ARGONAUTIQUES
CHANT I
SOMMAIRE
Invocation à Phoibos (1-4). — Causes de l'expédition ; construction du navire
(5-22). — Catalogne des Argonautes : Orphée (13-34). — Astérion (35-39). —
Polyphéraos (40-44). — Iphiclos (45-48). — Adméte (49-50). — Érytos, Échion et
Atthalidés (51-56). — Coronos (57-64). — Mopsos (65-66). — Eurydamas (67-68). —
Ménoitios (69-70). — Eurytion, Erybotès, Oileos (71-76) Canthos (77-85). —
Clytios ou Iphitos (86-89). — Télamon et Pélée (90-94). — Boutés et Phaléros
(95-100). — Absence de Thésée (101-104). — Tiphys (105-114). — Phlias (115-117).
— Talaos, Aréios, Léodocos (118-121). — Héraclès et Hylas (122-131). — Nauplios
(133-138) — Idmon (139-145). — Castor et Pollux (146-150). — Lyncée et Idas
(151-155). — Périclyménos (156-160). — Amphidamas, Céphéus et Ancaios (161-171).
— Augéiés (172-175). — Astérios et Amphion (176-178). — Euphémos (179-184). —
Erginos et Ancaios (185-189). — Méléagros, Laocoon et Iphiclos (190-201). —
Palaimonios (201-206). — Iphitos (207-210). — Zétés et Calais (211-223). —
Acastos et Argos (224-227). — Pourquoi on désigne les Argonautes sous le nom de
Minyens (228- 233). — Marche des héros vers le port. Réflexions de la foule,
émotion des femmes. Adieux d'Alcimédé et de Jason. Plaintes de la mère et
réponse du fils (234-305). — Marche de Jason vers le navire (306-316). — Arrivée
d'Acastos et d'Argos (317-330). — Discours de Jason (331-340). — Jason élu chef
(341-362). — Préparatifs de départ (363-401). — Autel et prière à Apollon
(401-424). — Sacrifice et prédiction d'Idmon (425-447). — Le festin ; insolences
d'Idas (448-495). — Chant d'Orphée (496-518). — Le départ (519-558). — Le navire
double le cap Tisée (559-579). — Voyage jusqu'à Lemnos : le promontoire Sépias.
Sciathos, Peirésies et Magnésa, le tombeau de Dolops, le fleuve Amyros, le mont
Athos (580-6o8). — Retour sur l'histoire des femmes de Lemnos; arrivée des
Argonautes à Lemnos (609-639). — Aithalidés est député à Hypsipylé ; elle réunit
les femmes au conseil (640-656). — Discours d'Hypsipylé (657-666). — Discours de
Polyxo (667-696). — Iphinoé envoyée en ambassade aux Argonautes (697-720). —
Départ de Jason pour la ville; description de son manteau (711-729). — Les
Cyclopes (730-734). — La fondation de Thébes par Amphion et Zéthos (735-741). —
Cythéréia tenant le bouclier d'Arès (742-746). — Les Téléboens et les fils
d'Electryon (747-750- — Lutte de Pélops et d'Oinomaos (752-758). -- — Apollon
châtiant Tityos (759-762). — Phrixos et le bélier (769-767). — Marche de Jason
vers la ville; son entrée au palais d'Hypsipylé (768.792). — Discours mensonger
d'Hypsipylé (793-833). — Les Argonautes, excepté Héradés et quelques héros,
s'installent dans la ville d'Hypsipylé (834-860). — Héraclès, par ses reproches,
décide les Argonautes à quitter l'île (861-874). — Douleur des femmes de Lemnos
(875-885). — Adieux de Jason et d'Hypsipylé (886-909). — Départ de Lemnos;
arrivée à Samothrace (910-921). — Navigation de Samothrace à la Propontide
(922-935). — Arrivée chez les Dolions (936-960). — Réception amicale des
Argonautes par Cyzicos (961-988). — Combat contre les géants (989-1011). —
Départ des Argonautes. La tempête les force de revenir chez les Délions. Lutte
pendant la nuit; mon de Cyzicos et honneurs qui lui sont rendus (1012-1077). —
Tempête; présage de calme interprété par Mopsos (1078-1102). — Sacrifice à Rhéa
sur le Dindymos et départ de Cyzique (1103-1152). — Après une rapide traversée
où Héraclès brise sa rame, les héros arrivent vers le soir chez les Mysiens ;
préparatifs pour la nuit (1153--1186). — Héraclès va dans les bois se faire une
rame (1187-1206). — Enlèvement d'Hylas par les Nymphes (1207-1239). — Polyphémos
annonce à Héraclès la disparition d'Hylas (1240-1260). — Héraclès, désespéré,
part a sa recherche (1261-1272). — Tiphys lève l'ancre ; une fois en mer, les
héros s'aperçoivent de l'absence d'Héraclès et de Polyphémos; reproches de
Télamon à Jason (1273-1295). — Opposition faite à Télamon par les fils de Borée
(1296-1309). — Prédiction du dieu marin Glaucos (1310-1328). — Excuses de
Télamon à Jason et réponse de l'Aisonide (1329-1344). — Renseignements donnés
par le poète sur le sort de Polyphémos et d'Héraclès (1345-1357). — Le navire
aborde au rivage des Bébryces (1358-1362).
CHANT I.
1 Ἀρχόμενος σέο, Φοῖβε, παλαιγενέων κλέα φωτῶν
5 Τοίην γὰρ Πελίης φάτιν ἔκλυεν, ὥς μιν ὀπίσσω
Νῆα μὲν οὖν οἱ πρόσθεν ἐπικλείουσιν ἀοιδοὶ |
V. 5-22. Car voici l'oracle que Pélias avait entendu : un jour, un destin terrible lui serait réservé par le fait d'un homme qu'il aurait vu sortir du milieu de la foule, chaussé d'un seul brodequin ; il serait victime des desseins de cet homme. Peu de temps après, et suivant cet oracle véridique, Jason traversait à pied le courant de l'Anauros, que les tempêtes de l'hiver avaient grossi. Il put sauver de la bourbe l'un de ses brodequins, mais l'autre resta au fond, retenu dans le sol que recouvraient les eaux débordées. Sans s'en inquiéter, il vint auprès de Pélias, pour prendre part à un festin que le roi offrait au père Poséidon et aux autres dieux; quant à Héra Pélasgienne, il ne s'en souciait pas. Dès que Pélias vit Jason, il pensa à l'oracle: alors il prépara au héros le travail d'une navigation pleine de dangers, dans l'espoir que, soit sur la mer, soit parmi les hommes étrangers, il perdrait toute chance de retour. Quant au navire, les anciens aèdes chantent qu'il fut construit par Argos, sur les conseils d'Athéné. Pour moi, je construit par Argos, sur les conseils d'Athéné. Pour moi, je vais dire la race et le nom des héros, leurs voyages sur la mer immense, toutes leurs actions dans leurs courses errantes. Que les Muses soient les inspiratrices de mon chant!
