ENNÉADE V, LIVRE I - ENNÉADE V, LIVRE III
DE LA GÉNÉRATION ET DE L'ORDRE DES CHOSES QUI SONT APRÈS LE PREMIER.[1]
I... Τὸ ἓν πάντα καὶ οὐδὲ ἕν· ἀρχὴ γὰρ πάντων, οὐ πάντα, ἀλλ´ ἐκείνως πάντα· ἐκεῖ γὰρ οἷον ἐνέδραμε· μᾶλλον δὲ οὔπω ἐστίν, ἀλλ´ ἔσται. Πῶς οὖν ἐξ ἁπλοῦ ἑνὸς οὐδεμιᾶς ἐν ταὐτῷ φαινομένης ποικιλίας, οὐ διπλόης οὔτινος ὁτουοῦν; Ἢ ὅτι οὐδὲν ἦν ἐν αὐτῷ, διὰ τοῦτο ἐξ αὐτοῦ πάντα, καὶ ἵνα τὸ ὂν ᾖ, διὰ τοῦτο αὐτὸς οὐκ ὄν, γεννητὴς δὲ αὐτοῦ· καὶ πρώτη οἷον γέννησις αὕτη· ὂν γὰρ τέλειον τῷ μηδὲν ζητεῖν μηδὲ ἔχειν μηδὲ δεῖσθαι οἷον ὑπερερρύη καὶ τὸ ὑπερπλῆρες αὐτοῦ πεποίηκεν ἄλλο· τὸ δὲ γενόμενον εἰς αὐτὸ ἐπεστράφη καὶ ἐπληρώθη καὶ ἐγένετο πρὸς αὐτὸ βλέπον καὶ νοῦς οὗτος. Καὶ ἡ μὲν πρὸς ἐκεῖνο στάσις αὐτοῦ τὸ ὂν ἐποίησεν, ἡ δὲ πρὸς αὐτὸ θέα τὸν νοῦν. Ἐπεὶ οὖν ἔστη πρὸς αὐτό, ἵνα ἴδῃ, ὁμοῦ νοῦς γίγνεται καὶ ὄν. Οὗτος οὖν ὢν οἷον ἐκεῖνος τὰ ὅμοια ποιεῖ δύναμιν προχέας πολλήν — εἶδος δὲ καὶ τοῦτο αὐτοῦ —ὥσπερ αὖ τὸ αὐτοῦ πρότερον προέχεε· καὶ αὕτη ἐκ τῆς οὐσίας ἐνέργεια ψυχῆς τοῦτο μένοντος ἐκείνου γενομένη· καὶ γὰρ ὁ νοῦς μένοντος τοῦ πρὸ αὐτοῦ ἐγένετο. Ἡ δὲ οὐ μένουσα ποιεῖ, ἀλλὰ κινηθεῖσα ἐγέννα εἴδωλον. Ἐκεῖ μὲν οὖν βλέπουσα, ὅθεν ἐγένετο, πληροῦται, προελθοῦσα δὲ εἰς κίνησιν ἄλλην καὶ ἐναντίαν γεννᾷ εἴδωλον αὐτῆς αἴσθησιν καὶ φύσιν τὴν ἐν τοῖς φυτοῖς. Οὐδὲν δὲ τοῦ πρὸ αὐτοῦ ἀπήρτηται οὐδ´ ἀποτέτμηται· διὸ καὶ δοκεῖ καὶ ἡ ἄνω ψυχὴ μέχρι φυτῶν φθάνειν· τρόπον γάρ τινα φθάνει, ὅτι αὐτῆς τὸ ἐν φυτοῖς· οὐ μὴν πᾶσα ἐν φυτοῖς, ἀλλὰ γιγνομένη ἐν φυτοῖς οὕτως ἐστίν, ὅτι ἐπὶ τοσοῦτον προέβη εἰς τὸ κάτω ὑπόστασιν ἄλλην ποιησαμένη τῇ προόδῳ καὶ προθυμίᾳ τοῦ χείρονος· ἐπεὶ καὶ τὸ πρὸ τούτου τὸ νοῦ ἐξηρτημένον μένειν τὸν νοῦν ἐφ´ ἑαυτοῦ ἐᾷ. II. Πρόεισιν οὖν ἀπ´ ἀρχῆς εἰς ἔσχατον καταλειπομένου ἀεὶ ἑκάστου ἐν τῇ οἰκείᾳ ἕδρᾳ, τοῦ δὲ γεννωμένου ἄλλην τάξιν λαμβάνοντος τὴν χείρονα· ἕκαστον μέντοι ταὐτὸν γίνεται ᾧ ἂν ἐπίσπηται, ἕως ἂν ἐφέπηται. Ὅταν οὖν ψυχὴ ἐν φυτῷ γίνηται, ἄλλο ἐστὶν οἷον μέρος τὸ ἐν φυτῷ τὸ τολμηρότατον καὶ ἀφρονέστατον καὶ προεληλυθὸς μέχρι τοσούτου· ὅταν δ´ ἐν ἀλόγῳ, ἡ τοῦ αἰσθάνεσθαι δύναμις κρατήσασα ἤγαγεν· ὅταν δὲ εἰς ἄνθρωπον, ἢ ὅλως ἐν λογικῷ ἡ κίνησις, ἢ ἀπὸ νοῦ ὡς νοῦν οἰκεῖον ἐχούσης καὶ παρ´ αὐτῆς βούλησιν τοῦ νοεῖν ἢ ὅλως κινεῖσθαι. Πάλιν δὴ ἀναστρέφωμεν· ὅταν φυτοῦ ἢ τὰ παραφυόμενα ἢ κλάδων τὰ ἄνω τις τέμῃ, ἡ ἐν τούτῳ ψυχὴ ποῦ ἀπελήλυθεν; Ἢ ὅθεν· οὐ γὰρ ἀποστᾶσα τόπῳ· ἐν οὖν τῇ ἀρχῇ. Εἰ δὲ τὴν ῥίζαν διακόψειας ἢ καύσειας, ποῦ τὸ ἐν τῇ ῥίζῃ; Ἐν ψυχῇ οὐκ εἰς ἄλλον τόπον ἐλθοῦσα· ἀλλὰ κἂν ἐν τῷ αὐτῷ ᾖ, ἀλλ´ ἐν ἄλλῳ, εἰ ἀναδράμοι· εἰ δὲ μή, ἐν ἄλλῃ φυτικῇ, οὐ γὰρ στενοχωρεῖται· εἰ δ´ ἀναδράμοι, ἐν τῇ πρὸ αὐτῆς δυνάμει. Ἀλλ´ ἐκείνη ποῦ; Ἐν τῇ πρὸ αὐτῆς· ἡ δὲ μέχρι νοῦ, οὐ τόπῳ· οὐδὲν γὰρ ἐν τόπῳ ἦν· ὁ δὲ νοῦς πολὺ μᾶλλον οὐκ ἐν τόπῳ, ὥστε οὐδὲ αὕτη. Οὐδαμοῦ οὖν οὖσα, ἀλλ´ ἐν τῷ ὃ μηδαμοῦ, καὶ πανταχοῦ οὕτως ἐστίν. Εἰ δὲ προελθοῦσα εἰς τὸ ἄνω σταίη ἐν τῷ μεταξὺ πρὶν πάντη εἰς τὸ ἀνωτάτω γενέσθαι, μέσον ἔχει βίον καὶ ἐν ἐκείνῳ τῷ μέρει αὐτῆς ἕστηκε. Πάντα δὲ ταῦτα ἐκεῖνος καὶ οὐκ ἐκεῖνος· ἐκεῖνος μέν, ὅτι ἐξ ἐκείνου· οὐκ ἐκεῖνος δέ, ὅτι ἐκεῖνος ἐφ´ ἑαυτοῦ μένων ἔδωκεν.
Ἔστιν οὖν οἷον ζωὴ μακρὰ εἰς μῆκος
ἐκταθεῖσα, ἕτερον ἕκαστον τῶν μορίων τῶν ἐφεξῆς, συνεχὲς δὲ πᾶν
αὐτῷ, ἄλλο δὲ καὶ ἄλλο τῇ διαφορᾷ, οὐκ ἀπολλύμενον ἐν τῷ δευτέρῳ τὸ
πρότερον. Τί οὖν ἡ ἐν τοῖς φυτοῖς γενομένη; οὐδὲν γεννᾷ; Ἢ ἐν ᾧ
ἐστι. Σκεπτέον δὲ πῶς ἀρχὴν ἄλλην λαβόντας.
