sont mentionnées par Apollodore (III, 6, 6); un déluge eut lieu à Thèbes pendant le règne d'Ogygès ou Ogygos; cf. Decharme, Mythol., p. 288]. Au sujet d'Europe et de l'arrivée de Cadmos à Thèbes, Lysimaque, dans le premier livre de ses Merveilles [παραδόξων] Thébaines, a recueilli une foule de renseignements contradictoires... Lysimaque raconte, dans son Recueil de* Merveilles Thébaines, ainsi qu'Hellanicos, dans le livre I  » de sa Phoronide, que, suivant la volonté d'Arès, Cadmos sema les dents du serpent, et qu'il en naquit cinq hommes armés, Oudaios, Chthonios, Pélor, Hypérénor, Échion. Apollonios dit qu'il en naquit bien d'autres qui se combattirent mutuellement. Musée, dans le livre III de sa Titanographie, dit que Cadmos vint du temple de Delphes, suivant une vache ,qui marchait devant lui [cf. Decharme, Mythol., p. 570]. Hippias d'Élée, dans ses Noms des peuples, dit qu'il y a un peuple qu'on nomme les Spartes; Atrométos dit la même chose [Swœptof, les hommes semés, ncs de la semence des dents du dragon; voir Apollodore, III, 4, i; Decharme, Mythol., p. 670, note 2; d'après Androtion (F'ragm. Histor. Graec., vol. Ier p. 373-374), les Spartes seraient des compagnons que Cadmos aurait recueillis ça et là, σποράδην, en Phénicie]. Phérécyde dit dans son livre V : «Lorsque Cadmos se fut établi à Thèbes, Arès et Athéné lui donnèrent une moitié des dents du serpent et l'autre à Aiétès. Cadmos les sema aussitôt dans un champ labouré, sur l'ordre d'Arès, et il lui en naquit beaucoup d'hommes armés. Cadmos, effrayé, les attaqua à coups de pierre, et ceux-ci, croyant qu'ils s'étaient attaqués eux-mêmes, se saisirent mutuellement et se tuèrent à l'exception de cinq : Oudaios, Chthonios, Échion, Pélor, Hypérénor, dont Cadmos fit des citoyens de sa ville. » [Ce récit de Phérécyde est résumé par Apollodore (III, 4, i) et par le Scoliaste de Pindare (Isthm., VII, v. 13).]... Les uns disent que Cadmos était fils d'Agénor, les autres de Phoinix. Phérécyde dit, dans son livre IV : « Agénor, fils de Poséidon, épousa Damnô, fille de Bélos. D'eux naquirent Phoinix et Isaia, qu'épousa Aigyptos, et Mélia qu'épousa Danaos. Ensuite, Agénor épousa Argiopé, fille du dieu du  327 fleuve Nil, et de ce mariage naquit Cadmos. » [Pour les traditions ordinaires sur la généalogie de Cadmos, voir Decharme, Mythol. p. 569.] » (Scol.) — Voir, à propos de Cadmos et du serpent, le chœur (v. 647 et suiv.) et la prédiction de Tirésias (v. 941 et suiv.), dans les Phéniciennes d'Euripide.

V. 1192. Des Éthiopiens. — II est ici question de ce peuple mythique des Éthiopiens, qui est souvent mentionné dans les poèmes homériques. « Les Éthiopiens (brûlés par le soleil) sont, de tous les hommes, ceux qui contemplent de plus près la gloire du dieu [le soleil]; car ils habitent à la fois le pays où il se lève et celui où il se couche. » (Decharme, Mythol., p. 23g.) Plus tard, le pays des Éthiopiens fut seulement la contrée du soleil levant : Apollonios est fidèle à la tradition homérique.

V. 1193. Leurs couches sur le sol (χαμεύνας). — L'Iliade (XVI, v. 235) donne le nom de χαμαιεῦναι aux Selles, qui établissent leurs couches sur la terre.

V. 1202. Les prés tranquilles arrosés par des ruisseaux (καθαρῇσιν... εἱαμενῆσιν). — Une εἱαμενή, dit Pierron, d'après les scolies (au vers 483 du Chant IV de l'Iliade), est « un pré qui borde un marais».

V. 1206. La couche où ils avaient souvent reposé ensemble (ἁδινῆς... εὐνῆς). — Le Scoliaste explique ainsi ἁδινῆς : « Maintenant triste, déplorable à cause de l'abandon. » La résignation des adieux qu'Hypsipylé adresse à Jason (cf. Argon., I, v. 886 et suiv.) m'empêche d'admettre ce sens; la Lemnienne est plutôt reconnaissante à Jason de la longue durée de leurs relations inespérées, qu'inconsolable d'un départ qu'elle a dû prévoir dès le jour de l'arrivée des héros.