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Πρῶτά νυν Ὀρφῆος μνησώμεθα, τόν ῥά ποτ' αὐτὴ
35 Ἤλυθε δ' Ἀστερίων αὐτοσχεδόν, ὅν ῥα Κομήτης
40 Λάρισαν δ' ἐπὶ τοῖσι λιπὼν Πολύφημος ἵκανεν
45 Οὐδὲ μὲν Ἴφικλος Φυλάκῃ ἔνι δηρὸν ἔλειπτο,
Οὐδὲ Φεραῖς Ἄδμητος ἐυρρήνεσσιν ἀνάσσων
Οὐδ' Ἀλόπῃ μίμνον πολυλήιοι Ἑρμείαο
Ἤλυθε δ' ἀφνειὴν προλιπὼν Γυρτῶνα Κόρωνος
65 Ἤλυθε δ' αὖ Μόψος Τιταρήσιος, ὃν περὶ πάντων
ἠδὲ καὶ Εὐρυδάμας Κτιμένου πάις· ἄγχι δὲ λίμνης
Καὶ μὴν Ἄκτωρ υἷα Μενοίτιον ἐξ Ὀπόεντος |
V. 23-34. D'abord, nous rappellerons Orphée : autrefois, dit-on, Calliopé elle-même, unie au Thrace Oiagros, l'enfanta auprès des hauteurs de Pimpléa. On raconte qu'il charmait, au son de ses chants, les durs rochers des montagnes et les cours des fleuves. Et les chênes sauvages, qui attestent encore aujourd'hui le pouvoir de ses accents, les chênes qui poussent vigoureux le long du rivage thrace, à Zone, sont venus s'avançant à sa suite en rangs nombreux, amenés bien loin par le charme de sa phorminx, depuis les hauteurs du Piéros. Tel était Orphée, roi de la Piérie Bistonienne, quand l'Aisonide, par déférence pour les conseils de Chiron, l'accueillit comme auxiliaire secourable à ses travaux. v. 35-39. Astérion, lui, vint de son propre mouvement; Astérion que Comètes engendra auprès des eaux de l'Apidanos aux flots tournoyants. Comètes habitait Peirésies, non loin du mont Phylléios, à l'endroit où le grand Apidanos et le divin Énipeus, deux fleuves qui viennent de loin, se rejoignent et n'en forment plus qu'un. V. 40-44. Après ces deux héros, l'Eilatide Polyphémos arrivait, ayant quitté Larissa; c'est lui qui autrefois avait combattu au nombre des robustes Lapithes, lorsque les Lapithes s'étaient armés contre les Centaures. Il était jeune alors : maintenant ses membres s'appesantissaient déjà, mais son cœur restait toujours digne d'Ares, comme autrefois. v. 45-48. Et, à Phylacé, Iphiclos n'était pas resté longtemps en arrière. C'était le frère de la mère de l'Aisonide; car Aison avait épousé sa sœur, la Phylacéide Alcimédé. L'alliance de sa sœur, sa parenté avec Jason, le poussaient à s'associer à la troupe des héros. v. 49-50. Et Admète, .roi de Phères, qui abonde en beaux agneaux, ne restait pas non plus dans sa ville, au pied des hauteurs du mont Chalcodonion. V. 51-56. Ils ne restaient pas non plus à Alopé les fils d'Hermès, riches en champs de blé, Érytos et Échion, tous deux habiles en ruses. Un troisième frère vint les rejoindre à leur départ, Aithalidès; auprès du courant de l'Amphrysos, la fille de Myrmidon, la Phthienne Eupoléméia l'avait enfanté. Quant aux deux autres, ils étaient nés d'Amianéiré, la fille de Ménétos. v. 57-64. Il vint aussi, ayant quitté l'opulente Gyrtone, Coronos, fils de Caineus. Certes il était brave, mais il ne surpassait pas son père : car les aèdes chantent que Caineus, vivant encore, disparut sous les coups des Centaures; d'abord, seul, sans l'aide des autres héros, il les chassa; mais eux revinrent à la charge et se jetèrent sur lui : ils ne purent ni le faire plier, ni le tuer. Inébranlable, toujours droit, il descendit au fond de l'abîme souterrain, terriblement frappé à coups de solides sapins. V. 65-66. Il vint aussi le Titarésien Mopsos, que le fils de Létô instruisit entre tous dans la divination par le moyen des oiseaux. v. 67-68. Puis, Eurydamas, fils de Ctiménos; il habitait, près du lac Xynias, Ctiméné, ville des Dolopes. V. 69-70. Actor envoya d'Opous son fils Ménoitios, pour qu'il naviguât avec les héros.
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Εἵπετο
δ' Εὐρυτίων τε καὶ ἀλκήεις Ἐρυβώτης,
Αὐτὰρ ἀπ' Εὐβοίης
Κάνθος κίε, τόν ῥα Κάνηθος
Τῷ δ' ἄρ' ἐπὶ
Κλυτίος τε καὶ Ἴφιτος ἠγερέθοντο,
90 Τοῖσι δ' ἐπ'
Αἰακίδαι μετεκίαθον· οὐ μὲν ἅμ' ἄμφω,
95 Τοῖς δ' ἐπὶ
Κεκροπίηθεν ἀρήιος ἤλυθε Βούτης,
Θησέα δ', ὃς περὶ
πάντας Ἐρεχθεΐδας ἐκέκαστο,
105 Τῖφυς δ'
Ἁγνιάδης Σιφαέα κάλλιπε δῆμον
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V. 71-76. Eurytion et le vigoureux Érybotès venaient ensuite; ils étaient fils, l'un de Téléon, l'autre d'Iros, fils d'Actor. L'illustre Érybotès, en effet, était fils de Téléon, et Eurytion, d'Iros. Avec eux venait un troisième héros, Oileus, éminent par son courage, très habile à s'élancer par derrière sur les ennemis, au moment où ils commencent à faire plier les phalanges. V. 77-85- D'autre part, Canthos vint d'Eubée, envoyé de son plein gré par Canéthos, fils d'Abas · et cependant il ne devait pas rentrer à Cérinthos, de retour de l'expédition; car c'était le destin que lui et Mopsos, habile à la divination, périraient errants aux confins de la Libye. En effet, il n'est pas pour les hommes de malheur si lointain qu'il ne puisse les atteindre: ainsi tous les deux sont ensevelis en Libye, et de la Libye au pays des Colchiens, la distance est égale à celle que le soleil voit entre son lever et son coucher. v. 86-89. Après lui venaient ensemble Clytios et Iphitos, chefs d'Oichalié, fils du cruel Eurytos, d'Eurytos à qui le dieu qui lance au loin les traits, donna un arc; mais il ne profita pas de ce présent; car, de lui-même, il entra en lutte avec celui qui le lui avait fait. v. 90-94. Après eux vinrent les Aiacides; mais ils n'arrivaient pas ensemble et n'étaient pas parus du même endroit; car, chacun de son côté, ils étaient allés en exil loin d'Aiginé, après avoir tué leur frère Phocos, sans le vouloir. Télamon se fixa dans l'île Attique, et Pelée établit sa demeure en Phthie, bien loin de son frère. v. 95-100. Après eux, de Cécropie vint Boutés, cher à Ares, fils du courageux Téléon; puis Phaléros, habile à manier la lance. C'est Alcon, son père, qui le fit partir; et cependant il n'avait pas d'autres fils de sa vieillesse pour prendre soin de ses jours. Mais, quoique ce fût l'enfant né dans son âge avancé, le seul qu'il eût, il l'envoya, pour qu'il se distinguât parmi les héros audacieux. v. 101-104. Mais Thésée, illustre parmi tous les Érechtides, était retenu sous la terre Tainarienne par des liens terribles, lui qui avait suivi Peirithoos dans une voie commune. Il est certain que Peirithoos et lui auraient rendu bien plus facile à tous l'issue de l'expédition. v. 105-114. L'Agniade Tiphys quitta le dème Thespien de Sipha; il était habile, soit à prévoir le moment où vont se soulever les flots de la vaste mer, soit à présager les tempêtes des vents, et à diriger la navigation en se fixant sur le soleil et la Grande-Ourse. C'est la déesse Tritonide, Athéné elle-même, qui l'envoya se joindre aux héros. Il arriva alors qu'on souhaitait sa venue. [C'est elle, en effet, qui fabriqua le navire rapide et, avec elle, l'Arestoride Argos, aidé de ses conseils. Aussi fut-il supérieur à tous les navires qui jamais ont éprouvé la mer par le mouvement des rames.]
