Aristote : Premiers analytiques

ARISTOTE

 

PREMIERS ANALYTIQUES

LIVRE PREMIER

SECTION PREMIÈRE

FORMATION DU SYLLOGISME

CHAPITRE II

chapitre I - chapitre III

 

 

 

PREMIERS ANALYTIQUES

 

 

 

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CHAPITRE II

Conversion des proportions absolues, c'est-à-dire, exprimant l'existence sans caractère de nécessité ni de contingence. - Règles de la proposition universelle négative, de l'universelle affirmative, de la particulière affirmative, de la particulière négative. - Exemples à l'appui des quatre règles.

[25a]  1 Ἐπεὶ δὲ πᾶσα πρότασίς ἐστιν ἢ τοῦ ὑπάρχειν ἢ τοῦ ἐξ ἀνάγκης ὑπάρχειν ἢ τοῦ ἐνδέχεσθαι ὑπάρχειν, τούτων δὲ αἱ μὲν καταφατικαὶ αἱ δὲ ἀποφατικαὶ καθ´ ἑκάστην πρόσρησιν, πάλιν δὲ τῶν καταφατικῶν καὶ ἀποφατικῶν αἱ μὲν καθόλου αἱ δὲ ἐν μέρει αἱ δὲ ἀδιόριστοι, 2 τὴν μὲν ἐν τῷ ὑπάρχειν καθόλου στερητικὴν ἀνάγκη τοῖς ὅροις ἀντιστρέφειν, οἷον εἰ μηδεμία ἡδονὴ ἀγαθόν, οὐδ´ ἀγαθὸν οὐδὲν ἔσται ἡδονή· 3 τὴν δὲ κατηγορικὴν ἀντιστρέφειν μὲν ἀναγκαῖον, οὐ μὴν καθόλου ἀλλ´ ἐν μέρει, οἷον εἰ πᾶσα ἡδονὴ ἀγαθόν, καὶ ἀγαθόν τι εἶναι ἡδονήν· 4 τῶν δὲ ἐν μέρει τὴν μὲν καταφατικὴν ἀντιστρέφειν ἀνάγκη κατὰ μέρος (εἰ γὰρ ἡδονή τις ἀγαθόν, καὶ ἀγαθόν τι ἔσται ἡδονή), 5 τὴν δὲ στερητικὴν οὐκ ἀναγκαῖον· (οὐ γὰρ εἰ ἄνθρωπος μὴ ὑπάρχει τινὶ ζῴῳ, καὶ ζῷον οὐχ ὑπάρχει τινὶ ἀνθρώπῳ).

6 Πρῶτον μὲν οὖν ἔστω στερητικὴ καθόλου ἡ Α Β πρότασις. Εἰ οὖν μηδενὶ τῷ Β τὸ Α ὑπάρχει, οὐδὲ τῷ Α οὐδενὶ ὑπάρξει τὸ Β· εἰ γάρ τινι, οἷον τῷ Γ, οὐκ ἀληθὲς ἔσται τὸ μηδενὶ τῷ Β τὸ Α ὑπάρχειν· τὸ γὰρ Γ τῶν Β τί ἐστιν. 7 Εἰ δὲ παντὶ τὸ Α τῷ Β, καὶ τὸ Β τινὶ τῷ Α ὑπάρξει· εἰ γὰρ μηδενί, οὐδὲ τὸ Α οὐδενὶ τῷ Β ὑπάρξει· ἀλλ´ ὑπέκειτο παντὶ ὑπάρχειν. 8 μοίως δὲ καὶ εἰ κατὰ μέρος ἐστὶν ἡ πρότασις. Εἰ γὰρ τὸ Α τινὶ τῷ Β, καὶ τὸ Β τινὶ τῷ Α ἀνάγκη ὑπάρχειν· εἰ γὰρ μηδενί, οὐδὲ τὸ Α οὐδενὶ τῷ Β. 9 Εἰ δέ γε τὸ Α τινὶ τῷ Β μὴ ὑπάρχει, οὐκ ἀνάγκη καὶ τὸ Β τινὶ τῷ Α μὴ ὑπάρχειν, οἷον εἰ τὸ μὲν Β ἐστὶ ζῷον, τὸ δὲ Α ἄνθρωπος· ἄνθρωπος μὲν γὰρ οὐ παντὶ ζῴῳ, ζῷον δὲ παντὶ ἀνθρώπῳ ὑπάρχει.  

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1 Comme toute proposition exprime que la chose est simplement, ou qu'elle est nécessairement, ou qu'elle peut être; et que, dans toute espèce d'attribution, les propositions sont ou affirmatives ou négatives; comme, de plus, les propositions affirmatives et négatives sont tantôt universelles, tantôt particulières, tantôt indéterminées, 2 il y a nécessité que la proposition simple universelle privative puisse se convertir en ses propre termes; par exemple, si aucun plaisir n'est un bien, il faut nécessairement aussi qu'aucun bien ne soit un plaisir. 3 La proposition affirmative doit aussi se convertir, non pas en universelle, mais en particulière; si, par exemple, tout plaisir est un bien, il faut aussi que quelque bien soit un plaisir. 4 Parmi les propositions particulières, l'affirmative se convertit nécessairement en particulière; car si quelque plaisir est un bien, il faut aussi que quelque bien soit un plaisir. 5 Mais il n'y a pas de conversion nécessaire pour la proposition privative; en effet, si homme n'est pas attribuable à quelque animal, il ne s'ensuit pas que animal ne soit pas attribuable à quelque homme.