V. 1214. Elle avait une couronne de terribles serpents. — « Sophocle fait dire aussi à un chœur des Rhizotomes qu'Hécate a une couronne de serpents et de rameaux de chêne : O souverain Hélios, et toi, lumière sacrée, trait d'Hécate qui protège les carrefours, lumière qu'elle porte dans ses courses à travers l'Olympe et quand elle va fréquenter sur la terre les endroits consacrés où trois routes se rencontrent, couronnée de branches de chêne et des spirales entrelacées que forment les cruels serpents! » (Scol.)

V. 1220. Le Phase Amarantien. — « Les Amarantiens sont un peuple barbare qui demeure plus avant que les Colchiens sur le continent. C'est de leur pays que sortent les sources du Phase. On dit aussi que le Phase descend d'une montagne de Colchidc, nommée le mont Amarantien. » (Scol.) — Voir la note au vers 399 du Chant II.

V. 1226. La cuirasse toute d'une pièce (θώρακα στάδιον). — «Parce qu'elle n'était pas faite de mailles, mais qu'elle se tenait debout : de là son nom. D'autres y voient un synonyme à solide, » (Scol.) Cette cuirasse, dit le Dictionnaire d'antiquités de Rich (traduction Chéruel), était ainsi nommée parce que, lorsqu'on la retirait et qu'on la plaçait à terre toute vide, d'elle-même elle se tenait debout.

V. 1227. Le Phlégraien Mimas.— «Mimas de Phlégra, plaine de Thessalie, près de Palléné. Mimas est le nom propre du géant. » (Scol.) Voir la note au vers 105 du Chant II, sur l'autre Mimas, le Bébryce, et la note au vers 233 du Chant III sur les champs de Phlégra.

328 V. 1228. Un casque d'or, orné de quatre pointes Voir la note au vers 920 du Chant II.

V. 1231. Un bouclier recouvert de plusieurs couches de cuir (σάκος πομυρρινον). — La différence du σάκος et de l'ἀσπίς n'est pas nettement indiquée dans les poèmes homériques. Un passage de l'Iliade (d'ailleurs mis entre crochets, comme peu authentique) semblerait prouver que le σάκος est moins grand que l'ἀσπίς; (Iliad., XIV, v. 376-377). Quoi qu'il en soit, le σάκος πολύρρινον d'Aiétès rappelle le bouclier d'Ajax, ce bouclier d'airain, aussi solide qu'une tour, dont l'airain était couvert de sept peaux de bœuf superposées (Iliad., VII, v. 220).

V. 1232. Invincible (ἀμαιμάκετον).— «Ce mot paraît se rattacher à μάχομαι. Il marque certainement quelque chose d'énorme et de terrible.» (Pierron, note au vers 179 du Chant VI de l'Iliade.)

V. 1234. Qui, seul, eût été capable de lui résister, opposant la force à la force.— H. Van Herwerden (Mnemosyne, i883) juge ce vers interpolé. « Quicumque ultimum versum de suo adscripsit non assecutus est mentem poetae, qui ad Homeri exemplum fecit lasonem gestantem hastam tam gravem, ut nemo praeter Herculem eam vibrare sustinuisset. In versu spurio utrum Herculem procul an prope reliquerint nihil facit ad rem, praepositio παρέξ non habet quo referatur, nec intellegitur quid sibi velit, et contra poetae consilium dicitur solus Hercules contra pugnaturus fuisse. Quare ineptum versiculum delere non dubito. » Le sens de la préposition παρέξ- me semble très clair : il y a longtemps que les héros ont laissé Héraclès bien loin derrière eux, et, cependant, son souvenir est toujours vivant; on pense toujours à lui quand on se trouve en face de quelque combat terrible dont il serait sorti vainqueur (cf. Arg. II, v. 146). Apollonios ne dit pas le moins du monde qu'Héraclès aurait combattu contre Aiétès, ce qui n'est pas nécessaire, puisqu'il s'agit de combattre les taureaux, mais que, seul, le cas échéant, il aurait pu soutenir le choc de l'épée d'Aiétès. — Je ne vois pas pourquoi Van Herwerden considère comme apocryphe ce vers qui confirme le vers 146 du Chant II.

