Plotin, Ennéades, traduit par Bouillet

PLOTIN

 

NOTES SUPPLÉMENTAIRES DES TOMES I ET II.

Tome troizième

Traduction française : M.-N. BOUILLET.

Ennéade VI, livre IX - PORPHYRE

 

 

 

 

 

NOTES SUPPLÉMENTAIRES DES TOMES I ET II.

VIE DE PLOTIN.

Dans la Vie de Plotin, Porphyre dit des livres de ce philosophe (t. I, p. 8): «Les uns ont été composés dans la jeunesse de l'auteur.» Cette assertion semble contredire ce qui a été dit un peu plus haut (p. 5) : « II commença à écrire la lre année du règne de Gallien. » Plotin avait alors près de cinquante ans. Pour concilier ces deux assertions, on peut supposer que les mots de Porphyre : τὰ μὲν κατὰ πρώτην ἡλικίαν, se rapportent, non à l'âge réel de Plotin, mais à l'inexpérience de l'auteur, qui ne commença que fort tard à écrire. C'est l'explication qu'adopté Creuzer dans ses notes sur la Vie de Plotin, t. I, p. xcvi.

Dans la notice d'Eunape sur Plotin (t. I, p. 316), nous avons traduit, d'après H. Boissonade : « La multitude, bien qu'incapable de comprendre parfaitement sa doctrine, y conforme cependant sa doctrine. » M. Cousin, dans ses Fragments de philosophie ancienne (article sur Eunape), propose, d'après Wyltenbach, un sens qui nous parait préférable : « La multitude lui accorde cependant son attention. »

ENNËADE 1.

LIVRE i. Qu'est-ce que l'Animal? Qu'est-ce gué l'Homme?

Aux auteurs qui oui cité ce livre ( Voy. t.1, p. 387) il faut ajouter Simplicius (Comm. du Traité d'Aristote sur l'Ame, III, fol. 73, a): « L'erreur consiste à toucher un objet dans une de ses parties, de manière à en affirmer quelque chose, et à ne point le toucher dans une autre partie, de manière à se tromper sous ce rapport. Or la puissance indivisible de l'âme n'est pas susceptible de toucher un objet dans une de ses parties, par cela même qu'elle est indivisible ; elle connaît l'objet tout entier (s'il est permis de se servir du mot tout entier en parlant des objets indivisibles), ou bien elle ne le connaît pas du tout. C'est pourquoi, comme nous l'avons déjà mentionné, Plolin dit à ce sujet: L'intelligence a touché l'objet ou ne l'a pas touché; elle n'est donc pas coupable d'erreur (Enn. I, liv. i, § 9 ; t.1, p. 46, ligne 8). » II résulte de 614 cette citation que Simplicius a lu dans ce passage : ὁ νοῦς ἐψήψατο ἢ οὐκ φὴψατο· ὥστε ἀναμάρτητος. Le texte de Creuzer porte une ponctuation différente : ὁ δὲ ναῦς ἢ ἐφήψατο ; ἢ οὐ, ὥστε ἀναμάρτητος  Cette ponctuation a été admise par Ficin, qui traduit: « Intellectus vero an attigit? Portasse non: quapropter innocens remanet. » Si l'on adopte la leçon de Simplicius, il faut modifier ainsi la traduction que nous avons donnée de ce passage: Dans ce cas, l'intelligence a touché l'objet ou ne l'a pas touché ; elle n'est donc pas coupable d'erreur. Il faut donc dire que nous avons perçu ou que nous n'avons pas perçu l'objet qui est soit dans l'intelligence, soit en nous-mêmes (car on peut posséder une chose et ne pas l'avoir actuellement présente). »

Ce que Plotin dit dans ce même livre (§ 3, p. 39) sur la séparation de l'âme d'avec le corps par la philosophie est assez bien résumé dans ce passage de Jamblique :

