Aristote : Premiers analytiques

ARISTOTE

 

PREMIERS ANALYTIQUES.

LIVRE SECOND.

SECTION TROISIÈME.

RÉDUCTION DE TOUTES LES FORMES DE RAISONNEMENT AU SYLLOGISME.

CHAPITRE XXV.

chapitre XXIV - chapitre XXVI

 

 

 

PREMIERS ANALYTIQUES

 

 

 

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CHAPITRE XXV.

De l'Abduction. — Définition de l'Abduction. — Elle est de deux espèces, selon que la mineure est aussi probable ou plus probable que la conclusion ; et selon que les intermédiaires de la mineure sont plus ou moins nombreux que ceux de la condition  — Exemples de ces deux espèces d'Abduction. — Rapport de l'Abduction et de la Science.

1 Ἀπαγωγὴ δ´ ἐστὶν ὅταν τῷ μὲν μέσῳ τὸ πρῶτον δῆλον ᾖ ὑπάρχον, τῷ δ´ ἐσχάτῳ τὸ μέσον ἄδηλον μέν, ὁμοίως δὲ πιστὸν ἢ μᾶλλον τοῦ συμπεράσματος· ἔτι ἂν ὀλίγα ᾖ τὰ μέσα τοῦ ἐσχάτου καὶ τοῦ μέσου· πάντως γὰρ ἐγγύτερον εἶναι συμβαίνει τῆς ἐπιστήμης. 2 Οἷον ἔστω τὸ Α τὸ διδακτόν, ἐφ´ οὗ Β ἐπιστήμη, τὸ Γ δικαιοσύνη. Ἡ μὲν οὖν ἐπιστήμη ὅτι διδακτόν, φανερόν· ἡ δ´ ἀρετὴ εἰ ἐπιστήμη, ἄδηλον. Εἰ οὖν ὁμοίως ἢ μᾶλλον πιστὸν τὸ Β Γ τοῦ Α Γ, ἀπαγωγή ἐστιν· ἐγγύτερον γὰρ τοῦ ἐπίστασθαι διὰ τὸ προσειληφέναι τὴν Α Β ἐπιστήμην, πρότερον οὐκ ἔχοντας. 3 Ἢ πάλιν εἰ ὀλίγα τὰ μέσα τῶν Β Γ· καὶ γὰρ οὕτως ἐγγύτερον τοῦ εἰδέναι. Οἷον εἰ τὸ Δ εἴη τετραγωνίζεσθαι, τὸ δ´ ἐφ´ ᾧ Ε εὐθύγραμμον, τὸ δ´ ἐφ´ ᾧ Ζ κύκλος· εἰ τοῦ Ε Ζ ἓν μόνον εἴη μέσον, τὸ μετὰ μηνίσκων ἴσον γίνεσθαι εὐθυγράμμῳ τὸν κύκλον, ἐγγὺς ἂν εἴη τοῦ εἰδέναι. 4 Ὅταν δὲ μήτε πιστότερον ᾖ τὸ Β Γ τοῦ Α Γ μήτ´ ὀλίγα τὰ μέσα, οὐ λέγω ἀπαγωγήν. Οὐδ´ ὅταν ἄμεσον ᾖ τὸ Β Γ· ἐπιστήμη γὰρ τὸ τοιοῦτον.  

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1 L'abduction a lieu lorsqu'il est certain que le premier terme est au moyen, et qu'il est incertain que le moyen est au dernier, bien que cette mineure soit aussi croyable ou même plus croyable que la conclusion. En outre, l'abduction a lieu quand les intermédiaires du dernier extrême et du moyen sont en plus petit nombre; car, alors, de ces deux façons, on est plus près de savoir. 2 Par exemple, soit A qui peut être enseigné, B la science, C la justice. Il est évident que la science peut être enseignée; mais que la justice soit une science, c'est ce qu'on ignore. Si donc B C est aussi croyable ou plus croyable que A C, c'est une abduction ; car on est plus près de savoir en ajoutant B C à A C, tandis que, auparavant , on n'avait pas du tout la science. 3 Il y a encore abduction si les intermédiaires sont moins nombreux entre B et C ; car, de cette façon encore, on est plus près de savoir. Par exemple, soit D, le cercle être carré, Ε figure rectiligne, et F un cercle. S'il n'y a qu'un seul moyen pour Ε F, c'est-à-dire, si le cercle devient égal à une figure rectiligne au moyen de lunules, on touche presque à la science. 4 Mais, lorsque B C n'est pas plus croyable que A C, et que les moyens ne sont pas en plus petit nombre, il n'y a plus ce que je nomme abduction comme il n'y en a pas non plus quand B C est sans moyen; car alors c'est à la science même qu'on est arrivé.

