Aristote : Métaphysique

ARISTOTE

MÉTAPHYSIQUE

LIVRE I (notes) (livre I)

INTRODUCTION - LIVRE II

Traduction : Alexis PIERRON et Charles ZEVORT.

Autres traductions : COUSIN, VICTOR livre I (BILINGUE)
                                             Barthélemy SAINT-HILAIRE : livre I (bilingue)

 

 

LA MÉTAPHYSIQUE D’ARISTOTE.

Livre 1

 

 

 

livre I

NOTES.

LIVRE PREMIER.

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Les Scolies sur la Métaphysique publiées par Brandis, et qui occupent déjà dans la collection tout l'espace compris entre les pages 518 et 833, se composent, pour les cinq premiers livres, p. 518-734, du texte entier d'Alexandre d'Aphrodisée ; d'extraits, quelquefois considérables, d'Asclépius ; de divers passages d'autres scoliastes, qui ont leur importance comme compléments et comme éclaircissements d'Asclépius et d'Alexandre ; enfin, mais pour le premier livre seulement, de courts extraits du commentaire traduit en latin par Patrizzi, et attribué à Jean Philopon.

« Alexandri commentarii in Aristotelis Metaphysicorum quinque libros priores e cod. Reg. Paris. 1876 (A) vel descripti vel cum eo collati sunt, adhibitis ad libros A, α, Γ a quarto inde capite, et Δ, codice Monacenci (M), ad libros Β et priorem partem libri Γ codice Coisliniano 161 (C). Ad loca insigniora omnium quinque librorum, prœter cod. Coisl., excussi sunt cod. Vatican. Bibl. Regicae 108 (V), cod. Laurent. 87,12 (L) et Asclepii codices. Accedunt scholia partim ex illo L, partim ex Asclepii cod. Reg. Par. 1901 (B), Monac (M), et Laurentiano 81,1 (A), partim e cod. Reg. Par. 1853 excerpta. Ex anonymi brevi expositione Metaphysicorum, quœ sub Joh. Philoponi nomine a Fr. Patricio Latine Ferrariœ a. 1583 edita est et in cod. Vat. Urbin. 49 Graece legitur, addidi scholia quœdam ad primum librum ( Anon. Urbin.). » Brand., Schol. in Àristot., p. 518. Jusqu'ici nous avons abondamment puisé dans ce précieux recueil ; nous continuerons d'y puiser avec la même confiance. Nous aurons toutefois à présenter, sur divers points, quelques observations critiques. Ici, par exemple, nous devons remarquer, au sujet de l'Anonyme du Vatican, Anon. Urb, comme le désigne Brandis, qu'il n'est pas positivement prouvé que l'auteur de cet ouvrage ne soit pas Philopon. Ce n'est-là qu'une présomption, fondée sur ce que ces scolies, si courtes, si serrées, ne sont pas dans la manière habituelle du commentateur auquel on les attribue, et sur ce que le manuscrit d'où Brandis en a tiré quelques passages, ne porte pas de nom d'auteur. Mais celui que Patrizzi eut en sa possession, qu'il avait acheté chez des moines de l'île de Chypre, avant la dévastation de cette île par les Turcs, et qu'on retrouverait sans doute au fond de la bibliothèque de l'Escurial, où l'a déposé Patrizzi, ce manuscrit portait le nom de Jean Philopon. Cest ce que nous atteste, non pas Patrizzi lui-même, mais son éditeur et son ami, l'imprimeur Dominique Mammarello. Mammarello nous apprend encore, dans son curieux avis au lecteur, que Patrizzi ne décidait pas la question d'authenticité. « Sed ut ad Philoponum redeam, an is, quem vobis damus, idem Phipponus fuerit, qui, cognomine Grammatici, in alios aliquot Aristotelis libros commentaria conscripserit, idem Patricius, uti ex eo audivi, saepe dubitavit : non ex ingenio quidem aut eruditione hujus philosophica, quœ satis apparet. insignis, sed ex illius commentandi more ad hunc collato. Ille enim, quamvis in Aristotelis contextu explanando satis sit brevis et concisus, attamen digressionibus, uti vocant, utitur multis, ac Theorematibus. Hic vero noster, et in exponendis verbis illo concisior est (etsi ingenii acutie non minore), et nulla Theoremata unquam proponit. Sane, sive idem fuerit, sive alios quispiam, Philoponi certe cognomine liber ille, unde translatus est fuit inscriptus, et ab eodem Patricio, ante latinus factus, quam in Hispanias proficisceretur ac librum veterem ab se abalienaret… »

Quoi qu'il en soit, on peut, aujourd'hui encore, s'en tenir au doute, comme Patrizzi. Aussi, toutes les fois que nous avons cité, toutes les fois que nous citerons la version de Patrizzi, nous avons donné, nous donnerons toujours au commentateur, ainsi que l'a fait son interprète, le nom de Philopon.

Page 11. Le but proposé à notre entreprise, ce doit être un étonnement contraire, si je puis dire, à celui qui provoque les premières recherches de toute science. BEKKER, p. 983 ; BRANDIS, p. 9 : Δεῖ μέντοι πως καταστῆναι τὴν κτῆσιν αὐτῆς εἰς τοὐναντίον…

Nous avons suivi, pour l'interprétation générale de cette fin de chapitre, les indications de Philopon, fol. 2, a. La distinction entre les deux sortes d'étonnement, celui qui est le principe de la science, et celui qui en est, pour ainsi dire, le dernier terme, entré l'étonnement de l'homme qui ne sait pas et l'étonnement de l'homme qui sait, rattache naturellement ce passage à tout ce qui précède, et donne un sens clair et précis à τοὐναντίον. Nous ne parlerons pas de la leçon τάξιν des anciennes éditions, au lieu de κτῆσιν. Au fond, le sens est le même ; c'est toujours de la philosophie qu'il s'agit, en opposition avec les autres sciences. Nous préférons néanmoins la leçon des nouveaux éditeurs ; elle s'accorde mieux, ce semble, avec la signification propre do καταστῆναι.

