Aristote : Premiers analytiques

ARISTOTE

 

PREMIERS ANALYTIQUES.

LIVRE SECOND.

SECTION SECONDE.

VICES DU SYLLOGISME.

CHAPITRE XIX.

chapitre XVIII - chapitre XX

 

 

 

PREMIERS ANALYTIQUES

 

 

 

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CHAPITRE XIX.

Du Catasyllogisme. — Conseils divers aux interlocuteurs : conseils à celui qui répond : conseils à celui qui interroge, soit pour les Syllogismes composés, soit pour les Syllogismes simples.

1 Πρὸς δὲ τὸ μὴ κατασυλλογίζεσθαι παρατηρητέον, ὅταν ἄνευ τῶν συμπερασμάτων ἐρωτᾷ τὸν λόγον, ὅπως μὴ δοθῇ δὶς ταὐτὸν ἐν ταῖς προτάσεσιν, ἐπειδήπερ ἴσμεν ὅτι ἄνευ μέσου συλλογισμὸς οὐ γίνεται, μέσον δ´ ἐστὶ τὸ πλεονάκις λεγόμενον. 2 Ὡς δὲ δεῖ πρὸς ἕκαστον συμπέρασμα τηρεῖν τὸ μέσον, φανερὸν ἐκ τοῦ εἰδέναι ποῖον ἐν ἑκάστῳ σχήματι δείκνυται. Τοῦτο δ´ ἡμᾶς οὐ λήσεται διὰ τὸ εἰδέναι πῶς ὑπέχομεν τὸν λόγον. 3 Χρὴ δ´ ὅπερ φυλάττεσθαι παραγγέλλομεν ἀποκρινομένους, αὐτοὺς ἐπιχειροῦντας πειρᾶσθαι λανθάνειν. 4 Τοῦτο δ´ ἔσται πρῶτον, ἐὰν τὰ συμπεράσματα μὴ προσυλλογίζωνται ἀλλ´ εἰλημμένων τῶν ἀναγκαίων ἄδηλα ᾖ, 5 ἔτι δὲ ἂν μὴ τὰ σύνεγγυς ἐρωτᾷ, ἀλλ´ ὅτι μάλιστα ἄμεσα. Οἷον ἔστω δέον συμπεραίνεσθαι τὸ Α κατὰ τοῦ Ζ· μέσα Β Γ Δ Ε. Δεῖ οὖν ἐρωτᾶν εἰ τὸ Α τῷ Β, καὶ πάλιν μὴ εἰ τὸ Β τῷ Γ, ἀλλ´ εἰ τὸ Δ τῷ Ε, κἄπειτα εἰ τὸ Β τῷ Γ, καὶ οὕτω  [67] τὰ λοιπά. 6 Κἂν δι´ ἑνὸς μέσου γίνηται ὁ συλλογισμός, ἀπὸ τοῦ μέσου ἄρχεσθαι· μάλιστα γὰρ ἂν οὕτω λανθάνοι τὸν ἀποκρινόμενον.  

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1 Pour éviter d'être réfuté syllogistiquement, il faut avoir bien soin, lorsque l'adversaire demande une donnée sans les conclusions qu'elle fournit, de ne pas lui accorder deux fois le même terme dans les propositions; car nous savons qu'il n'y a pas de syllogisme possible sans terme moyen, et que le moyen terme est celui qui est répété plusieurs fois. 2 Nous savons aussi ce que nous avons à observer dans le moyen, relativement à chaque espèce de conclusion ; car nous savons la nature de celles que renferme chaque figure. La forme de la conclusion ne doit pas nous échapper non plus, puisque nous savons bien comment nous devons suivre la discussion.  3 Mais il faut, quand on argumente soi-même, dissimuler soigneusement ce que nous «vous recommandé d'éviter quand on répond.  4 Un premier moyen d'y parvenir, c'est de ne pas donner les conclusions des prosyllogismes, mais de les laisser dans l'ombre, en ne prenant que les propositions nécessaires. 5 C'est, en second lieu, de ne pas demander les termes voisins, mais de multiplier les intermédiaires de ces termes. Par exemple, supposons qu'il faille conclure A de F, et que les moyens soient B C D Ε, il faut alors demander si A est à B, et ensuite, non pas si B est à C, mais si D est à E, et ensuite si B est à C; et ainsi du reste.  6 Si le syllogisme a lieu par un seul moyen, il faut commencer par ce moyen même ; car c'est ainsi qu'on échappera le mieux à l'attention de celui qui répond.

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§ 1. Je peux faire ici des remarques analogues à celles que j'ai faites sur le chapitre précédent. Les commentateurs de la Renaissance ont voulu voir, dans celui-ci, l'exposition d'un quatrième vice du syllogisme qu'ils ont appelé Catasyllogisme. Rien n'indique formellement que ce soit bien là l'objet de ce chapitre. Il semble bien plutôt que ce sont des conseils donnés par Aristote aux interlocuteurs, à l'un pour qu'il évite, en répondant, de donner des armes contre lui-même ; à l'autre, pour qu'il force son adversaire à lui concéder, sans le savoir, les propositions nécessaires à la réfutation. Ce sont là des ruses et des habiletés de dialectique fort semblables à celles qui sont indiquées au 8e livre des Topiques, et au ch. 15 des Réfutations des Sophistes. Mais il ne semble pas qu'on puisse en faire un défaut spécial du syllogisme, comme la pétition de principe, par exemple. Reste toujours, il est vrai, à savoir comment la théorie de ce chapitre 19 se rattache à celles qui précèdent; et pourquoi elle n'a pas été rejetée dans la dialectique proprement dite. C'est cette difficulté, sans doute, qui a porté les commentateurs à reconnaître ici un quatrième vice du syllogisme, faisant suite aux trois premiers; je ne puis partager entièrement leur avis. Du reste, le détail de la pensée d'Aristote n'en est pas moins clair, si le lien général nous échappe.