« La purification consiste à séparer le plus possible l'âme d'avec le corps, à détacher l'âme du corps pour qu'elle se tourne vers elle-même et qu'elle habite en elle-même, que dans le présent et à l'avenir elle vive seule par elle-même, affranchie des liens du corps. C'est là ce qui s'appelle mort, affranchissement et séparation de l'âme d'avec le corps. Seuls, les philosophes s'étudient convenablement à affranchir l'âme, et l'étude même à laquelle ils se livrent dans ce but amène l'affranchissement et la séparation de l'âme d'avec le corps. Nous devons donc nous appliquer à la philosophie qui nous procure le plus grand bien en délivrant notre âme des liens par lesquels elle a été enchaînée dans la génération. » (Exhortation à la philosophie, ch. XIII, p. 188.)

LIVRE III. De la Dialectique.

Jean Philopon, expliquant comment on élève l'âme de l'exercice des sens et de l'imagination à celui de l'intelligence, cite en ces termes le § 3 de ce livre :

« On appliquera les jeunes gens aux Mathématiques, dit Plotin, pour les accoutumera penser aux choses incorporelles. » (Commentaire sur le Traité de l'Ame par Aristote, fol. 7-8.)

LIVRE IV. Du Bonheur.

Proclus avait composé des Commentaires sur Plotin, que nous avons déjà cités (t. II, p. 32-33). David l'Arménien nous en a conservé un fragment, qui se rapporte à ce livre (Commentaire sur les cinq voix de Porphyre, Manuscrits de la Bibliothèque impériale de Paris, n° 1939, fol. 32). Voici ce fragment :

615 « Quatrième argument de Proclus qui a commenté Plotin :

» On demandait au philosophe Plotin si l'homme vertueux ne doit pas être regardé comme malheureux dans le cas où il subit les infortunes de Priam (1), où il voit autour de lui les maux de la prise de Troie, où son cadavre gitsur la terre sans sépulture (2). Il se contenta de répondre; Ce serait là de la petitesse d'esprit (3); c'est-à-dire, le corps et tout ce qui s'y rapporte sont des choses sans valeur parce qu'elles ne contribuent en rien à la vertu, qui est propre à l'âme  (4).»

Les morceaux d'Olympiodore que nous donnons ci-après sur l'Immortalité de l'âme (p. 633-637) paraissent se rapporter à ees mêmes Commentaires de Proclus.

ENNËADE II.

LIVRE vi. De l'Essence et de la Qualité,

Dans son Commentaire du Philèbe (éd. Finckh, p. 117), Olympiodore cile ce livre en ces termes : « Toutes choses, comme le dit Plotin (§ 1, t. 1, p. 236), sont pour certains êtres des compléments de l'essence, et pour d'autres, des accidents. »

ENNËADE III.

LIVRE iv. Du Démon qui est propre à chacun de nous.

La théorie exposée par Plolin dans ce livre est résumée dans ce passage de Jamblique ;

« L'homme privé de la sensation et de l'intelligence devient srmblable à une plante. S'il est privé seulement de l'intelligence, il devient semblable à une brute (5). Affranchi de la nature irraisonnable [de la sensibilité] et demeurant dans l'Intelligence, il devient semblable à Dieu (6). Il faut donc nous affranchir autant que possible des passionsde la nature irraisonnable, nous servir des opérations pures de l'intelligence, opérations qui se rapportent à elle-même et à Dieu, enfin concentrer notre vie dans les conceptions de l'intelligence en attachant sur elle notre attention et notre amour. » (Exhortation à la Philosophie, ch. vi, p. 96.)

Le § 2 de ce livre est cité par Jean Philopon.

« Quand nous exerçons les facultés végétatives, nous vivons comme îles plantes. Quand nous suivons notre colère on notre concnpiscence, nous agissons comme des animaux privés de raison Mais quand 616 nous faisons usage de noire raison, nous produisons les opérations qui sont propres à l'homme. C'est pourquoi Plotin a dit d'une manière vraiment divine : Ceux qui poussent l'égarement jusqu'à n'exercer que leur puissance végétative travaillent à devenir des arbres.» (Commentaire sur le Traité de l'Ame parAristote, fol. 7-8.)

