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table des matières de l'œuvre d'Aristote

table des matières de la génération et de la corruption

 

ARISTOTE

DE LA PRODUCTION ET DE LA DESTRUCTION DES CHOSES

(DE GENERATIONE ET CORRUPTIONE)

FRAGMENTS DE MÉLISSUS

(pages 269 à 286)

 

 

 

ORIGINES DE LA PHILOSOPHIE GRECQUE.

livre I livre 2

DISSERTATION

DE MÉLISSUS, DE XÉNOPHANE, ET DE GORGIAS

FRAGMENTS DE MÉLISSUS

ANALYSE DE LA THÉORIE DE GORGIAS PAR SEXTUS EMPIRICUS

TABLE DES MATIÈRES

 

 

 

 

FRAGMENTS DE MÉLISSUS

autre traduction

 

 

I.

Simplicius, commentaire de la Physique d'Aristote, f° 22, verso :

 « Voyons, maintenant, le raisonnement de Mélissus, le premier que combat Aristote. Mettant à profit les principes des Physiciens (01) sur la production et la destruction des choses, Mélissus commence son livre dans les termes suivants » :

 « Si rien n'existe, comment pourrait-on, en quoi que ce soit, traiter ce rien comme s'il était quelque chose? Si quelque chose existe, ce quelque chose est né, ou il est éternel. S'il est né et a été produit, il ne peut venir que de l'être ou du non-être. Mais il n'est pas possible que ce qui n'est rien, et à plus forte raison ce qui est absolument, puisse jamais venir de ce qui n'est pas. II ne se peut pas davantage qu'il vienne de ce qui est; car alors l'être aurait existé, et n'aurait pas eu à devenir et à naître. Donc, l'être ne peut pas devenir; donc, il est éternel. D'autre part, l'être ne peut jamais être détruit; car, il n'est pas possible que l'être se change en non-être. C'est là un point qu'accordent les Physiciens. Il n'est pas plus possible que l'être se change en être; car, de cette façon encore, l'être subsisterait et ne serait pas détruit. Ainsi, l'être n'a pas pu naître, et il ne périra pas. Il a été, et il sera éternellement. »

II.

Simplicius, id., ibid.

 « Mais, si ce qui est né a un commencement, ce qui n'est pas né n'en a pas; or, si l'être n'est pas né, il ne peut pas avoir de commencement non plus. On peut ajouter que ce qui est détruit a une fin ; mais, si une chose est indestructible, elle n'a pas de fin possible. Donc, l'être, étant indestructible, n'a pas de fin. Or, ce qui n'a ni commencement, ni fin, est, par cela même, infini. Donc, l'être est infini. »

III.

Simplicius, id., ibid.

« Si l'être est infini, il est un; car, s'il y avait deux êtres, ils ne pourraient être infinis, puisqu'ils se serviraient mutuellement de limites. L'être étant infini, les êtres ne sauraient être multiples ; donc, l'être est un. »

IV.

Simplicius, id., ibid.

« Si l'être est un, par suite il est immobile; car, l'être un est éternellement semblable à lui-même. L'être, restant semblable à lui-même éternellement, ne peut ni périr, ni s'accroître, ni se transformer, ni s'affliger, ni se détériorer. S'il subissait la moindre de ces affections, il ne serait plus un ; car, un être qui éprouve un mouvement de quelque genre que ce soit, change d'un certain état en un autre. Or l'être ne peut rien être que l'être; et, par conséquent, l'être ne peut pas avoir de mouvement.  »

V.

Simplicius, id., ibid.

« En un autre sens, rien ne peut être vide de l'être; car le vide n'est rien. Le rien ne peut pas être; donc, l'être ne se meut pas ; car du moment qu'il n'y a pas de vide, il n'y a pas de lieu où il puisse se retirer. Mais il n'est pas possible que l'être rentre en lui-même, puisqu'il faudrait alors qu'il fût ou plus rare, ou plus dense qu'il n'est. Or, c'est là ce qui est impossible; car le rare ne peut pas être aussi plein que le dense; et ce qui est rare est déjà plus vide que le dense ne peut l'être. Ainsi, le vide n'existe pas. Pour juger si l'être est plein ou ne l'est pas, c'est ce qu'on peut savoir en regardant s'il peut ou ne peut pas recevoir en lui quelqu'autre chose. S'il ne reçoit pas, c'est qu'il est plein ; s'il reçoit, c'est qu'il ne l'est pas. Mais, s'il n'y a pas de vide, dès lors tout est plein. Et si tout est plein, il n'y a plus de mouvement; car il n'est pas possible que le mouvement ait lieu dans le plein, comme nous le disons. en parlant des corps. Enfin l'être qui est tout ne peut ni se mouvoir dans l'être, puisqu'il n'y a rien en dehors de lui, ni dans le non-être, puisque le non-être n'est pas. »

VI.