  Demande une donnée sans les conclusions, par exemple, quand l'adversaire prend des propositions de prosyllogismes, sans en indiquer la conclusion, qui doit être une prémisse du syllogisme principal.

Nous savons. Voir liv. 1, ch. 4, § 2 et passim.

Plusieurs fois, c'est-à-dire, deux fois : une fois dans la majeure, et une fois dans la mineure.

§ 2. Ce que nous avons à observer dans le moyen, il faut se rappeler ici les fonctions et la place du moyen dans les trois figures. Il est clair que si l'on accorde deux fois, pour attribut, un même terme, on fournit à l'adversaire un moyen qu'il peut employer pour faire un syllogisme de la seconde figure, où le moyen est attribut des deux extrêmes. Si l'on accorde deux fois un même terme pour sujet des deux autres, l'adversaire pourra faire un syllogisme dans la troisième figure. Si l'on accorde deux fois un même terme pour sujet d'un autre terme, et pour attribut d'un autre second terme, l'adversaire pourra conclure dans la première figure. Or, on sait quelle espèce de conclusion donne chaque figure ; on sait de plus, par la thèse qu'on soutient soi-même, celle qu'attaque l'adversaire et celle qu'il désire établir; il faut alors n'accorder que les figures dont il ne peut faire aucun usage. Si l'on soutient une thèse négative, on peut accorder sans difficulté la seconde figure, parce qu'elle ne renferme que des conclusions négatives; et que, par conséquent, l'adversaire n'y trouvera pas la conclusion affirmative dont il aurait besoin pour réfuter. Si l'on soutient une thèse particulière affirmative, on peut accorder la troisième figure où il ne se trouve pas de conclusion universelle, etc.

Comment nous devons conduire la discussion, parce que nous savons bien l'opinion que nous défendons nous-mêmes, et celle que défend l'adversaire.

Les conseils renfermés dans les deux §§ précédents s'adressent à l'interlocuteur qui répond : les suivants s'adressent à l'interlocuteur qui interroge, et qui doit s'efforcer d'obtenir ce que, dans une position contraire, il devrait s'efforcer de refuser.

§ 3. Quand on argumente soi-même, c'est-à-dire, quand on interroge, il faut cacher le but où l'on tend, afin que l'adversaire ne le découvre pas, et ne se mette point en garde contre les pièges qu'on lui dresse. Ici, il faut gagner ce que, précisément, il fallait tout à l'heure éviter. Les rôles sont changés.

§ 4. De même qu'en répondant, il ne fallait pas accorder de moyen en répétant un même terme deux fois, § 1 , de même ici, pour dissimuler sa marche, il faut ne jamais formuler les conclusions des prosyllogismes; il faut seulement en demander et en prendre les prémisses pour en faire l'usage convenable. Mais si l'on demandait nettement la conclusion, ce serait révéler à l'adversaire où on le conduit; et alors, il refuserait les éléments mêmes dont on a besoin, et qui serviraient à le réfuter.

Les propositions nécessaires, c'est-à-dire, les prémisses des prosyllogismes.

§ 5. Second conseil à l'interlocuteur qui interroge : Qu'il bouleverse la série des prosyllogismes, afin que l'adversaire la suive avec plus de peine et qu'il s'y embarrasse. Ainsi, voulant conclure A de F, qu'il ne dise pas: A est à B, B est à C, G est à D, D est à Ε, Ε est à F, donc A est à F ; mais qu'il saute de l'une de ces propositions à l'autre, sans observer l'ordre régulier, et qu'il dise: A est à B,D est à Ε, B est à C, etc., dissimulant sa marche en la rendant tortueuse et obscure.

§ 6. Troisième conseil : Si le syllogisme n'a qu'un seul moyen, c'est-à-dire, si le syllogisme est simple au lieu d'être composé; alors il faut commencer par ce moyen même. Pour bien comprendre ceci, il faut se rappeler le genre spécial d'énonciation qu'Aristote a adopté dans la forme du syllogisme. On sait qu'il débute par le majeur, qu'il passe de là au moyen, et qu'il finit par le mineur , disant toujours : A est à Β, B est à C; donc A est à C, c'est-à-dire, qu'il va toujours du plus étendu au moins étendu, du contenant au contenu. Voir liv. 1, ch. 4, § 3. C'est la marche la plus simple, la plus claire, la plus évidente : mais on pourrait aussi commencer par la mineure, et dire : B est à C, A est à B; donc A est à C. Déjà le raisonnement est moins évident. Enfin on le rendrait plus obscur encore, en commençant par le moyen lui-même, et en disant : B est A, C est B; donc C est A.

— On peut voir qu'ici Aristote fait la critique de notre manière habituelle d'énoncer les syllogismes. En effet, nous prenons toujours le verbe : être d'une manière absolue, et nous disons : B est A, et non point comme Aristote : A est à B, d'où il suit que nous débutons toujours par le moyen, que nous continuons par le majeur, et que nous revenons au mineur pour conclure enfin le majeur du mineur. C'est précisément la marche embarrassée qu'Aristote conseille à l'interlocuteur qui interroge, mais qu'il proscrit pour la science, et que, pour sa part, il n'a jamais employée.

 

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