V. 1236. Phaéthon. — C'est-à-dire Apsyrtos. Voir la note au vers 241.

V. 1240. Tel, monté sur son char... — Apollonios a voulu faire montre de sa science mythologique, en citant tous les lieux consacrés au culte de Poséidon. Le Scoliaste donne de nombreux renseignements sur tous ces sanctuaires du dieu : « Les jeux Isthmiques furent célébrés dans l'isthme de Corinthe, d'abord en l'honneur de Poséidon, ensuite et sur l'ordre de Sisyphe, fils d'Aïolos, qui gouvernait alors le pays, en l'honneur de Mélicerte. [Apollodore (III, 4) dit aussi que Sisyphe institua des jeux Isthmiques en l'honneur de Mélicerte. M. Decharme dit, au contraire, et sans indiquer sur quels auteurs il s'appuie : « On faisait remonter jusqu'au héros Sisyphe l'institution à Corinthe du culte de Poséidon. » (Mythol., p. 320.)] Voyant le corps de Méliccrte rejeté par les flots sur le rivage de Corinthe, il lui rendit les honneurs convenables, reconnaissant que c'était son neveu, fils d'Alhamas, le fils d'Aiolos, et il institua les jeux Isthmiques où les vainqueurs, d'abord couronnes de branches de pin, le furent ensuite de persil 339 desséché. [Sisyphe est, en effet, le frère d'Athamas; cf. Hésiode, édit. Didot, Fragm.XXIII; ApolIodore (I, 7, 3).] Musée, dans ses Isthmiques, dit qu'on célébrait dans l'Isthme deux sortes de jeux, les uns en l'honneur de Mélicerte, les autres en l'honneur de Poséidon. Tainaros est un cap de Laconie; Lerne une source en Argolide, elle est consacrée à Poséidon : le grand initiateur aux mystères des sanctuaires de Lerne. En disant Onchestos Hyantien, le poète veut dire Béotien, car les Hyantes habitaient d'abord la Béotie. Onchestos est une ville consacrée à Poséidon. Homère a dit : Onchestos, la sainte, ville illustre de Poseidon [lliad., II, v. 506]. Calauréia est, dit Philostéphane, consacrée à Poséidon; elle était d'abord consacrée à Apollon, et Pythô, à Poséidon; mais les deux dieux firent un échange entre eux. Pétra Haimonienne est dite pour Pétra Thessalienne; c'est une place de Thessalie où se donnent des jeux en l'honneur de Poséidon, nommé de là Pétraien.» Après avoir parlé de l'Isthme, Apollonios passe en revue les principaux sanctuaires de Poséidon, honoré comme dieu des gigantesques masses de rochers (au cap Tainaros, en particulier; voir Decharme, Mythol., p. 324), des eaux douces qui sortent des rocs : la source de Lerne est née d'un coup du trident divin lancé contre le roc (voir la légende résumée par Decharme, Mythol., p. 326). C'est comme dieu des chevaux que Poséidon était honoré à Onchestos : < La ville d'Oncheste, sur les bords du Copaïs, ville qui n'était plus qu'une ruine du temps de Pausanias, avait été le centre principal de la religion de Poséidon en Béotie. Le dieu y avait un ἄλσος [lliad., II, v. 506 : il faut remarquer que le Scoliaste, qui cite ce vers que je viens de traduire plus haut d'après le texte qu'il donne, écrit ἄστυ et non ἄλσος), près duquel se célébraient des courses d'un genre particulier. » (Decharme, Mythol., p. 329.) On sait que c'est dans le temple de Poséidon à Calauréia, petite île de la côte de l'Argolide, que Démosthènc mourut. Le Géraistos est un cap de l'île d'Eubée; la ville qui y était construite possédait un temple de Poséidon dont Strabon fait mention (383, 34). Le surnom de Pétraios est donné à Poséidon par Pindare (Pythiques, IV, v. 26, παῖ Ποσειδᾶνος Πετραίου); d'après le Scoliaste de Pindare, ce surnom viendrait non pas de Pétra Haimonienne, mais de la pierre d'où le premier cheval, créé par le dieu, serait sorti « ὅπου ἀπὸ τῆς πέτρας ἐξεπήδησερν ὁ πρῶτος ἵππος ».

V. 1253. La pointe qui terminait le bas de la lance (οὐρίαχον). — On entend par οὐρίαχος la pointe qui, se trouvant à la partie inférieure de la lance, sert à la ficher en terre (cf. Aeneid., XII, v. 130, Defigunt telluri hastas), ou, au besoin, à remplacer, en retournant l'arme, la pointe proprement dite,  αἰχμή, si celle-ci est brisée.

V. 1259. Tel, un cheval... — Apollonios imite ici une comparaison célèbre de l'Iliade (VI, v. 506) qui montre Paris courant à la bataille avec l'impétuosité d'un cheval ardent.