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Ἀργόθεν αὖ Ταλαὸς καὶ Ἀρήιος, υἷε Βίαντος,
Οὐδὲ μὲν οὐδὲ βίην κρατερόφρονος Ἡρακλῆος
Τῷ δ' ἐπὶ δὴ θείοιο κίεν Δαναοῖο γενέθλη,
Ἴδμων δ' ὑστάτιος μετεκίαθεν, ὅσσοι ἔναιον
Καὶ μὴν Αἰτωλὶς κρατερὸν Πολυδεύκεα Λήδη
Οἵ τ' Ἀφαρητιάδαι Λυγκεὺς καὶ ὑπέρβιος Ἴδας
Σὺν δὲ Περικλύμενος Νηλήιος ὦρτο νέεσθαι,
Καὶ μὴν Ἀμφιδάμας Κηφεύς τ' ἴσαν Ἀρκαδίηθεν,
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v. 115-117. Et Phlias, après ceux-ci, venait d'Araithyréa, où il habitait, très riche par la volonté de Dionysos son père, auprès des sources de l'Asopos. V. 118-121. D'Argos, vinrent Talaos et Aréios, fils tous deux de Bias, et le courageux Léodocos, eux qu'enfanta la Néléide Péro : à cause d'elle, l'Aïolide Mélampous dut subir de terribles épreuves dans les étables d'Iphiclos. V. 122-132. Nous n'avons pas entendu dire que la force du magnanime Héraclès ait trompé l'attente de l'Aisonide. Loin de là, dès qu'il apprit la nouvelle que les héros se rassemblaient, — il arrivait à peine d'Arcadie à Argos Lyrcéienne, ayant suivi jusqu'au bout le chemin le long duquel il portait vivant le sanglier qui paissait dans les vallées du Lampéia, auprès du vaste marais d'Érymanthos; à l'entrée de l'agora de Mycènes, il déchargea de ses fortes épaules le monstre enveloppé de liens, — et par sa propre volonté, sans l'ordre d'Eurysthée, il s'élança. Avec lui venait Hylas, son bon compagnon, encore dans la première jeunesse, porteur de ses flèches et gardien de son arc. V. 133-138. Après lui, arriva un descendant du divin Danaos, Nauplios : c'était le fils du Naubolide Clytonéos; or, Naubolos était fils de Lernos; or nous savons que Lernos était le fils du Naupliade Proitos; et jadis, la jeune Danaide Amymoné, unie à Poséidon, lui avait enfanté ce Nauplios qui l'emportait sur tous dans l'art de la navigation. V. 139-145- Idmon vint le dernier de tous ceux qui habitaient Argos; les présages donnés par les oiseaux lui avaient appris sa destinée : mais il vint, craignant que le peuple ne traitât avec mépris sa bonne renommée. Il n'était pas le vrai fils d'Abas; quoiqu'il fût compté parmi les nobles Aiolides, il avait été engendré par le fils de Létô, qui lui enseigna l'art de prédire l'avenir, d'observer les oiseaux, et de tirer des présages des entrailles brûlées des victimes. V. 146-150- Et l'Etolienne Léda envoya le courageux Pollux (01) et Castor, habile conducteur de chevaux aux pieds rapides : ils venaient de Sparte. C'est dans le palais de Tyndare qu'elle eut d'un seul enfantement ces deux fils bien-aimés; elle était pleine de confiance quand ils partirent, car ses pensées étaient dignes d'une épouse de Zeus. v. 151-155. Les Apharétiades, Lyncée et le violent Idas, partirent d'Arène; ils étaient tous les deux sûrs d'eux-mêmes, et fiers de leur grande force, et Lyncée était doué d'yeux si perçants que, si la renommée est véridique, il pouvait porter facilement ses regards même à l'intérieur de la terre. V. 156-160. En même temps, le Néléien Périclyménos se prépara à partir; c'était le plus âgé des enfants du divin Nélée qui naquirent à Pylos; Poséidon lui avait donné une force sans limites et permis de prendre, au milieu des périls de la mêlée, toute forme qu'il souhaiterait d'avoir en combattant. V. 161-171. Amphidamas et Cépheus venaient d'Arcadie; habitants de Tégée et de tout l'héritage d'Aphéidas, ils étaient fils tous deux d'Aléos. Un troisième héros suivait leur marche, Ancaios, envoyé par son père Lycourgos, frère aîné d'Amphidamas et de Cépheus. Mais lui, comme Aléos devenait déjà vieux, il était resté à la ville pour prendre soin de lui, et il avait donné à ses deux frères son fils pour compagnon. Celui-ci arriva dans une peau d'ourse du Ménale, et brandissant de sa main droite une grande hache à deux tranchants. Car toutes les armes, son grand-père Aléos les avait cachées au fond du grenier, cherchant tous les moyens de l'empêcher de partir.
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Βῆ δὲ καὶ Αὐγείης, ὃν δὴ φάτις Ἠελίοιο
Ἀστέριος δὲ καὶ Ἀμφίων Ὑπερασίου υἷες
Ταίναρον αὖτ' ἐπὶ τοῖσι λιπὼν Εὔφημος ἵκανεν,
185 Καὶ δ' ἄλλω δύο παῖδε Ποσειδάωνος ἵκοντο·
190 Οἰνεΐδης δ' ἐπὶ τοῖσιν ἀφορμηθεὶς Καλυδῶνος
Σὺν δὲ Παλαιμόνιος Λέρνου πάις Ὠλενίοιο,
Ἐκ δ' ἄρα Φωκήων κίεν Ἴφιτος Ὀρνυτίδαο
Ζήτης αὖ Κάλαΐς τε Βορήιοι υἷες ἵκοντο,
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V. 172-175. Augéiès vint aussi; la renommée le disait fils d'Hélios; glorieux de sa fortune, il commandait aux hommes de l'Elide. Un grand désir le prit de voir la terre de Colchide, et Aiétès lui-même, le roi des Colchiens. V. 176-178. Astérios et Amphion, fils d'Hypérasios, vinrent de Pellène en Achaïe, ville que le père de leur père, Pellès, avait autrefois bâtie sur les falaises sourcilleuses de l'Aigialos. v. 179.184. Après eux arrivait Euphémos, parti de Tainaros, lui le plus rapide des hommes, qu'enfanta à Poseidon Europé, fille du très vigoureux Tityos : cet homme courait même sur les flots gonflés de la mer azurée sans y baigner ses pieds agiles; il en mouillait à peine la pointe, quand il se faisait supporter par cette route liquide. V. 185-189. Deux autres fils de Poséidon vinrent aussi : l'un, Erginos, qui abandonnait la ville de l'illustre Milétos; l'autre, le très vigoureux Ancaios, qui venait de Parthénia, demeured'Héra Imbrasienne. Tous deux étaient habiles et glorieux de leur habileté, soit dans l'art de la navigation, soit dans les travaux d'Arès. V. 190-201. Après ceux-ci arriva, parti de Calydon, le fils d'Oineus, le courageux Méléagros; avec lui, Laocoon, frère d'Oineus, mais non de la même mère. Une femme esclave l'avait enfanté; il était déjà assez âgé, et Oineus l'envoyait pour diriger son fils. C'est ainsi que Méléagros, encore adolescent, pénétrait dans la magnanime compagnie des héros. Aucun d'eux, je crois, excepté Héraclès, ne se serait joint à l'expédition, supérieur à lui, si, restant dans sa patrie, il avait été encore élevé, ne fût-ce qu'une seule année, parmi les Étoliens. D'autre part, son oncle maternel l'accompagna dans le même voyage. C'était un homme habile à combattre avec la lance et aussi de pied ferme, le Thestiade Iphiclos. V. 202-206. En même temps, vint Palaimonios, fils de Lernos Olénien. Il n'était fils de Lernos que de nom; son père par le sang était Héphaistos. Aussi était-il infirme d'un pied; mais personne n'aurait osé adresser un reproche à la vigueur de son corps, car on le comptait parmi tous ces chefs qui devaient accroître la gloire de Jason. v. 207-210. Du pays des Phocéens vint Iphitos, né de Naubolos, fils d'Ornytos. Auparavant, quand Jason était allé consulter l'oracle à Pytho, au sujet de son expédition, il avait été son hôte et l'avait alors reçu dans son palais. V. 211-223. Les fils de Borée, Zélés et Calais, vinrent aussi, eux qu'autrefois l'Erechthéide Oréithyia enfanta à Borée au fond de la Thrace, ou l'hiver est rigoureux. C'est là que le Thrace Borée l'avait enlevée loin de Cécropie, alors qu'elle tournait dans un chœur de danse auprès de l'Ilissos. Il l'amena bien loin, au lieu que l'on appelle le « rocher de Sarpédon », près du cours du fleuve Erginos. C'est là qu'il la posséda, après l'avoir cachée dans des nuages sombres. Ses deux fils s'élevaient du sol en agitant au bout et de chaque côté des pieds des ailes noires — c'était grand'merveille de les voir ! — des ailes noires, où brillaient des écailles d'or. Venant du haut de la tête, entourant leurs épaules, et tombant de tous côtés sur leur cou, leur chevelure azurée flottait avec le vent.
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Οὐδὲ μὲν οὐδ' αὐτοῖο πάις μενέαινεν Ἄκαστος
Τόσσοι ἄρ' Αἰσονίδῃ συμμήστορες ἠγερέθοντο.
Αὐτὰρ ἐπεὶ δμώεσσιν ἐπαρτέα πάντ' ἐτέτυκτο,
Ὧς φάσαν ἔνθα καὶ ἔνθα κατὰ πτόλιν· αἱ δὲ γυναῖκες
260 Αἱ μὲν ἄρ' ὧς ἀγόρευον ἐπὶ προμολῇσι κιόντων.
