Aristote : Premiers analytiques

ARISTOTE

 

PREMIERS ANALYTIQUES

LIVRE PREMIER

SECTION TROISIÈME
ANALYSE DES SYLLOGISMES EN FIGURES ET EN MODES

CHAPITRE PREMIER

Plan général des premiers analytiques

 

 

 

PREMIERS ANALYTIQUES

 

 

 

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PREMIERS ANALYTIQUES

LIVRE PREMIER

SECTION PREMIÈRE

FORMATION DU SYLLOGISME

CHAPITRE PREMIER

Sujet et but des Analytiques. - Définitions et espèces, de la Proposition, du Terme, du Syllogisme. - Définitions de quelques autres expressions importantes.

La division de ce livre en trois sections, admise par tous les commentateurs, est indiquée plus bas par Aristote lui-même, ch. 32, § 1, et liv. 2, ch. 1, § 1.

τως.  πολλάκις δὲ διαψεύδεσθαι [48a] συμπεσεῖται παρὰ τὸ μὴ καλῶς ἐκτίθεσθαι τοὺς κατὰ τὴν πρότασιν ὅρους, οἷον εἰ τὸ μὲν Α εἴη ὑγίεια, τὸ δ´ ἐφ´ ᾧ Β νόσος, ἐφ´ ᾧ δὲ Γ ἄνθρωπος. ἀληθὲς γὰρ εἰπεῖν ὅτι τὸ Α οὐδενὶ τῷ Β ἐνδέχεται ὑπάρχειν (οὐδεμιᾷ γὰρ νόσῳ ὑγίεια ὑπάρχει), καὶ πάλιν ὅτι τὸ Β παντὶ τῷ Γ ὑπάρχει (πᾶς γὰρ ἄνθρωπος δεκτικὸς νόσου). δόξειεν ἂν οὖν συμβαίνειν μηδενὶ ἀνθρώπῳ ἐνδέχεσθαι ὑγίειαν ὑπάρχειν. τούτου δ´ αἴτιον τὸ μὴ καλῶς ἐκκεῖσθαι τοὺς ὅρους κατὰ τὴν λέξιν, ἐπεὶ μεταληφθέντων τῶν κατὰ τὰς ἕξεις οὐκ ἔσται συλλογισμός, οἷον ἀντὶ μὲν τῆς ὑγιείας εἰ τεθείη τὸ ὑγιαῖνον, ἀντὶ δὲ τῆς νόσου τὸ νοσοῦν. οὐ γὰρ ἀληθὲς εἰπεῖν ὡς οὐκ ἐνδέχεται τῷ νοσοῦντι τὸ ὑγιαίνειν ὑπάρξαι. τούτου δὲ μὴ ληφθέντος οὐ γίνεται συλλογισμός, εἰ μὴ τοῦ ἐνδέχεσθαι· τοῦτο δ´ οὐκ ἀδύνατον· ἐνδέχεται γὰρ μηδενὶ ἀνθρώπῳ ὑπάρχειν ὑγίειαν. πάλιν ἐπὶ τοῦ μέσου σχήματος ὁμοίως ἔσται τὸ ψεῦδος· τὴν γὰρ ὑγίειαν νόσῳ μὲν οὐδεμιᾷ ἀνθρώπῳ δὲ παντὶ ἐνδέχεται ὑπάρχειν, ὥστ´ οὐδενὶ ἀνθρώπῳ νόσον. ἐν δὲ τῷ τρίτῳ σχήματι κατὰ τὸ ἐνδέχεσθαι συμβαίνει τὸ ψεῦδος, καὶ γὰρ ὑγίειαν καὶ νόσον καὶ ἐπιστήμην καὶ ἄγνοιαν καὶ ὅλως τὰ ἐναντία τῷ αὐτῷ ἐνδέχεται ὑπάρχειν, ἀλλήλοις δ´ ἀδύνατον. τοῦτο δ´ ἀνομολογούμενον τοῖς προειρημένοις· ὅτε γὰρ τῷ   

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 1 D'abord, nous dirons le sujet et le but de cette étude: le sujet, c'est la démonstration; le but, c'est la science de la démonstration. 2 Puis, nous définirons les mots suivants : proposition, terme, syllogisme; et nous montrerons ce que c'est qu'un syllogisme complet et un syllogisme incomplet. 3 Et à la suite, nous expliquerons ce qu'il faut entendre quand nous disons que telle chose est ou n'est pas dans la totalité de telle autre chose, et qu'elle est attribuée à toute une autre ou qu'elle ne lui est aucunement attribuée.

