Aristote : Premiers analytiques

ARISTOTE

 

PREMIERS ANALYTIQUES.

LIVRE SECOND.

SECTION TROISIÈME.

RÉDUCTION DE TOUTES LES FORMES DE RAISONNEMENT AU SYLLOGISME.

CHAPITRE XXIV.

chapitre XXIII - chapitre XXV

 

 

 

PREMIERS ANALYTIQUES

 

 

 

précédent

CHAPITRE XXIV.

De l'Exemple, — Définition de l'Exemple qui est une espèce d'Iduction — Condition de cette forme de raisonnement. — Caractère spécial qui la distingue. — Différences qui séparent l'Exemple de l'Induction. 

1 Παράδειγμα δ´ ἐστὶν ὅταν τῷ μέσῳ τὸ ἄκρον ὑπάρχον δειχθῇ διὰ τοῦ ὁμοίου τῷ τρίτῳ. 2 Δεῖ δὲ καὶ τὸ μέσον τῷ τρίτῳ καὶ τὸ πρῶτον τῷ ὁμοίῳ γνώριμον εἶναι ὑπάρχον. 3 Οἷον ἔστω τὸ Α κακόν, τὸ δὲ Β πρὸς ὁμόρους ἀναιρεῖσθαι πόλεμον, ἐφ´ ᾧ δὲ Γ τὸ Ἀθηναίους πρὸς Θηβαίους, τὸ δ´ ἐφ´ ᾧ Δ Θηβαίους πρὸς Φωκεῖς. Ἐὰν οὖν βουλώμεθα δεῖξαι ὅτι τὸ Θηβαίοις πολεμεῖν κακόν ἐστι, ληπτέον ὅτι τὸ πρὸς τοὺς ὁμόρους πολεμεῖν κακόν. Τούτου δὲ πίστις ἐκ τῶν ὁμοίων, οἷον ὅτι Θηβαίοις ὁ πρὸς Φωκεῖς. Ἐπεὶ οὖν τὸ πρὸς τοὺς ὁμόρους κακόν, τὸ δὲ πρὸς Θηβαίους πρὸς ὁμόρους ἐστί, φανερὸν ὅτι τὸ πρὸς Θηβαίους πολεμεῖν κακόν. Ὅτι μὲν οὖν τὸ Β τῷ Γ καὶ τῷ Δ ὑπάρχει, φανερόν (ἄμφω γάρ ἐστι πρὸς τοὺς ὁμόρους ἀναιρεῖσθαι πόλεμον), καὶ ὅτι τὸ Α τῷ Δ (Θηβαίοις γὰρ οὐ συνήνεγκεν ὁ πρὸς Φωκεῖς πόλεμος)· ὅτι δὲ τὸ Α τῷ Β ὑπάρχει, διὰ τοῦ Δ δειχθήσεται. Τὸν αὐτὸν δὲ τρόπον κἂν εἰ διὰ πλειόνων τῶν ὁμοίων ἡ πίστις γένοιτο τοῦ μέσου πρὸς τὸ ἄκρον.

4 Φανερὸν οὖν ὅτι τὸ παράδειγμά ἐστιν οὔτε ὡς μέρος πρὸς ὅλον οὔτε ὡς ὅλον πρὸς μέρος, ἀλλ´ ὡς μέρος πρὸς μέρος, ὅταν ἄμφω μὲν ᾖ ὑπὸ ταὐτό, γνώριμον δὲ θάτερον.

5 Καὶ διαφέρει τῆς ἐπαγωγῆς, ὅτι ἡ μὲν ἐξ ἁπάντων τῶν ἀτόμων τὸ ἄκρον ἐδείκνυεν ὑπάρχειν τῷ μέσῳ καὶ πρὸς τὸ ἄκρον οὐ συνῆπτε τὸν συλλογισμόν, τὸ δὲ καὶ συνάπτει καὶ οὐκ ἐξ ἁπάντων δείκνυσιν.  