Page 11. Toujours en effet les sciences ont, comme nous l'avons remarqué, leur source dans l'étonnement qu'inspire l'état des choses : ainsi, pour parler des merveilles qui s'offrent à nous d'elles-mêmes, l'étonnement qu'inspirent, ou les révolutions du soleil, ou l'incommensurabilité du rapport de la diagonale au côté du carré, à ceux qui n'ont point encore examiné la cause. Bekker, p. 983; Brandis, p. 9 : Ἄρχονται μὲν γάρ, ὥσπερ εἴπομεν, ἀπὸ τοῦ θαυμάζειν πάντες εἰ οὕτως ἔχει, καθάπερ τῶν θαυμάτων ταὐτόματα τοῖς μήπω τεθεωρηκόσι τὴν αἰτίαν, ἢ περὶ τὰς τοῦ ἡλίου τροπὰς, ἢ περὶ τὴν τῆς διαμέτρου ἀσυμμετρίαν.

Le sens que nous avons adopté pour cette phrase a contre lui les plus graves autorités. M. Cousin, De la Métaphysique, etc. p. 131 : « On commence par s'étonner qoe les choses soient de telle façon, et, comme on s'émerveille en présence des automates, quand on n'en connaît pas les ressorts, de même nous nous étonnons… » Hengstenberg, Arist. Metaph., p. 6 : So wundern sich diejenigen welche die Ursache noch nicht durchschaut haben, über die automätischen Kunstücke, oder über die Sonnenwenden. — Bessarion : « Incipiunt etenim…, sicut de præstigiosis quæ per se ipsa moventur, illi qui nundum speculati sunt causam. » — Du Val, Synopsis analytica doctrinœ peripat., part. II, p. 88 : « His enim perspectis, cessabit admiratio, ut fit cum τῶν θαυμάτων (id est, eorum quæ sponte et per se moveri videntur, ut erant Dædali statuæe, ut sunt etiamnum præstigiatorum…, gallice joueurs de marionnettes, lignei homumuli, depugnantes saltitantes,) machinas, libramenta, funiculos deteximus. » - Alexandre d'Aphrodisée pense qu'il s'agit dans ce passage de figures automatiques : Τὰ ὑπὸ τῶν θαυματοποιῶν δεικνύμενα παίγνια, οἷον ἄψυχά τινα εἴδωλα ἃ ἐξ αὐτῶν δοκεῖ καὶ αὐτομάτως κινεῖσθαι. Schol in Àristot, p. 530 ; Sepulv., p. 8. — Le Scoliaste de la bibliothèque Laurenticnne se sert a peu près des mêmes ter- rnes d'Alexandre ; et Asclépius exprime encore la même idée : Ὥσπερ ἐπὶ τῶν μηχανικῶν.

Nous devons exposer toutes les raisons qui nous ont semblé repousser l'interprétation ordinaire de ce passage, et établir celle que nous ayons donnée.

1° Θαῦμα, comme le montre Ruhnkenius par de nombreux exemples (Timæi Sophistæ Lexic. voc. platonic. s. v. θαΰμα), peut bien avoir, dans certains cas, le sens que lui attribuent ici les commentateurs, et, avec eux, le traducteur allemand et le traducteur français, mais qu'en résulte-t-il pour la phrase qui nous occupe ? Nous avons, non pas θαύματα seulement, mais τῶν θαυμάτων ταὐτόματα. Αὐτόματα n'est point ici un substantif, car alors que signifierait τῶν θαυμάτων ? Le traducteur allemand l'a bien senti : automatische Kunststûcke ; et avant lui, Bessarion : de præstigiosis, quæ per se ipsa moventur ; et, malgré la ressemblance des termes, ce n'est pas seulement ταὐτόματα, mais l'expression tout entière, que M. Cousin a rendue par ces mots : les automates. Αὐτόματος est donc un adjectif. Le sens de cet adjectif est parfaitement déterminé dans la langue grecque, dès le temps d'Homère qui l'emploie fréquemment, et toujours dans l'acception de : ultro veniens, sponte se offerem, ou comme eût dit Bessarion : qui per se ipsum movetur, celui qui se présente de soi-même, spontanément, sans être mu par autre chose que sa volonté propre. De même chez Aristote ; car le ταὐτόματον delà fin du chap. 3, liv. I de la Métaph., et du liv. XI, ch. 8, rentre dans le sens général et primitif de αὐτόμος qu'est-ce en effet que le hasard, sinon ce qui arrive sans cause nécessaire, du moins sans cause bien connue ?

2° La tournure τῶν θαυμάτων ταὐτόματα est très fréquente dans la langue grecque, et tous les grammairiens l'ont notée. Le substantif au génitif est considéré, pour ainsi dire, comme un tout, et l'adjectif désigne une partie de ce tout. Si Θαύματα signifie des marionnettes, des Kunststûcke à lui seul, ταὐτόμ. est complètement inutile ; il ne peut marquer aucune distinction dans les θαύματα, il ne désigne pas une partie de ce tout, puisqu'il s'applique à toutes les parties : toutes les marionnettes sans exception sont automatiques, pour qui ne connaît pas la cause de leur mouvement ; sinon elles ne seraient plus des marionnettes ; c'est-là leur nature même. Τῶν θαυμ. est donc pris ici dans son sens habituel, miracula, mirabilia, et par conséquent nous sommes fondés à traduire comme nous l'avons fait : « Ainsi, pour parler des merveilles qui s'offrent à nous d'elles-mêmes. » Ex mirabilibus quœ se sponte offerunt, serait en latin la reproduction rigoureuse des expressions d'Aristote.

3° L'interprétation suivie par M. Cousin, forcerait à voir dans καθάπερ… ἢ περὶ…, les deux termes d'une comparaison : « et comme on s'émerveille… de même nous nous étonnons, etc. » Or, pour qu'il y eût là comparaison, ne faudrait-il pas que le mot correspondant à καθάπερ, fût, non pas la disjonctive ἤ, mais οὕτως, ou tout autre mot analogue ?

4° L'explication que nous préférons, concorde avec celle que nous avons donnée précédemment de τὰ πρόχειρα τῶν ἀπόρων θαμάσαντες : « Entre les objets qui les étonnaient, et dont ils ne pouvaient se rendre compte, ils s'appliquèrent d'abord à ceux qui étaient à leur portée ; » explication universellement admise. Ce ne sont-là que deux formes légèrement différentes d'une pensée unique.

5° Enfin, à ces considérations qui nous paraissent probantes, nous pouvons ajouter, en faveur de notre opinion, des autori- tés d'un grand poids. Saint Thomas s'exprime ainsi dans son commentaire, fol. 5, b : « Quæ quidem admiratio erat, si res ita se haberet, sicut automata mirabilia, id est quæ videntur mirabiliter a casu accidere. Automata enim dicuntur quasi per se accidentia. » — Le vieux traducteur latin : « Quemadmodum mirabilium automata. » — Argyropule : « Ut fit cum mira quædam spectantur, causa nundum perspecta. » — Sepulveda lui-même, le traducteur d'Alexandre d'Aphrodisée, n'a pas hésité à adopter le même sens. Fidèle à la lettre de son auteur, il traduit ainsi le passage d'Alexandre : « Porro admirabilia esse dicit præstigiosa quæ per se ac sponte moveri videntur, dum a rerum admirandarum artifîcibus ostentantur. » P. 8. Mais, s'agit-il d'Aristote, il laisse, à côté de cette version du commentaire, subsister la phrase d'Argyropule, malgré son respect profond pour les opinions du commentateur.

Page 11. Il paraît étonnant à tout le monde qu'une quantité ne puisse être mesurée, même par une quantité très petite. BEKKER, p. 983; BRANDIS, p. 9 : θαυμαστὸν γὰρ εἶναι δοκεῖ πᾶσι, εἴ τι τῷ ἐλαχίστῳ μὴ μετρεῖται·

Nous avons suivi la leçon de Brandis et de Bekker. Plusieurs mss. l'autorisent, et en marge du ms. E de Bekker, on lit γρ. τῷ ἐλαχίστῳ, καὶ ταύτην μᾶλλον τὴν γραφὴν οἶδεν Ἀλέξανδρος. Et en effet, telle est la leçon d'Alexandre : Schol. p. 530 ; Sepulv. p. 8. L'ancienne leçon εἴ τι τῶν οὐκ ἐλαχίστων μὴ μετρεῖται, présente du reste un sens clair et raisonnable : « Il paraît étonnant qu'une chose qui n'est pas extrêmement petite, ne puisse être mesurée » ; ce qui justifie jusqu'à un certain point la répugnance de Du Val, ad h. l , pour celle d'Alexandre. Quant à la leçon εἴ τι τῶν ἐλαχίστων, que donne un autre ms., elle ne saurait être admise ; il n'y a rien d'étonnant à ce qu'on manque de mesure pour mesurer ce qui est d'une extrême petitesse.

Page 12. Or, on distingue quatre causes La première est etc. On se tromperait, si l'on pensait qu'Aristote donne à cette distinction une valeur absolue, et qu'il maintient toujours une distance telle entre cas quatre principes, que tout rapprochement entre eux, que toute réduction de l'un à l'autre soit impossible. M. E. Vacherot, dans sa dissertation si profondément aristotélique, a parfaitement démontré le contraire. Le lecteur verra avec plaisir cet excellent morceau.

« Pour compléter la théorie des quatre principes, il nous reste à les considérer dans leurs divers rapports. Aristore en a-t-il fait quatre principes d'une nature différente ? ou bien, tout en les posant comme distincts, n'a-t-il pas reconnu entre eux une certaine identité de nature qui en permette la réduction ? D'abord, partout Aristote identifie la forme et le but. La forme, dit-il quelque part, n'est que le but auquel tend le principe moteur. Que signifie d'ailleurs ἐντελέχεια ? le principe final (τέλος) réalisé par le mouvement dans la matière, et devenant la forme. Quelque part Aristote soutient que la forme de la maison n'est pas l'amas de pierres dont elle est construite, mais seulement la propriété de mettre à couvert les personnes et les choses. Ici donc il confond la forme avec le but. On sait d'ailleurs qu'Aristote, dans sa critique du système platonicien, s'attaquait surtout à l'existence substantielle des idées. L'idée, disait-il, n'est que le but que se propose un agent. Or, le but n'existe point à part de l'agent. Ainsi l'idée de la maison n'est point une existence idéale, existant à part des objets ; elle existe seulement dans la pensée de l'architecte. Après cette, critique, Aristote ne pouvait se contredire au point de poser «on principe formel comme une entité réelle et séparée du moteur. Or, le principe formel résidant dans le moteur n'est autre que le principe final. Ces passages et beaucoup d'autres démontrent que dans la pensée d'Aristote le principe formel n'a pas une autre nature que le principe final. Tout ce qui les distingue, c'est une différence de position. Le même principe retient le nom de but, quand il réside dans le moteur ; il devient la forme quand il a été déposé par le mouvement dans la matière. La forme n'est donc qu'une simple modification du principe final.

« Maintenant, le principe final n'existe pas substantiellement et en dehors de tout autre principe. Il réside comme fin dans un moteur, comme forme dans une matière quelconque ; il n'existe point ailleurs. La substance du principe final est donc soit le moteur, soit la matière ; mais la matière n'en est qu'accidentellement la substance; car, bien qu'elle soit inséparable de la forme, elle ne la contient pas, elle est la condition et rien de plus ; le moteur, au contraire, contient le principe final. En résumé, ce principe n'existe point par soi ; il réside dans le moteur comme dans sa vraie substance ; mais il n'en est pas moins distinct de ce qui le renferme. Ainsi, d'une part la matière, de l'autre le moteur, la fin et la forme ; la forme s'identifiant avec la fin, laquelle se rattache au moteur comme à son sujet.