4 Ainsi, en premier lieu, la Proposition est une énonciation qui affirme ou qui nie une chose d'une autre chose. 5 Elle est, ou universelle, ou particulière, ou indéterminée. Je l'appelle universelle quand l'attribut est à toute la chose ou n'est à aucune partie de la chose; particulière, quand l'attribut est affirmé ou nié d'une partie de la chose, ou bien qu'il n'appartient pas à toute la chose; indéterminée, quand l'attribut est affirmé ou nié du sujet, sans indication d'universalité ni de particularité; telles sont ces deux propositions : La notion des contraires est une seule et même notion : Le plaisir n'est pas un bien. 6 Entre la proposition démonstrative et la proposition dialectique, il y a cette différence que la proposition démonstrative pose l'une des deux parties de la contradiction; car, pour démontrer, on ne fait pas une question, mais l'on pose un principe; au contraire, la proposition dialectique comprend dans une question la contradiction tout entière. Au reste cette différence ne fait rien à la formation du syllogisme de l'une et de l'autre proposition. En effet, qu'on démontre ou qu'on interroge, on fait toujours le syllogisme en posant qu'une chose est ou n'est pas à une autre. Ainsi donc, d'une manière toute générale, la proposition est syllogistique quand elle affirme ou qu'elle nie une chose d'une autre chose, sous l'une des formes qui viennent d'être indiquées. Elle est démonstrative, quand elle est vraie, et qu'elle dérive des conditions primitivement posées. Elle est dialectique, lorsque, sous forme de question, elle comprend les deux parties de la contradiction, ou que, sous forme de syllogisme, elle admet l'apparent et le probable, ainsi qu'il a été dit dans les Topiques. Les traités suivants feront comprendre exactement la nature de la proposition et ses différences, selon qu'elle est syllogistique, démonstrative ou dialectique; pour le moment, ce que nous venons d'en dire doit être suffisant.

7 J'appelle Terme l'élément de la proposition, c'est-à-dire, l'attribut et le sujet auquel il est attribué, soit qu'on y joigne, soit qu'on en sépare l'idée d'être ou de n'être pas.

8 Le Syllogisme est une énonciation, dans laquelle certaines propositions étant posées, on en conclut nécessairement quelque autre proposition différente de celles-là, par cela seul que celles-là sont posées. Quand je dis par cela seul que celles-là sont posées, j'entends que c'est à cause d'elles que l'autre proposition est conclue; et j'entends par cette dernière expression qu'il n'y a pas besoin de terme étranger pour obtenir la conclusion nécessaire. 9 J'appelle donc syllogisme complet celui où il n'est besoin d'aucune autre donnée que les données préalablement admises pour que la proposition nécessaire apparaisse dans toute son évidence. 10 J'appelle incomplet celui où il faut une ou plusieurs autres données, qui peuvent bien être nécessaires d'après les termes d'abord posés, mais qui n'ont pas été toutefois formulées précisément dans les propositions.

11 Quand on dit qu'une chose est dans la totalité d'une autre, ou qu'une chose est attribuée à une autre tout entière, ces deux expressions ont le même sens. Dire qu'une chose est attribuée à une autre tout entière, c'est dire qu'on ne suppose aucune partie du sujet dont l'autre chose ne puisse être dite : et de même pour n'être attribué à aucun.

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§ 1. Au temps d'Alexandre d'Aphrodise, la leçon vulgaire des manuscrits était: la science de la dém. l'accusatif, au lieu du génitif qui est dans nos textes; quelques manuscrits seulement donnaient cette dernière leçon qu'Alexandre défend de l'adopter, et qui lui semble s'accorder mieux avec le début même de la phrase.

§ 2.  Pour la définition de la proposition, voir plus bas § 4, et pour ses diverses espèces §§ 5 et 6. La définition de la proposition affirmative et négative a été déjà donnée dans l'Herméneia, ch. 6, §§ 1 et 2; et celle de ses espèces, même traité, ch. 7, §§ 1. et suiv. La définition de la proposition dialectique, à quelques légères différences près, est aussi celle de l'Herméneia, ch. 11, § 2. - La définition du Terme est plus bas § 7, et celle du Syllogisme, §§ 8, 9, 10.

§ 3. L'explication de ces expressions se trouve plus bas, § 11.

§ 4. Voir l'Herméneia, chap. 6 et 7.