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L'Abduction est un syllogisme dont la majeure est certaine, mais dont la mineure offre autant de probabilités même plus de probabilité, que la conclusion elle-même, sans offrir de certitude comme dans te syllogisme ordinaire. Ce qui fait habituellement la nécessité de la conclusion, et par cela même son évidence, c'est que, la majeure et la mineure étant certaines, la conclusion qui en ressort ne l'est pas moins qu'elles. Ici, au contraire, la vérité de la mineure est inconnue, et on ne peut lui accorder qu'une sorte de probabilité qui égale ou surpasse celle de la conclusion. Ainsi la conclusion fournie par le syllogisme abductif ne produit pas la science, à parler rigoureusement; mais il approche de la science qui, sans lui, serait encore plus incomplète. Il reste toujours à prouver la conclusion elle-même, qui n'est pas certaine; mais si la mineure est aussi probable que la conclusion, autant vaut prouver cette mineure; et si elle est plus probable, il est plus facile de la prouver. Il y a encore Abduction lorsque la mineure a moins d'intermédiaires entre les deux termes qui la forment, que la conclusion n'en a entre les siens. De cette façon, comme de la première, on est plus près de savoir par la mineure que par la conclusion.

§ 1. Que le premier terme est au moyen, c'est-à-dire, que le majeur est au moyen, ou en d'autres termes : quand la majeure est certaine.

Que le moyen est au dernier, en d'autres termes, que la mineure est incertaine.

Les intermédiaires du dernier extrême, et du moyen, c'est-à-dire, les intermédiaires entre les deux termes de la mineure.

Sont en plus petit nombre; le texte dit mot à mot : En petit nombre. J'ai cru devoir, ici comme plus loin, adopter, avec quelques traductions latines, le comparatif, qui rend la pensée plus claire.

§ 2. Exemple d'Abduction. L'idée principale parait empruntée au Ménon de Platon, comme l'ont remarqué les commentateurs. Voir la traduction de Μ. V. Cousin, tome VI, p. 137, 193, etc. Voici le syllogisme abductif : AB majeure certaine et évidente : La science peut être enseignée; BC , mineure incertaine : la justice est une science : AC, conclusion qui est aussi incertaine ou plus incertaine même que la mineure : La justice peut être enseignée.

Si donc BC, la mineure, est aussi croyable ou plus croyable que AC, la conclusion.

En ajoutant BC à AC, c'est-à-dire, en prenant la mineure, on est plus près de savoir ce qu'on cherche que si l'on prenait la conclusion toute seule ; mais cependant ou ne sait pas encore d'une manière positive. Il faudrait prouver la mineure, précisément parce qu'elle est incertaine.

§ 3. Autre exemple de la seconde espèce d'Abduction où les intermédiaires de la mineure sont en moindre nombre que ceux de la conclusion. Alors encore, avec une mineure de ce genre, on est plus près de savoir ce qu'on cherche que par la conclusion elle-même. Voici le syllogisme abductif: DE majeure certaine : Toute figure rectiligne est carrable; EF mineure incertaine, mais qui a moins d'intermédiaires que la conclusion : Tout cercle peut devenir rectiligne : DF, conclusion incertaine qui a plus d'intermédiaires que la mineure : Donc tout cercle est carrable. Quel que soit le nombre des moyens par lesquels on prouverait que le cercle peut être réduit en figure rectiligne, ce nombre serait toujours moindre que pour la conclusion, puisque le carré est une espèce de figure rectiligne, et qu'avant d'arriver à l'espèce il faudrait nécessairement passer par le genre. Il n'y aurait, du reste, ici qu'un seul intermédiaire entre les deux termes de la mineure, si l'on admettait la solution des lunules d'Hippocrate de Chios. Aristote rappelle encore cet exemple, Réfutations des Sophistes, ch. 13, § 3. Voir aussi le commentaire de Simplicius sur la Physique , liv. I, ch. 2.

On touche presque à la science, en effet, on n'en est séparé que par un seul intermédiaire. La science même, serait le cas où BC serait une proposition immédiate, comme au § suivant.

§ 4. Lorsque les deux conditions, posées au § 1 n'ont pas lieu, c'est-à-dire, quand la mineure est moins certaine que la conclusion, et quand les intermédiaires sont plus nombreux, il n'y a point d'Abduction. Dans le premier cas, il n'y a pas de syllogisme véritable, puisqu'on n'arrive pas à la vérité ; dans le second, il n'y en a pas davantage. Il n'y a pas davantage Abduction, quand BC est tans moyen, c'est-à-dire, quand la mineure est une proposition immédiate. Il n'est pas besoin alors de pousser plus loin ; on est arrivé à la science qu'on cherche. Eu résumé, l'Abduction est une sorte de faux syllogisme où le raisonnement dévie, et, pour ainsi dire, est éconduit, parce que la mineure est plus facile à comprendre que la conclusion.

 

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