Ὧς ἥγε στενάχουσα κινύρετο· ταὶ δὲ γυναῖκες
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V. 214-227. Le fils du puissant Pélias lui-même, Acastos, ne désirait certes pas demeurer dans le palais de son père; Argos non plus, qui avait travaillé sous les ordres de la déesse Athéné. Loin de là, ils allaient tous les deux s'adjoindre à la troupe des héros. v. 228-233. Tel était le nombre de ceux qui s'assemblèrent pour aider Jason. Les peuples voisins les désignaient tous sous le nom de Minyens, car la plupart et les meilleurs d'entre eux pouvaient se glorifier d'être du sang des filles de Minyas : Jason lui-même avait pour mère Alcimédé, fille de Clyméné, la fille de Minyas. V. 234-305. Lorsque tout eut été préparé par les esclaves, tout ce dont il faut munir l'intérieur d'un navire, quand la nécessité pousse les hommes à faire un voyage sur mer, alors ils traversèrent la ville, allant à leur vaisseau, là ou le rivage est connu sous le nom de Pagases Magnésiennes. Autour d'eux, de tous côtés, des citoyens empressés accouraient en foule. Mais ils brillaient comme des astres éclatants au milieu des nuages; et chacun se disait, en contemplant les héros en armes qui se hâtaient : « O roi Zeus, quel est le dessein de Pélias? Où lance-t-il, loin de la terre Panachéenne, une telle réunion de héros? Ils seront capables, sans doute, de dévaster avec la flamme funeste les demeures d'Aiétès, le jour même où il aura refusé de leur livrer la toison de son plein gré. Mais un long voyage est inévitable : rude est la peine pour ceux qui partent ! » Ainsi parlèrent les hommes çà et là dans la ville; et les femmes levaient les mains au ciel, demandant aux dieux, dans de nombreuses prières, de leur accorder l'accomplissement heureux du retour. Et, en pleurant, elles s'adressaient l'une à l'autre ces paroles de lamentation : — « Misérable Alcimédé, le malheur, quoique tardif, est aussi venu pour toi. Tu n'as pu mener jusqu'au bout une vie fortunée. Aison a, lui aussi, un sort bien pénible. Qu'il eût mieux valu pour lui d'être enveloppé dans des bandelettes sépulcrales et enseveli sous la terre, encore ignorant de cette mauvaise expédition! Plût au ciel que Phrixos, lui aussi, quand périt la vierge Hellé, eût été englouti avec le bélier dans les flots sombres! Mais non : ce bélier, monstre funeste, fit entendre les accents d'une voix humaine, pour causer ensuite à Alcimédé des soucis et des douleurs sans nombre! » Elles parlaient ainsi, alors qu'ils s'éloignaient pour partir. Déjà les serviteurs et les femmes servantes s'empressaient en grand nombre. La mère tenait son fils embrassé; une douleur aiguë pénétrait toutes les femmes; et, avec elles, le père, que la désastreuse vieillesse faisait rester enfoncé dans son lit, au point que la forme de son corps était seule visible, le père gémissait. Alors Jason adoucit leurs angoisses par ses exhortations et ordonna aux serviteurs de prendre ses armes de guerre; ils le faisaient, silencieux et tête basse. Comme elle avait jeté tout d'abord les bras autour du cou de son fils, ainsi la mère restau attachée à lui, pleurant abondamment : telle une jeune fille, seule avec sa nourrice aux cheveux blancs, la tient embrassée tendrement et gémit : car elle n'a plus de parents qui s'intéressent à elle; mais elle traîne une vie lourde sous la domination d'une marâtre, qui vient précisément de l'accabler d'outrages; elle gémit, mais son cœur est serré par la peine, et elle ne peut exhaler autant de sanglots qu'elle le voudrait. C'est ainsi qu'Alcimédé pleurait abondamment en tenant son fils embrassé. Et elle dit ces paroles inspirées par son angoisse : « Plût au ciel qu'en ce jour où j'ai entendu — malheureuse que je suis! — le roi Pélias prononcer l'ordre funeste, j'eusse aussitôt rendu l'âme et oublié les soucis de la vie. Car c'est toi qui m'aurais ensevelie de tes mains chéries, ô mon enfant! Seul devoir que j'eusse encore à espérer de toi : dans tout le reste, en effet, je savoure la récompense des soins que j'ai pris pour t'élever. Mais voici que, vénérable jusqu'à présent aux femmes d'Achaïe, je vais, comme une esclave, être laissée dans le palais vide, malheureuse qui me consumerai à te regretter, toi par qui j'ai eu précédemment tant de gloire et d'honneur, toi seul à cause de qui j'ai délié ma ceinture pour la première et dernière fois : car la déesse Eiléithyia m'a absolument envié les accouchements nombreux. Malheur à moi! Jamais, même en songe, je n'aurais pensé que la fuite de Phrixos dût être pour moi la cause d'un tel malheur! » C'est ainsi qu'elle se lamentait en gémissant, et les femmes servantes qui se tenaient auprès d'elle poussaient des cris : alors il s'adressa à sa mère, la consolant par des paroles douces comme du miel : « O ma mère, ne me pénètre pas ainsi d'une tristesse funeste I Certes, tu ne me défendras pas du malheur par tes larmes. Tu ne pourrais qu'ajouter une nouvelle souffrance à nos souffrances. Car les dieux distribuent des maux imprévus aux mortels. Le sort qu'ils nous envoient, quoique profondément affligée, aie la force de le supporter. Sois confiante dans notre alliance avec Athéné, dans les oracles aussi, puisque Phoibos a donné des réponses favorables, et enfin dans l'aide que les chefs me prêteront. Et maintenant, reste calme à la maison au milieu de tes servantes, de peur d'être un oiseau de mauvais augure pour le navire. Je vais m'y rendre, et mes compagnons et mes esclaves me feront escorte dans ma marche. » |
Ἠ, καὶ ὁ μὲν προτέρωσε δόμων ἐξῶρτο νέεσθαι.
Αὐτὰρ ἐπεί ῥα
πόληος ἐυδμήτους λίπ' ἀγυιάς,
Τοῖσιν δ' Αἴσονος
υἱὸς ἐυφρονέων μετέειπεν·
Ὧς φάτο· πάπτηναν
δὲ νέοι θρασὺν Ἡρακλῆα
Ἠ ῥα μέγα φρονέων,
ἐπὶ δ' ᾔνεον, ὡς ἐκέλευεν |
V. 306-316. Il dit, et se hâta de sortir de la maison. Tel, hors de son temple, que l'encens parfume, s'avance Apollon dans la divine Délos, dans Claros, dans Delphes Pythienne ou, dans la vaste Lycie, au bord des eaux du Xanthos, tel il marcha à travers la foule du peuple. Un grand cri s'éleva : tous à la fois lui adressaient leurs encouragements. Alors se précipita à sa rencontre la vieille Iphias, prêtresse d'Artémis, protectrice de la ville, et elle baisa sa main droite, mais malgré tout son désir, elle ne put lui rien dire, car la foule qui s'empressait la devança. On la laissait en arrière, écartée du chemin, comme une vieille qu'elle était, par des gens plus jeunes. Mais lui fut entraîné très loin d'elle. V. 317-330. Cependant, après être sorti des rues bien bâties de la ville, Jason parvint au rivage de Pagases : et là, il fut reçu par ses compagnons qui se tenaient nombreux auprès du navire Argo. Il s'arrêta aux abords du navire, et eux, venant à sa rencontre, s'assemblèrent. Alors on aperçut Acastos avec Argos, qui descendaient de la ville en courant; et l'étonnement fut grand, en voyant comme ils mettaient toutes leurs forces à s'empresser à l'encontre des volontés de Pélias. L'un, l'Arestoride Argos, avait les épaules couvertes d'une peau de taureau au poil noir, qui lui tombait jusqu'aux pieds; l'autre portait un double manteau magnifique, don de sa sœur Pélopéia. Jason s'abstint de leur adresser à tous deux des questions particulières, et il ordonna à tous les héros de s'asseoir pour l'assemblée. Là, sur la voile roulée et le mât encore couché, ils s'assirent tous à la file. V. 331-340. Alors le prudent fils d'Aison leur adressa ces paroles: « Tout ce dont il convient d'armer un navire, tout cela est bien en ordre et prêt pour le départ: de ce côté donc, nulle cause de retard pour l'expédition, dès que les vents auront commencé de souffler favorablement. Mais, mes amis, c'est ensemble que nous retournerons en Hellade; c'est ensemble que nous allons d'abord faire route vers le pays d'Aiétès. Aussi maintenant, sans ménagement ni réserve, choisissez le meilleur, pour qu'il soit notre chef qui s'occupe de toutes choses, qui décide de la paix ou de la guerre avec les étrangers. » V. 341-362. Il