|
I. L'Un est toutes choses et n'est aucune de ces choses. Le principe de toutes choses ne peut pas être toutes choses;[2] il est toutes choses seulement en ce sens que toutes choses coexistent en lui; mais, en lui, elles ne sont pas encore, elles seront.[3] Comment donc de l'Un, qui est simple, identique, qui ne renferme aucune diversité ni dualité, la pluralité des êtres a-t-elle pu sortir? C'est parce qu'il n'y a rien en lui que tout peut en venir.[4] Pour que l'Être fût, il fallait que l'Un ne fût pas l'Être, qu'il fût le père de l'Être, que l'Être fût son premier-né. Comme l'Un est parfait, qu'il n'acquiert rien, qu'il n'a ni besoin, ni désir, il a surabondé pour ainsi dire, et cette surabondance a produit une nature différente.[5] Cette nature différente de l'Un s'est tournée vers lui, et par sa conversion, elle est arrivée à la plénitude [de l'Être]. Puis, elle a eu la puissance de se 27 contempler elle-même, et elle s'est ainsi déterminée comme Intelligence. Donc, en se reposant auprès de l'Un, elle est devenue l'Être, et en se contemplant elle-même, l’intelligence. Enfin, en se fixant en elle-même pour se contempler, elle est devenue l'Être et l’intelligence à la fois.[6] De même que l'Un, l'intelligence a, par l’effusion de sa puissance, engendré une chose semblable à elle-même. De l'Intelligence a émané ainsi une image, comme de l’Un a émané l'Intelligence. L'acte qui procède de l'Être [et de l’intelligence] est l'Ame universelle. Elle naît de l'Intelligence et elle se détermine sans que l’intelligence sorte d'elle-même, comme l’intelligence elle-même a procédé de l'Un sans que l'Un sortit de son repos. Quant à l'Ame universelle, elle ne reste pas en repos, elle entre en mouvement pour engendrer une image d'elle-même. D'un côté, en contemplant le principe dont elle procède, elle arrive à la plénitude ; d'un autre côté, en s'avançant dans une voie différente et opposée [à la contemplation de l'Intelligence], elle engendre une image d'elle-même, la Sensation et la Nature végétative.[7] Rien cependant n'est détaché ni séparé du principe supérieur qui l'engendre. Ainsi, l'âme humaine paraît descendre jusque dans le végétal;[8] elle y descend en tant que le végétal tient d'elle la vie. Cependant l'âme ne passe pas tout entière dans le végétal. Elle n'y est présente qu'autant qu'elle descend vers la région inférieure, qu'elle produit une autre substance en vertu de sa procession ( προόδῳ),[9] qu'elle s'abaisse à prendre soin des choses qui sont au-dessous d'elle. Mais la 28 partie supérieure de l'âme, celle qui dépend de l'intelligence, laisse l'intelligence demeurer en soi-même.[Que fait donc l'âme qui est dans la plante? N'engendre-t-elle rien? Elle engendre la plante dans laquelle elle réside. C'est ce qu'il faut examiner en prenant un autre point de départ.[10]] II. Il y a, disons-nous, procession du premier au dernier, et dans cette procession chacun occupe la place qui lui est propre. L'être engendré est subordonné à l'être générateur. D'un autre côté, il devient semblable à la chose à laquelle il s'attache, aussi longtemps qu'il y reste attaché. Quand l'âme passe dans le végétal, il y a une de ses parties qui s'unit à lui [c'est la puissance végétative]; il n'y a d'ailleurs que la partie de l'âme la plus audacieuse[11] et la plus insensée qui descende aussi bas. Quand l'âme passe dans la brute, c'est qu'elle y est entraînée par la prédominance de la puissance sensitive.[12] Si elle passe dans l'homme, elle y est conduite soit par l'exercice de la raison discursive,[13] soit par le mouvement par lequel elle procède de l'Intelligence, parce que l'âme a une puissance intellectuelle qui lui est propre, qu'elle a par conséquent le pouvoir de se déterminer par elle-même à penser et en général à agir. Maintenant, revenons sur nos pas. Quand on coupe les rejetons ou les rameaux d'un arbre, où va l'âme végétative qui s'y 29 trouvait? Elle retourne à son principe:[14] car nulle distance locale ne l'en sépare. Si l'on coupe, si l'on brûle la racine, où va la puissance végétative qui y était présente? Elle retourne à la Puissance végétative de l'Ame universelle, qui ne change pas de lieu, ne cesse pas d'être où elle était. Elle ne cesse d'être où elle était que si elle remonte à son principe ; sinon, elle passe dans une autre plante : car elle n'est pas obligée de se contracter, de se retirer en elle-même. Remonte-t-elle au contraire, elle va dans le sein de la puissance supérieure [c'est-à-dire dans la Puissance principale de l'Ame universelle[15]]. Où celle-ci réside-t-elle à son tour? Dans le sein de l'Intelligence, sans changer de lieu : car l'Ame n'est pas dans un lieu et l'Intelligence y est encore moins. Ainsi, l'Ame n'est nulle part ; elle est dans un principe qui n'étant nulle part est partout[16] [c'est-à-dire elle est dans l'Intelligence]. Si, remontant aux régions supérieures, l'âme s'arrête avant d'avoir atteint celle qui est la plus élevée» elle mène une vie d'une nature intermédiaire [entre la vie céleste et la vie terrestre].[17] Toutes ces choses [l'Ame universelle et ses images] sont l'Intelligence et nulle d'elles n'est l’intelligence. Elles sont l'Intelligence, sous ce rapport qu'elles en procèdent. Elles ne sont pas l'Intelligence, en ce sens que c'est en demeurant en elle-même que l'Intelligence leur a donné naissance.[18] Ainsi, dans l'univers la vie ressemble à une ligne immense où chaque être occupe un point, engendrant l'être qui suit, engendré par celui qui précède, et toujours distinct, mais non séparé de l'être générateur et de l'être engendré dans lequel il passe sans s'absorber.