« La réduction peut, selon nous, être poussée plus loin encore. Le principe final, avons-nous dit, se distingue du principe moteur, en y résidant. Il n'y a aucun moyen de les identifier. Le moteur ne peut absorber le principe final ; le principe final peut encore moins absorber le moteur. Aristote, d'ailleurs, n'a nulle part tenté l'identification des deux principes. Mais ce dualisme peut très bien se ramener à un principe supérieur. Dans le sein de l'acte pur(ἑνεργία) se confondent le moteur et la fin ; l'acte pur, en effet, c'est l'être parfait ; or, le caractère même de la perfection pour un être, est de se suffire à soi-même, et par conséquent d'être le principe et le but de tous ses mouvements. C'est pourquoi Aristote pose partout l'acte pur à la fois comme cause motrice et comme cause finale. Voilà donc le principe final dont la forme n'est qu'une modification s'absorbant avec le moteur dans l'acte pur. D'un autre côté, la matière réduite à sa plus simple expression n'est, comme on sait, que la puissance. Poussée jusque là, la réduction est parvenue à son terme. Dans la pensée d'Aristote, un abîme sépare l'acte de la puissance, l'être du possible. Ces deux principes s'excluent, loin de s'identifier. » Théorie des premiers principes, selon Aristote, p. 43 sqq.

Page 12. Car ce qui fait qu'une chose est, est tout entier dans la notion de ce qu'elle est. BEKKER, p. 983 ; BRANDIS, p. 9 : Ἀνάγεται γὰρ tὸ διὰ τί (anc. éd.: τὸ διὰ τί πρώτον) εἰς τὸν λόγον ἔσχατον. Nous entendons par διὰ τί, ce par quoi une chose se manifeste, ce qui lui donne son existence, ce qui fait qu'elle, est ce qu'elle est sa raison d'être ; en un mot, ce qui est exprimé un peu plus haut par οὐσία, τὸ τί ἦν εἶναι. Quant à λόγον ἔσχατον, c'est, au fond, comme l'indique le mot ἀνάγ.,la même chose que διὰ τί : λόγος, c'est la notion propre de l'être, ce qui entre nécessairement dans la définition, ce qui constitue la définition. Voyez page 12, la note sur οὐσία. Voyez aussi Alex. Schol. p. 531 ; Sepulv. p. 9 ; Philopon, fol. 2, a, etc. Asclépius explique ainsi ce passage, et notamment le mot ἔσχατον : Ἀνάγεται εἰς τὸν λόγον, τουτέστιν εἰς τὸν ὁρισμόν· ἔσχατον, μετὰ γὰρ τὸ ὁρίσασθαι οὐκέτι ζητοῦμεν τὸ διὰ τί, Schol. in Arist. p. 531.

Page 14. …il voyait que c'est l'humidité qui nourrit toutes choses, que le chaud lui-même en vient, et que tout animal vit de l'humidité. BEKKER, p. 983 ; BRANDIS, p, 10 : … ἐκ τοῦ πάντων ὁρᾶν τὴν τροφὴν ὑγρὰν οὖσαν καὶ αὐτὸ τὸ θερμὸν ἐκ τούτου γιγνόμενον καὶ τούτῳ ζῶν. Nous avons conservé l'ancienne leçon καὶ τὸ ζῶον τούτῳ ζῶν, rejetée par Brandis, Bekker et M. Cousin. Non-seulement elle se trouve dans les anciennes éditions, mais un des mss. de Bekker l'autorise ; car peut-on lire autrement ces mots : κα`] καὶ τὸ ζώιον ? Ensuite, cette idée : Tout animal vit de l'humidité, n'est-elle pas nécessaire pour compléter l'explication du système de Thalès ? Aristote nous donne d'abord les motifs qui ont décidé le philosophe, dans une généralité un peu vague: C'est l'humidité qui nourrit toutes choses ; puis, il précise, il indique les raisons les plus concluantes : Le chaud lui-même en vient ; enfin, L'animal en vit. D'ailleurs, Asclépius semble avoir eu sous les yeux la leçon καὶ τὸ ζῶον : « Il est impossible dit-il, que les animaux se nourrissent sans humidité ; » ἀδύνατον γάρ ἐστιν ἄνευ ὑγρότητος τρέφεσθαι τὰ ζῶα. Schol. p· 533. N'est-ce pas là une remarque destinée spécialement à confirmer desparoles : τὸ ζῶον τούτῳ ζῶν ? Page 16. Anaxagore de Clazomène, l'aîné d'Empédocle, n'était pas arrivé à un système aussi plausible. BEKKER, p. 984 ; BRANDIS, p. 11 : ᾿Αναξαγόρας δὲ ὁ Κλαζομένιος τῇ μὲν ἡλικίᾳ πρότερος ὢν τούτου, τοῖς δ' ἔργοις ὕστερος.

Un autre sens paraît sortir naturellement des expressions d'Aristote. M. Cousin traduit : « Anaxagoras de Clazomène, qui naquit avant ce dernier, mais qui écrivit après lui. » Page 135. On conserve ainsi l'opposition des termes de la phrase grecque, τῇ μὲν ἡλικίᾳ, τοῖς δ' ἔργοις. Nous nous étions d'abord arrêtés à cette interprétation. Mais les mots ἔργῳ, ἔργοις, dans une opposition, ont ordinairement une signification vague, comme, revera, chez les Latins, et, chez nous, en fait, en réalité. Il n'est pas prouvé non plus qu'ici, ὕστερος signifie postérieur, chronologiquement : ὕστερος a un assez grand nombre de sens, voyez liv. V, 11, et, en rapprochant les dates, la différence d'âge si considérable entre Anaxagore et Empédocle, même dans la supposition la plus favorable, ne permettrait guère d'admettre que les ouvrages d'Anaxagore n'aient paru qu'après ceux d'Empédocle. Du reste nous n'avons pu résister au témoignage unanime des commentateurs anciens. Suivant eux, ce n'est point d'un rapport chronologique qu'il s'agit ; l'opposition de πρότερος et de ὕστερος n'est ici qu'une opposition purement verbale : πρότερος marque la priorité dans le temps, ὕστερος, la postériorité dans l'ordre de mérite, l'infériorité. Alexandre allègue à l'appui de son opinion un autre passage d'Aristote, sans doute celui du liv. I, 3 : « Empédocle se sert des causes plus qu'Anaxagore. » Voyez Brandis, Schol p. 534 ; Sepulv. p. 11. Philopon s'exprime ainsi : « Prior quidem tempore, sed posterior et mancus secundum opinionem ; » fol. 2, a ; et l'Anonyme du Vatican, l'original grec de Patrizzi : Πρότερος γοῦν τῷ χρόνῳ, ἀλλ' ὕστερος καὶ ἐλλείπων κατὰ τὴν δόξαν. Schol. p. 534.