parla ainsi : les yeux des jeunes gens se tournèrent vers le courageux Héraclès assis au milieu d'eux, et tous, d'une seule voix, lui dirent de prendre le commandement; mais, restant à l'endroit où il était assis, il éleva la main droite, la tint étendue, et dit : « Que personne ne m'attribue cet honneur. Car je ne me soumettrai pas, et aussi j'empêcherai tout autre de se lever comme chef parmi nous. Que celui-là qui nous a réunis commande aussi notre troupe I » Telles furent ses paroles magnanimes, et tous approuvèrent ce que demandait Héraclès. Alors le vaillant Jason se leva, plein de joie, et parla ainsi, au milieu de l'enthousiasme de tous : « Si donc vous me confiez la charge de cet honneur, il n'y a plus rien ici qui doive désormais retarder notre départ. Tout d'abord, rendons-nous Phoibos propice par l'immolation de victimes, et préparons sur-le-champ un festin. En attendant l'arrivée de mes serviteurs qui président aux étables, eux qui ont mission de chasser devant eux, jusqu'ici, des bœufs choisis avec soin dans le troupeau, traînons le navire à la mer, et, après que tous les objets d'équipement auront été disposés, tirez au sort les rames, suivant chaque banc. Et, cependant, élevons aussi un autel sur le rivage à Apollon, qui protège les embarquements, lui qui m'a promis, dans ses prédictions, qu'il nous indiquerait par des signes certains les routes de la mer, si toutefois je commençais en lui offrant des sacrifices les travaux que j'entreprends pour le roi. « |
Ἦ ῥα, καὶ εἰς
ἔργον πρῶτος τράπεθ'. Οἱ δ' ἐπανέσταν
Αὐτὰρ ἐπεὶ τὰ
ἕκαστα περιφραδέως ἀλέγυναν,
Ἔνθεν δ' αὖ
λάιγγας ἁλὸς σχεδὸν ὀχλίζοντες |
V. 363-401. Il dit, et le premier se détourna pour se mettre à l'ouvrage; eux aussi, obéissants, ils se levèrent, et accumulèrent en masse leurs vêtements sur la plate-forme d'un rocher poli que la mer n'atteignait pas de ses vagues, mais que le flot de la tempête lavait parfois. Ils commencèrent, suivant le conseil d'Argos, par entourer solidement le navire avec un câble formé de cordes bien tordues à l'intérieur; ils le tendirent des deux côtés, afin que les pièces de la charpente restassent bien ajustées aux chevilles et pussent soutenir la violence ennemie des eaux. Aussitôt après, ils creusèrent, de la proue jusqu'à la mer, un fossé dont la largeur était suffisante pour le navire qui devait le parcourir, tiré à force de bras. Plus ils avançaient, plus ils creusaient profondément au-dessous du niveau de l'étrave; et, dans ce fossé, ils disposèrent des rouleaux polis. Sur les premiers, ils inclinèrent le navire, pour qu'il y glissât peu à peu. Des deux côtés du navire, ils retournèrent les rames de bas en haut, et, autour des chevilles qui les maintiennent, ils lièrent fortement les manches de rames qui font saillie. Puis, s'étant divisés pour se placer des deux côtés du vaisseau, chacun près d'une cheville, ils appuyèrent à la fois de leurs mains et de leurs poitrines. Cependant, Tiphys monta sur le navire, pour exhorter les jeunes gens à le tirer en avant au moment voulu. Il donna le signal en poussant un grand cri. Aussitôt ceux-ci, pesant de toute leur force, l'ébranlèrent d'une même impulsion hors de la place où il s'enfonçait dans le sol. Ils s'établirent solidement sur leurs pieds, faisant un effort pour le tirer en avant, et le navire Argo, enfant du mont Pélion, suivait facilement l'impulsion donnée. Et, des deux côtés, les jeunes gens qui le faisaient aller poussaient des acclamations; sous la quille solide, les rouleaux gémissaient, broyés par le frottement. Le poids du navire en faisait monter une noire fumée; et Argo glissa dans la mer. Alors, par un effort contraire, ils le retenaient en arrière avec des cordes pour l'empêcher de pénétrer trop avant dans les flots. Des deux côtés des chevilles ils adaptèrent les rames; et, à l'intérieur du navire, ils placèrent le mât, la voile artistement faite et les provisions de route. Après s'être acquittés avec habileté de ces soins divers, ils se partagèrent tout d'abord par le sort les places des bancs, de façon que l'équipage de chacun d'eux fût de deux hommes. Mais le banc du milieu fut réservé à Héraclès et, de préférence aux autres héros, à Ancaios, qui habitait la ville de Tégée. C'est ainsi qu'à eux seuls on abandonna les places du banc du milieu, sans tirage au sort; et, d'un commun accord, on confia à Tiphys le soin de diriger le gouvernail du navire à l'étrave solide. V. 402-424. Ensuite, ayant roulé des pierres au bord de la mer, là où elles furent amoncelées, ils élevèrent sur le rivage un autel à Apollon, un autel portant ses surnoms de Dieu des rivages,et de Dieu qui protège les embarquements; et, sans tarder, ils étendirent par-dessus de grosses branches d'olivier sec. Cependant les bouviers de l'Aisonide amenèrent deux bœufs, qu'ils poussaient devant eux. Les plus jeunes des compagnons les entraînèrent auprès de l'autel; puis ils présentèrent le bassin plein d'eau pour les ablutions, et les grains d'orge sacrée. Alors Jason commença à prier, en invoquant Apollon paternel : « Écoute, roi, toi qui habites Pagases et la ville Aisonide, qui porte le nom de notre père; toi qui m'as promis, alors que j'interrogeais ton oracle à Pytho, de m'enseigner comment accomplir et terminer avec succès ce voyage; car c'est toi qui m'as poussé à entreprendre ces travaux. — Maintenant, conduis aussi toi-même ce navire avec mes compagnons sains et saufs là où nous devons aller, et ensuite fais-le revenir en Hellade. Alors, dans un nouveau sacrifice, autant nous serons revenus d'hommes, autant sur l'autel nous placerons de taureaux, riches victimes. Et je t'enverrai des offrandes sans nombre, les unes à Pytho, les autres à Ortygie. Mais maintenant, ô Dieu qui lances au loin les traits, accueille de notre part ce sacrifice que nous t'offrons comme prix de notre voyage, le premier que nous fassions en l'honneur de ce navire. Puisse-je, avec un sort favorable, ô roi, détacher le câble suivant tes desseins. Qu'il souffle le vent propice qui nous fera aller sur la mer, heureux du beau temps! » |
425 Ἠ, καὶ ἅμ'
εὐχωλῇ προχύτας βάλε. Τὼ δ' ἐπὶ βουσὶν
Ὧς ἄρ' ἔφη· κοῦροι
δὲ θεοπροπίης ἀίοντες
Ἠ, καὶ ἐπισχόμενος
πλεῖον δέπας ἀμφοτέρῃσιν
485 Ὧς ἔφατ'· ἐκ
δ' ἐγέλασσεν ἄδήν Ἀφαρήιος Ἴδας
490 Φράζεο δ'
ὅππως χεῖρας ἐμὰς σόος ἐξαλέοιο, |
V. 425-447. Il dit, et avec sa prière, il répandit les grains d'orge sacrée. Deux de ses compagnons se ceignirent les reins et s'approchèrent des bœufs: c'étaient le robuste Ancaios et Héraclès; celui-ci frappa un des bœufs de sa massue, au milieu de la tête, au front : aussitôt, tombant comme une masse, l'animal s'abattit sur le sol. Quant à Ancaios, s'attaquant à la vaste nuque de l'autre bœuf, sa hache d'airain lui trancha les solides muscles du cou. L'animal, projeté en avant, tomba sur ses deux cornes; les compagnons se hâtèrent d'égorger les victimes et de les dépouiller de leur peau; ils les découpaient, les dépeçaient en morceaux. Ils tranchèrent pour le sacrifice les cuisses consacrées; et, quand toutes ces parties eurent été recouvertes d'une couche épaisse de graisse, on les fit brûler sur des morceaux de bois fendu. L'Aisonide versait des libations de vin pur, et Idmon était plein de joie à la vue de la flamme du sacrifice, qui brillait de tous côtés, et de la fumée qui — présage heureux — s'en élevait en tourbillons éclatants. Aussitôt, sans hésiter, il interpréta la pensée du fils de Létô : « Pour vous, la destinée divine, la nécessité est que vous reveniez ici, porteurs de la toison. Mais dans l'intervalle, à l'aller et au retour, innombrables sont les épreuves. Quant à moi, la cruelle volonté du dieu a fixé que je mourrai loin d'ici, quelque part sur le continent asiatique. C'est ce que déjà, autrefois, de funestes présages d'oiseaux m'avaient appris sur mon sort; cependant, j'ai quitté ma patrie pour monter en navire, afin de laisser, après mon départ, une bonne renommée dans ma maison. » V. 