Simplicius, id., f° 34, verso :

 « Pour démontrer que l'être ne peut pas avoir été créé, Mélissus s'appuie sur cette maxime générale :
 « Ce qui était a toujours été, et sera toujours ; car, s'il est né à un certain instant, il faut qu'il ne fût rien avant de naître. Si donc il n'y avait rien, il était bien impossible que rien naquit de rien. »

VII.

Simplicius, id., f° 7, 9 et 23, verso :

« Une critique qu'on adresse à Mélissus, c'est que le mot de Commencement ayant plusieurs acceptions, au lieu de prendre le commencement relatif au temps, qui regarde l'être produit, il a pris le Commencement relatif à la chose, lequel ne peut pas s'appliquer aux choses qui changent tout d'une pièce. Même avant Aristote, Mélissus avait parfaitement vu que tout corps fini, tout en étant éternel, n'a qu'une force finie, et que, considéré en lui-même , ce corps est toujours à la limite du temps ... ... de telle sorte qu'ayant, sous le rapport de la grandeur, un commencement et une fin, il doit les avoir également sous le rapport du temps. Et réciproquement : ce qui a un commencement et une fin, sous le rapport du temps, ne peut pas à la fois être tout. Aussi, Mélissus appuie-t-il sa démonstration sur le commencement et la fin, appliqués seulement au temps, et n'appelle-t-il pas sans commencement et sans fin ce qui n'est pas tout, c'est-à-dire ce qui n'est pas à la fois, l'univers entier. Ceci ne s'applique qu'aux choses sans parties, et infinies dans leur être, et s'applique surtout à l'être absolu, puisque l'être absolu est précisément tout. Voici, du reste, les paroles mêmes de Mélissus :

« Ainsi ce qui n'a pas été produit est toujours, a toujours été, et sera toujours. Il n'a ni commencement ni fin; mais il est infini. S'il avait été jamais produit, il aurait un commencement ; car il aurait commencé à devenir dans un certain moment. Il aurait aussi une fin; car il aurait cessé également de devenir. Or, s'il n'a jamais commencé, s'il n'a jamais fini , c'est qu'il a toujours été , c'est qu'il sera toujours, n'ayant jamais ni commencement ni fin ; car ce qui n'est pas tout ne pourra jamais aboutir à être. »

VIII.

Simplicius , id. f° 23, verso :

« De même que l'être est éternel, de même il faut que sa grandeur soit éternellement infinie. »

IX.

Simplicius , id. ibid.

 « Ce qui a un commencement et une fin ne peut jamais être ni éternel, ni infini. »

X.

Simplicius , id. ibid.

« S'il n'était pas unique, il confinerait à un autre. »

XI.

Simplicius, id. f° 24.

« Le langage de Mélissus lui-même peut être ancien ; mais il n'est pas obscur. Nous pouvons nous remettre sous les yeux ces antiques ouvrages, afin que ceux qui les consulteront deviennent meilleurs juges d'explications plus exactes et plus complètes. Voici donc ce que dit Mélissus, récapitulant ce qu'il a exposé antérieurement, et poursuivant sa théorie du mouvement :

« Ainsi donc l'univers, le tout est éternel, infini , un et semblable. II ne peut périr; il ne peut s'accroître ; il ne peut se transformer; il ne peut souffrir; il ne peut se détériorer. S'il éprouvait rien de pareil, il ne serait pas un. Si en effet l'être devient autre, il faut nécessairement qu'il ne soit pas semblable, que l'être antérieur périsse, et que le non-être devienne. Fallût-il trente mille ans au Tout pour devenir autre, il finirait bien par périr dans toute la suite des temps. »

XII.

Simplicius, id., ibid.

 « Mais il ne se peut pas qu'il se transforme; car l'ordre antérieur du monde ne périt pas; et l'ordre qui n'est pas encore ne se produit point. Mais puisque rien de nouveau ne naît, puisque rien ne périt, puisque rien ne change, comment un des êtres quelconques pourrait-il se transformer? Il serait déjà transformé, s'il pouvait devenir autre qu'il n'est. »

XIII.

Simplicius , id. , ibid.