Page 17. … et que non-seulement rien ne naît ni ne périt dans toute la nature (opinion antique, et à laquelle tous se sont rangés) ; mais même que dans la nature tout autre changement quelconque est impossible. BEKKER, p. 984 : …καὶ τὴν φύσιν ὅλην οὐ μόνον κατὰ γένεσιν καὶ φθοράν (τοῦτο μὲν γὰρ ἀρχαῖόν τε καὶ πάντες ὡμολόγησαν) ἀλλὰ καὶ κατὰ τὴν ἄλλην μεταβολὴν πᾶσαν.

Brandis, p. 12, supprime toute la parenthèse τοῦτο μὲν γάρ… ainsi que άλλά qui commence le membre de phrase suivant. Pourquoi ce retranchement ? Il n'est autorisé par aucun manuscrit ; sans cela, Bekker se serait conformé, comme il fait ailleurs, au texte de Brandis. Serait-ce qu'on ne trouve pas ces mots dans les anciens commentateurs ? Il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'ils eussent négligé une parenthèse, un simple rappel du passé. Mais il y a mieux ; Asclépius nous donne, en l'expliquant, la parenthèse tout entière, et même ἀλλά. Schol. in Arist. p. 535 : …οὐ μόνον κατὰ γένεσιν καὶ φυορὰν (τοῦτο μὲν γὰρ ἀρχαῖόν τε, καὶ πάντες ὡμολόγησαν τὸ εἶναι ἀμετάβλητον τὴν ὕλην) ἀλλὰ καὶ κ. τ. ἄ. μ. π. D'ailleurs la proposition est d'une vérité incontestable ; il n'est pas un philosophe qui, admettant l'existence de la réalité, n'ait admis aussi la persistance du fond commun de tous les êtres, de la nature. Aristote devait donc faire observer que ce n'était pas de cela, de cette opinion commune à tous qu'il s'agissait ; que les partisans de l'unité allaient bien autrement loin ; qu'ils avaient suivi jusqu'au bout les conséquences de leur principe.

Page 24. Et si quelque chose manquait, ils employaient tous les moyens pour que le système présentât un ensemble complet. BEKKER, p. 986 ; BRANDIS, p. 16 : Κἂν εἴ τί που διέλειπε, προσεγλίχοντο τοῦ συνειρομένην πᾶσαν αὐτοῖς εἶναι τὴν πραγματείαν.

L'ancien texte présente quelques différences avec celui de Brandis et de Bekker ; mais elles sont sans importance pour le sens de la phrase. Nous devons dire un mot sur προσεγλίχοντο.

Argyropule et Bessarion le traduisent par supplebant ; le traducteur allemand a suivi leur interprétation : « Und wenn einiges mangelke so ergantzten sie es um Zuhammenhang in ihre gantze Lehre zu bringen. Arist. Metaph. p. 12. M. Cousin traduit aussi : « Et si quelque chose manquait, ils y suppléaient, pour que le système fût bien d'accord et complet. » De la Met. p. 148. Mais n'est-ce pas là forcer un peu la signification de προσεγλίχοντο ? Γλίχομαι marque le désir, le souhait de la réalisation du désir : προσγλίχομαι, c'est l'aspiration vers l'objet du désir, l'effort qu'on fait pour y arriver ; annitebantur, traduit Patrizzi, Philop. fol. 3. a. Quand même προσεγλίχοντο pourrait signifier ils y suppléaient, serait-ce dans la phrase qui nous occupe ? Il faudrait pour cela voir dans l'article τοῦ, l'équivalent de ὥστε : tournure fréquente dans la poésie, surtout chez les tragiques, mais extrêmement rare, sinon inusitée en prose. Dans notre version, τοῦ dépend immédiatement de προσεγλίχοντο, et le sens général reste aussi complet qu'avec l'autre interprétation.

Page 26. …ces éléments… constituent et composent tout l'univers. BEKKER, p. 986; BRANDIS, p. 17 : …συνεστάναι καὶ πεπλάσθαι φασὶ τὴν οὐσίαν.

Alexandre d'Aphrodisée nous semble avoir un peu exagéré la portée du mot πεπλάσθαι, en y voyant une sorte d'épigramme contre les Pythagoriciens : « Ex illis… constitutam fictamque substantiam inquiunt esse. Merito fictam dixit dum de hujusmodi generatione verba faceret. Talis enim generatio figmento (πλάσματι) similis est, nec ullam habet cum vero similitudinem. » Sepulv. p. 16, Schol p. 543. Nous n'avons vu dans πεπλάσθαι appliqué à la substance, que ce qu'exprime notre mot composition, qu'une simple modification, une explication de συνεστάναι. Quant à οὐσία, nous n'avons pas dû le prendre dans son acception spéciale d'essence, ni même dans celle de substance ; c'est ici quelque chose de plus général ; ἡ οὐσία, c'est tout ce qui est, le monde, l'univers : rien ne limite la signification. Page 28. …et ce qu'on peut inférer des systèmes des premiers philosophes relativement aux principes. BEKKER, p. 987; BRANDIS, p. 19: …παρὰ τῶν συνηδρευκότων ἤδη τῷ λόγῳ σοφῶν τοσαῦτα παρειλήφαμεν

Nous avons suivi le premier des deux sens que propose Alexandre d'Aphrodisée : « Qui huic sermoni incubuere ; id est, qui indagaverunt et quæesivere de his quæ loquimur, vel qui incubuere sermoni horum sapientum, de quibus mentionem fecimùs. » Sepulv. p. 17. Voyez aussi Schol. p. 545. C'est évidemment le sens le plus naturel, et surtout le plus clair. Que signifierait en effet, sermoni horum sapientum, τῷ λόγῳ σοφῶν, à cet endroit de la Métaphysique ? Aristote n'a certes pas travaillé sur des ouvrages de seconde main ; Aristote est le premier père de l'histoire de la philosophie. Quant à τῷ λόγῳ, quelque vague que soit par elle-même cette expression, n'est-elle pas suffisamment déterminée.par ce qui suit : τοσαῦτα παρει.? Ces derniers mots n'indiquent-ils pas la discussion relative aux principes?