448-495. Il parla ainsi : en entendant l'oracle, les jeunes gens se réjouirent, parce que le retour leur était promis; mais la douleur les saisit à cause de la destinée d'Idmon. Au moment où le soleil dans son cours dépasse le point où il s'est arrêté, alors que déjà les rochers étendent leur ombre sur les campagnes, — car le soleil descend vers l'obscurité du soir, — alors, sur le sable, ils étendirent tous un lit épais de feuillage, le long du rivage blanc d'écume. Ils s'y couchèrent en bon ordre; et, auprès d'eux, étaient placés en abondance les aliments et le vin agréable que les échansons tiraient des vases pour le verser. Bientôt ils commencèrent à causer entre eux, avec ces nombreuses plaisanteries que des jeunes gens échangent agréablement, au milieu du festin et du vin, alors qu'on s'abstient des violences funestes. Cependant Jason, inquiet, songeait en lui-même à tous les dangers de l'expédition, semblable à un homme qui baisse la tête sous le poids de la tristesse. Idas, qui soupçonnait l'état de son âme, l'interpella à haute voix: « Aisonide, quelles sont les réflexions que tu roules dans ton esprit? Expose au milieu de nous tes pensées. Es-tu dompté par l'attaque de la terreur qui égare les hommes sans force? Elle peut le savoir, cette lance rapide, grâce à laquelle je remporte dans les guerres plus de gloire que les autres (car Zeus ne m'est certes pas d'un aussi grand secours que ma lance). Il n'y aura ni désastre déplorable, ni lutte impossible à terminer, tant qu'Idas sera là, un dieu même fût-il votre adversaire. Tel est en ma personne le protecteur que tu amènes d'Arène, » Il dit, et, tenant à deux mains une pleine coupe, il but, sans mélange d'eau, le vin agréable; et le vin arrosait ses lèvres et sa barbe noire. Ils murmurèrent tous ensemble, mais Idmon prit la parole, pour se faire entendre publiquement : « Insensé! ce que tu penses est funeste, et à toi-même tout le premier. Est-ce le vin pur qui, pour ta perte, gonfle dans ta poitrine ton cœur audacieux, et lui a fait mépriser les dieux? Il y a bien d'autres manières encourageantes de parler pour exhorter un compagnon. Ta parole, à toi, a été tout à fait odieuse. C'est de la sorte, à en croire la renommée, que jadis ils invectivaient contre les dieux, ces fils Aloïades, auxquels tu ne peux guère te prétendre égal en courage; et cependant, ils furent domptés tous deux par les flèches rapides du fils de Létô, malgré leur force puissante. » Il parla ainsi : mais Idas, fils d'Aphareus, poussa de longs éclats de rire; puis, le regardant de travers, il lui répondit par ces paroles injurieuses: «Allons, vite! Indique-moi maintenant, par tes prédictions, si les dieux doivent me préparer une fin semblable à celle que ton père a procurée aux Aloïades; mais réfléchis bien au moyen d'échapper sain et sauf à mon bras, si tu es un jour convaincu de m'avoir rendu un oracle menteur. » Il était irrité et injurieux : et la dispute aurait été plus loin, si les compagnons ne s'étaient empressés d'adresser des reproches aux querelleurs, et si l'Aisonide lui-même ne les avait arrêtés. Orphée, de son côté, ayant pris sa cithare de sa main gauche, préluda à un chant. |
Ἤειδεν δ' ὡς γαῖα
καὶ οὐρανὸς ἠδὲ θάλασσα,
Ἠ, καὶ ὁ μὲν
φόρμιγγα σὺν ἀμβροσίῃ σχέθεν αὐδῇ.
Αὐτὰρ ὅτ'
αἰγλήεσσα φαεινοῖς ὄμμασιν Ἠὼς
Σμερδαλέον δὲ
λιμὴν Παγασήιος ἠδὲ καὶ αὐτὴ
545 τεύχεα· μακραὶ
δ' αἰὲν ἐλευκαίνοντο κέλευθοι, |
v. 496-518. Il chantait comment la terre, le ciel et la mer, autrefois confondus entre eux dans une seule forme, avaient été séparés, chaque élément de son côté, et tirés de cet état funeste de lutte; comment, dans les airs, les astres, la lune, et les chemins du soleil conservent toujours fixe la place qui leur est assignée; comment les montagnes se sont élevées, comment sont nés, avec les Nymphes, les fleuves sonores, comment se sont produits tous les animaux qui vont sur la terre. Il chantait aussi comment à l'origine Ophion et l'Océanide Eurynomé régnaient ensemble sur l'Olympe neigeux ; comment, vaincu par la violence d'un bras puissant, Ophion dut céder la souveraineté à Cronos, et Eurynomé à Rhéa; comment tous les deux furent précipités dans les flots de l'Océan. Cependant, leurs vainqueurs étaient rois des Titans, dieux bienheureux. Zeus alors était un enfant, il ne savait encore dans son esprit que ce que savent les enfants. Il habitait dans l'antre du Dicté, et les Cyclopes, nés de la terre, ne l'avaient pas encore armé de la foudre, du tonnerre et de l'éclair: car ce sont là les insignes qui font la gloire de Zeus. Il dit, et arrêta à la fois son chant divin et sa phorminx. Quoiqu'il eût cessé, les compagnons insatiables avançaient toujours la tête vers lui, et, l'oreille tendue, restaient silencieux, tout à leur plaisir : si grand était le charme que les chants leur laissaient. Mais bientôt, quand les libations à Zeus eurent été préparées, suivant l'usage religieux, ils les versèrent de la manière consacrée sur les langues enflammées des victimes. Puis ils s'occupèrent de passer la nuit dans le sommeil. V. 519-558. Mais lorsque l'éclatante Èos commença à regarder de ses yeux brillants les sommets élevés du Pélion, alors que, sous l'action du vent, les calmes promontoires étaient arrosés par la mer agitée, alors Tiphys se réveilla; il ordonna aussitôt à ses compagnons de monter dans le navire et d'ajuster les rames. Tout à coup, un bruit terrible fit retentir le port de Pagases, et Argo elle-même, enfant du Pélion, qui avait hâte de prendre la mer. Car dans le navire une poutre divine avait été enfoncée, qu'Amené avait tirée d'un chêne de Dodone pour l'adapter au milieu de l'étrave. Les héros montèrent vers les bancs, l'un après l'autre, à la file, pour se mettre chacun à la place où il avait été fixé d'avance qu'ils devaient ramer; ils s'assirent en bon ordre, ayant chacun auprès de lui ses propres objets d'équipement. Au milieu s'installèrent Ancaios et le robuste Héraclès, qui plaça près de lui sa massue, et sous ses pieds la quille fut inondée par en bas. Déjà on retirait les câbles et on versait sur les flots les libations de vin pur. Mais Jason détourna en pleurant les yeux de la terre de la patrie. Quant à ses compagnons, tels des jeunes hommes qui ont institué un chœur de danse en l'honneur de Phoibos, soit à Pytho, soit à Ortygie, ou auprès des eaux de l'Isménos, se tiennent autour de l'autel et, au son de la phorminx, frappent le sol en cadence de leurs pieds rapides : tels, au son de la cithare d'Orphée, ils frappaient de leurs rames l'eau impétueuse de la mer; les vagues bruyantes grandissaient, et, des deux côtés, l'écume jaillissait de la mer sombre, qui gémissait terriblement sous les efforts puissants des robustes rameurs. Et, au soleil, tout l'armement du navire en marche brillait comme la flamme; et toujours la suite du long sillage blanchissait, comme un sentier de traverse que l'on aperçoit au milieu d'une plaine verte. Ce jour-là, du haut du ciel, toutes les divinités regardaient le navire et la force des hommes demi-dieux qui, pleins de courage, naviguaient alors sur les flots. Aux sommets de la montagne, les Nymphes du Pélion se tenaient, saisies d'étonnement à la vue de l'œuvre d'Athéné Tritonide, et des héros eux-mêmes dont les mains faisaient mouvoir les rames. Des hauteurs du mont, Chiron Phillyride descendit vers la mer : ses pieds se mouillaient dans les vagues qui se brisaient en blanchissant d'écume; sa forte main leur faisait de nombreux signes d'encouragement, et, par ses cris, il souhaita à ceux qui partaient un retour exempt de soucis. Auprès de lui, sa femme, qui portait dans ses bras Achille Péléide, le présentait à son père chéri.
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Οἱ δ' ὅτε δὴ
λιμένος περιηγέα κάλλιπον ἀκτὴν
580 Αὐτίκα δ'
ἠερίη πολυλήιος αἶα Πελασγῶν
Ἔνθεν δὲ προτέρωσε
παρεξέθεον Μελίβοιαν.
605 Τοῖσιν δ'
αὐτῆμαρ μὲν ἄεν καὶ ἐπι κνέφας οὖρος
610 νηλειῶς
δέδμητο παροιχομένῳ λυκάβαντι.