§ 5. Les logiciens postérieurs ont en outre distingué une quatrième espèce de proposition : c'est la proposition singulière, où le sujet est un nom d'individu. La proposition singulière rentre du reste dans l'universelle, par cela seul que le sujet y est pris dans toute son étendue. Voir la logique de Port-Royal, 2° partie, ch. 3. - La notion... Le plaisir... n'ont, en effet, aucun signe d'universalité ni de particularité.

§ 6. Ainsi, pour reprendre l'exemple même d'Aristote, voici une proposition syllogistique: La notion des contraires est une seule et même notion; voici une proposition dialectique: La notion des contraires est elle une seule et même notion! ou en exprimant dans l'interrogation la contradiction tout entière: la notion des contraires est-elle ou n'est-elle pas une seule et même notion? Il est évident que, pour établir le syllogisme, il faut, après l'interrogation, poser celle des deux parties de la contradiction que l'interlocuteur admet dans sa réponse, et qu'on ne peut plus laisser la proposition sous forme interrogative. - Dans les Topiques, cette citation se rapporte au sujet tout entier des Topiques, et particulièrement au livre I, ch. 1, § 1. Voir du reste, sur le nom des Topiques, mon Mémoire sur la Logique d'Aristote, tom. 1, pag. 108. - Les traités suivants. c'est, pour la proposition syllogistique les Premiers Analytiques eux-mêmes, pour la proposition démonstrative les Derniers Analytiques, et les Topiques pour la proposition dialectique.

§ 7. J'appelle Terme... Terme, limite, parce que le terme est en quelque sorte la fin, la limite de la proposition. C'est par une image analogue qu'Aristote appelle les propositions: intervalles. Voir plus loin Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 2, § 3, et dans ce 1er liv. ch. 4, § 22 et passim. - Alexandre fait remarquer que le mot terme, pris en se sens, était inconnu du temps d'Aristote et que voila pourquoi l'auteur dit à la première personne : j'appelle, etc.; c'est une expression nouvelle qu'il crée à son usage. Voir ch. 4, § 3.

§ 8. Le Syllogisme... Le syllogisme signifie, comme on le voit ici, dans sa véritable acception, l'ensemble des deux propositions d'où sort la conclusion nécessaire. Mais souvent Aristote appelle syllogisme la conclusion même tirée des prémisses. Voir dans ce liv., ch. 5, § 29; ch. 6, § 24 et passim.

§ 9. Syllogisme complet... C'est celui où les propositions n'ont pas besoin d'être converties pour que l'évidence apparaisse; ce sont tous les syllogismes de la première figure.

§ 10. Syllogisme incomplet... celui où il est besoin de convenir une ou deux propositions pour que la nécessité apparaisse dans toute son évidence ce sont les syllogismes de la seconde et de la troisième figures. - Les propositions qu'on obtient par la conversion ne sont pas à proprement parler, des propositions nouvelles, puisqu'elles sont toujours formées du même sujet et du même attribut. Mais la forme sous laquelle on les avait d'abord présentées est changée. On peut voir du reste, dans le chapitre suivant, les effets de la conversion sur les diverses espèces de propositions.

§ 11. J'ai conservé, autant que j'ai pu, les formules aristotéliques; mais on reconnaît sans peine dans être attribué à tout, la proposition universelle affirmative; dans n'être attribué à aucun, l'universelle négative; dans être à quelque, la proposition particulière affirmative; dans n'être pas à tout ou à quelque, la particulière négative.

Pour bien comprendre tout le mécanisme du syllogisme, il faut donner la plus grande attention au sens de ces deux formules : être compris dans la totalité, être attribué à tout. Elles ont bien la même signification comme le dit Aristote; mais voici cependant la nuance fort grave qui les sépare : la première se dit du sujet qui est compris dans la totalité, dans l'extension de l'attribut. La seconde, au contraire, se dit de l'attribut qui fait partie de la compréhension totale du sujet. Ainsi avec la première formule on va du sujet à l'attribut, c'est-à-dire, de la partie au tout; avec la seconde, on va, au contraire, de l'attribut au sujet, c'est-à-dire, du tout à la partie; ou, en d'autres termes, du particulier à l'universel dans le premier cas, et de l'universel au particulier dans le second. L'universel se comprend toujours de l'extension du terme, et du nombre total des individus ou des espèces que cette extension renferme. On peut voir plus bas comment la formule de : être compris dans la totalité, s'applique à la définition de la première figure, ch. 4, § 2.