Page 30. …sinon, un être unique serait plusieurs êtres, et c'est-là la conséquence du système pythagoricien. BEKKER, p. 987 : BRANDIS, p. 19 : εἰ δὲ μὴ, πολλὰ τὸ ἓν ἔσται, ὃ κἀκείνοις συνέβαινεν.

Nous n'avons pas entendu par τὸ ἕν, l'unité proprement dite, l'αὐτὸ τὸ ἕν dont il a été question plus haut. La proposition serait vraie, sans doute, en parlant des Pythagoriciens ; mais elle ne résulte pas de ce qui précède. Tout ce qu'il est permis de conclure de l'identité du double et du nombre deux, c'est que la même définition conviendrait à plusieurs objets, qu'un être unique serait plusieurs êtres. C'est le sens qu'a suivi Hengstenberg : Sonst würde das eine ein vielfache sein. (Arist. Metaphysik, p. 15) ; expressions qu'on pourrait rendre ainsi en latin : Foret enim, quod unum quid est,multiplex quid· C'est le sens indiqué par Alexandre d'Aphrodisée, Schol. ρ. 547, 548, Sepulv. p. 18 ; par Philopon, fol. 3, b ; et saint Thomas s'exprime ainsi : « Nam multa et diversa assignabant quasi unum essent. Sicut proprietates numerales dicebant idem esse cum proprietatibus naturalium rerum. » Div, Thom. Aquin., t. IV, fol. 12, a.

Page 31. Car c'est en vertu de leur participation avec les idées que tous les objets d'un même genre reçoivent le même nom que les idées. BEKKER, p. 987 ; BRANDIS, ρ. 20 : Κατὰ μέθεξιν γὰρ εἶναι τὰ πολλὰ τῶν συνωνύμων τοῖς εἴδεσιν.

Nous avons suivi avec M. Cousin la leçon τὰ πολλὰ τῶν συνωνύμων ὁμώνυμα τοῖς εἴδεσιν. C'est celle des anciennes éditions, celle de tous les mss., excepté deux suivant Bekker ; Alexandre d'Apbrodisée explique formellement et συνωνύμων et ὁμώνυμα, Schol. p. 548 ; Sepulv. p. 19. Trendelenburg a montré par des exemples nombreux qu'il y avait dans la langue d'Aristote une différence considérable entre συν. et ὁμών., et qu'ils ne faisaient point ici double emploi. Aristote, au commencement du traité des Catégories, définit ces deux termes dans le sens où nous venons de les entendre : Ὁμώνυμα λέγεται, ὧν ὄνομα μόνον κοινόν· ὁ δὲ κατὰ τοὔνομα λόγος τῆς οὐσίας ἕτερος. - Συνώνυμα δὲ λέγεται, ὧν τό τε ὄνομα κοινὸν καὶ ὁ κ. τ. λ. ο. ὁ αὐτός. Et partout il est fidèle à cette définition. Voyez aussi liv. I, c. 7, éd. Brand. p. 29. de la Mét. ; l. IV, 4, p. 69 ; l. VII, 4, p. 134 ; l. XI, 3, p. 216. Dans le passage qui nous occupe τὰ πολλὰ τῶν συνωνύμων désigne donc tous les êtres qui, compris dans le même genre, ont un nom qui leur est commun, et se définissent de la même manière. Ces êtres, en participant avec les idées, recevront d'elles leur nom, leur seront ὁoμώνυμα, mais non pas συνώνυμα : ces idées, éternelles, impérissables, ne sont pas du même genre que les choses perçues par les sens. Voyez Trendelenburg, Platonis de ideis et numeris doctrina ex Aistotele illustrata, p. 32,33. Aux observations que nous a fournies Trendelenburg, nous ajouterons que, pour Platon, les êtres sensibles, soumis à un perpétuel changement, étaient des êtres sans nom par eux-mêmes : ils n'avaient un nom qu'en vertu de leur participation avec les idées, celui de l'idée dont ils participaient : « Per participationem harum dicebat multa, quæ et anonyma dicebat, ut quæ semper mutarentur. » Philop. fol. 3, b. On ne peut donc supprimer ὁμώνυμα, qu'en tronquant la pensée même de Platon.

Page 33. … tous les nombres à l'exception des nombres impairs… BEKKER, p. 987 ; BRANDIS, p. 21 : … τοὺς ἀριθμοὺς ἔξω τῶν πρώτων εὐφυῶς ἐξ αὐτῆς γεννᾶσθαι ὥσπερ ἔκ τινος ἐκμαγείου.