suite  

1 L'exemple a lieu quand l'extrême est démontré du moyen par un terme semblable au troisième.  2 Mais il faut que l'on sache que le moyen est au troisième terme, et que le premier extrême est au terme semblable. 3 Par exemple, soit : A mauvais, et Β faire la guerre contre ses voisins. C représente la guerre des Athéniens contre les Thébains, et D celle des Thébains contre les Phocéens. Si donc nous voulons prouver qu'il est mauvais de  faire la guerre aux Thébains, il faut supposer qu'il est mauvais de faire la guerre contre ses voisins. Or, on tire cette assertion de la connaissance des cas analogues ; par exemple, de ce que la guerre contre les Phocéens a été fatale pour les Thébains. Puis donc qu'il est mauvais de faire la guerre à ses voisins, et que la guerre contre les Thébains est une guerre contre des voisins, il est clair qu'il est mauvais de faire la guerre aux Thébains. Ainsi, il est clair que B est à C et à D; car tous deux sont: Faire la guerre contre des voisins. Et il est clair aussi que A est à D; car la guerre contre les Phocéens n'a pas été avantageuse pour les Thébains. Et l'on démontrera par D que A est à B. On prouverait encore ainsi le rapport du moyen à l'extrême, lors même qu'on appuierait l'assertion sur plusieurs cas analogues au lieu d'un seul.

4 Il est donc évident que l'exemple n'est point un rapport du tout à la partie, ni de la partie au tout ; c'est le rapport d une partie à une partie, puisque les deux termes sont les sujets d'un même terme, et que, seulement , l'un est plus connu que l'autre.

5 L'exemple diffère de l'induction en ce que l'une démontre, par tous les cas particuliers, que l'extrême est au moyen et n'enchaîne pas le syllogisme à l'autre extrême, tandis que l'exemple le fait, et ne démontre point par tous les cas particuliers.

suite

§ 1. L'exemple est une espèce d'induction, car il prouve, comme l'induction, que le majeur est au moyen : mais ce n'est pas par le mineur; c'est par un quatrième terme qui est semblable au mineur, et qui peut à ce titre en tenir lieu. Ainsi la règle du ch. 22, § 8, s'applique à l'exemple comme elle s'appliquait à l'induction. Voici la seule modification que cette règle reçoit dans ce cas. Lorsque trois termes sont dans ce rapport que le second et le troisième soient réciproques, si le premier et le second sont attribués au troisième, il faut que le premier soit aussi attribué au second ; ajoutez : on peut substituer au troisième terme tel autre terme qui lui soit semblable.

Quand l'extrême est démontré du moyen, sous-entendu : majeur, après l'extrême

Par un terme semblable au troisième, c'est-à-dire, au mineur.

— Du reste, l'induction qui conclut A de Β est incomplète , parce qu'on n'a pas réuni la totalité des cas particuliers. Le syllogisme se forme, comme pour l'induction, dans la troisième figure; mais la mineure ne pouvant pas se convertir réciproquement, ce syllogisme ne peut être ramené à la première figure, comme on le faisait au chapitre précédent, § 4. La conclusion universelle formulée ainsi dans la troisième figure n'est point régulièrement obtenue : c'est que l'exemple n'a pas par lui-même une nécessité de conclusion, et il ne l'acquiert que par le syllogisme complet qu'on sous-entend , mais qui, tout caché qu'il est, donne a l'exemple la puissance de conclusion dont il manque. Voir le § 3, plus bas.

§ 2. C'est qu'en effet il faut, pour conclure, savoir préalablement que le moyen est au mineur, et de plus que le majeur est au quatrième terme, qui est le semblable du troisième, et qui en tient lieu. Aristote ajoute dans le § 3 une dernière condition , c'est qu'on sache que Β est à D, c'est-à-dire, que le moyen est aussi au quatrième terme. Ainsi l'exemple, qu'on exprime le plus ordinairement par deux propositions seulement, suppose un prosyllogisme et un syllogisme. On sait préalablement que le moyen est au mineur, c'est-à-dire qu'en sait la mineure du syllogisme; on sait de plus que le majeur est au quatrième terme, c'est la majeure du prosyllogisme ; on sait enfin que le moyen est au quatrième terme, c'est la mineure du prosyllogisme. Reste donc à savoir que le majeur est au moyen, c'est la conclusion du prosyllogisme ; et enfin que le majeur est au mineur, c'est la conclusion définitive du syllogisme principal.

§ 3. Soit A majeur, représentant mauvais, Β moyen, faire la guerre contre ses voisins, et C mineur la guerre des Athéniens contre les Thébains. L'exemple aura ici cette forme enthymématique : D, La guerre contre les Phocéens a été fatale aux Thébains ; Donc la guerre contre les Thébains sera fatale aux Athéniens.

Si nous voulons prouver qu'il est mauvais de faire la guerre aux Thébains, conclusion définitive du syllogisme principal. Pour la démontrer, on suppose qu'il est mauvais de faire la guerre contre ses voisins, majeure du syllogisme principal où le majeur est attribué au moyen, A à B. Mais cette proposition n'est pas évidente par elle-même, et alors on l'appuie sur l'exemple des cas analogues à celui dont on s'occupe : La guerre contre les Phocéens a été fatale aux Thébains leurs voisins qui les avaient attaqués.