« Il ne souffre pas ; car le tout ne peut pas souffrir, puisqu'il ne serait pas possible qu'une chose qui souffre fût éternelle; elle n'aurait plus dès lors la force d'une chose qui serait en pleine sauté. Elle ne serait pas non plus semblable, si elle souffrait. Elle ne pourrait souffrir que si elle perd ou si elle acquiert quelque chose ; et, par cela seul, elle cesse d'être semblable. Il n'est pas non plus possible qu'une chose saine souffre en quoi que ce soit; car alors l'être et ce sain périrait, et le non-être se produirait. Le même raisonnement, qui s'applique à la souffrance, s'appliquerait aussi à la détérioration quelconque de l'être.  »

XIV.

Simplicius, id. f° 9, 17 verso, et 24 :

 « Il n'y a rien de vide ; car le vide n'est rien ; et n'étant rien, il ne peut pas être. L'être ne se meut pas ; car il n'y a pas de lieu où il puisse se retirer; mais tout est plein. S'il y avait du vide, l'être se retirerait dans le vide ; mais comme il n'y a pas de vide, il n'y a pas de lieu où il se retire. Tout étant plein, il n'y a pas de mouvement. Il n'y aura pas davantage ni dense ni rare ; car il n'est pas possible que le rare soit aussi plein que le dense; et le rare est déjà plus vide que le dense.  Voici comment il faut juger du plein et du vide. Si quelque chose se retire, ou s'il reçoit quelque chose, c'est qu'il n'est pas plein ; s'il ne se retire pas ou s'il ne reçoit pas, c'est qu'il est plein. Donc il n'y a que du plein, s'il n'y a pas de vide. Si donc tout est plein, il n'y a pas de mouvement possible.  »

XV.

Simplicius, id. f° 24 :

« Si l'être se divise, il se meut; mais alors il ne se meut pas tout entier à la fois. »*

XVI.

Simplicius, id. ibid, et aussi f° 19 :

« Si l'être existe, il faut qu'il soit un ; et étant un, il faut en même temps qu'il n'ait pas de corps; cars il avait de l'épaisseur, il aurait aussi des parties; et il ne serait plus un. »

XVII.

Simplicius, commentaire sur le Traité du Ciel, f°137 ; Eusèbe, citant Aristoclès, Préparation Evangélique, XV, 17 .

« Voilà donc l'argument le plus puissant pour prouver l'unité de l'être. Mais voici d'autre part des raisons qui la démontrent aussi. S'il y avait des êtres multiples, il faudrait qu'ils fussent chacun comme est l'être dont j'affirme l'unité. Si la terre et l'eau, si l'air, le fer, l'or et le feu, si le vivant et le mort, si le blanc. et le noir et tout le reste des choses que les hommes prennent pour vraies, existent en effet telles qu'on les dit, il faut que chaque chose soit réellement ce qu'elle nous a d'abord paru, qu'elle ne change pas d'état, et qu'elle ne devienne pas autre, mais qu'elle reste toujours ce qu'elle est. Mais nous croyons, dans l'état présent des choses, les bien voir, les bien entendre, et les bien concevoir. Or le chaud nous semble devenir froid, le froid devenir chaud, le dur devenir mou, le mou devenir dur, le vivant nous semble mourir, et renaître de ce qui ne vit plus ; tout sans exception nous parait devenir autre ; rien ne paraît rester au même état où il a été et où il est. Le fer lui-même quelque dur qu'il soit, s'use au contact du doigt. L'or, la pierre et tout autre corps qui nous parait si dur, viennent de l'eau comme en viennent la terre et la pierre. Par conséquent, on peut dire que nous ne voyons ni ne connaissons les êtres dans leur réalité. Ainsi tout cela est bien loin de se correspondre. Nous disons bien de certaines choses qu'elles sont éternelles, et nous n'en voyons pas moins toutes leurs formes et toutes leurs propriétés changer sous nos yeux, et cesser d'être ce que nous les avions vues dans chaque cas particulier. Donc il faut convenir que nous ne voyons pas bien les choses, et que c'est à tort que les choses nous semblent multiples; car elles ne changeraient pas, si elles étaient vraies ; mais elles seraient ce que chacune nous paraîtrait être, puisqu'il n'y a rien qui soit au-dessus de l'être véritable. Dans le changement, l'être a péri ; et ce qui se produit, c'est le non-être. Donc encore une fois si les choses étaient multiples ainsi qu'on le dit, il faudrait qu'elles fussent absolument comme est l'être un.  »

(01) Les physiciens sont les philosophes de l'École d'Ionie; voir la Physique d'Aristote, Livre I, ch. 2, § 1, page 433 de ma traduction.