Nous avons adopté l'interprétation qu'Alexandre d'Aphrodisée, Schol. p. 551, 552, Sepulv. p. 21., et Philopon, fol. 4, a, donnent de ἔξω τῶν πρώτων. Aussi n'avons-nous pas pu traduire πρώτων par première ; il n'y a de première que les nombres impairs, qui n'ont d'autres facteurs qu'eux-mêmes et l'unité, tels que 3, 5, 7, 11, 13, etc. ; tandis qu'il s'agit ici de tous les nombres impairs. Trendelenburg, Plat. de ideis, ρ. 78 sq., attaque vivement le sens donné par Alexandre : « Peut-on appeler premiers, dit-il, les nombres impairs, et cela sans restriction ? » Il nous a semblé que, comparés aux nombres pairs (lesquels ont tous d'autres facteurs qu'eux-mêmes et l'unité, excepté le nombre deux, la dyade), les nombres impairs pris en général, avaient bien pu recevoir le nom de premiers. Il faut songer qu'Aristote s'adressait aux contemporains, aux disciples de Platon, à des hommes nourris dans ces doctrines, qui n'avaient pas besoin comme nous, d'une précision de langage toujours rigoureuse, et comprenaient pour ainsi dire à demi-mot. La discussion que soulève Trendelenburg à propos de ἐκμαγεῖον, établit victorieusement que ἐκμαγεῖον n'a pas ici le sens que lui ont donné les traducteurs latins : sigillum, effigies, sont les expressions dont ils s'étaient servis. Mais là n'est pas la difficulté. Qu'importe en effet que ἐκμαγεῖον signifie le moule d'où sortent les nombres, ou la matière pure et simple, materia nuda comme dit Trendelenburg ? C'est πρῶτος qui est le mot décisif. Brandis, Reinisch. Mus. t. II, p. 574 et M. Cousin, De la Mét. p. 152, concilient les deux opinions. Les nombres en question seraient les nombres idéaux, mais les nombres idéaux impairs. Nous persistons à croire toutefois que les paroles d'Aristote ont une signification plus générale; Aristote ne fait pas acception de nombres pairs réalisés, plutôt que de nombres pairs idéaux ; et les nombres impairs qu'il excepte sont tout autant les nombres impairs réalisés que les idéaux : ce sont les idéaux s'il s'agit de la dyade idéale, et s'il s'agit du deux réalisé, les réalisés.

Page 33. … de l'autre une matière, une substance, à laquelle s'appliquent les idées, pour constituer les êtres sensibles, l'unité, pour constituer les idées. BEKKER, p. 988 : …καθ' ἧς τὰ εἴδη μὲν ἐπὶ τῶν αἰσθητῶν, τὸ δ' ἓν ἐν τοῖς εἴδεσι.

Brandis avait donné : Τὰ μὲν ἐπὶ τῶν αἰσθ. τὰ δὲ ἐν τοῖς εἴδεσι, Errata, l.4, ce qui est en contradiction, ce semble, avec le commencement de la phrase : τὰ γὰρ εἴδη τοῦ τί ἐστιν αἴτια τοῖς ἄλλοις, τοῖς δ' εἴδεσι τὸ ἕν. Brandis a trouvé cette leçon dans Alexandre: Voyez Schol. p. 553; Sepulv. p. 22. Mais Alexandre, après celle-là pour laquelle il ne se prononce pas, donne aussi la leçon adoptée depuis par les éditeurs, leçon que Brandis avait lui-même suivie dans son ouvrage sur les livres perdus d'Aristote ; que Trendelenburg maintient malgré son respect pour le texte de Brandis, et que Bekker a rétablie à la place qu'elle doit occuper.

Page 37. … l'élément fondamental de toutes choses paraît être celui duquel, considéré comme principe, la terre se forme par voie d'agrégation. BEKKER, p. 988 ; ΒRANDIS, p. 24 : Τῇ μὲν γὰρ ἂν δόξειε στοιχειωδέστατον εἶναι πάντων ἐξ οὗ γίγνονται συγκρίσει πρώτου. Anc. édit.l Τὸ μὲν γὰρ… πάντων γῆ, ἐξ οὗ γίγνεται… Le ms. Ε de Bekker : γῆ μὲν γὰρ… .Nous avons conservé, γῆ, mais nous ne ponctuons pas comme les anciens éditeurs, nous ne plaçons, pas non plus, comme le ms. Ε de Bekker, γῆ en tête de la phrase. Il y aurait, dans les deux cas, contradiction avec ce qui va suivre, et même avec le bon sens ; il est absurde de dire que la terre est l'élément dont les parties en se réunissant donnent naissance à tous les autres éléments. Nous lisons στοιχ. εἶναι πάντων, γῆ ἐξ οὗ γίγνεται

Page 40. … quelque chose qui se rapproche des doctrines postérieures, et surtout de celles des philosophes de nos jours.

Nous lisons avec Bekker, p. 989, et les anciens éditeurs : βούλεται μέντοι τι παραπλήσιον τοῖς τε ὕστερον λέγουσι καὶ τοῖς νῦν φαινομένοις μᾶλλον, et non. pas, comme Brandis, p. 26, et M. Cousin, p. 160, τοῖς φαιν. Outre l'autorité des mss., ὕστερον n'amène-t-il pas νῦν avec lui ? νῦν ne donne-t-il pas à l'idée plus de clarté et de précision, en fixant l'esprit sur une époque, sur une école déterminée ? Aristote, un peu plus bas, s'exprime ainsi : « Peut-être dira-t-on qu'elles sont (les idées) causes de la même manière que la blancheur… Cette opinion, qui a sa source dans les doctrines d'Anaxagore, et qui été adoptée par Eudoxe et par quelques autres… » Voilà, ce nous semble, Aristote justifiant lui-même, l, 7, p. 47, par un exemple, son expression : τοῖς νῦν φαινομένοις.

Page 49. … alors l'homme en soi se composera, outre le nombre, de certaines substances ; alors, l'idée nombre, l'homme idéal, que ce doit ou non un nombre déterminé, sera un rapport numérique de certains objets, et non un pur nombre ; et, par conséquent, ce n'est pas le nombre qui constituera l'être particulier.