De ce que la guerre contre les Phocéens a été fatale pour les Thébains, c'est la mineure du prosyllogisme destiné à prouver la majeure douteuse du syllogisme. Voici ce prosyllogisme entier : La guerre contre les Phocéens a été fatale aux Thébains : or la guerre contre les Phocéens était une guerre contre des voisins ; Donc il est fatal de faire la guerre à ses voisins. Ce prosyllogisme à conclusion universelle dans la troisième figure est irrégulier, parce que la conversion réciproque dans la mineure est impossible, attendu que l'énumération des cas particuliers est incomplète.

Puis donc. ..et que la guerre contre les Thébains est une guerre contre des voisins, mineure du syllogisme principal.

II est clair qu'il est mauvais de faire la guerre aux Thébains, conclusion définitive à laquelle on n'est arrivé que par le prosyllogisme et l'exemple qu'il renferme. Voici pour plus de clarté le prosyllogisme et le syllogisme à la suite l'un de l'autre. Prosyllogisme : AD, la guerre contre les Phocéens a été fatale aux Thébains : AD, or la guerre contre les Phocéens est une guerre contre des voisins; AB, Donc la guerre contre des voisins est fatale.

— Syllogisme : AB, la guerre contre des voisins est fatale : BC, la guerre des Athéniens contre les Thébains est une guerre contre des voisins; AC, Donc la guerre des Athéniens contre les Thébains sera fatale.

Ainsi il est clair que B est à C et à D, c'est-à-dire qu'on connaît la mineure du prosyUogisme, et la mineure du syllogisme.

Et il est clair aussi que A est à D, c'est-à-dire qu'on connaît la majeure du prosyllogisme.

Et l'on démontrera par D que A est à B, voilà l'exemple proprement dit, c'est-à-dire, le prosyllogisme cité plus haut, donnant pour conclusion le majeur A attribué au moyen B.

On prouverait encore ainsi... sur plusieurs cas analogues , on peut au lieu d'un seul fait particulier : la guerre des Thébains coutre les Phocéens, en prendre plusieurs , c'est-à-dire, citer plusieurs guerres de voisins à voisins ; le raisonnement serait le même.

§ 4. Un rapport du tout à la partie, c'est le rapport vrai qui constitue le syllogisme. Voir liv. 1, ch. 4, § 2, et ch. 41, § 6.

Ni de la partie au tout, c'est le rapport qui constitue l'Induction. Voir le chapitre précédent.

C'est le rapport d'une partie à une partie ; en effet, on met en rapport la guerre des Thébains contre les Phocéens, et la guerre des Athéniens contre les Thébains, parties l'une et l'autre d'une totalité qui est la guerre contre des voisins.

Seulement l'un est plus connu que l'autre, c'est-à-dire, on connaît mieux le fait qu'on cite, que ce qu'on veut prouver. Ainsi, on sait que la guerre contre les Phocéens a été fatale aux Thébains, mieux qu'on ne sait que la guerre contre les Thébains sera fatale aux Athéniens.

§ 5. Que l'extrême est au moyen, c'est-à-dire, le majeur au moyen. Voir le chapitre précédent, § 2.

Et n'enchaîne pas le syllogisme à l'autre extrême, c'est-à-dire, ne joint point dans la conclusion le majeur au mineur, ibid, § 4.

Tandis que l'Exemple le fait, c'est-à-dire, que, dans la conclusion définitive, donnée par l'Exemple, le majeur est attribué au mineur. Voir dans ce chapitre § 3.

Et ne démontre point par tous les cas particuliers, l'Exemple ne prend qu'un fait semblable, ou quelques faits semblables : l'Induction, pour être parfaite, prend tous les faits particuliers. Voir chapitre précédent, § 4.

Pacius, pour bien faire comprendre la différence du Syllogisme, de l'Induction et de l'Exemple, donne le tableau suivant, que je lui emprunte, et qui est formé des éléments même qu'Aristote emploie dans ce chapitre. Syllogisme : La guerre contre les voisins est fatale : Or, la guerre des Athéniens contre les Thébains est une guerre contre des voisins; Donc la guerre des Athéniens contre les Thébains sera fatale.

— Induction : La guerre des Thébains contre les Phocéens, la guerre des Athéniens contre les Thébains, et toutes les guerres analogues, sont fatales; Donc toute guerre contre des voisins est fatale.

— Exemple : La guerre des Thébains contre les Phocéens a été fatale; Donc la guerre des Athéniens contre les Thébains sera fatale.

suite