620 Οἴη δ' ἐκ
πασέων γεραροῦ περιφείσατο πατρὸς
Τῇσι δὲ βουκόλιαί
τε βοῶν χάλκειά τε δύνειν |
v. 559-579. Mais eux, une fois qu'ils furent sortis du rivage circulaire qui enferme le port, grâce à la sagesse et à l'intelligence du prudent Agniade Tiphys, qui tenait avec habileté dans ses mains le gouvernail bien poli, afin de diriger sûrement le navire, alors ils dressèrent le mât immense sur la poutre transversale où on l'assujettit, et le fixèrent à des cordes tendues des deux côtés. Puis, ils déployèrent la voile après l'avoir tirée jusqu'à la partie supérieure du mât. Le vent se lança sur elle en sifflant; les cordages étaient déjà fixés chacun à sa place, autour des vergues, par des anneaux faits en bois bien poli, quand ils dépassèrent tranquillement le long cap Tisée. Le fils d'Oiagros leur disait sur la phorminx, dans un chant harmonieux, les louanges de la gardienne des vaisseaux, fille d'un père illustre, Artémis, qui veillait sur ces hauteurs qui dominent la mer, protectrice aussi de la terre d'Iolcos. Les poissons cependant, s'élevant au-dessus de la surface de la mer profonde, les petits au milieu des monstres énormes, suivaient en bondissant les routes humides. Telle parfois, sur les traces d'un maître rustique, va une longue suite de brebis qui rentrent au bercail bien rassasiées d'herbes : le berger marche devant, en modulant harmonieusement sur sa syrinx perçante une mélodie pastorale; tels les poissons suivaient, et le vent en poupe qui frappait toujours la voile à coups pressés entraînait le navire. V. 580-608. Bientôt a disparu dans la brume la terre des Pélasges, riche en moissons; déjà leur course continue laissait en arrière les rocs détachés du Pélion; le promontoire Sépias semblait se retirer. Sciathos, que la mer entoure, apparaissait, et au loin Peirésies et Magnésa, et le tranquille rivage du continent et le tombeau de Dolops. C'est là que, sur le soir, le souffle contraire du vent les força d'aborder; et, pour honorer le héros, ils consumèrent des brebis, à la tombée de la nuit, comme sacrifice à son ombre. La mer était gonflée et excitée : ils restèrent deux jours sur ce rivage, dans l'inaction. Mais, le troisième jour, ils firent partir le navire, ayant tendu très haut l'immense voile. Cette côte s'appelle encore aujourd'hui «le lieu de départ du navire Argo». En partant de là, ils passèrent au large de Méliboia, dont ils évitèrent le rivage et la grève toujours battue par les vents. Au matin, ils côtoyèrent Homolé, en voyant de près cette ville qui se penche vers la mer; ils ne tardèrent pas longtemps à franchir l'embouchure du fleuve Amyros. Ils virent ensuite Eurymènes et les vallées humides de l'Ossa et de l'Olympe; ensuite, ils passèrent de nuit devant Pallénées, bâtie sur la pente du promontoire Canastrée; leur course était hâtée par les souffles du vent. Au matin, ils étaient assez avancés pour voir s'élever le mont Athos de Thrace. Lemnos en est éloignée de toute la distance qu'un vaisseau de transport bien équipé peut parcourir depuis le matin jusqu'à midi : et cependant l'ombre du sommet de l'Athos couvre l'île jusqu'à la ville de Myriné. Ce jour-là, ils avaient une brise, qui devait continuer de souffler toute la nuit avec une grande violence; la voile du navire était gonflée. Mais, aux premiers rayons du soleil, le vent s'apaisa, et c'est en ramant qu'ils abordèrent à la stérile Lemnos, séjour des Sintiens. V. 609-639. Dans cette île, tout le peuple des hommes, victime des fureurs des femmes, avait été misérablement mis à mort, l'année précédente. Caries hommes, pris de haine pour leurs femmes légitimes, les avaient abandonnées ; ils éprouvaient au contraire un violent amour pour des captives dont ils s'emparaient, en ravageant la Thrace, située en face de Lemnos. C'est que les Lemniennes étaient poursuivies par le terrible courroux de Cypris, parce que, depuis longtemps, elles ne l'avaient pas honorée de leurs offrandes. Oh! malheureuses, tristement insatiables dans leur haine! Ce ne fut pas assez de tuer leurs maris avec les captives dans leurs lits, mais elles détruisirent à la fois tout le sexe mâle, afin de n'avoir pas à subir de représailles pour leur crime atroce. Seule enire toutes, elle épargna son vieux père, Hypsipylé, fille de Τηοuas, qui régnait sur le peuple. Elle le mit dans un coffre creux, et le fit ainsi emporter par la mer, avec chance pour lui d'échapper à la mort. En effet, des pêcheurs le recueillirent dans l'île anciennement nommée Oinoié, mais qui, dans la suite, fut appelée Sicinos, du nom de Sicinos que la nymphe Oinoié, une des Naïades, enfanta à Thoas, dont elle partageait la couche.
Quant aux femmes
de Lemnos, s'occuper des troupeaux de bœufs, revêtir les armes d'airain,
fendre avec la charrue le sol des champs fertiles en blé, cela leur
semblait à toutes bien plus facile que les travaux d'Athéné, qui
faisaient jusque alors leur unique occupation. Cependant, elles
tournaient bien souvent les yeux vers la vaste mer, pleines d'une
terrible inquiétude : quand les Thraces viendraient-ils contre elles?
C'est pourquoi, lorsqu'elles aperçurent, auprès de l'île, Argo qui
arrivait à force de rames, aussitôt, toutes en masse, en toute hâte,
revêtues de leurs armes de guerre, elles se mirent à sortir des portes
de Myriné et à se répandre sur le rivage, semblables aux Thyades qui
mangent la chair crue : car elles pensaient que peut-être les Thraces
arrivaient. Avec elles était Hypsipylé, fille de Thoas, revêtue des
armes de son père. La foule des femmes restait muette, incapable de
prendre une décision : si grande était la crainte qui planait sur leurs
esprits. |
640 Τείως δ' αὖτ'
ἐκ νηὸς ἀριστῆες προέηκαν
Λημνιάδες δὲ
γυναῖκες ἀνὰ πτόλιν ἷζον ἰοῦσαι
« Ὠ φιλαι, εἰ δ'
ἄγε δὴ μενοεικέα δῶρα πόρωμεν
Ὧς ἄρ' ἔφη, καὶ
θῶκον ἐφίζανε πατρὸς ἑοῖο
675 « Δῶρα μέν, ὡς
αὐτῇ περ ἐφανδάνει Ὑψιπυλείῃ, |
V. 640-656. Cependant, du navire, les Argonautes envoyèrent Aithalidès, héraut rapide, auquel ils confiaient le soin des ambassades et le sceptre d'Hermès, son propre père, qui lui avait donné de toutes choses une mémoire inaltérable. Maintenant encore qu'il s'en est allé vers les terribles tournants d'eau de l'Achéron, l'oubli n'a pu pénétrer dans son âme. Or, il a été arrêté par le destin qu'une alternative éternelle le ferait tantôt compter parmi ceux qui habitent sous la terre, tantôt parmi les hommes qui vivent à la clarté du soleil. — Mais quelle nécessité de raconter la suite des récits qui ont rapport à Aithalidès? C'est lui qui, en cette circonstance, persuada, par de douces paroles, à Hypsipylé de recevoir ceux qui arrivaient : le jour tombait, ils ne passeraient que la nuit; — mais, le lendemain matin, ils ne détachèrent pas les amarres, car le vent Borée soufflait. De leur côté, les femmes de Lemnos allaient par la ville pour se réunir en séance à l'agora; car Hypsipylé elle-même les avait convoquées. Toutes étaient déjà rassemblées en masse : aussitôt, elle leur adressa ces paroles d'exhortation : V. 657-666. « O mes amies, hâtons-nous; envoyons à ces hommes des présents de nature à satisfaire leur cœur, des provisions, du vin agréable, toutes choses qu'il convient d'emporter sur un navire. De la sorte, ils resteront toujours hors de l'enceinte de nos tours; n'ayant aucun besoin de venir chez nous, ils ne sauront rien d'exact sur notre compte. Et nous éviterons que des bruits funestes ne se répandent au loin sur nous. Car nous avons accompli une action terrible qui, s'ils l'apprenaient, ne leur serait guère agréable. Telle est la pensée qui s'est présentée à nous. Si quelqu'une de vous a dans l'esprit quelque dessein meilleur, qu'elle se lève : car c'est pour cela que je vous ai rassemblées ici. » V. 667-696. Elle parla en ces termes, et s'assit sur le trône de pierre de son père. Après elle, sa chère nourrice Polyxo se leva. Elle chancelait sur ses pieds contractés par la vieillesse; elle s'appuyait sur un bâton. Cependant, elle désirait ardemment prendre la parole. Quatre jeunes filles, quatre vierges, assistaient la vieille femme, qui était couverte comme d'un duvet de cheveux blancs. Elle se leva donc au milieu de l'agora, et, dressant avec peine autant qu'elle le put son cou sur son dos voûté, elle prononça ces paroles :
« Sans doute,
envoyons des présents à ces étrangers, comme le veut Hypsipylé : c'est
en effet le meilleur parti.Mais comment pensez-vous que nous pourrons
jouir de la vie, si nous sommes attaquées par l'armée thrace ou par
quelque autre ennemi? De telles invasions sont fréquentes parmi les
hommes : aujourd'hui, par exemple, cette troupe arrive à l'improviste.