V. 1274. Ceux qui se disputent le prix, soit à pied, soit en char (πεζοῖσι καὶ ἱππήεσσι). — Je prends le mot ἵππευς dans son sens homérique, c'est-à-dire désignant non un cavalier, mais un conducteur de char. Dans les descriptions de batailles, ἵππευς s'oppose souvent, comme ici, à πεζός (cf. lliad., II, v. 810; VIII, v. 5g, etc.), et ἵππευς 330 désigne aussi, dans les jeux, celui qui dispute le prix de la course des chars (cf. lliad., XXIII, v. 262).

V. 1285. Une charrue d'une seule pièce. — Voir la note au vers 232.

V. 1287. Sur la pointe inférieure (ἐπ οὐριάχῳ). — Voir, pour le sens du mot οὐρίαχος note au vers 1253.

V. 1288. Des traces certaines (νήριτα) « Des traces immenses, innombrables. » (Scol.) J'aime mieux, comme Dübner, qui traduit par certa, entendre des traces manifestes (de νη, privatif, et ἐρίζω, desquelles il n'y a pas à douter). Si ces traces étaient immenses et innombrables, Jason n'aurait pas à les chercher; au contraire, il n'en voit pas, et doit tenter une exploration pour les trouver.

V. 1294. Tel un écueil... — Cette comparaison est imitée des vers 618-621 du Chant XV de l'Iliade. — La comparaison du souffle des taureaux avec celui qui s'exhale des soufflets de cuir (v. 1299 et suiv.) vient aussi d'une description homérique (lliad., XVIII, v. 470 et suiv.). L'expression ἐνι... χοάνοισιν (v. 1299) signifie dans les creusets, et non in fornacibus, comme on lit d'ordinaire dans les traductions latines. Pierron dit, en effet, à propos de ces mots qui se trouvent au vers 470 du Chant XVIII de l'Iliade : « Ἐν χοάνοισιν, dans les creusets. La traduction in fornacibus n'est point inexacte, puisque les creusets sont dans le foyer de la forge; mais elle manque de précision. Χόανος ou χόανον, vient de χέω, fondre, et désigne ce qui contenait le métal destiné à être fondu, »

V. 1318. A la pointe de l'extrémité recourbée qui termine la charrue (κορώνη). — Le Scoliaste explique κορώνη par κρίκος, mot qui signifie l'anneau du joug placé à la cheville du timon (ἕστωρ), pour atteler les chevaux. Voir le vers 272 du Chant XXIV de l'Iliade. La κορώνη est ici l'extrémité recourbée qui termine la charrue et où s'adapte l'anneau (dont Apollonius ne parle pas) qui unit au timon la charrue proprement dite.

V. 1323. Sa perche Pélasgique (ἀκαίνη) .— «  II emploie ἄκαινα pour κέντον. L'ἄκαινα est une mesure de dix pieds, imaginée par les Thessaliens; ou un bâton de berger, invention des Pélasges, dont Callimaque a dit : Il sert à deux fins, aiguillon des bœufs et mesure agraire. » (Scol.)

V. 1335. Le coutre (λαῖον). — Au lieu du mot λαῖον, qui semble peu usité, la plupart des éditeurs adoptent βαθμόν, glose explicative du Laurentianus, et leçon d'autres mss. Le mot βαθμός (de βαίνω indique la partie inférieure de la charrue où le laboureur appuie le pied. Wellauer explique bien le sens du mot λαῖον: « Est culter aratri, cui pedem imponere aratorem oportebat, quo profundius in terram penetraret. »  Le coutre (culter aratri), semblable à la lame d'un large couteau, est placé verticalement au-devant du soc.

V. 1350. Il courba ses genoux rapides (γνάμψε δὲ γούνατ'  ἐλαφρά).— Cette expression (γνάμπω est identique à κάμπω) signifie d'ordinaire (par exemple, au vers 1174 du Chant Ier) se reposer, sens qu'elle a dans Homère (cf. la scolie au vers 118 du Chant VII de l'Iliade: γόνυ κάμπειν, ἀναπαύσεσθαι. Mais ici il est évident que Jason ne songe pas à se reposer, puisque, reprenant une célèbre comparaison homérique 331 (Iliade, XIII, v. 471-475), Apollonios le montre entrant en fureur comme un sanglier : si donc le héros a tout d'abord courbé les genoux, c'était, comme Dübner le dit fort bien, ut vim probaret.