|
LIVRE DEUXIÈME. DE LA GENERATION ET DE L'ORDRE DES CHOSES QUI SONT APRÈS LE PREMIER. Ce livre est le onzième dans l'ordre chronologique. Il a été traduit en anglais par Taylor, Select Works of Plotinus, p. 397. Porphyre l'a commenté dans ses Principes de la théorie des intelligibles, § XXVI-XXX, dans notre tome I, p. LXVIII-LXX. Par le sujet qu'il traite, ce livre se rattache au précédent. Nous n'avons par conséquent qu'à renvoyer à l'exposition que nous avons faite ci-dessus de la théorie des trois hypostases. [1] Pour les Remarques générales, Voy. les Éclaircissements sur ce livre à la fin du volume. Comme commentaire des idées que Plotin expose ici sous une forme beaucoup trop concise, Voyez, outre les divers passages de Plotin lui-même que nous indiquons ci-après dans les notes, les Principes de la théorie des intelligibles de Porphyre, § xxvi-xxx, dans noire tome I, p. lxviii-lxx. [2] Pour plus de développement, Voy. Enn. III, liv. ix, n° 9; t. II, p. 248. [3] Voy. Enn. III, liv. viii, § 9; t. II, p. 229. [4] Voy. Enn. III, liv. ix, n° 4; t. II, p. 243. [5] Voy. Enn. III, liv. viii, § 9; t. II, p. 230, et la note 1. [6] Voy. ci-dessus. liv. i, § 7, p. 17. [7] Voy. Enn. I, liv. i, § 8, t. I, p. 45; Enn. IV, liv. ix, § 3. t. II, p. 498. [8] L'âme humaine est conforme à l'Ame universelle qui produit la sensation dans l'animal et la végétation dans la plante. Voy. Erm. III, liv. iv, § 1-2, t. II, p. 88-91. [9] La procession (προόδος) est opposée à la conversion (ἐπιστροφή) et au retour à l'Un (ἀναγωγή). C'est la marche par laquelle toutes choses sortent du premier principe et s'engendrent les unes les autres en se développant de plus en plus, en s'éloignent ainsi de plus en plus de l'Un par leur pluralité. Voy. Enn. IV, liv. viii, § 6; t. II, p. 489. [10] Nous plaçons ici entre crochets une phrase qui dans toutes les éditions est mise à la fin du § 2 auquel évidemment elle n'appartient pas: car elle se rapporte à la procession des êtres, ce qui est le sujet du g 1, tandis que le § 2 ne traite que du retour à l'Un. Elle nous paraît ici compléter cette pensée de Plotin que l'âme, en vertu de sa procession, produit une puissance inférieure qui communique la vie à la plante. [11] Sur le sens de ce mot, Voy. ci-dessus, p. 3, note 2. [12] Voy. Enn. III, liv. iv, § 2, t. II, p. 90-92. [13] Voy. Enn, IV, liv. viii, § 7, t. II, p. 491. [14] Voy. notre tome II, p. xii, note 1, et les p. 379, 423, 636-637, 655-656 [15] Voy. t. I, p. l93, note 1. [16] Voy. Enn. Vl. liv. v. [17] Voy. Enn. III, liv. iv, § 6; t. II, p. 99-101. [18] Voy. Enn. III, liv. viii, § 7; t. II, p. 223-224.
|