Leibnitz, dont les écrits nous ont déjà fourni matière à de curieux rapprochements, cite ce livre de Plotin en ces termes :

« Toute âme, comme l'observe très-bien Plotin, contient en soi un monde intelligible (7).» (Ep. ad Hanschium, éd.Erdmann, p.445.)

Cette citation parait avoir été tirée directement des Ennéades, que Leibnitz avait lues, autant qu'on en peut juger par les ligues suivantes :

« Étant enfant, j'appris Aristote, et même les Scolastiques ne me rebutèrent point; et je n'en suis pas fâché présentement. Hais Platon aussi, dès lors, avec Plotin, me donnèrent quelque contentement. » (Lettre à Montmort, éd. Dutens, t. V, p. 8.)

« La philosophie platonicienne mériterait assurément qu'on en fit un corps de doctrine : car elle parait excellente à beaucoup d'égards. Tout récemment, en France, Dacier a traduit en français et commenté quelques ouvrages de Platon. Il y faudrait joindre Plotin, et aussi Proclus. L'un et l'autre, en effet, ont pris à tâche d'expliquer Platon. » (Epistola ad Hanschium, éd. Dutens, t. V, p. 172.)

Leibnitz connaissait aussi des écrits de Proclus :

« A propos de la philosophie des anciens que M. Wolflus est si capable d'éclaircir, je vous dirai que j'ai la traduction latine d'un ouvrage de Proclus dont on n'a point le grec. Le livre est Sur la liberté, la contingence et l'origine du mal. C'est justement l'objet de ma Théodicée. L'auteur de cette version est un certain Gulielmus de Morbeka, archevêque de Corinthe... Le même Horbeka a traduit aussi les Éléments théologiques de Proclus, faits à l'imitation des démonstrations des mathématiciens ; mais je crois qu'on en a le grec. » (Lettre à La Croze, éd. Dutens, t. V, p. 501.(8))

ENNËADE IV.

LIVRE iii. Questions sur l'âme, i.

Théodoret cite Plotin au sujet de la métempsycose :

« Pythagore, Platon et Plotin, ainsi que leurs disciples, recon- 617 naissant que les âmes sont immortelles, ont dit qu'elles existent avant cette vie, que celles qui pèchent sont envoyées dans des corps pour revenir dans leur demeure propre, après s'être purifiées par cette épreuve. » (Epitome divinorum decretorum, de Homine) Cette citation se rapporte au § 12, t. II, p. 289-292.

LIVRE iv. Questions sur l'âme, ii.

Ce livre est cité par Hermias: « Plotin accorde aux dieux célestes [outre la sensibilité] le désir.» (Commentaire sur le Phèdre, p. 95, dans l'édition du Phèdre donnée par Ast.)

Cette citation se rapporte au § 8, t. II, p. 341-343.

LIVRE viii. De la Descente de l'âme dans le corps.

Ce livre a été cité par Hermias: « II n'est pas vrai qu'une partie » de l'âme descende, tandis qu'une autre partie reste là-haut, comme » le dit Plotin. > (Commentaire sur Phèdre, p. 147.)

Cette citation se rapporte au § 8, t. II, p. 492. Elle n'est que le résumé du jugement que Proclus porte sur ce principe de la Psychologie de Plotin :

« L'âme a pour essence de se mouvoir elle-même, mais, par son commerce avec le corps, elle a participé au mouvement par autrui. De même qu'elle donne au corps une dernière image du mouvement par soi-même, de même par son rapport avec le corps elle reçoit comme une empreinte du mouvement par autrui. Par sa puissance de se mouvoir elle-même, l'âme est féconde, inventrice, tire d'elle-même des raisonnements et des sciences. Mais, par suite de l'empreinte qu'elle a reçue du mouvement par autrui, elle a besoin d'excitations étrangères. Il en résulte que les âmes plus parfaites trouvent plus de choses par elles-mêmes, et que les âmes moins parfaites réclament davantage les secours du dehors. Les unes, en effet, se meuvent plus par elles-mêmes et participent moins à la nature inférieure ; les autres se meuvent moins par ellesmêmes et partagent plus les passions du corps ; mais, quand elles font des progrès dans la perfection, qu'elles s'élèvent au-dessus du corps et séparent leurs facultés de la matière, elles deviennent également fécondes et elles découvrent alors les choses par rapport auxquelles elles étaient auparavant stériles et inhabiles, par suite de l'inertie qui leur venait de la matière, de l'affaiblissement de leur vie, et de la torpeur où les avait plongées la génération.