Si quelqu'un des dieux bienheureux détourne un semblable malheur, bien
d'autres vous sont réservés, pires encore que l'attaque des ennemis.
Quand les vieilles femmes seront mortes, quand vous, les plus jeunes,
vous serez arrivées sans enfants à une détestable vieillesse, comment
vivrez-vous alors, malheureuses? Croyez-vous que, dans les champs aux
sillons profonds, les bœufs iront d'eux-mêmes se mettre, pour vous, sous
le joug, et tireront à travers la jachère la charrue qui fend le sol?
Croyez-vous que, l'année révolue, ils couperont eux-mêmes vos moissons?
Quant à moi, si jusqu'à présent les Kères ont craint de me faire mourir,
je pense bien que, l'année prochaine, la terre me couvrira. On m'aura
rendu les honneurs funèbres, comme il est juste, avant que cette
calamité n'arrive. C'est aux plus jeunes que je demande de bien songer à
ces choses. Maintenant, en effet, le moyen de salut est à votre portée,
devant vous : c'est de confier à ces étrangers vos maisons, tous vos
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Ὧς ἔφατ'· ἐν δ'
ἀγορὴ πλῆτο θρόου. Εὔαδε γάρ σφιν
[1,700] « Εἰ μὲν
δὴ πάσῃσιν ἐφανδάνει ἥδε μενοινή,
Ἦ ῥα, καὶ Ἰφινόην
προσεφώνεεν ἆσσον ἐοῦσαν·
Ἠ, καὶ ἔλυσ'
ἀγορήν, μετὰ δ' εἰς ἑὸν ὦρτο νέεσθαι.
Ὧς ἄρ' ἔφη·
πάντεσσι δ' ἐναίσιμος ἥνδανε μῦθος.
Αὐτὰρ ὅγ' ἀμφ'
ὤμοισι θεᾶς Τριτωνίδος ἔργον,
730 Ἐν μὲν ἔσαν
Κύκλωπες ἐπ' ἀφθίτῳ ἥμενοι ἔργῳ,
735 Ἐν δ' ἔσαν
Ἀντιόπης Ἀσωπίδος υἱέε δοιώ,
Ἑξείης δ' ἤσκητο
βαθυπλόκαμος Κυθέρεια
Ἐν δὲ βοῶν ἔσκεν
λάσιος νομός· ἀμφὶ δὲ βουσὶν
Ἐν δὲ δύω δίφροι
πεπονήατο δηριόωντες.
Ἐν καὶ Ἀπόλλων
Φοῖβος ὀιστεύων ἐτέτυκτο,
Ἐν καὶ Φρίξος ἔην
Μινυήιος ὡς ἐτεόν περ |
V. 697-720. Elle parla ainsi, et un tumulte approbateur emplit l'agora ; car ce discours leur plaisait. Aussitôt après Polyxo, Hypsipylé se leva de nouveau, et, prenant à son tour la parole, elle dit : « Si ce projet vous plaît à toutes, je vais envoyer sur-le-champ une messagère au navire. » Elle dit, et s'adressa à Iphinoé, placée à ses côtés : « Fais-moi le plaisir de te lever, Iphinoé; va demander de venir chez nous à cet homme, quel qu'il soit, qui commande l'expédition : j'ai à lui communiquer une résolution de mon peuple qui lui plaira. Quant à ses compagnons, invite-les, s'ils le veulent, à entrer sur notre terre et dans notre ville, sans rien craindre et avec des sentiments de paix. » Elle dit, et renvoya l'assemblée; puis elle se leva pour rentrer chez elle. De son côté, Iphinoé alla vers les Minyens. Ils lui demandèrent dans quelle pensée elle venait vers eux; aussitôt, elle leur adressa la parole, et son discours répondait à la fois à toutes leurs interrogations : « C'est la fille de Thoas, Hypsipylé, qui m'a envoyée ici pour appeler le chef du navire, quel qu'il soit. Elle doit lui communiquer une résolution de son peuple qui lui plaira. Quant à vous, elle vous invite, si vous le voulez, à entrer tout de suite sur notre terre et dans notre ville, avec des sentiments de paix. » Elle parla ainsi, et ce discours honnête leur plut à tous. Ils supposèrent que Thoas était mort, et qu'Hypsipylé, sa fille unique, régnait à sa place. Ils envoyèrent aussitôt Jason, et firent eux-mêmes leurs préparatifs de départ. V. 711-719. Le héros agrafa autour de ses épaules un manteau doublé, couleur de pourpre, ouvrage de la déesse Tritonide Pallas, qu'elle-même lui avait donné alors que, commençant la construction du navire Argo, elle disposait les premiers étais destinés à le soutenir et enseignait à régler les dimensions des traverses. Il aurait été plus facile de fixer les yeux sur le soleil à son lever que de supporter l'éclat de ce manteau. Le fond en était rouge, et les bords couleur de pourpre pure. A chaque extrémité, des sujets variés, en grand nombre, étaient tissés avec un art extrême. v. 730-734. C'étaient d'abord les Cyclopes, courbés sur leur ouvrage éternel, forgeant la foudre pour le roi Zeus. Ils étaient déjà si avancés dans sa fabrication, la foudre était si brillante déjà, qu'il n'y manquait plus qu'un seul rayon; et ce rayon s'étendait sous les marteaux de fer, étincelante émanation du feu vigoureux. V. 735-741. Puis, les deux fils de l'Asopide Antiopé, Amphion et Zéthos : auprès d'eux était une ville, encore sans tours, Thèbes, dont il venaient de jeter avec ardeur les fondements. Zéthos portait sur ses épaules le sommet d'une montagne escarpée; il semblait peiner sous le fardeau. Auprès de lui, Amphion, chantant sur sa phorminx d'or, marchait, et un rocher, deux fois aussi grand que celui de Zéthos, suivait ses pas. v. 742-746. Plus loin était tracée la déesse aux tresses épaisses et longues, Cythéréia, tenant le bouclier commode à manier d.'Arès. Depuis l'épaule jusqu'au coude gauche, sa tunique était entr'ouverte au-dessous du sein : en face d'elle, son image apparaissait, visible dans le bouclier d'airain. V. 747-751. Puis, c'était un gras pâturage de bœufs; auprès des bœufs, les Téléboens combattaient avec les fils d'Électryon ; ceux-ci se défendaient : les autres, les brigands de Taphos, voulaient les dépouiller. La prairie, couverte de rosée, se teignait du sang des combattants; mais la quantité des voleurs l'emportait par la force sur les bergers moins nombreux. V. 752-758. Ensuite était tracé le combat de deux chars. Celui qui courait le premier était conduit par Pélops, qui agitait les rênes; avec lui, sur le char, Hippodaméia était sa compagne. Le suivant à la course, Myrtilos poussait ses chevaux; à son côté, Oinomaos, ayant saisi sa lance en main, la tendait en avant. Mais l'essieu fléchit d'un côté et se brise dans le moyeu. Oinomaos tombe, au moment où il s'efforce de transpercer Pélops par derrière. V. 759-762. Phoibos Apollon était aussi représenté, robuste enfant, quoique encore dans un âge tendre, lançant des flèches sur un insolent qui tirait sa mère par son voile, le grand Tityos, que la divine Élaré avait enfanté, mais que Gaia avait nourri et mis au monde de nouveau. V. 763.767. Phrixos le Minyen y était aussi. Il semblait écouter réellement le bélier, et celui-ci avait l'air de parler. A leur vue, on demeure stupéfait; l'esprit est le jouet d'une illusion. On s'attend à leur entendre prononcer de sages paroles, et, dans cet espoir, on les contemple longuement.
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