Nous avons lu avec les anciens éditeurs : Καὶ ὁ αὐτὸς ἅνθρωπος ἄλλων τινῶν ὑποκειμένων ἔσται καὶ ἡ ἰδέα ἀριθμός, καὶ αὐτοάνθρωπος, εἴτ' ἀριθμός τις ὢν εἴτε μή, ὅμως ἔσται λόγος ἐν ἀριθμοῖς τινῶν καὶ οὐκ ἀριθμός, καὶ οὐκ ἔσται τις διὰ ταῦτα ὁ ἀριθμός. Brandis, p. 31, supprime, καὶ ὁ αὐτὸς ἅνθρωπος, rapporte ἄλλων τινῶν ὑπ. au membre de la phrase précédent, remplace καὶ οὐκ ἔσται par ούδ' ἔσται, et ne met pas d'article devant le dernier mot, ἀριθμός. Bekker suit le texte de Brandis ; seulement il ponctue un peu différemment: ἄλ. τιν. ὑπ. ἔσται, καὶ ἡ ἰδέα ἀριθμός· και αὐτ… , ρ. 991. Ces corrections, surtout celles de Brandis, ont obscurci le sens au lieu de l'éclaircir. M. Cousin, qui traduit d'après le texte nouveau, s'est vu forcé de commenter la phrase pour la rendre intelligible. Il nous a semblé que l'ancienne leçon, autorisée du reste par plusieurs des mss. de Bekker, échappait à cet inconvénient ; que la suite du raisonnement y était nettement marquée, et que la conclusion d'Aristote arrivait naturellement et sans effort. Aristote vient de faire cette supposition : Un homme est un rapport numérique de certaines substances. Il en tire la conséquence immédiate : L'homme en soi, c'est-à-dire le type, le modèle de l'individu, se compose aussi de certaines substances. Puis il marque la contradiction où tombent les partisans de la doctrine des nombres : L'homme idéal n'est plus un pur nombre, comme on l'avait affirmé. Enfin, il amène le principe général qu'il veut établir, et qui sort toujours de ses arguments contre la théorie des nombres : Le nombre ne se réalise pas dans les êtres.

Page 54. Ainsi, les uns disent que la syllabe xa est composée de c, de s, et de a ; les autres prétendent qu'il y entre un autre son, distinct de tous ceux qu'on reconnaît comme éléments.

Nous n'avons pris pour exemple, ni sma, qu'on lit dans les textes imprimés et dans les mss., parce que personne ne peut contester que sma ne vienne de s, de m et de a ; ni za, qui ne serait qu'une représentation fautive du ζά d'Alexandre d'Aphrodisée, parce que notre z n'est en réalité qu'une autre forme de la lettre s. Nous avons préféré xa que donne aussi Alexandre, et qui présente dans notre langue la même particularité que dans le grec : xa, csa. Voyez Schol., p. 586 ; Sepulv., p. 43. Dans le passage d'Alexandre, σμά n'est pas même indiqué. Philopon, fol. 6, b, ne donne que sda (ζά ). Asclépius adopte σμά, à ce qu'il semble, Schοl., p. 587 ; mais l'explication qu'il ajoute est-elle vraie avec σμά ? οὐδέποτε δύνανται γνῶναι εἰτε ἐκ τοῦ σ' σύγκειται εἴτε ἐκ τοῦ ζ' ἢ δ´'. Elle Suppose ζά, et encore à condition de lire : εἴτε ἐκ τοῦ ζ' σύγκ. εἰτε ἐκ τοῦ σ´ἢ δ', sans quoi elle n'a absolument aucun sens.

Page 55. Il résulte évidemment de ce qui précède que les recherches de tous les philosophes portent sur les principes que nous avons énumérés dans la Physique…

Voici comment M. A. Jacques apprécie la méthode suivie par Aristote dans l'examen des systèmes de ses devanciers :

« Sans doute Aristote n'a pas résolu avec cette fermeté qui suppose l'expérience d'un âge plus avancé, le problème de la méthode historique : il ne l'a pas même posé, du moins explicitement. Mais s'il n'a pas donné directement le précepte, il l'a suivi; et de sa pratique, il est aisé de conclure la théorie, énoncée ou non, qu'elle réfléchit fidèlement.

« Aristote part d'un système qu'il emprunte à l'analyse psychologique et qu'il importe dans l'histoire pour s'y orienter : en cela nous l’approuvons, malgré la peur exagérée qu’on voudrait nous faire des dangers de l’esprit de système : vrai ou faux, le système abrégera les longueurs sans fin de l’observation purement empirique ; et d’ailleurs, ne va-t-il pas se trouver en présence de son juge, à savoir l’observation elle-même et les faits, lesquels ne l’accepteront définitivement comme leur règle qu’après l’avoir éprouvé et lui avoir conféré sur eux en le redressant, s’il est faux, un droit de domination illimitée ? C’est donc sans danger réel et avec un avantage inappréciable qu’Aristote, par la psychologie a préjugé l’histoire ; il a pu, appuyé sur une étude impartiale de l’esprit humain, de sa constitution et de ses lois, assigner d’avance à la pensée toutes les directions sans lesquelles il lui est donné de se tourner, quelque part et à quelque époque que son développement s’accomplisse. Ces directions, il les a réduites à quatre principales : il a trouvé l’ordre de succession de ces tendances dans la vie intellectuelle ; qu’il aborde maintenant l’histoire, tout s’y explique et s’y déroule aisément ; plus rien d’obscur, plus rien d’imprévu. On dira peut-être que c’est-là tourner dans un cercle : entreprendre l’étude du passé pour contrôler un système, et construire tout d’abord sur ce système même qui est en questionna science du passé, destinée à le juger : mais la contradiction n’est qu’apparente. C’est qu’en effet il y a influence réciproque, action et réaction mutuelles, de l’histoire sur la théorie, et de la théorie sur l’histoire. L’histoire n’est qu’un moyen : la théorie est la vraie, la seule fin : mais l’emploi du moyen n’est possible qu’à la condition que la fin soit déjà, au moins en partie et confusément atteinte.

« Le procédé systématique est donc incontestablement dans la pratique d’Aristote : y est-il suffisamment compensé par le procédé expérimental ? Je trouve ce dernier employé avec une rigueur peu commune dans une revue minutieusement complète de toutes les doctrines antérieures ; j’y vois le respect scrupuleux de l’enchaînement naturel des systèmes, dans l’ordre même où le temps les a produits. Ainsi, à côté de la méthode a priori, la méthode a posteriori qui la confirme Aristote les allie : et dans quelle mesure ? Précisément dans la mesure où doit les tenir unies une saine méthode, également éloignée d'une crainte excessive de l'hypothèse, et d'une présomptueuse confiance dans la hardiesse de ses inductions. Aristote considéré comme historien de la philosophie, p. 24, sqq.