618 » Assignant ainsi une condition moyenne à l'âme raisonnable, nous expliquons les causes en vertu desquelles elle se trouve dans un état plus ou moins parfait, et nous montrons quelle route elle doit suivre pour arriver à sa perfection. Tpus ceux qui assignent à l'âme raisonnable une condition inférieure ou supérieure s'écartent de la vérité. Nous n'acceptons pas, en effet, l'opinion selon laquelle l'âme, arrivant dans un corps humide, et s'y trouvant entravée, est d'abord dépourvue d'intelligence, puis, l'humidité s'exhalant par suite d'une chaleur naturelle et se tempérant peu à peu, elle recouvre l'usage de la raison (9) : ce mode de perfectionnement est corporel et matériel, et fait dépendre la perfection de l'âme du tempérament du corps; or, antérieurement aux éléments et avant toute génération, l'âme possède déjà l'existence substantielle et jouit d'une vie sans mélange avec le corps et avec la nature.

» Nous n'acceptons pas uon plus l'opinion d'après laquelle l'âme est une partie de l'essence divine, une partie semblable au tout, toujours parfaite comme lui, tandis que c'est le principe animal qui est troublé par les passions (10): c'est supposer que l'âme est toujours parfaite, qu'elle possède toujours la science, qu'elle n'a jamais besoin de la réminiscence, qu'elle est toujours impassible et qu'elle pe se pervertit jamais. Or Platon, dans le Timée, déclare que nos âmes n'ont pas été formées des premiers genres, comme les âmes supérieures aux nôtres, mais des deuxièmes et troisièmes. Et Socrate, dans le Phèdre, dit que nos facultés ont été mélangées de bien et de mal, qu'elles sont eu lutte les unes contre les autres, que les meilleures et les pires triomphent tour à tour. N'ajoute-t-il pas que le cocher lui-même conduit mal quelquefois et qu'il en résulte que plusieurs âmes deviennent boiteuses, que plusieurs perdent leurs ailes? Or, qu'y-a-t-ilde supérieur en nous à la puissance du cocher? C'est elle qui a la réminiscence des choses divines, qui a pour ministres les facultés du second ordre et du troisième, comme cela est clairement exposé dans le Phèdre. Il faut donc, ainsi qu<i nous l'avons dit plus haut, assigner à l'âme une condition moyenne et indiquer les voies qu'elle doit suivre pour se perfectionner, au lieu de la faire venir des corps [comme Porphyre] ou de la faire descendre du rang des dieux [comme Plolin].» (Commentaire du 1er Alcibiade, traduit d'après l'édition de M. Cousin, t. III, p. 77-80 )

 

(1) Voy. Plotin, Enn. I, liv. iv, § 5; t. I, p. 77.

(2Ibid., § 7,  p 80-81

(3Ibid., § 7, p. 81.

(4Ibid., § 13, p. 88.

(5) .Voy. Enn. III, liv iv, § 2, p. 90-91.

(6) Ibid., § 6, p.97-98.

(7) Voy. Plotin, t. II, p. 94-95: « Nous sommes en quelque sorte le monde intelligible, etc> »

(8)  Voy. La Philosophie de Leibnitz, par M. Nourrisson, p. 333.

(9) Il s'agit Ici de Porphyre. Voy. ses Principes de la théorie des intelligibles dans notre tome I, p. LXV-LXVI.

(10) Cette critique s'adresse à Plotin. Voy. Enn. I, liv. i, § 1 ; t. I p. 49.