V. 1356. De lances à deux pointes (δούρασί τ' ἀμφιγύοις). — Littéralement, le mot ἀμφίγυος signifie qui a des membres des deux côtés; on le traduit d'ordinaire par qui a deux tranchants (ce qui ne peut s'appliquer à une lance), ou par que l'on prend à deux mains (ce que ne faisaient pas les anciens qui tenaient la lance dans la main droite et le bouclier dans la gauche) : le sens précis du mot me semble fixé par ce qui a été dit de l'οὐρίαχος dans la note au vers 1253. Une lance à deux membres est celle qui possède l'αἰχμή et l'οὐρίαχος.

V. 1365. Il arracha du sol une grande pierre arrondie. — Ces vers sont imités de deux passages de l'Iliade (V, v. 302 et suiv.; XII, v. 445 et suiv.).

V. 1372. Une muette stupeur. — « Ce vers et ceux qui suivent sont empruntés d'Eumélos, qui les fait adresser par Médée à Idmon. Sophocle, dans les Colchiennes, a mis en scène le messager et Aiétès. Le roi demande : La moisson qui devait sortir de terre est-elle sortie? Et le messager répond : Certes, hérissée de cimiers aux belles aigrettes, et d'armes d'airain, la moisson est sortie du sein de sa mère. C'est ce passage qu'Apollonios a paraphrasé. » (Scol.) D'après la tradition suivie par Apollonios, Médée ne pourrait s'entretenir avec Idmon, qui est mort chez les Mariandyniens (Argon. Il, v. 815 et suiv.). On verra (note au vers 86 du Chant IV) que d'autres auteurs faisaient, comme Eumélos, jouer à Idmon un rôle assez important en Colchide.

V. 1377. Tel, du haut du ciel... — Cette comparaison est imitée de l'Iliade (IV, v. 75 et suiv.).

V. 1384. Jusqu'aux membres inférieurs (κώλων). — Les mss. et les éditions ont ὤμων, jusqu'aux épaules, ce qui ne saurait être conservé dans le texte, puisqu'il a déjà été question de géants dont la moitié du corps sortait du sol. Lehrs admet γούνων, correction proposée par Struve, en 1822; γούνων offre un sens satisfaisant, mais il semble curieux que, de ce mot, les copistes aient fait ὤμων. Merkel propose κώλων : ce mot qui indique les membres, en général, aussi bien les jambes que les bras, n'aura pas été compris par le copiste qui l'aura changé en ὤμων, mot d'un sens plus précis, mais qui ne saurait convenir dans ce vers.

V. 1393. Prenant entre leurs dents le sol raboteux et le mordant. — Je traduis ainsi, conservant comme Merkel la leçon des mss., ὀδὰξ... ὀδοῦσιν, qui semble faire double emploi. Brunck, qui trouve cette leçon absurde, inepte (perquam absurde... ineptum est, etc.), admet une conjecture d'Abresch (Dilucidationes Thucydideae, p. 647, Utrecht, 1753), ὀκλάξ, à genoux. Mais Wellauer dit fort bien de ce mot : Qui in genua cadit, non terram ore tangit. Il cite la correction ὅπλοισιν, proposée par Pierson (Veris., p. 212), mais il aime mieux admettre avec Hermann (ad Orph., p. 760) qu'ὀδοῦσιν est une explication d'ὀδάξ qui s'est glissée dans le vers à la place d'un mot du texte ἀρούρης, par exemple (ce mot a été admis par Lehrs dans son texte); on peut aussi remarquer l'emploi inusité de βῶλος; au masculin : ce mot est toujours au 332 féminin dans Apollonius (Argon., III, v. 1055, 1336; IV, v. 1736, 1756). Il est donc permis de supposer que toute cette fin de vers est altérée. Merkel montre qu'il y aurait peu d'avantage à remplacer ὀδάξ par οὖδας, et qu'il vaudrait peut-être mieux écrire ὄλοξιν (de ὄλοκες, mot rare pour αὔλακες, sillons), au lieu de ὀδοῦσιν, mot qu'il faut évidemment faire disparaître et sur lequel porte la correction, si l'on veut en essayer une. V. 1394. Sur les mains (ἐπ' ἀγοστῷ). — Hoelzltn, que les autres traducteurs latins, Shaw, Beck, Lehrs, suivent scrupuleusement, rend ἐν ἀγοστῷ par in cubitum. Mais le vers 425 du Chant XI de l'Iliade,

...ὁ δ' ἐν κονίῃσι πεσὼν ἕλε γαῖαν ἀγοστῷ

montre bien que ce mot signifie le plat de la main, et non le coude.

chant IV