6 Soit donc d'abord la proposition universelle négative AB; si A n'est à aucun B, B ne sera non plus à aucun A; car, si B est à quelque A, par exemple à C, il ne sera plus vrai que A ne soit à aucun B, puisque C est supposé être l'un des B. 7 Mais, si A est à tout B, B sera aussi à quelque A; car, s'il n'était à aucun, A ne serait non plus à aucun B; or, l'on a supposé qu'il était à tous. 8 Même conversion pour la proposition particulière; en effet, si A est à quelque B, il faut nécessairement aussi que B soit à quelque A; car, s'il n'est à aucun, A ne sera non plus à aucun B. 9 Enfin, si A n'est pas à quelque B, il n'est pas nécessaire non plus que B ne soit pas à quelque A: B, par exemple, est animal, et A homme; car homme n'appartient pas à tout animal, mais animal appartient à tout homme.

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§ 1. Simplement... Les propositions simples ou absolues, propositiones purae. des scholastiques, sont opposées aux modales. Les propositions absolues qui affirment ou qui nient l'existence, sans la modifier d'aucune manière. sont appelées: catégoriques par Kant et beaucoup de logiciens modernes. Je n'ai pu conserver ce terme parce que, dans Aristote, il a le sens tout spécial qu'on lui verra plus bas dans ce chapitre, § 3. Dans son langage, la proposition catégorique est l'universelle affirmative, ou simplement la proposition affirmative. Je continuerai donc d'appeler proposition absolue, celle qu'il désigne par proposition d'être. Sur les propositions absolues et modales dans le système d'Aristote, voir l'Herméneia, ch. 11, 12 et 13. Il ne parle, du reste, ici, que du nécessaire sous lequel il comprend l'impossible, et du contingent sous lequel se range aussi le possible. La conversion des modales sera traitée dans le chapitre suivant.

§ 6. Voici le premier usage des lettres représentant des idées; c'est un procédé tout algébrique, c'est-à-dire, de généralisation. Déjà, dans l'Herméneia, ch. 13, § 1 et suiv., Aristote a fait usage de tableaux pour représenter sa pensée relativement à la consécution des modales. Il parle encore spécialement de figures explicatives, liv. 3 des Derniers Analytiques, ch. 17, § 7. Vingt passages de l'Histoire des Animaux attestent qu'il joignait des dessins à ses observations et à ses théories zoologiques. Les illustrations pittoresques datent donc de fort loin. L'emploi symbolique des lettres a été appliqué aussi par Aristote à la physique. Il l'avait emprunté, sans doute, aux procédés des mathématiciens. Voir plus bas les figures du syllogisme, ch. 4, § 28; et ch. suiv.

Soit donc.... AB, A animal, B pierre. Si A n'est attribuable à aucun B, B non plus ne sera attribuable à aucun A; c'est-à-dire que si aucune pierre n'est animai, aucun animal, non plus, ne sera pierre. Supposons en effet que B soit attribuable à quelque A, c'est-à-dire, que pierre puisse être dit d'un animal quelconque, de l'homme, par exemple, représenté par C; on admet alors que l'homme est pierre; et comme l'homme est aussi animal, il s'ensuit donc que quelque pierre, homme, est animal; or, on a admis d'abord comme vrai qu'aucune pierre n'est animal. Donc la contradictoire de cette proposition est fausse, parce que les contradictoires ne peuvent être vraies à la fois; Herméneia, ch. 10, § 13; donc, on ne peut admettre que quelque animal soit pierre, parce que cette hypothèse conduit à l'absurde; donc aucun animal n'est pierre; ce qui était à prouver.

§ 7. Si A est à tout B... Démonstration pareille à la précédente, et qui s'appuie sur la règle qui vient d'être prouvée, que la proposition universelle négative se convertit en ses propres termes.

§ 8. A ne sera non plus à aucun B... Contradictoire de la première proposition admise que A est à quelque B, et fausse par conséquent.

§ 9. La méthode dont Aristote s'est servi dans la démonstration des règles précédentes, est une sorte de réduction à l'absurde au moyen d'un exemple sensible, dont l'impossibilité est attestée aussitôt qu'il nous est offert. C'est ce que les logiciens grecs appellent proprement exposition, et les scholastiques aussi. Elle consiste à tirer d'un terme général A, auquel on refuse certain attribut, un terme particulier C auquel on accorde le même attribut. Puis l'on montre le rapport évident du terme C au terme A, et l'on prouve qu'on ne peut accorder à l'individu l'attribut qu'on nie du genre entier qui le comprend : ce qui est évident.

Conversion est employée plus loin dans un sens un peu différent, et c'est une des propriétés du syllogisme et non plus de la proposition. Voir plus loin P. A., liv. 2, ch. 8.

Aristote n'a point ici appliqué les règles de la conversion aux propositions indéterminées, ainsi que le fait observer Alexandre, bien que ce soit la troisième espèce de proposition indiquée, ch. 1, § 5; c'est qu'elles ne sont pas d'usage dans le syllogisme, et que d'ailleurs elles sont de même valeur que les particulières.

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